II-II (Drioux 1852) Qu.8 a.3

ARTICLE III.— le i>on d'intelligence est-il spéculatif exclusivement, ou est-il encore pratique?


Objections: 1. Il semble que l'intelligence, qui est un don de l'Esprit-Saint, ne soit pas pratique, mais seulement spéculative. Car l'intelligence, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. i, cap. IS), pénètre les choses les plus élevées. Or, ce qui appartient à l'intelligence pratique n'est pas élevé ; c'est ce qu'il y a d'infime, puisqu'il s'agit des choses particulières que les actes ont pour objet. Donc l'intelligence qui est un don n'est pas l'intelligence pratique.

2. L'intelligence qui est un don est plus noble que l'intelligence qui est une vertu intellectuelle. Or, l'intelligence qui est une vertu intellectuelle a seulement pour objet les choses nécessaires, comme le dit Aristote (Eth. lib. vi, cap. 3 et 6). Donc, à plus forte raison, l'intelligence qui est un don ne se rapporte-t-elle qu'aux choses nécessaires. Mais comme l'intelligence pratique n'a pas pour objet les choses nécessaires, et qu'elle ne se rapporte qu'aux choses contingentes que l'homme peut faire, il s'ensuit que l'intelligence qui est un don n'est pas l'intelligence pratique.

3. Le don de l'intelligence éclaire l'esprit à l'égard de ce qui surpasse la raison naturelle. Or, les actions humaines que l'intelligence pratique a pour objet ne surpassent pas la raison naturelle qui dirige l'homme dans sa conduite, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (I-II, quest. 58, art. 2 ; quest. 71 art. 6 ; quest. 65 ; quest. 91). Donc l'intelligence qui est un don n'est pas l'intelligence pratique. Mais c'est le contraire. Le Psalmiste dit (Ps 110,10) : Tous ceux qui agissent selon la crainte de Dieu ont une intelligence salutaire.


CONCLUSION — Quoique le don d'intelligence qui perfectionne la partie supérieure de l'homme soit absolument plus spéculatif que pratique, cependant par exlen- s on et sous un rapport il est pratique.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le don d'intelligence se rapporte non-seulement aux choses qui sont premièrement et principalement du domaine de la foi, mais encore à toutes les choses qui s'y rapportent. Or, les bonnes actions se rapportent à la foi. Car la foi opère par l'amour, d'après l'Apôtre (Ga 5,6). C'est pourquoi le don de l'intelligence s'étend à certaines actions, non qu'elles soient l'objet principal auquel il se rapporte (1), mais en ce sens que dans la conduite nous nous réglons d'après les choses éternelles ; la raison supérieure qui est perfectionnée par le don d'intelligence s'attache à elles, les voit et les consulte, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. xii, cap. 7).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les actions humaines considérées en elles-mêmes n'ont pas d'excellence ou de supériorité, mais selon qu'elles ont pour règle la loi éternelle et pour fin la béatitude divine, elles ont une certaine élévation (2) qui fait que l'intelligence peut se rapporter à elles.

2. Il faut répondre au second, que ce qui appartient à la noblesse du don d'intelligence, c'est qu'il considère les choses intelligibles éternelles ou nécessaires, non-seulement selon ce qu'elles sont en elles-mêmes, mais encore comme les règles des actes humains (3), parce que, plus sont nombreuses les choses auxquelles s'étend une puissance cognitive, et plus cette puissance est noble.

3. Il faut répondre au troisième, que la règle des actes humains est la raison humaine et la loi éternelle, comme nous l'avons dit (I-II, quest. 10, art. 3-4 ; quest. 71, art. 6 ; quest. 91 ; quest 95). Or, la loi éternelle surpasse la raison naturelle; c'est pourquoi la connaissance des actes humains, selon qu'elle a pour règle la loi éternelle, surpasse la raison naturelle, et a besoin de la lumière surnaturelle du don de l'Esprit-Saint.

(1) Le don d'intelligence a principalement pour objet les choses spéculatives, et il se rap­porte subsidiairement aux choses pratiques.
(2) En raison de leur foi et de leur règle, elles sont surnaturelles, et par conséquent elles sont l'objet propre du don de l'intelligence, qui est surnaturel lui-même.
(3) Son double caractère, qui en fait un don spéculatif et pratique, l'ennoblit, parce qu'il étend son domaine.



