II-II (Drioux 1852) Qu.17 a.4
Objections: 1. Il semble qu'il soit permis à l'homme d'espérer dans son semblable; car l'objet de l'espérance est la béatitude éternelle. Or, les saints nous aident à obtenir cette béatitude, puisque saint Grégoire dit (I. Dial. cap. 8) que les prières des saints aident à la prédestination. On peut donc espérer dans les hommes.
2. Si on ne peut pas espérer dans son semblable, on ne devrait reprocher à personne de ne pouvoir pas se confier dans les autres. On le reproche cependant à certains individus comme un crime, ainsi qu'on le voit par ces paroles du prophète (Jr 9,4) : Il faut parmi eux que chacun se garde de son prochain et que nul ne se fie à son frère. Il est donc permis à l'homme d'espérer dans son semblable.
3. La demande est l'expression de l'espérance, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. arg. 2). Or, l'homme peut licitement demander une chose à son semblable. Il peut donc aussi l'espérer de lui de la même manière.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Jérémie dit (Jr 17,5) : Maudit soit l’homme qui met sa confiance dans son semblable.
CONCLUSION. — Quoiqu'on ne doive espérer qu'en Dieu, comme dans la cause principale de la béatitude, il est cependant permis de mettre son espérance dans l'homme ou dans une autre créature, comme dans un agent secondaire et instrumental, utile pour obtenir un bien qui se rapporte à la béatitude.
Réponse Il faut répondre que l'espérance, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest. et r 2ae, quest. xl, art. 7, et quest. xlii, art. I), se rapporte à deux choses: au bien qu'on a l'intention d'obtenir et au secours par lequel on l'obtient. Le bien qu'on espère obtenir a la nature de la cause finale, tandis que le secours par lequel on espère l'obtenir a la nature de la cause efficiente. Dans ces deux genres de cause, il y a quelque chose de principal et quelque chose de secondaire. La fin principale est la fin dernière, tandis que la fin secondaire est le bien qui se rapporte à cette fin (4). De même la cause principale efficiente est le premier agent, tandis que la cause secondaire efficiente est l'agent secondaire instrumental. Or, l'espérance se rapporte à la béatitude éternelle comme à sa fin dernière, tandis qu'elle se rapporte à Dieu comme à la cause première qui nous élève à cette béatitude. Par» conséquent comme il n'est pas permis d'espérer un autre bien que la béatitude Dour sa fin dernière et qu’ on ne peut espérer les biens secondaires que, rapport à la fin de la béatitude elle-même ; de même il n'est pas permis de mettre son espérance dans un homme ou dans une créature comme dans la cause première qui élève à la béatitude. Mais il est permis d'espérer dans un homme ou dans une créature, comme dans un agent secondaire et instrumental, dont on peut s'aider pour obtenir les biens qui se rapportent à la béatitude. C'est ainsi que nous nous adressons aux saints (4), et que nous demandons à nos semblables quelque chose, et c'est à ce point de vue qu'on blâme ceux sur le secours desquels on ne peut compter (2).
La réponse aux objections est par là même évidente.
(3) Cet article se rapporte indirectement au culte des saints, dont saint Thomas doit d'ailleurs parler ex professo, en parlant de la vertu de religion.
(4) Telles sont ici les vertus et les bonnes oeuvres par lesquelles on arrive à la béatitude.
Objections: 1. Il semble que l'espérance ne soit pas une vertu théologale. Car la vertu théologale est celle qui a Dieu pour objet. Or, l'espérance n'a pas que Dieu pour objet, mais elle a encore d'autres biens que nous espérons obtenir de lui. Elle n'est donc pas une vertu théologale.
2. La vertu théologale ne consiste pas dans un milieu entre deux vices, comme nous l'avons vu (1*2", quest. lxiv, art. 4). Or, l'espérance tient le milieu entre la présomption et le désespoir. Elle n'est donc pas une vertu théologale.
3. L'attente appartient à la longanimité qui est une espèce de force. Par conséquent l'espérance étant une attente, il semble qu'elle ne soit pas une vertu théologale, mais une vertu morale.
4. L'objet de l'espérance est ardu. Or, il appartient à la magnanimité qui est une vertu morale de tendre vers ce qui est ardu. Par conséquent l'espérance est une vertu morale et non une vertu théologale.
