Chrysostome sur Jean 52
52 - LES GARDES LEUR RÉPONDIRENT: JAMAIS HOMME N'A PARLÉ COMME CET HOMME-LA. (VERS. 45, 46, JUSQU'AU VERS. 19 DU CHAP. VIII)
Jn 7,45-8,19
ANALYSE.
1. La vérité se découvre d'elle-même aux âmes droites et sincères, et se cache aux esprits infectés de malice.
2. Nicodème, un sénateur, prend la défense de Jésus-Christ contre les pharisiens.
3. Objection des hérétiques. - Réponse. - Jésus-Christ déclare qu'il est consubstantiel à son Père.
4. Blasphémer contre le Fils, c'est aussi blasphémer contre le Père. - Glorifier le Fils comme le Père, il est de même nature on ne peut connaître le Père sans connaître le Fils: s'il n'était pas de même substance, on pourrait connaître le Père sans connaître le Fils. - On ne peut connaître le Père sans connaître le Fils, parce qu'ils sont de même substance. - On connaît l'homme, et on ne connaît pas lange: on connaît la créature, et on ne connaît pas Dieu, parce que les substances sont différentes. - Glorifier le Fils et par la parole et par les oeuvres. - Ce que Dieu demande d'un chrétien. - Laideur et puanteur du péché. - Rien n'est plus honteux, ni plus horrible que la rapine et l'avarice.
1. Rien n'est plus clair, rien n'est plus simple que la vérité, quand on la cherche avec un coeur droit et sincère: mais, s'il y a dans l'âme de la malice, rien n'est alors plus obscur ni plus impénétrable que cette même vérité. En voici un exemple Les scribes et les pharisiens, qui paraissaient les plus sages de tous les hommes, qui étaient toujours avec Jésus-Christ, pour lui tendre des piéges, quoiqu'ils vissent les miracles qu'il faisait, quoiqu'ils lussent les Ecritures, n'en ont retiré aucun fruit, aucun profit, et que dis-je? ils n'ont fait par, là que se nuire: au contraire, les gardes, privés de tous ces avantages, une seule prédication les a gagnés. Et ceux qui étaient venus prendre Jésus-Christ, ravis [352] d'admiration, furent pris eux-mêmes. Nous ne devons pas seulement admirer leur sagesse pour avoir su se passer- de miracles, et n'avoir eu besoin que de la doctrine seule, de la seule parole de Jésus-Christ pour se convertir (car ils n'ont point dit: Jamais homme n'a fait de si grands miracles, mais bien: «Jamais homme n'a parlé comme cet homme-là» ): non-seulement donc leur docilité est digne d'admiration, mais aussi la liberté avec laquelle ils répondent à ceux qui les avaient envoyés, aux pharisiens, à ceux qui persécutaient Jésus, et qui n'oubliaient rien pour assouvir l'envie qu'ils lui portaient.
«Les archers retournèrent», dit l'évangéliste, «et les pharisiens leur dirent: Pourquoi ne l'avez-vous pas amené?» Etre retournés, c'est plus que d'être demeurés: s'ils n'avaient pas été rejoindre les pharisiens, ils se seraient dérobés à leur colère; mais par leur retour, ils ont maintenant la gloire d'être prédicateurs de la sagesse de Jésus-Christ, et par là se manifeste mieux leur fermeté. Ils ne disent point: nous n'avons pas pu l'amener à cause du peuple qui l'écoute comme un prophète; mais quelle est leur réponse? «Jamais homme n'a si bien parlé». Et certes, ils auraient pu alléguer l'autre excuse, mais leur coeur est droit, et ils le montrent. En effet, leur réponse n'est pas seulement un témoignage de leur admiration et de leur étonnement, mais aussi du reproche qu'ils font aux pharisiens de les avoir envoyés prendre et garrotter un homme qu'ils auraient plutôt dû eux-mêmes aller écouter. Cependant ils n'avaient entendu qu'une prédication fort courte. A une âme droite et sincère il ne faut pas de longs discours, la vérité a par elle-même assez de force.
Que répliquèrent donc les pharisiens? Lorsqu'ils auraient dû être touchés de componction, ils accusent au contraire ces gardes de s'être laissés séduire: «Êtes-vous donc aussi vous-mêmes séduits (47)?» Ils les flattent encore et n'usent point de rudes paroles, de peur qu'ils ne les quittent tout à fait, mais toutefois, à travers cette circonspection, on entrevoit leur rage et leur fureur. Les pharisiens auraient dû demander ce qu'avait dit Jésus, et admirer ses réponses, et ils ne le font pas, dans la crainte d'être attirés comme les autres, mais ils répliquent par cet argument absurde: «Pourquoi nul des sénateurs n'a cru en lui (48)?» Dites-moi: N'est-ce pas là faire plutôt un reproche aux incrédules qu'à Jésus-Christ? «Car pour cette populace qui ne sait pas la loi, ce sont des gens maudits (49)». Et voilà pourquoi vous êtes plus condamnables, vous qui êtes demeurés dans l'incrédulité, tandis que la populace croyait. Ces hommes du peuple se conduisaient comme des gens qui savaient la loi. Comment donc sont-ils maudits? C'est vous qui n'observez pas la loi, qui êtes maudits, et non ceux qui l'observent: et l'incrédulité de ceux qui refusent de croire à Jésus-Christ n'est pas un argument qui puisse être employé contre lui. Ce procédé est très-blâmable; vous-mêmes, vous n'avez pas cru à Dieu, comme dit saint Paul: «Car enfin, si quelques-uns d'entre eux n'ont pas cru, leur infidélité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu? Non, certes». (Rm 3,3) Les prophètes aussi vous ont continuellement fait ce reproche, vous disant: «Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome» (Is 1,10); et: «Vos princes n'observent point la loi». Et derechef: «N'est-ce pas à vous de savoir ce qui est juste?» (Mi 3,1) Et partout ils leur font encore de plus fortes réprimandes.
