II-II (Drioux 1852) Qu.171 a.5

ARTICLE V. — le prophète discerne-t-1l toujours ce qu'il dit par son esprit propre de ce qu'll dit par l'esprit de prophétie?


Objections: 1. Il semble que le prophète discerne toujours ce qu'il dit par son esprit propre de ce qu'il dit par l'esprit de prophétie. Car saint Augustin rapporte (Conf. lib. vi, cap. 8) que sa mère disait qu'elle discernait, je ne sais par quelle saveur qu'elle ne pouvait exprimer, la différence qu'il y avait entre la révélation de Dieu et les rêves de son âme. Or, la prophétie est une révélation divine, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). Le prophète distingue donc toujours ce qu'il dit par l'esprit de prophétie de ce que son esprit propre lui suggère.

2. Dieu n'ordonne rien d'impossible, comme le dit saint Jérôme (in ex- posit. symbol. ad Damas.). Or, le Seigneur donne cet ordre aux prophètes

(i) C'est ce qui présente tant d'intérêt dans l'étude des livres des différents prophètes, tels qu'ils sont dans la Bible. On voit que chacun d'eux ajoute quelque chose à celui qui l'a précédé. Ils sont, comme on l'a dit, des peintres qui viennent successivement donner leur coup de pinceau à la même figure; le tableau n'est achevé qu'après le passage du dernier.

(Jr 23,28) : Que le prophète qui a eu un songe, le raconte comme un songe; mais que celui qui entend ma parole, l'exprime avec vérité. Le prophète peut donc discerner ce qu'il possède par l'esprit de prophétie de ce qui lui vient autrement.

3. La certitude produite par la lumière divine l'emporte sur celle qui résulte de la lumière de la raison naturelle. Or, celui qui possède la science au moyen de la lumière de la raison naturelle sait certainement qu'il l'a. Par conséquent, celui à qui la lumière divine communique la prophétie est beaucoup plus sur de la posséder.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit [Sup. Ezech. hom. i) : Il est à remarquer que quelquefois les vrais prophètes, quand on les consulte, donnent d'eux-mêmes, par suite de la grande habitude qu'ils ont de prophétiser, des choses qu'ils tirent de leur propre esprit et qu'ils croient dire d'après l'esprit de prophétie.

CONCLUSION. — Toutes les choses qui sont connues des prophètes au moyen de l'esprit prophétique produisent en eux la certitude lapins inébranlable; mais il n'en est pas de même de celles qu'ils connaissent instinctivement, et à l'égard desquelles ils sont dans le doute, ne sachant pas si elles leur viennent de Dieu ou de leur propre esprit.

Réponse Il faut répondre que les prophètes sont instruits par Dieu de deux manières : 1° par un instinct secret que l'entendement humain éprouve sans le savoir, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. ii, cap. 47). A l'égard des choses que le prophète connaît expressément au moyen de l'esprit de prophétie, il a la plus grande certitude et il est sûr qu'elles lui ont été divinement révélées. Ainsi Jérémie dit (Jr 26,15) : Le Seigneur m'a envoyé véritablement vers vous, pour que je vous dise toutes les paroles que vous venez d'entendre. Autrement si le prophète n'avait pas lui- même de certitude à ce sujet, la foi qui repose sur ses paroles ne serait pas certaine. On peut donner comme preuve de la certitude prophétique l'action d'Abraham, qui, averti dans une vision prophétique, se dispose à immoler son fils unique : ce qu'il n'aurait jamais fait s'il n'avait pas été très-sûr de la révélation de Dieu. — 2° Pour les choses que l'on connaît par instinct, il arrive quelquefois qu'on ne peut pas distinguer pleinement si on les a pensées d'après l'inspiration divine ou par son esprit propre. Or, toutes les choses que nous connaissons d'après l'inspiration de Dieu ne nous sont pas manifestées avec la certitude de la prophétie : car cette inspiration est quelque chose d'imparfait dans le genre de la prophétie. Et c'est de cette manière qu'il faut entendre les paroles de saint Grégoire. Toutefois, dans la crainte qu'il ne puisse en résulter une erreur, les prophètes sont immédiatement redressés par l'Esprit-Saint qui leur fait connaître la vérité, et ils se reprennent eux-mêmes, pour avoir avancé une chose fausse (1), d'après le même docteur.

Les premiers arguments reposant sur les choses qui sont révélées par l'esprit prophétique, la réponse aux objections est donc évidente.