En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre met (1Co 8) l'espérance sur la même ligne que la foi et la charité qui sont des vertus théologales.
CONCLUSION. — L'espérance est une vertu théologale, puisqu'elle a Dieu pour objet.
Réponse Il faut répondre que les différences spécifiques divisant le genre par elles- mêmes, il faut examiner d'où l'espérance tire sa nature comme vertu pour savoir sous quelle espèce on doit la placer. Or, nous avons dit (art. 1 et 4 huj. quaest.) que l'espérance est une vertu, parce qu'elle atteint la règle suprême des actes humains; elle l'atteint comme la cause première efficiente, en ce sens que c'est sur son secours qu'elle repose, et elle l'atteint comme la cause finale dernière, en ce qu'elle attend la béatitude qui consiste dans sa jouissance. Ainsi il est évident que l'objet principal de l'espérance, comme vertu, est Dieu. Et puisque l'essence de la vertu théologale consiste en ce qu'elle à Dieu pour objet, comme nous l'avons dit (I-II, quest. lxii, art. 1), il est évident que l'espérance est une vertu théologale.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que tous les autres biens qui sont l'objet de l'espérance, on les espère (4) par rapport à Dieu considéré comme la fin dernière ou comme la cause première efficiente, ainsi que nous l'avons dit (art. préc. et art. 2).
2. Il faut répondre au second, que dans les choses qu'on règle ou qu'on mesure, le milieu est ce qui est conforme à la règle ou à la mesure ; l'excès est ce qui dépasse la règle ; le défaut ce qui reste en deçà. Quant à la règle ou à la mesure elle-même, il n'y a en elle ni milieu, ni extrême. Or, la vertu morale a pour objet propre les choses qui sont réglées par la raison -, c'est pourquoi, relativement à son objet propre, il lui convient absolument d'exister dans un milieu. Mais la vertu théologale se rapporte, comme à son objet propre, à la règle première qui n'est pas réglée par une autre. C'est pourquoi il ne lui convient pas essentiellement et selon son objet propre de consister dans un milieu. Cependant elle peut y consister par accident, en raison de ce qui se rapporte à son objet principal. Ainsi la foi ne peut pas avoir un milieu et des extrêmes, puisqu'elle repose sur la vérité première en laquelle il n'est pas possible d'avoir trop de confiance; mais relativement à ce qu'elle croit, elle peut avoir un milieu et des extrêmes; c'est ainsi qu'une chose vraie tient le milieu entre deux choses fausses. De même l'espérance n'a pas un milieu et des extrêmes relativement à son objet principal, parce que personne ne peut trop s'appuyer sur le secours de Dieu ; mais par rapport aux choses qu'on a la confiance d'obtenir, il peut y avoir un milieu et des extrêmes en ce sens qu'on tombe dans la présomption en espérant ce qui est au-dessus de ses forces, ou dans le désespoir (1) à l'égard de ce qu'on peut faire.
3. Il faut répondre au troisième, que l'attente qui entre dans la définition de l'espérance n'implique pas un délai, comme l'attente qui appartient à la longanimité. Mais elle implique un recours à l'aide de Dieu, soit que l'objet espéré soit différé, soit qu'il ne le soit pas.
4. Il faut répondre au quatrième, que la magnanimité tend à une chose difficile, tout en espérant ce qui n'est pas au-dessus de sa puissance. D'où il résulte qu'elle a proprement pour objet l'exécution de quelques grandes choses; tandis que l'espérance considérée comme une vertu théologale a pour objet ce qui est difficile, mais qu'on ne peut obtenir que par le secours d'un autre (2), ainsi que nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.).
animi divinitus infusus, per quem certd fiducid oeternae vitae bona auxilio divino obtinenda expectamus.
(4) C'est ainsi qu'on espère la grâce et toutes les vertus chrétiennes.
Objections: 1. Il semble que l'espérance ne soit pas une vertu distincte des autres vertus théologales. Car les habitudes se distinguent d'après leurs objets, comme nous l'avons dit (1* 2", quest. liv, art. 2). Or, l'objet de l'espérance et des autres vertus théologales est le même. Donc l'espérance ne se distingue pas des autres vertus théologales.