Quoi donc? Vous êtes infidèles, quelqu'un osera-t-il tirer de là un argument contre Dieu? Loin de nous ce blasphème, c'est uniquement votre faute: et quel autre témoignage faut-il, pour connaître que vous ne savez point la loi, que votre seule incrédulité? Lors donc qu'ils eurent dit qu'aucun des sénateurs n'avait cru en Jésus, mais ceux-là seulement qui ne savaient point la loi, Nicodème les reprit fort à propos par ces paroles: «Notre loi permet-elle de condamner personne sans l'avoir oui auparavant (51)?» Il fait voir par là qu'ils ne savent et n'observent point la loi. Car si la loi défend de faire mourir personne sans l'avoir ouï auparavant, et si avant d'avoir ouï Jésus, ils cherchaient à le faire mourir, ils étaient des violateurs de la loi: et comme ils avançaient qu'aucun des sénateurs n'avait cru en lui, l'évangéliste indique exprès que Nicodème était de leur corps, pour faire voir que des sénateurs mêmes avaient cru en lui. Sans doute ils ne l'avaient pas encore témoigné publiquement comme ils l'auraient dû, mais néanmoins ils étaient attachés à Jésus-Christ.
Mais remarquez, mes frères, avec quelle [353] modération et quelle retenue Nicodème les reprend. Il ne dit point: Vous voulez le faire mourir, et vous le condamnez sans raison comme séducteur. Il ne leur a point parlé en ces termes: il s'est servi de paroles plus douces et plus modérées pour réprimer l'excès de leur violence inconsidérée et sanguinaire. C'est pour cela qu'il invoque la loi en disant: «Sans avoir ouï avec soin et s'être bien informé de ses actions». Voilà pourquoi il ne faut pas seulement ouïr, mais il faut ouïr avec soin; car c'est là ce que signifient ces paroles: «Et sans s'être informé de ses actions», c'est-à-dire ce qu'il prétend. Quelle est son intention, son but, si sa conduite est celle d'un ennemi qui veut renverser la république? Les pharisiens alors, déconcertés parce qu'ils avaient dit que nul des sénateurs ne croyait en Jésus-Christ, répondent faiblement à Nicodème, bien que sans ménagement.
2. Nicodème avait dit: «Notre loi ne condamne personne». Lui répliquer: «Est-ce que vous êtes aussi galiléen?» c'était une mauvaise réponse qui n'avait nul rapport à ce qu'il avait dit. Il fallait montrer, ou qu'ils n'avaient pas envoyé prendre Jésus sans jugement, ou qu'il n'était point nécessaire de l'entendre, et ils répondent durement et avec colère: «Lisez avec soin, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée». Mais, qu'avait dit Nicodème? Que Jésus était un prophète? Non, il avait dit qu'on ne devait condamner personne à mort, sans avoir auparavant instruit son procès, et les pharisiens lui font cette outrageante réponse, comme s'il eût absolument ignoré les Ecritures; c'est lui dire, aux termes près: Allez à l'école, allez étudier; car tel est le sens de ces paroles: «Lisez avec soin, et apprenez».
Que répond donc Jésus-Christ? Comme les pharisiens n'avaient jamais dans la bouche que les noms de galiléen et de prophète, le Sauveur, pour les éloigner absolument de cette fausse pensée et leur faire voir qu'il n'est pas un des prophètes, mais le Seigneur du monde, dit: «Je suis la lumière du monde (12)». Non de Galilée, non de la Palestine, non de la Judée. Que répliquent les Juifs? «Vous vous rendez témoignage à vous-même», ainsi «votre témoignage n'est point véritable (13)». O folie! le Sauveur les renvoie toujours aux Écritures, et ils disent: «Vous vous rendez témoignage à vous-même». Mais quel témoignage a-t-il rendu? «Je suis la lumière du monde». C'est là une grande parole; oui, certes, c'est là une grande parole. Mais ils ne s'en sont pas beaucoup mis en peine, parce qu'il ne se disait pas égal au Père, ni son Fils, ou Dieu, mais seulement qu'il était la lumière. Néanmoins, ils voulaient aussi détruire cette opinion, car c'était là quelque chose de plus grand que de dire: «Celui qui me suit ne «marche point dans les ténèbres (12)». Le Sauveur parle de la lumière et des ténèbres spirituelles, c'est-à-dire, il ne demeure point dans l'erreur.
Ici Jésus-Christ attire à soi Nicodème et l'encourage, parce qu'il avait librement parlé et dit son sentiment, et il loue les gardes de leur sage conduite. Ce mot «crier», marque que Jésus à voulu exciter les pharisiens à venir l'écouter. Et en même temps il insinue qu'ils pensaient à tendre secrètement des pièges et à tromper secrètement, c'est-à-dire, dans les ténèbres et dans l'erreur, mais qu'ils ne vaincraient et n'éteindraient pas la lumière. Il rappelle À Nicodème les paroles qu'il avait dites depuis peu: «Quiconque fait le mal, hait la lumière et ne vient point à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient découvertes». (Jn 3,20) Comme les Juifs disaient qu'aucun des sénateurs n'avait cru en lui, Jésus dit: «Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient point à la lumière». Par où il leur fait voir que s'ils ne viennent point, ce n'est pas que la lumière soit faible, mais c'est parce que leur volonté est corrompue et mauvaise.
