II-II (Drioux 1852) Qu.13 a.4
Après avoir parlé du blasphème en général, nous avons à parler du blasphème en particulier, de celui qui est contre l'Esprit-Saint.— Sur ce blasphème quatre questions se présentent : 1° Le blasphème ou le péché contre l'Esprit-Saint est-il le même que le péché que l'on commet avec une malice alfectée ? — 2° Des espèces de ce blasphème. — 3° Est-il irrémissible? — 4° Peut-on pécher contre l'Esprit-Saint dès le principe avant de commettre d'autres péchés?
Objections: 1. Il semble que le péché contre l'Esprit-Saint ne soit pas le même que celui qu'on commet avec une malice affectée. En effet, le péché contre l'Esprit-Saint est le péché de blasphème, comme on le voit (Mt 12). Or, tout péché que l'on fait avec une malice affectée n'est pas un péché de blasphème. Car il arrive que beaucoup d'autres genres de péché ont ce caractère. Donc le péché contre l'Esprit-Saint n'est pas le même que celui qu'on commet avec une malice affectée.
2. Le péché par malice se distingue en péché par ignorance et en péché par infirmité. Or, le péché contre l'Esprit-Saint se distingue par opposition au péché contre le Fils de l'homme, comme on le voit (Mt 12). Donc le péché contre l'Esprit-Saint n'est pas le même que le péché par malice, parce que les choses dont les contraires sont divers, sont diverses elles-mêmes.
3. Le péché contre l'Esprit-Saint est un genre de péché auquel on assigne des espèces particulières, tandis que le péché par malice n'est pas un genre spécial de péché, mais c'est une condition ou une circonstance générale qui peut se rencontrer dans tous les genres de faute. Donc le péché contre l'Esprit-Saint n'est pas le même que le péché par malice.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Maître des sentences dit (lib. n, dist. 43) que celui qui pèche contre l'Esprit-Saint c'est celui qui aime la malice pour elle-même ; ce qui revient au même que pécher avec une malice affectée. II semble donc que le péché par malice soit le péché contre l'Esprit-Saint.
CONCLUSION. — Celui qui pèche contre l'Esprit-Saint, ce n'est pas seulement celui qui fait un blasphème contre les trois personnes divines ou contre la troisième personne de la Trinité, ou qui persévère dans le péché mortel jusqu'à la mort, mais c'est celui qui pèche avec une malice affectée en choisissant le mal, ou en empêchant et en repoussant loin de lui tout ce qui pourrait le retirer du péché.
Réponse Il faut répondre qu'à l'égard du péché ou du blasphème contre l'Esprit- Saint, il y a trois opinions. Les anciens Pères, c'est-à-dire saint Athanase, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Chrysostome (1), disent que l'on pèche contre l'Esprit-Saint, quand on prononce un blasphème qui s'adresse littéralement à l'Esprit-Saint lui-même ; soit qu'on prenne le mot Esprit-Saint comme un nom essentiel qui convient à la Trinité entière dont chaque personne est esprit et sainteté -, soit qu'on le prenne pour le nom personnel de l'une des personnes de la Trinité. C'est en ce sens que saint Matthieu distingue (12) le blasphème contre l'Esprit-Saint du blasphème contre le Fils de l'homme. Car le Christ agissait comme homme, en mangeant, en buvant et en faisant d'autres actions semblables, et il agissait comme Dieu en chassant les démons et en ressuscitant les morts, et en faisant d'autres prodiges, qu'il opérait par la vertu de sa propre divinité et par l'opération de l'Esprit-Saint, dont il avait été rempli comme homme. Les Juifs avaient d'abord blasphémé contre le Fils de l'homme, en disant qu'il était un homme de bonne chère, qu'il aimait à boire, qu'il était l'ami des publicains et des yens de mauvaise vie (Mt 11,19). Ils blasphémèrent ensuite contre l'Esprit-Saint, en attribuant au prince des démons les prodiges que le Christ opérait par la vertu de sa propre divinité et par l'opération de l'Esprit-Saint. —Saint Augustin, dans son livre (De Verb. Dom. serm. xi, cap. 14,15 et 21), dit que le blasphème ou le péché contre l'Esprit- Saint est l'impénitence finale; c'est-à-dire, quand on persévère dans le péché mortel jusqu'à la mort. Ce blasphème ne se produit pas seulement de bouche, mais il est encore exprimé par le verbe du coeur et de l'action, non une fois, mais une infinité de fois. On dit que ce verbe ainsi entendu est contre l'Esprit-Saint, parce qu'il est contre la rémission des péchés que produit l'Esprit-Saint qui