ARTICLE VI. — LES CHOSES QUI SONT CONNUES OU ANNONCÉES PROPHÉTIQUEMENT PEUVENT-ELLES ÊTRE FAUSSES?


Objections: 1. Il semble que les choses que l'on connaît ou que l'on annonce prophétiquement puissent être fausses. Car la prophétie a pour objet les futurs

(M) On peut citer à cet égard le fait de Nathan, qui avait encouragé David dans le dessein de bâtir Io templo de Dieu, en lui disant : Omne quod est in corde tuo, vade et fac, quia Dominus tecum est. Mais le Seigneur lui apparui ensuite, et lui dit : Vade, et loquere ad servum meum David ; haec dicit Dominus : Numquid tu oedificabis mihi domum ad habitandum.

contingents, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). Or, les futurs contingents peuvent ne pas arriver ; autrement ils arriveraient nécessairement. La prophétie peut donc être fausse.

2. Isaïe a parlé prophétiquement en disant à Ezéchias : Mettez ordre aux affaires de voire maison, parce que vous mourrez et que vous ne vivrez pas. Cependant sa vie fut encore prolongée de quinze ans, comme on le voit (2R 20,7, et Is 38,1). De même le Seigneur dit (Jr 18,7) : En un instant je vais prononcer V arrêt contre un peuple et contre un royaume, pour le détruire et le perdre jusqu'à la racine. Si cette nation fait pénitence des maux pour lesquels je V avais menacée, je me repentirai aussi moi-même du mal que j'avais résolu de lui faire. C'est ce qu'on voit par l'exemple des Ninivites, d'après ces paroles de Jonas (Jon 3,10) : Le Seigneur eut pitié d'eux et il ne leur fit point le mal dont il les avait menacés. La prophétie peut donc être fausse.

3. Dans toute proposition conditionnelle dont l'antécédent est nécessaire absolument, le conséquent est nécessaire absolument aussi; parce que dans les propositions conditionnelles le conséquent est à l'antécédent ce que la conclusion est aux prémisses dans le syllogisme. Or, dans un syllogisme on ne peut conclure le nécessaire que de propositions nécessaires, comme on le voit (Post. lib. i, text. 17). Par conséquent, si la prophétie ne peut être fausse, cette conditionnelle doit être vraie : Si une chose a été prophétisée, elle arrivera. L'antécédent de cette conditionnelle est nécessaire absolument, puisqu'il a pour objet le passé. Le conséquent sera donc nécessaire absolument; ce qui répugne, parce qu'alors la prophétie n'aurait pas pour objet ce qui est contingent. Il est donc faux que la prophétie ne puisse pas être erronée.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Cassiodore dit (Prol. in Ps. cap. 1 in princ.) que la prophétie est une inspiration ou une révélation de Dieu qui annonce les événements avec une vérité immuable. Or, la vérité de la prophétie ne serait pas immuable, si elle pouvait annoncer une chose fausse. Elle ne le peut donc pas.

CONCLUSION. — La prophétie étant le signe divin de la prescience de Dieu, il est impossible que ce qu'elle annonce soit faux.

Réponse Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 1,3 et 5 huj. quaest.), la prophétie est une connaissance que les prophètes reçoivent de la révélation divine dans leur esprit à la manière d'un enseignement. Or, la vérité de la connaissance est la même dans le disciple que dans le maître; parce que la connaissance de celui qui apprend est une image de la connaissance cle celui qui l'instruit : comme dans les choses naturelles la forme de l'engendré est une image de la forme qui l'engendre. Et c'est en ce sens que saint Jérôme dit (implic. sup. illud Dan. ii Respondentes ergo Chaldxï) que la prophétie est un signe de la prescience de Dieu. La vérité cle la connaissance et de l'expression de la prophétie doit donc être la même que celle de la connaissance divine, qui ne peut être sujette d'aucune manière à l'erreur, comme nous l'avons dit (part. 1, quest. xiv, art. 13 et 15, et quest. xvi, art. 8). La prophétie ne peut donc pas être fausse.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xxii, art. 4), la certitude de la prescience divine n'exclut pas la contingence des futurs particuliers, parce qu'elle se rapporte à eux selon qu'ils sont présents et déjà positivement déterminés. C'est pourquoi la prophétie, qui est l'image impresse ou le signe de la prescience divine, n'exclut pas la contingence des futurs par sa vérité immuable.

