III Pars (Drioux 1852) 545
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1 Il semble que la bienheureuse Vierge n'ait pas obtenu par sa sanctification dans le sein de sa mère la plénitude ou la perfection de la grâce. Car il semble que ce soit un privilège du Christ, d'après ces paroles de saint Jean (Jn 1,44) : Nous l'avons vu comme le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Or, ce qui est propre au Christ on ne doit pas l'attribuer à un autre. La bienheureuse Vierge n'a donc pas reçu la plénitude des grâces dans sa sanctification.
2 Il ne reste plus rien à ajouter à ce qui est plein et parfait, parce que le parfait est cc qui ne manque de rien, comme le dit Aristote (Phys. lib. iii, text. 63 et64). Or, il a été ajouté à la grâce de la bienheureuse Vierge, quand elle a conçu le Christ, puisqu'il est dit (Lc 1,34) : L'Esprit-Saint viendra en vous, et quand elle a été enlevée dans la gloire. Il semble donc qu'elle n'ait pas eu dans sa première sanctification la plénitude des grâces.
3 Dieu ne fait rien en vain, comme on le voit. (De caelo, lib. i, text. 32, et lib. ii, text. 59). Or, il y a des grâces que Marie aurait eues en vain, puisqu'elle n'en aurait jamais fait usage. Car on ne voit pas ni qu'elle ait enseigné, ce qui est un acte de sagesse, ni qu'elle ait fait des miracles, ce qui est un acte de la grâce gratuitement donnée. Elle n'a donc pas eu la plénitude des grâces.
20 Mais c'est le contraire. L'ange lui dit (Lc 1,28) : Je vous salue, pleine de grâce; ce que saint Jérôme explique en disant (Serm. de assumpt. seu Epist, ad Paul, et Eustoch.) : Elle est bien pleine de grâce, parce que la plénitude de la grâce qui est accordée aux autres par parties, se répand simultanément tout entière dans Marie.
CONCLUSION. — La bienheureuse Vierge Marie a dû obtenir du Christ une plénitude de grâce plus grande que tous les autres, ayant mérité d'être la mère de celui qui est l'origine et le principe de toute grâce.
21 Il faut répondre que plus une chose approche d'un principe dans un genre et plus elle participe à l'effet de ce principe. C'est ce qui fait dire à saint Denis (De coel. hier. cap. 4) que les anges qui sont les plus près de Dieu participent plus que les hommes aux bontés divines. Or, le Christ est le principe de la grâce par sa propre puissance, comme Dieu, et instrumentalement, comme homme. D'où il est dit (Jn 1,47) : C est Jésus-Christ qui a apporté la grâce et la vérité. La bienheureuse Vierge ayant été la plus rapprochée du Christ, selon l'humanité, puisqu'il a reçu d'elle la nature humaine, il s'en- suit qu'elle a dû en obtenir une plénitude de grâce plus grande que les autres.
31 Il faut répondre au premier argument, que Dieu accorde à chacun sa grâce selon la fin pour laquelle il le choisit. Ainsi le Christ, comme homme, ayant été prédestiné et choisi pour être le Fils de Dieu, dans sa vertu de sanctification, il a eu en propre la possession d'une telle plénitude de grâce qu'elle refluât sur tous les hommes, selon cette expression de l'Evangile (Jn 1,46): Nous avons tous reçu de sa plénitude .Mais la bienheureuse Vierge Marie a obtenu une assez grande plénitude de grâce, comme ayant été la plus rapprochée de l'auteur de la grâce, pour qu'elle reçût en elle celui qui est rempli de toutes les grâces, et qu'en le mettant au inonde elle répandît en quelque sorte la grâce sur tous les hommes (2).
on peut croire sans présomption qu'ils se sont trompes.
(I) Cet article est l'explication île cette parole de l'ange Ave, gratia plena.
(2) Elle est devenue ainsi le canal par lequel passent toutes les grâces qui nous arrivent. Car, comme le dit Bossuet, Dieu ayant une fois voulu nous donner Jésus-Christ par la sainte Vierge,
32 Il faut répondre au second, que dans les choses naturelles il faut : 1° que la disposition soit parfaite, comme quand la matière est parfaitement disposée pour la forme. 2° Il faut la perfection de la forme qui est la chose principale. Car la chaleur qui provient de la forme du feu est plus parfaite que celle qui dispose à cette forme. 3° Il faut la perfection de la fin. C'est ainsi que le feu a très-parfaitement les propriétés qui lui sont propres, lorsqu'il arrive en son lieu. De même, dans la bienheureuse Vierge, la grâce a eu trois sortes de perfection : la première, qui était une perfection de disposition par laquelle elle était rendue aple à être la mère du Christ, ce fut la perfection de sa sanctification ; la seconde se trouva en elle, par suite de la présence du Fils de Dieu, qui s'incarna dans son sein -, la troisième est la perfection finale qu'elle a eue dans la gloire. —Il est évident que la seconde perfection l'emporte sur la première, et la troisième sur la seconde ; et c'est ce qui se prouve : 1° par rapport à la délivrance du mal. Car, dans le premier cas, sa sanctification l'a délivrée de la faute originelle ; dans le second, la conception du Fils de Dieu a totalement éteint en elle le foyer de la concupiscence; dans le troisième, sa glorification l'a délivrée de toutes les misères. 2° Par rapport au bien. Cardans sa sanctification elle a obtenu la grâce qui la portait au bien ; en concevant le Fils de Dieu, la grâce qui la confirmait dans le bien a été consommée, et dans sa glorification elle est arrivée à la consommation de la grâce qui la perfectionne dans la jouissance du souverain bien.