est la charité du Père et du Fils. Le Seigneur ne dit pas aux Juifs qu'ils pèchent contre l'Esprit-Saint, parce qu'ils n'étaient pas encore dans l'impénitence finale, mais il les avertit de prendre garde qu'en parlant ainsi ils n'arrivent à pécher contre l'Esprit-Saint. C'est ainsi qu'il faut entendre ces paroles de l'Evangéliste (Mc 3,29) : Celui qui aura blasphémé contre l'Esprit-Saint n'en recevra jamais le pardon... Et il leur disait ces choses parce qu'ils l'accusaient d'être possédé de l'esprit impur. — D'autres disent (2) que l'on pèche ou que l'on blasphème contre l'Esprit-Saint, quand on pèche contre un bien qui se rapporte par appropriation à l'Esprit-Saint. Ainsi on approprie la bonté à l'Esprit-Saint, comme on approprie la puissance au Père et la sagesse au Fils. Par conséquent ils prétendent que l'on pèche contre le Père quand on pèche par faiblesse ; on pèche contre le Fils quand on pèche par ignorance; on pèche contre l'Esprit-Saint quand on pèche par malice, c'est-à-dire en choisissant le mal pour lui-même, comme nous l'avons dit (1a 2", quest. lxxviii, art. 1 et 3). Ce qui a lieu de deux manières : -1° par suite de l'inclination de l'habitude vicieuse qu'on appelle malice ; en ce sens, pécher par malice, ce n'est pas la même chose que pécher contre l'Esprit-Saint; 2° on pèche par malice quand on rejette et qu'on écarte avec mépris ce qui pouvait empêcher qu'on ne choisît le mal; comme quand on rejette l'espérance par le désespoir, la crainte par la présomption et autres choses semblables, comme nous le verrons (art. seq. et quest. xx et xxi). Or, tout ce qui nous empêche de choisir le péché est un effet de l'Esprit-Saint en nous; par conséquent, pécher de la sorte par malice, c'est pécher contre l'Esprit-Saint (1).
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme la confession de la foi consiste non-seulement dans les paroles, mais encore dans les oeuvres ; de même le blasphème contre l'Esprit-Saint peut se considérer dans la bouche, dans le coeur et les actions.
2. Il faut répondre au second, que d'après la troisième acception, le blasphème contre l'Esprit-Saint se distingue du blasphème contre le Fils de l'homme, en ce sens que le Fils de l'homme est aussi le Fils de Dieu, c'est- à-dire la vertu de Dieu, sa sagesse. D'après cela le péché contre le Fils de l'homme serait le péché d'ignorance ou de faiblesse.
3. Il faut répondre au troisième, que le péché de malice, quand il provient de l'inclination de l'habitude n'est pas un péché spécial, mais une condition générale du péché. Mais quand il provient spécialement du mépris des effets que l'Esprit-Saint produit en nous, c'est un péché d'une espèce particulière. C'est en ce sens que le péché contre l'Esprit-Saint est un genre spécial de péché, et il en est de même suivant la première interprétation que nous avons donnée. D'après la seconde, ce n'est pas un genre spécial de péché, car l'impénitence finale peut être une circonstance d'un genre de péché quelconque.
dixerit), saint Chrysostome (Hom. xlii), saint Jérôme (in Matth. xii).
(2) Ce sentiment est celui de Pierre Lombard, que saint Thomas préfère.
l'esprit-saint?
Objections: 1. Il semble qu'on ait tort de distinguer, comme le fait le Maître des sen- tences(lib. ii, dist. 43), six espèces de péché contre l'Esprit-Saint : le désespoir, la présomption, l'impénitence, l'obstination, la résistance à la vérité connue, et l'envie des grâces que Dieu accorde à nos frères. Car la négation de la justice ou de la miséricorde divine se rapporte à l'infidélité. Or, par le désespoir on rejette la miséricorde de Dieu, et par la présomption sa justice. Donc ces deux fautes sont plutôt une espèce d'infidélité qu'une espèce de péché contre l'Esprit-Saint.
2. L'impénitence paraît se rapporter au péché passé et l'obstination au péché à venir. Or, le passé ou l'avenir ne changent pas l'espèce d'une vertu ou d'un vice; car c'est d'après la même foi que les anciens ont cru que le Christ naîtrait, et que nous croyons qu'il est né. On ne doit donc pas laire de l'obstination et de l'impénitence deux espèces de péché contre l'Esprit-Saint.
3. La grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ, comme le dit l'Evangile (Jn 1,47). Il semble donc que combattre la vérité connue et porter envie aux grâces que les autres reçoivent soient un blasphème contre le Fils plutôt qu'un blasphème contre l'Esprit-Saint.
