Discours 1993 - Jeudi 25 novembre 1993
Excellences,
1. C’est avec une vive satisfaction que je vous accueille ce soir, au terme de votre première journée de travail. Je vous remercie de tout coeur d’avoir accepté de venir jusqu’à moi et de prendre le temps de partager quelques-unes des préoccupations du Pape, qui suit avec une grande sollicitude les pas encore mal assurés de l’Europe nouvelle, dont la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe a été un artisan convaincu.
2. La réunion annuelle du Conseil des Ministres des Affaires étrangères des pays qui composent aujourd’hui la CSCE vous permet de faire le point sur l’évolution de ce continent aux ressources culturelles et humaines fécondes. Mais il vous appartient aussi de prévenir, autant que faire se peut, les tensions et les conflits, et surtout de tenter courageusement de résoudre les crises qui fragilisent la construction européenne encore en chantier. En vous voyant ici, je pense spontanément que « Europe » veut dire « ouverture »! En effet, à la sécurité et à la coopération en Europe travaillent également des nations appartenant à d’autres continents, comme le Canada et les Etats-Unis, ou comme des Etats d’Asie centrale. La CSCE est donc le cadre naturel de la réalisation d’une large communauté de nations, ouvertes aux autres continents et, en particulier, aux pays du pourtour méditerranéen.
3. La nouvelle Europe, voulue par la Charte de Paris de 1990, n’est ni l’annexion d’une partie du continent par l’autre, ni la substitution d’une confrontation économique à une confrontation idéologique. L’Europe devrait se caractériser par l’élaboration de projets communs, inspirés par les valeurs que la CSCE a promues avec persévérance depuis 1975. L’expérience récente montre que c’est en mettant la dignité des personnes et des peuples au centre de ses préoccupations que l’Europe peut contribuer à l’élimination des différents totalitarismes qui, durant trop d’années, ont défiguré son visage.
4. Voilà pourquoi je voudrais vous dire avec quelle détresse je prends connaissance des nouvelles toujours dramatiques qui nous parviennent de l’ancienne Fédération yougoslave et, plus particulièrement, de Bosnie-Herzégovine. On ne peut affirmer sa souveraineté ou revendiquer ses droits en piétinant ceux de ses frères! On avait pensé ne plus jamais revoir la guerre sur le sol européen. Qui pouvait prédire que des prétentions racistes et des nationalismes iniques auraient de nouveau fait résonner leurs slogans sur ce continent? Que dire de l’atroce spectacle de villages entiers rasés, de leurs populations sauvagement maltraitées et déportées? Cela rappelle durement un passé qui a avili l’histoire des hommes! Et pourtant cela se produit à peu de kilomètres d’ici. Tout le monde le sait, tout le monde le voit. Il importe que la CSCE continue d’exprimer un jugement politique et moral sur le déroulement de la crise yougoslave: de cette manière, elle évitera le scandale du désintérêt face à des événements inadmissibles, et elle obligera l’ensemble des Etats à prendre conscience qu’ils sont directement concernés dès lors que les droits fondamentaux d’une personne ou d’un peuple sont en jeu.
Le plus grand malheur qui puisse arriver à l’Europe d’aujourd’hui serait de se résigner à la guerre qui martyrise des millions d’hommes et de femmes, en particulier dans les Balkans et dans le Caucase.
Il est possible d’y mettre un terme en prenant les moyens de faire prévaloir les règles du droit. L’aide humanitaire généreusement consentie aux populations de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, de Serbie et des autres Républiques de ce qui était hier la Yougoslavie fédérée ne saurait dispenser les responsables politiques de continuer à rechercher des solutions originales afin de mettre un terme à des débordements de violence et de haine qui ne mènent nulle part et qu’aucune cause ne peut justifier.
La CSCE a la mission de réunir les conditions d’une sécurité commune, globale et contrôlée. Mais il est désormais clair que celle-ci ne s’établira jamais si l’on cautionne les conquêtes territoriales obtenues par la force, si la « purification ethnique » – qui n’est autre qu’un génocide – est élevée au rang de méthode, ou si les règles les plus élémentaires du droit humanitaire sont ostensiblement violées.
En Bosnie-Herzégovine comme en Serbie ou en Croatie, il existe des femmes et des hommes de paix; on ne leur laisse pas assez la parole. Ces populations, que l’histoire a accoutumées à traverser l’épreuve et à se redresser, ont des ressources humaines et spirituelles; donnons-leur la chance de s’exprimer dans le dialogue et la négociation.
5. Excellences, permettez-moi de redire une fois encore, et aujourd’hui devant les plus hauts responsables de la diplomatie européenne, que l’heure est venue – souhaitons qu’il ne soit pas trop tard – de redonner un souffle d’espérance aux personnes et aux peuples; l’heure est venue de créer les conditions pour que les principes et les engagements si heureusement définis et souscrits à Helsinki, à Vienne et à Paris par les participants à la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, soient réellement appliqués par tous, pour qu’ils aient la même valeur pour tous et en toutes circonstances.