33 Il faut répondre au troisième, qu'on ne doit pas douter que la bienheureuse Vierge n'ait reçu d'une manière excellente le don de sagesse, la grâce des miracles et celle de la prophétie ; mais elle ne les a pas reçues pour en faire usage de toutes les manières possibles, comme le Christ les a eues, mais pour s'en servir selon qu'il convenait à sa condition. Ainsi elle a fait usage de la sagesse dans la contemplation, d'après ces paroles de l'Evangile () : Marie conservait toutes ces choses en elle-même, les repassant dans son cœur. Mais elle n'en a pas fait usage pour enseigner, parce que cette fonction ne convenait pas à son sexe, d'après l’Apôtre, qui dit (Tim. 2, 42) : Je ne permets pas à la femme d'enseigner. II ne lui convenait pas non plus de faire des miracles pendant sa vie, parce qu'alors la doctrine du Christ devait être appuyée par des miracles. C'est pourquoi il ne convenait qu'au Christ et à ses disciples, qui étaient les propagateurs de sa doctrine, d'en opérer. C'est pour cela qu'il est dit de Jean Baptiste (Jean,10), qu'tV ne fit aucun prodige, afin que tous les yeux fussent tournés vers le Christ. Elle fit usage du don de prophétie, comme on le voit dans le cantique qu'elle a composé : Magnificat (Lc 1,47).
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1 Il semble qu'après le Christ ce soit une chose propre à la bienheureuse Vierge que d'avoir été sanctifiée dans le sein de sa mère. Car nous avons dit (art. 3 et 4) que la bienheureuse Vierge avait été ainsi sanctifiée pour être rendue apte à être la mère de Dieu ; ce qui lui est propre. Elle est donc la seule qui ait été sanctifiée de la sorte.
cet ordre ne se change plus, et les dons de Dieu sont sans repentance. Il est et sera toujours véritable, qu'ayant reçu par elle une fois le principe universel de la grâce, nous en recevions encore, par son entremise, les diverses applications dans tous les états différents qui composent la vie chrétienne (Serm. sur la dévotion de la sainte Vierge, edit, do Vers. p. 00, tom. xv). C'est un des fondements de notre dévotion envers la sainte Vierge.
(1) En admettant l'immaculée conception de la sainte Vierge, cette grâce lui est propre ; autrement sa sanctification lui est commune avec saint Jean Baptiste et Jérémie, ce qui ne parait pas suffisant pour elle.
2 II y en a qui paraissent s'être approchés plus près du Christ que Jérémie et Jean Baptiste, qu'on dit sanctifiés dans le sein de leur mère. Car on dit spécialement que le Christ est fils de David et d'Abraham, à cause de la promesse particulière qui leur a été faite à son sujet. Isaïe a prophétisé sur lui de la manière la plus expresse ; les apôtres ont vécu avec lui, et cependant on ne voit pas qu'ils aient été sanctifiés dans le sein de leur mère. Il ne convient donc pas non plus à Jérémie et à saint Jean Baptiste d'avoir joui de ce privilège.
3 Job dit de lui-même (Jb 31,1 Jb 8) : La compassion a grandi avec moi depuis mon enfance, et elle est sortie avec moi du sein de ma mère. Cependant nous ne disons pas pour cela qu'il ait été sanctifié dans le sein de sa mère. Nous ne sommes donc pas contraints de le dire non plus de Jean Baptiste et de Jérémie.
20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit à Jérémie (Jr 1,5) : Je vous ai sanctifié avant que vous sortiez du sein de votre mère, et il est dit de saint Jean Baptiste (Lc 1,15) : Il sera rempli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère.
CONCLUSION. — Dieu n'a pas accordé qu'à la bienheureuse Vierge la grâce d'être sanctifiée dans le sein do sa mère, mais il l'a encore accordée à Jérémie et à saint Jean Baptiste, dont la sanctification a été la figure de notre sanctification future par la passion et le baptême du Christ.