2. Il faut répondre au second, que la prescience divine se rapporte aux choses futures sous deux rapports : selon ce qu'elles sont en elles-mêmes, c'est-à-dire en tant qu'elles lui sont présentes, et selon ce qu'elles sont dans leurs causes, c'est-à-dire en tant qu'elle voit le rapport des causes aux elfets. Quoique les futurs contingents, selon qu'ils existent en eux-mêmes, soient positivement déterminés, cependant, selon qu'ils existent dans leurs causes, ils ne sont pas déterminés au point de ne pouvoir arriver autrement. Et quoique cette double connaissance soit toujours unie dans l'entendement divin, elle ne l'est pourtant pas toujours dans la révélation prophétique, parce que l'impression de l'agent n'égale pas toujours sa vertu. Par conséquent la révélation prophétique est quelquefois une ressemblance impresse de la prescience divine, selon qu'elle a pour objet les futurs contingents considérés en eux-mêmes. Alors les choses arrivent telles qu'elles sont prédites, comme ces paroles d'Isaïe (7, 14) : Voici que la Vierge concevra. D'autres fois la révélation prophétique est une ressemblance impresse de la prescience divine, selon qu'elle connaît le rapport des causes aux effets. Dans ce cas l'événement n'arrive pas toujours tel qu'il a été annoncé; mais la prophétie n'est pas fausse pour cela. Car elle signifie que la disposition des causes inférieures, soit qu'il s'agisse d'événements naturels, soit qu'il s'agisse d'actes humains, est telle qu'il doit en résulter l'effet qui est prédit. C'est ainsi qu'il faut entendre cette parole d'Isaïe (Is 38,1) : Vous mourrez et vous ne vivrez pas, c'est-à-dire la disposition de votre corps est telle que vous ne devez pas échapper à la mort. Et quand Jonas disait (3, 4) : Encore quarante jours et Ninive sera détruite, ces paroles signifiaient que cette ville avait mérité par ses crimes d'être anéantie (1). On dit métaphoriquement que Dieu se repent, dans ce sens que quoiqu'il ne change pas son dessein, il change néanmoins sa sentence à la manière de celui qui se repent.

3. Il faut répondre au íroméme, que la vérité de la prophétie étant la même que celle de la prescience divine, comme nous l'avons dit (in corp. art.), cette proposition conditionnelle : Si une chose a été prédite, elle sera, est vraie au même titre que celle-ci : Si une chose a été prévue, elle arrivera. Car dans l'une et l'autre il est impossible que l'antécédent n'existe pas. Le conséquent est donc nécessaire, non comme futur par rapport à nous, mais en tant qu'on le considere comme présent, selon qu'il se rapporte à la prescience divine (2), ainsi que nous l'avons dit (part. I, quest. xiv, art. 13 ad 2).





QUESTION 172 DE LA. CAUSE DE LA PROPHÉTIE.


Nous avons maintenant à nous occuper de la cause de la prophétie. — A ce sujet six questions se présentent : 1° La prophétie est-elle naturelle? — 2° Vient-elle de Dieu par l'intermédiaire des anges? — 3° La prophétie requiert-elle une disposition naturelle? — 4" Demande-t-elle de bonnes moeurs? — 5° Y a-t-il des prophéties faites par les démons ? — 6° Les prophètes des démons disent-ils quelquefois la vérité ?



ARTICLE I. — la prophétie peut-elle être naturelle?



Objections: 1. Il semble que la prophétie puisse être naturelle. Car saint Grégoire dit (.Dial. lib. iv, cap. 26) qu'il y a des choses que l'âme prévoit quelquefois par sa propre perspicacité. Et saint Augustin dit aussi (Sup. Gen. ad litt. lib. xii, cap. 13) qu'il convient à l'âme humaine de prévoir l'avenir, selon qu'elle s'abstrait des sens corporels. Or, c'est là ce qui caractérise la prophétie. L'âme peut donc naturellement prophétiser.

(I) Cette prophétie est hypothétique , c'est-à- dire qu'elle dépend d'une condition. C'est connue si le prophète avait dit : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite, si elle ne fait pas pénitence.
(2) L'événement est infaillible , selon qu'il est soumis à la prescience de Dieu , qui voit toutes les choses futures, comme si elles lui étaient présentes (Voy. tome I, page 153).

2. La connaissance de l'âme humaine est plus parfaite dans la veille que dans le sommeil. Or, il y en a qui prévoient naturellement en dormant ce qui doit arriver, comme on le voit dans Aristote (Lib. de divin, per somn. cap. 2). A plus forte raison l'homme peut-il naturellement connaître l'avenir à l'avance.

