Discours 1987 - Jeudi 22 janvier 1987
Chers Frères dans l’épiscopat.
1. Je suis heureux de vous accueillir au moment où vous faites le bilan de votre charge pastorale et où vous confiez vos préoccupations et votre espérance aux Apôtres fondateurs, assurés de trouver en leur témoignage une inspiration, en leur intercession un appui. Soyez les bienvenus.
Votre région bénéfice de richesses historiques et religieuses remarquables, dans une diversité que soulignent votre situation frontalière au coeur de l’Europe, et aussi le statut concordataire qui subsiste en deux de vos diocèses. Au milieu des difficultés d’aujourd’hui, l’Eglise est provoquée à raviver les dynamismes encore bien présents dans des communautés qui ont beaucoup donné de par le monde; je pense en particulier aux missionnaires nombreux, aux religieux et religieuses partis au loin, avec lesquels vous restez liés et que vous soutenez généreusement.
Vos rapports, comme ce que vient de dire le Président de votre région apostolique, marquent bien les forces vives du corps ecclésial en même temps que les fléchissements qui s’accusent. Les épreuves économiques affectent, parfois très durement, de vastes secteurs; elles entraînent certains découragements, des replis sur la vie privée; en même temps apparaissent des dégradations de la vie morale, une croissance de l’indifférence religieuse, accentuées par un ensemble d’influences que je n’analyserai pas ici. Ceci rend d’autant plus urgente la rénovation de tout le tissu ecclésial, comme vous le relevez. Je souhaite vivement que le bilan fait aujourd’hui avec lucidité vous conduise non pas au pessimisme, mais à la poursuite de votre action avec la force de l’espérance “ qui ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné ” (Rm 5,5).
2. Parmi les sujets qui retiennent notre attention, je voudrais réfléchir avec vous aujourd’hui sur la communauté ecclésiale locale, sur la paroisse.Il est d’autres pôles de rassemblement légitimement spécialisés. Mais la paroisse garde une place primordiale dans la structuration de l’Eglise particulière. Tous les baptisés y sont liés, même si d’autres groupes ou mouvements assurent des missions indispensables. Plusieurs d’entre vous réagissent à une certaine mésestime de la paroisse, attitude heureusement moins répandue aujourd’hui.
Il est vrai que des changements considérables sont intervenus. Les paroisses sont très nombreuses dans vos régions; beaucoup d’entre elles ont vu leur population réduite et vieillie; à la baisse de la pratique religieuse s’ajoute la raréfaction des prêtres; depuis des années, beaucoup de paroisses demeurent privées de curé résidant. Vous avez été amenés, non sans difficultés et au prix de la participation généreuse de tout le diocèse, à fonder des paroisses dans les villes ou les quartiers nouveaux qui, sans cela, resteraient des déserts spirituels. Et je relève aussi que la plus grande mobilité des personnes, parfois plusieurs fois déracinées au cours de leur vie, oblige les uns et les autres à développer leurs facultés d’adaptation et leurs qualités d’accueil fraternel.
Au milieu de bien des embûches et fréquemment dans une pauvreté profonde, les curés et les vicaires ont su maintenir une réelle vitalité de leurs paroisses, alors qu’ils n’étaient pas toujours soutenus par des collaborations effectives de la part des fidèles. Je voudrais, comme je l’ai fait à Ars, rendre hommage à tous ces prêtres qui assurent un ministère paroissial lourd, souvent dans plusieurs localités, au prix d’une rude solitude pour les uns, dans une exigeante vie d’équipe pour d’autres. Malgré l’âge qui avance et l’inquiétude devant une relève incertaine, ils demeurent des intendants zélés des mystères de Dieu, des prédicateurs inlassables de la Parole de Dieu, des conseillers sages et prudents, des frères qui exercent la miséricorde. Vous leur direz combien le Pape leur est proche et les encourage.
3. La paroisse demeure un lieu naturel où l’Eglise est visible, autour du sanctuaire. Il arrive que l’on présente la paroisse comme une sorte de “ service public ”, conçu pour répondre à la demande religieuse d’une population. Nous savons bien que l’on ne peut reconnaître dans cette présentation la nature profonde d’une communauté ecclésiale locale. Centrée sur la réalité fondamentale de l’Eucharistie, la paroisse a pour première raison d’être la communion dans la foi et dans la vie du Christ de tous les baptisés destinés à former son Corps vivant. Cette communauté paroissiale, regroupée autour d’un membre du presbyterium, vit d’une façon concrète, localement, la réalité de l’Eglise diocésaine constituée autour de chaque évêque.
4. C’est dans sa paroisse que chaque chrétien voit marquées, par les sacrements, les étapes de sa vie. Il y est catéchisé. Au long des jours, le temps est rythmé par la célébration communautaire du cycle liturgique. Dans un ensemble à taille humaine et familier, le don de la réconciliation prend tout son sens. Fraternellement, la souffrance des uns est accompagnée par l’amitié et l’entraide des autres. Et au moment de la mort, c’est encore dans l’église paroissiale que les paroles de l’espérance peuvent être prononcées et un réconfort apporté dans le peine. Il est vrai que l’évolution de la société tend à superposer aux rythmes chrétiens des contraintes différentes; l’organisation du travail et des loisirs provoque des déplacements qui rendent moins cohérente la vie paroissiale. Il ne faudrait pas que cela démobilise les pasteurs et les fidèles: que chacun puisse trouver naturellement sa place dans la communauté d’accueil et y poursuivre ce qu’il a commencé à vivre en un autre lieu. Les paroisses ne sont pas des ensembles fermés, mais des lieux de communion ouverte.