21 Il faut répondre que saint Augustin ( Dardan.) paraît avoir douté que Jérémie et saint Jean Baptiste aient été sanctifiés dans le sein de leur mère. « Car, dit-il, le tressaillement de Jean dans le sein de sa mère a pu être la marque d'un grand événement, c'est-à-dire que celle qui venait d'arriver était la mère de Dieu ; ce qui devait être connu d'Elisabeth, mais ce qui ne l'était pas de l'enfant qu'elle portait dans son sein. Aussi n'est-il pas dit dans l'Evangile que l'enfant crut dans le sein de sa mère, mais qu'il tressaillit. Nous voyons à la vérité tressaillir, non-seulement les petits enfants, et même les animaux ; mais ce qu'il y eut d'extraordinaire dans ce mouvement, c'est qu'il eut lieu dans le sein d'Elisabeth. C'est pourquoi il fut produit d'une manière miraculeuse, par la Divinité, dans l'enfant, et il ne vint pas de l'enfant humainement. Et quand même l'usage de la raison et de la volonté aurait été avancé dans cet enfant jusqu'à le rendre apte, dès le ventre de sa mère, de connaître, à croire et à vouloir (ce qui n'a lieu dans les autres enfants que quand l'âge les en rend capables), je pense que ce serait toujours un miracle de la toute-puissance de Dieu. » — Mais comme il est dit de saint Jean expressément (Lc 1,15), qu'il sera rempli de V Esprit-Saint dès le sein de sa mère, et que le Seigneur dit positivement à Jérémie : Je vous ai sanctifié avant que vous ne sortiez du sein de votre mère, il semble qu'on doive affirmer qu'ils ont été sanctifiés dans le sein de leur mère, quoiqu'ils n'aient pas eu alors l'usage de leur libre arbitre, dont parle saint Augustin (loc. cit.), comme les enfants qui sont sanctifiés par le baptême, bien qu'ils ne jouissent pas immédiatement de cette faculté. On ne doit pas croire que cette faveur ait été accordée à d'autres hommes que ceux dont l'Ecriture fait mention (1), parce que ces privilèges de la grâce, qui sont accordés à quelques-uns en dehors delà loi commune, se rapportent à l'utilité des au très, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 12,7) : Lestions visibles du Saint-Esprit ne sont donnés à chacun que pour l'utilité de l'Eglise, et il serait inutile que quelqu'un fût sanctifié dans le sein de sa mère, si l'Eglise ne le savait. Et quoiqu'on ne puisse assigner la raison des jugements de Dieu, et dire pourquoi il accorde ce don de la grâce à l'un tandis qu'il ne l'accorde pas à un autre, cependant il paraît convenable qu'il ait été dit de Jérémie et de Jean qu'ils ont été ainsi sanctifiés, pour figurer à l'avance la sanctification qui devait être produite par le Christ : 1° par sa passion, d'après ce passage de saint Paul (tteb. ult. 42) : Jésus a souffert hors de la porte de la ville pour sanctifier le peuple par son sang. Jérémie a annoncé à l'avance, de la manière la plus ouverte, cette passion dans ses écrits et ses mystères, et il l'a figurée de la façon la plus expresse par ses propres souffrances. 2° Par le baptême, suivant ces autres paroles de saint Paul (I. Cor. vi, 2) : Fous avez été lavés, vous avez été sanctifiés. Saint Jean a préparé les hommes à ce baptême par le sien.
(4) Quelques auteurs ont eru cependant que celte faveur avait aussi été accordée à saint Joseph.
31 Il faut répondre au premier argument, que la bienheureuse Vierge qui a été choisie de Dieu pour être sa mère, a obtenu une grâce de sanctification plus grande que saint Jean Baptiste et Jérémie, qui ont été choisis pour figurer à l'avance tout spécialement la sanctification du Christ. La preuve en est qu'il a été accordé à la bienheureuse Vierge de ne pécher ni mortellement, ni véniellement (4); au lieu qu'on croit que les autres ont seulement reçu de la protection divine la grâce de ne pécher jamais mortellement.
32 Il faut répondre au second, que sous d'autres rapports des saints ont pu être plus unis au Christ que Jérémie et Jean Baptiste; mais que ceux-ci lui ont été unis le plus étroitement selon qu'ils ont figuré de la manière la plus expresse sa sanctification, ainsi que nous l'avons dit [in corp. art.).
33 Il faut répondre au troisième, que la compassion dont parle Job en cet endroit ne signifie pas la vertu infuse, mais une inclination naturelle qui nous porte à produire l'acte de cette vertu.
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Après avoir parlé de la sanctification de la bienheureuse Vierge, nous devons nous occuper de sa virginité. — A cet égard il y a quatre questions à examiner : 1° A-t-elle été vierge dans la conception du Christ? — 2° L'a-t-elle été dans l'enfantement ?— 3" L'a- t-elle été après l'enfantement? — 4° A-t-elle fait vœu de virginité?
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1 Il semble que la mère de Dieu n'ait pas été vierge en concevant le Christ. Car aucun enfant qui a un père et une mère n'est conçu d'une mère vierge. Or, il est dit non-seulement que le Christ a une mère, mais encore qu'il a un père, puisque l'évangéliste dit (Lc 2,33) : Le père et la mère de Jésus étaient dans l'admiration des choses qu'on disait de lui. Et plus loin [ibid. 48) sa mère lui dit : Voilà que nous vous cherchions, votre père moi, étant fort affligés et Saint Matthieu prouve que le Christ a été le fils d'Abraham et de David, parce que Joseph descend de David. Or, cette preuve serait nulle, si Joseph n'avait pas été le père du Christ. Il semble donc que la mère du Christ l'ait conçue du sang de Joseph, et que par conséquent elle n'ait pas été vierge en le concevant. Le Christ n'a donc pas été conçu d'une mère vierge.
(I) Bossuct montre que ce n'était pas assez pour rendre complète la victoire du Christ sur le démon, qu'il fallait encore qu'il détruisit le péché au moment de la conception ; ce qui n'a lieu qu'autant qu'on admet la conception immaculée de la sainte Vierge (Voyez son premier sermon sur ce sujet, idit, de Vers, tome 1P 13 et saiv.).
