II-II (Drioux 1852) Qu.180 a.7
Objections: 1. Il semble que la contemplation ne produise pas de délectation. Car la délectation appartient à la puissance appétitive, tandis que la contemplation consiste principalement dans l'intellect. Il semble donc qu'elle n'appartienne pas à la contemplation.
2. Toute contention et tout combat empêche la délectation. Or, dans la contemplation il y a lutte et combat; car saint Grégoire dit (Hom. xiv sup. Ezech. ) que l'âme, quand elle s'efforce de contempler Dieu, est placée dans une sorte de combat : tantôt elle triomphe, parce que par l'intelligence et le sentiment elle goûte quelque chose de la lumière infinie ; et tantôt elle succombe, parce qu'après l'avoir goûtée elle vient à défaillir de nouveau. La vie contemplative n'a donc pas de délectation.
3. La délectation est la conséquence de l'opération parfaite, comme le dit Aristote (Eth. lib. x, cap. 4). Or, ici-bas la contemplation est imparfaite, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 11,12) : Nous voyons maintenant en énigme comme dans un miroir. Il semble donc que la vie contemplative soit sans délectation.
4. Une lésion corporelle empêche la délectation. Or, la contemplation entraîne une lésion de la part du corps. C'est pourquoi il est rapporté (Gen32.) que Jacob, après avoir dit : J'ai vu le Seigneur face à face, boitait, parce que Dieu lui avait touché le nerf de la cuisse et l'avait desséché. Il semble donc que dans la vie contemplative il n'y ait pas de délectation.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit de la contemplation de la sagesse (Sg 6,16) : Sa conversation n'a pas d'amertume, et sa compagnie n'a pas d'ennui, mais elle procure la satisfaction et la joie, etc. Saint Grégoire observe (loc. cit.) que la vie contemplative est d'une douceur très- agréable.
CONCLUSION. — La vie contemplative n'est pas seulement agréable aux hommes d'après la nature de la contemplation, mais elle surpasse toutes les autres jouissances parce qu'elle a pour racine l'amour divin.
Réponse Il faut répondre qu'une contemplation peut être agréable de deux manières : l° en raison de l'opération elle-même ; parce que chaque être trouve agreable l'opération qui lui convient selon sa propre nature ou son habi tude. Or, la contemplation de la vérité convient à l'homme selon sa nature, c'est-à-dire comme animal raisonnable. Car à ce titre tout le monde désire naturellement la science, et par conséquent tout le monde trouve du plaisir dans la connaissance de la vérité. Et cet acte est d'autant plus agréable à celui qui a l'habitude de la sagesse et de la science qu'il contemple la vérité «ans difficulté. 2° La contemplation est agréable par rapport à son objet, selon qu'on contemple une chose qu'on aime, comme il arrive dans la vision corporelle qui devient agréable, non-seulement parce que voir est une chose agréable par elle-même, mais encore parce que l'on voit une personne que l'on aime. La vie contemplative consistant principalement dans la contemplation de Dieu vers laquelle la charité nous porte, comme nous Í'avons dit (art. 1 huj. quaest. et art. 2 ad 4), il s'ensuit qu'elle est une jouissance non-seulement en raison de la contemplation elle-même, mais encore en raison de l'amour divin. Sous ces deux rapports la délectation qui en résulte surpasse toute félicité humaine. Car la délectation spirituelle l'emporte sur la délectation charnelle, comme nous l'avons vu en traitant des passions (1* 2*, quest. xxxi, art. 5), et d'ailleurs l'amour dont on aime Dieu par charité l'emporte sur tout autre amour. C'est ce qui fait dire au Psalmiste (Ps 31,6) : Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux.
V parle (Jans nne foule d'endroits bitur super salutari suo : omnia ossa mea „ de « contemplation (Ps 34) : dicent : Domine, quis similis tui? Anima mea cxuUabit in Domino, ei delecta-
35
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la vie contemplative, quoiqu'elle consiste essentiellement dans l'intellect, a cependant son principe dans l'affection, parce que c'est par la charité que l'on est porté à contempler Dieu. Et parce que la fin répond au principe, il s'ensuit que le terme et la fin de la vie contemplative sont dans la volonté, c'est-à-dire que par là même qu'on se délecte dans la vue de la chose que l'on aime, cette délectation excite davantage l'amour de la chose que l'on voit. D'où saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) que quand on a vu celui qu'on aime, on est embrasé davantage du feu de son amour. Et telle est la perfection dernière de la vie contemplative,que non-seulement on voit la vérité divine, mais encore qu'on l'aime.