«Les pharisiens lui dirent: Vous vous rendez témoignage à vous-même (13); et Jésus leur répondit: Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable, parce que je sais d'où je viens et où je vais; mais pour vous, vous ne savez point d'où je viens (14)». Ce que Jésus avait dit auparavant, les Juifs le lui opposent comme une décision. Que répond donc Jésus-Christ? Il renverse cette prétendue décision, et leur montre que c'est selon leur opinion qu'il a parlé de la sorte (1), parce qu'ils le prenaient pour un homme, et il leur dit: «Quoique je me rende témoignage à moi-même, 354 mon témoignage est véritable, parce que je «sais d'où je viens». Que veut dire ceci? Je suis de Dieu, et Dieu, et Fils de Dieu. Dieu est pour soi un témoin digne de foi. pour vous, vous ne connaissez point Dieu, vous faites le mal volontairement; vous savez et vous feignez de ne point savoir; vous parlez selon vos sentiments humains et terrestres, et vous ne voulez rien savoir, rien connaître de plus que ce qui paraît au dehors. «Vous jugez selon la chair (15)». Comme vivre selon la chair, c'est mal vivre; de même, juger selon sa chair, c'est mal juger. «Je ne juge personne, et si je juge, mon jugement est véritable (16)»; c'est-à-dire, vous jugez injustement. Mais si nous jugeons injustement, répliquent-ils, pourquoi ne nous reprenez-vous pas? pourquoi ne nous punissez-vous pas? pourquoi ne nous condamnez-vous pas? C'est, dit-il, parce que je ne suis point venu pour cela. Voilà ce que signifie cette parole: «Je ne juge personne. Et si je juge, mon jugement est véritable». Car si je voulais juger, vous seriez au nombre des condamnés. Mais si je ne dis pas ceci, dit-il, pour vous juger; et si j'ai dit: «Je ne parle pas pour juger», ce n'est pas que je craigne de ne pouvoir vous confondre, si je vous mettais en jugement, si je jugeais, vous seriez condamnés justement; mais le temps de juger n'est pas encore venu. Jésus-Christ fait aussi entrevoir le jugement futur, quand il dit: «Parce que je ne suis pas seul, mais moi, et mon Père qui m'a envoyé». Enfin il insinue ici qu'il n'est pas seul à les condamner, mais que son Père les condamne aussi. Plus loin, il exprime encore la même chose d'une manière enveloppée, lorsqu'il tâche de les gagner à son témoignage: «Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est véritable (17)».
1. Il a parlé de la sorte en saint Jean, (Jn 5,31), où le Sauveur, parlant selon l'esprit et l'opinion des Juifs, dit: Si je rends témoignage de moi, mon témoignage n'est pas véritable.
3. Quoi donc! diront les hérétiques? Si nous prenons cette parole simplement et dans le sens naturel qu'elle présente, qu'aura Jésus-Christ de plus que le reste des hommes? Car si cette loi est établie parmi les hommes, c'est que nul homme n'est croyable parlant de lui-même. Mais, à l'égard de Dieu, comment pourrait-on admettre cela? Examinons donc en quel sens Jésus-Christ a dit ce mot d'eux s'est-il servi de ce terme pour désigner deux hommes? Si c'était là son intention, pourquoi n'a-t-il pas apporté le témoignage de Jean-Baptiste, et n'a-t-il pas dit: Je me rends témoignage à moi-même? Jean rend aussi témoignage de moi. Pourquoi ne s'est-il pas servi du témoignage des anges? pourquoi pas de celui des prophètes? Il pouvait produire une infinité d'autres témoignages. Mais Jésus-Christ ne veut pas seulement indiquer deux personnes, mais encore deux personnes de même substance.
«Ils lui disent: Qui est votre Père? Jésus leur répondit: Vous ne connaissez ni moi ni mon Père (19)». Comme, le sachant, ils feignaient de ne le point savoir, et l'interrogeaient pour le tenter, Jésus ne daigne même pas leur répondre. Dans la suite, il a parlé plus clairement et plus librement, s'autorisant du témoignage de ses oeuvres et de sa doctrine, parce qu'alors le temps du crucifiement et de sa mort était fort proche. «Je sais,» dit-il, «d'où je viens»: cela pouvait ne pas les toucher beaucoup. Mais quand il ajouta: «Où je vais»; cette parole devait les troubler et les effrayer davantage, comme indiquant qu'il ne devait point demeurer dans la mort.
Et pourquoi n'a-t-il pas dit: «Je sais que je suis Dieu,» mais «je sais d'où je viens?» Toujours il mêle les choses basses aux choses sublimes, et encore cache-t-il un peu celles-ci. Après avoir dit: «Je me rends témoignage «à moi-même», et l'avoir montré, il passe à quelque chose de moins élevé; c'est comme s'il disait: Je connais celui qui m'a envoyé, et vers qui j'irai. De cette manière, les Juifs, entendant que le Père l'avait envoyé, et qu'il retournerait à lui, ne pouvaient contredire ce qu'il disait. Je n'ai rien dit que de véritable, dit-il, c'est de là que je viens et j'y retourne, je vais au Dieu de vérité. Mais vous, vous ne connaissez point Dieu, voilà pourquoi vous jugez selon la chair. En effet, après avoir vu tant de témoignages et de preuves, vous dites encore: «Il n'est point véritable». De Moïse vous dites: Il est digne de foi, et lorsqu'il parle des autres, et lorsqu'il parle de soi; mais vous parlez autrement au sujet de Jésus-Christ, c'est là juger charnellement.