Par son histoire, par son extension géographique et par sa grande diversité culturelle, la CSCE ne peut se contenter d’être, parmi d’autres, un simple instrument pour contribuer au maintien de la paix. Elle doit donner une véritable impulsion pour que toutes les nations qu’elle rassemble s’affirment en tant que communauté, partageant les valeurs humanistes et morales qui ont fait de ce continent une référence pour tant d’autres peuples. Ainsi les peuples que vous représentez se sentiront davantage unis et solidairement responsables de leur avenir. Il convient que cette idée de « communauté de nations » devienne réalité.
6. La haine n’est jamais définitive entre les nations. Des peuples européens divisés se sont réunis; des pays hier ennemis travaillent aujourd’hui ensemble. La volonté politique, l’intelligence de l’histoire, la générosité du coeur permettent d’entreprendre en commun de grands projets de coopération et de développement.
A ce propos, un fait doit être pris en considération: la renaissance de nations qui, durant de longues années, ont été empêchées de manifester leur volonté de vivre libres et d’exprimer leur identité. Cependant il est nécessaire d’éviter qu’à une société de nations unies par la peur ne succède une société divisée par les particularismes; qu’à une société internationale faussement unitaire ne succède une société faussement diversifiée. Certes, il convient de reconnaître les aspirations légitimes des personnes et des peuples à la liberté; mais il est urgent que, aujourd’hui comme hier, tous prennent conscience de leurs devoirs autant que de leurs droits, et qu’ils donnent la priorité à la solidarité pour la construction d’une véritable communauté de nations.
7. Dans ce vaste continent, il y a place pour les grandes et pour les petites nations. Chacune a ses droits et ses devoirs. Chacune doit respecter les autres. Il importe d’assurer l’éducation de tous à la liberté. Les croyants, et l’Eglise catholique en particulier, désirent y contribuer en formant les consciences, notamment celles des jeunes, en insistant sur l’impérieuse nécessité de la réconciliation entre les peuples, en un mot, en promouvant les valeurs morales et religieuses sur lesquelles doivent reposer solidement les fondations de la maison commune européenne. Cette tâche, l’Eglise catholique s’efforce de la mener à bien en étroite collaboration avec les autres communautés chrétiennes et les croyants d’autres traditions. Il s’agit de recomposer la trame de tout le tissu spirituel de l’Europe!
8. Excellences, je confie à votre réflexion ces quelques pensées que me suggère l’histoire européenne d’hier et d’aujourd’hui. Je prie Dieu d’inspirer à chacun de vous les vertus et le courage indispensables à ceux dont la charge est non seulement de guider leurs frères mais aussi de susciter en eux assez d’enthousiasme pour s’engager sur le chemin de la paix. Vous avez en quelque sorte une mission prophétique! Permettez-moi, depuis cette colline du Vatican, de vous rappeler les paroles de saint Paul, l’Apôtre des Nations: « Recherchons donc ce qui contribue à la paix, et ce qui nous associe les uns aux autres en vue de la même construction »[1].
Que Dieu tout-puissant bénisse l’Europe! Qu’il lui donne de montrer au monde l’exemple de la concorde et de la solidarité!
[1] Rm 1,19.
Décembre 1993
Chers frères dans l’épiscopat,
Chers amis,
1. Alors que vous achevez la VIème rencontre internationale pour la pastorale des « gens du cirque », des forains et des personnels des luna-parks, je suis heureux de vous saluer très cordialement, vous qui représentez différentes associations européennes et italiennes, accompagnés de vos évêques et de vos aumôniers. Et je remercie vivement Monseigneur Cheli des paroles qu’il vient de m’adresser en votre nom à tous.
Je voudrais dire mon estime et ma sympathie à tous ceux qui installent leurs « métiers » dans les villes et les villages, ouvrant à leurs visiteurs un espace de fête et d’amitié. Faire naître un sourire d’enfant, illuminer un instant le regard désespéré d’un solitaire, et rendre, par le spectacle et la fête, les hommes plus proches les uns des autres, c’est la grandeur de ces métiers. Et je n’oublie pas le travail discret de ceux et celles qui montent et démontent les installations et qui veillent à la sécurité des spectateurs avec un grand sens de la responsabilité personnelle et collective.
2. Les inquiétudes des « gens du voyage » me sont connues: l’évolution des installations devenues industrielles, de même que les modifications de la structure des villes et des modes de vie, entraînent des incertitudes préoccupantes.
Vos vies itinérantes ne facilitent pas la formation scolaire, professionnelle et religieuse des enfants, alors que les parents savent bien que les nouvelles générations ont besoin de plus de compétences pour assurer leur avenir. La tâche éducative est certes difficile, mais je tiens à vous encourager: sachez inventer ensemble, adultes et jeunes, votre manière de vivre en Eglise avec vos aumôniers. Vous pouvez être assurés que, lorsque les hommes ont pour métier d’offrir un peu de bonheur, Dieu ne saurait être en dehors de la fête.
