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44 De même qu’il est de l’intérêt du monde de reconnaître l’Église comme une réalité sociale de l’histoire et comme son ferment, de même l’Église n’ignore pas l’importance de ce qu’elle a reçu de l’histoire du genre humain et de son évolution.
L’expérience des siècles passés, le progrès des sciences, les richesses cachées dans les diverses formes de culture humaine, par lesquels la nature de l’homme lui-même se manifeste toujours plus pleinement et par lesquels des voies nouvelles sont ouvertes à la vérité, procurent aussi des avantages à l’Église. En effet, dès le début de son histoire, elle a appris à exprimer le message du Christ à l’aide des concepts et des langues des différents peuples et, de plus, elle s’est efforcée de l’éclairer par la sagesse des philosophes : à cette fin que l’Évangile soit adapté, selon une juste mesure, à la capacité de compréhension de tous et aux exigences des sages. A la vérité, cette façon appropriée de proclamer la parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation. Ainsi, en effet, est suscitée en chaque peuple la possibilité d’exprimer le message du Christ selon un mode qui lui est propre et est promu en même temps l’échange vivant entre l’Église et les cultures des divers peuples22. Pour accroître cet échange, l’Église, surtout en notre temps où les choses changent très vite et où les manières de penser sont fort variées, a particulièrement besoin du concours de ceux qui, vivant dans le monde, en connaissent à fond les diverses institutions et disciplines et qui en comprennent l’esprit profond, qu’il s’agisse de croyants ou d’incroyants. Il appartient à tout le Peuple de Dieu, surtout aux pasteurs et aux théologiens, de scruter, de discerner et d’interpréter, avec l’aide de l’Esprit Saint, les divers langages de notre temps et de les juger à la lumière de la Parole divine, pour que la Vérité révélée puisse être toujours mieux perçue, mieux comprise et présentée de manière mieux adaptée.
Comme l’Église a une structure sociale visible, signe de son unité dans le Christ, elle peut aussi être enrichie, et elle l’est effectivement par l’évolution de la vie sociale, non pas comme s’il manquait quelque chose dans la constitution qui lui a été donnée par le Christ, mais pour qu’elle soit connue plus en profondeur, mieux exprimée et adaptée de façon plus heureuse à notre temps. L’Eglise constate avec reconnaissance qu’elle reçoit une aide variée de la part d’hommes de tout rang et de toute condition, au profit de ce qu’elle est comme communauté, ou au profit de chacun de ses fils. En effet, tous ceux qui font progresser la communauté humaine au plan de la famille, de la culture, de la vie economique et sociale, de la vie politique tant nationale qu’internationale, apportent aussi, selon le dessein de Dieu, une aide non négligeable à la communauté ecclésiale, dans la mesure où celle-ci dépend d’éléments extérieurs. Bien plus, l’Église avoue qu’elle a tiré et qu’elle peut continuer à tirer de grands avantages de l’opposition même de ceux qui sont ses adversaires ou qui la persécutent23.
22 Cf. Vatican II, const. dogm. Lumen Gentium, chap. II, n° 13, AAS 57 (1965), p. 17 (voir p. 86-88).
23 Cf. Justin, Dial, cum Tryphone, chap. 1X0, PG 6, 729 (éd. Otto), 1897, p. 391-393 : « au contraire, plus nous sommes persécutés, plus s’accroît le nombre de ceux que le nom du Christ amène à la foi et à la religion ». I rrtullien, Apologétique, chap. 50, 13 : « Nous devenons même plus nombreux, chaque fois que vous nous moissonnez : c’est une semence que le sang des chrétiens. » Cf. constit. dogm. Lumen Gentium, chap. 11, n. 9, AAS 57 (1965), p. 14 (voir p. 80).
