II-II (Drioux 1852) Qu.184 a.6
Objections: 1. Il semble que tous les prélats ecclésiastiques soient dans l'état de perfection. Car saint Jérôme dit [Sup. Epist, ad Tit. cap. 1, super illud Constituas per civitates,etc.): Autrefois le prêtre était le même que l'évêque; puis il ajoute : Comme les prêtres savent que c'est d'après la coutume qu'ils sont soumis à celui qui leur est préposé ; de même les évéques connaissent que c'est plutôt d'après cette coutume que d'après la volonté réelle de J.-C., qu'ils sont au-dessus des prêtres et qu'ils doivent en commun régir l'Eglise. Or, les évéques sont dans l'état de perfection. Donc aussi les prêtres qui ont charge d'âmes.
(t) L'état de perfection ne consiste pas seulement dans la charité, mais il consiste encore dans l'obligation ou la profession solennelle, comme on le voit (in corp. art.). (2) Saint Thomas établit dans cet article la supériorité des évêques sur les prêtres, contre Aërius, Wiclefet tous les presbytériens. Cette erreur a été ainsi condamnée par Io concile de Trente : Si quis dixerit episcopos non esse presbyteris superiores... anathema sit.
2. Comme les évéques reçoivent la charge des âmes avec la consécration, de même aussi les curés et les archidiacres, dont il est dit (Jet. vi) : Choisissezy vous qui êtes nos frères, sept hommes d'entre vous d'une probité reconnue. A cet égard, la glose dit (ordin. Bedae) que les apôtres voulaient qu'on établît dans l'Eglise sept diacres qui seraient d'un rang plus élevé et qui seraient comme les colonnes du prochain, autour de l'autel. Il semble donc qu'ils soient aussi dans l'état de la perfection.
3. Comme les évéques sont obligés de donner leur vie pour leurs brebis, de même aussi les curés et les archidiacres. Or, cette disposition appartient à la perfection de la charité, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest. ad 3). Il semble donc que les curés et les archidiacres soient aussi dans l'état de perfection.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Denis dit (De hier, eccles. cap. 5) que l'ordre des pontifes est la consommation et la perfection, que celui des prêtres est la lumière et l'éclat, et que celui des ministres purifie et discerne. D'où il est évident que l'on n'attribue la perfection qu'aux évêques.
CONCLUSION. — Tous les prélats (1) ne sont pas dans l'état de perfection, mais il n'y a que les évêques.
Réponse Il faut répondre que dans les prêtres et les diacres qui ont charge d'âmes, il y a deux choses que l'on peut considérer : l'ordre et la charge. L'ordre se rapporte à l'acte qu'ils font dans les offices divins. Ainsi nous avons dit plus haut (quest. préc. art. 5 ad 3) que la distinction des ordres est contenue sous la distinction des offices. Par conséquent, par là même qu'ils reçoivent un ordre sacré, ils reçoivent le pouvoir d'accomplir des actes sacrés; mais ils ne sont pas par là même obligés à ce qui est de perfection, si ce n'est en raison du voeu de continence que l'on émet dans l'Eglise d'Occident, lorsqu'on reçoit un ordre sacré ; ce qui est une des choses qui appartiennent à la perfection, comme nous le dirons (quest. clxxxvi, art. 4). D'où il est évident que par là même qu'on reçoit un ordre sacré, on n'est pas placé absolument dans l'état de perfection; quoiqu'on doive avoir la perfection intérieure pour en exercer dignement les actes. — De même, du côté de la charge qu'ils reçoivent, ils ne sont pas non plus placés dans un état de perfection. Car le lien même du voeu perpétuel ne les oblige pas à conserver la charge d'âmes qu'ils ont acceptée, mais ils peuvent l'abandonner pour entrer en religion, ce qui peut se faire sans la permission de l'évêque comme on le voit (Decret. xix, quest. n, cap. Duae sunt) ; ou bien avec la permission de l'évêque un archidiacre peut quitter son archidiaconé, un curé sa paroisse et accepter une simple prébende sans charge d'âmes ; ce qui ne lui serait permis d'aucune manière, s'il était dans un état de perfection. Car celui qui met la main à la charrue et qui regarde derrière, n'est pas apte au royaume de Dieu (Lc 9,62). — Quant aux évêques, parce qu'ils sont dans l'état de perfection, ils ne peuvent quitter leur charge
(i) Le mot de prélat (proelati) désigne ici en général tous les supérieurs ecclésiastiques ou religieux ; il ne désigne pas exclusivement les évéques, comme dans le sens actuel.
