1965 Dignitatis Humanae


PAUL, EVEQUE

SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU

EN UNION AVEC LES PERES DU SAINT CONCILE

POUR QUE LE SOUVENIR S'EN MAINTIENNE A JAMAIS


DECLARATION SUR LA LIBERTE RELIGIEUSE


DIGNITATIS HUMANAE


DU DROIT DE LA PERSONNE ET DES COMMUNAUTES


A LA LIBERTE SOCIALE ET CIVILE EN MATIERE RELIGIEUSE




1 La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l'objet d'une conscience toujours plus vive (1) ; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l'homme la possibilité d'agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d'une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir. De même requièrent-ils que soit juridiquement délimité l'exercice de l'autorité des pouvoirs publics, afin que le champ d'une franche liberté, qu'il s'agisse des personnes ou des associations, ne soit pas trop étroitement circonscrit. Cette exigence de liberté dans la société humaine regarde principalement ce qui est l'apanage de l'esprit humain, et, au premier chef, ce qui concerne le libre exercice de la religion dans la société. Considérant avec diligence ces aspirations dans le but de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à la justice, ce Concile du Vatican d'où il tire du neuf en constant accord avec le vieux.

C'est pourquoi, tout d'abord, le Concile déclare que Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent obtenir le salut et parvenir à la béatitude. Cette unique vraie religion, nous croyons qu'elle subsiste dans l'Eglise catholique et apostolique à qui le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes, lorsqu'il dit aux apôtres : "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit"
Mt 28,19-20. Tous les hommes, d'autre part, sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Eglise ; et, quand ils l'ont connue, de l'embrasser et de lui être fidèles.

De même encore, le Concile déclare que ce double devoir concerne la conscience de l'homme et l'oblige, et que la vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance. Or, puisque la liberté religieuse que revendique l'homme dans l'accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu concerne son immunité de toute contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l'homme et des associations à l'égard de la vraie religion et de l'unique Eglise du Christ. En outre, en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine et l'ordre juridique de la société.

(1) cf. Jean XXIII, encyc. Pacem in terris, 11/4/63 : AAS 55 (1963), p. PT 279 ; ibid. p. PT 265. Pie XII, nuntius radiophonicus, 24/12/44: AAS 37 (1945), p.14.


I. DOCTRINE GENERALE SUR LA LIBERTE RELIGIEUSE


Objet et fondement de la liberté religieuse

2 Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu'en matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d'autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l'ont fait connaître la parole de Dieu et la raison elle-même (2). Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l'ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu'il constitue un droit civil.

En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d'abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu'ils la connaissent et à régler route leur vie selon les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation, les hommes ne peuvent satisfaire, d'une manière conforme à leur propre nature, que s'ils jouissent, outre de la liberté psychologique, de l'immunité à l'égard de toute contrainte extérieure. Ce n'est donc pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu'est fondé le droit à la liberté religieuse. C'est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là même qui ne satisfont pas à l'obligation de chercher la vérité et d'y adhérer ; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste.

(2) cf. Jean XXIII, Pacem in terris, pp.
PT 260-261. Pie XII, nuntius radioph. p.19. Pie XI, encyc. Mit brennender Sorge, 14/5/37: AAS 29 (1937), p. 160. Léon XIII, encyc. Libertas praestantissimum, 20/6/1888: Act Léon XIII 8, 1888, pp. 237-238.


Liberté religieuse et relation de l'homme à Dieu

3 Tout ceci est plus clairement manifeste encore si l'on considère que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d'amour, règle, dirige et gouverne le monde entier, ainsi que les voies de la communauté humaine. De cette loi qui est sienne, Dieu rend l'homme participant de telle sorte que, par une heureuse disposition de la Providence divine, celui-ci puisse toujours davantage accéder à l'immuable vérité. C'est pourquoi chacun a le devoir et, par conséquent le droit, de chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former prudemment un jugement de conscience droit et vrai, en employant les moyens appropriés.