4 Saint Bernard dit (Lib. de dispens. et praec.) que refuser d'obéir c'est résister à l'Esprit-Saint. La glose dit aussi (Lv 10) qu'une pénitence simulée est un blasphème contre l'Esprit-Saint. Le schisme paraît donc également directement opposé à l'Esprit-Saint qui est le lien par lequel l'Eglise est unie. Par conséquent il semble que les différentes espèces de péché contre l'Esprit-Saint n'aient pas été suffisamment énumérées.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De (id. ad Pet. cap. 3) : « Que ceux qui désespèrent du pardon de leurs péchés, ou qui sans mérites présument de la miséricorde de Dieu, pèchent contre l'Esprit-Saint (1 ). » Et ailleurs (Ench. cap. 83) : « Que celui qui s'obstine jusqu'à la fin est coupable du péché contre l'Esprit-Saint. » Dans un autre endroit (De verb. Dom. servi, xi, cap. 44) : « Que l'impénitence est un péché contre l'Esprit-Saint. » Dans son livre sur le Sermon de la montagne (lib. i, cap. 22), il ajoute « que porter envie à ses frères c'est pécher contre l'Esprit-Saint. » Enfin (De Bapt. cont. Donat. lib. vi, cap. 35) il dit « que celui qui méprise la vérité, en veut à ses frères, auxquels la vérité est révélée, ou qu'il est un ingrat envers Dieu, dont l'inspiration instruit l.'Eglise. » Il semble qu'il pèche ainsi contre l'Esprit-Saint.
CONCLUSION. — Il y a six espèces de péché contre l'Esprit-Saint : le désespoir, la présomption, l'impénitence, l'obstination, l'attaque de la vérité connue, et l'envie qu'on porte à la grâce dont jouit le prochain.
Réponse Il faut répondre que, selon la triple acception que l'on donne au péché contre l'Esprit-Saint, on distingue avec raison les six espèces de péché que nous avons énumérées. On les distingue d'après l'éloignement ou le mépris des choses qui peuvent empêcher l'homme de choisir le péché. En effet, ces choses se considèrent, soit par rapport au jugement de Dieu, soit par rapport à ses dons, soit par rapport au péché lui-même. Car l'homme est éloigné du péché par la considération du jugement de Dieu, qui réunit la justice à la miséricorde, et par l'espérance, qui est le fruit de la contemplation de la miséricorde qui remet les péchés et qui récompense les vertus. Cette espérance est détruite par le désespoir (2). Il en est encore détourné par la crainte qui naît de la considération de la justice divine, et qui est détruite parla présomption; quand on présume, par exemple, qu'on peut obtenir la gloire sans les mérites, ou le pardon sans le repentir. — Les dons de Dieu qui nous retirent du péché sont au nombre de deux; l'un est la connaissance de la vérité qui a pour contraire V attaque de la vérité connue, comme quand quelqu'un attaque la vérité de la foi qu'il connaît, afin de pécher plus librement ; l'autre est le secours de la grâce intérieure qui a pour contraire V envie qu'on porte à la grâce fraternelle; comme quand on jalouse non-seulement Ja personne de son frère, mais encore le progrès de la grâce de Dieu qui se développe en lui. — Relativement au péché, il y a deux choses qui peuvent engager l'homme à en sortir; l'une est le dérèglement et le désordre de l'acte dont la considération (3) peut porter l'homme à se repentir du péché qu'il a commis. Elle a pour contraire l'impénitence, non pas celle qui consiste à rester dans le péché jusqu'à la mort, comme on l'entendait plus haut (4) (car alors ce ne serait pas un péché spécial, mais une circonstance du péché), mais on entend ici par impénitence cette disposition du coeur qui implique la résolution de ne pas se repentir. L'autre chose est la vanité et la faiblesse du bien (1) que le péché produit, d'après ces paroles de l'Apôtre (Hom. vi, 21) : Quel fruit apez-vous retiré alors cles choses dont vous rougissez maintenant? Cette considération empêche ordinairement la volonté de l'homme de s'affermir dans le péché. Mais elle est détruite par l'obstination, c'est-à-dire quand l'homme s'affermit dans la résolution de s'attacher au mal. Le prophète (Ilier. viii, 6) parle du premier dejces crimes quand il dit : Il n'y en a point qui fasse pénitence de leur péché en disant : Qiïpi-je fait ? Et il parle dq second, en disant : Ils courent tous où leur passion les emporte, comme un cheval qui court avec impétuosité au combat.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le péché de désespoir ou de présomption ne consiste pas en ce qu'on ne croit pas à la justice de Dieu ou à sa miséricorde, mais en ce qu'on les méprise.