2. Il faut répondre au second, que la lutte ou le combat qui provient de la contrariété de la chose extérieure en empêche la jouissance. Car on ne se délecte pas dans la chose contre laquelle on combat, mais dans celle pour laquelle on combat, et quand on l'a obtenue, toutes choses égales d'ailleurs, on se délecte en elle davantage. Selon la remarque de saint Augustin (Conf. lib. v1, cap. 3), plus le péril a été grand dans la bataille et plus la joie est vive dans le triomphe. Or, dans la contemplation, la lutte et le combat ne résultent pas de la contrariété de la vérité que nous contemplons, mais de l'imperfection de notre intelligence et de la corruptibilité de notre corps qui nous entraîne vers les choses inférieures, d'après ces paroles du Sage (Sg 9,15) : Le corps qui se corrompt appesantit V âme, et cette demeure terrestre abat V esprit sous la multiplicité des soins qui V agitent. De là il résulte que quand l'homme arrive à la contemplation de la vérité, il l'aime plus ardemment, mais il déteste davantage ses propres défauts et la pesanteur de son corps de boue, de telle sorte qu'il dit avec l'Apôtre (Rm 7,24) : Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? C'est ce qui fait dire à saint Grégoire (Sup. Ezech. loc. cit.) : Quand on connaît Dieu par le désir et l'intellect, on n'a plus de goût pour les plaisirs charnels.
3. Il faut répondre au troisième, que la contemplation de Dieu en cette vie est imparfaite par rapport à sa contemplation dans le ciel; de même la délectation que nous retirons ici-bas de cette contemplation est imparfaite relativement à celle dont nous jouirons dans le ciel et dont il est dit (Ps. 35, 9) : Fous les abreuverez du torrent de vos délices. Néanmoins la contemplation des choses divines, telle qu'elle est ici-bas, quoiqu'elle soit imparfaite, est plus agréable que toute autre contemplation quelque parfaite qu'elle soit, à cause de l'excellence de la chose qui en est l'objet. D'où Aristote dit (Départ, an. lib. i, cap. 5) qu'à l'égard des substances divines et des idées les plus élevées, nous avons des connaissances moins étendues, mais que, quoique nous ne fassions que les effleurer légèrement, cependant, en raison de leur élévation, ces connaissances nous off rent plus d'agréments que toutes les autres sciences que nous possédons. C'est aussi le sentiment de saint Grégoire, qui dit (loc. cí.)que la vie contemplative est d'une douceur extrêmement agréable, qui ravit l'âme au-dessus d'elle-même, lui ouvre les secrets célestes, et offre à ses regards tous les trésors spirituels.
4. Il faut répondre au quatrième, que Jacob après sa contemplation boitait d'un pied, parce qu'il est nécessaire que quand l'amour du siècle s'affaiblit, l'amour de Dieu se fortifie, comme le dit saint Grégoire (loc. cit.). C'est pourquoi quand nous avons reconnu que Dieu est doux, il n'y a en nous qu'un pied qui est sain, l'autre boite; car quiconque boite d'un pied ne s'appuie que sur celui qui est sain.
Objections: 1. Il semble que la vie contemplative ne soit pas de durée. Car la vie contemplative consiste essentiellement dans ce qui appartient à l'intellect. Or, toutes les perfections intellectuelles qui existent ici-bas s'évanouiront, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 11,8) : Les prophéties n'auront plus lieu, les langues cesseront, et la science sera détruite. La vie contemplative n'existera donc plus.
2. On ne goûte les douceurs de la contemplation qu'à la dérobée et en passant. D'où saint Augustin dit (Conf. lib. x, cap. 40) : Vous me faites ressentir une émotion intérieure tout à fait extraordinaire, dans laquelle j'éprouve je ne sais quelle douceur; mais je retombe aussitôt sous le poids de mes misères. Saint Grégoire expliquant ce passage de Job (4) : Cum spiritus, me praesente, transiret, dit (Mor. lib. v, cap. 23) : L'esprit ne s'arrête pas longtemps dans la douceur de la contemplation intérieure, parce qu'une fois qu'il a été frappé par l'immensité de la lumière, il revient à lui-même. La vie contemplative n'a donc pas de durée.
3. Ce qui n'est pas naturel à l'homme ne peut durer longtemps. Or, la vie contemplative est au-dessus de la condition humaine, comme le dit Aristote (Eth. lib. x, cap. ?). Il semble donc que la vie contemplative ne soit pas de durée.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Lc 10,43) : Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée; parce que, comme le dit saint Grégoire (Sup. Ezech. hom. xiv) : La contemplation commence ici-bas pour être perfectionnée dans le ciel.
CONCLUSION. — La vie contemplative peut être de durée non-seulement en elle- même, mais encore par rapport à nous.
