Chrysostome sur Héb. I 200
200 QUI, ÉTANT LA SPLENDEUR DE SA GLOIRE ET LE CARACTÈRE DE SA PUISSANCE, SOUTIENT TOUT PAR LA PUISSANCE DE SA PAROLE, APRÈS NOUS AVOIR PURIFIÉS DE NOS PÉCHÉS. (He 1,3)
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Analyse.
1. C'est avec respect que nous devons parler de Dieu. — Hérésies de Marcellus et de Photin. — Contre Sabellius et Arius.
2. Hérésie de Paul de Samosate. — Réfutation d'Arius, de Sabellius, de Marcellin, de Photin et de Marcion.
3. Créer le monde est une oeuvre moins grande que de le conserver. — Le Fils de Dieu est tel, non-seulement par la grâce, mais par la nature.
4. Exhortation à l'humilité. — Combien les choses de cette vie sont passagères.
La condition du pauvre vaut mieux que celle du riche.
201 1. L'esprit de piété est nécessaire en toute circonstance, mais surtout lorsque l'on parle ou qu'on entend parler de Dieu : la langue en effet ne peut proférer, l'oreille ne peut entendre de parole qui soit à la hauteur de la divinité. Et que dis-je, la langue et l'oreille? notre âme qui leur est bien supérieure ne nous fournit pas des idées bien exactes, quand nous voulons parler de Dieu. Car si la paix de Dieu est au-dessus de toute intelligence, si l'image des biens préparés à ceux qui l'aiment ne peut entrer dans le coeur humain,.combien le Dieu de paix lui-même, le créateur de 1'univers, ne dépasse-t-il pas mille fois la mesure de notre raison! Il faut donc, avec foi et piété, accepter tous les mystères, et c'est quand notre faible raison ne peut saisir sa parole que nous devons surtout glorifier Dieu, ce Dieu si supérieur à notre intelligence et à notre raison. Car nous avons sur Dieu bien des idées que nous ne pouvons exprimer; nous avançons à son sujet bien des propositions que nous ne pouvons comprendre. Nous savons par exemple que Dieu est partout; mais comment cela se fait-il? nous ne le comprenons pas. Nous savons que c'est une force immatérielle, source de tout bien. Mais quelle est cette force? bous j'ignorons. Ici nous parlons sans comprendre. Il est partout : je l'ai dit; mais je ne le comprends pas. Il n'a pas eu de, commencement; je parle encore sans comprendre. Je dis qu'il a engendre un Fils de lui-même, et ici encore je trouve mon intelligence en défaut. Il y a donc de ces choses qu'on ne peut pas même exprimer. L'intelligence conçoit; mais la parole est impuissante. Et tenez; vous allez voir la faiblesse de Paul lui-même, vous allez le voir dans l'impuissance de s'expliquer clairement, et vous frémirez, et vous n'en demanderez pas davantage. Écoutez seulement. Après avoir parlé du Fils de Dieu et avoir établi qu'il est le créateur, qu'ajoute-t il? « Qui était la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Il faut accepter ces paroles avec piété, en en retranchant tout sens déplacé. « La splendeur de sa gloire », dit-il. Mais voyez dans quel sens Paul prend ces paroles, et prenez-les dans le même sens que lui. Il veut dire que le Christ tire de lui-même cette splendeur, qu'elle ne peut souffrir d'éclipse, qu'elle n'Est susceptible ni d'augmentation ni de diminution. Il y a des hommes qui s'emparent de cette image, pour en tirer des conséquences absurdes. La splendeur, disent-ils, n'est pas une substance, mais elle a une existence dépendante.
O homme! ne prenez pas ainsi la parole de l'apôtre; ne gagnez pas la maladie de Marcellus et de Photin. Paul vous met lui-même sous la main un préservatif contre cette erreur; il ne veut pas vous voir affligé de cette maladie mortelle. Que vous dit-il encore? « Le caractère de sa substance ». Cette parole qu'il ajoute montré que, tout comme le Père, le Fils subsiste en lui-même. Par cette parole, il vous fait voir qu'il n'y a pas entre eux de différence, il met devant vos yeux le caractère propre et original du Fils de Dieu, il vous apprend qu'il subsiste en lui-même dans son hypostase. Après avoir dit que Dieu a créé toutes choses par lui, il lui attribue ici la souveraine autorité. Qu'ajoute-t-il en effet? « Soutenant tout par la parole de sa puissance ». Par là il veut nous faire toucher du doigt non-seulement le caractère de sa puissance, mais l'autorité souveraine avec laquelle il gouverne tout. Voyez comme il attribue au Fils les qualités du Père. Pourquoi ne s'est-il pas contenté de dire : « Soutenant tout? » Pourquoi n'a-t-il pas dit simplement : Par sa puissance? Pourquoi a-t-il dit: « Par la parole de sa puissance? » Tout, à l'heure il s'élevait peu à peu, pour redescendre bientôt; maintenant encore de degrés en degrés, pour ainsi dire, il s'élève bien haut, puis il redescend et nous dit: « Par lequel il a créé les siècles ». Voyez comme il sait ici se frayer un double chemin. Pour nous détourner des hérésies de Sabellius et d'Arius, dont l'un ne conserve de Dieu que la substance, dont l'autre partage la nature de Dieu en deux natures inégales, il bat complètement en brèche ces deux systèmes. Et comment s'y prend-il ? Il tourne et retourne sans cesse les mêmes idées pour qu'on n'aille pas s'imaginer que le Fils ne procède pas de Dieu, et qu'il lui est étranger. Et n'allez pas trouver son discours étrange, puisque, après une pareille démonstration, il s'est trouvé des hommes qui ont dit que le Christ n'avait rien de commun avec Dieu, qui lui ont donné un autre père, qui le déclarent ennemi de Dieu; que n'aurait-on pas dit, si Paul n'avait pas tenu ce (458) langage? Obligé de remédier à ces erreurs, il est obligé aussi d'employer un langage plus humble et de dire: Dieu l'a institué son héritier universel, et c'est par lui qu'il a fait les siècles. Puis d'un autre côté, pour ne pas porter atteinte à la grandeur du Christ, il s'élève et parle de sa puissance. Il le met sur la même ligne que le Père, si bien que beaucoup de gens le confondent avec le Père. Mais voyez comme il procède avec prudence. Il pose d'abord et a soin de bien établir ses bases. Puis, quand il a démontré que loin d'être étranger à Dieu, le, Christ est le Fils de Dieu, il s'élève sans difficulté aussi haut qu'il veut. Comme en parlant de Jésus-Christ d'une manière sublime il risquait d'en porter plusieurs à le confondre avec le Père, il a soin d'en parler d'abord d'une manière humble, afin de pouvoir ensuite sans danger donner tout son essor à sa parole. Après avoir dit : « Dieu l'a établi son héritier universel » ; Dieu par lui a créé les siècles, il ajoute : « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Celui qui d'un seul mot gouverne l'univers, n'a besoin de personne pour le créer.
202 2. Cela étant, voyez comme Paul va plus loin, comme il donne au Fils l'autorité. Ces mois « par « qui » se trouvent maintenant supprimés. Comme il a fait par lui-même ce qu'il a voulu; Paul le sépare du Père, et que dit-il? « Dès le commencement du monde, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains ». Il ne dit plus « par qui », il ne dit plus : C'est par lui que Dieu a fait les siècles. Et pourquoi donc? Est-ce que les siècles n'ont pas été faits par lui? Certainement; mais ce n'est pas comme vous le dites, comme vous le croyez. Il n'a pas été réduit au rôle d'un instrument incapable d'agir par lui-même, si son Père n'avait mis la main à l'oeuvre. De même que le Père ne juge personne et juge, dit-on, par la bouche de son Fils, parce qu'il a engendré en lui le souverain Juge, de même c'est, dit-on, par son Fils qu'il crée, parce qu'il a engendré en lui le créateur.,Car si le Fils est engendré du Père, c'est le Père qui a'engendré à plus forte raison tout ce qui a été fait par le Fils.