2. Il faut répondre au second, que l'obstination et l'impénitence ne diffèrent pas seulement en ce que l'une se rapporte au passé et l'autre à l'avenir, mais elles diffèrent encore selon leurs raisons formelles d'après les différents aspects sous lesquels on peut considérer le péché (2), comme nous l'avons dit (in corp. art.).
3. Il faut répondre au troisième, que le Christ a produit la grâce et la vérité au moyen des dons de l'Esprit-Saint qu'il a accordés aux hommes (3).
4. Il faut répondre au quatrième, que refuser d'obéir c'est de l'obstination, feindre le repentir c'est de l'impénitence; le schisme se rapporte à l'envie de la grâce fraternelle qui unit ensemble les membres de l'Eglise.
contre l'amour. Leur interprétation ne paraît pas éloignée de celle du grand docteur, et cette considération doit engager le pécheur h s'en éloigner.
(4) Saint Thomas fait ici allusion au sentiment de saint Augustin qu'il a rapporté dans l'article précédent
Objections: 1. Il semble que le péché contre l'Esprit-Saint ne soit pas irrémissible. Car saint Augustin dit (Lib. de verbis Dom. servi, xi, cap. 13), qu'il ne faut désespérer de personne tant que la patience du Seigneur l'appelle à la pénitence. Or, s'il y avait un péché irrémissible, on devrait désespérer de certain pécheur. Donc le péché contre l'Esprit-Saint n'est pas irrémissible.
2. On ne remet aucun péché à moins que l'âme ne soit guérie par Dieu. Or, pour un médecin tout-puissant il n'y a pas de maladie incurable, comme le dit la glose sur ces paroles du Psalmiste : Qui sanat omnes infirmitates tuas. Le péché contre l'Esprit-Saint n'est donc pas irrémissible.
3. Le libre arbitre se rapporte au bien et au mal. Or, tant que cette vie dure, on peut s'écarter de la vertu, puisque l'ange lui-même est tombé du ciel. C'est ce qui fait dire à Job (4, 18) : Il a trouvé du dérèglement dans ses anges, à plus forte raison dans ceux qui habitent des maisons de boue. Donc pour le même motif on peut passer du péché à l'état de justice, et par conséquent le péché contre l'Esprit-Saint n'est pas irrémissible.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Mt 12,32) : Si quelqu'un parle contre l'Esprit-Saint, il ne lui sera remis ni en ce siècle, ni dans l'autre. Et saint Augustin dit (Lib. in serm. Dom. cap. 22) que l'infamie de ce péché est si grave qu'elle est inconciliable avec l'humilité nécessaire à la prière.
CONCLUSION. — Le péché contre l'Esprit-Saint est irrémissible, soit parce qu'après cette vie il n'y a plus lieu de se repentir, soit parce qu'il éloigne ce qui peut nous
/V, Par conséquent le blasphème contre la faire obtenir le pardon de nos fautes, soit parce que de lui-même il mérite d'être sans rémission, puisque pécher par malice, c'est ce qu'il y a de plus grave.
Réponse Il faut répondre que suivant les diverses acceptions qu'on donne au péché contre l'Esprit-Saint, il y a différentes manières d'expliquer comment il est irrémissible. En effet, si on entend par le péché contre l'Esprit-Saint l'impénitence finale, on dit alors qu'il est irrémissible, parce qu'on ne le remet d'aucune manière. Car le péché mortel dans lequel l'homme persévère jusqu'à la mort n'est pas remis en cette vie par la pénitence, et il ne le sera pas dans l'autre. — Dans les deux autres acceptions, on le dit irrémissible, non parce qu'on ne le remet d'aucune manière (1), mais parce qu'autant qu'il est en lui il mérite d'être sans rémission. Et cela de deux manières : 1° quant à la peine; car celui qui pèche par ignorance ou par infirmité mérite un châtiment moindre, tandis que celui qui pèche par malice n'a pas d'excuse qui puisse diminuer son châtiment. De même celui qui blasphémait contre le Fils de l'homme, lorsque sa divinité n'était pas encore révélée, pouvait s'excuser sur l'infirmité de la chair qu'il voyait en lui, et méritait par conséquent une moindre peine. Mais celui qui blasphémait la Divinité elle-même, en attribuant au diable les oeuvres de l'Esprit-Saint, n'avait pas d'excuse qui pût diminuer son châtiment. C'est pourquoi d'après saint Jean Chrysostome (Hom. xlii in Mt.) ce péché n'a été remis aux juifs ni en cette vie, ni en l'autre ; car ils ont souffert pour son expiation les châtiments que leur ont infligés les Romains ici-bas, et les peines de l'enfer dans l'autre vie. Saint Athanase (Tract, super illud Mt 12, Quicumque dixerit verbum) cite pour exemple leurs ancêtres qui se sont d'abord élevés contre Moïse, parce qu'ils manquaient d'eau et de pain, ce que Dieu a supporté patiemment,, parce qu'ils