(2) Cet article est une réfutation de l'erreur des juifs, d'Aquila, d'Ehion et des rationalistes modernes, qui ont nié la conception miraculeuse du Christ, et qui ont par là même attaqué la virginité de sa mère. Mais il est de foi qu'elle est restée vierge, car cette expression se trouve dans tous les symboles.
2 Saint Paul dit (Ga 4,4) : Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme. Or, dans le langage ordinaire on appelle femme celle qu'un homme a connue. Le Christ n'a donc pas été conçu d'une mère vierge.
3 Les choses qui sont de même espèce ont le même mode de génération; parce que la génération reçoit son espèce de son terme aussi bien que les autres mouvements. Or, le Christ a été de même espèce que les autres hommes, d'après ces paroles de saint Paul (Ph 2,7), qui dit qu'il s'est rendu semblable aux hommes et qu'il a été reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors. Par conséquent puisque les autres hommes sont engendrés par l'union de l'homme et de la femme, il semble que le Christ ait été engendré de cette manière, et par là même il ne paraît pas qu'il ait été conçu d'une mère vierge.
4 Toute forme naturelle a une matière à elle déterminée, hors de laquelle elle ne peut exister. Or, le sang de l'homme et de la femme paraît être la matière de la forme humaine. Si donc le corps du Christ n'a pas été conçu du sang de l'homme et de la femme, il n'a pas été véritablement un corps humain, ce qui répugne ; par conséquent il semble qu'il n'ait pas été conçu d'une vierge mère.
20 Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is 7,14) : Voilà que la Vierge concevra (1).
CONCLUSION. — Il convenait non-seulement à la dignité du Père qui envoie, mais encore à la propriété du Fils qui a été envoyé et à la fin de l'incarnation, que le Christ fût conçu sans que la pureté de sa mère fut altérée.
21 Il faut répondre que l'on doit reconnaître absolument que la mère du Christ a conçu étant vierge. Car le contraire appartient à l'hérésie des ébionites et de Cérintlie qui considéraient le Christ simplement comme un homme, et qui le croyaient le fruit des deux sexes. — En effet, il était convenable que le Christ fut conçu d'une vierge pour quatre raisons : 1° Pour sauvegarder la dignité du Père qui l'envoie. Car le Christ étant le Fils véritable et naturel de Dieu, il n'eût pas été convenable qu'il eût un autre père que Dieu, dans la crainte que la dignité de Dieu le Père ne fut transférée à un autre. 2° C'était une chose convenable à la propriété du Fils lui-même, qui est envoyé, et qui consiste en ce qu'il est le Verbe de Dieu. Or, le Verbe se conçoit sans que la pureté du cœur soit altérée; et même la corruption du cœur ne permet pas de concevoir le Verbe d'une manière parfaite. Par conséquent la chair ayant été prise par le Verbe de Dieu pour être la chair du Verbe de Dieu, il a été convenable qu'elle fût conçue sans porter aucune atteinte à la pureté de sa mère. 3" Ce privilège a été convenable à la dignité de l'humanité du Christ, qui n'a pas dû être atteinte par le péché, puisque c'est par elle qu'était effacé le péché du monde, d'après ces paroles de saint Jean (1, 16) : Voici l'agneau de Dieu, c'est-à-dire l'innocent, qui efface le péché du monde. Or, il ne pouvait se faire qu'une chair qui devait naître sans être souillée du péché originel, fût conçue dans une nature déjà corrompue. D'où saint Augustin dit (Lib. i de nuptiis et concupisc. cap. 12) : Il n’y a que le commerce que les personnes mariées ont ensemble qui ne s'est point rencontré dans le mariage de Marie et de Joseph, parce qu'il ne pouvait avoir lieu dans une chair de péché, sans cette honteuse concupiscence charnelle qui est venue du péché, et celui qui devait être exempt de péché a voulu être conçu sans elle. 4° Il convenait qu'il en fut ainsi à cause de la fin même de l'incarnation qui a eu lieu pour faire renaître les hommes enfants de Dieu, non d'après la volonté de la chair, ni d'après la volonté de l’homme, mais d'après Dieu, c'est-à-dire d'après sa vertu. Or, le modèle de cette régénération a dû se manifester dans la conception même du Christ. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de sanct. virg. cap. 6) : Il fallait que notre chef prît, selon la chair, naissance d'une vierge, pour nous apprendre par cet insigne miracle que ses membres devaient, selon l'esprit, naître d'une autre vierge qui est l'Eglise.
(!) Cette prophétie a eu son retentissement dans tout le monde ancien, car le même prodige se trouve mentionné dans les traditions des raLLins, des Indiens, des Chinois, et l'on trouve quelque chose d'analogue dans les souvenirs mythologiques des poètes grecs et latius.
31 I1 faut répondre au premier argument, que, comme le dit Bède (Sup. Luc. lib. i, cap. 7), le père du Sauveur est appelé Joseph, non parce qu'il l'a été véritablement, comme le prétendent les photiniens, mais parce que pour conserver la réputation de Marie il a été regardé comme tel par tout le monde. Aussi l'évangéliste dit (Lc 3) : Qu'il était, comme on le croyait, fils de Joseph. Ou bien, selon l'observation de saint Augustin (De consensu Evan- gelist. lib. ii, cap. 1) : On dit Joseph père du Christ de la manière qu'on le dit époux de Marie sans l'union charnelle, par le lien seul du mariage, et par conséquent d'une manière beaucoup plus étroite que s'il avait adopté un étranger. On doit néanmoins l'appeler père du Christ, quoiqu'il ne l'ait pas engendré, puisqu'il serait encore avec raison appelé le père d'un enfant qui ne serait pas né de son épouse et qu'il aurait adopté d'ailleurs.