pastorale que d'après l'autorité du souverain Pontife qui a seul le droit de dispenser des voeux perpétuels ; et ils doivent avoir, pour le faire, des motifs sérieux, comme nous le dirons (quest. clxxxv, art. 4). D'où il est évident que tous les supérieurs ecclésiastiques ne sont pas dans un état de perfection, mais qu'il n'y a que les évêques.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que nous pouvons parler du prêtre et de l'évêque de deux manières : 1° Quant au nom. Sous ce rapport, autrefois on ne distinguait pas les évêques et les prêtres (1); car on les appelle évêques, parce qu'ils surveillent, comme le dit saint Augustin ( De civ. Dei, lib. xix, cap. 19) (episcopus, du verbe «tKJxowetv, veiller sur), et le mot praire signifie en grec vieillard. C'est pourquoi l'Apôtre emploie le mot de prêtre indistinctement pour l'un et l'autre, quand il dit (1Tm 11,18) : Que les prêtres qui gouvernent bien soient dignes de ce double honneur. Il se sert de même du mot d'évêque. Ainsi il dit aux prêtres de l'Eglise d'Ephèse (Ac 20,28) : Prenez donc garde à vous et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques pour gouverner l'Eglise de Dieu. Mais, dans la réalité, il y eut toujours une distinction entre ces deux ordres, même du temps des apôtres, comme on le voit par saint Denis (De eccl. hier. cap. 5), et sur ces paroles de saint Luc (10) : Per haec autem designavit Dominus, etc., la glose dit (ord. Bed.) : Comme le type des évêques est dans les apôtres, de même le type des prêtres du second ordre est dans les soixante-dix disciples. Dans la suite, pour éviter le schisme, il a été nécessaire de distinguer aussi les noms, de telle sorte qu'on a donné le nom d'évêque à l'ordre supérieur, et le nom de prêtre à l'ordre inférieur. Dire que les prêtres ne diffèrent pas des évêques, c'est une assertion que saint Augustin range parmi les hérésies (Lib. de haeres. haer. l1), en rappelant que les Aériens (2) disaient qu'il n'y avait aucune différence entre un prêtre et un évêque.
2. Il faut répondre au second, que les évêques ont principalement la charge des ouailles de leur diocèse ; les curés et les archidiacres ne sont que des ministres qui agissent sous la direction des évêques. Ainsi, à l'occasion de ces paroles de saint Paul (1Co 12) : Les uns ont le don d'assister leurs frères, les autres celui de les gouverner, la glose dit (interl.) : Ceux qui assistent les autres, ce sont ceux qui portent des secours à ceux qui sont de l'ordre supérieur, comme Tite à saint Paul ou les archidiacres à l'évêque. Le gouvernement marque ici le rôle des chefs inférieurs, comme les prêtres qui instruisent le peuple. Saint Denis observe (De hier, eccles. cap. 5) que, comme nous voyons toute la hiérarchie terminée dans Jésus, de même chaque fonction aboutit au chef de la hiérarchie divine, qui est l'évêque. Et le droit canon ajoute (XVI. quaest. i, cap. Cunctis) : Tous les prêtres et tous les diacres doivent avoir soin de ne rien faire sans la permission de l'évêque. D'où il est évident qu'ils sont par rapport à l'évêque ce que les baillis ou les ministres sont par rapport au roi. C'est pourquoi, comme dans la société civile, le roi seul reçoit la bénédiction solennelle, et les autres chefs ne sont établis que par simple commission, de même, dans l'Eglise, la charge épiscopale est confiée avec la solennité de la consécration, au lieu que la charge de l'archidiaconé ou d'une cure est remise par une simple injonction. Cependant les prêtres reçoivent l'ordre et sont consacrés avant de recevoir cette charge.
(D9 D'après le P. Petau, on employait ces deux mots indifféremment, parce que, dans les premiers temps de l'Eglise, il n'y avait pas de prêtre qui ne fût évêque (Pctav. Dissert. eccletiatt. lib. i, cap. I et 2, et Lib. de hierarchid eccl. lib. i, cap. 4). Ce système est adopté par Mama- cbi (Orig. et Antiquit. christ, tom. iv, p. 537), et c'est ce qui explique le mieux cette difficulté.
(2) Acrius vivait au iv« siècle. Il était arien, et il ajouta aux erreurs d'Arius d'autres erreurs particulières, dont la principale est celle-ci. Saint Epipliane s'élève aussi contre lui (Haeres 73 cap. 5, edit. Patav.).
3. Il faut répondre au troisième, que comme les curés et les archidiacres n'ont pas principalement charge d'âme, mais qu'ils en ont seulement l'administration, selon que l'évêque la leur a confiée, de même l'office pastoral ne leur appartient pas principalement (I), et ils n'ont l'obligation de donner leur vie pour leurs brebis qu'autant qu'ils participent à la charge des âmes. Par conséquent ils ont plutôt un office qui appartient à la perfection qu'ils n'occupent un état de perfection.
Objections: 1. Il semble que l'état des religieux soit plus parfait que l'état des prélats. Car le Seigneur dit (Mt 19,21) : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres; ce que font les religieux. Or, les évêques n'y sont pas tenus, puisqu'il est dit (XII. quest. i, cap. 19) : Que les évêques laissent à leurs héritiers, s'ils le veulent, tout ce qu'ils possèdent en propre ou qu'ils ont acquis. Les religieux sont donc dans un état plus parfait que les évêques.
