III Pars (Drioux 1852) 1022

ARTICLE II. — le christ a-t-il été enseveli de la manière convenable?

1022
1 Il semble que le Christ n'ait pas été enseveli d'une manière convenable. Car sa sépulture répond à sa mort. Or, le Christ a souffert la mort la plus abjecte, d'après ces paroles (
Sg 2,20) : Condamnons-le à la mort la plus honteuse. Il  ne paraît donc pas convenable qu'on lui ait accordé une sépulture honorable, par exemple qu'il ait été enseveli par de grands personnages, tels que Joseph (d’Arimathie, qui était un noble décurion, comme on le voit (Mt 15), et tel que Nicodème, qui était prince des Juifs, d'après saint Jean (Jn 3).

2 On n'a rien dû faire à l'égard du Christ qui pût être un exemple de dépense inutile et superflue. Or, il semble que ce fut une dépense superflue que fit Nicodème, lorsqu'il vint avec cent livres d'une composition de myrrhe et d'aloès, pour ensevelir le Christ (Jean,19), d'autant plus qu'auparavant une femme était venue par avance embaumer son corps, pour lui rendre les devoirs de la sépulture (Mc 14,8). Ce qui a été fait à l'égard du Christ n'a donc pas été convenable.

3 Il n'est pas convenable qu'une chose que l'on fait soit en désaccord avec elle-même. Or, la sépulture du Christ a été simple sous un rapport; car il est dit (Mt 27,59) que Joseph enveloppa son corps dans un linceul bien propre; mais, selon l'observation de saint Jérôme (ibid.), il ne le couvrit pas d'or, de pierreries ou de soie. Sous un autre rapport, il paraît cependant qu'elle a été recherchée, puisqu'on l'ensevelit avec des aromates. Il semble donc que ce mode de sépulture du Christ n'ait pas été convenable.

ui Allusion à la coutume des grecs, qui baptisent par immersion, tenant le cathécamène le visage tourné vers l'Orient. On Laptisait aussi le plus souvent par immersion du temps de saint Thomas (Voyez plus loin, quest. LXI, art. 7).

4 Tout ce qui a été écrit, surtout à l'égard du Christ, a été écrit pour notre enseignement, d'après saint Paul (Rm 15,4). Or, on lit dans les Evangiles, à l'égard du tombeau du Christ, des choses qui paraissent ne se rapporter en rien à notre instruction. Ainsi il est dit qu'il fut enseveli dans un jardin, dans un tombeau étranger, nouveau et taillé dans le roc. Ce mode de sépulture ne paraît donc pas convenable.

20 Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is 11, IO) : Son tombeau sera glorieux.



CONCLUSION. — D'après le récit évangélique, le Christ a été enseveli dans l'ordre et de la manière qui convenaient.

21 Il faut répondre que le mode de la sépulture du Christ a été convenable sous trois rapports : 1° Pour confirmer la foi dans sa mort et sa résurrection. 2° Pour rendre recommandable la piété de ceux qui l'ont enseveli. D'où saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. i, cap. 13) : On parle avec éloge de ceux qui ont reçu avec empressement son corps, après qu'il a été détaché de la croix, et qui ont eu soin de le couvrir et de l'ensevelir avec honneur. 3° Pour représenter le mystère de ce qui se passe en ceux qui meurent au monde pour s'ensevelir avec le Christ.

31
Il faut répondre au premier argument, qu'à l'égard de la mort du Christ on loue d'autant plus la patience et la constance de celui qui l'a soufferte, qu'elle a été plus humiliante ; mais sa sépulture honorable montre la vertu qu'il avait après sa mort, puisque, contre l'intention de ses persécuteurs, il a été enseveli avec honneur, après qu'il eut rendu le dernier soupir, et elle figure à l'avance la dévotion des fidèles, qui devait le servir après sa mort.

32
II faut répondre au second, qu'à l'égard de ce que rapporte l'évangéliste, ils l'ensevelirent selon la coutume des Juifs, pour nous apprendre, d'après saint Augustin (Tract, cxx sup. Jud ), que pour les devoirs qu'on rend aux morts, on doit observer les usages de chaque nation. Or, c'était la coutume des Juifs d'ensevelir les corps des morts avec des aromates, pour qu'ils se conservassent intacts plus longtemps. C'est ce qui fait dire au même Père (De doct. christ. lib. iii, cap. 12) que dans toutes ces choses, ce n'est pas l'usage qu'on en fait, mais la passion avec laquelle on en use, qui est un mal, et que, d'ailleurs, ce qui est ordinairement une faute dans les autres est le signe de quelque grand mystère, quand il s'agit de Dieu ou d'un personnage prophétique. Car la myrrhe et l'aloès, à cause de leur amertume, désignent la pénitence par laquelle on conserve le Christ en soi sans la corruption du péché; et l'odeur des aromates signifie-la bonne renommée.