3. L'homme est d'une nature plus parfaite que les animaux. Or, il y ades animaux qui connaissent à l'avance les futurs qui les concernent. Ainsi les fourmis ont le pressentiment de la pluie, ce qui est évident puisque avant qu'elle ne tombe, on les voit commencer à remettre leurs grains dans leur trou. Les poissons connaissent aussi à l'avance les tempêtes qui vont éclater, et l'on s'en aperçoit à leur mouvement, quand ils s'éloignent des endroits orageux. A plus forte raison les hommes peuvent-ils connaître naturellement, à l'avance, les futurs qui les regardent et qui sont l'objet de la prophétie. La prophétie est donc naturelle.

4. Il est dit (Pr 29,18) : Quand il n'y aura plus de prophète, le peuple sera dissipé. Par conséquent il est évident que la prophétie est nécessaire à la conservation des hommes. Or, la nature ne fait pas défaut dans ce qui est nécessaire. Il semble donc que la prophétie vienne de la nature.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Pierre dit (2P 1,21) : Ce n'est point par la volonté des hommes que la prophétie nous a été autrefois apportée, mais c'est par le mouvement du Saint-Esprit que les saints hommes de Dieu ont parlé. La prophétie ne vient donc pas de la nature, mais du don de l'Esprit-Saint.

CONCLUSION. — La prophétie prise dans son sens absolu ne peut pas être dans l'homme l'effet de la nature, mais elle doit venir de la révélation divine.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 6 ad 2), la connaissance prophétique peut avoir pour objet les choses futures de deux manières : d'abord selon ce qu'elles sont en elles-mêmes, ensuite selon ce qu'elles sont dans leurs causes. La connaissance des choses futures, selon ce qu'elles sont en elles-mêmes, est le propre de l'entendement divin, qui les a toutes présentes à son éternité, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xiv, art. 13). C'est pourquoi cette connaissance des choses futures ne peut venir de la nature, et vient seulement de la révélation divine. Mais l'homme peut connaître à l'avance, d'une connaissance naturelle, les choses futures dans leurs causes. C'est ainsi qu'un médecin connaît à l'avance la guérison ou la mort future de son malade, d'après des causes dont il connaît par l'expérience le rapport avec ces effets. — On peut concevoir que cette connaissance des choses futures existe naturellement dans l'homme, de deux manières. 1" On peut dire que l'âme est capable de connaître immédiatement à l'avance les choses futures, d'après ce qu'elle a en elle- même. Ainsi, comme le rapporte saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. xii, cap. 13), il y en a qui ont prétendu que l'âme humaine avait en elle-même une certaine puissance divinatoire. Ce sentiment paraît être conforme à I opinion de Platon, qui suppose (Dial. vi, de Rep.) que les âmes connaissent toutes choses par la participation des idées, mais que cette connaissance est voilée en elles par leur union avec le corps ; et qu'elle l'est plus dans les uns, et moins dans les autres, selon les divers degrés de pureté du corps. D'après cela on pourrait dire que les hommes dont les âmes sont les moins obscurcies par suite de leur union avec le corps, peuvent connaître à l'avance ces futurs, d'après leur propre science. Mais saint Augustin fait une objection contre ce système, en disant (lue. cit.) : Pourquoi l'âme ne peut-elle pas toujours avoir cette puissance de divination, quoiqu'elle le veuille toujours? Au reste, parce qu'il paraît plus vrai que l'âme tire sa connaissance des choses sensibles, selon le sentiment d'Aristote, comme nous l'avons dit (part. I, quest. lxxxiv, art. 3, 6 et 7), il vaut mieux répondre que les hommes n'ont pas la connaissance préalable de ces futurs, mais qu'ils peuvent l'acquérir par l'expérience; et à cet égard ils sont aidés par leur disposition naturelle, selon qu'ils jouissent d'une force d'imagination ou d'une clarté d'intelligence plus parfaite. — Toutefois, cette connaissance des choses futures n'est pas la même que la première qui vient de la révélation divine, et elle en diffère de deux façons : 10 Parce que la première peut avoir pour objet tous les événements quels qu'ils soient (1), et qu'elle est infaillible; au lieu que la connaissance que l'on peut avoir naturellement n'«mbrasse que les effets auxquels peut s'étendre l'expérience humaine. 2° Parce que la première prophétie est conforme à la vérité immuable, tandis qu'il n'en est pas de même de la seconde, qui peut être fausse (2). Or, la première connaissance appartient en propre à la prophétie, mais non la seconde; parce que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 1), la connaissance prophétique a pour objet les choses qui surpassent naturellement la connaissance humaine. C'est pourquoi il faut répondre que la prophétie, prise dans son sens absolu, ne peut pas venir de la nature, mais seulement de la révélation divine.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que plus l'âme s'abstrait des choses corporelles et plus elle est apte à percevoir l'influence des substances spirituelles et les mouvements subtils que laissent dans l'imagination de l'homme les impressions des causes naturelles; ou bien qu'elle ne peut pas saisir ces perceptions quand elle s'occupe de choses sensibles. C'est pourquoi saint Grégoire dit (loc. cit. in arg.) que l'âme, à l'approche de la mort, connaît à l'avance l'avenir par la subtilité de sa nature, selon qu'elle perçoit alors les plus légères impressions ; ou encore qu'elle connaît l'avenir par les révélations des anges, mais non par sa propre vertu. Car, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. acl litt. lib. xii, cap. 13), s'il en était ainsi, il serait en son pouvoir de connaître les choses futures, quand elle le Voudrait; ce qui est évidemment faux.

