Discours 1982 - Vendredi, 10 décembre 1982
Chers Frères dans l’épiscopat,
1. C’est une grande joie pour moi de pouvoir enfin vous recevoir! Vos diocèses du Centre-Est ont chacun leur personnalité, leurs richesses culturelles et spirituelles, leur passé chrétien prestigieux. J’ai bien noté aussi, dans vos rapports, les différents problèmes humains et spirituels qui se posent. Je sais le dynamisme et l’espérance qui vous animent, vous et vos diocésains, pour mettre en oeuvre les initiatives courageuses et méthodiques nécessaires, dans les domaines de la mission intérieure et extérieure, de l’action sociale, de la catéchèse, de la théologie, de l’apostolat des laïcs, de l’oecuménisme. Je vous entretiendrai seulement de deux préoccupations parmi celles que vous avez désignées come prioritaires et dont j’ai encore très peu parlé à vos confrères des autres régions: la formation au ministère presbytéral dans les séminaires, et l’apostolat dans le monde ouvrier.
2. Dans la plupart de mes rencontres avec les évêques de France, j’ai perçu la gravité de la question que pose la diminution considérable du nombre de séminaristes et de prêtres depuis trente ans. Ça et là, de fraîche date, une certaine reprise semble se confirmer, et je veux partager votre espérance. Mais le problème demeure. La conséquence la plus visible a été la fermeture ou la reconversion de beaucoup de maisons et leur regroupement en séminaires interdiocésains, à charge, pour chacun des évêques concernés, de veiller, avec cohérence et autorité, au fonctionnement de ces institutions. Vous pouviez difficilement faire autrement. Un minimum d’effectif est en effet nécessaire si l’on veut offrir aux candidats les chances d’une bonne formation et d’abord un nombre suffisant de professeurs et d’animateurs stables et qualifiés, choisis avec soin. Et les séminaires interdiocésains, bien équipés, favorisent en principe le dépassement des particularismes, l’élargissement culturel, l’ouverture missionnaire.
Mais les inconvénients de cette nécessaire réforme vous sont apparus de plus en plus nettement. D’abord, dans les diocèses privés de leur séminaire, la disparition de cette institution a souvent eu des effets négatifs pour l’éveil et l’accueil des vocations sacerdotales. Plus largement, c’est parfois toute la formation théologique permanente qui en a été affectée. Vous avez constaté aussi que, dans bien des maisons interdiocésaines, la vie communautaire et spirituelle risquait de perdre peu à peu sa consistance. Or, il est important que les séminaires soient des lieux de vraie fraternité chrétienne, de vraie “koinonia”, s’exprimant et s’affermissant dans le partage amical, l’écoute mutuelle, l’attention commune à la Parole de Dieu, la prière liturgique, l’office et par-dessus tout la célébration de l’Eucharistie, source et sommet de toute la vie du séminaire comme de toute la vie apostolique. Bien des jeunes candidats au ministère presbytéral ressentent et attendent que soit pris davantage en compte ce besoin de fraternité et de prière.
3. Il est nécessaire également que les décisions que vous avez prises en adoptant la “Ratio studiorum” en 1978 soient bien appliquées partout dans leur lettre comme dans leur esprit. Les programmes des études, leur durée, la répartition des matières, la méthode d’enseignement doivent favoriser la formation intellectuelle à la fois solide et vivante dont les prêtres ont aujourd’hui besoin plus que jamais. Je ne parle pas spécialement ici des autres éléments ou expériences qui, employés judicieusement et sous le contrôle de l’équipe de formation, doivent aider la maturation humaine authentique, et en particulier la préparation pastorale au ministère sacerdotal. Vous en êtes bien convaincus et vous savez aussi combien ces aspects doivent s’intégrer harmonieusement avec les approfondissements spirituels, philosophiques et théologiques qui sont la raison d’être des séminaires. Et précisément, j’insiste sur deux points que vous avez vous-mêmes mis en valeur: la philosophie et la théologie. En un temps où la possibilité même d’une métaphysique est l’objet d’une contestation radicale et où une sorte de “flou” impressionniste tend souvent à remplacer la rigueur d’une pensée juste, il est nécessaire que les jeunes qui entrent dans les séminaires découvrent le plus vite possible - tout en l’approfondissant après - ce qui légitime et conditionne l’effort intellectuel qui va leur être demandé pendant six années et tout au long de leur vie. L’approche de Dieu par l’ontologie proprement dite, centrée sur l’intuition de l’être, dans la perspective thomiste, demeure irremplaçable. Pour la théologie, je souligne seulement l’extrême importance de l’attitude à la fois intellectuelle et spirituelle, totale, qui conditionne toute vraie réflexion théologique, comme l’a rappelé avec force la Constitution “Dei Verbum”. La théologie de la Révélation, telle que l’enseigne ce document majeur s’adressant aux exégètes catholiques, aux théologiens et à leurs élèves (Cfr. Dei Verbum DV 23), est vraiment fondamentale. Elle doit être étudiée sérieusement pour elle-même et demeurer comme lumière permanente pour le reste des études.