5. Un des caractères les plus précieux de la paroisse, comme vous le soulignez vous-mêmes, c’est la diversité de ceux qui s’y retrouvent. De milieux et de cultures différentes, les hommes et les femmes contribuent, suivant leurs dons, à l’unité. La diversité des générations, l’activité des multiples équipes, des groupes et même des communautés particulières, tout cela ne fait pas obstacle au dynamisme de la paroisse dans son ensemble, mais l’enrichit plutôt, s’il y a une réelle convergence dans l’Eucharistie dominicale. Constituer un vrai signe d’unité dans le monde éclaté de ce temps, c’est une condition pour un témoignage crédible et pour que la foi puisse être transmise.
6. Une communauté ne peut remplir sa mission d’Eglise qu’à la condition que ses membres collaborent en toute clarté. Un de vos rapports diocésains constate que “ prêtres, religieuses et laïcs font l’expérience d’un véritable partenariat dans l’Eglise ”. En reprenant cette formule, je pense en particulier aux conseils pastoraux qui se développent et qui sont déjà nombreux dans certains de vos diocèses. Au fond, leur rôle est d’exprimer et de prolonger ce qui est vécu sacramentellement dans l’assemblée eucharistique. Prêtres et laïcs s’y reconnaissent mutuellement dans leurs vocations spécifiques. En bien de cas, c’est la raréfaction des prêtres qui a conduit les laïcs à assumer plus de responsabilités; mais la raison d’être essentielle de leur collaboration n’est pas une suppléance, elle est une prise en charge commune. Et je sais que souvent cette expérience amène non seulement les laïcs à mettre en oeuvre pleinement ce à quoi les habilite leur baptême, mais aussi à mieux comprendre le caractère du ministère sacerdotal. Réciproquement, dans le dialogue avec des laïcs responsables, le prêtre lui-même vit plus pleinement son sacerdoce et il exerce de manière plus dynamique et plus heureuse sa charge pastorale. Les uns et les autres ne sont pas face à face, mais en communion. Il n’est pas d’édification ecclésiale, il n’est pas de reconnaissance de charges ecclésiales sans une articulation nécessaire au ministère ordonné, grâce auquel les ressources du peuple de Dieu peuvent être mises en oeuvre de manière effective et harmonieuse.
7. Dans plusieurs de vos diocèses, le nombre de prêtres reste relativement élevé. Cependant ils ne sont plus en mesure d’assurer une présence sacerdotale dans toutes les paroisses. Dans d’autres régions de votre pays, ce phénomène est encore plus marqué. Les évêques ont donc été amenés à regrouper ou même à unir des paroisses sous des modalités variées, et les secteurs pastoraux doivent respecter, autant que faire se peut, la permanence de communautés locales mêmes relativement petites. Il importe de trouver l’organisation qui permette aux communautés sans prêtre de vivre, d’y assurer, au rythme qui sera possible, la célébration de l’Eucharistie. Lorsque la communauté est assez consistante, si l’évêque l’estime opportun, une célébration dominicale en l’absence, ou mieux, “ en attente ” du prêtre, garde certaines richesses: elle permet de maintenir, au niveau de la prière, la solidarité chrétienne fondamentale fondée sur le baptême. Je sais que vous avez le souci de ne laisser aucune communauté dans l’isolement. Une telle pastorale suppose que l’on évite toute confusion: l’objectif est toujours l’Eucharistie, condition nécessaire à l’épanouissement de la vie évangélique. Le véritable jeûne auquel sont contraints de nombreux chrétiens par rapport à la messe sera, espérons-le, un motif supplémentaire pour favoriser la pastorale des vocations.
8. Je disais que la paroisse n’est pas le pôle unique de rassemblement des chrétiens; il convient d’ajouter qu’elle ne peut répondre pleinement à sa vocation si elle ne demeure ouverte aux apports d’autres instances, par ses membres, engagés personnellement dans les mouvements, attachés à certains courants spirituels, ou dévoués à des services précis. Je sais que c’est aussi votre préoccupation de développer, dans le cadre diocésain, des institutions complémentaires pour répondre à des besoins qui ne peuvent être satisfaits localement, pour la formation des animateurs liturgiques ou celle des catéchistes, pour le regroupement des jeunes, en ne prenant que quelques exemples.
A un autre point de vue, j’ai noté aussi dans vos rapports que vous favorisez de plus en plus le lien de communautés de taille réduite avec l’ensemble de l’Eglise diocésaine. Les rassemblements festifs ont leur importance, ils permettent à chacun d’éprouver plus concrètement ses liens profonds avec tout le Corps ecclésial. La formation d’un conseil pastoral diocésain contribue notablement à mûrir les initiatives dans une collaboration constructive avec l’évêque (CIC 511). Dans plusieurs cas, l’orientation vers un Synode diocésain a favorisé la mobilisation de beaucoup d’énergies dans une perspective peut-être mieux cordonnée que dans le passé. Les échanges avec d’autres Eglises ont aussi leur importance. La situation de votre région aux frontières de votre pays vous amène, vous le soulignez, à entretenir des relations enrichissantes avec les diocèses des pays voisins et à développer une vocation européenne dont l’aspect spirituel n’est pas le moindre.
9. Avant de conclure, je voudrais évoquer un autre aspect marquant chez vous: vos relations quotidiennes avec les chrétiens appartenant aux communautés ecclésiales issues de la Réforme, particulièrement nombreux en Alsace-Lorraine et dans le Pays de Montbéliard. Le dernier Synode donnait cette orientation: “ La communion entre les catholiques et les autres chrétiens, bien qu’incomplète encore, nous appelle tous à collaborer dans de multiples domaines et rend ainsi possible un certain témoignage commun de l’amour salvifique de Dieu envers le monde qui a besoin de salut ” (Synodi Extraordinariae Episcoporum 1985, Relatio finalis, C, 7).
Ce témoignage, comme aussi bien le dialogue théologique ou pastoral dans les groupes locaux ou à d’autres échelons, ne peuvent porter du fruit que s’ils sont sans cesse vivifiés par l’oecuménisme de la prière et de la conversion du coeur (Ioannis Pauli PP. II, Allocutio in amphitheatro v.d. «des Trois Gaules» in urbe «Lyon» habita, 3-4, die 4 oct. 1986: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IX, 2 (1986) 800ss).