45 Tout en aidant le monde et tout en recevant beaucoup de celui-ci, l’Église tend vers ce seul but qui est que le Règne de Dieu vienne, et que le salut de tout le genre humain s’instaure. Tout le bien que le Peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut communiquer à la famille des hommes, découle du fait que I ' figlise est « le sacrement universel du salut24 », manifestant et actualisant en même temps le mystère de l’amour de Dieu à l’égard de l’homme.
En effet, le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s’est lui-même fait chair, afin que, homme véritable, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en lui. Le Seigneur est la fin de l’histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l’histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les coeurs et la plénitude de leurs aspirations 25. C’est lui que le Père a ressuscité d’entre les morts, qu’il a exalté et fait siéger à sa droite, le constituant juge des vivants et des morts. Vivifiés et rassemblés en son Lsprit, nous marchons vers la consommation de l’histoire humaine qui s’accorde pleinement avec son dessein d’amour : « Ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre » (Ep 1,10).
C’est le Seigneur lui-même qui dit : « Voici que je viens bientôt et ma rétribution est uvec moi, pour rendre à chacun selon ses oeuvres. Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Ap 22,12-13).
24 Cf. Vatican II, const. dogm. Lumen Gentium, chap. VII, n. 48, AAS 57 (1965), p. 53 (voir p. 142, 37-38).
25 Cf. Paul VI, allocution du 3 févr. 1965 ; L'Osservatore Romano, 4 févr. 1965.
46 Après avoir exposé quelle est la dignité de la personne humaine et quel rôle, soit individuel soit social, elle est appelée à remplir dans le monde entier, le Concile, à la lumière de l’Évangile et de l’expérience humaine, attire maintenant l'attention de tous sur quelques besoins plus particulièrement urgents de notre temps, qui allectent au plus haut point le genre humain.
Parmi les nombreuses questions qui suscitent aujourd’hui les préoccupations de tous, il est utile de traiter surtout celles-ci : le mariage et la famille, la culture humaine, la vie i-conomico-sociale et politique, les Mens qui unissent la famille des peuples, la paix. Que sur chacune de ces questions brillent les principes et la lumière qui, venant du Christ, devraient guider les fidèles et éclairer tous les hommes dans la recherche d’une solution pour des problèmes si nombreux et si complexes.
47 La santé de la personne et i le la société aussi bien humaine que chrétienne est étroitement liée à l’état de prospérité de la communauté conjugale et familiale. C’est pourquoi les chrétiens, ensemble avec tous ceux qui tiennent cette communauté en haute estime, se réjouissent sincèrement des secours variés, grâce auxquels les hommes progressent aujourd’hui dans le zèle à soutenir cette communauté d’amour et à respecter la vie, et par lesquels les époux et les parents sont aidés dans leur charge si haute ; ils en attendent encore des avantages plus considérables et s’efforcent d’en favoriser la réalisation.
Mais la dignité de cette institution ne brille pas partout du même éclat, puisqu’elle est ternie par la polygamie, l’épidémie du divorce, l’amour soi-disant libre, ou d’autres déformations ; de plus, l’amour conjugal est assez souvent profané par l’égoïsme, par l’hédonisme et par des pratiques illicites visant à empêcher la génération. Par ailleurs, les conditions économiques, sociopsychologiques et civiles d’aujourd’hui introduisent dans les familles de graves troubles. Enfin, en certaines parties du monde, ce n’est pas sans préoccupation qu’on observe les problèmes qui sont liés à l’accroissement démographique. Les consciences sont angoissées par tout cela. Néanmoins, la force et la solidité de l’institution matrimoniale et familiale se manifestent par le fait que les profondes transformations de la société d’aujourd’hui, malgré les difficultés qui en résultent, font très souvent apparaître, de diverses manières, le véritable caractère de cette institution.
C’est pourquoi le Concile, en mettant mieux en lumière certains points de la doctrine de l’Église, vise à éclairer et à encourager les chrétiens ainsi que tous les hommes qui s’efforcent de protéger et de promouvoir la dignité originelle et la valeur éminente et sacrée de l’état de mariage.