«Je ne juge personne (15)». D'ailleurs il dit aussi: «Le Père ne juge personne»; «pourquoi dit-il: Et si je juge, mon jugement est juste, parce que je ne suis pas seul?» (Jn 5,22) Jésus-Christ parle encore selon l'opinion des Juifs. Cela signifie: Mon jugement est le jugement du Père, car le jugement du Père ne [355] saurait être différent du mien, ni le mien de celui du Père. Mais pourquoi parle-t-il du Père? Les Juifs ne croyaient pas que le Fils fût digne de foi s'il n'avait le témoignage du Père. Autrement ce qu'il disait serait demeuré sans valeur; car, parmi les hommes, lorsque deux rendent témoignage dans l'affaire d'autrui, alors leur témoignage est réputé véritable; c'est là, en effet, le témoignage porté par deux personnes. Mais si quelqu'un se rend témoignage à soi-même, alors il n'y a plus deux témoins.
Voyez-vous bien, mon cher auditeur, que si Jésus-Christ a parlé en ces termes, ça été pour montrer qu'il est consubstantiel à son Père, et que par lui-même ensuite il n'a pas besoin du témoignage d'un autre; enfin, pour faire voir qu'il n'a rien de moins que le Père? Reconnaissez donc son autorité dans ces paroles: «Or, je me rends témoignage à moi«même, et mon Père qui m'a envoyé me rend «aussi témoignage (18)». Jésus-Christ n'aurait pas dit cela, s'il était d'une substance inférieure. Ensuite, pour vous convaincre qu'en parlant ainsi il n'a pas eu en vue le nombre «deux», faites bien attention que sa puissance n'est en rien différente de celle du Père. Un homme rend témoignage lorsque, par lui-même, il est digne de foi et qu'il n'a pas besoin du témoignage d'un autre, et cela, lorsqu'il s'agit d'une affaire qui ne le regarde point et qui lui est étrangère; mais dans sa propre cause il n'est pas croyable et il a besoin d'un témoignage. Mais c'est tout le contraire pour Jésus-Christ: lors même qu'il se rend témoignage dans sa propre cause et qu'il dit qu'il a le témoignage d'un autre, il se déclare digne de foi, montrant partout son autorité. En effet, pourquoi ayant dit: «Je ne suis pas seul, mais moi et mon Père qui m'a envoyé», et le témoignage de deux témoins est véritable; n'en est-il pas demeuré là et a-t-il ajouté: «Je me rends témoignage à moi-même?» N'est-ce pas uniquement pour montrer son autorité? Et il se met le premier: «Je me rends témoignage à moi-même». Ici Jésus-Christ montre qu'il est égal en dignité à son Père et qu'il ne sert de rien aux Juifs de se glorifier de connaître Dieu le Père, s'ils ne le connaissent pas lui-même; et encore que c'est parce qu'ils ne veulent pas le connaître qu'ils ne le connaissent pas. Jésus leur dit donc qu'on ne peut connaître le Père sans le connaître lui-même, afin de les attirer par là à sa connaissance. Comme ils le négligeaient et cherchaient toujours à connaître directement le Père, il leur dit: «Vous ne pouvez pas connaître le Père sans moi». C'est pourquoi ceux qui blasphèment contre le Fils, ne blasphèment pas seulement contre le Fils, mais aussi contre le Père.
4. Prenons-y garde, mes chers frères, et glorifions le Fils: sûrement il n'aurait point parlé de la sorte, s'il n'était de même nature que le Père. Que si, étant d'une autre substance que le Père, il l'avait seulement fait connaître, on pourrait connaître le Père sans connaître le Fils: et réciproquement, en connaissant le Père, on ne connaîtrait pas pour cela le Fils. En effet, celui qui connaît l'homme ne connaît pas nécessairement l'ange. Pourtant, direz-vous, celui qui connaît la créature, connaît aussi Dieu. Non, certes. Car plusieurs, ou plutôt tous les hommes, connaissent la créature, parce qu'ils la voient; mais ils ne connaissent point Dieu pour cela.