Lors donc que Paul veut montrer que le Fils est engendré du Père, il est obligé de baisser le ton. Mais lorsqu'il veut parler un langage plus élevé, il donne prise aux attaques de Marcellus et de Sabellius. Mais entre ces deux excès qu'elle fuit, l'Eglise suit une ligne intermédiaire. Elle ne se renferme pas dans un humble langage, pour ne pas donner lieu à Paul de Samosate; elle ne plane pas toujours. dans les hautes régions et elle nous montre un Dieu qui se rapproche beaucoup de l'humanité, pour éviter les assauts de Sabellius. Paul dit « le Fils » et aussitôt Paul de Samosate l'arrête, en s'écriant : Le Fils soit ! comme tant d'autres. Mais Paul a porté à l'hérétique un coup mortel, avec un seul mot, le mot « d'héritier ». Alors Paul de Samosate s'allie sans rougir à Arius, car tous les deux s'emparent de ce mot ; l'un pour dire que c'est un témoignage de faiblesse, l'autre pour attaquer ce qui suit. D'un seul mot, en disant : « Par qui il a fait les siècles », Paul a terrassé l'hérétique de Samosate; mais Arius semble encore être fort. Voyez pourtant comme Paul renverse à son tour cet adversaire, en disant: «Qui étant la splendeur de sa gloire ». Mais voici de nouveaux assaillants, Sabellius, Marcellus et Photin. À tous ces adversaires il porte un seul coup. Il dit : « Il est le caractère de sa puissance et soutient tout par la puissance de sa parole ». Ici c'est encore Marcion qu'il frappe, légèrement il est vrai, mais toujours est-il qu'il le frappe; car, dans tout le cours de cette épître, il le combat. Mais, je l'ai dit plus haut, il appelle le Fils « la splendeur de la gloire » et avec raison. Ecoutez en effet le Christ, parlant de lui-même: « Je suis », dit-il, « la lumière du monde ». Voilà pourquoi Paul appelle le Christ « la splendeur de la gloire « divine », pour montrer que c'est là aussi le langage du Christ qui est évidemment lumière de lumière. Il ne s'en tient point là; il montre que cette lumière a illuminé nos âmes. Ces mots «splendeur de sa gloire » veulent dire égalité de substance, propinquité du Fils avec le Père. Pensez à la subtilité de ces paroles. Il ne prend qu'une essence et une substance, pour nous présenter deux hypostases. Il fait de même pour la science de l'Ésprit-Saint. Selon. lui, la science du Père et celle du Saint-Esprit forment une science unique; car elles ne sont en vérité qu'une seule et même science. De même en ce passage, il se sert d'un seul. mot; pour désigner les deux hypostases.
Il ajoute le mot « caractère ». Le caractère est autre chose que le prototype; il n'est pas tout autre, il n'en diffère qu'en ce qui regarde l'hypostase. Car ici le mot a caractère» annonce une similitude, une ressemblance parfaite.. Lors donc que Paul, emploie ces dénominations de forme et de caractère, que peuvent dire les hérétiques? Mais l'homme aussi a été appelé une image (Gn 1,26). Quoi donc! Est-ce de la même manière que le Fils? Non, vous dit-on, sachez que l'image n'implique pas la ressemblance. parfaite : le mot image appliqué .à l'homme signifie une ressemblance compatible avec l'humanité. Ce que Dieu est' dans le ciel, l'homme l'est sur la terre, quant à l'autorité. Si sur la terre l'homme est le maître, Dieu est le souverain maître de la terre et du ciel. D'ailleurs l'homme n'a pas été appelé figure, splendeur, forme, ce qui indique l'essence ou une ressemblance essentielle. De même que le terme «la forme d'esclave » veut dire un homme ayant tous les attributs de l'humanité,ainsi le terme «la forme de Dieu » ne peut rien signifier autre chose que Dieu. « Qui étant là splendeur de sa gloire», dit Paul. Voyez comment l'apôtre s'y prend. Après avoir dit : « Etant la splendeur de sa gloire », il a ajouté : « Il est assis à la droite de la souveraine Majesté ». Examinez les mots dont il se sert; ici il n'est plus question d'essence. Ni le mot de majesté, en effet, ni le mot de gloire ne rendent bien, son idée. Mais il ne trouve pas de mot, pour l'exprimer. Voilà ce que je disais. en commençant. Il y a bien des choses que nous comprenons, sans pouvoir rendre notre pensée. Car le mot Dieu ne désigne pas l'essence. Mais comment désigner l'essence divine ? Et qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'on ne trouve pas un nom pour cette essence? (459) Le mot ange en lui-même n'a dans sa signification aucun rapport avec l'idée d'essence. Peut-être en est-il de même du mot « âme », qui, selon moi, a la signification de « souffle ». Ame, coeur, pensée, sont termes synonymes. « Mets en moi un coeur pur, mon Dieu », dit le psalmiste. Il y a :même des cas où le mot « âme » s'emploie dans l'acception. « d'esprit». «Et soutenant tout par la parole de sa puissance ». Entendez-vous ce qu'il dit ?
203 3. Comment donc, hérétiques, pouvez-vous vous armer de cette parole de l’Ecriture : « Dieu dit que la lumière soit » (Gn 1,3), pour soutenir que lé Père seul a ordonné, que le Fils n'a fait qu'obéir? Mais voilà le Fils qui agit ici par sa parole. « Soutenant tout », dit l'apôtre ; c'est-à-dire gouvernant tout, arrêtant l'édifice dans sa chute. Ah ! c'est une oeuvre aussi grande, que dis-je ? c'est une oeuvre plus grande de soutenir le monde que de le créer. Créer, c'est faire quelque- chose de rien. Mais arrêter dans sa chute ce qui va tomber dans le néant, rattacher entre eux tant d'éléments, voilà qui est grand, voilà qui est admirable, voilà qui révèle un grand pouvoir. Et comme l'apôtre montre que cette oeuvre est facile au Fils par ce seul mot « soutenant». Il n'a pas dit, gouvernant; il a emprunté une image; c'est l'être fort qui remue et porte un fardeau avec un seul doigt. Il montre la pesanteur du fardeau c'est le monde, et ce fardeau n'est rien pour celui qui le porte. Cette dernière vérité est encore exprimée en ces mots : « Par la parole de sa puissance ». C'est bien dit : car c'est montrer la puissance de cette parole divine différente de la parole humaine qui est si peu de chose. Mais en 'nous disant que la parole divine soutient le monde, il ne nous dit pas comment; car il est impossible de le savoir. Il passe à la majesté divine. Et c'est ce qu'a fait saint Jean, qui, après avoir parlé de l'existence de Dieu, parle de la création. Ce que l'évangéliste a fait entendre en disant : « Au commencement était le Verbe et tout a été fait par lui» (Jn 1,1 Jn 1,3), l'apôtre le dit à son tour et l'exprime clairement en ces termes: « Parce qu'il a même créé les siècles ». Voilà l’ouvrier qui a fait les siècles et qui subsistait avant tous les siècles. Que dire en présence de ces paroles du Prophète, à propos du Père : « Tu existes depuis le commencement des siècles jusqu'à la fin des siècles » (Ps 89,2), si on les compare à ces paroles de l'apôtre, à propos du Fils: « Il existait avant tous les siècles et il a fait tous les siècles ? » Ne se hâtera-t-on pas d'appliquer au Fils ces mots qui ont été dit du Père: II existe avant les siècles? « En lui était la vie », dit saint Jean, pour faire voir qu'il a la force et le pouvoir de soutenir l'univers, puisqu'il est la vie universelle. Saint Paul tient le même langage: « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Il ne fait pas comme les philosophes grecs, qui, autant que cela dépend d'eux, le dépouillent de sa force créatrice et de sa Providence, et qui renferment son pouvoir dans un cercle qui s'arrête à la lune.
« Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés ». Après avoir parlé de ses oeuvres, si grandes, qui sont autant de suprêmes merveilles, Paul nous parle de sa sollicitude pour les hommes. Ce mot : « Soutenant tout» était bien vaste et embrassait tout. Le mot suivant est plus grand encore, car lui aussi il embrasse tout. En tant qu'ira dépendu de, lui, le Fils nous a tous sauvés. Jean, après avoir dit: : « En lui était la vie», pour marquer sa providence, ajoute . « Et il était la lumière », ce qui revient à ce que dit saint Paul. « Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés, il est assis à la droite de la majesté suprême ». Il y a là deux preuves éclatantes; de sa sollicitude pour nous: il nous purifie de nos péchés, et il le fait par ses mérites. Que de fois ne le voyons-nous pas se glorifier de cet événement, non-seulement parce que Dieu s'est réconcilié avec les hommes, mais parce que le Fils a été le médiateur de cette réconciliation devenue ainsi de sa part un plus éclatant bienfait. Après avoir dit qu'il s'est assis à la droite du Père, et qu'il nous a purifiés de nos péchés, après avoir rappelé la croix, 'l'apôtre nous parle de sa Résurrection et de son Ascension. Et voyez ici sa prudence ineffable. Il ne dit pas : On l'a fait asseoir; il dit : « Il s'est assis ». Puis, pour qu'on ne pense pas qu'il se tient debout, il ajoute: « Qui est fange à qui le Seigneur ait jamais dit : « Asseyez-vous à ma droite? » — « Il est assis à la « droite de la majesté suprême, au plus haut des cieux ». Que signifie « au plus haut des cieux ? » Veut-il donc renfermer Dieu dans un espace limité? Loin de là. Il ne veut pas nous donner de Dieu une semblable idée. Quand il a dit: « Il est assis à la droite du Père », il a voulu seulement faire allusion à la dignité de Fils qui égale celle du Père; et, quand il a dit: « Au plus haut des cieux», il a voulu non pas renfermer Dieu dans ces limites, mais nous montrer ce Dieu dominant l'univers, et s'élevant jusqu'au trône de son Père ! Comme son Père, il est au plus haut des cieux, et ce trône qu'ils, partagent montre qu'ils sont égaux eu dignité. Mais, poursuivent les hérétiques, le Père a dit au Fils : « Asseyez-vous à ma droite ». Eh bien ! cela prouve-t-il que-le Fils se tenait debout? Voilà ce que les hérétiques eux-mêmes ne sauraient prouver. D'ailleurs Paul ne dit pas que le mot précédent soit un ordre ou une injonction ; il n'a d'autre but que de nous faire voir que le Fils procède d'un principe et d'une cause. Et la preuve, c'est la place à laquelle ce Fils est invité à s'asseoir. Elle est à la droite du Père... Pour désigner l'infériorité, le Père aurait dit: Asseyez-vous à ma gauche.