ARTICLE IV. — le don d'intelligence est-il dans tous ceux qui ont la grâce (4)?


Objections: 1. Il semble que le don d'intelligence n'existe pas dans tous ceux qui ont la grâce. Car saint Grégoire dit (Mor. lib. ii, cap. 26) que le don d'intelligence est accordé pour détruire l'ineptie de l'esprit. Or, il y en a beaucoup qui ont la grâce et dont l'esprit est cependant très-obtus. Donc le don d'intelligence n'existe pas dans tous ceux qui ont la grâce.

2. Parmi les choses qui appartiennent à la connaissance, il n'y a que la foi qui paraisse nécessaire au salut, parce que le Christ habite par la foi dans nos coeurs, comme le dit l'Apôtre (Ep 3). Or, tous ceux qui ont la foi n'ont pas le don d'intelligence, puisque ceux qui croient doivent prier pour comprendre, comme ledit saint Augustin (De Trin. lib. xv, cap. 27). Donc le don d'intelligence n'est pas nécessaire au salut, et par conséquent il n'existe pas dans tous ceux qui ont la grâce.

3. Les choses qui sont communes à tous ceux qui ont la grâce ne leur sont jamais soustraites. Or, la grâce de l'intelligence et des autres dons est quelquefois retirée utilement -, car quelquefois quand l'esprit s'enorgueillit en comprenant des choses sublimes, il tombe aussitôt dans des choses basses et viles sur lesquelles il s'appesantit, comme le dit saint Grégoire (Moral. lib. ii, cap. 26). Donc le don d'intelligence n'existe pas dans tous ceux qui ont la grâce.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Psalmiste dit (Ps 81,5) : Ils sont dans l'ignorance, ils ne comprennent pas, ils marchent dans les ténèbres. Or, celui qui a la grâce ne marche pas dans les ténèbres, d'après ces paroles de saint Jean (Jn 8,12): Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres. Donc celui qui a la grâce ne manque pas du don de l'intelligence.

CONCLUSION. — Comme la charité existe dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, de même aussi le don d'intelligence.

Réponse Il faut répondre que tous ceux qui sont en état de grâce doivent avoir nécessairement une volonté droite, puisque la grâce prépare la volonté de l'homme au bien, comme le dit saint Augustin (Retract, lib. i, cap. 27). Mais la volonté ne peut être portée convenablement au bien, qu'autant qu'on possède préalablement la connaissance de la vérité; car l'objet de la volonté est le bien que nous comprenons, comme le dit Aristote (De animâ, lib. m, text. 34 et 49). Or, comme l'Esprit-Saint par le don de la charité dispose la volonté de l'homme de telle sorte qu'elle tende directement vers le bien surnaturel, de même par le don d'intelligence il éclaire son esprit pour qu'il connaisse la vérité surnaturelle vers laquelle la volonté droite est obligée de se porter. C'est pourquoi comme le don de la charité existe dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, de même aussi le don d'intelligence.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ceux qui ont la grâce sanctifiante peuvent avoir l'esprit fermé pour des choses qui ne sont pas nécessaires au salut, mais à l'égard de celles qui sont nécessaires au salut, ils sont suffisamment instruits par l'Esprit-Saint, d'après ces paroles de saint Jean (1Jn 2,27) : Son onction vous enseigne toutes choses.

2. Il faut répondre au second, que quoique tous ceux qui ont la foi ne comprennent pas pleinement ce qu'on leur propose à croire, cependant ils comprennent qu'ils doivent croire ces choses et qu ils ne doivent en aucune manière s'en écarter.

3. Il faut répondre au troisième, que le don d'intelligence n'est jamais soustrait aux saints par rapport aux choses qui sont nécessaires au salut, mais quelquefois il leur est soustrait pour d'autres choses, afin qu'ils ne puissent pas tout comprendre clairement, et qu'ils n'aient pas lieu de s'enorgueillir.

(4) Cet article est l'explication de ces paroles de l'Ecriture (1P 5) : Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam. (Ps 148) : Intellectum dat parvulis.