2. La perfection consiste plus principalement dans l'amour de Dieu que dans l'amour du prochain. Or, l'état des religieux se rapporte directement à l'amour de Dieu; c'est ce qui fait qu'ils tirent leur nom du service de Dieu, selon la remarque de saint Denis (De eccles. hier. cap. 6). Au lieu que l'état des évêques paraît se rapporter à l'amour du prochain qu'ils ont à surveiller, et c'est de là que vient leur nom, d'après saint Augustin [De civ. Dei, lib. xix, cap. 17). Il semble donc que l'état des religieux soit plus parfait que celui des évêques.
3. L'état des religieux a pour but la vie contemplative, qui l'emporte sur la vie active, à laquelle se rapporte l'état des évêques. Car saint Grégoire dit (Past. part, i, cap. 7) que, par la vie active, Isaïe, désirant être utile au prochain, ambitionne l'office de la prédication, au lieu que Jérémie, voulant s'attacher, par la contemplation, à l'amour du Créateur, demande à ne pas être envoyé pour prêcher. Il semble donc que l'état des religieux soit plus parfait que celui des évêques.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Il n'est permis à personne de passer d'un état plus élevé à un état moindre; car ce serait regarder en arrière. Or, on peut passer de l'état religieux à l'état épiscopal ; puisqu'il est dit (XV1, q. i, cap. Statutum) que l'ordination sacrée fait d'un moine un évêque. L'état des évêques est donc plus parfait que celui des religieux.
CONCLUSION. — L'état de perfection est plus élevé dans les prélats et les évêques que dans les religieux.
Réponse Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. xii, cap. 16), celui qui agit est toujours supérieur à celui qui pâtit. Or, dans le genre de la perfection, d'après saint Denis (Coel. hier. cap. 5 et 6), les évêques sont ceux qui perfectionnent et les religieux sont ceux qui sont perfectionnés ; l'une de ces deux choses appartient à l'action, et l'autre à la passion. D'où il est évident que l'état de perfection est plus élevé dans les évêques que dans les religieux.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on peut considérer de deux manières l'abandon des biens que l'on possède : 1° On peut le considérer selon qu'il est en acte. La perfection ne consiste pas essentiellement dans
(O) C'est dans ce sens qu'il est vrai de dire qu'il n'y a que l'évêque qui soit pasteur.
v. 37
cet abandon, mais c'est un moyen de perfection, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). C'est pourquoi rien n'empêche que l'état de perfection n'existe sans que l'on renonce à toutes ses richesses, et l'on doit en dire autant à l'égard des autres observances extérieures. 2° On peut le considérer selon les dispositions intérieures du coeur, de manière que l'on soit prêt, s'il le fallait, à tout abandonner ou à tout distribuer ; et ceci appartient directement à la perfection. D'où saint Augustin dit (lib. n de Quaest. Evang. q. xi) : Le Seigneur montre que les enfants de la sagesse comprennent que la justice consiste, non dans le manger et l'abstinence, mais dans l'égalité d'âme avec laquelle on supporte la pauvreté. C'est ce qui faisait dire à saint Paul (Ph 4,12) : Je sais supporter V abondance et le besoin. Or, les évêques sont tenus tout particulièrement à faire le sacrifice de tout ce qu'ils ont, quand il le faut, pour l'honneur de Dieu et le salut de leur troupeau, soit en donnant leurs biens aux pauvres de leur diocèse, soit en se les laissant ravir avec joie (1).
2. Il faut répondre au second, que si les évêques s'appliquent à ce qui regarde l'amour du prochain, ils le font par suite de l'abondance de l'amour qu'ils ont pour Dieu. C'est pourquoi le Seigneur demanda d'abord à saint Pierre s'il l'aimait; puis il lui confia le soin de son troupeau. Et saint Grégoire dit (Past. part, i, cap. 5) : Si la charge pastorale est un témoignage d'amour, celui qui est vertueux et qui refuse de faire paître le troupeau du Seigneur prouve qu'il n'aime pas le souverain Pasteur. Car, quand un homme en sert un autre à cause de son ami, il donne à celui-ci une plus grande marque d'amitié que s'il consentait à le servir seul (2).
3. Il faut répondre au troisième, que saint Grégoire dit (Past. cap. 1 et 2) : Que l'évêque soit le premier par l'action et qu'il l'emporte sur tous les autres par la contemplation, parce que les évêques ne doivent pas seulement contempler pour eux-mêmes, mais encore pour l'instruction des autres. C'est pourquoi le même docteur (Sup. Ezech. hom. v) applique aux hommes parfaits qui reviennent de la contemplation ces paroles du Psalmiste (Ps 144,7) : Ils feront éclater au dehors le souvenir de vos bontés.