204 4. « Etant aussi supérieur aux anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur ». Le mot « étant » signifie ici « déclaré », pour ainsi dire. Paul le prouve. Comment est-il supérieur aux anges? Par le nom qu'il a reçu. « Voyez-vous que a le nom de Fils désigne ici la parenté légitime ? » Certes, s'il ne se fût agi d'un fils légitime, Paul n'aurait pas tenu ce langage. Pourquoi? Parce que le Fils n'est légitime qu'à la condition d'avoir été engendré par le Père. Paul confirme donc ici sa parole. Car si le Christ est Fils de Dieu par la grâce, loin d'être supérieur aux anges, il leur serait inférieur. Comment? c'est que les justes ont aussi été appelés les fils de Dieu, et le nom de fils, quand il ne s'agit pas du Fils proprement dit, du Fils (460) légitime, n'est pas un titre de supériorité. Et, pour marquer l'intervalle qui existe entre les créatures et le créateur, Paul s'exprime ainsi: « Qui est l'ange à qui Dieu ait jamais dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd'hui ? » Et ailleurs: « Je serai son Père, et il sera mon Fils ». Ces paroles marquent la filiation selon la chair. Car le mot: « Je serai son Père, et il sera mon Fils », fait allusion évidemment à l'Incarnation. Mais cet autre : « Vous êtes mon Fils », ne prouve qu'une chose: c'est qu'il est de lui. De même qu'il est dit « qui est», on, au temps présent, car cela lui convient, admirablement; de même le mot « aujourd'hui m s'applique, selon moi, à l'Incarnation Lorsqu'en effet il aborde ce mystère, son langage est plein d'assurance. La chair participe à l'élévation, comme la divinité à l'abaissement. Dieu n'a pas dédaigné de se faire homme; il n'a pas reculé devant cette humiliation réelle ; pourquoi donc n'accepterait-il pas le mot qui l'exprime ?
205 5. Puisque nous sommes pénétrés de ces vérités, plus de mauvaise honte, plus d'orgueil. Si Jésus qui est Dieu, maître et Fils de Dieu, a daigné prendre la forme d'un esclave, ne devons-nous pas accepter toutes les tâches, même les plus humbles? Répondez, homme, d'où vient votre orgueil ? Des biens que vous possédez en cette vie? Mais ils s'éclipsent avant de briller. Des dons spirituels? Mais c'en est un que de n'avoir pas d'orgueil. D'où vient donc votre orgueil? De votre droiture? Ecoutez cette parole du Christ: « Quand vous aurez fait toutes choses, dites: Nous sommés des serviteurs inutiles» (Lc 17,10), car nous avons fait ce que nous devions faire. Mais c'est votre richesse qui vous rend orgueilleux. Eh! pourquoi donc? Ne savez-vous pas que nous sommes entrés nus dans la vie, et que nous en sortirons nus? Ne voyez-vous pas que ceux qui vous ont précédés sont partis nus, et dépouillés? Pourquoi s'enorgueillir de la possession des biens extérieurs? Ceux qui veulent s'en servir et en jouir, ne s'en voient-ils pas privés, même malgré eux, souvent avant leur mort, toujours au moment de la mort ? Mais; de notre vivant, dites-vous, nous en faisons ce que nous voulons. D'abord on voit rarement les riches jouir de leur fortune, comme ils l'entendent. Et quand on serait assez heureux pour cela, ce ne serait pas là un grand bonheur. Le présent en effet est bien court, quand on le compare aux siècles sans fin.
Tu es orgueilleux de tes richesses,-'ô homme ! Et pourquoi donc ? C'est un avantage qui t'est commun avec les brigands, avec les voleurs, avec les meurtriers, avec une foule de gens efféminés et corrompus, avec tous les méchants. Pourquoi donc cet orgueil? Si tu fais de ta fortune un boit usage, tu dois bannir l'orgueil, pour ne pas enfreindre les commandements; si tu fais un mauvais usage de tes biens, l'orgueil te sied moins encore, puisque tu es l'esclave de ces biens, de ces trésors qui sont devenus tes tyrans. Dites-moi, ce fiévreux qui boit de l'eau avec excès et dont la soif s'éteint un instant pour se rallumer, doit-il s'enorgueillir? Cet homme qui se forge mille soucis inutiles, doit-il s'enorgueillir? De quoi vous enorgueillissez-vous, dites-moi? d'avoir une foule de maîtres? d'avoir mille soucis? d'être entouré de flatteurs ? Mais ce sont autant de chaînes que vous avez là. Voulez-vous sentir le poids de ces chaînes, écoutez-moi bien. Les autres passions ont parfois leur utilité. La colère est quelquefois utile. « Colère injuste », dit l'Ecclésiaste, « colère coupable ». (Qo 1,22) La colère peut donc être juste en certains cas. Ecoutez encore saint Matthieu: « Se fâcher sans raison contre son frère, c'est s'exposer à la géhenne». (Mt 5,22) La jalousie et la concupiscence ont aussi leur bon côté: celle-ci quand elle a pour but la procréation des enfants; celle-là quand elle produit une noble émulation. C'est ce que dit saint Paul. « Il est toujours bien d'être jaloux de bien faire », et ailleurs. « Choisissez entre les dons de la grâce et montrez-vous jaloux d'acquérir les meilleurs ». (Ga 4,18 1Co 12,31) Voilà donc deux passions qui peuvent avoir leur utilité. Mais l'orgueil n'est jamais bon; il est toujours inutile et nuisible. S'il faut s'enorgueillir de quelque chose, c'est de la pauvreté, non de la richesse. Pourquoi? C'est que l'homme qui sait vivre de peu, est bien plus grand et bien meilleur que celui qui ne le sait pas.
Dites-moi : voilà des gens qui sont invités à se rendre dans une résidence royale; les uns n'ont besoin en voyage ni de nombreux attelages, ni de serviteurs, ni de parasols, ni d'hôtelleries, ni de chaussures, ni de vaisselles; il leur suffit d'avoir du pain et de l'eau des sources. Les autres disent:Si vous ne nous donnez pas des chariots et de bons lits, nous ne pouvons pas 'venir; nous ne pouvons venir, si nous n'avons pas une suite nombreuse; si nous ne pouvons rions reposer à chaque instant; nous ne pouvons venir, si nous n'avons pas dés attelages à notre disposition, et si nous ne passons une partie du jour à nous promener; et nous avons besoin de bien d'autres choses encore. De ces deux espèces d'hommes, laquelle excitera notre admiration? Sera-ce la première? Sera-ce la dernière? Il est évident que nous réserverons notre admiration pour ceux qui n'ont besoin de rien. Il en est de même ici. Pour faire le voyage de la vie, les uns ont besoin de mille choses, les autres n'ont besoin de rien. Et ce seraient les pauvres qui devraient être orgueilleux, s'il fallait avoir de l'orgueil. Mais, dira-t-on, c'est un être méprisable que le pauvre. Non: ce n'est pas lui qu'il faut mépriser; ce sont ceux qui le méprisent. Eh! Pourquoi ne mépriserais-je pas ceux qui ne placent pas bien leur admiration ? Un bon peintre se moquera de tous ceux qui s'aviseront de le railler, si les rail. leurs sont des ignorants ; il ne fera pas attention à leurs propos; il se contentera du témoignage qu'il se rend à lui-même : et nous autres, nous dé. pendrons de l'opinion du vulgaire! Quelle impardonnable faiblesse !