32 Il faut répondre au second, que, comme le remarque saint Jérôme (Sup. Matth, cap. 1), quoique Joseph ne soit pas le père du Sauveur, l'ordre de sa génération est conduit jusqu'à lui : 1° parce que les Ecritures n'ont pas coutume dans les générations de suivre l'ordre des femmes; 2° parce que Joseph et Marie étant de la même tribu, il en résultait qu'il était forcé de l'épouser comme sa parente. Et comme le dit saint Augustin (De nuptiis et concupisc. lib. i, cap. 2), la généalogie a dû être conduite jusqu'à Joseph, pour ne pas faire injure à l'homme dont le sexe est le plus noble, et parce que d'ailleurs la vérité n'avait point à en souffrir, puisque Joseph et Marie étaient tous deux de la race de David.
33 Il faut répondre au troisième, que, comme l'observe la glose (ord. Aug. lib. xxiii Cont. Faust, cap. 7), le mot mulier, femme, n'est pas seulement employé pour signifier une femme mariée, mais encore une vierge.
34 Il faut répondre au quatrième, que ce raisonnement est applicable à ceux qui reçoivent l'être par les voies naturelles, parce que, comme la nature est déterminée à un effet unique, de même elle est déterminée à une seule et même manière de le produire ; au lieu que la vertu divine surnaturelle étant infinie, comme elle n'est pas déterminée à un effet unique, de même elle ne l'est pas pour la manière de produire un effet quel qu'il soit. C'est pourquoi comme la vertu divine a pu faire que le premier homme fût formé du limon de la terre, de même elle a pu faire aussi que le corps du Christ fût formé de la Vierge sans le sperme humain.
35 Il faut répondre au cinquième, que, d'après Aristote (Degener. anim. lib. i, cap. 2,19 et 20), le sperme du mâle ne tient pas lieu de matière dans la conception de l'animal, mais il est comme l'agent; c'est la femelle seule qui fournit la matière dans la conception. Ainsi de ce que le sperme n'a pas existé dans la conception du corps du Christ, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait pas eu la matière convenable. D'ailleurs quand même le sperme serait la matière du fœtus dans les animaux, il est évident qu'il n'est pas une matière qui soit permanente sous la même forme, mais que c'est une matière qui se transforme. Et quoique la puissance naturelle ne puisse changer en une certaine forme qu'une matière déterminée, cependant la vertu divine qui est infinie peut changer toute matière en une forme quelconque. Par conséquent, comme elle a changé le limon de la terre dans le corps d'Adam, de même elle a pu changer dans le corps du Christ la matière fournie par sa mère, quand même cette matière ne serait pas suffisante pour concevoir d'après les lois naturelles.
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1 Il semble que la mère du Christ n'ait pas été vierge dans l'enfantement. Car saint Ambroise dit (Sup. Luc. cap. i) : Celui qui a sanctifié le sein d'une autre femme pour en faire naître un prophète, c'est celui qui a ouvert le sein de sa mère pour en sortir sans tache. Or, cet acte est contraire à la virginité. La mère du Christ n'a donc pas été vierge dans son enfantement.
2 Il n'a dû rien y avoir dans le mystère du Christ qui laissât croire que son corps était fantastique. Or, il ne semble pas convenir à un corps véritable, mais à un corps fantastique, de pouvoir passer par une issue fermée, parce que deux corps ne peuvent simultanément exister ensemble. Le corps du Christ n'a donc pas pu sortir du sein de sa mère sans l'ouvrir, et par conséquent il n'a pas été convenable que sa mère fût vierge dans l'enfantement.
3 Selon l'observation de saint Grégoire (Hom. xxvi in Evang.), le Seigneur, après sa résurrection, en entrant près de ses disciples les portes fermées, a montré par-là que son corps était de même nature, mais qu'il était autre parce qu'il était glorifié; par conséquent il semble appartenir aux corps glorieux de passer ainsi à travers ce qui est fermé. Or, le corps du Christ n'a pas été glorieux dans sa conception, mais passible, ayant pris une chair semblable à notre chair de péché, selon l'expression de saint Paul (Rm 8). Non ergo exivit per Virginis uterum clausum.
20 Mais c'est le contraire. Dans un discours prononcé au concile d'Ephèse, on lit (port, m, cap. 19) : Naturellement après l'enfantement il n'y a plus de vierge, mais la grâce a rendu mère une vierge qui enfante, et elle n'a pas porté atteinte à sa virginité. La mère du Christ a donc été vierge dans son enfantement.
CONCLUSION. — Puisque le Christ est venu dans le monde pour détruire notre corruption, il n'eût pas été convenable qu'il portât atteinte à la virginité de sa mère en naissant.