Réponse Il faut répondre qu'une chose peut être de durée de deux manières, selon sa nature et par rapport à nous. 4° En elle-même, il est évident que la vie contemplative doit durer pour deux raisons : 1° parce qu'elle a pour objet des choses incorruptibles et immobiles, et parce qu'elle n'a pas de contraire. Car rien n'est contraire à la délectation que l'on goûte dans l'étude ou la contemplation, comme on le voit (Top. lib. i, cap. 13). 2° Par rapport à nous la vie contemplative doit être aussi de durée, soit parce
qu'elle nous convient selon l'action de la partie incorruptible de l'âme, c'est-à-dire suivant l'intellect, et qu'ainsi elle peut durer après cette vie ; soit parce que dans les opérations de la vie contemplative nous n'agissons pas corporellement, et par conséquent nous pouvons plutôt persévérer dans ces oeuvres d'une manière continue, comme le dit Aristote [Eth. lib. x, cap.7).
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le mode de contemplation n'est pas ici-bas le même qu'au ciel, mais on dit que la vie contemplative subsiste en raison de la charité dans laquelle elle a son principe et sa fin. C'est la pensée que saint Grégoire exprime en ces termes (Hom. xiv sup. Ezech. ) : La vie contemplative commence ici-bas pour être perfectionnée dans le ciel ; car le feu de l'amour qui commence à s'embraser ici, deviendra plus ardent quand nous verrons celui que nous aimons.
2. Il faut répondre au second, qu'aucune action ne peut durer longtemps à son apogée. Or, le plus haut degré de la contemplation, c'est qu'elle atteigne l'uniformité de la contemplation divine, selon l'expression de saint Denis (De div. nom. cap. 4, et De coel. hier. cap. 3), et comme nous l'avons établi nous-mêmes (art. 6 huj. quaest. ad 2). Par conséquent quoique sous ce rapport la contemplation ne puisse pas durer longtemps, cependant elle peut être de longue durée relativement à ses autres actes.
3. Il faut répondre au troisième, qu'Aristote dit que la vie contemplative est au-dessus de la condition humaine, parce qu'elle nous convient selon ce qu'il y a de divin en nous, c'est-à-dire d'après l'intellect qui est en soi impassible et incorruptible, et c'est pour cela que son action peut avoir plus de durée.
Nous avons maintenant à nous occuper de la vie active, et à ce sujet quatre questions se présentent : 1° Toutes les oeuvres des vertus morales appartiennent-elles à la vie active? — 2° La prudence lui appartient-elle? — 3° L'enseignement est-il un de ses actes ? — 4° De la durée de la vie active.
Objections: 1. Il semble que tous les actes des vertus morales n'appartiennent pas à la vie active. Car la vie active paraît consister exclusivement dans ce qui se rapporte à autrui, puisque saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) que la vie active consiste à donner du pain à celui qui a faim; puis, après avoir énuméré une foule de choses qui appartiennent à autrui, il ajoute : qu'elle consiste à distribuer à chacun ce qui lui est le plus avantageux. Or, tous les actes des vertus morales ne nous mettent pas en rapport avec les autres, il n'y a que les actes de la justice et de ses parties, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lv1, art. 1 et 2, et 1* 2", quest. lx, art. 2 et 3). Les actes de toutes les vertus morales n'appartiennent donc pas à la vie active.
2. Saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) que Lia, qui fut chassieuse, - mais féconde, figure la vie active qui pendant qu'elle est occupée à agir
voit moins,'mais qui tantôt par ses paroles, tantôt par ses exemples, excite le prochain à l'imiter et engendre une multitude d'hommes de bien. Or, ce caractère paraît appartenir à la charité, par laquelle nous aimons le prochain, plutôt qu'aux vertus morales. Il semble donc que les actes des vertus morales n'appartiennent pas à la vie active.
(I) Sur celle question, voyez ce qui a été dit plus haut (quest. préc, art. 2).
3. Comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 2), les vertus morales disposent à la vie contemplative. Or, c'est à la même chose qu'il appartient de disposer et de perfectionner. Il semble donc que les vertus morales n'appartiennent pas à la vie active.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Isidore dit (De sum. bon. lib. 1, cap. 15), que dans la vie active on doit d'abord déraciner tous les vices en s'exer- çant aux bonnes oeuvres pour passer ensuite dans la vie contemplative à considérer la lumière divine par les seules puissances de l'esprit. Or, on ne déracine tous les vices que par les actes des vertus morales. Les actes de ces vertus appartiennent donc à la vie active.
CONCLUSION. — Les vertus morales appartiennent essentiellement à la vie active.
Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. clxxix. art. 1), la vie active et la vie contemplative se distinguent selon les diverses occupations des hommes qui tendent à des fins différentes. Les uns s'occupent à considérer la vérité, ce qui est la fin de la vie contemplative; les autres s'occupent des affaires extérieures auxquelles la vie active se rapporte. Or, il est évident que dans les vertus morales on ne cherche pas principalement la contemplation de la vérité, mais qu'elles ont pour but l'action. C'est ce qui fait dire à Aristote (Eth. lib. n, cap. 2, et lib. x, cap. ult.) que la science (1) ne sert de rien ou de peu de chose à la vertu. D'où il est évident que les vertus morales appartiennent essentiellement à la vie active. C'est pourquoi Aristote les rapporte à la félicité active (Eth. lib. x, cap. 7 et 8).
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que parmi les vertus morales la principale est la justice qui règle nos rapports avec autrui, comme le prouve Aristote (Eth. lib. v, cap. 1). C'est pour ce motif qu'on caractérise la vie active par ce qui se rapporte à autrui, ce n'est pas parce qu'elle consiste en cela uniquement, mais parce qu'elle y consiste plus principalement.
2. Il faut répondre au second, que par les actes de toutes les vertus morales, on peut porter au bien le prochain en lui servant d'exemple : ce que saint Grégoire attribue en cet endroit à la vie active.
3. Il faut répondre au troisième, que comme une vertu qui se rapporte à la fin d'une autre vertu passe en quelque sorte sous son espèce ; de même quand on fait usage des choses qui appartiennent à la vie active, seulement selon qu'elles disposent à la contemplation, on les comprend sous la vie contemplative. Mais pour ceux qui s'appliquent aux oeuvres des vertus morales, selon qu'elles sont bonnes en elles-mêmes, mais non comme dispositions à la vie contemplative, ces vertus appartiennent à la vie active. — D'ailleurs on pourrait dire aussi que la vie active est une disposition à la vie contemplative.
Objections: 1. Il semble que la prudence n'appartienne pas à la vie active. Car comme la vie contemplative appartient à la puissance cognilive, de même la vie active appartient à la puissance appétitive. Or, la prudence n'appartient pas à cette dernière puissance, mais elle appartient plutôt à la faculté cogni- tive. Elle n'appartient donc pas à la vie active.
2. Saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) que la vie active s'occupant" des oeuvres voit moins; et que pour ce motif elle est figurée par Lia qui avait les yeux chassieux. Or, la prudence demande une vue très-claire pour que l'on juge sainement de ce que l'on doit faire. Il semble donc que la prudence n'appartienne pas à la vie active.
(1) Lapcnsíadu philosophe, c'est quo la science morale ou de la vertu, parce que la vertu ne con- spocuiative est peu utile quand il s'agit de la siste pas à connaître le bien, mais à le pratiquer.
3. La prudence tient le milieu entre les vertus morales et intellectuelles. Or, comme les vertus morales appartiennent à la vie active, ainsi que nous l'avons dit (art. préc.), de même les vertus intellectuelles appartiennent à la vie contemplative. Il semble donc que la prudence n'appartienne ni à la vie active, ni à la vie contemplative, mais à un genre de vie intermédiaire que saint Augustin distingue (De civ. Dei, lib. xix, cap. 2 et 49).
En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote ( Eth. lib. x, cap. 8) dit que la prudence appartient à la félicité active à laquelle se rapportent les vertus morales.
CONCLUSION. — Puisque l'homme est disposé par la prudence à la pratique des vertus morales, il résulte de là qu'elle appartient à la vie active.
Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 3, et 4* 2*, quest. xv1, art. 7), ce qui se rapporte à une autre chose comme à sa fin, principalement en morale, devient de l'espèce de la chose à laquelle elle se rapporte. Ainsi celui qui fornique pour voler est plutôt un voleur qu'un fornicateur, d'après Aristote (Eth. lib. v, cap. 41). Or, il est évident que la connaissance de la prudence se rapporte aux actions des vertus morales comme à sa fin ; car la prudence est la droite raison des choses que l'on doit faire, selon l'expression du philosophe (Eth. lib. vi, cap. 5). Par conséquent les fins des vertus morales sont les principes de la prudence, comme on le voit au même endroit. Ainsi donc, comme nous avons dit (art. préc. ad 3) que les vertus morales appartiennent à la vie contemplative dans celui qui les rapporte au repos de la contemplation, de même la connaissance de la prudence, qui se rapporte d'elle-même aux opérations des vertus morales, appartient directement à la vie active, si on prend la prudence dans son sens propre, comme le fait Aristote. — Mais si on la prend dans un sens plus général, selon qu'elle embrasse toutes les connaissances humaines, quelles qu'elles soient, alors, relativement à une partie d'elle-même, elle appartient à la vie contemplative, selon ce que dit Cicéron (De offic. lib. i, tit. 4), que l'on a coutume de considérer comme très-prudent et très-sage celui qui peut voir le vrai et en expliquer la raison avec le plus de pénétration et de rapidité.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les actions morales tirent leur espèce de leur fin, comme nous l'avons vu (4* 2", quest. xv1 , art. 4 et 6), et c'est pourquoi la vie contemplative embrasse la connaissance qui a pour fin la vérité elle-même. Quant à la connaissance de la prudence, qui a plutôt sa fin dans l'acte de la puissance appétitive, elle appartient à la vie active (4).