avaient pour excuse l'infirmité de la chair; mais ensuite ils ont péché plus grièvement en blasphémant contre l'Esprit- Saint, lorsqu'ils ont attribué à une idole les bienfaits de Dieu qui les avait tirés de l'Egypte, et qu'ils ont dit : Voilà, Israël, vos dieux qui vous ont tiré de la terre d'Egypte. C'est pourquoi le Seigneur les a fait punir temporellement, puisque dans ce jour vingt-trois mille d'entre eux périrent, et il les a menacés en même temps des peines futures, en disant : Au jour de la vengeance je visiterai ce péché qu'ils ont commis (Ex 32). — 2° On peut entendre que ce péché est irrémissible quant à la faute. Ainsi on dit qu'une maladie est incurable quand par sa nature elle détruit ce qui pourrait la guérir ; par exemple, quand le mal enlève à la nature toute sa vertu, ou quand il produit un dégoût de la nourriture et de la médecine, quoique Dieu puisse guérir cette maladie. De même on dit que le péché contre l'Esprit-Saint est irrémissible de sa nature en ce sens qu'il exclut les choses par lesquelles on obtient la rémission des péchés. Toutefois ces choses ne sont pas un obstacle pour la toute-puissance et la miséricorde de Dieu, qui guérit quelquefois spirituellement et comme par miracle ceux qui se trouvent dans cet état.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il ne faut désespérer de personne en cette vie, quand on considère la toute-puissance et la miséricorde de Dieu (2) ; mais quand on considère la nature du péché, il y en a qu'on appelle des enfants de défiance, selon l'expression de l'Apôtre (Ep 2)
2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement s'appuie sur la toute- puissance de Dieu, mais non sur la nature du pèche.
3. Il faut répondre au troisième, que le libre arbitre est toujours ici-bas susceptible de changer, mais que néanmoins quelquefois il éloigne de lui, autant qu'il le peut, ce qui serait de nature à le tourner au bien. Par conséquent son péché est alors irrémissible en lui-même, quoique Dieu puisse le remettre.
(t) La joie qu'il procure n'est qu'une joie très- vaine et très-passagère, et cette considération est encore un des motifs qui en détournent.
(2) Ainsi l'obstination est en opposition avec la conversion du pécheur, et l'impénitence est contraire au repentir du péché.
grâce et la ^óritó regarde le Saint-Esprit, et no s'adresse pas proprement à la personne du Fils.
(4) Cet article est l'explication théologique de ce passage de l'Evangile (Mt 12,51): Qui dixerit verbum contra Spiritum sanctum non remittetur ei neque in hoc saeculo, neque in futuro.
(2) Car il n'y a rien qui puisse résister à sa grâce, et il peut, quand il le veut, changer les lions en agneaux, selon l'eipression de l'Ecriture.
(2) Ce péché est simplement l'effet d'un mauvais penchant
Objections: 1. Il semble que l'homme ne puisse pas d'abord pécher contre l'Esprit- Saint, sans avoir fait préalablement d'autres fautes. Car l'ordre naturel veut qu'on aille de l'imparfait au parfait, et c'est ce qu'on remarque pour le bien, suivant cette parole de l'Ecriture (Pr 4,2) : Le sentier des justes est comme une lumière brillante qui s'avance et qui croît jusqu'au jour parfait. Or, dans les maux ce qu'il y a de parfait c'est le mal le plus grand, comme ledit Aristote (Met. lib. v, text. 21). Par conséquent le péché contre l'Esprit- Saint étant le plus grave, il semble que l'homme n'arrive à ce péché que par d'autres fautes moindres.
2. Pécher contre l'Esprit-Saint, c'est pécher par une malice affectée ou par choix. Or, l'homme ne peut pécher ainsi immédiatement avant d'avoir fait une multitude de fautes. Car Aristote dit (Eth. lib. v, cap. 0) que quoique l'homme puisse faire des injustices, cependant il ne peut pas agir immédiatement comme un homme injuste, c'est-à-dire par élection (i). Il semble donc qu'on ne puisse pécher contre l'Esprit-Saint qu'après avoir fait d'autres péchés.
3. La pénitence et l'impénitence se rapportent au même objet. Or, la pénitence n'a pour objet que les péchés passés. Donc il en est de même de l'impénitence, qui est une espèce de péché contre l'Esprit-Saint. Par conséquent, le péché contre l'Esprit-Saint qu'on appelle impénitence en présuppose d'autres.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est facile à Dieu, comme le dit l'Ecriture (Qo 11,23), d'enrichir et tout d'un coup celui qui est pauvre. Il est donc possible, au contraire, que les suggestions malicieuses du démon entraînent immédiatement quelqu'un dans le péché le plus grave qui est le péché contre l'Esprit-Saint.