4. C’est dans cette attention de la foi à la Parole de Dieu que s’unifient en profondeur tout l’enseignement et toute la vie du séminaire. Là encore, comme je le disais pour le climat communautaire et la prière, si de nouveaux progrès étaient accomplis dans ce sens, je crois qu’un nombre plus élevé de candidats - qui semblent en fait nombreux - trouveraient dans vos séminaires ce qu’ils vont parfois chercher dans d’autres institutions. Celles-ci, à certains égards, peuvent leur paraître plus ferventes, ou plus sécurisantes, ou d’une nouveauté plus évangélique, bien qu’elles n’aient pas toujours un lien ferme avec les diocèses ni avec un Institut religieux dûment approuvé et ayant fait ses preuves, ou qu’elles demeurent des initiatives en recherche. Il y a aussi le cas de ceux qui semblent vouloir se passer des exigences d’une vie de séminaire, pensant demander l’ordination sacerdotale après des études théologiques faites pour leur propre compte, comme des étudiants ordinaires. Et pourtant, l’apprentissage le la vie sacerdotale requiert la longue expérience que nous venons de décrire dans un séminaire, comme l’appel aux ordres sacrés requiert le jugement porté par l’équipe éducative des directeurs, au nom de l’évêque. Et plutôt que de laisser se créer de multiples fondations au gré des goûts de chacun, il convient de rendre vos séminaires diocésains à la fois très accueillants aux divers tempéraments, aux différents types de vocation, et d’y maintenir toujours la formation spirituelle, théologique et pastorale à la hauteur des exigences de l’Eglise et des aspirations de la plupart des jeunes. Mes encouragements à tous ceux qui y travaillent!
5. J’aborde maintenant un tout autre sujet pastoral: l’évangélisation de ceux qui, dans votre pays, se sentent souvent loin de l’Eglise, et en particulier du monde ouvrier.
En votre région, le monde ouvrier représente une réalité importante, dans les grandes cités industrielles, les bassins miniers, les barrages, les stations de tourisme, en certains bourgs. Vous avez souvent, les uns ou les autres, analysé la question ouvrière; je l’ai abordée moi-même à bien des reprises, dans les pays que j’ai visités, et je vous ai livré ma réflexion dans l’encyclique “Laborem Exercens” sur les problèmes de fond et sur le sort concret des travailleurs, notamment de ceux atteints par le chômage (Cfr, Ioannis Pauli PP. II Laborem Exercens LE 7 LE 8 LE 18).
En ce qui concerne l’évangélisation, depuis un demi-siècle, selon l’intuition du Cardinal Cardijn et les orientations de Pie XI, s’est poursuivi, dans votre région comme dans toute la France, un effort persévérant pour rendre l’Eglise présente dans le monde ouvrier et pour permettre au monde ouvrier de s’exprimer dans l’Eglise. Vous désirez maintenir, entre autre, ce type de présence missionnaire que représente l’Action catholique pour les jeunes et les adultes du monde ouvrier. Par ailleurs, vous avez permis qu’aux laïcs chrétiens soient adjoints des prêtres au travail, séculiers et réguliers - qui doivent, dans leur ministère difficile, demeurer liés aux évêques et au presbyterium - ainsi que des religieuses. Et vous êtes soucieux aussi de l’éveil et de la formation des jeunes ouvriers qui s’orientent vers le ministère sacerdotal. Vous venez d’amorcer, à Lourdes, une réflexion nouvelle et, me semble-t-il, très opportune, sur “la mission en monde ouvrier”.