ARTICLE V. — le don d'intelligence existe-t-il dans ceux qui n'ont pas la grâce sanctifiante?


Objections: 1. Il semble que le don d'intelligence existe dans ceux qui n'ont pas la grâce sanctifiante. Car saint Augustin expliquant ces paroles du (Ps 118): Concupivit anima (Conc. 3 et 8) dit : L'intelligence vole en avant, et la volonté humaine qui est infirme la suit péniblement. Or, dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, la volonté est prompte à cause de la charité. Donc le don d'intelligence peut exister dans tous ceux qui n'ont pas cette grâce.

2. Daniel dit (Da 10,1) qu'on, a besoin de l'intelligence dans la vision prophétique et par conséquent il semble que la prophétie n'existe pas sans le don d'intelligence. Cependant la prophétie peut exister sans la grâce sanctifiante. Ainsi Notre-Seigneur répond (Mt 7,22) à ceux qui lui disaient:

Nous avons prophétisé en votre nom: je ne vous connais pas. Donc le don d'intelligence peut aussi exister sans elle.

3. Le don d'intelligence répond a la vertu de la loi, d après ces paroles d'Isaïe (Is 7,7) dans la version des Septante : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. O r, la foi peut exister sans la grâce sanctifiante. Donc également le don d'intelligence.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 6,45) : Quiconque a écouté le Père et a appris de lui qui je suis, celui-là vient à moi. Or, par l'intelligence nous apprenons ou nous pénétrons les choses que nous avons entendues, comme le prouve saint Grégoire (Mor. lib. i. cap. 15). Donc quiconque a le don d'intelligence vient au Christ, ce qui ne peut se faire sans la grâce sanctifiante. Par conséquent le don d'intelligence n'existe pas sans cette grâce.

CONCLUSION. — Le don d'intelligence ne peut pas exister dans un individu qui n'a pas la grâce sanctifiante.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (la 2\ quest. lxviii, art. 1 et 2), les dons de l'Esprit-Saint perfectionnent l'âme en la rendant docile à ses bons mouvements. Ainsi la lumière intellectuelle de la grâce constitue le don d'intelligence, parce qu'elle rend l'esprit de l'homme souple et flexible aux inspirations de l'Esprit-Saint. Cette inspiration a pour but de faire connaître à l'homme la vérité qui concerne sa fin. Par conséquent tant que l'esprit humain n'est pas mù par l'Esprit-Saint jusqu'à posséder une juste idée de sa fin, il n'a pas le don d'intelligence, quelles que soient d'ailleurs les lumières que l'Esprit-Saint lui communique sur les autres choses qui sont un préliminaire ou une préparation à celle-là. Or, pour avoir une juste idée de la fin dernière, il ne faut point errer à son égard (1), mais il faut s'y attacher fortement comme à ce qu'il y a de meilleur, et puisqu'il n'y a que celui qui a la grâce sanctifiante qui agisse ainsi, comme dans les choses morales l'homme n'a une juste idée de sa fin que par l'habitude de la vertu, il en résulte que personne n'a le don d'intelligence sans la grâce sanctifiante.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que saint Augustin appelle intelligence toute lumière intellectuelle quelle qu'elle soit. Cependant la lumière intellectuelle n'est véritablement un don qu'autant qu'elle amène l'esprit de l'homme à concevoir une juste idée de sa fin.

2. Il faut répondre au second, que l'intelligence qui est nécessaire à la prophétie est cette lumière de l'esprit qui l'éclairé sur les choses révélées aux prophètes (2) ; mais elle n'est pas cette lumière qui donne à l'âme une juste idée de sa fin dernière et qui appartient au don d'intelligence.

3. Il faut répondre au troisième, que la foi implique seulement l'assentiment aux choses qu'on lui propose; tandis que l'intelligence implique une certaine connaissance de la vérité qui ne peut exister au sujet de la fin dernière que dans celui qui a la grâce sanctifiante, comme nous l'avons dit (in corp. art.). C'est pourquoi il n'y a pas de parité entre l'intelligence et la foi.

(1) Quand on a une juste idée de la fin der­nière, on la préfère à tout, on y rapporte toutes ses actions, on s'y attache inébranlablement ; ce que ne fait pas celui qui n'a pas la grâce sanctifiante.
(2) Cette lumière peut se rencontrer dans ceux qui n'ont pas la grâce.