Objections: 1. Il semble que les curés et les archidiacres soient élevés à une perfection plus haute que les religieux. Car saint Chrysostome dit (De sacerd. cap. 4 et 7) : Si vous m'amenez un moine tel que fut Elie, pour parler par hyperbole ; il ne sera cependant pas comparable à celui qui, livré aux peuples et contraint de porter les péchés de la multitude, reste invincible et fort. Puis il ajoute (cap. 7) : Si l'on me proposait de choisir ce que j'aimerais le mieux, de la charge sacerdotale ou de la solitude des moines, je choisirais, sans comparaison, ce que j'ai dit plus haut. Et dans le même livre (cap. 5), il dit : Si l'on compare les fatigues du moine à celles du prêtre qui remplit bien ses devoirs, on trouvera qu'il y a entre l'un et l'autre autant de distance qu'entre un simple citoyen et un roi. Il semble donc que les prêtres qui ont charge d'âmes soient plus parfaits que les religieux.
2. Saint Augustin dit (Epist, xxi ad Valer.) : Que la prudence de votre foi vous représente qu'il n'y a rien en cette vie, et surtout à cette époque, de plus difficile, de plus laborieux, de plus dangereux que la charge d'un évêque, d'un prêtre ou d'un diacre ; mais que devant Dieu il n'y a rien de plus heureux, si l'on combat comme notre chef nous le commande. Les religieux ne sont donc pas plus parfaits que les prêtres ou les diacres.
(1) Non-seulement ils s'engagent à donner leurs biens, mais encore à sacrifier leur vie pour le salui de leurs ouailles ; ce qui est le comble de la perfection.
(2) Par charité, les évéqucs se font les serviteurs des fidèles, d'après ces paroles de l'Apôtre (II.
Cor. iv): Non nosmetipsos proedicamus, sed Jetum Christum Dominum nostrum, nos autem servos vestros per ipsum. C'est pourquoi le souverain pontife s'est appelé servus servorum Dei, d'après la remarque de saint Thomas (Opusc. de perf. vitae spiritualis, cap. 17).
3. Saint Augustin dit encore (Epist, lx ad Aurel.) : C'est une chose excessivement déplorable que d'élever les moines à un orgueil si ruineux, et de juger les clercs dignes d'un si cruel affront qu'on dise qu'un mauvais moine est un bon clerc, tandis que quelquefois un bon moine fait un clerc médiocre. Et il avait observé un peu auparavant qu'il ne fallait pas faire croire aux serviteurs de Dieu, c'est-à-dire aux moines, qu'ils seraient plus facilement promus à un ordre plus élevé, c'est-à-dire à la cléricature, s'ils devenaient pires, c'est-à-dire s'ils quittaient leur monastère. Il semble donc que ceux qui sont dans l'état clérical soient plus parfaits que les religieux.
4. Il n'est pas permis de passer d'un état plus élevé à un état qui l'est moins. Or, il est permis de passer de l'état monastique à l'état du prêtre qui a charge d'âmes, comme on le voit (XVI. quest.i, cap. 28), d'après le décret du pape Gélase, qui dit : S'il y a un moine qui paraisse digne du sacerdoce, d'après les mérites de sa vie respectable, et que l'abbé sous les ordres duquel il combat pour le Christ notre roi demande qu'on le fasse prêtre, l'évêque doit le choisir et l'ordonner dans le lieu qu'il jugera convenable. Et saint Jérôme dit au moine Rustic (Ep 4) : Vivez dans le monastère de manière que vous soyez digne d'être clerc. Les curés et les archidiacres sont donc plus parfaits que les religieux.
5. Les évêques sont dans un état plus parfait que les religieux, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc.). Or, les curés et les archidiacres, par là même qu'ils ont charge d'âmes, ressemblent plus aux évêques que les religieux. Leur perfection est donc plus grande.
6. La vertu consiste dans ce qui est difficile et bon, comme le dit Aristote (Eth. lib. ii, cap. 3). Or, il est plus difficile de bien remplir tous ses devoirs dans la charge de curé ou d'archiprêtre que dans l'état religieux. Les curés ou les archidiacres sont donc d'une vertu plus parfaite que les religieux.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (XIX. quest. ii, cap. Dux) : Si un prêtre qui administre une paroisse sous la direction de l'évêque et qui vit séculière- ment est poussé par l'Esprit-Saint à entrer dans un monastère ou à faire son salut dans une congrégation régulière ; par là même qu'il est conduit par la loi privée, aucune raison n'exige qu'il soit retenu par la loi publique. Or, on n'est conduit par la loi de l'Esprit-Saint, qui est ici appelée la loi privée, qu'autant qu'on s'élève à quelque chose de plus parfait. Il semble donc que les religieux soient plus parfaits que les archidiacres ou les curés.
CONCLUSION. — Quoique l'état des religieux qui ont consacré à Dieu toute leur vie soit supérieur en bonté à l'état des curés et des archidiacres, cependant l'état de ces derniers est bien plus parfait si on le considère par rapport à la difficulté que présente la conduite des âmes.