Je voudrais mentionner en particulier les couples où les deux conjoints n’ont pas la même appartenance ecclésiale. C’est un drame pour ces foyers, fondés sur le sacrement de mariage, de ne pas pouvoir nourrir leur vie conjugale en participant ensemble à l’Eucharistie. Portant en eux la souffrance de la séparation entre les chrétiens, ces époux peuvent malgré tout être des témoins de l’espérance de l’unité. Ils ont besoin d’un vrai soutien spirituel et pastoral.
10. Sans entrer dans tous les aspects de la vie ecclésiale de vos diocèses, j’ai voulu souligner quelques objectifs essentiels pour que l’Eglise constitue un signe parlant dans un monde où beaucoup d’hommes et de femmes restent indifférents ou étrangers à la foi. A l’échelon local de la paroisse, comme dans les instances diocésaines, il faut encourager la vocation de tous ceux qui portent témoignage ensemble. Votre ministère épiscopal est consacré à donner les impulsions nécessaires, à coordonner les initiatives, à éclairer ceux qui cherchent à répondre aux exigences de l’Evangile, à célébrer la présence du Christ Sauveur dans son Corps qui est l’Eglise. Dans l’exercice de vos responsabilités à la fois lourdes et exaltantes, vous pouvez compter sur ma sollicitude et sur ma prière. Que Dieu vous bénisse ainsi que vos collaborateurs et tous vos diocésains!
Février 1987
Chers Frères dans l’épiscopat,
1. Je suis sensible à la confiance avec laquelle vous venez partager avec moi vos préoccupations de Pasteurs et vos espoirs. Vous avez relevé, dans votre rapport régional et dans l’adresse de votre Président, les éléments constants à travers la diversité de vos dix diocèses qui s’échelonnent, le long de l’Atlantique, du centre de la France au sud, de Poitiers à Bayonne. Vous parlez de défis difficiles à surmonter et de nouveaux dynamismes, des efforts accomplis pour témoigner de la foi au coeur du monde comme pour animer les communautés chrétiennes. Je fais mienne l’attention spéciale que vous portez aux problèmes de la foi des jeunes, du ministère des prêtres, des vocations. Je vous encourage aussi à former vos chrétiens aux responsabilités, à promouvoir avec eux une nouvelle évangélisation, à unir les forces vives du diocèse dans les instances comme les Synodes, tout en exerçant votre rôle d’accueil, de discernement, en vue de la fidélité et de la communion. Je vous félicite de la collaboration fraternelle que vous avez établie entre vous. Vous éprouvez, dites-vous, un sentiment de pauvreté: je veux croire avec vous qu’il s’agit d’une pauvreté évangélique, tournée vers la croissance que Dieu donnera à vos semailles, et je vous invite, vous aussi, à semer dans l’espérance.
Je ne peux reprendre avec vous tous ces sujets qui rejoignent souvent ceux d’autres régions. J’ai noté, entre autres, ce que vous constatez au sujet des réalités familiales. “ Les problèmes qui se posent au niveau de la famille et du mariage apparaissent parmi les plus urgents et les plus graves par les enjeux qu’ils comportent au plan de la société et de l’Eglise ” (Episcoporum Regionis «sud-ovest» Galliae, Relatio occasione oblata eorum visitationis ad limina, 7). Je voudrais aujourd’hui m’arrêter un peu à la pastorale familiale.Mais auparavant, je pense qu’il est bon de réfléchir à la mission de l’Eglise touchant l’enseignement et la formation des consciences en matière de morale fondamentale et spéciale. C’est bien un domaine clé où se vérifient les défis que vous évoquez: celui de la sécularisation de la culture, celui de l’écart entre l’Evangile et le monde.
2. Comme beaucoup de pays d’occident, le vôtre connaît, au niveau de la morale, des difficultés sérieuses. D’une part, la liberté des moeurs et des idées a provoqué des désarrois et des attitudes de permissivité. D’autre part, la critique acerbe des institutions et de toutes les autorités morales a grevé l’impact de vos moyens d’expression dans l’opinion publique. En 1982, avec vos Confrères de l’Est, j’avais parlé de cette baisse des valeurs morales, qui n’est pas nouvelle, mais qui prend une réelle gravité par suite du manque de convictions, voire de la crise du sens profond de l’existence.
Aujourd’hui, des observateurs parlent d’un certain “retour de la morale”, motivé par la nécessité de règles stables, d’un code commun, devant une décomposition sociale qui inquiète, ou suscité par les questions redoutables que posent certains “ progrès ” de la science. C’est sans doute une chance à saisir. Mais le phénomène, en lui-même, ne suffit pas à fonder une véritable éthique. Certains de nos jeunes contemporains hésitent entre un nihilisme ambiant et des élans de générosité admirables. Il importe d’offrir la possibilité d’une réflexion approfondie pour lever l’ambiguïté des morales de situations qui ne sont que la justification du vécu, et pour déjouer les pièges d’intentions généreuses qui confondent les bons sentiments et le bien réel des hommes.
3. Cette tâche fait partie de notre charge de prédicateurs de la Parole de Dieu, d’éducateurs des consciences, de Pasteurs. Avec vos prêtres, vous avez souvent l’occasion d’exhortations homilétiques et d’interventions en quelques domaines sociaux, ou d’appels aux droits de l’homme. Mais cela ne suffit sans doute pas à une formation structurée des consciences, touchant toutes les implications précises de la morale spéciale et leur intégration dans une vision globale illustrant les fondements de l’éthique.