33
Il faut répondre au troisième, que la myrrhe et l'aloès ont été employés à la sépulture du corps du Christ pour le mettre à l'abri de la corruption, ce qui paraissait être nécessaire d'une certaine manière; ce qui nous apprend que nous pouvons licitement user, à titre de remèdes, de certaines choses précieuses, si la conservation de notre santé l'exige. On a enveloppé son corps, uniquement pour sauvegarder la décence, et dans ce cas nous devons nous contenter de ce qu'il y a de plus simple. D'ailleurs ce linceul signifiait, d'après saint Jérôme (in hunc loc.), que celui qui reçoit Jésus dans une âme sans tache l'enveloppe ainsi. Delà, comme le dit Bède (Sup. Mare. cap. 44), est venue dans l'Eglise la coutume de célébrer le sacrifice de l'autel, non sur la soie ni sur une étoffe teinte, mais sur le lin le plus pur, comme le corps du Seigneur a été enseveli dans un linceul très-propre.

44
Il faut répondre au quatrième, que le Christ a été enseveli dans un jardin, pour signifier que nous sommes délivrés par sa mort et sa sépulture de la mort que nous avions encourue par le péché d'Adam, qui a été commis dans le jardin du paradis terrestre. Le Sauveur est mis dans un sépulcre étranger, comme le dit saint Augustin (in quod. serm. De sépale. Dom.), parce qu'il mourait pour le salut des autres, et que le sépulcre est la demeure de la mort. Nous pouvons aussi voir en cela l'extrémité de la pauvreté qu'il a prise pour nous. Car celui qui n'a pas eu une demeure pendant sa vie a été déposé après sa mort dans le sépulcre d'un autre, et il a été couvert par Joseph, qui l'avait trouvé nu. On le met dans un sépulcre neuf, de peur, comme le dit saint Jérôme (in hunc loc. Matth. ), qu'après sa résurrection, d'autres corps restant dans le tombeau, on ne se figure qu'un autre est ressuscité. Ce sépulcre nouveau peut aussi ôtre la figure du sein virginal de Marie. On donne encore par là à entendre que la sépulture du Christ nous a tous renouvelés, en détruisant la mort et la corruption. Il a été mis dans un tombeau creusé dans le roc (4 ), parce que, selon la pensée de saint Jérôme (Sup. illud Matth, xxvii : Jube ergo custodiri, etc.), s'il eût été construit avec plusieurs pierres, on aurait pu dire qu'on a creusé sous les fondements, et qu'on l'a enlevé par fraude. La grande pierre qu'on avait mise à l'entrée montre que son tombeau ne pouvait être ouvert sans le secours de plusieurs personnes. S'il eût été enseveli dans la terre, on aurait pu dire, selon la remarque de saint Augustin, qu'on avait creusé la terre, et qu'on l'avait volé. — Dans un sens mystique, cela signifie, d'après saint Hilaire (can. ult. in ), que l'enseignement des apôtres devait faire entrer le Christ dans le coeur de la gentilité, après l'avoir façonné en quelque sorte par l'action de la doctrine, comme une terre nouvelle et inculte, et qui, jusqu'à ce moment, n'avait été accessible d'aucune manière à la crainte de Dieu. Et parce qu'il ne faut rien laisser pénétrer autre chose que lui-même dans notre coeur, on roule une pierre à l'entrée. Et, selon la remarque d'Origène (Tract, xxxv in ), ce n'est pas en vain qu'il a été écrit que Joseph enveloppa le corps du Christ d'un linceul très-propre, qu'il le mit dans un sépulcre nouveau, et qu'il en ferma l'entrée; parce que toutes les choses qui se rapportent au corps du Christ sont pures, nouvelles et très-grandes (2).



ARTICLE iii. — le corps du christ s'est-il corrompu dans le tombeau?

1023
1 Il semble que le corps du Christ se soit corrompu dans le tombeau. Car, comme la mort est la peine du péché de nos premiers parents, de même aussi la corruption ; puisqu'il a été dit au premier homme après son péché : Fous êtes poussière et vous retournerez en poussière (
Gn 3,49). Or, le Christ a supporté la mort pour nous en délivrer. Son corps a donc dû aussi se corrompre pour nous délivrer de la corruption.