48 La communauté intime de vie et d’amour dans le mariage, fondée et dotée de ses propres lois par le Créateur, est établie par l’alliance conjugale, c’est-à-dire par le consentement personnel irrévocable. Ainsi, de l’acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement naît une institution qui, selon une disposition divine, est ferme même devant la société humaine ; en considération du bien des époux et des enfants aussi bien que de la société, ce lien sacré n’est pas laissé à l’arbitraire de l’homme. Car Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui est doté de divers biens et obéit à diverses fins 1 ; tout cela est de la plus haute importance pour la continuité du genre humain, pour le progrès personnel et le sort éternel de chaque membre de la famille, pour la dignité, la stabilité, la paix et la prospérité de la famille elle-même et de la société humaine tout entière. C’est par leur spécificité naturelle que l'institution du mariage et l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants, lesquelles en forment en quelque sorte le sommet et le couronnement. Ainsi l'homme et la femme qui, par l’alliance conjugale « ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19,6), s’apportent une aide réciproque et se rendent des services mutuels par l'union intime de leurs personnes et de leurs activités, font l’expérience de ce que signifie leur unité et en pénètrent toujours mieux le sens. Cette union intime, en tant que don réciproque de deux personnes, tout comme le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et imposent leur indissoluble unité 2.
Le Christ Seigneur a répandu de larges bénédictions sur cet amour multiforme, issu de lu source divine de la charité et constitué à l’image de son union avec l’Église. Tout comme en effet Dieu vint autrefois à la rencontre de son peuple par une alliance d’amour et de fidélité3, de même maintenant le Sauveur des hommes et Époux de l’Église4 vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement du mariage. Il continue de demeurer avec eux pour que les époux, par leur don mutuel, puissent s’aimer dans une fidélité permanente, comme Lui-même a aimé l’Église et s’est livré pour elle5. L’authentique amour conjugal est assumé dans l’amour divin et il est régi et enrichi par la puissance rédemptrice du Christ et l’action salvifique de l’Église, afin que les époux soient conduits efficacement à Dieu, et qu’ils soient soutenus et affermis dans leur sublime mission de père et de mère6. C’est pourquoi les époux chrétiens sont fortifiés et comme consacrés par un sacrement spécial7, en vue des devoirs et de la dignité de leur état ; en accomplissant leur devoir conjugal et familial dans la force de ce sacrement, pénétrés de l’Esprit du Christ qui imprègne toute leur vie de foi, d’espérance et de charité, ils parviennent toujours davantage à leur perfection personnelle et à la sanctification mutuelle, et donc ensemble à la glorification de Dieu.
S’ils y sont précédés par leurs parents qui leur donnent l’exemple et pratiquent la prière commune, les enfants et aussi tous ceux qui vivent dans le cercle familial, trouveront plus facilement à leur suite le chemin de l’humanité, du salut et de la sainteté. Les époux, de leur côté, parés de la dignité et de la charge de la paternité et de la maternité, rempliront avec assiduité le devoir d’éducation, surtout religieuse, qui leur revient en tout premier lieu.
En tant que membres vivants de la famille, les enfants contribuent, à leur manière, à la sanctification des parents. Par la reconnaissance, la piété filiale et la confiance à leur égard, ils répondront aux bienfaits de leurs parents et ils les assisteront, comme le font des fils, dans les difficultés de l’existence et dans la solitude de la vieillesse. Le veuvage, assumé avec courage dans la continuité de la vocation conjugale, sera honoré par tous 8. Les familles feront aussi participer généreusement d’autres familles à leurs richesses spirituelles. C’est ainsi que la famille chrétienne, parce qu’elle est issue du mariage, image et participation de l’alliance d’amour entre le Christ et l’Église 9, manifestera à tous les hommes la présence vivante du Sauveur dans le monde et l’authentique nature de l'Église, aussi bien par l’amour des époux, leur généreuse fécondité, leur unité et leur fidélité que par la collaboration affectueuse de tous ses membres.