2. Il faut répondre au second, que la connaissance des choses futures qui nous vient en songes, résulte ou de la révélation des substances spirituelles, ou d'une cause corporelle, comme nous l'avons dit en traitant des divinations íquest. xcv, art. 6). Ces deux choses peuvent se produire l'une et l'autre plutôt dans le sommeil que dans la veille, parce que dans la veille l'âme est occupée des choses sensibles extérieures ; par conséquent elle est moins capable de recevoir les impressions subtiles des substances spirituelles ou des causes naturelles. Cependant, pour ce qui est de la perfection du jugement, la raison a plus de force dans la veille que dans le sommeil.

(I) Les lumières naturelles ne peuvent nous faire connaître d'une manière certaine que les événements qui sont renfermés nécessairement dans leurs causes, comme tous les faits physiques. C'est ainsi que les astronomes prédisent les éclipses.
(2) Quand il s'agit de faits moraux et libres, à la lumière de l'histoire, une intelligence élevée peut pressentir l'avenir d'une nation et l'annoncer; mais ces prédictions ne sont que des conjectures qui sont loin d'ôlre certaines.

3. Il faut répondre au troisième, que les animaux ne connaissent à l'avance les événements futurs, qu'autant qu'ils en sont préalablement instruits par leurs causes. Leur imagination est plus impressionnable que celle des hommes, parce que l'imagination de l'homme, surtout pendant la veille, est plutôt disposée conformément à la raison, que selon l'impression des causes naturelles. Mais la raison opère beaucoup mieux dans l'homme ce que l'impression des causes naturelles produit dans les animaux, et la grâce divine, qui inspire les prophéties, lui est encore d'un plus grand secours.

4. Il faut répondre au quatrième, que la lumière prophétique s'étend aussi à la direction des actes humains, et sous ce rapport la prophétie est nécessaire pour gouverner le peuple, et surtout pour régler le culte divin, auquel la nature ne suffit pas, mais qui requiert la grâce.



ARTICLE II — la révélation prophétique se fait-elle par les anges (I)?


Objections: 1. Il semble que la révélation prophétique ne se fasse pas par les anges. Car il est dit (Sg 7,27) que la sagesse divine se répand dans les âmes saintes et qu'elle forme les amis de Dieu et les prophètes. Or, elle l'orme immédiatement les amis de Dieu. Donc elle forme aussi de la même manière les prophètes, sans l'intermédiaire des anges.

2. La prophétie est rangée parmi les grâces gratuitement données. Or, les grâces gratuitement données viennent de í'Esprit-Saint, d'après ces paroles (1Co 12,4) : Les grâces sont partagées, mais c'est le même esprit. La révélation prophétique ne se fait donc pas par l'intermédiaire des anges.

3. Cassiodore dit (m P roi. sup. Psal. cap. 1) que l'inspiration prophétique est une révélation divine. Or, si elle était produite par les anges, on dirait qu'elle est une révélation angélique. Elle n'est donc pas produite par eux.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Denis dit (De coel. hier. cap. 4) : Nos glorieux ancêtres ont reçu les visions divines par l'intermédiaire des vertus célestes. Or, il parle là devisions prophétiques. La révélation de la prophétie se fait donc par le ministère des anges.