2. Il faut répondre au second, que la préoccupation des choses extérieures fait que la vue de l'homme est moins pénétrante à l'égard des choses intelligibles qui sont séparées des choses sensibles dans lesquelles les opérations de la vie active consistent ; mais cependant, quand on s'est occupé extérieurement de ce qui regarde la vie active, on juge plus clairement ce qu'il y a de mieux à faire, ce qui appartient à la prudence; et il en est ainsi soit à cause de l'expérience, soit à cause de l'attention de l'esprit, parce que l'esprit a plus de vigueur pour les choses auxquelles il s'applique davantage, comme le dit Salluste (in Conj. Cat. circ. princ. orat. Caesaris).
3. Il faut répondre au troisième, qu'on dit que la prudence tient le milieu entre les vertus intellectuelles et morales, parce que pour le sujet elle s'accorde avec les vertus intellectuelles, au lieu que pour la matière elle se confond totalement avec les vertus morales. Quant à ce troisième genre de vie,
(1) Les actes moraux tirant leur espèce de leurs fins, il en résulte que la prudence appartient en propre à la vie active, puisque sa fin réside dans la puissance appétitire.
il tient le milieu entre la vie active et la vie contemplative relativement aux objets dont il s'occupe, parce qu'il s'occupe tantôt de la contemplation de la vérité et tantôt des affaires extérieures.
Objections: 1. Il semble que l'enseignement ne soit pas un acte de la vie active, mais de la vie contemplative. Car saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. v) que les hommes parfaits font connaître à leurs frères les biens célestes qu'ils ont pu du moins contempler comme dans un miroir, et qu'ils embrasent leurs coeurs d'amour pour les clartésintimes de Dieu. Or, c'est ce qui appartient à l'enseignement. Il est donc un acte de la vie contemplative.
2. L'acte et l'habitude paraissent revenir au même genre de vie. Or, l'enseignement est un acte de la sagesse; car Aristote dit (Met. lib. i, cap. 4) que la marque du savoir, c'est que l'on puisse enseigner. Par conséquent, puisque la sagesse ou la science appartient à la vie contemplative, il semble que l'enseignement lui appartienne aussi.
3. Comme la contemplation est un acte de la vie contemplative, de même aussi la prière. Or, la prière par laquelle on prie pour un autre appartient néanmoins à la vie contemplative. Il semble donc qu'il appartienne à la vie contemplative qu'on fasse connaître à un autre, par l'enseignement, la vérité que l'on a méditée.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) : La vie active consiste à donner du pain à celui qui a faim, à enseigner les paroles de la sagesse à celui qui les ignore.
CONCLUSION. — La doctrine qui est la science ou l'acte de l'enseignement, appartient seulement à la vie active, mais la doctrine qui est la perception interne de la vérité se rapporte tantôt à la vie active, tantôt à la vie contemplative.
Réponse Il faut répondre que l'acte de l'enseignement a deux sortes d'objet : car on enseigne par la parole, et la parole est le signe qui fait entendre la pensée intérieure. Ce qui est la matière ou l'objet de la pensée intérieure est donc le premier objet de l'enseignement. Relativement à cet objet, l'enseignement appartient tantôt à la vie active, tantôt à la vie contemplative. Il appartient à la vie active, quand l'homme conçoit intérieurement une vérité pour se diriger d'après elle dans ses actes extérieurs ; il appartient à la vie contemplative, quand il conçoit intérieurement une vérité intelligible et qu'il se délecte dans son étude et son amour. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. deverb. Dom. serm. xxvii, cap. 4). Qu'on se choisisse la meilleure part, c'est-à-dire la vie contemplative, qu'on n'emploie pas de paroles, qu'on s'attache à la douceur de la doctrine, qu'on s'occupe de la science du salut. Par ces paroles il dit évidemment que la doctrine appartient à la vie contemplative. — Le second objet de l'enseignement se considère par rapport à la parole que l'on prononce pour être entendu. Cet objet est l'auditeur lui-même. Sous ce rapport, l'objet de l'enseignement appartient à la vie active, à laquelle se rapportent les actions extérieures.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce passage s'entend expressément de l'enseignement quant à la matière, selon qu'il a pour objet l'étude et l'amour de la vérité.