2. Dans le symbole où nous confessons notre foi, il est dit : J'attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Or, l'attente de la béatitude future appartient à l'espérance, comme nous l'avons dit (art. préc. et 2 huj. quaest.). L'espérance ne se distingue donc pas de la foi.
3. L'homme tend vers Dieu par l'espérance. Or, tendre vers Dieu est le propre de la charité. Donc l'espérance ne se distingue pas de cette vertu.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Où il n'y pas de distinction, il n'y a pas de nombre. Or, on compte l'espérance parmi les autres vertus théologales. Car saint Grégoire dit (Mor. lib. i, cap. 42 et 4G) qu'il y a trois vertus, l'espérance, la foi et la charité. L'espérance est donc une vertu distincte des autres vertus théologales.
(3) CONCLUSION. — L'espérance se distingue des autres vertus théologales, parce qu'elle est la seule par laquelle nous adhérons à Dieu, comme étant en nous le principe de la bonté parfaite et que d'ailleurs c'est par elle que nous nous appuyons sur le secours de Dieu pour obtenir la béatitude.
Réponse Il faut répondre qu'on dit qu'une vertu est théologale par là même qu'elle a Dieu pour l'objet auquel elle adhère. Or, on peut adhérer à quelqu'un de deux manières : 1° par soi-même; 2° parce qu'on s'en sert pour arriver à autre chose. La charité fait donc que l'homme s'attache à Dieu pour lui- même, en unissant son esprit à lui par l'affection de l'amour. Mais l'espérance et la foi font que l'homme s'attache à Dieu, comme au principe duquel découlent tous nos biens. Or, ce qui nous vient de Dieu, c'est la connaissance de la vérité et la possession de la bonté parfaite. Par conséquent la foi fait que nous nous attachons à Dieu, comme au principe qui nous fait connaître la vérité. Car nous croyons que ce que Dieu nous dit est vrai. L'espérance nous fait adhérer à Dieu, comme au principe de la bonté parfaite en nous, en ce sens que par l'espérance nous nous appuyons sur le secours de Dieu pour obtenir la béatitude (1).
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que Dieu est l'objet de ces vertus, sous des rapports différents, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Or, pour la distinction des habitudes il suffit que le même objet soit considéré sous des rapports divers (2), comme nous l'avons vu (la 2X, quest. liv, art. 2).
2. Il faut répondre au second, que l'attente est exprimée dans le symbole, non parce qu'elle est un acte propre de la foi, mais en ce sens que l'acte d'espérance présuppose la foi, comme nous le dirons (art. 7 seq.). Par conséquent, l'acte de foi est manifesté par l'acte d'espérance.
3. Il faut répondre au troisième, que l'espérance fait tendre vers Dieu, comme vers le bien final qu'on doit obtenir et comme vers le secours efficace qui doit nous venir en aide. Mais la charité fait, à proprement parler, tendre vers Dieu, en unissant l'affection de l'homme à lui, de telle sorte qu'il ne vive plus pour lui, mais pour Dieu (3).
Dieu et ses bonnes oeuvres, ne peut pas avoir une trop grande coniiance dans la miséricorde divine.
(2) Elle'a pour objet la participation à la gloire de Dieu qu'on ne peut obtenir que par la grâce. L'espérance nous fait tendre vers Dicti pour en obtenir un secours; la charité est plus désintéressée, elle nous fait tendre vers lui pour lui-même.
Le concile de Trente suppose que la foi précède l'espérance (sess. Vf, can. 61; c« qui d'ailleurs n'a jamais été contesté.
Objections: 1. Il semble que l'espérance précède la foi. Car à l'occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps 36) : Spera in Domino et fac bonitatem, la glose dit (interl. Cassiod.) : L'espérance est l'entrée de la foi, le commencement du salut. Or, le salut est produit par la foi qui nous justifie. Donc l'espérance précède la foi.
2. Ce qui entre dans la définition d'une chose doit être antérieur à elle et plus connu. Or, l'espérance entre dans la définition de la foi, comme on le voit par ces paroles de l'Apôtre (He 11,1) : La foi est la substance des choses que l’on doit espérer. Donc l'espérance est antérieure à la foi.
3. L'espérance précède l'acte méritoire. Car l'Apôtre dit (1Co 9,10) que celui qui laboure doit labourer avec l'espérance d'en tirer des fruits. Or, l'acte de foi est méritoire. L'espérance précède donc la foi.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit dans l'Evangile (Mt 1) qu'Abraham engendra Isaac, c'est-à-dire, selon l'interprétation de la glose : la foi engendre l'espérance.