En enseignant la morale l’Eglise veut servir la dignité de la personne, éveiller la conscience, montrer à l’homme les voies de son épanouissement dans le bien vers lequel il est foncièrement orienté et qui a sa source et sa plénitude en Dieu. Jésus résume la morale dans le commandement de l’amour de Dieu, lié à l’amour du prochain. Il révèle ainsi le caractère théologal de l’amour du prochain. Car, dans le prochain, Dieu lui-même apparaît avec son exigence absolue de respect et de justice, avec son appel à l’amitié donnée et reçue. Aux yeux du chrétien, c’est à ce niveau que se situent les droits de l’homme, inséparables de ses devoirs. Un système éthique sans référence à un Principe transcendant est incapable de créer des valeurs morales absolues; il demeure faible dans la pratique et précaire dans la durée. Et la révélation chrétienne, pour sa part, confère aux normes éthiques une intensité, un sens et une espérance d’accomplissement qui animent toute l’existence.
4. L’amour chrétien qui est à la base de la morale n’est pas un sentiment vague. Il a un contenu précis, traduit par les commandements (Cfr. Jn 14,15 Jn 15,10).
Il importe que nos fidèles comprennent bien l’articulation entre la Loi et la Grâce. Ce sont deux formes de secours que Dieu accorde à l’homme pour atteindre sa En, aimer et vivre son Alliance. La Loi, centrée sur le Décalogue, forme la conscience de l’homme, elle l’humanise, elle l’accorde à sa fin bienheureuse et elle l’ouvre à la grâce, don de l’Esprit Saint. La Loi de l’Esprit nous devient intérieure: par la grâce l’homme est libéré, il peut connaître le vrai bonheur, sur le chemin paradoxal des Béatitudes.
5. Les Pasteurs doivent former les consciences en appelant bien ce qui est bien et mal ce qui est mal. Ils disent la Loi tout en annonçant aussi la grâce et la miséricorde que célèbrent les sacrements de l’Eglise.
L’Esprit de vérité n’a pas été donné aux croyants indépendamment de l’Eglise. C’est pourquoi l’enseignement moral doit être ouvert et docile au Magistère, proposé dans la communion de l’Eglise. Le Concile Vatican II a rappelé la compétence des évêques, unis au successeur de Pierre, en matière de foi mais aussi en matière de moeurs (Lumen Gentium LG 25). Il appartient au Magistère des évêques de veiller sur l’intégrité de la foi et sur la rectitude de l’enseignement et de l’agir en matière morale.
En communion avec eux et avec le successeur de Pierre, le prêtre ou le professeur de morale intégrera dans sa prédication ou son enseignement le Décalogue, les prescriptions évangéliques et les applications développées par la Tradition de l’Eglise. Il rappellera entre autres le respect de la vie dès le premier instant de la conception jusqu’à la mort. Il témoignera de la dignité de l’union conjugale et de la procréation humaine, qui comporte la fidélité des époux et leur engagement à ne devenir père et mère que l’un par l’autre. Il fera voir la beauté de la virginité chrétienne. Il éclairera les multiples tâches liées à la justice et à la paix, au bien commun de toute société. Il mettra en lumière tous les droits de l’homme, il montrera qu’une société ne peut être vraiment humaine sans un amour de préférence pour les petits et les pauvres.
Comme le maître de la parabole (Mt 13,52), il saura tirer de son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles. L’acquis des réflexions anciennes demeure, et peut nous épargner bien des détours onéreux en offrant des outils conceptuels et des instruments d’analyse. Par ailleurs, les problèmes d’aujourd’hui, les interpellations philosophiques modernes stimulent les chrétiens à approfondir leur réflexion éthique, car la démarche philosophique est également nécessaire, outre la lumière de la foi, pour éclairer, à son niveau, les fondements de l’agir pratique.
6. Si une morale fondamentale chrétienne précise et développe le contenu objectif du dessein de Dieu sur l’homme, à travers l’analyse des normes éthiques, on peut dire qu’elle ne cesse pas, pour autant, d’honorer la requête subjective de l’homme. Elle prend en compte son intention. Elle aide l’homme à progresser, non sans ascèse, sur les chemins d’une authentique liberté. Loin de le décharger de sa responsabilité ou de son initiative d’appréciation, elle les renforce. Oui, la morale est un appel à la liberté, en vérité. La dire est un acte prophétique qui dessine le salut de l’homme comme le bonheur en Dieu. Elle est, pour toutes les consciences, l’espérance d’une résurrection, un message de qualité de la vie. Devant nos contemporains, surtout devant ceux qui n’admettent pas d’emblée l’autorité de l’Eglise, il importe non seulement d’exposer la morale, mais d’essayer de convaincre sans démagogie qu’elle sert leur bien profond et celui de la société, sauvegarde leur liberté et promeut leur dignité, dans une ouverture à la transcendance de l’amour de Dieu.
7. Il reste la question pratique, pastorale, d’assurer aujourd’hui cette formation morale. Il vous appartient d’en chercher les modalités: dans la catéchèse des enfants et des jeunes, dans la formation des adultes, les réunions ou les sessions des mouvements, dans les interventions des éducateurs et dans la pédagogie des écoles catholiques. Les séminaristes et les prêtres doivent spécialement étudier les fondements de la morale chrétienne. Et les universités sont appelées à donner un enseignement approfondi de la morale. Enfin, savons-nous suffisamment utiliser les immenses possibilités des médias pour faire connaître et comprendre la doctrine morale de l’Eglise? Ce faisant, nous n’oublions pas que l’influence décisive sera généralement celle du témoignage d’homme à homme, de la part de chrétiens qui incarnent la Bonne Nouvelle comme un appel à mieux vivre.
Il ne s’agit pas pour autant de ramener la foi et la théologie au rôle de garantie d’une morale, comme nous y inviterait facilement un monde moins croyant. La morale est capitale à son niveau comme conséquence logique de la foi. Mais c’est la vie théologale qui est fondamentale.