CONCLUSION. — La révélation prophétique vient aux hommes par Dieu, comme par son premier auteur, et elle vient des auges comme ministres de Dieu.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit l'Apôtre (Rm 13,1) : Les choses qui viennent de Dieu sont ordonnées. L'ordre de la divinité veut, d'après saint Denis (loc. cit. et cap. o Eccles. hier.), que les choses inférieures soient régies par les choses intermédiaires. Or, les anges tiennent le milieu entre Dieu et les hommes, comme participant plus que les hommes à la perfection de la bonté divine. C'est pourquoi les inspirations et les révélations divines sont transmises de Dieu aux hommes par les anges. Et comme la connaissance prophétique est l'effet de l'illumination et de la révélation de Dieu, il est par conséquent manifeste qu'elle est produite par les anges.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la charité qui rend l'homme ami de Dieu est la perfection de la volonté sur laquelle Dieu seul peut agir, au lieu que la prophétie est la perfection de l'intellect sur lequel l'ange peut agir aussi, comme nous l'avons vu (part. I, quest. exi, art. 1). Il n'y a donc pas de similitude entre l'une et l'autre.

unum de assistentibus (Dan. vu). Lex ordinata est per angelos in manu mediatoris [Gai. m).

(D) L'Ecriture suppose dans une foule d'endroits que les révélations divines sont faites à l'homme par le ministère dos anges : Angelus qui loquebatur in eo (Zach. i), /lccessi ad

2. Il faut répondre au second, que les grâces gratuitement données sont attribuées à l'Esprit-Saint comme au premier principe, qui toutefois opère cette grâce dans les hommes par l'intermédiaire du ministère des anges.

3. Il faut répondre au troisième, que l'opération de l'instrument s'attribue à l'agent principal en vertu duquel l'instrument agit. Et parce qu'un ministre est comme un instrument, c'est pour cela qu'on dit que la révélation prophétique qui se fait par le ministère des anges vient de Dieu.


ARTICLE III. — faut-il pour la prophétie une disposition naturelle (1) ?


Objections: 1. Il semble qu'il faille pour la prophétie une disposition naturelle. En effet, la prophétie est reçue dans le prophète selon la disposition où il est en la recevant. Car sur ces paroles d'Amos (i) : Le Seigneur rugit de Sion, la glose dit (ordin. Hieronym.): Il est naturel que tous ceux qui veulent comparer une chose à une autre, empruntent leurs comparaisons aux choses qu'ils ont éprouvées et dans lesquelles ils ont été élevés; par exemple, les matelots comparent leurs ennemis aux vents, leur perte à un naufrage. De même Amos qui a été berger assimile la crainte de Dieu au rugissement du lion. Or, ce qui est reçu dans quelqu'un selon le mode de celui qui le reçoit exige une disposition naturelle. La prophétie requiert donc cette disposition.

2. La prophétie est une spéculation plus élevée que la science acquise. Or, une indisposition naturelle empêche de se livrer aux spéculations de la science, car il y en a beaucoup qui par suite d'une indisposition de ce genre ne peuvent pas parvenir à saisir les sciences spéculatives. A plus forte raison faut-il une disposition naturelle pour se livrer aux spéculations prophétiques.

3. Une indisposition naturelle est un plus grand obstacle qu'un empêchement accidentel. Or, la spéculation prophétique est empêchée par un accident qui survient. Car saint Jérôme dit (Epist, xi), que dans le moment où l'acte conjugal s'accomplit, la présence de l'Esprit-Saint ne se fait pas sentir, quand même celui qui remplit ce devoir paraîtrait être un prophète. A plus forte raison la disposition naturelle empêche-t-elle la prophétie et semble-t-il qu'elle exige une disposition naturelle avantageuse.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Hom. xxx in Evang.) : L'Esprit- Saint remplit un enfant qui joue de la harpe et il en fait un Psalmiste; il remplit un berger et il en fait un prophète. La prophétie n'exige donc pas de disposition antérieure, mais elle dépend uniquement de la volonté de l'Esprit-Saint, dont il est dit (1Co 12,41) : C'est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons selon qu'il lui plaît.

CONCLUSION. — La prophétie n'exige aucune disposition naturelle antérieure, mais c'est la seule volonté de l'Esprit-Saint qui l'infuse dans les hommes.

où il veut, allait chercher hors de ces écoles des hommes simples dont il faisait des prophètes. C'est ce qu'on voit pour Amos.