CONCLUSION.—La foi précède l'espérance, puisque par elle nous savons que nous pouvons obtenir la vie éternelle, et que le secours de Dieu nous est préparé à ce dessein.
Réponse Il faut répondre que la foi précède absolument l'espérance. Car l'objet de l'espérance est le bien futur, ardu, mais possible à obtenir. Par conséquent, pour que quelqu'un espère, il est nécessaire que l'objet de son espérance lui soit proposé comme possible. Or, l'objet de l'espérance est d'un côté la béatitude éternelle, et de l'autre le secours de Dieu, comme nous l'avons dit (art. 2 et 6). Ces deux choses nous sont proposées par la foi, qui nous fait connaître que nous pouvons parvenir à la vie éternelle, et que le secours de Dieu nous à été préparé à dessein, d'après ces paroles de l'Apôtre (He 11,6) : Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il récompense ceux qui le cherchent. D'où il est manifeste que la foi précède l'espérance.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme ajoute la glose au même endroit, on dit que l'espérance est l'entrée de la foi, c'est-à-dire de la chose crue, parce que c'est l'espérance qui fait entrer pour voir ce que l'on croit (1). Ou bien on peut dire que c'est l'entrée de la foi, parce que c'est par l'espérance que l'homme parvient à être affermi et perfectionné dans sa foi.
2. Il faut répondre au second, qu'on fait entrer dans la définition de la foi la chose qu'on doit espérer, parce que l'objet propre de la foi n'est pas évident par lui-même. Par conséquent il a été nécessaire de le désigner par une circonlocution et de le faire ainsi connaître parce qui en est la conséquence.
3. Il faut répondre au troisième, que tout acte méritoire n'a pas une espérance antécédente, mais il suffit qu'il ait une espérance concomitante ou conséquente.
Objections: 1. Il semble que la charité soit antérieure à l'espérance. Car à l'occasion de ces paroles de saint Luc (13) : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, saint Ambroise dit :La charité vient de la foi, l'espérance vient de la charité. Or, la foi est antérieure à la charité. Donc la charité est antérieure à l'espérance.
2. Saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. xiv, cap. 9) que les bons mouvements et les bonnes affections viennent de l'amour et de la charité pure. Or, l'espoir considéré comme un acte de la vertu d'espérance est un bon mouvement de l'âme. Par conséquent cette vertu découle de la charité.
3. Le Maître des sentences dit (lib. iii, dist. 26) que l'espérance provient des mérites qui précèdent non-seulement la chose espérée, mais encore l'espérance à laquelle la charité est naturellement antérieure. Donc la charité est antérieure à l'espérance.
En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Tm 1,5) : La fin du commandement c'est la charité qui liait d'un coeur pur et d'une bonne conscience; c'est-à-dire, suivant la glose, de l'espérance. L'espérance est donc antérieure à la charité.
CONCLUSION. — Quoique l'espérance soit originairement antérieure à la charité, néanmoins la charité l'emporte en perfection sur l'espérance.
Réponse Il faut répondre qu'il y a deux sortes d'ordre : celui de la génération et de la matière, d'après lequel l'imparfait est antérieur au parfait ; celui de la perfection et de la forme, d'après lequel le parfait précède naturellement l'imparfait. D'après le premier de ces ordres, l'espérance est antérieure à la charité Ce qui est évident, parce que l'espérance et tout mouvement appétitif découle de l'amour, comme nous l'avons vu (V 2", quest. lv, art. 1 et en traitant des passions. Pour l'amour, l'un est parfait et l'autre imparfait. l'amour parfait est celui par lequel on aime quelqu'un pour lui- même (1), comme par exemple quand on veut du bien à quelqu'un dans son intérêt ; c'est ainsi que l'on aime son ami. L'amour imparfait est celui par lequel on aime une chose non pour elle-même, mais pour l'avantage qu'on en retire (2). C'est de cette façon que l'homme aime la chose qu'il désire. Le premier amour appartient à la charité qui s'attache à Dieu pour lui-même; mais l'espérance appartient au second (3), parce que celui qui espère a l'intention d'obtenir quelque chose pour lui. C'est pourquoi, selon l'ordre de génération, l'espérance est antérieure à la charité. Car comme quelqu'un est amené à aimer Dieu par là même qu'il craint d'en être puni (4), et qu'il cesse de l'offenser, selon l'observation de saint Augustin (Tract. Sin ), de même l'espérance conduit à la charité,, en ce sens que celui qui espère être récompensé de Dieu est excité à l'aimer et à observer ses préceptes. Mais, selon l'ordre de perfection, la charité est naturellement antérieure. C'est pourquoi du moment où la charité existe, l'espérance devient plus parfaite (5), parce que c'est surtout de ses amis qu'on espère. C'est en ce sens que saint Ambroise dit (toc. cit.) que l'espérance procède de la charité.