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions, ne s’avère-t-il pas déjà qu’une brèche a été faite dans ce “mur de séparation” dont parlait, pour la France, le Cardinal Suhard, entre l’Eglise et le monde ouvrier? Je me réjouis de relever avec vous les signes, fragiles encore mais porteurs d’espérance, d’une certaine visibilité de l’Eglise dans le monde ouvrier. Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier que, dans un pays où quatre-vingt pour cent de la population est baptisée et se déclare catholique, il y a des terrains de rencontre entre l’Eglise et le monde ouvrier lorsque des jeunes et des familles s’adressent aux institutions ecclésiales, en particulier aux paroisses, à l’occasion des grandes étapes de l’existence. Ces démarches ressortissent peut-être souvent à la religion populaire dont je parlais dans un autre contexte à vos confrères de la région du Midi; c’est dire l’importance d’une pastorale catéchétique et sacramentelle qui tienne compte de la vie de ces personnes et de leur milieu sans oublier que nous recevons de Jésus-Christ, en Eglise, la Révélation et les sacrements.
6. Vous désirez à juste titre que l’évangélisation aille jusqu’à “convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs”, comme disait l’exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi” (Pauli VI Evangelii Nuntiandi EN 18 cfr. etiam 19). Elle exige de ses artisans d’être à la fois solidaires des hommes, en dialogue avec eux, et témoins de l’Absolu de Dieu. Alors ils sont capables d’opérer un discernement évangélique pour que “les germes de bien” inscrits dans le coeur et la pensée des hommes soient accueillis, purifiés, élevés, achevés pour la Gloire de Dieu (Cfr. Lumen Gentium LG 17). Toujours difficile, l’évangélisation l’est à un titre particulier dans le monde ouvrier, encore que vous ayez signalé dans votre rapport régional que d’autres milieux sont aujourd’hui moins réceptifs encore au Message évangélique notamment les milieux universitaires, ceux de la recherche scientifique et technologique, le monde de la santé et des travailleurs sociaux, ou celui des agents de la “culture moderne”.
Dans le monde ouvrier, les chrétiens peuvent prendre appui sur des valeurs humaines authentiques, comme le sens de la dignité de l’homme, du travail, de la solidarité et de la justice, la volonté de transformer la société pour la rendre plus fraternelle et plus accueillante aux plus défavorisés. En Europe, ces valeurs humaines ont été introduites dans la civilisation par le christianisme, mais, dans le monde moderne, elles ont été souvent redécouvertes en dehors de l’Eglise, sans elle et parfois contre elle, pour des raisons complexes, tenant sans doute à l’infidélité de certains chrétiens à l’Evangile et aussi au fait que parmi les familles d’esprit qui ont influencé le monde ouvrier, et surtout le mouvement ouvrier, les plus déterminantes ont été des courants marqués par des idéologies athées, notamment le marxisme. C’est la question fondamentale que je posais à Saint-Denis: “A quel titre la lutte pour la justice dans le monde a-t-elle été liée au programme d’une négation radicale de Dieu?”. C’est toujours un défi à relever.
Ceux qui font oeuvre d’évangélisation sont donc amenés, entre autres, à dialoguer avec ceux qui partagent cette idéologie athée. Cela requiert un plus grand effort de discernement pour recevoir leurs vraies questions sur la justice, le partage, l’aspiration à un avenir meilleur, et aussi repérer, faire observer ce qui, dans cette idéologie, s’oppose radicalement, sur des points essentiels, à la foi en Jésus-Christ et à la conception de l’homme, de la société et de l’histoire qui lui est liée. Un tel dialogue en vérité exige donc des chrétiens d’être fortement enracinés dans cette foi en Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme et unique Sauveur, de la nourrir dans la prière et les sacrements, de recevoir de la Tradition vivante de l’Eglise la Révélation qui est à la fois un Message sur Dieu et son dessein de salut en Jésus-Christ et un message sur la vérité de l’homme (Cfr. Gaudium et Spes GS 12. Gaudium et Spes GS 13. Gaudium et Spes GS 24).