2 Le corps du Christ a été de la même nature que les nôtres. Or, nos corps commencent à se dissoudre immédiatement après la mort, et ils se disposent à se corrompre ; parce que la chaleur naturelle s'exhalant, il survient une chaleur extérieure qui produit la putréfaction. Il semble donc qu'il en soit arrivé de même pour le corps du Christ.

(2) Dans toute cette question, saint Thomas s'attache au sens spirituel ou métaphorique, parce que le sens littéral est clair et n'a pas besoin d'explication.

(•)) Cajétan ajoute qu'en choisissant ainsi un sépulcre immobile, c'était le moyen de perpétuer le témoignage de la mort du Christ sur la terre, et aussi sa vertu, puisque ce sépulere reste glorieux, malgré les ennemis de la foi, qui l'ont entre les maius*

Comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.), le Christ a voulu être enseveli pour donner aux hommes l'espérance de ressusciter de leurs tombeaux. Il a donc dû aussi laisser son corps s'en aller en poussière, pour donner à ceux qui sont clans cet état l'espoir de ressusciter après avoir été ainsi pulvérisés.

20
Mais c'est le contraire. Le Psalmiste dit (Ps 15,10) : vous ne permettrez pas que votre saint corps éprouve la corruption, ce que saint Jean Damascène entend (Orth. fid. lib. iii, cap. 18) de la corruption qui résulte de la dissolution des éléments.



CONCLUSION. — De peur que la mort du Christ ne fût attribuée à l'infirmité de sa nature, il a été nécessaire que son corps fût conservé intact et incorruptible dans son tombeau par fa vertu de la divinité qui ne l'a jamais abandonné.

21 Il faut répondre qu'il n'a pas été convenable que le corps du Christ tombât en putréfaction ou qu'il se corrompit de toute autre manière; parce que la putréfaction d'un corps provient de l'infirmité de sa nature, qui ne peut plus le conserver dans son unité. Or, la mort du Christ, ainsi que nous l'avons dit (quest. préc. art. 1 ad 2), n'a pas dû résulter de l'infirmité de la nature, dans la crainte qu'on ne crût qu'elle n'était pas volontaire; c'est pourquoi il a voulu mourir, non par suite d'une maladie, mais par suite de la passion à laquelle il s'est offert de lui-même. C'est aussi pour ce motif que, dans la crainte que sa mort ne fût attribuée à l'infirmité de sa nature, il n'a pas voulu que son corps se putréfiât ou tombât en dissolution de quelque manière; mais qu'il a voulu, au contraire, qu'il restât incorruptible pour montrer sa vertu divine. D'où saint Chrysostome dit (in demonst. Quod Deus sit3 cont. Gent.) : que tant que les hommes vivent, les belles actions qu'ils font ont de l'éclat; mais une fois qu'ils ne sont plus, elles périssent avec eux. Mais dans le Christ c'est tout le contraire ; car avant sa mort sur la croix, en lui tout est triste et faible, mais dès qu'il a été crucifié toutes ses actions deviennent plus brillantes, pour nous apprendre que ce n'est pas un simple mortel qui a été crucifié.

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ n'étant pas soumis au péché, n'était assujetti ni à la mort, ni à la dissolution ; cependant il a supporté la mort volontairement à cause de notre salut, pour les raisons que nous avons données (quest. préc. art. 1). Mais si son corps s'en était allé en putréfaction ou en poussière, cet acte aurait plutôt tourné au détriment du salut de l'homme, puisqu'on aurait cru que la vertu divine n'était pas en lui. C'est pourquoi le Psalmiste fait dire au Christ (Ps 29,10): De quelle utilité sera mon sang si je descends dans la corruption? Comme s'il eût dit : Si mon corps s'en allait en putréfaction, tout le profit du sang que j'ai répandu serait perdu (gloss. or d. Augusti in istum ).

32 Il faut répondre au second, que le corps du Christ a été susceptible de se corrompre, si on considère la condition de sa nature, quoiqu'il n'ait pas mérité d'être corrompu, puisqu'il a été sans péché; mais la vertu divine l'a préservé de la corruption, comme elle l'a ressuscité de la mort.

33
Il faut répondre au troisième, que le Christ est ressuscité de son tombeau par la vertu divine, qui n'est limitée d'aucune manière. C'est pourquoi, par là même qu'il est ressuscité de son tombeau, il a suffisamment prouvé que les hommes devaient être ressuscités par la vertu divine, non-seule- ment de leurs tombeaux, mais encore de leurs cendres, quelles qu'elles fussent.



ARTICLE iv. — le christ n'a-t-il été dans le tombeau qu'un jour et deux nuits (1)?