Glorifions donc le Fils de Dieu, non-seulement en lui rendant la gloire qui lui est due, comme Fils de Dieu, mais encore par nos oeuvres. Car la gloire qu'on rend par les paroles n'est rien, si elle n'est accompagnée de l'hommage qui vient des oeuvres. «Vous», dit l'apôtre, «qui portez le nom de Juifs, qui vous reposez sur la loi, qui vous faites gloire d'être à Dieu», prenez garde à ce que vous faites: «Vous instruisez les autres et vous ne vous instruisez pas vous-mêmes: vous vous glorifiez dans la loi, et vous déshonorez Dieu par la violation de la loi?» (Rm 2,17 Rm 2,21 Rm 2,23) Vous-même, mon cher auditeur, prenez garde que, vous glorifiant d'être dans la foi orthodoxe, vous ne meniez pas une vie conforme à la foi que vous professez; que vous ne déshonoriez Dieu, en le faisant blasphémer. Dieu veut qu'un chrétien soit le docteur de tout l'univers, le levain, la lumière, le sel. Qu'est-ce que la lumière? C'est une vie brillante, qui n'est offusquée d'aucun nuage. La lumière n'est point utile à soi, le sel ou le levain pas davantage; mais ces choses sont utiles à autrui: de même on demande de nous, non-seulement ce qui est dans notre intérêt, mais encore ce qui est dans l'intérêt des autres. Car le sel, s'il ne sale pas, n'est plus sel (Mt 5,13 Mc 9,49); par là nous est encore révélée une autre vérité: c'est que, si nous vivons [356] bien, les autres aussi vivront bien. Ainsi ce n' est que par notre bonne vie, que nous pouvons être utiles aux autres. (Mt 25,11) Disons adieu aux folies, aux vanités: car telles sont les choses du monde, telles sont les sollicitudes du siècle. Les vierges sont appelées folles, parce qu'elles s'occupaient des folles affaires du siècle: elles amassaient ici, et elles n'envoyaient pas ce qu'elles avaient amassé où il fallait l'envoyer.
Craignons donc que ce qui leur arriva, ne nous arrive aussi, et que nous n'allions avec un habit sale, où tous sont vêtus d'habits éclatants, car rien n'est plus salé, rien n'est plus hideux que le péché. C'est pourquoi le prophète, pour en présenter en sa personne une vive image à nos yeux, criait à haute voix: «Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture». (Ps 38,6) Voulez-vous connaître la puanteur du péché? considérez-le après l'avoir commis. Lorsque la concupiscence ne vous tiendra plus dans ses fers, lorsque le feu ne bouillonnera plus dans vos veines, alors vous verrez ce que c'est que le péché. Lorsque vous serez rentré dans le calme, considérez la colère; considérez l'avarice, lorsque vous aurez éteint en vous cette passion. Rien n'est plus honteux, rien n'est plus horrible que l'avarice et la convoitise. Nous faisons souvent retentir nos chaires de ces vérités, non pour vous chagriner, mais par un désir de produire en vous de grands et d'admirables effets: car peut-être celui qu'une première remontrance n'aura pas corrigé se rendra à une seconde, ou à une troisième. Fasse le ciel, qu'étant tous délivrés du péché et de tous les maux qui l'accompagnent, nous soyons la bonne odeur de Jésus-Christ (2Co 2,15), à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles! Ainsi soit-il.
53 ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N'ÉTAIT PAS ENCORE VENUE. (VERS. 20, JUSQU'AU VERS. 30)
Jn 8,20-30
ANALYSE.
1. Folie et endurcissement des Juifs.
2. Jésus-Christ, parlant aux Juifs, leur montre constamment son union avec Dieu, son Père. - Il les menace. - Quelques-uns croient en lui.
3. Pour acquérir le salut, lire les saintes Ecritures avec soin et non en passant: en les méditant on apprend, la vraie doctrine et la manière de bien vivre. - Fréquenter l'Eglise, unir la parole de Dieu; si d'abord on n'en profite pas, un jour on en profitera. C'est déjà avoir fait quelque progrès que de se reconnaître misérable. - Cérémonies qu'on pratiquait anciennement pour lire la sainte Ecriture. - S'appliquer à l'étude de l'Ecriture sainte, du moins des saints Evangiles: utilité, fruits qu'on en retire.
1. Quelle folie que celle des Juifs! Ils cherchaient avant la Pâque à prendre Jésus-Christ lorsqu'il était au milieu d'eux, ils ont souvent tenté de mettre leurs sacrilèges mains sur lui, ou de le faire saisir par d'autres: leurs desseins, leurs efforts sont vains et inutiles; et ils n'admirent pas encore sa vertu: et sa puissance ne les étonne, ne les effraie point encore, mais ils persistent dans leurs complots. En effet, qu'ils cherchassent continuellement les moyens de le prendre, c'est ce que l'évangéliste atteste par ces; paroles: «Jésus dit ces choses enseignant dans le temple, au lieu où était le trésor: et personne ne se saisit de lui, [357] parce que son heure n'était pas encore venue». Il enseignait en maître dans le temple, ce qui devait les exciter davantage: ce qu'il disait les choquait, et ils lui faisaient un crime de ce qu'il se disait égal au Père. Car cette parole: «Le témoignage de deux hommes est véritable», ne signifie pas autre chose. Cependant, dit l'évangéliste, il enseignait dans le temple et en maître: et personne ne se saisit de lui, parce que son heure n'était pas encore venue, c'est-à-dire le temps opportun où il voulait être crucifié. Voilà pourquoi il n'a point été alors en leur pouvoir de le prendre; mais, s'ils n'ont pu assouvir leur passion, c'est par un effet de la sage dispensation du Sauveur. Déjà depuis longtemps ils voulaient l'arrêter, et ils ne l'ont pu; et ils ne l'auraient jamais pu prendre, s'il ne se fût livré lui-même entre leurs mains.