Solutions: 1. La réponse au premier argument est par là même évidente.
2. Il faut répondre au second, que l'espérance et tout mouvement appétitif provient d'un certain amour, de celui par lequel on aime le bien qu'on a attendu. Mais toute espérance ne provient pas de la charité; il n'y a que l'acte de l'espérance parfaite par laquelle on espère de Dieu, comme d'un ami, la béatitude.
3. Il faut répondre au troisième, que le Maître des sentences parle de l'espérance parfaite que précèdent naturellement la charité et les mérites qui sont les effets de cette dernière vertu.
(2)le concile de Trente suppose l'ordre déterminé ici par saint Thomas (Viti. sess, vi, cap. Oj.
(I) C'est l'espérance qni nous promet que dans le ciel nous verrons un jour ce que nouscro;ons maintenant sans le voir.
(5) L'espérance reçoit comme la foi son complément ou son perfectionnement de la rharité. Ces trois vertus sont d'ailleurs simultanément in- luses avec la grâce sanctifiante (conc. 'Trid. sess, vi, cap. 7) : In ipsa iustificatione cum remissione peccatorum, haec omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christum, cui inseritur, fidem, spem et charitatem.
Après avoir parlé de l'espérance elle-même, nous avons à nous occuper de son sujet. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° La vertu d'espérance existe-t-elle dans la volonté comme dans son sujet? — 2° Existe-t-elle dans les bienheureux? — 3° Existe-t-elle dans les damnés ? — 4° Est-:elle certaine pour ceux qui sont ici-bas ?
son sujet?
Objections: 1. Il semble que l'espérance n'existe pas dans la volonté comme dans son sujet. Car l'objet de l'espérance est le bien difficile, comme nous l'avons dit (quest. préç. art. i, et I-II, quest. xl, art. 1). Or, le difficile n'est pas l'objet de la volonté, mais de l'appétit irascible. Donc l'espérance n'existe pas dans la volonté, mais dans l'irascible.
2. Quand une chose suffit, il est superflu d'en ajouter une seconde. Gr, pour perfectionner la puissance de la volonté, c'est assez de la charité qui est la plus parfaite des vertus. Donc l'espérance n'existe pas dans la volonté.
3. Une puissance ne peut exister simultanément dans deux actes, comme l'intelligence ne peut comprendre en même temps plusieurs choses. Or, l'acte d'espérance peut exister simultanément avec l'acte de charité. Par conséquent, puisque l'acte de charité appartient manifestement à la volonté, l'acte d'espérance ne lui appartient pas. L'espérance n'existe donc pas dans la volonté.
En sens contraire Mais c'est le contraire. L'âme ne peut percevoir Dieu qu'au moyen de l'esprit (mens), qui comprend la mémoire, l'intelligence et la volonté, comme le prouve saint Augustin (De Trin. lib. xiv, cap. 3 et 6). Or, l'espérance est une vertu théologale qui a Dieu pour objet. Par conséquent, puisqu'elle n'existe ni dans la mémoire, ni dans l'intelligence qui appartiennent à la puissance cognitive, il s'ensuit qu'elle existe dans la volonté comme dans son sujet.
CONCLUSION. — Puisque l'objet de l'espérance est le bien surnaturel et divin, elle existe non dans l'appétit sensitif, mais dans l'appétit intelligente ou dans la volonté, comme dans son objet propre.
Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. iv, art. 4, et part. I, quest. lxxxvii, art. 2), on connaît les habitudes par les actes. Or, l'acte d'espérance est un mouvement de la partie appétitive, puisqu'elle a pour objet le bien. Et comme il y a dans l'homme deux sortes d'appétit, l'appétit sensitif qui se divise en irascible et en concupiscible, et l'appétit intelligente qu'on appelle la volonté, ainsi que nous l'avons vu (part. I, quest. lxxxii, art. 5), les mouvements qui existent dans l'appétit inférieur sont accompagnés de passion (4), tandis que ceux qui existent dans l'appétit supérieur existent sans cela, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (part. I, quest. lxxxii, art. 5 ad 4, et 4 2ae, quest. xxii, art. 3 ad 3) (1). L'acte d'espérance ne peut appartenir à l'appétit sensitif, parce que le bien qui est l'objet principal de cette vertu n'est pas un bien sensible, mais un bien divin. C'est pourquoi l'espérance existe dans l'appétit supérieur qu'on appelle la volonté, comme dans son sujet, mais elle n'existe pas dans l'appétit inférieur auquel appartient l'irascible.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'objet de l'irascible c'est ce qui est difficile, et sensible, tandis que l'objet de la vertu d'espérance est ce qui est difficile et intelligible ou plutôt supérieur à l'intelligence même (2).
2. Il faut répondre au second, que la charité perfectionne suffisamment la volonté relativement à un de ses actes qui est l'amour-, mais il faut une autre vertu pour la perfectionner relativement à un autre acte qui est l'espérance.
3. Il faut répondre au troisième, que le mouvement de l'espérance et celui de la charité sont subordonnés l'un à l'autre, comme nous l'avons prouvé (quest. xvii, art. 8). Par conséquent, rien n'empêche qu'ils n'appartiennent simultanément l'un et l'autre à la même puissance. Ainsi l'intelligence peut comprendre plusieurs choses simultanément du moment qu'elles sont subordonnées entre elles, comme nous l'avons vu (part. quest. lxxxv, art. 4).
(1)C'est ce qu'on appelle l'amour d'amitié.
Objections: 1. Il semble que l'espérance existe dans les bienheureux. Car le Christ a été on possession parfaite de la béatitude dés le commencement de sa conception. Or, il a eu l'espérance, puisque d'après la glose c'est de lui qu'il est dit (Ps 30) : J'ai espéré en vous, Seigneur. Donc l'espérance peut exister dans les bienheureux.
2. Comme l'obtention de la béatitude est un bien difficile, de même aussi sa conservation. Or, les hommes avant d'avoir la béatitude espèrent l'obtenir. Donc après l'avoir obtenue, ils peuvent espérer la conserver.
3. Par la vertu d'espérance on peut espérer la béatitude non-seulement pour soi, mais encore pour les autres, comme nous l'avons dit (quest. xvii, art. 3). Or, les bienheureux qui sont au ciel espèrent la béatitude pour les autres, sans cela ils ne prieraient pas pour eux. L'espérance peut donc exister dans les bienheureux.
4. La béatitude des saints comprend non-seulement la gloire de l'âme, mais encore celle du corps. Or, les âmes des saints qui sont dans le ciel attendent encore la gloire du corps, comme on le voit (Ap 6), et dans saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. xii, cap. 35). Donc l'espérance peut exister dans les bienheureux.
En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Rm 8,24) : Espère-t-on ce que l'on voit? Or, les bienheureux jouissent de la vision de Dieu. Donc ils ne peuvent espérer.
CONCLUSION. — L'espérance, pas plus que la foi, ne peut exister dans les bienheureux, puisque leur béatitude n'est plus à venir, mais qu'elle est présente.
Réponse Il faut répondre que du moment où l'on retire ce qui donne à une chose son espèce, l'espèce est détruite et la chose ne peut plus rester la même. Ainsi en étant à un corps naturel sa forme, il ne reste plus le même dans l'espèce. Or, l'espérance tire son espèce de son objet principal, comme toutes les autres vertus, ainsi que nous l'avons vu (quest. préc. art. 5 et 6, et 4a 2*, quest. Liv, art. 2). Son objet principal est la béatitude éternelle selon qu'il nous est possible de l'acquérir avec le secours de Dieu, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 1 et^2). Le bien difficile, mais possible, n'est donc l'objet de l'espérance qu'autant qu'il est à venir. C'est pourquoi la béatitude n'étant plus une chose future, mais présente, la vertu d'espérance ne peut plus exister au ciel. Par conséquent, l'espérance aussi bien que la foi sera détruite dans Ieriel, et ni l'une ni l'autre ne peut exister dans les bienheureux.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique le Christ fût en possession de la gloire, et par conséquent bienheureux par rapport à la jouissance divine, il était néanmoins simultanément voyageur par rapport à la passibilité de la nature qu'il avait encore avec lui. C'est pourquoi il a pu espérer la gloire de l'impassibilité et de l'immortalité (I) sans avoir pour cela la vertu d'espérance qui ne se rapporte pas à la gloire du corps, comme à son objet principal, mais plutôt à la jouissance divine.