Aussi sommes-nous méprisables, quand nous ne méprisons pas ceux qui nous méprisent à cause de notre pauvreté, quand nous ne les trouvons pas malheureux. Je passe sous silence toutes les fautes dont la richesse est la source, tous les avantages de la pauvreté. Mais que dis-je? Ni la richesse, ni la pauvreté ne sont pas elles-mêmes des biens; elle ne le deviennent que par l'usage qu'a (461) en fait. La vertu du chrétien brille d'un plus grand lustre dans la pauvreté que dans la richesse. Comment? C'est que dans la pauvreté, il est plus modeste, plus sage, plus respectueux, plus juste, plus prudent; dans la richesse au contraire, la vertu trouve mille obstacles. Examinons les actions du riche, de celui-là surtout qui fait de sa richesse un mauvais usagé. Ce ne sont que rapines, fraudes, pièges, violences.. Que dis-je? Les passions déréglées, les commerces illicites, les sortilèges, les maléfices, toutes les noirceurs en un mot ne dérivent-elles pas de la richesse ? Ne voyez-vous pas qu'il est plus facile d'être vertueux au sein de la pauvreté qu'au sein de la richesse ? Et parce que les riches ne sont pas punis ici-bas, n'allez pas croire qu'ils né commettent pas de fautes. S'il était facile de punir les riches, ils peupleraient les cachots. Mais entre autres inconvénients,la richesse a celui-ci: le riche, qui fait le mal impunément, ne s'arrêtera jamais dans la voie du mal; pour lui, le remède. ne sera jamais à côté de la blessure, et nul homme ne pourra lui mettre un frein. La pauvreté au contraire, si l'on veut y regarder, offrira à nos yeux bien des côtés agréables. N'affranchit-elle pas l'homme des soucis, de la haine, des luttes, des rivalités, des querelles, dé mille maux enfin ? Ne courons donc pas après la richesse, et n'envions pas le sort de ceux qui la possèdent. Avons-nous de la fortune, faisons-en un bon usage. En sommes-nous privés, n'en gémissons, pas, mais remercions Dieu de ce qu'il nous permet d'obtenir facilement la même récompense que les riches, et une plus grande encore, si nous le voulons. Alors notre faible capital nous rapportera un gros revenu. Celui qui rapporta les deux talents ne fut-il pas aussi honoré, aussi admiré que celui qui en rapporta cinq ? Pourquoi ? C'est que ces deux talents lui avaient été confiés, c'est qu'il sut remplir toutes ses obligations; c'est qu'il rapporta le double de ce qu'on lui avait confié. Pourquoi donc cherchons-nous à nous faire confier des trésors, lorsque nous pouvons retirer autant de fruit d'un modeste dépôt que d'un dépôt considérable; lorsqu'avec moins de peine, nous pouvons obtenir une récompense bien plus grande? Le pauvre renoncera plus facilement à ce qu'il possède que le riche, gui nage dans l'opulence. Ne savez-vous pas que, plus on est environné de richesses, plus on a soif de richesses? Pour éviter ce tourment, ne cherchons pas la richesse et supportons sans peine la pauvreté. Avons-nous de la fortune, servons-nous-en, comme le veut saint Paul: que ceux qui possèdent, soient comme s'ils ne possédaient point, et que ceux qui usent de ce monde, soient comme n'en usant point, afin. d'obtenir les biens promis, et puissions-nous les obtenir avec la grâce de Dieu et par un effet de sa bonté!
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MAIS APRÈS AVOIR INTRODUIT SON PREMIER-NÉ SUR LA TERRE, IL DIT : QUE TOUS LES ANGES DE DIEU L'ADORENT ET L'ÉCRITURE DIT DES ANGES : DIEU SE SERT DES ESPRITS POUR EN FAIRE SES ANGES, ET DES FLAMMES ARDENTES POUR EN FAIRE SES MINISTRES. MAIS IL DIT AU FILS . VOTRE TRÔNE, O DIEU, SERA UN TRÔNE ÉTERNEL. (He 1,6-14 He 2,1-4)
Analyse.
l. Dieu ne parle pas à son Fils comme à ses anges. — Paul réfute les juifs, Paul de Samosate, les ariens, Marcellus, Sabellius et Marcion.
2. Gloire du Christ. — Ministère des anges.
3.Il faut s'attacher à la parole du Christ.
4. Importance de la parole du Christ. — Témoignages rendus à cette parole.
5. Dieu dispense les grâces avec sagesse.
La charité est le plus précieux de tous les dons.
301 1. Notre-Seigneur JésusChrist appelle son avènement dans la chair: une sortie. C'est ainsi qu'il dit: «Le semeur est; sorti pour semer », et ailleurs «Je suis sorti de mon Père et me voici ». (Mt 13,3 Jn 16,28) Il s'exprime de même en plusieurs passages. Paul au contraire donne le nom d'introduction à cet avènement dans la chair «Après avoir introduit son premier-né sur la terre ». L'incarnation, chez lui, prend le nom d'introduction. Pourquoi ces expressions différentes pour désigner une môme chose, et d'où vient ce langage? On voit clairement ce qu'il signifie. Le Christ appelle son avènement dans la chair une sortie, et il a raison, car nous étions en dehors de Dieu.
Voyez les palais des rois. Les prisonniers et ceux qui ont offensé le roi se tiennent en dehors. Celui qui veut les réconcilier avec le prince, ne les introduit pas tout d'abord ; il s'entretient avec eux hors de la maison royale et ce n'est que lorsqu'il lés a rendus dignes de paraître devant le roi qu'il les introduit. C'est ce qu'a fait le Christ. Il est sorti pour venir à nous, c'est-à-dire, a pris notre chair, il nous a parlé de la part du roi, et il ne nous a introduit devant lui qu'après nous avoir purifiés de nos péchés et nous avoir réconciliés avec le Souverain suprême. Voilà pourquoi il appelle son incarnation une sortie. Paul au contraire l'appelle une « entrée », en se servant d'une figure (462) empruntée à la situation de l'homme qui hérite, et qui entre dans son héritage. Ces mots « après avoir introduit son premier-né sur la terre », signifient évidemment « après l'avoir mis en possession de la terre ». Car il est entré en possession de cette terre aussitôt qu'il a été reconnu Fils de Dieu. Ce n'est pas du Verbe divin, c'est du Christ selon la chair qu'il parle ainsi, et avec raison. Car s'il était dans le monde, selon la parole de Jean, et si le monde a été fait par lui, comment pourrait-il y être introduit autrement que dans la chair? « Et que tous les anges de Dieu l'adorent ». Paul a quelque chose dé grand et d'élevé à dire ; il prépare donc son discours et dispose "ses auditeurs à l'accueillir, en faisant introduire le Fils par le Père. Voyez plutôt : il a dit plus haut que Dieu nous a parlé par son Fils et non par les prophètes; il a montré que le Fils est supérieur aux anges, et cela d'abord par le nom qu'il porte, puis par cette circonstance que le Père introduit le Fils.
Autre preuve de cette supériorité : l'adoration. L'adoration fait éclater toute la supériorité du Christ sur l'ange : c'est celle du maître sur le serviteur. Ce que ferait un introducteur en présentant un grand personnage dans la maison d'un roi, et en ordonnant à tous ceux qui s'y trouveraient de se prosterner devant le nouveau venu, Paul le fait ici eu parlant de l'introduction selon la chair du Fils dans le monde et en disant: « Que tous les anges de Dieu l'adorent ». Quoi ! Les anges seuls, et non les autres puissances! Loin de lui ce langage! Ecoutez ce qui suit. « Et des anges il est dit . Dieu se sert des esprits pour en faire ses anges, et des flammes ardentes pour en faire ses ministres ». Quant au Fils, il lui dit : « Votre trône sera un trône éternel ». Quelle différence entre ces deux sortes de langage! Les anges sont créés; le Fils est incréé. Pourquoi dit-il aux anges : Celui qui « fait» des esprits ses anges; et ne s'est-il pas servi de ce mot, en parlant du Fils? Il pouvait cependant exprimer la différence qui les sépare, en ces termes . Il est dit des anges: Celui qui «fait » des esprits ses anges; et du Fils : « Le Seigneur m'a créé», et ailleurs Dieu l'a fait Seigneur même et Christ ». Mais ces mots n'ont jamais été appliqués ni au Christ, Fils de Dieu Notre-Seigneur, ni à Dieu le Verbe; ils ne l'ont été qu'au Dieu incarné. Quand Paul veut montrer la vraie différence qui existe entre Dieu et ses ministres, sa parole embrasse non-seulement les anges, mais toute la hiérarchie des ministres célestes. Voyez-vous avec . quelle netteté il sépare les créatures du créateur,. les serviteurs du maître, l'héritier, le Fils légitime des esclaves ? Au Fils il dit : « Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel ». Voilà un des emblèmes de la royauté ! La verge de votre royauté est la verge de la justice. Voilà encore un emblème royal ! Puis en parlant de Dieu fait homme : « Vous avez aimé la justice et détesté l'injustice », dit-il, « voilà pourquoi vous êtes l'oint du Seigneur votre Dieu ». Pourquoi ces mots: « Votre Dieu ? » c'est que son langage d'abord si élevé, s'abaisse quand il descend à l'incarnation.