Mais la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, par le moyen de l'enseignement ou de l'éducation, de l'échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu'ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s'aider mutuellement dans la quête de la vérité ; la vérité une fois connue, c'est par un assentiment personnel qu'il faut y adhérer fermement.

Mais c'est par sa conscience que l'homme perçoit et reconnaît les injonctions de la loi divine ; c'est elle qu'il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités, pour parvenir à sa fin qui est Dieu. Il ne doit pas être empêché non plus d'agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse. De par son caractère même, en effet, l'exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l'homme s'ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain (3). Mais la nature sociale de l'homme requiert elle-même qu'il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu'en matière religieuse il ait des échanges avec d'autres, qu'il professe sa religion sous une forme communautaire.

C'est donc faire injure à la personne humaine et à l'ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l'homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès lors que l'ordre public juste est sauvegardé.

En outre, par nature, les actes religieux par lesquels, en privé ou en public, l'homme s'ordonne à Dieu en vertu d'une décision personnelle, transcendent l'ordre terrestre et temporel des choses. Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu'il dépasse ses limites s'il s'arroge le droit de diriger ou d'empêcher les actes religieux.

(3) cf. Jean XXIII, encyc. Pacem in terris, p.
PT 270. Paul VI, nuntius radioph. 22/12/64, pp. 181-182.


Liberté des groupes religieux

4 La liberté ou immunité de toute contrainte en matière religieuse qui revient aux individus doit aussi leur être reconnue lorsqu'ils agissent ensemble. Des groupes religieux, en effet, sont requis par la nature sociale tant de l'homme que de la religion elle-même.

Dès lors, donc, que les justes exigences de l'ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d'un culte public la divinité suprême, aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes religieux.

Les groupes religieux ont également le droit de ne pas être empêchés, par les moyens législatifs ou par une action administrative du pouvoir civil, de choisir leurs propres ministres, de les former, de les nommer et de les transférer, de communiquer avec les autorités ou communautés religieuses résident dans d'autres parties du monde, d'édifier des édifices religieux, ainsi que d'acquérir et de gérer les biens dont ils ont besoin.

Les groupes religieux ont aussi le droit de ne pas être empêchés d'enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit. Mais, dans la propagation de la foi et l'introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s'abstenir de toute forme d'agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale, surtout s'il s'agit de gens sans culture ou sans ressources. Une telle manière d'agir doit être regardée comme un abus de son propre droit et une entorse au droit des autres.

La liberté religieuse demande, en outre, que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine. La nature sociale de l'homme, enfin, ainsi que le caractère même de la religion, fondent le droit qu'ont les hommes mus par leur sentiment religieux, de tenir librement des réunions ou de constituer des associations éducatives, culturelles, caritatives et sociales.


Liberté religieuse de la famille

5 Chaque famille, en tant que société jouissant d'un droit propre et primordial, a le droit d'organiser librement sa vie religieuse, sous la direction des parents. A ceux-ci revient le droit de décider, selon leur propre conviction religieuse, de la formation religieuse à donner à leurs enfants. C'est pourquoi le pouvoir civil doit leur reconnaître le droit de choisir en toute liberté les écoles ou autres moyens d'éducation, et cette liberté de choix ne doit pas fournir prétexte à leur imposer, directement ou indirectement, d'injustes charges. En outre, les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de suivre des cours ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou lorsque est imposée une forme d'éducation d'où toute formation religieuse est exclue.


De la responsabilité à l'égard de la liberté religieuse

6 Le bien commun de la société - ensemble des conditions de vie sociale permettant à l'homme de parvenir plus pleinement et plus aisément à sa propre perfection - consistant au premier chef dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine (4), le soin de veiller au droit à la liberté religieuse incombe tant aux citoyens qu'aux groupes sociaux, aux pouvoirs civils, à l'Eglise et aux autres communautés religieuses, de la manière propre à chacun, en fonction de ses devoirs envers le bien commun.