ARTICLE VI. — le don d'intelligence se distingue-t-il des autres dons ?


Objections: 1. Il semble que le don d'intelligence ne se distingue pas des autres dons. Car les choses qui ont les mêmes contraires sont les mêmes. Or, la folie est contraire à la sagesse, la stupidité à l'intelligence, le conseil à la précipitation, la science à l'ignorance, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. ii, cap. 30).

Comme la folie, la stupidité, l'ignorance et la précipitation ne paraissent pas différentes entre elles, il s'ensuit que l'intelligence n'est pas non plus distincte des autres dons.

2. L'intelligence considérée comme vertu intellectuelle diffère des autres vertus de ce genre par ce qui lui est propre, c'est-à-dire en ce qu'elle a pour objet les principes qui sont par eux-mêmes connus. Mais le don d'intelligence ne se rapporte pas aux principes qui sont connus par eux-mêmes, puisque pour les choses qu'on connaît ainsi naturellement, l'habitude naturelle des premiers principes suffit. Par rapport aux choses surnaturelles on a assez de la foi, parce que les articles de foi sont comme les premiers principes de la connaissance surnaturelle, ainsi que nous l'avons dit (quest. i, art. 7). Donc le don d'intelligence ne se distingue pas des autres dons intellectuels.

3. Toute connaissance intellectuelle est spéculative ou pratique. Or, le don d'intelligence se rapporte à l'une et à l'autre, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). Il ne se distingue donc pas des autres dons intellectuels, mais il les renferme tous en lui.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Toutes les choses qui font nombre entre elles doivent être de quelque manière distinctes les unes des autres, parce que la distinction est le principe du nombre. Or, le don d'intelligence est compté parmi les autres dons, comme on le voit dans lsaïe (Is 11). Donc ce don est distinct des autres.

CONCLUSION. — Le don d'intelligence se distingue des autres dons de l'Esprit- Saint; il se distingue de la piété, de la force et de la crainte en ce que ces trois dons appartiennent à la puissance appétitive, tandis que l'intelligence se rapporte  à la faculté cognitive. Il se distingue de la sagesse, de la science et du conseil, en ce qu'il se rapporte à la pénétration des choses qui sont de foi, tandis que la sagesse a pour objet le jugement qu'on doit porter sur les choses divines, et la science juge des choses créées. Le conseil sert à appliquer les choses que l'on croit à chacune des oeuvres que l'on opère.