Ici ce sont les juifs, c'est Peul de Samosate, ce sont les ariens, c'est Marcellus, Sabellius et Marcion que Paul attaque à.la fois, et voici comment il frappe les juifs, en démontrant que le Christ est Dieu et homme tout ensemble. Quant aux autres; c'est-à-dire quant aux disciples de Paul de Samosate, il leur montre qu'il s'agit ici de l'éternelle substance et de l'être incréé. A ces mots, il a « fait », il oppose ceux-ci : « Votre trône, ô Dieu, subsiste dans les siècles des siècles ». Aux Ariens il dit que le Christ n'est pas un esclave, et il en serait un, s'il n'était qu'une créature. A Marcellus et aux autres il répond que le Père et le Fils sont deux personnes hypostatiquement distinctes; aux disciples de Marcion,que l'oint du Seigneur dans le Christ, ce n'est pas le Dieu, c'est l'homme. Puis il dit : «D'une manière plus excellente que vos participants ». Or ces participants, quels sont-ils, sinon les hommes? Cela veut dire que le Christ a reçu l'Esprit de Dieu sans mesure.
302 2. Voyez-vous comme il joint toujours, dans son langage, la nature incréée et l'incarnation? Quoi de plus clair ? Voyez-vous la différence qu'il y a entre « créé » et « engendré ? » Autrement il n'aurait pas séparé ces deux manières d'être. Autrement, en regard de ce mot : « Il a fait », il n'aurait pas placé, pour les opposer à lui, ces paroles: « Quant au Fils, il lui a dit : Votre trône, à vous qui êtes le Dieu de l'univers, sera éternel ». Il n'aurait pas; pour marquer sa prééminence, appelé le Christ du nom de Fils, si ce n'était pas là une marque de distinction. Où serait en effet la différence, où serait la prééminence, si « être créé » était la même chose qu'être engendré? Puis voici ce mot « le Dieu », O Theos, avec l'article. Puis il dit encore : « Seigneur, vous avez fondé la terre dès le commencement du, monde, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous demeurerez; tous vieilliront comme un vêtement, et vous les changerez comme un manteau et ils seront changés, mais vous, vous êtes toujours le même; et vos années ne finiront pas ». Et pour que ces mots: « Lorsqu'il a introduit son premier-né dans le mon« de », ne vous fassent pas croire qu'il y a eu un, don accordé au Fils dans la suite des temps; il a corrigé plus haut cette expression et il la corrige encore d'un seul mot : « Dans le principe », c'est-à-dire, non pas maintenant, mais dès l'origine du monde. C'est encore un coup mortel qu'il porte. à Paul de Samosate ainsi qu'à Arius, lorsqu'il applique au Fils les paroles qui s'appliquent au Père.
Il fait entendre en outre, comme en passant, quelque chose de plus grand encore. C'est à la transfiguration du monde qu'il fait allusion, en disant : « Ils vieilliront, comme un manteau, tu les rouleras comme un vêtement, et ils seront changés ». C'est comme dans l'épître aux Romains où il dit qu'il transformera le monde. La facilité avec laquelle cette transformation s'opérera est indiquée par le mot : « Tu rouleras ». Il changera le monde qui sera entre ses mains, comme un vêtement que l'on roule. Si, quand il s'agit de la partie la meilleure et la plus importante de la création, il la transforme avec cette facilité, a-t-il besoin, pour une oeuvre moindre, d'une main étrangère? Jusqu'à quand conserverez-vous ce front d'airain? N'est-ce pas une grande consolation de savoir que (463) le monde ne sera pas toujours le même, et qu'il subira une transformation,, un changement complet, tandis que Dieu lui-même jouit d'une existence éternelle et d'une vie sans fin ? « Vos années », dit-il, « ne s'évanouiront pas. Et quel est l'ange à qui Dieu ait jamais dit : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied ? »
Voilà en outre un encouragement pour ses auditeurs. Leurs ennemis auront le dessous; car leurs ennemis sont les mêmes que ceux du Christ. Un nouveau signe de la royauté, du partage de la dignité divine, un nouveau signe d'honneur et non de faiblesse, c'est cette colère du Père excitée par les offenses qui s'adressent au Fils. Quelle preuve d'amour et de filiation légitime : c'est bien l'attachement d'un père pour son fils véritable. Celui qui s'irrite ainsi en prenant ses intérêts, comment lui serait-il étranger? « Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis ». Cela revient à ce qui est dit dans le psaume deuxième: « Celui qui habite dans les cieux se rira d'eux, et le Seigneur les raillera amèrement. C'est alors qu'il leur parlera dans sa colère et que, dans son courroux, il les confondra ». Et ailleurs: « Ceux qui n'ont pas accepté mon règne, conduisez-les devant moi et mettez-les à « mort ». (Lc 19,27) Ce sont bien là des paroles: écoutez en effet ce qu'il dit ailleurs: « Que de fois n'ai-je pas voulu rassembler autour de moi tes enfants ! et vous ne l'avez pas voulu. Votre maison sera donc laissée à l'abandon ». (Lc 13,34) Et encore: « Le royaume vous sera enlevé, pour être donné à une nation qui le fera fructifier ». Et dans un autre endroit: « Celui qui tombera sur cette pierre, s'y brisera, et celui sur à qui elle tombera sera broyé». (Mt 21,43-44)
D'ailleurs, celui qui là-haut doit les juger, a prononcé ici-bas contre eux un arrêt beaucoup plus sévère, pour les punir de leur cruauté envers lui. C'est donc uniquement pour faire honneur au Fils qu'ont été dites ces paroles: « Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied ».
«Ne sont-ils pas tous ces esprits qui le servent, envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut? » Quoi d'étonnant, dit-il, s'ils sont les ministres du Fils, puisqu'ils doivent s'employer aussi à notre salut, en qualité de ministres?. Voyez comme il relève leurs esprits, et comme il nous montre l'excès d'honneur que Dieu nous fait, en ordonnant à ses anges de s'employer pour nous. C'est comme s'il disait: En quoi consiste le ministère des anges ? A servir Dieu. pour notre salut. C'est donc une oeuvre angélique, de tout faire pour le salut de ses frères ; c'est plus encore, l'oeuvre du Christ. Mais le Christ: travaille en maître à notre salut, et les anges y travaillent, comme serviteurs. Et nous, tout esclaves que nous sommes, nous avons les anges pour compagnons d'esclavages. Pourquoi donc, nous dit-il, lever sur les anges des yeux étonnés? Ce sont les esclaves du Fils de Dieu, et bien souvent c'est pour nous qu'ils sont envoyés, et c'est pour notre salut qu'ils exercent leur ministère; ce sont donc nos compagnons d'esclavage. Songez à cette faible différence qu'il met entre les créatures. Et pourtant elle est grande la distance qui sépare l'ange de l'homme. Mais il les rabaisse jusqu'à nous. C'est à peu près comme s'il disait: C'est pour nous qu'ils travaillent, c'est pour nous qu'ils courent de tous côtés; on pourrait presque dire qu'ils sont nos serviteurs. Etre envoyés partout, dans notre intérêt, voilà leur ministère !