3. Cette réunion près de la tombe de Pierre a eu pour objet principal de réfléchir à l’éducation des jeunes chez les gens du cirque et les forains, et particulièrement à la façon dont l’Evangile peut leur être transmis.
Parents, éducateurs et aumôniers, soyez partout des témoins de l’espoir, déjà sur le plan humain. Dans votre vie professionnelle, mettez en valeur les qualités de patience, de courage, de sens du risque mesuré, de jeu collectif: ces qualités vous méritent l’estime que vous attendez des spectateurs. Ces derniers viennent d’un monde marqué par l’individualisme et la compétition: ils savent apprécier votre témoignage de partenaires attentifs, réconciliés avec leur corps et même avec les animaux. Sous la forme du jeu, vous montrez de vraies vertus humaines.
Soyez en même temps des témoins de l’espérance fondée sur Jésus-Christ, connu, aimé, prié et servi. La vie itinérante ne facilite pas la continuité de la formation religieuse ni la célébration des sacrements de la foi. Mais n’oubliez pas que la famille – et je sais que les vôtres sont unies – est la première « église » où l’on prie ensemble, où l’on apprend à connaître le Seigneur Jésus, à l’aimer, à l’annoncer.
Renforcez vos relais d’aumôneries, déjà bien constitués, pour en faire un vrai réseau d’Eglise. Donnez-vous les moyens d’une sérieuse catéchèse des jeunes, où l’on tienne bien compte du contexte de leur vie et de votre genre de travail. Avant tout, faites découvrir à vos enfants que le Christ est la source du vrai bonheur, selon sa propre parole: « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite »[1].
Je forme des voeux chaleureux pour vous, ainsi que pour les membres des différentes associations que vous représentez. Je demande au Sauveur qui vient parmi nous de vous combler de ses grâces de joie et de lumière. De grand coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.
[1] Jn 15,11.
Chers amis,
Chers jeunes,
1. C’est avec joie que je vous retrouve, au cours de ce XXVIème Congrès de la Fédération internationale des « Pueri Cantores ». Vous êtes réunis à Rome parce que votre action s’enracine dans la foi et dans la mission de l’Eglise, dans la foi des Apôtres Pierre et Paul qui ont donné leur vie pour le Christ, en ces lieux–mêmes, voici déjà deux mille ans. Cette conviction profonde fut celle de votre fondateur, Monseigneur Maillet, de ses successeurs et, notamment, celle de votre ancien Président, Monseigneur Joseph Roucairol, dont je tiens à évoquer la mémoire.
Soyez donc les bienvenus à Rome! En vous voyant, je pense, aujourd’hui plus que jamais, à la jeunesse éternelle de l’Eglise. Vous êtes l’avenir de l’Eglise qui a reçu de Dieu la promesse de ne jamais mourir! Vos voix le chantent, vos chants le répètent: sur la pierre que constitue le roc des Apôtres, le Seigneur a bâti son Eglise. Les puissances de la mort ne l’emporteront jamais sur elle.
Faites donc de votre vie un immense chant d’amour et de louange! Quelle a été la première réaction des anges à Noël? Ils ont loué Dieu[1]! Ils ont chanté la gloire de Dieu et la paix qu’il promet aux hommes. Le temps de la Nativité du Seigneur est, plus qu’aucun autre, le temps de la louange, de la louange à Dieu qui a voulu devenir l’un d’entre nous pour nous apporter la Bonne Nouvelle du salut. Pourquoi louer Dieu, sinon pour la paix qu’il veut mettre en nos coeurs, alors que les hommes se déchirent et s’entre-tuent dans de nombreux pays du monde?
Votre Congrès est international: que votre louange de Dieu transcende les frontières! Vous savez que le mot «anges» signifie «envoyés». Vous êtes, à votre manière, « envoyés » pour répandre la joie de Dieu et montrer, par votre chant, que la foi est plus forte que le doute, que l’espérance est plus forte que le désespoir, que l’amour est plus fort que la mort. A Noël, les anges ont été envoyés par Dieu pour dire aux bergers que le Sauveur était né, que des temps nouveaux commençaient, que la joie de quelques-uns serait la joie de tout le peuple; vous êtes déjà des milliers, mais vous avez devant vous un immense champ d’action: comme l’a voulu Monseigneur Maillet, unissez–vous pour que tous les enfants du monde chantent la paix de Dieu!
2.
…
[1] Cfr. Lc 2,13.
[2] Cfr. Ps 98,5 (97), 5; 2Ch 29,27 s.; Ep 5,19.
[3] Cfr. Ap 18,22.
[4] Sacrosanctum Concilium, SC 112-121.
[5] Ioannis Pauli PP. II Nuntius ob diem ad pacem fovendam dicatum pro a. D. 1994, 6, die 8 dec. 1993: vide supra, p. 1419.
Discours 1993 - Jeudi 25 novembre 1993