C'est pour tout pouvoir civil un devoir essentiel que de protéger et promouvoir les droits inviolables de l'homme (5). Le pouvoir civil doit donc, par de justes lois et autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse de tous les citoyens et assurer des conditions favorables au développement de la vie religieuse en sorte que les citoyens soient à même d'exercer effectivement leurs droits et de remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix découlant de la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté (6).

Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l'ordre juridique de la cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu'en même temps, pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses, le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et respecté.

Enfin, le pouvoir civil doit veiller à ce que l'égalité juridique des citoyens, qui relève elle-même du bien commun de la société, ne soit jamais lésée, de manière ouverte ou occulte, pour des motifs religieux, et qu'entre eux aucune discrimination ne soit faite.

Il s'ensuit qu'il n'est pas permis au pouvoir public, par force, intimidation ou autres moyens, d'imposer aux citoyens la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit, ou d'empêcher quelqu'un d'entrer dans une communauté religieuse ou de la quitter. A fortiori, est-ce agir contre la volonté de Dieu et les droits sacrés de la personne et de la famille des peuples que d'employer la force, sous quelque forme que ce soit, pour détruire la religion ou lui faire obstacle, soit dans tout le genre humain, soit en quelque région, soit dans un groupe donné.

(4) cf. Jean XXIII, encyc. Mater et Magistra, p.
MM 417; encycl. Pacem in terris, AAS 55 (1963)19/04/63, p. PT 273.
(5) cf. Jean XXIII, encycl. Pacem in terris, pp. PT 273-274; Pie XII, nuntius radioph. AAS 33 (1941), p. PT 200.
(6) cf. Léon XIII, encycl. Immortale Dei, 1/11/1885 : ASS 18(1885), p. 161.


Limites de la liberté religieuse

7 C'est dans la société humaine que s'exerce le droit à la liberté en matière religieuse, aussi son usage est-il soumis à certaines règles qui le tempèrent.

Dans l'usage de toute liberté doit être observé le principe moral de la responsabilité personnelle et sociale : la loi morale oblige tout homme et groupe social à tenir compte, dans l'exercice de leurs droits, des droits d'autrui, de leurs devoirs envers les autres et du bien commun de tous. A l'égard de tous il faut agir avec justice et humanité.

En outre, comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c'est surtout au pouvoir civil qu'il revient d'assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement une des parties, mais selon les règles juridiques, conformes à l'ordre moral objectif, qui sont requises par l'efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l'harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d'une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l'ordre public. Au demeurant, il faut observer la règle générale de la pleine liberté dans la société, selon laquelle on doit reconnaître à l'homme le maximum de liberté et ne restreindre celle-ci que lorsque c'est nécessaire et dans la mesure où c'est nécessaire.


Formation à l'usage de la liberté

8 De nos jours, l'homme est exposé à toutes sortes de pressions et court le danger d'être frustré de son libre jugement personnel. Mais nombreux sont, d'autre part, ceux qui, sous prétexte de liberté, rejettent toute sujétion et font peu de cas de l'obéissance requise.

C'est pourquoi ce Concile du Vatican s'adresse à tous, mais tout particulièrement à ceux qui ont mission d'éduquer les autres, pour les exhorter à former des hommes qui, dans la soumission à l'ordre moral, sachent obéir à l'autorité légitime et aient à coeur la liberté authentique ; des hommes qui, à la lumière de la vérité, portent sur les choses un jugement personnel , agissent en esprit de responsabilité, et aspirent à tout ce qui est vrai et juste, en collaborant volontiers avec d'autres.

C'est donc un des fruits et des buts de la liberté religieuse que d'aider les hommes à agir avec une plus grande responsabilité dans l'accomplissement de leurs devoirs au coeur de la vie sociale.