CONCLUSION. — Il n'arrive pas à l'homme de pécher dès le principe contre l'Esprit- Saint, c'est-à-dire de pécher par malice ou de tomber dans l'impénitence finale; cependant on peut tout d'abord pécher contre l'Esprit-Saint, en rejetant avec mépris les choses qui peuvent retirer du péché.
Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1), pécher contre l'Esprit-Saint, c'est en un sens pécher par malice. Or, on pèche par malice de deux manières, comme nous l'avons vu (art. 1). 1° D'après l'inclination de l'habitude; ce qui n'est pas pécher contre l'Esprit-Saint (2), à proprement parler. On ne pèche pas d'ailleurs ainsi dès le commencement, il faut qu'on ait antérieurement commis des péchés pour produire cette habitude qui nous porte au mal. 2° On peut pécher par malice en rejetant avec mépris les choses qui peuvent retirer l'homme du péché ; et c'est pécher, à proprement parler, contre l'Esprit-Saint, comme nous l'avons dit (art. \). Le plus souvent cette faute en suppose d'autres, parce que, comme le dit l'Ecriture (Pr 18,3) : V impie méprise, quand il est arrivé au plus profond abîme des péchés. Toutefois il peut se faire que dès le premier acte coupable, on pèche contre l'Esprit-Saint par mépris; soit à cause du libre arbitre; soit à cause d'une foule de dispositions antérieures; soit aussi parce qu'un individu se trouve vivement porté au mal, et qu'il a peu d'attrait pour le bien. Mais pour les hommes parfaits, il leur arrive rarement ou même jamais de pécher immédiatement dès le commencement contre l'Esprit-Saint. C'est ce qui l'ait dire à Origène (.Periarch. lib. i, cap. 3) : Je ne pense pas que l'un de ceux qui sont arrivés au souverain degré de la perfection s'évanouisse ou tombe subitement, mais il est nécessaire qu'il décline peu à peu et marche par degrés vers sa perte.— On peut faire le même raisonnement si, par le péché contre l'Esprit-Saint on entend littéralement le blasphème de l'Esprit- Saint (1). Car ce blasphème dont parle le Seigneur procède toujours du mépris. — Si par le péché contre l'Esprit-Saint on entend avec saint Augustin l'impénitence finale (Serm. xi de sub. Dom., cap. 14 etseq.), il n'y a plus de question; puisque le péché contre l'Esprit-Saint exige alors une continuation de fautes jusqu'à la fin de la vie (2).
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans le bien comme dans le mal, ainsi qu'en toutes choses, on va de l'imparfait au parlait, et c'est de la sorte que l'homme progresse en tous les sens. Cependant l'un peut partir d'un point plus élevé qu'un autre. Par conséquent, la chose par laquelle on débute peut être parfaite dans le bien ou dans le mal selon son genre, quoiqu'elle soit imparfaite relativement au progrès que l'homme peut faire sous ce double rapport (3).
2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement s'appuie sur le péché commis par malice, quand il résulte de l'inclination de l'habitude.
3. Il faut répondre au troisième, que si on prend avec saint Augustin l'impénitence pour la persévérance dans le péché, il n'est pas difficile de voir que l'impénitence présuppose des péchés comme la pénitence. Mais s'il s'agit de l'impénitence habituelle, considérée comme une espèce de péché contre l'Esprit-Saint, alors il est clair que cette impénitence peut être antérieure aux péchés. Car celui qui n'a jamais péché peut avoir le dessein de se repentir ou de ne pas se repentir (4), s'il lui arrivait de faire une faute.
Après avoir parlé du blasphème, nous avons à nous occuper des vices opposés à la science et à l'intelligence. Et comme nous avons parlé de l'ignorance qui est opposée à la science, lorsque nous traitions des causes du péché (1. 2, q. lxxvi), nous avons maintenant à examiner l'aveuglement de l'esprit et des sens qui sont les vices contraires à l'intelligence. —A ce sujet trois questions se présentent : 1° L'aveuglement de l'esprit est-il un péché P — 2° La stupidité des sens est-elle un autre péché que l'aveuglement de l'esprit P — 3° Ces vices viennent-ils des péchés de la chair ?
Objections: 1. Il semble que l'aveuglement de l'esprit ne soit pas un péché. Car ce qui excuse du péché ne semble pas être un péché. Or, l'aveuglement excuse, puisqu'il est dit (Jn 9,41) : Si vous étiez aveugles vous n'auriez pas de péchés. l'aveuglement de l'esprit n'est donc pas un péché.