Chers Frères, je vous encourage à exercer pleinement votre responsabilité de Pasteurs. Comme “maîtres de la vérité” (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad episcopos, in urbe «Puebla» aperiens III Coetum Generalem Episcoporum Americae Latinae, I, die 28 ian. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II (1979) 190), intensifiez les efforts déjà faits dans les mouvements d’évangélisation du monde ouvrier pour la formation biblique et doctrinale, pour le ressourcement spirituel grâce à des retraites et récollections. Comme serviteurs de la communion ecclésiale, signes et bâtisseurs de l’unité en Jésus-Christ, veillez à ce que l’évangélisation spécifique du monde ouvrier évite l’écueil d’une “Eglise en classe ouvrière”, mais permette aux chrétiens du monde ouvrier et aux organisations de la Mission ouvrière de participer, avec leurs richesses et dans le respect mutuel des différences, à l’Eglise diocésaine “liée à son Pasteur et par lui rassemblée dans le Saint-Esprit grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie” (Christus Dominus CD 11).
7. Sur chacun de vous, sur tous les ouvriers apostoliques qui travaillent avec vous dans les divers secteurs de l’évangélisation, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, j’invoque la lumière et la force de l’Esprit Saint.
Ma bénédiction s’étend à tout le peuple de Dieu qui vous est confié, y compris les nombreux travailleurs immigrés que vous accueillez dans vos communautés chrétiennes. A ce propos, vous m’avez apporté le témoignage d’attachement de mes compatriotes: je vous charge de leur exprimer ma gratitude, mon salut cordial et mes encouragements à vivre dans la fidélité à leur foi et dans la fraternité.
Que Dieu Tout-Puissant, qui est Amour, vous bénisse, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
1. Soyez les bienvenus! Oui, bienvenue à vous tous qui avez reçu le prix Nobel pour la Paix ou qui représentez des organisations auxquelles a été décerné cet honneur. Vous êtes tous chaleureusement accueillis dans cette maison où la paix est l’une des sollicitudes constantes et primordiales de notre prière et de notre travail. Dans cette optique, je désire féliciter chacun d’entre vous pour la contribution que vous avez-déjà apportée à la cause de la paix et, dans le même temps, vous encourager à ne jamais vous lasser de poursuivre cette cause de la paix entre peuples et nations, qui suppose aussi que les droits fondamentaux de l’homme soient respectés.
Vous venez ici après vous être réunis à Rome et aussi à Assise, la terre natale de saint François, cet ami et promoteur de la paix et de la fraternité. François savait que le don de la paix est un don merveilleux de Dieu, et par là même un don transcendant. Il a passé sa vie à rendre grâce au Tout-Puissant et à en témoigner partout, en amenant les hommes et les cités à faire la paix. Pour lui, l’Evangile de Jésus était la charte de la paix; il voyait dans le prochain le visage du Christ et c’est ce qui lui donnait tant d’amour et de force.
Fondamentalement, la paix, celle qui dure, est une paix bâtie sur des valeurs transcendantes, sur les valeurs du bien moral, celles qui promeuvent le bien-être de l’humanité et donc celles qui supposent l’orientation vers l’absolu de Dieu, source et garantie de la paix. Et cette paix-là se manifestera, dans le respect de la dignité humaine, en bonheur, harmonie, concorde, bien-être, sécurité et fraternité entre les peuples et les nations (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Nuntius scripto datus ob diem mensis ianuarii anni MCMLXXXII, paci inter nationes fovendae dicatum, 4, die 8 dec. 1981: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IV, 2 (1981) 1185 s.).
2. Nous savons cependant que si la paix s’inspire fondamentalement des valeurs transcendantes, ces valeurs ne peuvent devenir vie que si des hommes y consacrent leur travail et collaborent entre eux pour le faire. C’est pourquoi la paix est en fait un don de Dieu qui nous est confié à tous, un don que nous devons faire nôtre par les buts que nous nous fixons et en réalisant les projets personnels et collectifs que nous établissons à cette fin. C’est là, en d’autres termes, reconnaître que les valeurs transcendantes ont besoin de médiation dans le monde, et nous avons à en être les médiateurs. Un tel engagement suppose l’amour de l’homme, la lucidité et beaucoup de courage, parfois même la patience de supporter incompréhension, épreuves et persécution.