303 3. A l'appui de cette vérité, les exemples abondent dans l'Ancien Testament; ils abondent dans le Nouveau Testament. Quand les anges annoncent aux bergers la bonne nouvelle, quand ils l'annoncent à Marie, à Joseph, quand ils viennent s'asseoir auprès du monument, quand ils sont envoyés pour dire aux disciples : « Galiléens, pourquoi restez-vous là les yeux levés vers le ciel ? » (Ac 1,11) Quand ils délivrent Pierre de sa prison, quand ils parlent à Philippe. est-ce que ce n'est pas pour nous qu'ils travaillent ? Quel honneur n'est-ce pas pour nous de voir le Seigneur se servir de ses anges pour les envoyer aux hommes, comme à des amis, lorsqu'un ange apparaît à Corneille, lorsqu'un ange fait sortir de prison tous les apôtres, en leur disant: a Allez et faites en« tendre au peuple, dans le temple, la parole de vie». Pourquoi en dire davantage ? Paul lui-même ne voit-il pas apparaître un ange.? Voyez-vous comme les anges nous servent à cause de Dieu, et cela dans les choses de la plus haute importance ? Aussi saint Paul dit-il: « Tout vous appartient: à vous la vie, à vous la mort, à vous le « monde, à vous le présent,. à vous l'avenir ». Le Fils aussi a été envoyé, il est vrai, mais non comme serviteur, non comme ministre, mais comme Fils unique du Père; et son Père et lui n'ont qu'une même volonté. Ou plutôt il n'a pas été envoyé ; car il n'est point passé d'un lieu dans un autre ; mais il s'est incarné. Les anges au contraire changent de lieux, ils abandonnent le séjour où ils sont, pour aller dans celui où ils n'étaient pas. Et c'est pourquoi il leur dit, afin de les encourager : Que craignez-vous? Les anges vous servent.
Après avoir parlé du Fils, de son incarnation, de sa puissance comme créateur, de sa royauté, de son rang égal à celui du Père, de son autorité qui s'étend non-seulement sur les hommes, mais sur les puissances d'en-haut, il exhorté ceux à qui ii écrit, en usant de précautions oratoires, en nous présentant sous forme de conclusion le devoir de recueillir avec attention ce que nous avons entendu, et il dit : «Nous devons donc à proportion nous attacher avec plus de soin aux choses que nous avons entendues ». Il veut dire qu'il faut s'y attacher avec plus d'attention encore qu'à la loi; mais il a passé le mot de « loi » sous silence. Toujours est-il que son langage est clair, quoiqu'il exprime une conclusion au lieu d'une exhortation et d'un conseil. La forme qu'il emploie était du reste la meilleure. « Car », dit-il, « si la parole sortie de la bouche des anges est demeurée stable, si toute transgression, toute désobéissance à cette parole a reçu son juste salaire, « comment nous autres échapperons-nous au châtiment, si nous négligeons un tel moyen de (464) salut, la parole que le Seigneur a d'abord laissé tomber de sa bouche et qui nous a été confirmée par ceux qui l'ont entendue ? » Pourquoi donc devons-nous nous attacher davantage à ce que nous avons entendu ? Est-ce que les deux doctrines ne viennent pas de Dieu ? Est-ce une attention plus grande que jamais, ou une grande attention qu'il faut ici ? Il n'y a pas là de comparaison, à Dieu ne plaise ! Mais comme l'Ancien Testament devait à sa longue existence une grande autorité, tandis que l'autre était dédaigné comme nouveau, il montre surabondamment qu'il faut être surtout attentif au Nouveau Testament. Comment fait-il pour cela ? Ce qu'il dit revient à ceci Les deux doctrines viennent de Dieu; mais non de la même manière. Cette vérité, il nous la démontre plus tard. Pour le moment il ne fait qu'y toucher superficiellement et il nous prépare à l'entendre; mais plus tard, il devient plus clair et il dit : « Si la première loi eût été sans défaut », puis encore : « Ce qui est ancien et vieux est bien près de périr » et beaucoup d'autres choses semblables. Mais il n'ose encore rien dire de tel en commençant son épître; il s'empare d'abord à l'avance de son auditeur et le captive, à force de préparations. Pourquoi donc devons-nous nous attacher davantage à ce que nous avons entendu ? Il nous le dit : « C'est pour que nous ne passions pas comme l'onde » ; c'est-à-dire, pour que nous ne périssions pas, pour que nous ne tombions pas. Et il nous montre ici le danger de la chute, quand elle arrive par notre négligence, en nous mettant sous les yeux cette eau qui coule et qui remonterait difficilement à sa source. Il emprunte son expression au livre des Proverbes : « Mon fils », y est-il dit, « ne passez pas comme l'onde ». Il nous montre combien il est facile de glisser et combien il est dangereux de tomber, c'est-à-dire combien la désobéissance est périlleuse.
En raisonnant ainsi, il nous montre la grandeur du châtiment. Ce châtiment il le livre à nos recherches sans tirer de conclusion expresse. C'est un moyen de faire accepter sa parole que de ne pas toujours porter soi-même un jugement et de laisser à l'auditeur le soin de prononcer : c'est là un moyen de se concilier sa bienveillance. C'est ce que fait dans l'Ancien Testament le Prophète Nathan; c'est ce que fait le Christ dans l'Evangile selon saint Matthieu, en ces termes : « Que fera-t-il aux cultivateurs de cette vigne ? » Il force ainsi les auditeurs à prononcer eux-mêmes. Voilà le triomphe de la parole ! Puis, après avoir dit : « Si la parole des anges a été confirmée », il n'ajoute pas : A plus forte raison celle du Christ le sera. Il omet cette conclusion et se contente de dire : « Comment éviterons-nous le châtiment, si nous négligeons un tel moyen de salut ? » Et suivez la comparaison dans ses détails. Là, c'est la « parole des anges »; ici c'est ce qui est annoncé par le Seigneur. Là c'est « la parole »; ici c'est le « salut ». Et, pour qu'on ne vienne pas lui dire : Ces paroles, ô Paul, sont-elles bien celles du Christ? il prévient l'objection et montre qu'il est digne de foi. Il le prouve, en disant qu'il a entendu lui-même ce qu'il rapporte; il le prouve, en s’appuyant sur Dieu lui-même dont il est l'écho et qui parle non-seulement avec sa voix retentissante qui traverse les airs, comme du temps de Moïse, mais en se manifestant par les prodiges et par les événements.
304 4. Mais que veulent dire ces mots : « Si la parole transmise par les anges a été confirmée? » Dans l'épître aux Galates aussi, il dit: « Donné par le ministère des anges et par l'entremise du médiateur », et ailleurs : « Vous avez reçu la loi par l'intermédiaire des anges et vous ne l'avez pas gardée ». (Ga 3,19 Ac 7,53) Et partout il est dit que c'est par le moyen des anges qu'elle est donnée. Il y en a qui disent qu'il est fait ici allusion à Moïse; mais cette assertion n'est pas fondée, car il est ici question de plusieurs anges, et ces anges sont ceux qui habitent le ciel. Que dire ? Serait-il ici purement et simplement question du décalogue ? Là c'était Moïse qui parlait et Dieu qui répondait. Veut-on dire que les anges étaient là par l'ordre de Dieu ? Serait-il question de tout ce qui se dit, de tout ce qui se passe dans l'Ancien Testament, comme si les anges y avaient pris part? Mais pourquoi lisons-nous ailleurs que la loi a été donnée par Moïse, tandis qu'ici elle est donnée par les anges ? Car il est dit : Et Dieu est descendu dans une nuée.
« Si la parole transmise par les anges s'est enfermée ». Que veut dire « confirmée ? » Fidèlement vérifiée, parce que tout ce qui a été dit est arrivé en son temps. Cela pourrait signifier encore que la puissance de cette parole s'est révélée, et que les menaces. de Dieu ont eu leur plein et entier effet. Peut-être encore « parole » a-t-il ici le sens de commandements. Car, en dehors de la loi, un grand nombre d'ordres émanés de Dieu ont été transmis parles anges, à l'époque du deuil par exemple, au temps des Juges et de Samson. Voilà pourquoi c'est le mot « parole » et non le mot « loi » qui est ici employé. Mais, selon moi, Paul entend peut-être ici ce qui s'est fait par le ministère des anges. Partant, que devons-nous dire ? Il y avait alors des anges commis à la garde de la nation tout entière qui était avertie par leurs trompettes retentissantes; à eux de susciter les flammes et d'évoquer les ténèbres. « Toute » transgression, « toute » désobéissance recevait « sa juste récompense ». Il ne dit pas telle ou telle transgression, mais « toute » transgression. Ici nulle injustice ne restait impunie et «juste « récompense » veut dire ici châtiment. Mais pourquoi dit-il récompense ? C'est une habitude de Paul de ne pas faire grand cas des paroles, et d'employer en mauvaise part celles qui se prennent d'ordinaire en bonne part et réciproquement. Ainsi il dit ailleurs : « Asservissant toute intelligence à la parole du Christ ». Ailleurs encore il a substitué le mot de récompense à celui de châtiment, et dans le passage suivant, le châtiment devient une rétribution. « S'il est juste », dit-il, « aux yeux de Dieu qu'il rétribue ceux qui vous affligent en les affligeant, et vous qui êtes affligés, en vous donnant la paix ! » (2Th 1,6-7) C'est-à-dire, la justice n'a pas perdu ses (465) droits, mais Dieu l'a maintenue et il a frappé les pécheurs, lors même que toutes les fautes n'avaient pas paru au grand jour, bisn que les lois établies n'eussent pas été enfreintes.