«Jésus leur dit encore: Je m'en vais et vous me chercherez (Jn 8,21)». Pourquoi ne cesse-t-il de leur tenir ce langage? Pour toucher leur coeur, et pour les effrayer. Remarquez la frayeur que leur causait cette parole; car voulant le faire mourir pour se délivrer de lui, ils demandent où il va: tant leur paraissaient devoir être grandes les conséquences de cette mort. Il voulait aussi leur apprendre une autre chose, que ce ne serait point par un effet de leur violence qu'il serait crucifié, mais parce que les figures de l'Ancien Testament l'avaient annoncé longtemps auparavant, et par ces paroles il annonce sa résurrection. Ils disaient donc: «Est-ce qu'il se tuera lui-même?» Que leur répond Jésus-Christ? Pour leur ôter ce soupçon et leur faire connaître que c'était là un péché, il dit: «Pour vous autres, vous êtes d'ici-bas (Jn 8,23)», c'est-à-dire, il n'est pas étonnant que vous ayez ces sortes de pensées, vous qui êtes des hommes charnels, et qui n'êtes nullement capables de rien concevoir de spirituel; mais moi, je ne ferai rien de semblable: «Je suis d'en-haut». Pour vous, «vous êtes de ce monde». Là encore, le Sauveur parle de pensées terrestres et charnelles. Il résulte de là que cette parole: «Je ne suis pas de ce monde», ne signifie pas qu'il n'a point pris une chair, mais qu'il est exempt de leur malice et de leur méchanceté. En effet, il dit aussi que ses disciples ne sont pas de ce monde (Jn 15,19), et toutefois ils avaient une chair. De même donc que saint Paul disant: «Vous n'êtes pas dans la chair» (Rm 8,9), ne veut pas dire que ceux à qui il parle n'ont point de corps: ainsi Jésus-Christ, disant à ses disciples qu'ils ne sont pas du monde, veut seulement rendre témoignage de leur sagesse.
«Je vous ai donc dit que si vous ne croyez pas ce que je suis, vous mourrez dans vos péchés (Jn 8,24)»; car si Jésus-Christ est venu pour ôter le péché du monde, et si le péché ne peut être effacé que par le baptême, nécessairement il faut que celui qui ne croit pas ait le vieil homme. En effet, celui qui ne veut pas le tuer et l'ensevelir par la foi, mourra avec lui, et avec lui ira recevoir la peine de ses péchés. Voilà pourquoi le Seigneur disait: «Celui qui ne croit pas, est déjà condamné» (Jn 3,18), non-seulement parce qu'il ne croit pas, mais aussi parce qu'il va en l'autre monde avec ses premiers péchés. «Ils lui dirent: Et qui êtes-vous donc (Jn 8,25)?» O l'étrange folie! Après un si long temps, après avoir vu tant de miracles et entendu sa doctrine, ils lui font cette question: «Et qui êtes-vous?» Que leur répond donc Jésus-Christ? «Je suis le principe de toutes choses, moi qui vous parle»; c'est-à-dire, vous êtes indignes d'entendre ma parole, bien loin d'apprendre qui je suis: car jamais vous ne me parlez que pour me tenter, et vous ne faites nulle attention à ce que je vous dis: et c'est pour cela que maintenant j'ai bien des reproches à vous faire. Voilà, en effet, ce que signifient ces paroles: «J'ai beaucoup de choses à dire de vous, et à condamner en vous (Jn 8,26)». Non seulement à reprendre, mais encore à punir. Mais celui qui m'a envoyé, je veux dire mon Père, ne le veut pas: «Car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui». (Jn 3,17) Si c'est donc là pourquoi Dieu m'a envoyé, et si Dieu est véritable, j'ai raison de ne juger personne maintenant, mais je m'attache à enseigner ce qui est nécessaire au salut, et non à faire des réprimandes. Au reste, Jésus-Christ dit cela, afin que les Juifs ne croient pas que lui, qui entend de si grandes choses, il manque de la force nécessaire pour les punir, ou qu'il ignore leurs pensées et leurs dérisions.
«Et ils ne comprirent pas qu'il parlait de son Père (Jn 8,27)». O folie! ô aveuglement! Jésus ne cessait de parler de son Père, et ils [358] ne s'en apercevaient point! Après quoi, n'ayant pu les attirer ni par un grand nombre de miracles, ni par sa doctrine et ses instructions, il les entretient enfin de son crucifiement et leur dit: «Quand vous aurez élevé en haut le Fils de l'homme», dit-il, «alors vous connaîtrez qui je suis, et que je ne parle point de moi-même, et que mon Père, qui m'a envoyé, est avec moi et ne m'a point laissé seul». Jésus-Christ fait voir par là que c'est avec justice qu'il a dit: «Je suis le principe de toutes choses, moi-même qui vous parle».