8. Cette réflexion sur la morale fondamentale et spéciale trouve une application particulière dans le domaine familial. La famille est le creuset où se forge la personnalité des adultes de demain. En elle se joue l’avenir de la société.
Les limites de notre entretien ne me permettent guère de développer ce sujet. L’Eglise a redit l’essentiel de son enseignement dans l’exhortation Familiaris Consortio et dans de multiples interventions récentes du Magistère. J’ai été heureux d’en parler à Paray-le-Monial, en méditant sur l’amour du Coeur du Christ, devant de nombreuses familles chrétiennes. Vous avez vous-même traité de la pastorale familiale au cours de plusieurs de vos Assemblées (notamment à Lourdes EN 1981). Je vous encourage à poursuivre quotidiennement votre action pour le soutien des familles, en prenant appui sur les témoignages positifs de vie familiale.
En réaction peut-être au caractère anonyme de la société et au poids des grands ensembles, la famille apparaît de plus en plus comme le lieu le plus important du bonheur, et l’amour est valorisé comme fondement du couple. Il y a là une certaine chance pour la promotion de la famille mais aussi des ambiguïtés. Comme vous le disiez à Lourdes ne 1981: “ La privatisation de l’amour risque très fort d’être illusion et mort de l’amour ”. Il y a trop souvent refus de la composante sociale et institutionnelle de la sexualité. Surtout on méconnaît les exigences de la morale familiale, on restreint le rôle de la famille dans la société et dans l’Eglise.
Oui, la famille est blessée, chez vous et dans la plupart des pays dits “ développés ”. Les mariages sont brisés par des divorces de plus en plus nombreux. La cohabitation juvénile progresse dangereusement. On se prépare mal au mariage. Le nombre des enfants diminue au point de ne plus assurer le renouvellement des générations dans les couples dont l’amour est sans vie et la vie sans amour. L’avortement est légalisé et banalisé, la stérilité démographique menace.
Le phénomène nouveau, c’est la prétention de justifier cette évolution en théorie: il s’agirait d’inventer un autre type de famille au nom d’un relativisme socioculturel vraiment “ suicidaire ” («La Documentation Catholique», 1982, p. 1059).
9. On ne saurait se contenter de déplorer les malheurs des temps. Vous en avez conscience. Et vous en appelez aux chrétiens, “ sel de la terre ”, pour annoncer la Bonne Nouvelle concernant le mariage et la famille et donner aux hommes, aux femmes et aux jeunes de notre temps le goût de vivre, la joie de l’amour véritable inséparable de la vie (Episcoporum Galliae Epistula: «La Documentation Catholique», 1980, PP 1050-1051). Cette annonce doit se faire sans se laisser intimider par la crainte d’être catalogué.
Les gens n’entendent malheureusement que les “ non ” de l’Eglise. Mais la réponse de Dieu à l’amour humain est un “ oui ” enthousiaste. Il en est la source et le terme véritable. Dieu bénit l’amour humain authentique. Le Créateur l’a voulu. Le Christ Sauveur le transfigure, au point d’en faire le reflet et le sacrement de son Alliance indissoluble avec son Eglise. Les “ non ” que l’Eglise dit clairement sont simplement la contrepartie de ce oui enthousiaste, le refus des contrefaçons de l’amour. Car plus l’amour est grand, plus ses contrefaçons sont redoutables.
10. Dans cette perspective positive, il vous faut poursuivre votre pédagogie selon deux axes.
Vous avez d’abord à soutenir les efforts de tant de chrétiens convaincus qui font de leur famille comme une Eglise domestique, où la prière, l’éducation à la foi et la charité vécue ont une place primordiale, et qui portent témoignage. Vous encouragez tous ceux qui travaillent à la pastorale de la famille, notamment dans divers mouvements - familiaux, spirituels, d’éducation ou de soutien -, en étroite communion avec vous et que vous coordonnez dans vos instances diocésaines et nationales, convaincus de l’influence bénéfique de ces mouvements. Vous cherchez en même temps à aider les jeunes dont la fidélité au sens chrétien de l’amour humain relève presque du témoignage héroïque devant tant de contradictions et d’oppositions. Vous soutenez ceux qui leur apprennent le sens d’une parole donnée et tenue.
11. Mais la Bonne Nouvelle ne peu être réservée aux seuls pratiquants, pas même aux seuls baptisés. Je sais votre souci d’en faire entendre l’écho à l’ensemble des adultes et des jeunes. Certains seraient prêts à taire des exigences essentielles du véritable amour humain et chrétien sous prétexte d’être mieux entendus. D’autres, au contraire, feraient bon marché des étapes de la pédagogie par souci de fidélité. Vous avez la légitime préoccupation de parler pour tous, en respectant une certaine progressivité dans le cheminement, qui n’est pas la gradualité de la foi et qui ne peut être détachée de la volonté sincère d’observer la loi divine de la transmission de la vie (Ioannis Pauli PP. II, Familiaris Consortio FC 9 FC 34 Eiusdem, Homilia in Xystino sacello habita VI exeunte Synodo Episcoporum, 8, die 25 oct. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 2 (1980) 969 s.).
12. Votre tâche est immense tant est grande le décalage entre l’idéal évangélique proposé et les pratiques massivement étrangères à l’Evangile, relayées par des médias tout-puissants et parfois sans retenue.
Il reste que l’excès même des abandons peut préparer chez les meilleurs une sorte de retournement, de conversion; ils ressentent le besoin de mieux respecter la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant. C’est alors que le signe de l’amour transfiguré, vécu humblement par des chrétiens de tout âge et de toute condition, s’élèvera comme un appel et un point de ralliement, rendant aux hommes de notre temps le meilleur d’eux-mêmes et les mettant sur le chemin de la plénitude d’amour et de la vie selon le dessein de Dieu.