« Comment donc, nous autres échapperons-nous, si nous négligeons un tel moyen de salut ? » Il montre par là que la loi n'était pas un grand moyen de salut. Il a raison de dire « ua tel « moyen ». Ce n'est pas des guerres, dit-il, qu'il nous sauvera; ce n'est passa terre, ce ne sont pas les biens terrestres qu'il nous. donnera ; mais c'est la délivrance de -la mort, c'est l'anéantissement du démon, c'est le royaume des cieux, c'est la vie éternelle qu'il nous. apporte. Voilà tout ce qui est renfermé dans ce mot : « Un tel salut ». Et pour montrer qu'il est digne de foi, il ajoute : « Qui ayant été premièrement annoncé par le Seigneur même » ; c'est-à-dire que c'est la source de ce salut qui nous l'annonce. Ce n'est pas un homme qui est venu l'annoncer à la terre, ce n'est pas une puissance créée, mais c'est le Fils unique de Dieu lui-même : « La nouvelle nous a été confirmée par ceux qui l'ont entendue ». Que veut dire : « A été confirmée ? » Cela veut-il dire rendue croyable ou répandue ? Nous avons un gage de sa vérité, dit-il : c'est que la bonne nouvelle ne s'est pas évanouie, n'a pas eu de fin, elle règne et triomphe, grâce à là vertu divine, à laquelle nous la devons. Que signifient ces mots : « Par ceux qui l'ont entendue ? Ils veulent dire que ceux qui l'ont recueillie de la bouche du Seigneur nous l'ont confirmée. Voilà qui est grave et bien digne de foi. C'est ce que dit saint Luc, au commencement de son Evangile : « Ainsi que nous l'ont transmise, dès l'origine, des témoins oculaires et des ministres de la parole divine ». (Lc 1,2) Comment donc s'est-elle confirmée ? Mais, pourrait-on dire; si -elle a été inventée par ceux-là même qui l'ont entendue ? C'est pour prévenir une pareille: objection, c'est,pour montrer que l'homme n'est là pour rien, que saint Paul a ajouté : « Dieu même leur a rendu témoignage ». Dieu ne leur aurait pas rendu témoignage, s'ils l'avaient inventée. Or à leur témoignage est venu se joindre celui de Dieu,qui se manifeste non par ses paroles, non par sa voix qui serait pourtant un témoignage irrécusable, mais par des signés miraculeux, par des prodiges, par les différents, effets de sa puissance. Il a raison de dire, « parles différents effets de sa puissance », pour désigner le grand nombre des grâces. Rien de pareil en effet n'a eu lieu dans les premiers temps; il n'y a eu, ni autant de signes, ni des signes si différents; ce qui revient à dire que nous n'avons pas cru les témoins témérairement et à la, légère, et que notre foi s'est appuyée sur dés signes et sur des prodiges. Ce ne sont donc pas les hommes, c'est Dieu lui-même que nous avons cru. « Et par la distribution des grâces du Saint-Esprit qu'il a réparties. comme il lui a plu ». Les magiciens aussi font des prodiges, et les juifs disaient que, c'était au nom de Belzébuth que le Christ chassait les démons. Mais leurs prodiges ne ressemblent point à ceux que Dieu opère. Voilà pourquoi il est dit ici : « Par les a différents effets de sa puissance ». Car les prodiges des Magiciens n'annoncent point la force et la puissance. Tout -cela n'est que faiblesse, chimères, imaginations et futilités. Voilà pourquoi il est dit ici : « Par la distribution des grâces du Saint-Esprit, qu'il a réparties comme il a voulu».
305 5. Ici Paul me semble encore faire allusion à une autre circonstance. Probablement, dans l'assemblée à laquelle il s'adresse, il n'y avait pas beaucoup de gens qui fussent pourvus des grâces divines ; ces dons étaient devenus plus rares, parce que les hommes étaient devenus plus négligents. Voilà pourquoi, afin de les consoler et pour ras pas les laisser tomber dans le découragement, il a attribué toutes ces grâces à la volonté divine. Il sait, dit-il, quel est l'avantage de chacun, et c'est là-dessus qu'il se fonde pour distribuer ses grâces: C'est ce qu'il dit encore dans l'épître aux Corinthiens. « Le Seigneur a donné à chacun la place qu'il a voulu ». Et ailleurs : « Les dons du Saint-Esprit qui se manifestent au «dehors ont été donnés à chacun pour l'utilité de l'Eglise ». (1Co 12,18) Il montre par là que les grâces sont réparties, suivant la volonté du Père. Souvent, à cause de leur vie impure et de leur paresse, bien des gens n'ont eu aucune part aux grâces du Seigneur. Ils ont été quelquefois assez mal partagés, malgré leur existence honorable et pure, Pourquoi cela ? c'est pour qu'ils ne lèvent point une tête orgueilleuse, c'est pour qu'ils ne s'enflent point,-pour qu'ils ne tombent point dans la négligence ou dans la présomption. Car si, même sans la grâce, la conscience que l'on a de la pureté de sa vie, suffit pour donner de l'orgueil, il en est ainsi à plus, forte raison, quand le don des grâces vient s'y joindre. C'est pourquoi ce don est le privilège des humbles et des simples, et surtout dés simples. « Avec joie», dit-il, « et simplicité de coeur ». (Ac 2,46) Voilà surtout comme il s'y prend pour les exhorter et pour stimuler leur lenteur. Celui qui est humble en effet, celui qui n'a pas de lui-même une haute idée, redouble de zèle; quand il reçoit le don dés grâces; il croit avoir reçu plus qu'il ne méritait; il se regarde comme indigne 'd'un pareil don. Mais l'homme qui a conscience de son mérite, accepte ce don comme s'il lui était dû; et s'enorgueillit. Dieu a donc consulté l'intérêt de l'Eglise pour dispenser ces grâces. Aussi, voyons-nous, dans l'Eglise, le don de l'enseignement accordé à celui-ci, tandis que celui-là ne peut pas même ouvrir la bouche. Il ne faut pas se chagriner pour cela. «Car les dons de l’Esprit, qui se manifestent au dehors, ont été donnés à chacun, pour l'avantage de l'Eglise». Si un maître de maison sait à quoi il peut employer chacun de ses serviteurs, à plus forte raison il doit en être ainsi dé Dieu qui connaît l'esprit des hommes, et qui sait tout avant qu'ils ne soient nés. Une seule chose doit nous affliger, c'est le péché.