1 Il semble qu'on doive affirmer sans aucun doute que la mère du Christ a été vierge dans son enfantement; car le prophète ne dit pas seulement : Voilà, que la Vierge concevra, mais il ajoute encore : et qu'elle enfantera un fils (Is 7,14). Et il a été convenable qu'il en fût ainsi pour trois motifs : -1° Parce que cela convenait à ce qui est propre à celui qui naissait et qui consiste en ce qu'il est le Verbe de Dieu. Car le Verbe n'est pas seulement conçu dans le cœur sans corruption, mais il en procède encore sans souillure. Par conséquent pour montrer que ce corps était le corps du Verbe de Dieu, il a été convenable qu'il naquît du sein intact d'une vierge. C'est pourquoi nous lisons dans le discours cité plus haut (loc. cit.) : Celle qui enfante une chair purement humaine perd sa virginité. Mais parce que le Verbe de Dieu est né dans la chair, il conserve la virginité de sa mère, montrant par là qu'il est le Verbe. Car noire Verbe quand il est produit ne souille pas l'esprit; et Dieu le Verbe substantiel, en voulant naître, n'a pas détruit la virginité de celle qui l'a enfanté. 2° Ce fut convenable quant à l'effet de l'incarnation du Christ. Car étant venu pour détruire notre corruption, il n'eût pas été convenable qu'il corrompît la virginité de sa mère en naissant. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (in quod. serm. de nat. Dom. alius auctor) : Il n'était pas convenable que celui qui était venu sauver ce qui était corrompu portât atteinte à la pureté de sa mère par son avènement. 3° Enfin il a été convenable que celui qui avait commandé d'honorer les parents ne diminuât pas l'honneur de sa mère dans sa naissance.
'!) Tous les Pères de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine sont unanimes sur ce point. On peut voir leur témoignage dans le P. Pétau [De incurri. lib. XIV, cap. 6).
31 Il faut répondre au premier argument, que saint Ambroise, expliquant ce passage que l'évangéliste (Luc. ii) emprunte à la loi : Omne masculinum adaperiens vulvam sanctum Domino vocabitur, dit qu'il se conforme à la manière ordinaire de s'exprimer; mais qu'on ne doit pas croire que le Seigneur qui avait sanctifié le sein de sa mère en y entrant, lui ait fait perdre sa virginité lorsqu'il en est sorti. Par conséquent il n'a donc voulu signifier par ces mots adaperiens vulvam que la sortie de l'enfant du sein de la mère.
32 Il faut répondre au second, que le Seigneur a voulu prouver la vérité de son corps tout en laissant éclater sa divinité, et c'est pour cela qu'il a mêlé les humiliations aux prodiges. Ainsi pour montrer que son corps est véritable, il naît d'une femme; mais pour montrer sa divinité il naît d'une vierge. Car cet enfantement, comme le dit saint Ambroise dans l'hymne de la Nativité, est digne d'un Dieu.
33 Il faut répondre au troisième, qu'il y en a qui ont dit que le Christ avait pris dans sa naissance la qualité de la subtilité, comme ils disent que quand il marcha à pied sec sur les eaux, il prit celle de l'agilité. Mais ce sentiment ne s'accorde pas avec ce que nous avons établi plus haut (quest. xiv). Caries qualités du corps glorieux proviennent de ce que la gloire de l'âme rejaillit sur le corps, comme nous le dirons en traitant des corps glorieux (Suppl. quest. xcv). Or, nous avons dit plus haut (quest. xiv, art. 4 ad 2) que le Christ avant sa passion permettait à sa chair de faire et de souffrir ce qui lui est propre ; et que ce rejaillissement de la gloire de l'âme sur le corps n'avait pas lieu. C'est pourquoi il faut dire que toutes ces choses ont été miraculeusement produites par la vertu divine. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Jean, tract, cxxi) : Moli corporis, ubi Divinitas erat, ostia clausa non obstiterunt : ille quippe non eis apertis intrare potuit, quo nascente virginitas matris inviolata permansit. Et saint Denis dit (Epist, m, ad Caïum) que le Christ opérait d'une manière surhumaine ce qui est do l'homme, et que c'est ce que prouvent sa naissance surnaturelle d'une vierge et le miracle qu'il a fait en marchant sur les eaux.
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sance du Christ la sainte Vierge avait eu d'autres enfants do saint Joseph.
(1) Cet article est une réfutation de l'erreur d'Helvidim, de Jovinien et de plusieurs autres hérétiques, qui ont préton du qu'après la nais
1 Il semble que la mère du Christ ne soit pas restée vierge après l'enfantement. Car l'Evangile dit (Matth,1, 48) que Marie fut reconnue enceinte avant qu'elle fût avec Joseph, ayant conçu de l'Esprit-Saint. Or, l'évangéliste ne dirait pas avant qu'ils fussent *ensemble, s'ils n'avaient pas dû y être, parce que personne ne dit de quoiqu'un qui ne doit pas dîner avant qu'il dîne. Il semble donc que la bienheureuse Vierge ait eu des rapports charnels avec saint Joseph, et que par conséquent elle ne soit pas restée vierge après son enfantement.
2 L'ange dit à saint Joseph (ibid. 20) : Ne craignez-pas de recevoir Marie votre épouse. Or, le mariage est consommé par l'union charnelle. Il semble donc qu'il y ait eu une union charnelle entre Marie et Joseph, et par conséquent qu'elle ne soit pas restée vierge après son enfantement.