Réponse Il faut répondre qu'on ne compare pas la supériorité de deux individus, par rapport à ce qu'ils ont de commun, mais par rapport à ce qu'ils ont de différent. Or, dans les curés et les archidiacres, il y a trois choses à considérer : l'état, l'ordre et l'office. D'après leur état ils sont séculiers ; l'ordre fait qu'ils sont prêtres ou diacres, et l'office fait qu'ils ont la charge des ames qui leur sont confiées. Si donc nous supposons d'autre part quelqu'un qui est dans l'état religieux, qui a l'ordre de diacre ou de prêtre et qui a par office charge d'âmes, comme le sont la plupart des moines et des chanoines réguliers, il l'emportera sur les curés et les archidiacres sous le premier rapport, et leur sera égal pour le reste. Si nous en supposons un autre qui diffère d'eux par l'état et l'office, et qui ait le même ordre, comme les religieux qui sont prêtres et diacres sans avoir charge d'âmes, il est évident que celui-ci leur sera supérieur par l'état, inférieur relativement à l'office et égal pour l'ordre. —Il faut donc examiner quelle est la prééminence qui l'emporte, si c'est celle de l'état ou celle de l'office ; à cet égard il y a deux choses à considérer : la bon té et la difficulté. Si on compare ces deux choses au point de vue de la bonté, l'état religieux est préférable à l'office de curé ou d'archidiacre, parce que le religieux s'oblige à employer toute sa vie à travailler à la perfection, au lieu que le curé ou l'archidiacre ne prend pas l'engagement de consacrer toute sa vie au soin des âmes, comme le fait l'évêque. Il n'a pas non plus, comme l'évêque, la charge principale de ses ouailles, mais son office se borne à remplir quelques devoirs particuliers à l'égard du soin des âmes, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 6 huj. quaest. ad 2). C'est pourquoi l'état religieux est à leur office ce que l'universel est au particulier, ce que l'holocauste est au sacrifice, qui est moins que l'holocauste, comme le démontre saint Grégoire (Sup. Ez. hom. xx). D'où il est dit (XIX. quest. i, cap. 1): Les évéques doivent librement laisser entrer dans les monastères les prêtres qui veulent se faire moines, parce qu'ils désirent mener une vie meilleure. Toutefois cette comparaison ne doit s'entendre que du genre de l'oeuvre. Car, selon la charité de celui qui l'opère, il arrive quelquefois qu'une action qui est inférieure dans son genre est plus méritoire, parce qu'elle a été faite avec une charité plus grande.— Mais si l'on considère la difficulté qu'il y a de bien remplir tous ses devoirs en religion et dans un office où l'on a charge d'âmes, elle est plus grande pour ces derniers, à cause des périls extérieurs, quoique la conduite du religieux soit plus difficile, relativement au genre même de l'action, par suite de la sévérité de sa règle. — Si un religieux n'est pas dans les ordres, comme il arrive à l'égard des religieux convers ; alors il est évident que la prééminence d'ordre l'emporte quant à la dignité, parce que les ordres sacrés élèvent celui qui les reçoit au ministère le plus noble, par lequel il sert le Christ lui-même au sacrement de l'autel ; ce qui exige une sainteté intérieure plus grande que l'état religieux, parce que, comme le dit saint Denis (De eccles. hier. cap. 6), l'ordre monastique doit suivre les ordres sacerdotaux et s'élever en les imitant aux choses divines. Par conséquent, toutes choses égales d'ailleurs, le clerc qui est dans les ordres sacrés pèche plus grièvement, s'il fait quelque chose de contraire à la sainteté, qu'un religieux qui n'est pas dans les ordres, quoiqu'un religieux laïc soit tenu par sa règle à des observances qui ne sont pas obligatoires pour ceux qui sont dans les ordres sacrés.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'on pourrait répondre à ces passages de saint Chrysostome en disant qu'il ne parle pas là du curé qui est d'un ordre inférieur, mais de l'évêque, que l'on appelle le prêtre souverain, et c'est ce qui se trouve conforme au but de son ouvrage, dans lequel il se console, et il console saint Basile de ce qu'ils ont été promus à l'épis- copat. Mais laissant de côté cette réponse, on doit dire qu'il s'exprime ainsi relativement à la difficulté. Car il dit auparavant (cap. 6) que le pilote qui est au milieu des flots, et qui peut sauver son navire de la tempête, mérite alors de tout le monde un témoignage d'habileté. Puis il conclut par les paroles que nous avons rapportées (in arg.) au sujet du moine, c'est qu'il n'est pas comparable à celui qui, livré au peuple, reste immobile au milieu de tous les périls. Et il en donne la cause : c'est que l'un se gouverne au sein de la tranquillité et l'autre au milieu de la tempête. Ce qui ne prouve qu'une chose, c'est que l'état de celui qui a charge d'àmes est plus dangereux que celui du moine; car, quand on se conserve intact dans un plus grand danger, c'est la marque d'un plus grand courage. Mais il y a aussi de la grandeur d'âme à se soustraire aux périls en entrant en religion ; c'est pourquoi il ne dit pas qu'il aimerait mieux remplir l'office du prêtre que d'être dans la solitude du moine, mais qu'il aimerait mieux être agréable à Dieu dans le premier cas que dans le second, parce que c'est la preuve d'une plus grande vertu.