(I) Chez les Juifs il y avait des écoles pour les prophètes ; ces écoles pouvaient favoriser le don de prophétie en élevant les âmes à la plus haute sainteté, Mais souvent l'esprit de Dieu, qui souffle

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), la prophétie prise dans son sens vrai et absolu vient de l'inspiration divine ; celle qui vient d'une cause naturelle ne reçoit le nom de prophétie que sous un rapport. Or, il est à remarquer que, comme Dieu, qui est la cause universelle agissante, ne préexige pas une disposition de la matière pour produire des effets corporeis, mais qu'il peut simultanément produire la matière, la disposi tion et la forme ; de même pour les effets spirituels.il ne demande pas préalablement une disposition quelconque ; mais il peut simultanément produire avec l'effet spirituel la disposition qui convient, telle qu'elle est exigée selon l'ordre de la nature. Il y a plus, il pourrait même produire simultanément par la création le sujet lui-même, de manière que dans la création de l'âme, il la disposât à la prophétie et qu'il lui donnât la grâce prophétique.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il est indifférent à la prophétie qu'on emploie telles ou telles images pour l'exprimer (1). C'est pourquoi l'opération divine ne change pas l'homme à cet égard, seulement la vertu divine écarte ce qui pourrait être contraire à la prophétie.

2. Il faut répondre au second, que les spéculations scientifiques résultent d'une cause naturelle. Or, la nature ne peut opérer s'il n'y a pas une disposition antérieure dans la matière ; ce qu'on ne doit pas dire de Dieu qui est la cause de la prophétie.

3. Il faut répondre au troisième, qu'une indisposition naturelle, si elle n'était écartée, pourrait empêcher une révélation prophétique, par exemple si on était totalement dépourvu du sens naturel. C'est ainsi qu'on peut être empêché de prophétiser actuellement par une passion violente telle que la colère, ou la concupiscence dans l'acte de la génération, ou par toute autre. Mais la vertu divine qui est la cause de la prophétie, écarte cette indisposition naturelle.


ARTICLE IV. — la bonté morale est-elle requise pour la prophétie (2)?


Objections: 1. Il semble que la bonté morale soit nécessaire pour la prophétie. Car il est dit (Sg 7,27) : Que la sagesse de Dieu se communique dans les nations aux âmes saintes, et qu'elle forme les amis de Dieu et les prophètes. Or, la sainteté ne peut exister sans la bonté des moeurs et sans la grâce sanctifiante. La prophétie ne peut donc pas non plus exister sans ces deux choses.

2. On ne révèle ses secrets qu'à ses amis, d'après ces paroles de saint Jean (15,10) : Je vous ai appelé mes amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père je vous l'ai fait connaître. Or, Dieu révèle ses secrets à ses prophètes, comme le dit Amos (3). h semble donc que les prophètes soient les amis de Dieu, ce qui ne peut exister sans la charité, et que par conséquent la prophétie ne soit pas possible sans cette vertu, qui n'existe pas elle-même sans la grâce sanctifiante.

3. Il est dit (Mt 7,15) : Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous couverts de peaux de brebis et qui sont intérieurement des loups ravissants. Or, tous ceux qui sont intérieurement sans la grâce paraissent être des loups ravissants. Ils sont donc tous des faux prophètes, et par conséquent il n'y a de vrai prophète que celui qui est bon par la grâce.

4. Aristote dit (De divinat.) que si la divination par les songes vient de Dieu, il répugne qu'il les envoie aux premiers venus, et non aux hommes les plus sages. Or, il est constant que le don de prophétie vient de Dieu. Il n'est donc accordé qu'aux hommes les plus saints.

(2) Balaam n'était pas un saint, et cependant il prophétisa (Num. xxii et soq.). On i eut citer encore Caïphe, qui prophétisa que Jésus-Christ devait mourir pour son peuple (Joan. xl, 5Í)).

("I C'est ce qui explique pourquoi, malgré l'inspiration, chaque prophète a son style particulier.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Evangile rapporte (Mt 7,22) qu'à ceux qui disaient : Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom ? il est répondu : Je ne vous ai jamais connus. Or, d'après l'Apôtre (2Tm 2,19) : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui. La prophétie peut donc exister dans ceux qui n'appartiennent pas à Dieu par la grâce.


CONCLUSION. — Quoique la perversité des moeurs soit un très-grave obstacle à la prophétie par suite des affections déréglées d u coeur, cependant la prophétie peut exister sans la bonté morale, quant à la racine de la bonté ou la charité, puisqu'elle appartient à l'intellect et qu'elle est infuse de Dieu dans les hommes pour le salut de leur prochain, et non pour le leur personnellement.