2. La peine diffère de la faute. Or, l'aveuglement de l'esprit est une peine, comme on le voit par ces paroles du prophète (Is 6,10) : Aveuglez le coeur de ce peuple. Car Dieu ne serait pas l'auteur de ce mal, s'il n'était pas une peine. L'aveuglement de l'esprit n'est donc pas un péché.
3. Tout péché est volontaire, comme dit saint Augustin (De ver. relig. cap. 14). Or, l'aveuglement de l'esprit n'est pas volontaire, parce que, selon la pensée du même docteur (Cm f. lib. x, cap. 23) : « Tous les hommes aiment à connaître la vérité qui les éclaire, » et comme le dit l'Ecriture (Qo 11,7) : La lumière est douce, et il est agréable aux yeux de voir le soleil. Donc l'aveuglement de l'esprit n'est pas un péché.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire (Mor. lib. xxxi, cap. 47) met l'aveuglement de l'esprit parmi les vices qui sont l'effet de la luxure.
CONCLUSION. — L'aveuglement volontaire de l'esprit, par lequel l'homme éloigne de lui la connaissance des choses divines, ou qui provient de ce que l'homme s'occupe plus des choses qu'il aime que de la vérité, est un péché.
Réponse Il faut répondre que, comme la cécité corporelle est la privation de ce qui est le principe de la vision du corps, de même la cécité de l'esprit est la privation de ce qui est le principe de la vision mentale ou intellectuelle. Ce principe est triple. Il y a d'abord la lumière de la raison naturelle; et comme cette lumière appartient à la nature de l'âme raisonnable, jamais l'âme n'en est privée. Cependant elle est quelquefois entravée dans l'acte qui lui est propre par le dérèglement des puissances inférieures, dont l'intelligence humaine a besoin pour comprendre, comme on le voit chez les fous et les furieux, ainsi que nous l'avons dit (la 2ae, quest. lxxxiv, art. 7 et 8). — Le second principe de la vision intellectuelle est une lumière habituelle surajoutée (1) à la lumière naturelle de la raison. L'âme en est quelquefois privée. Cette privation produit l'aveuglement, qui est une peine en ce sens que la privation de la lumière de la grâce est un châtiment. C'est ce qui fait dire à l'Ecriture en parlant de certains hommes (Sg 2,21) : Leur malice les a aveuglés. — Le troisième principe de la vision intellectuelle est le principe intelligible (2) par lequel l'homme comprend les autres choses. L'esprit peut s'appliquer à ce principe ou ne pas s'y appliquer. Il arrive qu'il ne s'y applique pas de deux manières : 4° quand il a spontanément la volonté de s'en détourner (3), suivant ces paroles du Psalmiste (Ps 35,4) : Il n'a pas voulu comprendre pour bien agir. 2° Parce que l'esprit s'occupe d'autres choses qu'il aime davantage et qu'il est par là même détourné de la vue de ce principe, d'après ces autres paroles (Ps 107,9) : Le feu, c'est-à-dire le feu de la concupiscence, est tombé sur eux, et ils n'ont pas vu le soleil. Dans ces deux sens l'aveuglement de l'esprit est un péché.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'aveuglement qui excuse du péché est celui qui résulte d'un défaut naturel qui empêche de vo
2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement s'appuie sur la seconde espèce de cécité qui est en effet une peine.
3. faut répondre au troisième, que l'intelligence de la vérité est pour tout le monde une chose aimable en soi ; cependant elle peut être par accident odieuse à quelques-uns, en ce sens qu'elle empêche l'homme de s'attacher à d'autres choses qu'il aime davantage.
sons que ses facultés ne lui permettent pas de faire davantage ; mais ils seront imparfaits, si on les compare à ceux que fait un homme plus distingué.
(-i) Et s il prend la résolution ferme do ne pas se repentir, il y a là une impénitcnce habituelle qui précède tu n tes les autres fautes.
Cette lumière surajoutée est naturelle ou surnaturelle. Elle peut être naturelle comme les sciences, ou surnaturelle comme la foi. Dans ce dernier cas, elle est l'effet do la grâce.
appliquer ou de ne pas nous appliquer. Telles sont la loi de Dieu et les commandements qu'elle renferme, les récompenses et les peines qui attendent les bons et les méchants, la béatitude, etc.
(5) C'est ce que les théologiens appellent l'ignorance affectée, qui aggrave le péché.
Saint Thomas entend par ce principe intelligible les vérités extérieures qui peuvent nous éclairer, et auxquelles il nous est libre de nous
Objections: 1. Il semble que la stupidité du sens ne soit pas autre chose que l'aveuglement de l'esprit. Car il n'y a qu'une chose qui soit contraire à une autre. Or, la stupidité est contraire au don d'intelligence, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. ii, cap. 2(3), et l'aveuglement de l'esprit lui est aussi opposé, parce que le principe de l'intelligence désigne ce qui voit. Donc la stupidité du sens est la même chose que l'aveuglement de l'esprit.