2. Il faut répondre au second, que ce passage de saint Augustin se rapporte évidemment à la difficulté qui montre la grandeur de la vertu dans ceux qui se conduisent bien, comme nous l'avons dit (in solut. praec.).
3. Il faut répondre au troisième, que saint Augustin compare en cet endroit les moines aux clercs sous le rapport de l'ordre, mais non sous le rapport de l'état religieux et de la vie séculière.
4. Il faut répondre au quatrième, que ceux qui sont élevés de l'état religieux à la charge des âmes, et qui étaient auparavant dans les ordres sacrés, reçoivent quelque chose qu'ils n'avaient pas auparavant, l'office du soin des âmes ; mais ils ne quittent pas ce qu'ils avaient, l'état religieux. Car il est dit (Decret. XVI, quest. i, cap. 3) : A l'égard des moines qui sont depuis longtemps dans les monastères, s'ils parviennent ensuite à l'ordre ecclésiastique, nous décidons qu'ils ne doivent pas s'écarter de leur premier dessein. Au contraire, les curés ou les archidiacres, quand ils entrent • en religion, quittent la charge d'âmes qu'ils avaient, pour embrasser un état plus parfait. C'est ce qui démontre une supériorité de la part de l'état religieux. Mais quand les religieux sont élevés à la cléricature et qu'ils reçoivent les ordres sacrés, ils sont évidemment promus à un rang supérieur, comme nous l'avons dit (in arg. 4). Et c'est ce que prouve la manière dont s'exprime saint Jérôme, quand il dit : Vivez dans le monastère de telle sorte que vous méritiez d'être clerc.
5. Il faut répondre au cinquième, que les curés et les archidiacres ressemblent plus aux évêques que les religieux sous un rapport, c'est-à-dire relativement à la charge des âmes, qui pèse sur eux secondairement; mais à l'égard de la perpétuité de l'engagement qui est nécessaire à l'état de perfection, les religieux ressemblent davantage à l'évêque, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 5 et 6 huj. quaest.).
6. Il faut répondre au sixième, que la difficulté qui résulte de la nature même de l'oeuvre ajoute à la perfection de la vertu, au lieu que là difficulté qui provient des obstacles extérieurs la diminue quelquefois, comme quand quelqu'un n'aime pas assez la vertu pour vouloir éviter tout ce qui est pour elle une entrave, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 9,25) : Celui qui lutte dans V arène s'abstient de tout. D'autres fois c'est la marque d'une vertu plus parfaite, comme quand quelqu'un rencontre inopinément , ou par suite de la nécessité, des obstacles , et que cependant il ne s'éloigne pas de la vertu pour ce motif. Or, dans l'état religieux, la difficulté est plus grande du côté des actions que l'on doit faire ; mais pour ceux qui vivent dans le siècle, elle est plus grave du côté des obstacles auxquels les religieux se sont soustraits par la résolution qu'ils ont prise.
Nous avons ensuite à considérer ce qui regarde l'état des évêques. — A ce sujet huit questions se présentent : 1° Est-il permis de désirer l'épiscopat? — 2° Est-il permis de le refuser finalement? — 3° Faut-il choisir pour évéque celui qui est le meilleur? — 4° Un évéque peut-it se faire religieux? — 5° Lui est-il permis d'abandonner corporel- lementses diocésains? — 0° Peut-il posséder quelque chose en propre? — 7» Pèche-t-il mortellement en ne donnant pas aux pauvres les biens ecclésiastiques ? — 8° Les religieux qui sont élevés à l'épiscopat sont-ils tenus d'observer leurs règtes ?
Objections: 1. Il semble qu'il soit permis de désirer l'épiscopat. Car l'Apôtre dit (1Tm 1,1) : Celui qui désire l'épiscopat désire un excellent ministère. Or, il est permis et louable de désirer un ministère qui est bon. Il est donc louable de désirer l'épiscopat.
2. L'état des évêques est plus parfait que celui des religieux, comme nous l'avons vu (quest. préc. art. 7). Or, il est louable de désirer d'entrer en religion. Il est donc louable aussi de désirer qu'on soit promu à l'épiscopat.
3. Il est dit (Pr 11,26) : Celui qui cache son grain est maudit par le peuple; la bénédiction s'étend sur la tête de celui qui le vend. Or, celui qui est digne par ses vertus et par sa science de l'épiscopat paraît cacher le froment spirituel, s'il se soustrait à cette charge. Au contraire, en l'acceptant, il se met à la place de celui qui distribue les aliments spirituels. Il semble donc qu'il soit louable de rechercher l'épiscopat et blâmable de le refuser.