2. Il faut répondre au second, que les habitudes et les actes ont de cona mun l'objet ; c'est pourquoi ce raisonnement s'appuie évidemment sur la matière de la pensée intérieure (1). Carie sage ou le savant n'est capable d'enseigner qu'autant qu'il peut exprimer ses pensées intérieures par des paroles, pour être à même de faire comprendre la vérité aux autres.
ti) L'enseignement est compté parmi les aumônes spirituelles (tome iv, page 279), et l'Ecri- ure le recommande comme une des oeuvres de la vie active (, Attende Ubi et doctrinae : insta in illi* • hoc enim faciem, teipsum salvum faciet, et eos qui te audiunt.
3. Il faut répondre au troisième, que celui qui prie pour un autre n'opère pas à l'égard de celui pour lequel il prie, il n'agit qu'envers Dieu qui est la vérité intelligible ; au lieu que celui qui instruit les autres doit exercer sur eux une action extérieure. Il n'y a donc pas de parité.
Objections: 1. Il semble que la vie active subsiste après cette vie. Car les actes des vertus morales appartiennent à la vie active, comme nous l'avons dit (art. 1 ). Or, les vertus morales subsistent après cette vie, suivant saint Augustin (De Trin. lib. xiv, cap. 9). Il semble donc que la vie active subsiste aussi.
2. Il appartient à la vie active d'enseigner les autres, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, dans la vie future, où nous serons semblables aux anges, nous pourrons enseigner comme ils paraissent le faire ; car l'un illumine, purifie et perfectionne l'autre ; ce qui se rapporte à la science, comme on le voit dans saint Denis (De coel. hier. cap. 7). H semble donc que la vie active subsiste après cette vie.
3. Ce qui est en soi plus durable paraît pouvoir plutôt subsister après cette vie. Or, la vie active paraît être en elle-même plus durable ; car saint Grégoire dit ( Sup. Ezech. hom. v) que nous pouvons vivre constamment de la vie active, mais que nous ne pouvons d'aucune manière rester l'esprit appliqué à la contemplation. Par conséquent la vie active peut subsister dans le ciel beaucoup plutôt que la vie contemplative.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) que la vie active finit avec la vie présente, mais que la vie contemplative commence ici-bas pour trouver son perfectionnement dans le ciel.
CONCLUSION. — Après la vie présente il n'y aura aucune vie active, car alors les actions extérieures cesseront absolument ou elles se rapporteront à la contemplation.
Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), la vie active a sa fin dans les actes extérieurs, qui, s'ils se rapportent au repos de la contemplation, appartiennent dès lors à la vie contemplative. Or, dans la vie future, les bienheureux n'auront plus à s'occuper d'actes extérieurs, ou, s'ils en font, ces actes auront pour fin la contemplation. Car, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, in fin.), là nous serons en paix, et nous verrons, nous verrons et nous aimerons, nous aimerons et nous louerons. Auparavant il avait déjà dit (ibid.) que là on verra Dieu sans fin, on l'aimera sans dégoût, on le louera sans fatigue. Cette grâce, cette affection, cette occupation seront communes à tous.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (part. I, quest. lxvii, art. 1), les vertus morales subsisteront, non par rapport à ceux de leurs actes qui ont pour objet les moyens, mais à l'égard de ceux qui se rapportent à la fin. Ces actes existent selon qu'ils constituent le repos de la contemplation que saint Augustin exprime dans les paroles que nous venons de citer, quand il dit que nous serons en paix, ce qui ne signifie pas seulement que nous serons exempts de tout tumulte extérieur, mais encore du trouble intérieur des passions.
2. Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (quest. préc.
art. 4), la vie contemplative consiste principalement dans la contemplation de Dieu, et ce n'est pas sous ce rapport qu'un ange en enseigne un autre. Car l'Evangéliste (Matth, xv1, 10) dit, en parlant des anges des petits enfants qui sont de l'ordre inférieur, qu'ifc voient toujours la face du Père. Par conséquent, dans la vie future, aucun homme n'en instruira un autre sur Dieu, mais nous le verrons tous comme il est, selon l'expression de saint Jean (I. Ep. 1, 2). C'est le sens de ces paroles du prophète (Jr 31,34) : L'homme n'enseignera plus son prochain en disant : Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. — Mais, pour les choses qui appartiennent à la dispensation des mystères de Dieu, un ange en enseigne un autre, en le purifiant, en l'illuminant et en le perfectionnant. Sous ce rapport, ils ont quelque chose de la vie active tant que le monde dure, parce qu'ils s'appliquent à régir les créatures inférieures; ce qui est représenté dans la vision de Jacob, qui vit les anges monter l'échelle, ce qui appartient à la contemplation, et qui les vit descendre, ce qui regarde l'action. Mais, selon la remarque de saint Grégoire (Mor. lib. ii, cap. 2), ils ne se mettent pas tellement en dehors de la vision divine qu'ils soient privés des joies de la contemplation intérieure. C'est pourquoi on ne distingue pas en eux la vie active de la vie contemplative, comme on le fait en nous qui sommes empêchés par les travaux de la vie active de nous livrer à la contemplation. L'Ecriture nous promet que nous ressemblerons aux anges, non par rapport au gouvernement des créatures inférieures, ce qui ne nous convient pas, selon l'ordre de notre nature, comme cela convient aux anges, mais par rapport à la vision de Dieu.