Réponse Il faut répondre que le don d'intelligence se distingue évidemment de ces trois dons : de la piété, de la force et de la crainte, parce que le don d'intelligence appartient à la puissance cognitive, tandis que ces trois dons appartiennent à la puissance appétitive. Mais la différence qu'il y a entre lui et les autres dons, la sagesse, la science et le conseil qui appartiennent aussi à la puissance cognitive, n'est pas aussi manifeste. Il semble aux uns que le don d'intelligence se distingue du don de science et de celui de conseil en ce que ces deux derniers regardent la connaissance pratique, tandis que le don d'intelligence se rapporte à la connaissance spéculative. Il se distingue du don de sagesse qui se rapporte comme lui à la science spéculative, en ce qu'il appartient à la sagesse de juger, tandis que l'intelligence est la capacité qu'a l'entendement de recevoir ce qu'on lui propose ou de le pénétrer à fond, et c'est d'après cela que nous avons déterminé le nombre des dons (I-II, quest. lxviii, art. 4).— Mais quand on approfondit le don d'intelligence, on remarque qu'il se rapporte non seulement aux choses spéculatives, mais encore aux choses pratiques, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). De même le don de science se rapporte aux uns et aux autres, comme nous le verrons (quaest. seq. art. 3). C'est pourquoi il faut faire reposer sur un autre fondement leur distinction. Car ces quatre dons ont pour objet la connaissance surnaturelle qui est établie en nous par la foi. Or, d'après l'Apôtre : La foi vient de ce qu'on entend (Rm 10,17). Par conséquent il faut que les choses qu'on propose à la croyance de l'homme ne lui soient pas présentées comme ayant été vues, mais comme ayant été entendues. La foi a surtout et principalement pour objet la vérité première, et elle se rapporte secondairement à certaines considérations qui se rapportent aux créatures. Elle s'étend même jusqu'à la direction des actes humains, puisque, comme nous l'avons dit, la foi opère par l'amour (quest. i, art. 1 et 6 ad 1, et quest. iv, art. 2 ad 3). Ainsi à l'égard des vérités que la foi nous propose à croire, nous avons deux choses à faire. La première consiste à les saisir et à les pénétrer par l'entendement, et c'est ce qui appartient au don d'intelligence. La seconde consiste à en juger sainement, de manière qu'on sache que l'on doit s'attacher à elles et s'écarter de leurs contraires. Ce jugement relativement aux choses divines appartient au don de sagesse, et relativement aux choses créées (1) il appartient au don de science. Quant à l'application des choses que l'on croit à chacune des choses que l'on opère, elle dépend du don de conseil.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette différence des quatre dons convient évidemment à la distinction des choses que saint Grégoire cite comme leur étant opposées. En effet l'idiotisme est contraire à la pénétration de l'esprit; car on dit par analogie que l'esprit est pénétrant quand il peut aller au fond des choses qui lui sont proposées; par conséquent l'esprit obtus est celui qui ne peut aller au fond des choses qu'il considère. On appelle insensé celui qui juge mal de la fin commune de la vie ; c'est pourquoi la folie est, à proprement parler, contraire à la sagesse qui juge pertinemment de la cause universelle. L'ignorance implique un défaut d'esprit à l'égard de toutes les choses particulières ; c'est pourquoi elle est contraire à la science qui permet à l'homme de juger sainement des causes particulières, c'est-à-dire des créatures. La précipitation est évidemment contraire au conseil qui fait que l'homme n'agit pas avant que la raison n'ait délibéré.

2. Il faut répondre au second, que le don d'intelligence se rapporte aux premiers principes de la connaissance gratuite d'une autre manière que la foi. Caria foi consiste à y adhérer fermement, tandis que le don d'intelligence a pour but de faire pénétrer l'esprit dans les choses qu'on lui dit.

3. Il faut répondre au troisième, que le don d'intelligence se rapporte aux deux sortes de connaissance, à la connaissance spéculative et à la connaissance pratique, non pour les juger (2), mais pour les percevoir, de manière qu'on saisisse ce que l'on entend.

(1) Il ne s'agit ici que des choses créées qui se rapportent à Dieu, car le don de sagesse est sur­naturel aussi bien que les autres.
(2) Le jugement appartient, sous des rapports divers, à la sagesse, à la science et au conseil.


ARTICLE VII. — la sixième béatitude répond-elle au don d'intelligence?


Objections: 1. Il semble que la sixième béatitude (Beáti mundo corde) ne réponde pas au don d'intelligence. Car la pureté du coeur semble appartenir surtout à la volonté. Or, le don d'intelligence n'appartient pas à la volonté, mais plutôt à la puissance intellectuelle. Cette béatitude ne répond donc pas au don d'intelligence.

2. Saint Pierre dit (Ac 15,9) : Ayant  purifié par la foi leurs coeurs. Or, parla purification du coeur on en acquiert la pureté. Donc cette béatitude appartient plutôt à la vertu de la foi qu'au don d intelligence.

3. Les dons de l'Esprit-Saint perfectionnent l'homme ici-bas. Or, la vision de Dieu n'appartient pas à la vie présente, puisque c'est elle qui rend heureux, comme nous l'avons dit (V 2ae, quest. m, art. 8). Donc la sixième béatitude, qui comprend la vision de Dieu, n'appartient pas au don d'intelligence.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De serm. Dom. lib. i, cap. 9): La sixième opération de l'Esprit-Saint, qui est l'intelligence, convient à ceux qui ont le coeur pur, et qui de leur oeil purifié peuvent voir ce que l'oeil corporel n'a pas vu.

CONCLUSION. — La béatitude qui se rapporte dans l'Evangile à ceux qui ont le coeur pur répond au don d'intelligence.