1 Cf. Augustin, De bono conjugali, PL 40, p. 375-376 et 394 ; BA 2 ; Thomas, Somme théol., Suppl, q. 49, art. 3, ad I; Decretum pro Armenis, D. 702 (1327); Pie XI, encycl. Casti connubii, AAS 22 (1930), p. 543-555, D. 2227-2238 (3703-3714).
2 Cf. Pie XI, encycl. Casti connubii, AAS 22 (1930), p. 546-547, D. 3706.
3 Cf. Os 2 ; Jr 3, 6-13 ; Ez 16 et 23 ; Is 54.
4 Cf. Mt 9, 15 ; Mc 2, 19-20 ; Lc 5, 34-35 ; Jn 3, 29 ; 2 Co 11, 2 ; Ep 5, 27 ; Ap 19, 7-8 ; 21, 2 et 9.
5 Cf. Ep 5, 25.
6 Cf. Conc. Vat. I, const. dogm. Lumen Gentium, AAS 57 (1965), p. 15-16, 40-41, 47 (voir p. 82-84 ; 122-124 ; 132).
7 Pie XI, encycl. Casti connubii, AAS 22 (1930), p. 583.
8 Cf. 1 Tm 5, 3.
9 Cf. Ep 5, 32.
49 A plusieurs reprises, la Parole de Dieu invite les fiancés et les époux à entretenir et à soutenir leurs fiançailles par un amour chaste et l’union conjugale par un amour sans faille 10. Un grand nombre d’hommes de notre temps tiennent aussi en grande estime le véritable amour entre mari et femme, qui se manifeste de différentes manières selon les saines coutumes des peuples et des temps. Cet amour, éminemment humain, puisqu’il se porte d’une personne vers une autre personne en vertu d’une inclination de la volonté, embrasse le bien de la personne tout entière, et est donc capable de conférer une dignité particulière aux expressions du corps et de l’âme, et de les ennoblir comme éléments et signes spécifiques de l’amitié conjugale. Cet amour, le Seigneur a daigné le guérir, le parfaire et l’élever par un don spécial de sa grâce et de sa charité. Un tel amour, associant l’humain et le divin, conduit les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes, qui se prouve par des sentiments et des actes de tendresse, et pénètre toute leur vie 11 ; bien plus, il se parfait et grandit en s’exerçant généreusement. Il dépasse donc de loin l’inclination purement érotique, qui, cultivée égoïstement, s’évanouit rapidement et pitoyablement.
Cet amour s’exprime et s’accomplit d’une manière particulière par la consommation de l’oeuvre propre du mariage. En conséquence, les actes par lesquels les époux s’unissent intimement et chastement entre eux sont des actes honnêtes et dignes et, s’ils sont accomplis de manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance. Cet amour ratifié par un engagement réciproque et, par-dessus tout, sanctifié par le sacrement du Christ, reste indissolublement fidèle, de corps et de pensée, dans le bonheur et dans l’adversité et reste donc étranger à tout adultère et à tout divorce. De même, l’égale dignité personnelle qui est à reconnaître à l’homme et à la femme dans l’amour mutuel plénier fait apparaître clairement l’unité du mariage, confirmée par le Seigneur. Pour remplir avec constance les devoirs découlant de cette vocation chrétienne, une vertu insigne est requise ; c’est pourquoi les époux, fortifiés par la grâce pour mener une vie sainte, seront assidus à cultiver la fermeté de l’amour, la grandeur d’âme et l’esprit de sacrifice, et les demanderont dans leur prière.