2. Tant les Juifs étaient peu attentifs à ce que leur disait Jésus-Christ. «Lorsque vous aurez élevé en haut le Fils de l'homme» alors, dit-il, vous pensez me faire périr, vous débarrasser de moi: mais moi, je vous dis que c'est principalement alors que vous connaîtrez «qui je suis»; vous le connaîtrez par les prodiges et les miracles que je ferai, par ma résurrection, par votre ruine. En effet, toutes ces choses étaient bien propres à faire éclater la puissance du Seigneur. Il n'a point dit: Vous connaîtrez alors qui je suis; mais il dit: Lorsque vous verrez que la mort n'aura point eu d'empire sur moi, qu'elle n'aura produit en moi nul changement, ni aucune altération, alors vous connaîtrez qui je suis, savoir, que je suis le Christ, Fils de Dieu, qui gouverne et conduit tout; et qui ne suis pas contraire au Père. Voilà pourquoi il a ajouté: «Et je ne dis rien de moi-même». Vous connaîtrez, en effet, ces deux vérités, et ma puissance, et mon union avec mon Père. Car ce mot: «Je ne dis rien de moi-même», montre l'égalité et l'unité de substance, et qu'il ne dit rien contre la volonté de son Père. Quand votre culte sera changé et aboli, et qu'il ne vous sera plus permis d'adorer le Père selon votre ancienne coutume (1), alors vous connaîtrez, qu'irrité contre ceux qui ne m'ont point écouté, il prend ma défense et me venge lui-même. C'est comme s'il disait: Si j'étais opposé et contraire à Dieu, il n'aurait pas conçu une si grande colère contre vous. Isaïe le déclare aussi: «Il livrera les impies pour sa sépulture» (Is 50,9); et David: «Il leur parlera alors dans sa colère» (Ps 3,5); et le Seigneur lui-même: «Le temps s'approche que votre maison demeurera déserte» (Mt 23,38); écoutez de plus la parabole: «Que fera le Seigneur de la vigne à ces vignerons? «Il fera périr misérablement ces méchants». (Mt 21,40) Ne remarquez-vous pas que partout il parle de même, attendu qu'ils ne le croyaient point encore?
1. C. À d. Par des sacrifices et vos cérémonies légales.
Que si le Seigneur doit les faire périr, comme véritablement il le fera (car il dit: «Ceux qui ne veulent point m'avoir pour roi, qu'on les amène ici, et qu'on les tue en ma présence).» (Lc 19,27); pourquoi cette oeuvre, ne se l'attribue-t-il pas à lui-même, mais au Père? C'est pour s'accommoder à la portée des Juifs, et aussi pour honorer son Père. Voilà pourquoi il n'a point dit: Je laisse votre maison déserte, mais «votre maison demeurera déserte», parlant impersonnellement. Mais, avoir dit: «Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l'as pas voulu» (Lc 13,34); et ajouter ensuite: «Elle demeurera»; c'est montrer assez qu'il est l'auteur de la désolation. Puisque, dit-il, mes bienfaits, ma sollicitude, ne vous ont pas déterminés à croire en moi, les supplices vous feront connaître qui je suis.
«Et mon Père est avec moi». De peur qu'ils ne crussent que cette parole: «Celui qui m'a envoyé», marquait qu'il était moins grand que le Père, il ajoute: «Il est avec moi». Car l'un de ces termes se rapporte à l'incarnation, l'autre à la divinité. «Et il ne m'a point laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable». Jésus-Christ descend encore à un langage plus humain, combattant sans relâche ce que disaient les Juifs, qu'il n'était point envoyé de Dieu, qu'il ne gardait pas le sabbat; il dit: «Je fais toujours ce qui lui est agréable». Par où il insinue que la violation du sabbat est agréable au Père. De même, lorsqu'on le menait à la croix, il dit: «Croyez-vous que je ne puisse pas prier mon Père?» (Mt 26,53) Et toutefois, par cette seule parole: «Qui cherchez-vous?» (Jn 18,4-6), il les renversa tous par terre. Pourquoi donc ne dit-il pas: Ne croyez-vous pas que je puisse vous faire périr, quand il l'a prouvé par des faits? Il se proportionne à leur portée. Car il avait grand soin de montrer qu'il ne faisait rien de contraire à son Père. De même ici il parle à la manière des hommes et dans le même sens qu'il a dit: «Il ne m'a point laissé seul»; il dit ici: «Je fais ce qui lui est agréable».
«Lorsqu'il disait ces choses, plusieurs [359] crurent en lui (Jn 8,30)». Lorsque le Sauveur s'est abaissé et qu'il a parlé d'une manière simple et grossière, alors plusieurs ont cru en lui. Après cela, me demanderez-vous encore pourquoi Jésus s'abaisse ainsi à parler d'une manière simple et grossière? Mais l'évangéliste vous en a manifestement fait connaître la raison par ces paroles: «Lorsqu'il disait ces choses, plusieurs crurent en lui». Les faits mêmes semblent crier par sa bouche: Ne vous troublez pas, vous qui m'écoutez, si vous entendez des paroles basses et grossières; des hommes qui, après avoir entendu une si grande et si sublime doctrine, n'ont point été persuadés que celui qui l'enseignait était envoyé du Père, ne pouvaient guère être amenés à la foi par des choses grossières. Et ceci est la justification de ce que le Sauveur pourra dire dans la suite de bas et de grossier.
Les Juifs crurent donc, non pas comme il aurait fallu, mais selon leur portée, grâce à cette simplicité de langage qui charmait et reposait leur esprit. En effet, que leur foi n'était point parfaite, l'évangéliste le fait voir après, en rapportant les outrages qu'ils firent à Jésus-Christ; et pourtant c'étaient les mêmes Juifs qui avaient cru; il le déclare ouvertement par ces paroles: «Jésus dit donc aux Juifs qui croyaient en lui: Si vous persévérez dans la créance de ma parole (Jn 8,31)»; montrant qu'ils n'avaient point encore compris sa doctrine, et que seulement ils écoutaient ce qu'ils disaient; c'est pourquoi il parle avec plus de force, car il s'était d'abord contenté de dire simplement: «Vous me chercherez»; mais maintenant il ajoute: «Vous mourrez dans votre péché». Et il leur fait connaître comment cela arrive: Quand vous serez morts, dit-il, dans votre péché, vous ne pourrez pas me prier, ni me demander grâce. «Ce que je dis dans le monde». Par ces paroles, il déclare aux Juifs qu'il va passer vers les gentils. Mais comme ils n'avaient pas compris que c'était de son Père qu'il leur avait parlé auparavant, il leur en parla encore; et l'évangéliste montre la cause pour laquelle le Sauveur s'est servi d'expressions basses et grossières.