2. Il faut répondre au second, qu'on appelle la béatitude des saints la vie éternelle, parce que par là même qu'ils jouissent de Dieu, ils deviennent en quelque sorte participants de l'éternité divine qui surpasse toute espèce de temps. Ainsi la continuation de la béatitude n'est pas diversifiée par le présent, le passé et le futur. C'est pourquoi les bienheureux n'espèrent pas que la béatitude continuera, mais ils possèdent la chose même (2), parce qu'il n'y a plus pour eux d'avenir.
3. Il faut répondre au troisième, que tant que dure la vertu d'espérance, c'est par la même espérance qu'on espère la béatitude pour soi (1) et pour les autres. Mais quand les bienheureux, n'ont plus l'espérance par laquelle ils espéraient la béatitude pour eux-mêmes, ils l'espèrent encore pour les autres; mais ce n'est pas par la vertu d'espérance, c'est plutôt par l'amour de la charité. C'est ainsi que celui qui a la charité de Dieu aime le prochain par cette même charité. Cependant on peut aimer le prochain sans avoir cette vertu, mais alors on l'aime d'un autre amour.
4. Il faut répondre au quatrième, que l'espérance étant une vertu théologale qui a Dieu pour objet, son objet principal est la gloire de l'âme qui consiste dans la jouissance de Dieu, mais non la gloire du corps (2). D'ailleurs la gloire du corps quoiqu'elle soit une chose difficile par rapport à la nature humaine, n'est cependant pas difficile par rapport à celui qui a la gloire de l'âme ; soit parce que la gloire du corps est peu de chose comparativement à la gloire de l'âme, soit parce que celui qui a la gloire de l'âme possède la cause suffisante de la gloire du corps (3).
(2)Puisqu'il est surnaturel.
(5) L'Apôtre indique que l'espérance n'exister*
plus dans le cicl (1Co 13) : Aune manent fides, spes, charitas : majora autem horum est charitas.
(I) L'espérance est alors prise dans un sens large, mais elle n'est pas la même fjuc celle qui est une vertu théologale.
(2) Elle est pour eux comme pour Dieu une chose présente. nous avons indiqué dans la note précédente.
(5) Celle-ci vient d'elle-même, comme la conséquence après le principe. Les bienheureux la désirent, mais ils ne l'espèrent pas, dans le sens théologique de ce dernier mot.
(i) Cet article combat ceux qui n'admettent pas l'éternité des peines et qui croient que les souffrances des damnés auront un terme.
Objections: 1. Il semble que l'espérance existe dans les damnés. Car le diable est damné et le prince des damnés, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 25,41) : Allez-, maudits, au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. Or, le diable espère, puisqu'il est dit dans Job (Jb 40,28) qu'il sera trompé dans ses espérances. Il semble donc que les damnés aient l'espérance.
2. Comme la foi est formée et informe, de même aussi l'espérance. Or, la foi informe peut exister dans les démons et les damnés, d'après cette parole de l'apôtre saint Jacques (Jc 2,19) : Les démons croient et tremblent. Il semble donc que l'espérance puisse être informe dans les damnés.
3. Pour aucun homme le mérite ou le démérite qu'il n'a pas eu en cette vie n'augmente après la mort, suivant cette parole de l'Ecriture (Qo 11,3) : Si l’arbre tombe vers le midi ou vers l’aquilon, il reste dans l'endroit même où il est tombé. Or, parmi les damnés il y en a beaucoup qui ont eu en cette vie l'espérance et qui n'ont jamais désespéré. Ils auront donc encore cette vertu dans l'autre vie.