Mais le véritable amour conjugal jouira d’une plus haute estime et une saine opinion publique se formera à son sujet, si les époux chrétiens se distinguent par le témoignage île la fidélité et de l’harmonie dans ce même amour ainsi que de la sollicitude pour l’éducation de leurs enfants, et s’ils assument leurs responsabilités pour le nécessaire renouveau culturel, psychologique et social en faveur du mariage et de la famille. Les jeunes doivent être instruits à temps, de façon appropriée, et de préférence au sein même de la famille, sur la dignité, la fonction, l’exercice de l’amour conjugal, pour que, formés à la pratique de la chasteté, ils puissent à l’âge qui convient s’engager dans le mariage après d'honnêtes fiançailles.
10 Cf Gn 2, 22-24 ; Pr 5, 18-20 ; 31, 10-31 ; Tb 8, 4-8; Ct 1, 2-3 ; 2, 16 ; 4, 16 à 5, 1 ; 7, 8-11 ; 1 Co 7, 3-6 ; Ep 3, 25-33.
11 Cf. Pie XI, encycl. Casti connubii, AAS 22 (1930), p. 547 et 548, D. 2232 (3707).
50 Le mariage et l’amour conjugal sont par leur nature ordonnés à la procréation et à l’éducation. Assurément, les enfants sont le don le plus éminent du mariage et ils contribuent au plus haut point au bien des parents eux-mêmes. Dieu lui-même qui a dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn 2,18) et qui, « dès l'origine, a fait l’être humain homme et femme » (Mt 19,4), a voulu le faire participer, d'une manière spéciale, à sa propre oeuvre créatrice et a béni l’homme et la femme, en disant : «Croissez et multipliez-vous» (Gn 1,28). Il s’ensuit que la pratique d’un authentique amour conjugal et la manière de vivre la vie familiale qui en découle tendent, sans que soient dépréciées les autres fins du mariage, à disposer les époux à coopérer courageusement à l’amour du Créateur et du Sauveur qui, par eux, agrandit et enrichit sans cesse sa propre famille.
Dans le devoir qu’ils ont de transmettre la vie et d’assurer l’éducation, et qui est à considérer comme leur mission propre, les époux savent qu’ils sont les coopérateurs de l'amour du Dieu créateur et en quelque sorte ses interprètes. C’est pourquoi ils s’acquitteront de leur charge avec le sens de leur responsabilité humaine et chrétienne et, dans le respect docile à l’égard de Dieu, dans la mise en commun des décisions et des efforts, ils se formeront un jugement droit, en se montrant attentifs tant à leur propre bien qu’à celui des enfants déjà nés ou de ceux dont on prévoit la naissance, en discernant les conditions aussi bien matérielles que spirituelles de leur temps et de leur état de vie, en tenant compte enfin du bien de la communauté familiale, de la société temporelle et de l’Eglise elle-même. Ce sont les époux eux-mêmes qui doivent, en dernier ressort, prononcer eux-mêmes ce jugement devant Dieu. Que dans leur manière d’agir les époux chrétiens aient conscience du fait qu’ils ne peuvent pas se comporter à leur gré, mais qu’ils doivent toujours se laisser guider par leur conscience qui elle-même doit se conformer à la loi divine, et qu’ils doivent se montrer dociles à l’égard du Magistère de l’Église qui donne une interprétation authentique de cette loi à la lumière de l’Évangile. Cette loi divine manifeste la pleine signification de l’amour conjugal, elle le protège et incite à un achèvement vraiment humain de celui-ci. Ainsi lorsque les époux chrétiens, mettant leur confiance dans la Providence de Dieu et entretenant en eux l’esprit de sacrifice 12, remplissent leur rôle procréateur, assumant généreusement leur responsabilité humaine et chrétienne, ils glorifient le Créateur et tendent à la perfection dans le Christ. Parmi les époux qui, d’une telle manière, s 'acquittent de la tâche qui leur a été confiée par Dieu, il faut mentionner spécialement ceux qui d’un commun accord et de manière réfléchie acceptent de grand coeur d’élever de façon convenable même un plus grand nombre d’enfants 13.