3 Enfin il est dit plus loin (ibid. 24, 25) que Joseph retint sa femme et qu'il ne la connaissait pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté son Fils premier-né. Or, l'adverbe jusqu'à ce qu’a coutume de désigner un temps déterminé, après lequel ce qui ne s'était pas fait jusqu'à cette époque arrive. Or, le mot connaître indique là l'union conjugale, comme dans cet endroit de la Genèse (4 ,1) où il est dit qu'Adam connut son épouse. Il semble donc qu'après son enfantement, la bienheureuse Vierge ait eu avec saint Joseph une union charnelle, et que par conséquent elle ne soit pas restée vierge.
4 On ne peut appeler le premier-né que celui qui a des frères qui sont venus après lui. Ainsi l’Apôtre dit (Rm 8,29) : Ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères. Or, l'Evangile appelle le Christ le premier-né de sa mère. Elle a donc eu d'autres enfants après le Christ, et par conséquent il semble qu'elle ne soit pas restée vierge après l'enfantement.
5 Saint Jean dit (2, 42) que le Christ alla à Capharnaüm avec sa mère et ses frères. Or, on appelle frères ceux qui sont nés de la même mère. Il semble donc que la bienheureuse Vierge ait eu d'autres enfants après le Christ.
6 On lit dans saint Matthieu (27, 55) : Il y avait là, c'est-à-dire près delà croix du Christ, plusieurs femmes qui regardaient de loin et qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, ayant soin de l’assister ; entre lesquelles étaient Marie-Madeleine, et Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. Or, il semble que cette Marie, qui est appelée en cet endroit la mère de Jacques et de Joseph, était aussi la mère du Christ; puisqu'il est dit (Jn 19,25) que près de la croix de Jésus se tenait Marie, sa mère. Il semble donc que la mère du Christ ne soit pas restée vierge après son enfantement.
20 Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Ez 44,2) : Cette porte demeurera fermée; on ne l'ouvrira point; aucun homme ne passera par elle, parce que c'est par elle que le Seigneur Dieu d'Israël est entré. Saint Augustin expliquant ce passage s'écrie (4) (alius auctor in quodam sermone) : Qu'est-ce que désigne cette porte fermée dans la maison du Seigneur, sinon que Marie sera toujours intacte? Pourquoi est-il dit qu'aucun homme ne passera par elle, sinon parce que Joseph ne doit pas la connaître? Et pourquoi ajouter : le Seigneur seul entre et sort par elle, sinon parce qu'elle devait concevoir de l'Esprit-Saint et qu'elle devait donner naissance au Seigneur des anges? Enfin pourquoi le prophète annonce-t-il qu'elle sera fermée éternellement, sinon parce que Marie est vierge avant l'enfantement, qu'elle l'est pendant et qu'elle l'est après.
(i) A la veriti, ce passage n'est pas de saint Augustin, mais telle a été néanmoins l'opinion de ce grand docteur. Gotti, lui, en substitue un de saint Jérôme, qui a tout particulièrement réfuté llolviditis, et que saint Thomas a tout particulièrement suivi dans cet article.
CONCLUSION. — Pour ne pas déroger à la perfection du Christ ou à la sainteté de sa mère, ou pour ne pas faire injure à l'Esprit-Saint et ne pas imputer à saint Joseph la plus grande présomption, comme il faut reconnaître que la mère de Dieu a conçu et enfanté étant vierge, de même on doit aussi proclamer qu'elle est toujours restée vierge après son enfantement.
21 Il faut répondre que l'on doit avoir certainement en horreur l'hérésie d'Helvidius qui a eu la présomption de dire que la mère du Christ avait eu, après l'enfantement du Sauveur, des relations charnelles avec saint Joseph, et qu'elle avait eu d'autres enfants. Car 1° cette erreur déroge à la perfection du Christ qui, comme il est le Fils unique du Père, selon sa nature divine, en tant qu'il est en tout son Fils parfait ; de même il a été convenable qu'il fût le Fils unique de sa mère, selon qu'il a été son fruit le plus parfait. 2" Cette erreur fait injure à l'Esprit-Saint qui a eu pour sanctuaire le sein de la Vierge, dans lequel il a formé le corps du Christ. Par conséquent il ne convenait pas que ce sanctuaire fût ensuite violé par une union charnelle. 3° Elle déroge à la dignité et à la sainteté de la mère de Dieu, qui paraîtrait très-ingrate, si elle ne s'était pas contentée d'un pareil fds et si elle avait voulu perdre de son plein gré, par une relation charnelle, la virginité qui lui avait été conservée par miracle. 4° Ce serait imputer à saint Joseph la plus grande présomption que de croire qu'il ait attenté à la pureté de celle que, d'après la révélation de l'ange, il savait avoir conçu un Dieu de l'Esprit-Saint. C'est pourquoi on doit affirmer absolument que la mère de Dieu a conçu comme vierge, qu'elle a enfanté comme vierge, et qu'elle est ainsi restée vierge à jamais après son enfantement.