Ne dites pas . Pourquoi n'ai-je pas de fortune ? si j'en avais, j'en ferais part aux pauvres. Peut être, si vous en aviez, seriez-vous plus ambitieux. Vous parlez ainsi maintenant, mais, si vous étiez mis à l'épreuve, vous seriez un autre homme. Sommes-nous rassasiés, il nous semble que nous (466) sommes à l'épreuve du jeûne, et -bientôt après nous raisonnons autrement. Quand nous ne sommes pas enclins à l'ivrognerie, nous croyons pouvoir surmonter la passion du vin; cette passion s'empare-t-elle de nous, nos idées changent. Ne, dites pas : Pourquoi n'ai-je pas reçu le don d'enseigner ? Si je l'avais, j'aurais édifié bien du monde. Si vous l'aviez eu, on vous en aurait peut-être fait un crime; l'envie et la paresse vous auraient peut-être forcé à enfouir votre talent. Vous êtes maintenant à l'abri de leurs attaques, et si vous ne donnez pas votre mesure de froment, on ne vous fera pas de reproche. Si vous n'étiez pas dans la situation où vous êtes, vous auriez mille comptes à rendre. D'ailleurs, vous n'êtes pas absolument dépourvu des grâces, du Seigneur. Montrez, dans votre humble situation, ce que vous sériez dans une position plus élevée. Si, « quand vous avez un petit dépôt à conserver », est-il dit, « vous ne vous montrez pas fidèle, que sera-ce quand vous serez dépositaire « d'un trésor? » (Lc 16,11) Faites comme la veuve. Elle .n'avait que deux oboles et elle a donné tout ce qu'elle possédait. Sont-ce les richesses que vous recherchez ? Montrez que de faibles sommes n'excitent pas votre convoitise, pour que je vous en confie de plus grandes. Si vous n'êtes pas au-dessus de quelques deniers, vous serez encore bien plus faible devant une masse d'or. Dans vos discours, montrez que vous savez adresser à propos une exhortation ou un conseil. Manquez-vous d'éloquence ? manquez-vous d'abondance ?vous pouvez faire cependant ce que fait le commun des hommes. Vous avez un enfant, un voisin, un ami, an frère, des proches; si vous ne pouvez parler en public et développer un sujet devant une grande assemblée, vous avez des auditeurs auxquels vous pouvez donner un bon conseil en particulier. Il n'y a besoin pour cela ni d'éloquence ni de longs développements. Montrez devant un auditoire restreint que, si vous aviez reçu le don de la parole, vous sauriez le cultiver. Si, quand votre couvre est peu de chose, vous ne déployez aucun zèle, comment vous confierais-je une couvre importante ? Ce que je vous dis là, chacun est en état de le faire. Ecoutez plutôt saint Paul s'adressant aux laïques : « Edifiez-vous », dit-il, « les uns les autres, comme vous le faites »; et ailleurs : « Consolez-vous les uns les autres, dans vos entretiens ». (1Th 5,11 1Th 4,17) Valez-vous mieux que Moïse ? Ecoutez-le et voyez comme il se décourage : « Est-ce que je puis les porter », dit-il, « pour que vous me disiez : Porte-les, comme une nourrice porte son nourrisson ? » (Nb 11,12) Que fait Dieu alors ? Il lui retire son esprit pour le donner aux autres, montrant par là que lorsqu'il leur servait de soutien, ce n'était point par lui-même, mais parla grâce du Saint-Esprit. Si vous aviez les dons de la grâce, souvent vous vous élèveriez, souvent vous seriez abattu; vous ne vous connaissez pas vous-même, comme Dieu vous tonnait. Ne disons pas : A quoi bon ceci ? Pourquoi cela ? Quand c'est Dieu qui ordonne toutes choses, n'allons pas lui demander des comptes; car 'ce serait le comble de l'impiété et de la folie. Nous sommes des esclaves, et il y a entre notre maître et nous, esclaves que nous, sommes, un intervalle immense; nous ne voyons même pas à nos pieds. N'allons donc pas scruter les desseins de Dieu; conservons précieusement ses moindres dons, ses dons les plus infirmes et nous serons considérés. Mais que dis-je?Parmi les dons du Seigneur il n'y en a pas un qui n'ait son prix. Vous vous plaignez de n'avoir pas le don d'enseigner. Dites-moi, je vous prie, lequel préférez-vous du don d'enseignement ou du don de guérison ? Le don de guérison assurément. Et le don de guérir les maladies, n'est-il pas, selon vous, inférieur au pouvoir de rendre la vue aux aveugles, inférieur au don de résurrection ? Et maintenant dites-moi. Ressusciter un mort avec sa parole, n'est-ce pas moins encore que de le ressusciter avec son ombre par le simple contact d'un morceau de linge? Qu'aimez-vous mieux, dites-moi : ressusciter les morts avec votre ombre, par le « simple contact » d'un morceau de linge, ou avoir le don d'enseigner? Assurément, répondrez-vous, je préfère avoir le don de ressusciter les morts.
306 6. Si donc je parviens à vous démontrer que ce dernier don est bien inférieur à l'autre, et qu'en négligeant d'acquérir ce don le plus grand de tous, vous méritez d'être privé de tous les autres, que direz-vous ? Et le don auquel je fais allusion, ce n'est pas à un ou deux hommes, c'est à toit, le monde qu'il est permis de l'acquérir. Vous voilà tous ébahis, je le vois, vous voilà frappés de stupeur ! Quoi ! vous pourriez acquérir un don encore plus grand que le pouvoir de rendre la vie aux morts et la vue aux aveugles ! Vous pourriez faire ce qui s'est fait au temps des apôtres ! Voilà qui vous parait peut-être incroyable ! quel est ce don enfin ? C'est la charité. Mais croyez-moi bien. Car ce n'est pas moi qui parle; c'est le Christ par la bouche de saint Paul. Que dit-il ? « Entre tous les dons, empressez-vous de choisir les meilleurs, et je vais vous montrer une voie qui est encore au-dessus de tout ». (1Co 12,31) Qu'est-ce à dire : « Encore au-dessus de tout? » Voici le sens de ces paroles. Les Corinthiens, à cette époque, se faisaient gloire de posséder les dons de la grâce, et ceux qui avaient le don des langues qui est le dernier de tous, étaient gonflés d'orgueil, et se mettaient au-dessus de tout le monde. Paul dit donc : Vous voulez absolument posséder, les dons de la grâce. Eh bien ! je vais vous montrer une voie pour y parvenir, et cette voie n'est pas seulement supérieure aux autres; elle est au-dessus de tout. Puis il ajoute : « Quand je parlerais le langage des anges, si je n'ai point, la charité, je ne suis rien. Et quand j'aurais cette foi vive qui transporte les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien ». (1Co 13,1) Voilà ce qui s'appelle un don précieux ! Soyez donc jaloux de l'acquérir. Cela vaut mieux que de ressusciter les morts ! Ce don est de beaucoup au-dessus de tous les dons. Ecoulez plutôt ce que dit le Christ à ses disciples, en s'entretenant avec eux : « A quoi tout le monde reconnaîtra-t-il que (467) vous êtes mes disciples ? à votre charité les uns pour les autres ». (Jn 13,35) Ce signe particulier qui les fait reconnaître, il le montre ici. Ce ne sont pas les miracles, et qu'est-ce donc ? C'est la charité qu'ils ont les uns pour les autres. Et ailleurs il dit à son Père : « On reconnaîtra que vous m'avez envoyé à ce signe : ils ne seront qu'un ». (Jn 17,21) Et lui-même dit à ses disciples:«Voici un nouveau précepte que je vous donne, aimez-vous les uns les autres ». (Jn 13,34)
Il y a donc plus de mérite et de gloire à cela qu'à ressusciter les morts, et c'est justice. Car tous ces dons que nous avons mentionnés, sont des présents de la grâce divine; celui-ci est le fruit du zèle; d'est l'apanage du vrai chrétien ; c'est le sceau du disciple de Jésus-Christ, de ce disciple que l'on crucifie et qui n'a rien de commun lavée la terre. Sans la charité, le martyre même est inutile. Voulez-vous le savoir ? Remarquez bien ceci. Saint Paul divise les vertus en trois classes principales : celle des signes miraculeux, celle de la science, celle qui consiste dans une vie droite. Eh, bien ! ces vertus, selon lui, ne sont rien, sans la charité. Comment cela ? je vais vous le dire : «Quand j'aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien ». (1Co 13,3) Il est possible en effet, que celui qui distribue ainsi son bien, ne soit point charitable et ne soit qu'un prodigue. C'est ce qui a été suffisamment développé dans le passage où nous avons parlé de la charité, et nous y renvoyons le lecteur ! Soyons donc jaloux, je le répète, d'acquérir la charité, aimons-nous les uns les autres, et cette voie, à elle seule, nous fera parvenir à la vertu. Tout nous sera facile. Plus de sueurs; tout nous réussira et nous ferons tout avec zèle. Oui, répète-t-il, aimons-nous les uns les autres. Cet homme a deux ou trois amis; cet autre en a quatre. Mais ce n'est pas là ce qui s'appelle aimer pour Dieu; c'est aimer pour être aimé. L'amour qui a Dieu pour cause, ne dérive pas d'un semblable principe. L'homme qui aime pour Dieu regardera tous les hommes comme ses frères. Ceux qui partagent sa croyance, il les aimera comme des frères germains; quant aux hérétiques, aux grecs et aux juifs qui sont ses frères selon la nature, mais qui sont des membres corrompus et inutiles, il en aura pitié, et se consumera dans les larmes, en déplorant leur sort.
Le moyen de ressembler à Dieu, c'est d'aimer tout le monde et même ses ennemis; ce n'est pas de faire des miracles. Car Dieu lui-même, si nous, l'admirons quand il fait des miracles, nous l'admirons bien davantage encore, quand il manifesté sa bonté et sa patienté. Si donc ces vertus sont tellement admirables dans la nature divine, à plus forte raison sont-elles admirables chez l'homme. Montrons-nous donc jaloux d'acquérir la charité, et nous égalerons saint Pierre, saint Paul, et ces hommes qui ont opéré des milliers de résurrections. Oui : nous les égalerons, quand même nous n'aurions pas le pouvoir de guérir une simple fièvre. Mais, sans la charité, quand même nous ferions plus de miracles que les apôtres, quand nous affronterions mille dangers, pour faire triompher la foi, tout, cela sera en pure perte., Et ici ce n'est pas moi qui parle; cette doctrine est celle du nourrisson de la charité, et c'est à lui que nous devons obéir. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens qui nous sont promis. Ces biens, puissions-nous tous les acquérir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. A lui, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Chrysostome sur Héb. I 200