La médiation de ces valeurs prendra des formes nombreuses et diverses; elle suppose une profusion de projets variés. Il n’y a pas de manière unique de réaliser concrètement la paix. Il n’y a pas d’ordre préétabli qui garantisse la paix. La médiation du travail des hommes pour la paix revêtira donc bien des aspects, à tous les niveaux de l’existence humaine. J’en ai l’évidence en regardant autour de moi aujourd’hui: car certains d’entre vous se sont engagés activement dans la politique pour construire la paix; d’autres parmi nous se sont consacrés aux stratégies qui visent à améliorer les conditions humaines de l’existence ou à aider ceux qui souffrent et sont dans la détresse. Toutes ces tâches sont nobles, et il n’en est pas une qui ait une priorité absolue sur les autres dans la mesure où elles sont toutes réellement oeuvre de médiation, dans la condition humaine, des valeurs qui incarnent l’idéal transcendant d’une paix durable pour toute l’humanité et donc d’une paix juste. Cela nous demande à tous de transformer la réalité au moyen de projets concrets qui donneront corps à notre idéal.
3. Notre engagement dans cette tâche, en soulageant les souffrances, en aidant à résoudre les litiges, ou en contribuant à établir des structures qui garantissent et renforcent la paix, affine dans nos propres vies notre sensibilité aux exigences de la vie humaine, aujourd’hui et pour l’avenir. Ces tâches concrètes nous font découvrir à chacun d’entre nous, plus profondément, des possibilités qui n’étaient qu’implicites au début de notre engagement, en même temps qu’elles nous aident à placer notre travail dans l’horizon plus large de l’effort commun.
“Notre avenir est dans les mains de Dieu qui, seul, donne la véritable paix” (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Nuntius scripto datus ob diem mensis ianuarii anni MCMLXXXII, paci inter nationes fovendae dicatum, 13, die 8 dec. 1981: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IV, 2 (1981) 1197). Gardant cette certitude à l’esprit, puis-je conclure en vous encourageant tous à poursuivre votre noble tâche d’artisans de paix, à continuer d’offrir au monde des projets nés de vos talents et de vos responsabilités pour le bien de la race humaine, à trouver dans les réalisations de votre travail les moyens d’affirmer les buts les plus profonds de vos propres vies au service de la paix, de la fraternité, du bien profond des hommes.
4. Je suis heureux de saluer avec vous les membres du Conseil exécutif du Comité national italien pour les manifestations du huitième centenaire de la naissance de saint François: ce sont eux qui ont pris cette initiative de vous inviter à Assise et à Rome. Cette année a été riche de rencontres, de prière, de témoignages, de réflexions, de collaboration, qui manifestent le rayonnement inouï et très actuel de l’exemple du Poverello d’Assise, le témoin si transparent de l’amour évangélique pour tout frère humain. Je m’en réjouis, et je félicite tous les promoteurs. Cet ultime rassemblement des Prix Nobel de la Paix et la réflexion qui en a été le fruit en témoignent éloquemment. Merci à tous.
Dans le même esprit qui animait saint François et a été celui de mes prédécesseurs en ce Siège Apostolique, je vous adresse à chacun et à vos familles mes souhaits les plus chaleureux et je prie Dieu de vous combler de ses Bénédictions.
Chers Frères dans l’Episcopat,
1. Avec votre groupe s’achève la visite “ad limina” des Evêques de France. Comme vos confrères, vous avez fait de cette semaine un temps fort de votre communion avec le Siège Apostolique: prière, concélébrations, échanges avec chacun des Dicastères - auxquels vous avez soumis loyalement vos problèmes pastoraux -, rencontres prolongées avec le successeur de Pierre. Dans mes allocutions, il n’a évidemment pas été possible de traiter tous les thèmes qui intéressent votre responsabilité d’évêques, mais seulement quelques-uns qui semblaient plus importants actuellement ou plus complexes. En vérité, j’ai voulu vous aider à discerner et à promouvoir l’essentiel. Par exemple, je regrette de n’avoir pas pu développer ce qui concerne la vie familiale - mais j’en parle souvent par ailleurs -; ou la vie religieuse, ou l’élan missionnaire.