Cependant, le mariage n’est pas seulement institué en vue de la procréation. Son caractère même d’alliance indissoluble entre des personnes et le bien des enfants exigent que l’amour mutuel des époux garde la place qui lui revient, progresse et s’épanouisse. C'est pourquoi, même si les enfants, souvent tellement désirés, font défaut, le mariage comme communauté intime et communion de toute la vie subsiste, et il garde sa valeur et son indissolubilité.
12 Cf. 1 Co 7, 5.
13 Cf. Pie XII, allocution Tra le visite, 20 janv. 1958, AAS 50 (1958), p. 91.
51 Le Concile sait que les époux, pour l’organisation harmonieuse de leur vie conjugale, peuvent être fortement embarrassés par les conditions de vie actuelles et se trouver dans des situations dans lesquelles le nombre des enfants ne peut plus être accru, du moins pour un temps, et dans lesquelles la pratique d’un amour fidèle et la pleine communauté de vie ne sont maintenues qu’au prix de grandes difficultés. Là où la vie conjugale intime est interrompue, le bien de la fidélité peut souvent courir des risques et le bien des enfants être gravement compromis : alors, en effet, l’éducation des enfants et le courage d’en accepter d’autres plus tard sont mis en danger.
Il en est qui osent apporter des solutions malhonnêtes à ces problèmes, qui ne se détournent même pas avec horreur du meurtre. Mais l’Église rappelle qu’il ne peut y avoir de véritable contradiction entre les lois divines relatives à la transmission de la vie et celles qui favorisent l’amour conjugal authentique.
En effet, Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes l’éminent ministère de la sauvegarde de la vie, qui doit être rempli de façon digne de l’homme. La vie doit être protégée avec le plus grand soin dès la conception ; l’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables. La sexualité qui caractérise l’homme et le pouvoir humain d’engendrer dépassent merveilleusement ce qui existe aux degrés inférieurs de la vie ; il en découle que les actes propres à la vie conjugale, réglés selon l’authentique dignité humaine, doivent être entourés d’estime et de respect. Quand il s’agit de mettre en accord l’amour conjugal avec la transmission responsable de la vie, le caractère moral de la manière d’agir ne dépend pas de la seule sincérité de l’intention et de la seule appréciation des motifs, mais elle doit aussi être déterminée en fonction de critères objectifs, tirés de la nature de la personne et des actes, et respectant la signification intégrale d’une donation mutuelle et celle d’une procréation vraiment humaine dans un contexte de véritable amour ; cela n’est pas possible si la vertu de chasteté conjugale n’est pas pratiquée d’un coeur sincère. Il n’est pas permis aux enfants de l’Église, qui s’appuient sur ces principes, de s’engager, pour la régulation des naissances, dans des voies qui sont désapprouvées par le Magistère, lorsqu’il explicite la loi divine 14.
Mais que tous soient convaincus que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se laissent pas enfermer dans les limites de ce monde et ne peuvent donc pas être mesurées à cette aune et comprises uniquement à partir de là, mais qu’elles sont toujours en rapport avec la destinée éternelle des hommes.
14 Cf. Pie XI, encycl. Casti connubii, AAS 22 (1930), p. 559-561, D. 3716-3718 ; Pie XII, allocution au Congrès de l’Union des sages-femmes italiennes, 29 oct. 1951, AAS 43 (1951), p. 835-854; Paul VI, allocution aux Cardinaux, 23 juin 1964, AAS 56 (1964), p. 581-589. Par ordre du Souverain Pontife, certaines questions qui supposent d’autres recherches plus approfondies ont été confiées à une Commission pour les problèmes de la population, de la famille et de la natalité pour que, son rôle achevé, le pape puisse se prononcer. L’enseignement du Magistère demeurant ainsi ce qu’il est, le Concile n’entend pas proposer immédiatement de solutions concrètes.