4. Les actions des saints que l'Ecriture sainte raconte nous sont proposées comme exemples, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 15,4) : Tout ce qui a été écrit Va été pour notre enseignement. Or, nous lisons qu'Isaïe s'offrit pour l'office delà prédication (Is 6), ce qui convient principalement aux évêques. Il semble donc qu'il soit louable de désirer l'épiscopat.
En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. lib. xix, cap. 19) : Il n'est pas convenable de rechercher les dignités élevées sans lesquelles on ne peut gouverner le peuple, quoiqu'on soit très-apte à les remplir.
CONCLUSION. — Le désir de l'épiscopat peut être une bonne et une mauvaise chose ; c'est un bien si l'on y cherche un avantage spirituel, mais c'est un mal si l'on recherche dans cette fonction f'opulence ou la dignité temporelfe.
Réponse Il faut répondre que dans l'épiscopat on peut considérer trois choses : l'une, qui est la chose principale et finale, est l'opération épiscopale par laquelle on se propose d'être utile au prochain, d'après ces paroles (Jn 21) : Paissez mes brebis. La seconde est l'élévation du rang, parce que l'évêque est placé au-dessus des autres, d'après ce passage de l'Evangile (Mt 24,45) : C'est le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa maison. La troisième est la conséquence des autres, et comprend le respect et l'honneur qu'il reçoit et les avantages temporels, d'après cette recommandation de l'Apôtre (1Tm 5,17) : Que les anciens qui président bien reçoivent ce double honneur. Il est évident que si l'on recherche l'épiscopat en vue de ces avantages qui l'environnent, c'est une chose illicite et un acte de cupidité ou d'ambition. Ainsi le Seigneur s'élevant contre les pharisiens dit (Mt 21,6) : Ils aiment à avoir les première places dtíns les festins et les premières chaires dans les synagogues, à être salués ddns les places publiques, et à être appelés maîtres par les hommes. Quant à la seconde chose, c'est-à-dire à l'élévation du rang, il y a de la présomption à la désirer (1). C'est pourquoi le Seigneur blâme ses disciples, qui disputaient entre eux sur la primauté, en leur disant : Vous savez que les princes des nations les dominent. Saint Chrysostome observe à cet égard [Hom. lxvi in Matth.) qu'il montre par là qu'il appartient aux gentils de briguer les premières places, et qu'il apaise ainsi les désirs de leur âme par cette comparaison tirée des nations. A la vérité, c'est en soi une chose louable et vertueuse que de désirer d'être utile au prochain. Mais parce qu'en raison de l'acte épiscopal cette charge est annexée à un rang élevé, il paraît présomptueux de désirer être placé au-dessus des autres pour leur être utile, à moins qu'il n'y ait évidemment nécessité imminente. Comme le dit saint Grégoire (Past. part, i, cap. 8), il était louable de rechercher l'épiscopat, quand il n'était pas douteux que c'était un moyen d'arriver à endurer les plus cruels supplices (aussi n'en trouvait-on pas facilement qui voulussent accepter cette charge), surtout quand on y était poussé surnatu- rellement par le zèle delà charité. Ainsi le même docteur observe (ibid. cap. 7) qu’Isaïe désirant être utile au prochain a ambitionné d'une manière louable l'office de la prédication. — D'ailleurs on peut sans présomption désirer accomplir dignement les fonctions de l'épiscopat, si l'on venait à en être chargé, ou désirer être digne de les remplir, de telle sorte qu'on recherche les bonnes oeuvres qui sont propres à la charge, mais non l'élévation de la dignité. C'est ce qui fait dire à saint Chrysostome (Hom. xxxv sup. Matth, in oper. imper f.) : Il est bien de désirer faire une bonne oeuvre, mais si l'on recherche la primauté d'honneur, c'est de la vanité. Les dignités recherchent celui qui les fuit, elles abhorrent celui qui les désire.
Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Grégoire (Past. part, i, cap. 8), l'Apôtre a ainsi parlé dans le temps où celui qui était à la tôte du peuple était conduit le premier au martyre. Par conséquent, en désirant alors l'épiscopat, on ne pouvait désirer rien autre chose qu'une bonne oeuvre. C'est pour cela que, d'après saint Augustin (De civ. Dei, lib. xix, cap. 19), l'Apôtre, en disant que celui qui désire l'épiscopat désire une bonne oeuvre, a voulu faire entendre ce qu'est l'épiscopat, parce que cette expression désigne un devoir et non une dignité. Car le mot grec èm, sur, ffxoTr èç, attention, marque la vigilance qu'on exerce sur les autres. Par conséquent, si l'on voulait traduire le mot im™mtsîv , nous pourrions le rendre par le mot surveiller; d'où il suit qu'il n'est pas évêque celui qui aime à commander et non à être utile aux autres. Car dans l'action, comme il le dit un peu auparavant, ce n'est pas l'honneur ni la puissance qu'il faut aimer en ce monde, puisque tout est vanité sous le soleil ; mais c'est l'oeuvre que l'on opère par l'honneur ou la puissance. Toutefois, selon la remarque du même docteur (loc. cit.), l'Apôtre, en louant ce désir d'une bonne oeuvre, change aussitôt en crainte ce qui a été l'objet de ses éloges, lorsqu'il ajoute : Il faut qu'un évêque soit irrépréhensible, comme s'il disait : Je loue ce que vous cherchez, mais auparavant sachez ce que vous désirez.