Là-dessus, vous savez bien ma conviction: la contribution des religieux et des religieuses est indispensable à l’Eglise, non seulement pour la coopération de mieux en mieux intégrée que ces Frères et Soeurs, plus disponibles, apportent aux multiples tâches de l’évangélisation, mais parce que leur état religieux est en soi un témoignage hors pair de l’amour de Jésus et des béatitudes, et rappelle à tous les autres chrétiens qu’ils sont appelés eux aussi à la perfection chrétienne, selon leur état de vie. Quant aux monastères de contemplatifs, d’hommes et de femmes, ils jouent, comme dirait sainte Thérèse de Lisieux, le rôle du “coeur” dans le grand Corps de l’Eglise. Je vous demande donc de transmettre à ces communautés de religieux et de religieuses, et à toutes les personnes consacrées, l’assurance de ma communion invisible et ma particulière bénédiction. Gardez un vif souci de faire apporter à ces Instituts le soutien nécessaire, et de veiller, avec sympathie et discernement, aux essais de fondations nouvelles en recherche d’un statut.
Je voudrais encourager aussi votre pays à continuer et à renouveler, sous les formes aujourd’hui opportunes, le grand élan missionnaire vers les pays du Tiers-Monde, qui a été si vif en France jusqu’à des temps récents: aucune Eglise particulière ne peut vivre repliée sur elle-même, même si elle s’estime devenue pauvre en moyens apostoliques. Le souci des autres Eglises, le don et l’échange, sont des tests de vigueur et ouvrent de nouveaux chemins de vitalité.
Pour ce qui concerne plus spécialement votre région de culture occitane ou catalane, qui a sa personnalité propre à épanouir, j’ai bien noté vos inquiétudes et vos espérances, par exemple les problèmes de la dispersion des chrétiens, de la visibilité de l’Eglise, de l’isolement des prêtres, de la foi des jeunes, du langage apte à toucher l’opinion publique... Aujourd’hui, sans oublier les autres efforts à promouvoir - pour accroître en particulier la responsabilité et la collaboration des forces vives, prêtres, diacres permanents, religieux et laïcs, au niveau des tâches pastorales et de l’engagement concret des chrétiens -, j’insiste sur deux orientations fondamentales: vous venez vous-mêmes de les évoquer en disant que “les chrétiens ressentent la nécessité d’une solide formation doctrinale et d’une profonde vie spirituelle”.
2. L’annonce de la Bonne Nouvelle à tous les milieux constitue de manière incontestable la mission première de l’Eglise et donc des évêques. L’urgence en est d’autant plus grande que la “sécularisation” gagne la société: les valeurs chrétiennes pénètrent peu les mentalités et les choix concrets, et, même là où certaines valeurs sont appréciées et en partie vécues au plan humain, elles ne sont plus, chez les baptisés eux-mêmes, suffisamment reliées à la foi en un Dieu personnel, au Dieu de Jésus-Christ, au mystère de son salut. La culture ambiante en témoigne: il y a souvent indifférence au Dieu vivant, et matérialisme pratique au niveau des moeurs.
Mais comme le prouvent le Nouveau Testament et toute la Tradition, l’annonce de la foi est inséparable de la réflexion de l’Eglise sur la Révélation qui lui a été confiée et d’un dialogue avec la culture de chaque époque. De là est née et s’est développée ce qu’on appelle la théologie. La démarche théologique, pour une part contemplative, est indispensable a l’évangélisation. Comme dans toutes les crises de civilisation, sa tâche est rude aujourd’hui. Elle réclame des pionniers, prêts à s’y consacrer tout entiers, avec l’esprit de foi, la fidélité confiante au Magistère et le courage qui caractérisent d’autres grands services ecclésiaux. L’Eglise qui est en France possède à ce sujet des traditions riches et bien connues. Il vous appartient, à vous évêques, de veiller à la relève des générations. Les temps qui viennent verront se développer une culture profane prodigieuse, qui ne manquera pas de mettre encore davantage l’Evangile en cause. Une simple spontanéité apostolique, fût-elle la plus généreuse, réduite à une sorte d’empirisme, pourra moins que jamais assurer à elle seule l’annonce de la Parole de Dieu.