2. Saint Grégoire dit (Mor. lib. xxxi, cap. 17) en parlant de la stupidité du sens qu'elle se rapporte à l'intelligence. Or, quand le sens intellectuel est obtus, il semble que ce vice ne soit rien autre chose qu'un défaut d'intelligence, ce qui revient à l'aveuglement de l'esprit. Donc la stupidité du sens est la même chose que l'aveuglement de l'esprit.
3. Si ces deux choses diffèrent, il semble surtout que ce soit en ce que l'aveuglement de l'esprit est volontaire, comme nous l'avons dit (art. préc.), tandis que la stupidité du sens est un défaut naturel. Or, un défaut naturel n'est pas un péché, par conséquent il s'ensuivrait que la stupidité du sens ne serait pas un péché ; ce qui est contraire à saint Grégoire (toc. cit.), qui la met au nombre des vices qui sont l'effet de la gourmandise.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Des causes différentes produisent des effets divers. Or, saint Grégoire dit (Mor. lib. xxxi, cap. 17) que la stupidité du sens est un effet de la gourmandise, tandis que l'aveuglement de l'esprit provient de la luxure. Donc par là même que la gourmandise et la luxure sont des vices différents, la cupidité et l'aveuglement diffèrent aussi.
CONCLUSION. — La stupidité du sens et l'aveuglement de l'esprit sont opposés au don d'intelligence de telle sorte que la stupidité est une espèce de faiblesse intellectuelle qui empêche l'esprit de considérer les biens spirituels, tandis que l'aveuglement implique la privation complète de la connaissance de ces mêmes biens.
Réponse Il faut répondre que la stupidité est opposée à la pénétration. On dit que l'esprit est délié (acutus) par là même qu'il est pénétrant ; et on dit qu'il est stupide, quand il estobtus et qu'il manque de perspicacité. De même par analogie on dit que les sens corporels pénètrent un milieu, en ce sens qu'ils perçoivent leur objet à distance, ou bien parce qu'ils peuvent le percevoir en pénétrant ses moindres accidents et ce qu'il y a en lui de plus intime. Ainsi, en fait de choses corporelles, on dit qu'un individu a les sens très- perçants, quand il peut percevoir de loin un objet sensible, soit par la vue, soit par l'ouïe, soit par l'odorat. Au contraire on dit que ses sens sont obtus quand il ne perçoit que de près et les choses les plus grossières. — Par analogie aux sens corporels, on admet à l'égard de l'intelligence un sens qui a pour objet les premiers principes et les dernières résolutions, selon l'expression d'Aristote (Eth. lib. vi, cap. 8 et 11) ; comme les sens connaissent les choses sensibles, qui sont en quelque sorte les principes de la connaissance. Ce sens intellectuel ne perçoit pas son objet par le moyen de la distance corporelle, mais .par d'autres moyens; ainsi il perçoit l'essence d'une chose par ses propriétés, et il connaît la cause par l'effet. On dit donc que le sens intellectuel est pénétrant, quand il comprend la nature d'une chose aussitôt qu'il en perçoit les propriétés ou les effets, et quand il parvient a saisir dans un objet jusqu'aux détads les plus minutieux. Au contraire, on a le sens intellectuel obtus, quand on ne peut parvenir à connaître la vérité d'une chose qu'après de longues explications, et que d'ailleurs on ne peut pas encore parfaitement saisir tout ce qui s'y rapporte. Par conséquent la stupidité du sens intellectuel implique une certaine faiblesse de l'esprit relativement à la contemplation des biens spirituels, tandis que l'aveuglement de l'esprit implique la privation absolue de leur connaissance. Ces deux vices sont opposés au don d'intelligence, qui rend l'homme apte à connaître les biens spirituels et à pénétrer intimement dans ce qu'ils ont de plus secret. La stupidité n'est coupable qu'autant qu'elle est volontaire, aussi bien que l'aveuglement de l'esprit, comme on le voit dans celui qui, par affection pour les choses charnelles (J), néglige d'étudier avec soin les choses spirituelles ou n'y a aucun goût.
(2) Cette opinion d'Anaxagorc est rapportée par Aristote dans son Traité de l'âme (lib. iii, cap. iv, g 5), mais il est très-difficile de la bien préciser. Voyez les fragments d'Anaxagore recueillis par Schaubacb (írag. 8, pag. ICO).
La réponse aux objections est par là même évidente.
II-II (Drioux 1852) Qu.13 a.4