3. Si donc nous lisons avec beaucoup de soin et d'attention les saintes Ecritures, et non pas légèrement et en passant, nous pourrons acquérir le salut; si nous les étudions et les méditons assidûment, nous apprendrons la vraie doctrine et la manière de bien vivre. Qu'on soit dur et violent, qu'on ait une âme molle, qu'on soit lâche, qu'autrefois on n'ait nullement profité de cette lecture, maintenant, du moins, on en profitera et on en retirera quelque utilité, fût-elle imperceptible. En effet, si quelqu'un entre dans la boutique d'un parfumeur et s'y arrête un peu, même malgré lui, il sentira bon, il répandra une douce et agréable odeur; à plus forte raison la répandra-t-il, cette bonne odeur, celui qui fréquente l'Eglise. Car, comme de la paresse naît la paresse, de même du travail naît la force et la vigueur de l'âme. Encore que vous soyez chargé d'une multitude de péchés, que vous soyez impur, ne vous éloignez pas pour cela de nos saintes assemblées.
Et de quoi, direz-vous, me servira-t-il d'y assister, si je ne profite pas de ce qu'on y enseigne? Ah! si vous vous reconnaissez pécheur, si vous vous dites misérable, ce n'est point là un petit profit, ce n'est point là une crainte mal placée, ce n'est point là une frayeur inutile: si seulement vous gémissez de ne pratiquer point ce que vous avez entendu, un jour viendra que vous le pratiquerez. Car il est impossible que celui qui s'entretient avec Dieu et l'écoute, n'en retire pas quelque profit. Au moment de prendre le divin livre des Ecritures, nous nous recueillons et nous lavons nos mains. Ne voyez-vous pas combien de précautions avant même de commencer cette respectable lecture? Si nous la continuons avec soin et avec attention, nous en rapporterons de grands fruits. En effet, si cette lecture ne nous inspirait de pieuses dispositions, nous ne nous laverions pas les mains; les femmes, qui ont la tête découverte, ne la couvriraient pas aussitôt de leur voile, en signe de recueillement intérieur; les hommes, dont la tête est couverte, ne la découvriraient pas. Voyez-vous que la posture extérieure est un témoignage de la piété qu'on a dans le coeur? Ensuite, assis pour écouter, on pousse des gémissements, on condamne sa vie passée.
Appliquons-nous donc, mon cher auditeur, à la lecture de l'Ecriture sainte, du moins lisons avec soin les saints évangiles. A peine aurez-vous ouvert ce livre, que vous y verrez le nom de Jésus-Christ, et que vous l'entendrez parler: «Quant à la naissance de Jésus-Christ, elle arriva de cette sorte: «Marie, sa mère, étant fiancée à Joseph, se trouva [360] grosse, ayant conçu dans son sein» par l'opération «du Saint-Esprit, avant qu'ils eussent été ensemble». (Mt 1,18) Or, celui qui entend ces paroles est tout à coup épris de l'amour de la virginité, il admire ce merveilleux enfantement, il s'élève au-dessus de la terre, il la quitte. Ce n'est point déjà une chose de médiocre importance, que le Saint-Esprit n'ait pas dédaigné de remplir une vierge de sa grâce, et un ange de lui parler et s'entretenir avec elle; toutefois ce n'est encore là que ce que l'on voit au commencement. Mais si vous continuez votre lecture jusqu'à la fin, bientôt vous rejetterez toutes les choses du siècle, vous rirez de tout ce qui est terrestre; si vous êtes riche, vous ne ferez point de cas des richesses, quand vous aurez appris que cette femme d'un charpentier, logée dans une pauvre maison, est la mère du Seigneur; si vous êtes pauvre, vous ne rougirez point de votre pauvreté, lorsque vous apprendrez que le Créateur du monde n'a point rougi d'habiter une humble chaumière.
Si vous méditez ces choses, mon cher frère, vous ne volerez point, vous ne serez point avare, vous n'envahirez pas le bien d'autrui, mais plutôt, vous aimerez la pauvreté et vous mépriserez les richesses; par là, vous éloignerez de vous toutes sortes de maux et de vices. Et encore, lorsque vous verrez Jésus couché, dans une crèche, vous n'aurez plus envie de donner à votre fils un habit tissu d'or, ni à votre femme un lit orné d'argent; et, une fois libre de ces vaines préoccupations, vous ne vous livrerez plus à l'avarice et aux rapines qu'elles provoquent. Il vous en reviendra encore bien d'autres avantages que nous ne saurions présentement détailler, mais que connaîtront ceux qui feront cette expérience.
C'est pourquoi je vous exhorte, mes frères, à faire emplette des saints livres, à en étudier le sens et à le graver dans votre mémoire. Les Juifs, pour les avoir négligés, reçurent l'ordre de les porter attachés à leurs mains. (Dt 6) Pour nous, nous ne les portons pas dans nos mains, mais nous les laissons dans nos demeures, au lieu de les graver dans nos coeurs, comme nous le devrions; car c'est de cette manière, qu'après avoir lavé nos souillures, nous obtiendrons les biens à venir, que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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Chrysostome sur Jean 52