3. Une triple tâche qui, je le sais, ne vous échappe pas, s’impose actuellement à tout épiscopat en ce domaine. Tout d’abord stimuler l’ensemble des prêtres à une formation théologique et ministérielle continue et de plus en plus avertie. Ensuite, procurer à nombre de laïcs qui le demandent ou qui s’engagent dans l’Eglise les moyens adaptés d’une intelligence réfléchie de la foi; vous avez cité à ce sujet plusieurs initiatives intéressantes. Enfin - et cela est peut-être plus difficile vu la rareté des vocations dont j’ai parlé ailleurs - appeler, parmi vos prêtres encore jeunes, ceux qui sont aptes à devenir des théologiens dans l’Eglise. Moins il y a de prêtres, plus la parole de chacun deux doit être éclairée et éclairante, capable, en un temps obscurci, de répondre, au nom de l’Eglise, à l’attente d’un grand nombre. Comment sera-ce possible sans théologiens qualifiés, disons même avec trop peu de théologiens de métier et de chercheurs? Comme il l’a déjà fait, votre Institut catholique de Toulouse - avec son séminaire universitaire - à l’instar de ceux de Paris, de Lyon, de Lille, d’Angers, est là pour les préparer d’abord et les accueillir ensuite comme maîtres de doctrine. Rarement il a été aussi indispensable de répartir nos projets et nos ressources, non seulement pour maintenir, mais pour élever le niveau de la culture chrétienne dans l’Eglise.
4. La France garde l’empreinte de son baptême et doit s’en souvenir, comme je le disais au Bourget. Cependant, quand on relève aujourd’hui, dans votre pays comme ailleurs, les attitudes nouvelles qui se répandent, ainsi que la problématique qu’elles impliquent, il est facile d’y reconnaître cet écheveau spécifique de la raison et de la déraison, de propos consolateurs et d’angoisses qui constituaient le paganisme au temps où le christianisme est apparu. Qu’il s’agisse de la naissance, du respect de la vie, de l’amour, de la souffrance ou de la mort, ce sont des défis et des argumentations apparemment identiques, voire le même cynisme, mais aussi le même besoin incoercible de vérité et de salut. Le siècle qui approche ne peut qu’être celui des options majeures et des témoins vigoureux. Comment ne pas évoquer ici Jacques Maritain, qui a vécu chez vous ses dernières années et dont on célèbre actuellement le centenaire? Il faudrait que la tâche théologique et apostolique qui attend l’Eglise suscite, dans les nouvelles générations, l’enthousiasme qui prélude à une nouvelle avancée de la foi.
5. J’en viens à un aspect complémentaire: la forte recherche spirituelle qui se fait jour chez nombre de chrétiens. Ici je parle plus explicitement du renouveau spirituel, mais je pense aussi aux nombreux groupes de prière, aux communautés variées, aux sessions et rassemblements consacrés à la prière, aux retraites qui se multiplient dans les monastères et autres lieux d’accueil spirituel, aux pèlerinages rénovés et encore à la redécouverte de l’oraison. Si tout cela demande accompagnement et vigilance, c’est avant tout une grâce qui vient à point pour sanctifier l’Eglise. Nous ne devons pas en être surpris: “L’Esprit habite dans l’Eglise et dans les coeurs des fidèles comme dans un Temple, il prie en eux... C’est lui qui rajeunit l’Eglise et la renouvelle sans cesse” Lumen Gentium, 4). C’est l’Esprit qui aujourd’hui travaille l’Eglise par ces courants spirituels dont nous découvrons l’existence avec reconnaissance. A travers ces courants se manifeste un goût renouvelé pour la prière, une prière qui est à la fois personnelle et communautaire, louange et intercession, qui se veut contemplation et source d’évangélisation. Oui, l’Esprit est à l’oeuvre dans ces manifestations, pourvu qu’elles soient fondées sur la Parole de Dieu, alimentées aux sources sacramentelles, enracinées dans l’Eglise.
6. Personne ne peut d’ailleurs s’approprier exclusivement l’héritage spirituel qui appartient à l’Eglise entière. Si l’action de l’Esprit se manifeste par l’apparition de groupes et même de communautés de fidèles, on lui doit aussi la générosité avec laquelle des chrétiens de plus en plus nombreux s’engagent, par amour du Seigneur, avec esprit de foi et de prière, pour faire oeuvre d’Eglise dans les différents services: animation liturgique, catéchèse, mouvements chrétiens, oeuvres caritatives, dans le cadre de la paroisse, du diocèse, et plus largement. “Il demeure... important de prendre conscience de la complémentarité et d’établir des liens... non seulement une estime mutuelle, un dialogue, mais une certaine concertation et même une réelle collaboration”, comme je le disais aux laïcs à Paris (Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad laicos Lutetiae Parisiorum habita, 2, die 31 maii 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 1573).