Réponse Il faut répondre que la bonté des moeurs se considère sous deux rapports : 1° selon sa racine intérieure qui est la grâce sanctifiante ; 2° quant aux passions intérieures de l'âme et aux actions extérieures. La grâce sanctifiante est principalement donnée pour que l'âme de l'homme soit unie à Dieu par la charité. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De Trin. lib. xv, cap. -iS) que si l'Esprit-Saint n'accorde pas à quelqu'un de le rendre ami de Dieu et du prochain, il ne passe pas de la gauche à la droite. Par conséquent tout ce qui peut exister sans la charité peut exister sans la grâce sanctifiante et par suite sans la bonté morale. Or, la prophétie peut exister sans la charité : ce qui est évident de deux manières : 1° d'après l'acte de l'une et de l'autre. Car la prophétie appartient à l'intellect dont l'acte précède l'acte de la volonté que la charité perfectionne. C'est pourquoi l'Apôtre (1Co 13) énumère la prophétie parmi d'autres choses qui appartiennent à l'intellect et qui peuvent exister sans la charité. 2° D'après leur fin. Car la prophétie a pour but l'utilité de l'Eglise, comme les autres grâces gratuitement données, d'après ces autres paroles de saint Paul (1Co 12,7) : Les dons visibles de V Esprit-Saint ne sont donnés à chacun que pour l'utilité de l'Eglise. Mais elle n'a pas directement pour fin que la volonté du prophète s'unisse à Dieu, ce qui est le but de la charité. C'est pourquoi la prophétie peut exister sans la bonté des moeurs quant à la racine propre de cette bonté.—Mais si nous considérons la bonté morale d'après les passions de l'âme et les actions extérieures, sous ce rapport la perversité des moeurs est un obstacle à la prophétie. Car la prophétie exige la plus grande élévation de l'àme pour la contemplation des «

choses spirituelles; et cette élévation est empêchée par la violence des passions et l'occupation déréglée des choses extérieures.-D'où il est dit des enfants des prophètes (4. Reg. 4) qu'ils habitaient ensemble avec Elisée, menant en quelque sorte une vie solitaire, pour que les préoccupations du monde ne les privassent pas du don de prophétie (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le don de prophétie est quelquefois accordé à un homme pour l'utilité des autres et pour éclairer son propre entendement. C'est à ces âmes que la sagesse divine se communique au moyen de la grâce sanctifiante, en en faisant des amis de Dieu et des prophètes. 11 y en a d'autres qui ne reçoivent le don de prophétie que pour l'utilité de leurs semblables et qui sont comme les instruments de l'opération divine. C'est pourquoi saint Jérôme dit (Sup. Matth, cap. 7 in illud : Nonne in nomine tuo prophetavimus ?) : Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, ce n'est pas toujours une preuve du mérite de celui qui opère toutes ces choses, mais il les produit par l'invocation du nom du Christ, ou bien ce pouvoir lui est accordé pour la condamnation de ceux qui l'invoquent et dans l'intérêt de ceux qui le voient et l'entendent.

2. Il faut répondre au second, que saint Grégoire (Hom. xxvii in Evang.) expliquant ce passage dit : Quand nous aimons les secrets du ciel que nous avons appris, nous les connaissons, parce que l'amour est lui-même la connaissance. Il les leur avait donc fait connaître tous; car, ajoute-t-il détachés des désirs terrestres, ils brûlaient de l'amour le plus ardent! Mais les secrets de Dieu ne sont pas toujours révélés de la sorte aux prophètes.

(I) Le don do prophétie est comme toutes les mais on peut recevoir ce don sans elle. Ainsi on praees gratuitement données. La n'Aco sancti- peut être un prophète, comme on peut êlre uu liante y prépare, elle aide elle-même à l'ohteuir ; prédicateur, sans être un saint.

3. Il faut répondre au troisième, que tous les méchants ne sont pas des loups ravissants, mais seulement ceux qui ont l'intention de nuire aux autres. En elï'et, saint Chrysostome dit [Hom. xix in op. imper f.) que les docteurs catholiques étant des pécheurs sont appelés des esclaves de la chair, mais on ne dit pas que ce sont des loups ravissants, parce qu'ils n'ont pas dessein de perdre les chrétiens. La prophétie ayant pour but l'utilité des autres, il est évident que ces dévastateurs sont de faux prophètes, parce qu'ils ne sont pas envoyés de Dieu pour cela.

4. Il faut répondre au quatrième, que les dons divins ne sont pas toujours accordés absolument aux meilleurs, mais ils le sont quelquefois à ceux qui conviennent le mieux pour les recevoir. Ainsi Dieu accorde le don de prophétie à ceux auxquels il juge qu'il est plus convenable de le donner.

ARTICLE V. — y a-t-il quelque prophétie qui vienne des démons (I)?


II-II (Drioux 1852) Qu.171 a.5