31 Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Jérôme (Lib. cont. IJelvidium, cap. i ), il faut comprendre que cette proposition auparavant, quoiqu'elle indique souvent une suite, exprime néanmoins quelquefois uniquement ce que l'on pensait tout d'abord. Mais il n'est pas nécessaire que les choses que l'on pense arrivent, puisqu'il survient quelquefois des causes qui empêchent ce que l'on a pensé d'avoir lieu. Ainsi quand quelqu'un dit: avant de dîner dans le port, j'ai navigué; on n'entend pas qu'il a dîné après la navigation faite, mais cela indique qu'il pensait dîner dans le port. De même l'évangéliste dit : Avant qu'ils fussent ensemble, elle fut trouvée enceinte, ayant conçu de l'Esprit-Saint, non parce qu’ils se sont unis ensuite, mais parce que, quand ils paraissaient sur le point de s'unir, la conception par l'Esprit-Saint les a prévenus, et il est arrivé de là qu'ils n'ont plus eu de rapports charnels.
32 Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (De nupt. et concept, lib. i, cap. Il), saint Joseph appelait la mère de Dieu sa femme en vertu de la seule foi du mariage qu'ils s'étaient donnée, quoiqu'il ne l'ait pas connue et qu'il n'ait pas dû la connaître. Or, comme l'observe saint Ambroise (Sup. Luc. cap. 1, super illud : Et nomen Virginis Maria) : La célébration des noces ne prouve pas la perte de la virginité, mais elle atteste le mariage (1).
32 Il faut répondre au troisième, que quelques-uns ont dit que le mot connaître devrait s'entendre de la connaissance intellectuelle. Car saint Chrysostome dit [alius auctor, hom. i inopusc. imper f.) que Joseph ne sut pas avant son enfantement quelle était la dignité de Marie; mais il le sut après, parce que par son fils elle était devenue plus grande et plus noble que le monde entier, puisque seule elle a reçu dans son sein celui que le monde entier
(f) Pour qu'il y est mariage, il suffit qu'il y ail eu consentement de la part des époux; la eon- soinmaiiou charnelle n'est pas de l'essence do cetto union.
ne pouvait contenir. D'autres rapportent cette expression à la connaissance de la vue. Car, comme la face de Moïse qui s'entretenait avec Dieu a cté glorifiée de manière que les enfants d'Israël ne pouvaient porter sur lui les yeux; ainsi Marie couverte de la splendeur de la vertu du Très-Haut ne pouvait être vue par saint Joseph jusqu'à son enfantement. Ce n’est qu'après qu'il l'a reconnue à la vue de son visage, mais non en s'approchant d'elle passionnément. Saint Jérôme accorde (Lib. advers. Helvid. cap. 3) que le mot connaître s'entend de l'union charnelle. Toutefois il observe que le mot jusqu'à ce que a dans l'Ecriture un double sens. En effet quelquefois il désigne un temps certain. Ainsi saint Paul dit (Ep 3,19) : La loi a été établie à cause des prévarications jusqu'à l'avènement de celui que la promesse regardait. D'autres fois il désigne un temps indéfini. Ainsi le Psalmiste dit (Ps 122,2) : Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous; ce qui ne signifie pas qu'après avoir obtenu miséricorde nos yeux se détourneront de lui. D'après cette manière de parler l'évangéliste exprime les choses qui auraient pu être douteuses, si elles n'avaient pas été écrites; tandis qu'il abandonne le reste à notre intelligence. Ainsi il dit que la mère de Dieu n'a pas été connue par un homme jusqu'à son enfantement, pour que nous comprenions beaucoup mieux qu'elle ne l'a pas été après.
34 Il faut répondre au quatrième, que les saintes Ecritures ont la coutume de donner le nom de premier-né non-seulement à celui qui a des frères, mais à celui qui est né le premier; autrement s'il n'y avait eu de premier- né que celui qui a des frères, les premiers-nés n'auraient été dus légalement qu'autant que d'autres seraient nés après eux; ce qui est évidemment faux puisqu'après un mois la loi ordonnait de les racheter (Nb 18,16).
35 Il faut répondre au cinquième, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth, cap. 12, super illud : Ecce mater ejus), il y en a qui croient que les frères du Seigneur sont des enfants que saint Joseph avait eus d'une autre femme (1). Mais pour nous, dit-il, nous croyons que les frères du Seigneur furent non les fils de Joseph, mais les cousins du Sauveur et les enfants de Marie sa tante. Car dans les Ecritures on est appelé frères de quatre manières : par nature, par nation, par parenté et par affection. Ainsi ils ont été appelés les frères du Seigneur, non par nature, comme s'ils étaient nés de la même mère, mais par parenté, comme étant du même sang. Quant à saint Joseph, comme le dit saint Jérôme (Cont. Helvid. cap. 9), on doit plutôt croire qu'il est resté vierge, parce qu'on ne voit pas qu'il ait eu une autre épouse et qu'un saint ne tombe pas dans la fornication.
36 Il faut répondre au sixième, que Marie qu'on appelle la mère de Jacques et de Joseph n'est pas la mère du Seigneur que l'on ne nomme ordinairement dans l'Evangile qu'avec le surnom de sa dignité, en l'appelant la mère de Jésus. Cette Marie est l'épouse d'Alphée (2), la mère de saint Jacques le mineur, qui est appelé le frère du Seigneur.
III Pars (Drioux 1852) 545