Réponse Il faut répondre que la sixième béatitude comme toutes les autres renferme deux choses. L'une par manière de mérite, qui est la pureté de coeur, et l'autre par manière de récompense, qui est la vision de Dieu, comme nous l'avons dit(la 2oe, quest. lxix, art.2et4). Ces deux choses appartiennent d'une certaine façon au don d'intelligence. En effet il y a deux sortes de pureté, l'une qui prépare et qui dispose à la vision de Dieu, et qui consiste à purifier la volonté de toutes les affections désordonnées. Cette pureté de coeur est l'effet des vertus et des dons qui appartiennent à la puissance appétitive (1). L'autre est en quelque sorte le complément de celle-là par rapport à la vision de Dieu. Elle consiste à purger l'entendement de toute imagination fausse et de toute erreur (2), de manière que ce qu'on propose sur Dieu, on ne le reçoive pas sous la forme des images corporelles, ni d'après les idées fausses que les hérétiques s'en font (3). Le don d'intelligence produit cette espèce de pureté. De même il y a aussi deux sortes de vision de Dieu : l'une parfaite par laquelle on voit l'essence divine, et l'autre imparfaite par laquelle, quoique nous ne voyons pas ce que Dieu est, nous voyons cependant ce qu'il n'est pas (4). Et plus nous connaissons Dieu parfaitement ici- bas, mieux nous comprenons qu'il surpasse tout ce que l'intelligence comprend. Ces deux sortes de vision appartiennent au don d'intelligence. La première se rapporte au don d'intelligence consommé tel que nous le posséderons dans le ciel, la seconde à ce don commencé tel qu'il existe ici-bas.

La réponse aux objections est par là même évidente. Car les deux premiers arguments s'appuient sur la première pureté, et le troisième sur la perfection de la vision divine. Les dons commencent ici-bas notre perfection qu'ils consommeront dans la vie future, comme nous l'avons dit (in corp. art.). (I-II, quest. 68, art. 6 ; quest. 69, art. 2).

(1) Par conséquent cette pureté n'appartient pas au don d'intelligence qui se rapporte à l'en­tendement.
(2) Cette pureté parfaite dépouille l'enten­dement de toutes les folles pensées de la ter­re, et nous fait mépriser les choses terrestres et rechercher au contraire les choses divines.
(3) Le don d'intelligence épure en nous l'idée de Dieu et la dégage de tout ce qui peut la fausser.
(4) Cette vision imparfaite est celle dont nous jouissons ici-bas, l'autre est propre à la gloire.



ARTICLE VIII. — parmi les fruits la foi répond-elle au don d'intelligence ?


Objections: 1. II semble que parmi les fruits la foi ne réponde pas au don d'intelligence. Car l'intelligence est le fruit de la foi, selon ces paroles du prophète (Is 7,9) : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. Donc la foi n'est pas un fruit de l'intelligence.

2. Ce qui est antérieur n'est pas le fruit de ce qui vient ensuite. Or, la foi semble être antérieure à l'intelligence, parce que la foi est le fondement de tout l'édifice spirituel, comme nous l'avons dit (quest. iv, art. 1 et 7). Donc la foi n'est pas le fruit de l'intelligence.

3. Il y a plus de dons qui appartiennent à l'intelligence qu'à l'appétit. Or, parmi les fruits il n'y en a qu'un seul qui appartienne à l'intelligence, et c'est la foi. Tous les autres regardent l'appétit. Donc la foi ne semble pas répondre à l'intelligence plutôt qu'à la sagesse, à la science ou au conseil.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La fin de chaque chose est son fruit. Or, le don d'intelligence semble principalement avoir pour fin la certitude de la foi qui est mise au nombre des fruits. Car la glose dit (ad Gai. v), que la foi qui est un fruit est la certitude des choses invisibles. Donc parmi les fruits la foi répond au don d'intelligence.