3. Il faut répondre au troisième, que si la vie active peut ici-bas durer plus longtemps que la vie contemplative, cet effet ne provient pas de ce qui est propre à ces deux vies considérées en elles-mêmes, mais de l'imperfection de notre nature, qui fait que le poids de notre corps nous éloigne des hauteurs de la contemplation. C'est pourquoi saint Grégoire ajoute que l'esprit, dans sa faiblesse, repoussé par l'immensité d'une telle élévation, retombe en lui-même.
Nous avons enfin à comparer la vie active avec la vie contemplative. — Il y a à ce sujet quatre choses à examiner : 1° Laquelle est la plus noble ou la plus digne? — 2° Laquelle est la plus méritoire ? — 3° La vie contemplative est-elle empêchée par la vie active ? — 4° De l'ordre de l'une et de l'autre.
Objections: 1. Il semble que la vie active soit préférable à la vie contemplative. Car ce qui appartient aux personnages les plus éminents paraît être ce qu'il y a de plus honorable et de meilleur, d'après Aristote (Top. lib. 1, cap. 1). Or, la vie active appartient aux grands, c'est-à-dire aux supérieurs qui ont les honneurs et la puissance. C'est ce qui fait dire à saint Augustin ( De civ. Dei, lib. xix, cap. 19) que dans l'action ce n'est ni l'honneur, ni la puissance qu'on doit rechercher en cette vie. Il semble donc que la vie active l'emporte sur la vie contemplative.
2. Dans toutes les habitudes et dans tous les actes, c'est au plus noble qu'il appartient de commander ; c'est à ce titre que l'art de Fécuyer commande à l'art de celui qui fabrique des mors (1). Or, il appartient à la vie active de disposer et de commander au sujet de la vie contemplative, comme
(I) Cette comparaison est d'Aristole.
on le voit par ces paroles du Seigneur à Moïse (Ex 19,23) : Descendez et parlez au peuple, dans la crainte qu'il ne veuille passer les bornes que vous avez déterminées pour voir Dieu. La vie active est donc préférable à la vie contemplative.
3. Personne ne doit se détacher de ce qu'il y a de plus élevé pour s'appliquer à ce qui l'est moins. Car l'Apôtre dit (1Co 12,31) : Recherchez avec plus d'ardeur les meilleurs dons. Or, il y en a qui renoncent à la vie contemplative et qui se livrent à la vie active, comme on le voit au sujet de ceux qui sont appelés à la tôted'un diocèse ou d'un monastère. Il semble donc que la vie active l'emporte sur la vie contemplative.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Lc 10,42) : Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas ravie. Or, Marie figure la vie contemplative. Cette vie vaut donc mieux que la vie active.
CONCLUSION. — Quoique d'après la condition de la nécessité présente on doive plutôt choisir la vie active, cependant, la vie contemplative l'emporte absolument sur elle.