II - LA LIBERTE RELIGIEUSE A LA LUMIERE DE LA REVELATION


La doctrine de la liberté religieuse a ses racines dans la Révélation

9 Ce que ce Concile du Vatican déclare sur le droit de l'homme à la liberté religieuse a pour fondement la dignité de la personne, dont, au cours des temps, l'expérience a manifesté toujours plus pleinement les exigences. Qui plus est, cette doctrine de la liberté a ses racines dans la Révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles. En effet, bien que la révélation n'affirme pas explicitement le droit à l'immunité de toute contrainte extérieure dans le domaine religieux, elle découvre dans toute son ampleur la dignité de la personne humaine, elle montre en quel respect le Christ a tenu la liberté de l'homme dans l'accomplissement de son devoir de croire à la parole de Dieu, et elle nous enseigne de quel esprit doivent se pénétrer dans leur action les disciples d'un tel Maître. Tout cela met bien en relief les principes généraux sur lesquels se fonde la doctrine de cette déclaration sur la liberté religieuse. Et tout d'abord, la liberté religieuse dans la société est en plein accord avec la liberté de l'acte de foi chrétienne.


Liberté et acte de foi

10 C'est un des points principaux de la doctrine catholique, contenu dans la parole de Dieu et constamment enseigné par les Pères (7), que la réponse de foi donnée par l'homme à Dieu doit être volontaires ; en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui (8). Par sa nature même, en effet, l'acte de foi a un caractère volontaire puisque l'homme, racheté par le Christ Sauveur et appelé par Jésus Christ à l'adoption filiale (cf. Ep 1,5), ne peut adhérer au Dieu révélé, que si, attiré par le Père (cf. Jn 6,44), il met raisonnablement et librement sa foi en Dieu. Il est donc pleinement conforme au caractère propre de la foi qu'en matière religieuse soit exclue toute espèce de contrainte de la part des hommes. Partant, un régime de liberté religieuse contribue, de façon notable, à favoriser un état de choses dans lequel l'homme peut être sans entrave invité à la foi chrétienne, peut l'embrasser de son plein gré et la confesser avec ferveur par toute sa vie.

(7) cf. Lactantius, Divin. Instit. V, 19: CSEL 19, pp. 463-464 ; PL6, 614-616. St Ambroise, Epist. 21 ad Valentinianum imp.: PL 16, 1005. St Augustin, Contra litteras Petiliani, II, 83. CSEL 52, p. 112 ; PL 43, 315; cf. C, 23, q. 5, c.33 : Friedberg, col. 939. idem, Epistola ad Virgilium et Theodorum Episcopos Massialiae Gallariarum, Registrum Epistol. I, 45: MGH Ep. 1 p.72 ; PL 77, 510-511 (lib.1, ep. 47). idem, Epistola ad Ioannem Episcopum Constantinol., Registrum Epistol. III, 52 ; MGH Ep. i, p. 210 ; PL 77, 649 (lib. III, ep. 53) ; cf. D, 45, c. i: Friedberg, col. 160; Conc. Tolet, IV, c. 57 ; Mansi 10, 633 ; cf. D. 45, c. 5. Friedberg, col. 161-162. Clément III: X, V 6,9: Friedberg, col. 774. Innocent III, Epistola ad Arelatensem Archiepiscopum, X, III, 42, 3: Friedberg, col. 646.
(8) cf. CIS 1351. Pie XII, alloc. ad Praelatos auditores caeterosque officiales et administras Tribun. S. Romanae Rotae 6/10/1946: AAS 38 (1946), p. 394. Idem encycl. Mystici Corporis 29/06/1943: AAS 35 (1943), p.243.