conclusion. — La foi, c'est -à-dire la certitude de la foi, correspond ici-bas au don d'intelligence, comme son fruit, mais dans le ciel c'est la joie.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (la 2*, quest. lxx, art. 1), on appelle fruits de l'Esprit-Saint

les dernières choses agréables que produit en nous sa vertu. Or, les dernières jouissances ont la nature de la fin qui est l'objet propre de la volonté. C'est pourquoi il faut que la jouissance dernière qui réside dans la volonté soit en quelque sorte le fruit de toutes les autres qui se rapportent aux autres puissances. Par conséquent, d'après le genre de don ou de vertu qui perfectionne une puissance, on peut distinguer deux sortes de fruit; l'un qui appartient à la puissance qui lui est propre (1), et l'autre qui appartient en dernier lieu à la volonté. D'après cela il faut dire que la foi répond au don d'intelligence pour le fruit qui lui est propre, c'est-à-dire pour la certitude de la foi; mais la joie qui appartient à la volonté lui correspond comme son fruit dernier.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'intelligence est le fruit de la foi qui est une vertu (2). Par conséquent quand on dit que la foi est un fruit on ne l'entend pas ainsi, mais on la prend pour la certitude à laquelle l'homme parvient par le don d'intelligence.

2. Il faut répondre au second, que la foi ne peut universellement précéder l'intelligence. Car l'homme ne pourrait donner son assentiment par la foi à ce qu'on lui propose, s'il ne le comprenait d'une certaine manière. Mais la perfection de l'intelligence est une conséquence de la foi qui est une vertu, et cette perfection de l'intelligence a pour effet la certitude (3) qui est le fruit auquel on donne le nom de foi.

3. Il faut répondre au troisième, que le fruit de la connaissance pratique ne peut pas exister en elle, parce qu'on n'acquiert pas cette connaissance pour elle-même, mais en vue d'une autre chose ; tandis que la connaissance spéculative possède son fruit en elle-même, et ce fruit est la certitude des choses qu'elle a pour objet. C'est pourquoi il n'y a pas de fruit propre qui réponde au don du conseil qui n'a pour objet que la connaissance pratique. Quant aux dons de sagesse, d'intelligence et de science qui peuvent appartenir à la connaissance spéculative, il n'y a qu'un seul fruit qui y corresponde, c'est cette certitude qu'on désigne sous le nom de foi. Mais on distingue plusieurs fruits qui appartiennent à la partie appétitive, parce que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), l'idée de fin qu'implique le mot de fruit appartient plutôt à la puissance appétitive qu'à la puissance intellective.

(1) On distingue à l'égard de chaque don deus sortes de fruits, l'un prochain et l'autre éloigné. Celui qui 'est prochain leur est propre, l'autre leur est commun, et il est propre à la volonté. Ainsi le fruit propre du don d'intelligence, c'est la certitude que nous avons des choses de foi ; son fruit éloigné c'est la joie qu'elle nous procure. Ce dernier fruit lui est commun avec tous les autres dons et toutes les vertus.
(2) La foi, qui est une vertu théologale, produit au contraire l'intelligence ; car tous les Pères disent avec saint Anselme, qu'il faut croire pour comprendre.
(3) Cette certitude reçoit le nom de fruit, parce qu'elle est la dernière chose que le Saint- Esprit opère dans notre entendement.





QUESTION IX.

DU DON DE SCIENCE.


Après avoir parlé du don d'intelligence, nous avons à nous occuper du don de science. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° La science est-elle un don ? — 2° A-t-elle pour objet les choses divines? — 3° Est-elle spéculative ou pratique? — 4° Quelle est la béatitude qui lui correspond?


ARTICLE I. — la science est-elle un don ?


Objections: 1. Il semble que la science ne soit pas un don. En effet les dons de l'Esprit- Saint surpassent les facultés naturelles, tandis que la science implique au contraire un effet de la raison naturelle. Car Aristote dit (Post. lib. i, text. b) que la démonstration est le syllogisme qui produit la science. La science n'est donc pas un don de l'Esprit-Saint.

2. Les dons de l'Esprit-Saint sont communs à tous les saints, comme nous l'avons dit (la 2ae, quest. lxviii, art. 2 et art. 9, quest. préc. art. 4). Or, saint Augustin dit (De Trin. lib. xiv, cap. 1) que beaucoup de fidèles ne sont pas remarquables par la science, quoiqu'ils le soient parla foi. Donc la science n'est pas un don.