Je prie l’Esprit Saint d’accompagner de sa lumière et de sa force toute votre oeuvre doctrinale, éthique et pastorale. Chargé par le Seigneur d’affermir la foi et l’espérance de mes Frères, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction Apostolique, que j’étends à tous vos chers diocésains.
Chers Frères dans l’épiscopat,
1. Votre rapport, à l’analyse très fouillée, comme l’adresse de votre Président de région et les conversations que nous avons eues personnellement, manifestent un regard réaliste sur les difficultés humaines et spirituelles qui se sont aggravées dans vos diocèses, mais aussi une volonté de développer sans cesse les efforts prometteurs qui sont entrepris et que j’encourage: renforcement des institutions de concertation, comme les Conseils pastoraux et presbytéraux; participation plus active des laïcs, et collaboration plus sereine entre prêtres et laïcs, entre mouvements; conscience de l’Eglise avivée par les rassemblements diocésains; soins apportés à la préparation de la liturgie, à la formation des catéchistes, à l’approfondissement de la foi des adultes; volonté d’être présents de façon apostolique partout où s’exercent des influences décisives sur la population (économie, tourisme, médias), et d’accompagner d’une manière catéchuménale ceux qui ont à redécouvrir la foi; charité et sens missionnaire élargis; importance mieux reconnue du renouveau de la prière, de l’accueil de la grâce; lien mieux perçu entre la formation religieuse, la prière et la mission. Vous demeurez très conscients des ombres et des défis: même dans les populations de tradition chrétienne, la désaffection s’est accentuée par rapport à la pratique religieuse et à l’engagement chrétien, avec une tentation de fatalisme ou de repli individualiste, de recherche du bonheur immédiat, de relativisme moral qui aboutit à des choix subjectifs. Vous voulez faire face à ces défis, dans la patience et l’espérance.
Avec vous, je voudrais surtout considérer plusieurs aspects qui reviennent avec insistance dans votre analyse: la pastorale à l’égard de tous les jeunes, l’éducation dans les écoles catholiques, les vocations au sacerdoce.
2. La pastorale des jeunes est, dites-vous, l’un de vos soucis majeurs dans vos diocèses de l’Ouest. Les moins de 25 ans y sont très nombreux et, vu l’allongement du temps de l’adolescence et des études, la plupart ne sont pas encore intégrés aux groupes des adultes. Ce thème avait fait l’objet de votre session régionale en 1984. Je vous encourage dans tous les efforts de contact et de formation que vous déployez pour eux; j’y consacre moi-même une part notable de mon ministère, à Rome et dans les voyages pastoraux.
On constate chez eux un grand désarroi et une inquiétude devant leur avenir, car ils sont plus que d’autres atteints par le chômage. Mais leur malaise a aussi une dimension spirituelle et morale: ils distinguent mal les points de repère éthiques, les fondements de la foi, les raisons de faire confiance à l’Eglise; ils sont devenus rares à l’Eucharistie dominicale. Vous allez jusqu’à dire: “ Ils sont massivement loin de l’Eglise ”. Certains d’entre vous notent combien ceux qui veulent rester fidèles se voient imposer des choix difficiles, devant une organisation de la vie en société qui ne tient pas compte du religieux; parfois ils subissent même l’intolérance, les moqueries de leurs camarades.
Et pourtant, comme je l’ai constaté à Lyon, vous êtes les heureux témoins, dans des rassemblements ou pèlerinages, de la générosité d’un certain nombre de jeunes. Ils veulent se qualifier pour leur avenir. Ils ont soif de vivre du Christ, avec l’Eglise. Ils cherchent comment améliorer la vie de leur entourage et du monde (Interrogationes a iuvenibus in urbe «Lyon» positae, die 5 oct. 1986: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IX, 2 (1986) 850 ss.). Ils sont alors audacieux et exigeants. Ils attendent beaucoup de nous et de tous les adultes.
3. Comment soutenir ces jeunes qui désirent suivre le Christ et s’engager en Eglise? Comment rejoindre les autres, être audible, leur proposer une évangélisation à frais nouveaux?
La pastorale du monde des jeunes a une longue tradition en France: les chrétiens ont fait des efforts considérables pour l’école catholique, pour les patronages, pour les mouvements de jeunes, pour les aumôneries de collèges et lycées, pour la presse des jeunes. II importe de poursuivre et de renouveler de tels efforts, en repensant certains points d’application. Oui, la pastorale de la jeunesse doit rester une priorité. Elle a besoin de moyens accrus en hommes et en femmes, en locaux, en possibilités de formation; elle doit permettre d’assurer une préparation à ceux qui veulent se mettre au service des jeunes, pour comprendre leurs questions et ouvrir l’Evangile à la page qui touche leur coeur.
Il est juste de reconnaître ici une place primordiale à la famille. J’ai parlé à vos Confrères du Sud-Ouest des graves menaces qui pèsent sur elle et de la pastorale à poursuivre en ce domaine. Devant la mentalité et la loi favorables à l’avortement, l’Eglise ne doit pas cesser de défendre la vie de tout être humain dès sa conception, en suscitant tout un mouvement pour la vie. Les diverses associations et initiatives qui y contribuent de façon persuasive et pédagogique méritent d’être fortement soutenues et coordonnées par vos soins. Un peuple généreux pour transmettre la vie aime davantage sa jeunesse. La pastorale familiale s’inscrit dans toute une éducation sur l’amour humain et la procréation selon le dessein de Dieu, avec un enseignement fort et libérateur sur l’affectivité, la sexualité et la famille, qui concerne les adultes et les jeunes. Les foyers ont besoin d’être aidés à élever leurs enfants de façon équilibrée, à faire face aux problèmes difficiles de leurs adolescents, et à les entraîner par le témoignage de leur vie. Les enfants et les jeunes, blessés par des drames familiaux, frustrés d’un véritable modèle de famille chrétienne, requièrent un accompagnement spécial. Je suis heureux de redire tout cela devant le Président de la Commission de pastorale familiale, pour encourager sa mission et les efforts de tous ceux qui y participent courageusement, avec compétence et fidélité à l’Eglise.