En sens contraire Mais c'est le contraire. L'espérance produit la joie, selon cette expression de l'Apôtre (Rm 12,12) : Réjouissez-vous dans l'espérance. Or, les damnés ne sont pas dans la joie, mais dans la douleur et le chagrin, suivant cette pensée du prophète Isaïe (Is 65,14) : Mes sentiments éclateront par des cantiques de louanges dans le ravissement de leur coeur, et vous éclaterez par de grands cris dans l'amertume de votre âme et en de tristes hurlements dans le déchirement de votre esprit. Donc l'espérance n'existe pas dans les damnés.
CONCLUSION. — Les damnés n'ont aucune espérance, puisqu'ils sont certains de n'échapper jamais aux peines éternelles.
Réponse Il faut répondre que, comme il est de l'essence de la béatitude que la volonté se repose en elle; de même il est de l'essence de la peine que ce qui est infligé à ce titre '.répugne à la volonté. Or, ce qu'on ignore ne peut être par la volonté ni un sujet de repos, ni un sujet de chagrin. C'est pourquoi saint Augustin dit(5«p. Gen. ad litt. lib. xi, cap. 17 et 19) que les anges ne pouvaient être parfaitement heureux avant leur glorification ou leur chute, puisqu'ils ne prévoyaient pas ce qui devait leur arriver. Car pour que la béatitude soit parfaite et véritable, il est nécessaire que l'on soit certain de sa perpétuité; autrement la volonté ne serait pas tranquille. — De même puisque la perpétuité de la damnation est attachée à la peine des damnés, cette perpétuité ne serait pas un châtiment, si elle ne répugnait à la volonté, et elle ne pourrait lui répugner, si elle n'était pas connue. C'est pourquoi la condition misérable des damnés exige qu'ils sachent qu'ils ne peuvent d'aucune manière échapper à la damnation et parvenir à la béatitude. C'est ce qui fait dire à Job (15, 22) que le damné ne croit pas pouvoir retourner des ténèbres à la lumière. D'où il est évident qu'ils ne peuvent pas plus considérer le bonheur comme un bien possible, que les bienheureux ne peuvent le considérer comme un bien futur. C'est pour cette raison que l'espérance n'existe ni dans les bienheureux, ni dans les damnés. Mais elle peut exister dans ceux qui ne sont pas encore arrivés au terme, soit qu'ils vivent ici-bas, soit qu'ils souffrent dans le purgatoire (1), parce que dans l'un et l'autre cas la béatitude est pour eux un bien futur, mais possible.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que d'après saint Grégoire (Mor. lib. xxxiii, cap. 19), ii s'agit en cet endroit du diable considéré dans ses membres qui verront en effet toutes leurs espérances trompées. — Ou bien si on entend ces paroles du diable lui-même, on peut les rapporter à l'espérance (2) qu'il a de remporter la victoire sur les saints, et on y est autorisé par ce qui précède (ib. 18):// se promet que le Jourdain viendra couler dans sa gueule. Mais ce n'est pas de cette espérance dont il s'agit ici.
2. Il faut répondre au second, que, comme dit saint Augustin (Ench, cap. 8), la foi a pour objet les bonnes et les mauvaises choses, ce qui est passé, présent, et à venir, ce qui appartient et ce qui n'appartient pas ; tandis que l'espérance ne se rapporte qu'aux choses bonnes, qui sont à venir, et qui appartiennent à celui qui espère. C'est pourquoi la foi informe peut exister dans les damnés plutôt que l'espérance; parce que les biens de Dieu ne sont plus pour eux ni futurs, ni possibles ; ils sont seulement absents.
3. Il faut répondre au troisième, que le défaut d'espérance dans les damnés ne change pas le démérite, comme la ruine de l'espérance dans les bienheureux n'augmente pas leur mérite; mais, de part et d'autre, c'est un effet qui résulte du changement d'état (3).
(Í) Cette question se présente sous un double aspect. De la part de son objet, qui est Dieu, l'espérance est certaine, car il n'y a rien de plus si'ir que la toute-puissance du secours divin : de la part du sujet, elle est incertaine, parce que l'homme peut manquer de correspondre à la grâce. C'est ce que le concile de Trente exprime parfaitement (sess. Vi, cap. 12) en parlant de la persévérance
II-II (Drioux 1852) Qu.17 a.4