7. L’existence du renouveau spirituel interpelle les communautés de croyants, notamment sur la nécessité et la qualité de leur ressourcement chrétien. Et l’Eglise, dont ils font partie, interpelle à son tour ceux qui se réclament plus particulièrement de ce renouveau. Car il ne faudrait pas qu’aux courants dont nous admirons la vitalité se mêlent des eaux venues d’autres sources. Par exemple une certaine défiance par rapport à la doctrine risquerait de donner une trop grande place au sentiment: on ferait alors une confusion préjudiciable entre émotion et expérience spirituelle. Le désir d’une immédiate efficacité, comme d’un certain merveilleux, peut également faire oublier les lentes et silencieuses maturations de la Parole de Dieu au coeur du croyant. S’il arrive que l’Esprit fasse parfois irruption de façon apparemment soudaine dans la vie d’un homme ou d’une femme, entraînant la conversion, il ne faut pas négliger pour autant les préparations proches ou lointaines dont l’Esprit se sert en général, et auxquelles c’est un devoir de coopérer. La foi compte avec le temps.
8. Bref, toutes ces choses révèlent du discernement des esprits. Il faut retenir la règle d’or formulée par l’Apôtre Paul: “A chacun, la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun” (1Co 12,7). C’est donc à vous, en premier lieu, qu’il appartient de voir comment favoriser au mieux la signification qui doit être donnée au renouveau spirituel, de lui assurer, comme je disais moi-même, “un modèle de croissance et de développement pleinement ouvert à toutes les richesses de l’amour de Dieu dans son Eglise” (Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad eos qui Conventui consociationis «Rinnovamento Carismatico» interfuere habita, 3, die 7 maii 1981: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IV, 1 (1981) 1125). Autour de vous qui êtes responsables de l’unité, chacun à sa place doit faire oeuvre de discernement. Il revient notamment aux prêtres d’être les garants du caractère ecclésial de tout groupe de fidèles. Qu’ils portent à cet aspect de leur responsabilité une grande attention. Qu’ils assurent volontiers le ministère sacramentel dans les groupes, communautés, rassemblements qui le leur demandent en lien avec vous. Qu’ils veillent à ce qu’aucune confusion ne naisse de leur présence: autre est leur rôle d’animateurs du renouveau. Que les religieux et religieuses qui y adhèrent ne relâchent en rien les liens avec leur Institut, ni l’obéissance envers leur Supérieur légitime. Veillons enfin à garder aux mots le sens qu’ils ont dans le langage de l’Eglise: le vocabulaire de la vie religieuse ne correspond pas toujours à ces nouvelles formes de regroupements qui cherchent encore leur identité canonique.
Ayant réaffirmé ces exigences, réjouissons-nous de constater que la prière reprend sa place capitale dans l’Eglise. Sans le recours à l’Esprit Saint - qui est précisément l’âme de l’Eglise -, comment celle-ci pourrait-elle déployer son dynamisme et sa prudence apostoliques? Ceci ne diminue en rien la tâche théologique dont je parlais: les deux doivent aller de pair.
9. En vous parlant, j’avais aussi présent à l’esprit le centre par excellence des rassemblements ecclésiaux: Lourdes, haut lieu de prière et de conversion, pour votre région et pour tant de pays! Je remercie le Seigneur pour le rayonnement qu’a connu le Congrès eucharistique international. Lourdes demeure une source étonnante de grâce, à laquelle j’aspire moi-même à puiser. Que Notre-Dame de Lourdes soutienne le zèle des évêques français, afin qu’ils accomplissent dans leurs diocèses cette tâche de ressourcement spirituel pour tout le peuple de Dieu, tâche que le bienheureux Alain de Solminihac réalisa si bien en son temps, au diocèse de Cahors! Et, par Marie, Mère de l’Eglise, que l’Esprit Saint fasse retrouver toujours davantage aux chrétiens de France la joie et le dynamisme de la grâce de leur baptême!
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit!
Discours 1982 - Vendredi, 10 décembre 1982