4. La pastorale des jeunes suppose de tous leurs accompagnateurs une proximité et une confiance, avec le souci de dire la vérité. D’une part, les jeunes aspirent à être reconnus comme des partenaires, dans un climat de fraternité qui n’empêche pas l’autorité nécessaire. Les récents mouvements d’étudiants et de lycéens ont montré, entre autres, qu’ils rejettent les limitations de leurs choix lorsqu’elles leur paraissent imposées de l’extérieur, sans nécessité ni concertation. Il importe que l’Eglise continue à faire largement confiance aux jeunes et à leur donner les responsabilités qui correspondent à leurs possibilités. Baptisés, confirmés, ils sont déjà l’Eglise d’aujourd’hui. Ils en ont donné le témoignage au stade Gerland.
Mais si les jeunes apprécient la confiance qui leur est donnée, ils n’ont pas moins besoin d’un langage fort, d’une présentation claire et dynamique de la Bonne Nouvelle. Dans un tel climat de vérité, ils en approuvent les exigences qui font appel à leur conscience. La jeunesse est l’âge de la rencontre consciente et voulue avec le Christ. Les éducateurs doivent croire à la puissance de la Parole de Dieu et croire au travail de l’Esprit Saint qui dépasse toute pédagogie.
Je me permets d’attirer votre attention sur un point délicat. Les chrétiens doivent être vigilants à l’égard d’une partie de la presse, certaines bandes dessinées, films, émissions, qui flattent les vices, prônent la violence, la révolte, le désespoir, n’hésitent même pas à ridiculiser les valeurs morales et les signes sacrés, à déformer les paroles de la Bible, à saper les fondements de la foi et la crédibilité de l’Eglise. Malgré les prétextes d’humour, de science-fiction, de respect des non-croyants et des autres cultures, ces méthodes ne sont pas innocentes: elles véhiculent des microbes de mort dont nos jeunes sortiront anémiés, blasés ou découragés. Le Conseil de l’Europe se préoccupe justement d’élaborer une convention européenne sur la protection des jeunes face à de tels médias. Pour notre part, protéger les jeunes consistera à revendiquer pour eux le respect de la foi et de la culture chrétienne, à leur montrer les manipulations dont ils sont l’objet, mais surtout à leur proposer, de façon directe, intégrale et audible, la vérité de l’Evangile et les réponses pertinentes de l’Eglise aux grandes questions de l’homme. Pour cela, il est souhaitable que les chrétiens apprennent à investir encore davantage dans les médias, pour exposer ce qui concerne la religion, la foi, la vie, le beau, le bien. Dans une société aux mutations rapides et aux tentations multiples, les jeunes doivent être préparés à faire les choix qui correspondent à la foi.
5. Je ne peux qu’énumérer tous les autres “ lieux ” de formation que vous promouvez, et dont je reparlerai: la catéchèse, la préparation aux sacrements, avec bien souvent une démarche “ catéchuménale ”, je pense au baptême, à la réconciliation, à l’Eucharistie, à la confirmation qui apparaît souvent comme le temps fort de leur adolescence; importants sont aussi les mouvements d’apostolat, d’éducation, de spiritualité, de charité; l’apprentissage d’une action solidaire en faveur des pauvres, de ceux qui souffrent, des missions, et des grandes causes du monde. Car c’est en agissant pour d’autres et avec d’autres que les jeunes se forment
Au-dessus de tout, il y a un climat de prière à créer. Osons inviter les jeunes à prier. Ils en sont capables. C’est le début d’une transformation de leur vie, que tous les discours et les engagements se révèlent incapables de déclencher à eux seuls. Vos nombreux groupes de prière en témoignent.
6. Pasteurs, vous avez la charge spirituelle de tous les jeunes de vos diocèses. Il est heureux que vous ayez développé les aumôneries de lycées et de collèges.
Une large proportion d’enfants et de jeunes bénéficient chez vous de l’éducation dans une école ou un collège catholique. Vous avez défendu le principe et l’existence concrète des établissements catholiques d’enseignement, et cela demande toujours de la vigilance. Vous aviez, pour agir ainsi, des raisons très fondées que je n’ai pas à reprendre ici. Il importe toujours, comme vous le soulignez, d’améliorer cet “ instrument apostolique puissant ”, de réaliser de vraies communautés éducatives, aptes par leur compétence à répondre aux nouveaux besoins des jeunes et de la société.
L’école chrétienne doit s’efforcer de garder son caractère spécifique. Sans être réservée aux seuls catholiques, elle accueille avec respect ceux qui acceptent, avec bonne volonté, que les conceptions de l’Evangile sur la dignité de la personne humaine inspirent l’éducation. Pour ce qui est de la proposition de la foi, elle doit être en même temps clairement manifestée, respectueuse des consciences et adaptée aux âges des jeunes. La nature d’un établissement catholique dépend des personnes qui partagent la foi. La catéchèse y trouve une assise solide (Ioannis Pauli PP. II, Allocutio ad participantes Coetui de «Gravissimum Educationis», 4, die 5 nov. 1985: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 2 (1985) 1200 s.). La culture religieuse et morale, pour le moins, doit toujours y avoir sa place, surtout à une heure où la société française semble plus sensible à ses racines chrétiennes en histoire ou en littérature. J’espère que vos efforts pour la formation chrétienne des maîtres, et pour la participation plus active des parents chrétiens, porteront tous leurs fruits. Puissent les catholiques-élèves, parents, professeurs, éducateurs-donner en chaque établissement le signe visible d’une communauté d’Eglise! Et, à son service, les animateurs en pastorale scolaire pourront avoir un rôle décisif.