52 La famille est comme l’école d’une humanité plus richement épanouie. Mais pour qu’elle puisse atteindre la plénitude de sa vie et de sa mission, elle requiert une communion d’esprit pleine de bienveillance, une délibération commune entre époux et une soigneuse collaboration entre parents pour l’éducation des enfants. La présence agissante du père est d’un grand profit pour leur formation, mais il faut aussi que la mère puisse assurer le soin de la maison dont ont besoin les enfants, surtout les plus jeunes, sans que soit négligée la légitime promotion sociale de la femme. Que les enfants reçoivent une éducation telle que, une fois qu’ils seront parvenus à l’âge adulte, ils puissent, avec le plein sens de leur i esponsabilité, suivre leur vocation, y compris la vocation religieuse, et choisir un état de vie, dans lequel, s’ils se lient par le mariage, ils pourront fonder leur propre famille dans des conditions morales, sociales et économiques favorables. Il appartient aux parents ou uiix tuteurs de se faire les guides des jeunes pour la fondation d’un foyer par des conseils de prudence que les jeunes devront écouter volontiers, les parents veillant toutefois à n'exercer sur ceux-ci aucune contrainte, directe ou indirecte, soit pour l’engagement dans le mariage soit pour le choix du conjoint.
Ainsi la famille, au sein de laquelle diverses générations se rencontrent et s’aident mutuellement à acquérir une sagesse plus pleine et à harmoniser les droits des personnes avec les autres exigences de la vie sociale, constitue le fondement de la société. C’est pourquoi tous ceux qui exercent une influence sur les communautés et les groupes sociaux doivent apporter un concours efficace pour promouvoir le mariage et la famille. Que le pouvoir civil considère comme un devoir sacré pour lui de reconnaître leur véritable nature, de les protéger et de les faire progresser, de veiller à la moralité publique et de favoriser la prospérité des familles. Le droit des parents à la procréation et à l’éducation des enfants au sein de la famille doit être sauvegardé. Une législation prévoyante et des initiatives variées doivent également protéger et aider, par des moyens appropriés, ceux qui malheureusement sont privés du bien de la famille.
Les chrétiens, tirant parti du temps présent15 et discernant ce qui est éternel de ce qui est forme changeante, devront promouvoir avec empressement les biens du mariage et de la famille, tant par le témoignage de leur propre vie que par une action concertée avec les hommes de bonne volonté, et ainsi, une fois que les difficultés seront écartées, ils pourvoiront aux besoins de la famille et lui procureront les avantages qui conviennent aux temps nouveaux. Pour atteindre cette fin, le sens chrétien des fidèles, la droite conscience morale des hommes et aussi la sagesse et la compétence de ceux qui s’appliquent aux disciplines sacrées seront d’un précieux secours.
Les spécialistes des sciences, principalement biologiques, médicales, sociales et psychologiques, peuvent rendre de grands services pour le bien du mariage et de la famille ainsi que pour la paix des consciences, si, en coordonnant leurs études, ils s’efforcent d’élucider plus à fond les diverses conditions favorisant une honnête régulation de la procréation humaine.
C’est le devoir des prêtres, ayant reçu la formation nécessaire en matière familiale, de soutenir la vocation des époux dans leur vie conjugale et familiale en ayant recours aux divers moyens de la pastorale, à savoir la prédication de la Parole de Dieu, le culte liturgique et les autres secours spirituels, de les fortifier avec bonté et patience dans leurs difficultés et de les réconforter avec charité, pour qu’ils forment des familles vraiment rayonnantes.
Des oeuvres variées, surtout les associations familiales, s’appliqueront, par la doctrine et l’action, à affermir les jeunes gens et les époux, surtout ceux qui viennent de se marier, et à les former à la vie familiale, sociale et apostolique.