(1) iYec quisquam, sumit, sibi honorem : sed qui vocatur à Deo, tanquam Aaron (ffeb. v).
(1) Ainsi les plus grands docteurs, saint Gré- saint Cvprien (Epiit. ur, De Cornelio par*)> goire, saint Ambroise, saint Thomas d'Aquin, saint Isidore de Peluse (lib. II, epist. 125, De M* saint Antonin, ont fui l'épiscopat comme «n péril. rarch.).
Réponse Il faut répondre au second, qu'il ne faut pas raisonner de la même manière sur l'état religieux et l'état épiscopal, pour deux motifs : 4° Parce que l'état épiscopal requiert une vie parfaite, comme on le voit par les paroles du Seigneur qui demanda à Pierre s'il l'aimait plus que les autres, avant de lui confier la charge pastorale-, au lieu que l'état religieux ne demande pas préalablement la perfection, mais il est le chemin qui y conduit. Ainsi, le Seigneur ne dit pas (Mt 19) : Si vous êtes parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, mais : Si vous voulez êtes parfait. La raison de cette différence "c'est que, d'après saint Denis (De eccles. hier. cap. b), la perfection appartient activement à l'évêque comme à celui qui perfectionne, et passivement au moine comme à celui qui est perfectionné. Or, il faut que l'on soit parfait pour pouvoir mener les autres à la perfection, ce qui n'est pas préalablement exigé de celui qui doit y être conduit. Et c'est une présomption que de se croire parfait, mais ce n'en est pas une que de tendre à la perfection. 2° Parce que celui qti embrasse l'état religieux se soumet aux autres pour en recevoir des secours spirituels, et ceci est permis à tout le monde. D'où saint Augustin observe (De civ. Dei, lib. xix, cap. 19) que l'on n'interdit à personne le zèle pour la connaissance de la vérité, et que c'est là ce qui sanctifie le repos. Mais celui qui est promu à la dignité épiscopale est élevé à cette charge dans l'intérêt des autres, et personne ne doit s'en emparer pour lui-même, d'après ces paroles de l'Apôtre (He 5,4) : Personne ne peut s'attribuer cet honneur; il n'y aque celui qui y a été appelé par Dieu. Et saint Chrysostome dit (Sup. Matth, hom. xxxv, in oper. imperf.) : Il n'est ni juste ni utile de désirer les premières dignités de l'Eglise. Car quel est le / sage qui veut de lui-même se soumettre à la servitude et au péril immense d'avoir à rendre compte pour toute l'Eglise ? Il n'y a que celui qui ne craint pas le jugement de Dieu, qui abuse en homme du monde des premières dignités ecclésiastiques, et qui en fait des charges séculières.
3. Il faut répondre au troisième, que la dispensation des aliments spirituels ne doit pas être faite à la volonté de chacun, mais elle doit être faite principalement selon la volonté et selon la disposition de Dieu, secondairement selon la volonté des supérieurs, auxquels saint Paul fait dire (1Co 4,1) : Que les hommes nous considèrent comme les ministres de Jésus-Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. C'est pourquoi on ne croit pas que l'on cache le froment spirituel, quand on s'abstient de corriger ou de gouverner les autres , dans le cas où on n'en est pas chargé par devoir, et où on n'en reçoit pas l'ordre de la part d'un supérieur. Mais on est seulement coupable de cette faute quand on néglige de dispenser cet aliment, alors qu'on y est tenu par devoir, ou si l'on refuse opiniâtrément d'en accepter la charge, lorsque le supérieur l'enjoint. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, lib. xix, cap. 19) : L'amour de la vérité sanctifie le repos qu'il cherche ; la charité se dévoue aux oeuvres de justice qu'elle accepte. Si le fardeau ne nous est pas imposé, donnons notre loisir à l'étude et à la contemplation de la vérité; mais s'il nous est imposé, acceptons-le par devoir de charité (1).
4. Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Grégoire (Past. part, i, cap. 7), Isaïe qui voulut être envoyé se vit auparavant purifié par un charbon de l'autel, afin que personne n'eût la témérité d'entreprendre le ministère sacré sans être pur. Par conséquent, comme il est très-difficile à chaque individu de savoir s'il est pur, il y a plus de sûreté à décliner l'office de la prédication.
II-II (Drioux 1852) Qu.184 a.6