Une école est dite catholique quand elle est reconnue comme telle par l’autorité compétente. Elle doit donc manifester son rapport à l’Eglise sur le plan de la foi et de la morale et dans son projet éducatif. Les orientations de l’évêque diocésain sont également nécessaires pour aider les différents établissements catholiques à élaborer une carte de leurs complémentarités. De toute façon, une école catholique s’attachera à entretenir des relations efficaces avec les autres institutions chrétiennes qui contribuent à l’éducation.
7. En marge du problème de l’éducation chrétienne, j’aborde maintenant celui des vocations sacerdotales des jeunes. C’est pour vous une préoccupation majeure, car le nombre de vos séminaristes et des ordinations, dans vos diocèses naguère fertiles en vocations, demeure très faible. Vous dites pourtant que les prêtres sont moins hésitants à appeler. Et vous avez organisé des services de vocation très actifs, prenant des initiatives diverses comme “ la fête des vocations ” ou même une année consacrée à ce thème. Il n’y a pas de solution facile pour une moisson à brève échéance. Mais c’est le moment de semer hardiment, et je vous encourage de grand coeur à mobiliser tout le peuple chrétien pour cet objectif capital.
La première condition est sans conteste le climat de prière à entretenir. Les vocations sont un don de Dieu. L’idée du service exclusif du Seigneur ne peut germer que dans un coeur qui prie.
Et le premier milieu à promouvoir dans l’éveil des vocations est évidemment la famille. Le départ pour une vie consacrée à 1’Eglise est grandement facilité là où la famille témoigne d’une foi vivante et a été assez généreuse pour transmettre la vie à plusieurs enfants.
Pour qu’une vocation soit accueillie par un jeune, il faut aussi que l’image qu’il se fait de l’Eglise, et plus spécialement du ministère sacerdotal, soit positive. Cette image dépend, pour notre part, de la sainteté de vie des ministres de l’Eglise et de leur rayonnement apostolique. De même, c’est à partir de communautés ayant une grande vitalité apostolique et missionnaire que des jeunes chrétiens, surtout les plus dynamiques, peuvent envisager le sacerdoce.
8. Concrètement, nous avons sans doute, nous évêques et prêtres, à exprimer encore plus directement auprès des jeunes l’appel au sacerdoce. Il ne faut à aucun prix que les pasteurs laissent l’impression de prendre leur parti du nombre restreint des vocations. On a peut-être trop confondu la nécessité de faire face à une situation de pénurie avec l’acceptation de la pénurie comme un régime normal; mais je sais que vous veillez à ce que les laïcs qui participent davantage à la vie de l’Eglise redécouvrent l’identité spécifique et le rôle indispensable du prêtre.
Dans la mesure où les premières questions sur la vocation remontent à la période de l’enfance et du catéchisme, la qualité de l’éducation chrétienne des enfants et la densité de leur expérience spirituelle ecclésiale sont aussi des chemins privilégiés pour entendre l’appel. La période de l’adolescence, affrontée à un environnement souvent peu chrétien, nécessite des groupes de soutien, et les mouvements apostoliques permettent aux jeunes de mieux vivre leur condition de témoins du Christ, dans le service de l’Eglise et la charité. Vous avez relevé entre autres que le scoutisme et le mouvement eucharistique des jeunes ont favorisé beaucoup de vocations.
Les jeunes qui s’interrogent sur leur vocation et qui l’expriment doivent être le plus possible accompagnés comme tels, en se réunissant autour des prêtres qui les aident, dans un climat de discrétion, à formuler leur désir et à mener une vie spirituelle plus intense.
9. Les conditions de premier discernement et de décision doivent être de nature à offrir assez de garanties au jeune candidat qui prend le risque d’engager sa vie dans un séminaire. Il vous appartient d’y veiller, lorsque vous accueillez ces vocations, et de mettre à leur disposition les éléments fondamentaux de la vie spirituelle, comme dans une année de propédeutique.
Il convient de rapprocher le plus possible des réalités diocésaines la formation des futurs prêtres diocésains. Trop de jeunes qui veulent le sacerdoce ont une expérience et une conscience ecclésiale relativement faibles. La proximité du diocèse, du moins durant un premier cycle, permet de structurer la relation essentielle avec l’évêque, qui sera un élément déterminant pour le discernement et l’appel aux ordres. Et la présence des séminaristes dans l’Eglise locale donne une visibilité à la formation au sacerdoce qui permet à d’autres jeunes d’envisager plus facilement la vocation.
Enfin, beaucoup de jeunes semblent inquiets des conditions de ministère et de vie spirituelle qui les attendent. Les disparités d’âge avec des aînés qu’ils connaissent peu ou comprennent mal ne les rassurent pas. Puissent les communautés de prêtres se montrer accueillantes à leur égard, vivre le ministère pastoral dans toutes ses dimensions apostoliques et sacramentelles, et pratiquer avec les plus jeunes le partage spirituel auquel ils aspirent!
A Ars, j’ai rappelé suffisamment les conditions de la formation dans les séminaires. Le choix de l’équipe éducative, des formateurs, qui vivent avec les séminaristes, est évidemment capital. Je ne doute pas que vos séminaires, ainsi structurés et renouvelés, ne soient capables d’attirer, de satisfaire et de bien former l’ensemble de ceux qui, dans vos diocèses, s’orientent vers le ministère des prêtres séculiers, avec l’acceptation de votre discernement.
Cet entretien ne me permet pas de parler aujourd’hui de la préparation à la vie consacrée pour les jeunes, hommes ou femmes. Elle revêt également une importance capitale et vos diocèses de l’Ouest en ont une expérience remarquable.
Avec vous, je bénis avec affection vos prêtres, vos religieux et religieuses, ceux qui se préparent à ces services; je bénis vos diacres, les éducateurs et tous les laïcs qui collaborent avec vous.
Discours 1987 - Jeudi 22 janvier 1987