Manière d'agir du Christ et des apôtres

11 Dieu, certes, appelle l'homme à le servir en esprit et en vérité ; si cet appel oblige l'homme en conscience, il ne le contraint donc pas. Dieu, en effet, tient compte de la dignité de la personne humaine qu'il a lui-même créée et qui doit se conduire selon son propre jugement et user de la liberté. Cela est apparu au plus haut point dans le Christ Jésus; en qui Dieu s'est manifesté lui-même pleinement et a fait connaître ses voies. Le Christ, en effet, notre Maître et Seigneur (cf. Jn 13,13) doux et humble de coeur (cf. Mt 11,29) a invité et attiré les disciples avec patience (cf. Mt 11,28-30 Jn 6,67-68). Certes, il a appuyé et confirmé sa prédication par des miracles, mais c'était pour susciter et fortifier la foi de ses auditeurs, non pour exercer sur eux une contrainte (cf. Mt 9,28-29 Mc 9,23-24 Mc 6,5-6) (14). Il est vrai encore qu'il a reproché leur incrédulité à ceux qui l'entendaient, mais c'est en réservant à Dieu le châtiment au jour du jugement (cf. Mt 11,20-24 Rm 12,19-20 2Th 1,8). Lorsqu'il a envoyé ses apôtres dans le monde, il leur a dit: "Celui qui aura cru et aura été baptisé, sera sauvé ; mais celui qui n'aura pas cru sera condamné" Mc 16,16. Mais, reconnaissant que de l'ivraie avait été semée avec le froment, il ordonna de les laisser croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps (cf. Mt 13,30 Mt 13,40-42). Ne se voulant pas Messie politique dominant par la force (cf. Mt 4,8-10 Jn 6,15), il préféra se dire Fils de l'Homme, venu "pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude" Mc 10,45. Il se montra le parfait Serviteur de Dieu (cf. Is 42,1-4), qui "ne brise pas le roseau froissé et n'éteint pas la mèche qui fume encore" Mt 12,20. Il reconnut le pouvoir civil et ses droits, ordonnant de payer le tribut à César, mais en rappelant que les droits supérieurs de Dieu doivent être respectés : "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" Mt 22,21. Enfin, en achevant sur la croix l'oeuvre de la rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a parachevé sa révélation. Il a rendu témoignage à la vérité (cf. Jn 18,37), mais il n'a pas voulu l'imposer par la force à ses contradicteurs. Son royaume, en effet, ne se défend pas par l'épée (cf. Mt 26,51-53 Jn 18,36), mais il s'établit en écoutant la vérité et en lui rendant témoignage, il s'étend grâce à l'amour par lequel le Christ, élevé sur la croix, attire à lui tous les hommes (cf. Jn 12,32).

Instruits par la parole et l'exemple du Christ, les apôtres suivirent la même voie. Aux origines de l'Eglise, ce n'est pas par la contrainte ni par des habilités indignes de l'Evangile que les disciples du Christ s'employèrent à mener les hommes à confesser la Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la parole de Dieu (cf. 1Co 2,3-5 1Th 2,3-5). Avec courage, ils annonçaient à tous le dessein de Dieu Sauveur "qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité" 1Tm 2,4 ; mais en même temps, vis-à-vis des faibles, même vivant dans l'erreur, leur attitude était faite de respect, manifestant ainsi comment "chacun d'entre nous rendra compte à Dieu pour soi-même" Rm 14,12 (cf. Rm 14,1-23 1Co 8,9-13 1Co 10,23-33), et, par conséquent, est tenu d'obéir à sa propre conscience. Comme le Christ, les apôtres s'appliquèrent toujours à rendre témoignage à la vérité de Dieu, pleins d'audace pour "annoncer la parole de Dieu avec assurance" Ac 4,31 (cf. Ep 6,19-20) devant le peuple et ses chefs. Une foi inébranlable leur faisait en effet tenir l'Evangile comme étant en toute vérité une force de Dieu pour le salut de tous les croyants (cf. Rm 1,16). Rejetant donc toutes les "armes charnelles" (cf. 2Co 10,4 1Th 5,8-9), suivant l'exemple de douceur et de modestie donné par le Christ, ils prêchèrent la parole de Dieu avec la pleine assurance qu'elle était une force divine capable de détruire les puissances opposées à Dieu (cf. Ep 6,11-17) et d'amener les hommes à croire dans le Christ et à le servir (cf. 2Co 10,3-5). Comme leur Maître, les apôtres reconnurent, eux aussi, l'autorité civile légitime : "Que chacun se soumette aux autorités en charge ... Celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu" Rm 13,1-2 (cf. 1P 2,13-17). Mais, en même temps, ils ne craignent pas de s'opposer au pouvoir public qui s'opposait lui-même à la sainte volonté de Dieu : "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" Ac 5,29 (cf. Ac 4,19-20). Cette voie, d'innombrables martyrs et fidèles l'ont suivie en tous temps et en tous lieux.