Réponse Il faut répondre que rien n'empêche qu'une chose qui est inférieure à une autre sous un rapport, ne soit cependant en soi la plus excellente. Ainsi, on doit dire que la vie contemplative est absolument meilleure que la vie active, et c'est ce qu'Aristote prouve par huit raisons (Eth. lib. x, cap. 7 et 8). La première, c'est que la vie contemplative convient à l'homme, selon ce qu'il y a de meilleur en lui, c'est-à-dire selon l'intellect et par rapport à ses objets propres qui sont les choses intelligibles; au lieu que la vie active s'occupe des choses extérieures. C'est pourquoi on dit que Rachel, qui est la figure de la vie contemplative, signifie le principe que Von voit ; tandis que la vie active est figurée par Lia, qui avait les yeux chassieux, selon la remarque de saint Grégoire (Mor. lib. vi, cap. 18). La seconde, c'est que la vie contemplative peut être plus continue, quoiqu'il n'en soit pas ainsi quant au degré souverain de la contemplation, comme nous l'avons dit (quest. clxxx, art. 8 ad 2, et quest. prée. art. 4 ad 3). C'est pour ce motif qu'on représente Marie, la figure de la vie contemplative, comme étant constamment assise aux pieds du Seigneur. La troisième, c'est que la vie contemplative offre plus de jouissances que la vie active. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de verb. Dom. serm. xxvi, cap. 2) que Marthe était troublée, mais que Marie était dans la joie. La quatrième, c'est que dans la vie contemplative l'homme se suffit davantage à lui-même, parce qu'il a besoin de moins de choses. Ainsi il est dit (Lc 10,41) : Marthe, Marthe, vous vous empressez et vous vous troublez du soin de beaucoup de choses. La cinquième, c'est qu'on aime plutôt la vie contemplative pour elle-même, au lieu que la vie active se rapporte à autre chose. C'est pourquoi David dit (Ps 26,4): Je n'ai demandé au Seigneur qu'une seule chose, et je la lui demanderai toujours; c'est d'habiter dans sa maison tous les jours de ma vie, pour voir les joies du Seigneur. La sixième, c'est que la vie contemplative consiste dans la tranquillité et le repos, d'après ces autres paroles du Psalmiste (45, 11) : Restez en repos, et voyez que je suis Dieu. La septième, c'est que la vie contemplative se rapporte aux choses divines, au lieu que la vie active se rapporte aux choses humaines. D'où saint Augustin dit (Lib. de Verb. Dom. serm. xxvii) : Au commencement était le Verbe, voilà ce que Marie écoutait; le Verbe s'est fait chair, voilà celui que Marthe servait. La huitième, c'est que la vie contemplative se rapporte à ce qui est le plus propre à l'homme, c'est-à-dire à l'intellect, au lieu que les puissances inférieures qui nous sont communes avec les animaux prennent part aux opérations de la vie active. Ainsi le Psalmiste (Ps 35,8), après avoir dit : Vous sauverez, Seigneur, les hommes et les bêtes, ajoute ce qui est spécial aux hommes : Nous verrons la lumière dans votre lumière. Le Seigneur ajoute une neuvième raison, quand il dit (Lc 10,42) : Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. Saint Augustin, expliquant ces paroles, dit (loc. cit.) : Votre part n'est pas mauvaise, mais la sienne est meilleure. Ecoutez pourquoi elle est meilleure; c'est qu'elle ne lui sera pas enlevée. Vous serez un jour déchargé du fardeau de la nécessité qui vous oppresse; au lieu que la douceur de la vérité est éternelle. — Cependant, sous un rapport, il vaut mieux se livrer à la vie active, à cause des nécessités de la vie présente. C'est ainsi qu'Aristote dit (Top. lib. 1, cap. 2) : Qu'il vaut mieux philosopher que s'enrichir; mais que pour celui qui est dans le besoin, il est préférable de s'enrichir (1).
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les prélats ne doivent pas seulement mener la vie active, mais ils doivent encore exceller dans la vie contemplative. C'est ce qui fait dire à saint Grégoire ( Past. part. II, cap. 1) : Il faut que l'évêque soit le premier par l'action et qu'il se livre plus que tous les autres à la contemplation.
2. Il faut répondre au second, que la vie contemplative consiste dans une certaine liberté d'esprit. Car saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. 1) que la vie contemplative s'élève à une certaine liberté d'esprit, ne pensant pas aux choses temporelles, mais aux cho&es éternelles. Et Roëce dit (De cons. lib. v, pros. 2) : Il est nécessaire que les âmes humaines soient plus libres quand elles se maintiennent dans la contemplation de l'entendement divin: mais qu'elles le soient moins quand elles s'attachent aux corps. D'où il est évident que la vie active ne commande pas directement à la vie contemplative; mais il y a des oeuvres qu'elle commande pour disposer à la vie contemplative, et en cela elle sert la vie contemplative plus qu'elle ne la domine. C'est pour ce motif que saint Grégoire (loc. cit.) appelle la vie active la servitude, et la vie contemplative la liberté.
3. Il faut répondre au troisième, que pour les oeuvres de la vie active on est quelquefois détourné de la contemplation par suite des nécessités de la vie présente; mais on ne l'est pas au point d'être forcé de l'abandonner totalement. D'où saint Augustin dit (De civ. lib. xix, cap. 19) : L'amour de la vérité cherche un saint repos; la charité se dévoue aux oeuvres de justice qu'elle accepte, c'est-à-dire aux oeuvres de la vie active. Si ce fardeau ne nous est pas imposé, nous devons consacrer nos loisirs à l'étude et à la contemplation de la vérité ; s'il nous est imposé, nous devons l'accepter par devoir de charité. Mais il ne faut pas que nous abandonnions entièrement le charme de la contemplation, de peur que ce doux appui ne nous manque et que le fardeau du devoir ne nous accable. Ainsi, il est évident que quand on est appelé de la vie contemplative à la vie active, on n'est pas obligé de quitter la contemplation, mais on doit y joindre l'action.
II-II (Drioux 1852) Qu.180 a.7