Enfin les époux eux-mêmes, créés à l’image du Dieu vivant et établis dans un authentique ordre de personnes, seront unis dans une égale affection, une même pensée et une mutuelle sainteté 16, de sorte qu’en suivant le Christ, principe de vie17, ils deviennent, par la fidélité de leur amour dans les joies et les sacrifices de leur vocation, les témoins de ce mystère de charité que le Seigneur a révélé au monde par sa mort et sa résurrection 18.
15 Cf. Ep 5, 16 ; Col 4, 5.
16 Cf. Sacramentarium Gregorianum, PL 78, 262.
17 Cf. Rm 5, 15 et 18 ; 6, 5-11 ; Ga 2, 20.
18 Cf. Ep 5, 25-27.
53 Un trait constitutif de la personne humaine, c’est qu’elle n’accède à la vraie et pleine humanité que par la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature. Partout où il est question de vie humaine, nature et culture sont liées de façon aussi étroite que possible.
Le mot culture au sens général désigne tout ce par quoi l’homme affine et développe les multiples qualités de son âme et de son corps ; s’efforce de soumettre à son pouvoir l’ensemble de la terre par la connaissance et le travail ; rend plus humaine la vie sociale, aussi bien la vie en famille que la vie dans la société civile tout entière, par le progrès des moeurs et des institutions ; exprime, communique et conserve enfin dans ses oeuvres, au cours des temps, les grandes aspirations et expériences spirituelles, afin qu’elles servent au progrès d’un grand nombre, voire de tout le genre humain.
Il s’ensuit que la culture humaine comporte nécessairement un aspect historique et un aspect social, et que le mot culture prend souvent un sens sociologique et même ethnologique. En ce sens, on parle de pluralité des cultures. En effet, de la diversité des manières de se servir des choses, d’effectuer le travail, de s’exprimer, de pratiquer la religion, de régler les moeurs, d’établir une législation et des institutions juridiques, de développer les sciences et les arts, de cultiver le beau, naissent la diversité des conditions de vie commune et la diversité des formes selon lesquelles les valeurs de la vie sont coordonnées entre elles. Ainsi, à partir des institutions héritées se forme un patrimoine propre à chaque communauté humaine. Ainsi se constitue aussi un milieu déterminé et historique dans lequel l’homme est inséré, quelles que soient sa nation ou son époque, et d’où il puise les ressources qui lui permettront de faire progresser la culture humaine et civile.
54 Les conditions de vie de l’homme moderne ont subi de profonds changements au point de vue social et culturel, de sorte que l’on parle, à bon droit, d’un nouvel âge de l’histoire humaine 1. Il en résulte que des voies nouvelles sont ouvertes pour parfaire et étendre plus largement la culture. Elles ont été préparées par l’essor considérable des sciences naturelles et humaines comme aussi des sciences sociales, par le développement des techniques et les progrès dans la mise au point et la bonne organisation des moyens grâce auxquels les hommes communiquent entre eux. La culture d’aujourd’hui a donc les traits caractéristiques suivants : les sciences dites exactes développent au plus haut point le sens critique ; les recherches les plus récentes de la psychologie expliquent plus à fond l’activité humaine ; les disciplines historiques contribuent fortement à considérer les choses sous l’aspect du changement et de l’évolution ; les coutumes et les moeurs deviennent de plus en plus uniformes ; l’industrialisation, l’urbanisai ion et les autres causes qui font se développer la vie communautaire créent de nouvelles lormes de culture (culture de masse) qui donnent naissance à de nouvelles façons de sentir, d’agir et d’utiliser ses loisirs ; en même temps, l’accroissement des relations entre les divers peuples et groupes sociaux ouvre plus largement, à tous et à chacun, l’accès aux trésors des diverses formes de culture, et ainsi se prépare peu à peu une forme plus universelle de la culture humaine, qui fait progresser l’unité du genre humain et l’exprime d’autant plus qu’elle respecte mieux les particularités des diverses cultures.
1 Cf. Exposé préliminaire de cette constitution, n° 4 et 10 (voir p. 508-518).
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