(14) Cf. Paul VI, encyc. Ecclesiam suam, 6/08/1964: AAS 56 (1964), pp. 642-643.


L'Eglise marche sur les pas du Christ et des apôtres

12 L'Eglise, donc, fidèle à la vérité de l'Evangile, suit la voie qu'ont suivie le Christ et les apôtres lorsqu'elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l'homme et à la révélation divine, et qu'elle encourage une telle liberté. Cette doctrine, reçue du Christ et des apôtres, elle l'a, au cours des temps, gardée et transmise. Bien qu'il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l'histoire humaine, des manières d'agir moins conformes, bien plus même contraires à l'esprit évangélique, l'Eglise a cependant toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi.

Ainsi, le ferment évangélique a-t-il longtemps agi dans l'esprit des hommes et beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement, au cours des temps, la dignité de la personne humaine, et à faire mûrir la conviction qu'en matière religieuse cette personne doit, dans la cité, être exempte de toute contrainte humaine.


Liberté de l'Eglise

13 Parmi les choses qui concernent le bien de l'Eglise, voire le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, partout et toujours, doivent être sauvegardées et défendues contre toute atteinte, la plus importante est certainement que l'Eglise jouisse de toute la liberté d'action dont elle a besoin pour veiller au salut des hommes (31). Elle est sacrée, en effet, cette liberté dont le Fils unique de Dieu a doté l'Eglise qu'il a acquise de son sang. Elle est si propre à l'Eglise que ceux qui la combattent agissent contre la volonté de Dieu. La liberté de l'Eglise est un principe fondamental dans les relations de l'Eglise avec les pouvoirs publics et tout l'ordre civil.

Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l'Eglise revendique la liberté en tant qu'autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur et chargée par mandat divin d'aller par le monde entier prêcher l'Evangile à toute créature (cf.
Mc 16,15 Mt 28,18-20) (32). L'Eglise revendique également la liberté en tant qu'elle est aussi une association d'hommes ayant le droit de vivre dans la société civile selon les préceptes de la foi chrétienne (33).

Dès lors, là où existe un régime de liberté religieuse, non seulement proclamée en paroles ou seulement sanctionnée par des lois, mais mise effectivement et sincèrement en pratique, là se trouvent enfin fermement assurées à l'Eglise les conditions, de droit et de fait, de l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de sa divine mission, indépendance que les autorités ecclésiastiques ont revendiquées dans la société avec de plus en plus d'insistance (34). En même temps, les fidèles du Christ, comme les autres hommes, jouissent, sur le plan civil, du droit de ne pas être empêchés de mener leur vie selon leur conscience. Il y a donc bon accord entre la liberté de l'Eglise et cette liberté religieuse qui, pour tous les hommes et toutes les communautés, doit être reconnue comme un droit et sanctionnée juridiquement.

(31) cf. Léon XIII, litterae Officio sanctissimo, 22/12/1887: AAS 2O (1887), p. 269. Idem, litterae Ex litteris, 7/04/1887 : AAS 19 (1886), p. 465.
(32) cf. Pie XII, encycl. Summi Pontific. 20/10/39 : AAS 31(1939), pp. 445-446.
(33) cf. Pie XI, litterae Firmissimam constantiam, 28/03/1937 : AAS 29 (1937), p. 196.
(34) cf. Pie XII, allocutio Ci riesce, 6/12/1953 : AAS 45 (1953), p. 802.


Fonction de l'Eglise

14 Pour obéir au précepte divin: "Enseignez toutes les nations" Mt 28,19, l'Eglise catholique doit s'employer, sans mesurer sa peine, à ce "que la parole de Dieu accomplisse sa course et soit glorifiée" 2Th 3,1.