3. Le don est plus parfait que la vertu, comme nous l'avons dit (i' 2", quest. lxviii, art. 8). Donc un seul don suffit  à la perfection d'une vertu. Par conséquent puisque le don d'intelligence répond  à la vertu de la foi, ainsi que nous l'avons dit (quest. viii, art. 2J, il s'ensuit que le don de science ne lui répond pas. Comme on ne voit aucune autre vertu à laquelle il puisse correspondre, et que d'ailleurs les dons sont les perfections des vertus, ainsi que nous l'avons dit (I-II, quest. lxviii, art. J et 2), il semble que la science ne soit pas un don.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Car Isaïe (Is 11) compte la science parmi les sept dons.


CONCLUSION. — La science est un don de Dieu qui fait que l'homme porte un jugement sûr et droit sur les choses divines, en distinguant celles qu'il faut croire de celles qu'on ne doit pas croire, comme l'intelligence est un don de Dieu par lequel l'homme saisit avec exactitude ce qu'on lui propose à croire.

21 Il faut répondre que la grâce est plus parfaite que la nature. Par conséquent elle ne fait pas défaut dans les choses où l'homme peut être perfectionné par la nature. Ainsi l'homme adhérant par son intelligence à une vérité, au moyen de la raison naturelle, est perfectionné à l'égard de cette vérité de deux manières: 1° parce qu'il la perçoit; 2° parce qu'il en juge certainement. C'est pourquoi, pour que l'intelligence humaine donne un assentiment parfait à une vérité de foi, il faut deux choses. La première, c'est qu'elle saisisse exactement ce qu'on lui propose à croire, ce qui appartient au don d'intelligence (1), comme nous l'avons dit (quest. viii, art. 6). La seconde, c'est qu'elle porte un jugement sur et droit sur toutes ces choses, en distinguant celles qu'il faut croire de celles qu'il ne faut pas croire; et c'est pour cela que le don de science est nécessaire.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la certitude de la connaissance existe de différentes manières dans des natures diverses, selon la diversité de condition de chacune d'elles. Ainsi l'homme arrive à juger certainement de la vérité par les procédés discursifs de la raison, et c'est pour ce motif qu'on acquiert la science humaine par la démonstration. Mais Dieu juge certainement de la vérité sans aucun procédé discursif, par simple intuition, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xiv, art. 7). C'est pourquoi la science divine n'est pas discursive ou argumentatrice, mais absolue et simple. La science que nous plaçons parmi les dons de l'Esprit-Saint lui ressemble, puisqu'elle en est une participation et une image (1).

2. Il faut répondre au second, qu'à l'égard des choses de foi on peut posséder deux sortes de science. L'une par laquelle l'homme sait ce qu'il doit croire, en discernant ce qu'il faut croire de ce qui ne faut pas croire. Sous ce rapport la science est un don et elle convient à tous les saints. L'autre par laquelle l'homme sait non-seulement, ce qu'il doit croire, mais il sait encore manifester sa foi, porteries autres à l'embrasser et réfuter ses contradicteurs. Cette science est placée parmi les grâces gratuitement données (2), elle n'est pas dispensée à tous, mais à quelques-uns. C'est pourquoi saint Augustin ajoute aux paroles que l'on a citées : Autre chose est de savoir seulement ce que l'homme doit croire, et autre chose de savoir comment il peut persuader aux fidèles ce qu'il croit et le défendre contre les impies.

3. Il faut répondre au troisième, que les dons sont plus parfaits que les vertus morales et intellectuelles, mais ils ne sont pas plus parfaits que les vertus théologales. Et puisque les dons se rapportent à la perfection des vertus théologales comme à leur fin, il s'ensuit qu'il n'est pas absurde que divers dons se rapportent à une seule et même vertu théologale (3).

(1) Le don d'intelligence nous fait percevoir, pénétrer les vérités de foi, et le don de science nous fait discerner les choses que nous devons croire de celles que nous ne devons pas croire.
(1) La science que l'Esprit-Saint nous commu­nique étant purement intuitive, absolue, ceci nous explique comment les fidèles peuvent avoir une connaissance très-claire des vérités de la religion et une certitude très-ferme, sans pouvoir les dé­montrer discursivement et sans savoir les exposer aux autres.(2) La science considérée comme grâce gra­tuitement donnée est propre aux prédicateurs, aux apologistes et aux docteurs.
(3) Ainsi il ne répugne pas que le don d'intelligence et le don de science se rapportent à la foi.




II-II (Drioux 1852) Qu.8 a.3