L'Eglise demande donc expressément à ses fils "qu'avant tout se fassent des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes ... Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu, notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité" 2Tm 2,1-4.

Mais les fidèles du Christ, pour se former la conscience, doivent prendre en sérieuse considération la doctrine sainte et certaine de l'Eglise (35). De par la volonté du Christ, en effet, l'Eglise catholique est maîtresse de vérité ; sa fonction est d'exprimer et d'enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l'ordre moral découlant de la nature même de l'homme. En outre, les chrétiens doivent aller avec sagesse au-devant de ceux qui sont au-dehors, et s'efforcer "dans l'Esprit-Saint, avec une charité sans feinte, dans la parole de vérité" 2Co 6,6-7 de répandre la lumière de vie en toute assurance (cf. Ac 4,29) et courage apostolique, jusqu'à l'effusion de leur sang.

Car le disciple a envers le Christ son maître le grave devoir de connaître toujours plus pleinement la vérité qu'il a reçue de lui, de l'annoncer fidèlement et de la défendre énergiquement, en s'interdisant tout moyen contraire à l'esprit de l'Evangile. Mais la charité du Christ le presse aussi d'agir avec amour, prudence, patience, envers ceux qui se trouvent dans l'erreur ou dans l'ignorance de la foi (37). Il faut donc prendre en considération tant les devoirs envers le Christ, Verbe vivifiant, qui doit être annoncé, que les droits de la personne humaine et la mesure de grâce que Dieu, par le Christ, a départie à l'homme, invité à accueillir et à professer la foi de son plein gré.

(35) cf. Pie XII, nuntius radioph. 23/03/1952 ; AAS (1952), pp. 270-278.
(37) cf. Jean XXIII, encyc. Pacem in terris, 11/04/63 : AAS 55 (1963) pp. PT 299-300.



Conclusion

15 Il est manifeste qu'aujourd'hui l'homme souhaite pouvoir librement professer la religion, en privé et en public ; bien plus, que la liberté religieuse est maintenant proclamée dans la plupart des Constitutions comme un droit civil et qu'elle est solennellement reconnue par des documents internationaux (38).

Mais il est des régimes, où, bien que la liberté de culte religieux soit reconnue dans la Constitution, les pouvoirs publics eux-mêmes s'efforcent de détourner les citoyens de professer la religion et de rendre la vie des communautés religieuses difficile et précaire.

Saluant avec joie les signes favorables qu'offre notre temps, mais dénonçant avec tristesse ces faits déplorables, le saint Concile demande aux catholiques, mais prie aussi instamment tous les hommes d'examiner avec le plus grand soin à quel point la liberté religieuse est nécessaire, surtout dans la condition présente de la famille humaine.

Il est, en effet, manifeste que les peuples sont aujourd'hui portés à s'unir toujours davantage ; que des relations plus étroites s'établissent entre populations de culture et de religion différentes ; que s'accroît la conscience prise par chacun de sa responsabilité personnelle. Pour que des relations pacifiques et la concorde s'instaurent et s'affermissent dans l'humanité, il est donc nécessaire qu'en tous lieux, la liberté religieuse soit sanctionnée par une garantie juridique efficace et que soient respectés les devoirs et les droits suprêmes qu'ont les hommes de mener librement leur vie religieuse dans la société.

Fasse Dieu, Père de tous les hommes, que la famille humaine, à la faveur d'un régime assuré de liberté religieuse dans la société, par la grâce du Christ et la puissance de l'Esprit-Saint, parvienne à la sublime et éternelle "liberté de la gloire des fils de Dieu"
Rm 8,21.

(38) Cf. IOANNES XXIII, encyl. Pacem in terris, 11/04/63 : AAS 55 (1963), pp. PT 295-296.


Tout l'ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette déclaration ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu.

Rome,à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965.
Moi, PAUL, évêque de l'Eglise catholique.
(suivent les signatures des Pères)





1965 Dignitatis Humanae