1024
1 Il semble que le Christ n'ait pas été dans le tombeau seulement un jour et deux nuits. Car il dit lui-même (
Mt 12,40) : Comme Jonas a été 12) : Erit Filius hominis in corde dans le ventre de ta baleine trois jours et trois nuits, de même le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. Or, il a été dans le sein de la terre pendant qu'il était dans le tombeau. Il n'a donc pas été dans le tombeau qu'un jour et deux nuits.

(t) Les arméniens ont prétendu que le Christ était ressuscité le jour du sabbat ; ce qui est contraire à la croyance de l'Eglise, qui, dans tous ses symboles, dit qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément à ces paroles de l'Evangile iJIatth.

Saint Grégoire dit (Hom. pasch. xxi in ) que comme Samson enleva les portes de Gaza au milieu de la nuit, de même le Christ est ressuscité enlevant au milieu de la nuit les portes de l'enfer. Or, après sa résurrection il n'a pas été dans le tombeau. Il n'y a donc pas passé deux nuits entières.

2 Par la mort du Christ, la lumière l'a emporté sur les ténèbres. Or, la nuit appartient aux ténèbres et le jour à la lumière. Il  eût donc été convenable que le corps du Christ eût passé deux jours et une nuit dans le tombeau plutôt que le contraire.

20
Mais c'est le contraire. Comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. iv, cap. 6 ) : Depuis le soir de la sépulture jusqu'au matin de la résurrection il s'est passé trente-six heures, c'est-à-dire une nuit entière avec un jour et une nuit complets.



CONCLUSION. — Puisque par la seule mort du Christ qu'il a subie, non pour ses péchés, mais par charité, nous avons été délivrés de la double mort de l'âme et du corps, il a été convenable qu'il ne restât dans le tombeau qu'un jour et deux nuits.

21
Il faut répondre que le temps que le Christ a passé dans le tombeau représente l'effet de sa mort. Ainsi nous avons dit (quest. préc. art. 6) que nous avons été délivrés par la mort du Christ d'une double mort, de la mort de l'âme et de la mort du corps : ce qui est représenté par les deux nuits que le Christ a passées dans le tombeau. Comme sa mort n'est pas provenue du péché, mais de la charité, elle n'a pas eu la nature de la nuit, mais du jour. C'est pour cela qu'elle est signifiée par le jour complet qu'il est resté dans le sépulcre. Par conséquent il a été convenable qu'il restât dans Je tombeau un jour et deux nuits.

31
Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin (De consens. Evang. lib. iii, cap. 2-4), il y a eu des auteurs qui, ne connaissant pas la manière ordinaire de s'exprimer des saintes Ecritures, ont voulu compter pour une nuit les trois heures qui se sont écoulées de sexte à none, pendant que le soleil a été obscurci, et appeler jour les trois autres heures pendant lesquelles il a été de nouveau rendu à la terre, c'est-à-dire depuis none jusqu'à son coucher. Vient ensuite la nuit du sabbat qui comptée avec son jour donne deux nuits et deux jours. Et après le sabbat est venu la nuit du premier sabbat, c'est-à-dire du jour éclatant dans lequel le Seigneur est alors ressuscité. Dans ce système on ne parvient pas encore à rendre compte de trois jours et de trois nuits. Il  nous reste donc à le faire en revenant à la manière ordinaire de s'exprimer des saintes Ecritures, d'après laquelle on emploie la partie pour le tout ; de telle sorte que nous prenons un jour et une nuit pour un seul jour naturel (quod seq. hab. De Trin. lib. iv, cap. 6). Ainsi le premier jour se compte d'après la dernière partie du vendredi qui est le jour où le Christ est mort et a été enseveli ; le second jour est complet et renferme vingt-quatre heures tant pour le jour que pour la nuit; mais la nuit suivante appartient au troisième jour (d). Car, comme les premiers jours de la création sont allés à cause de la chute future de l'homme de la lumière à la nuit, de même ceux-ci à cause de sa régénération vont des ténèbres à la lumière.

terroe tribus diebus et tribus noctibus, et à celles du prophète (
Os 9) : Vivificabit nos post duos dies, et in die tertid suscitabit vos. (I) Daus l'Ecriture, ces erpressious : Post tres dies, post triduum, signifient le troisième jour; post dies octo, le huitième jour (Jn 20,26); post septem annos, la septième année (Deut. xxsi, IO).

32 Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. iv, cap. 6), le Christ est ressuscité le matin au moment où la lumière commence à paraître et où il reste encore quelque chose des ténèbres de la nuit. C'est pourquoi il est dit des femmes (Jn 20, i) que quand il faisait encore obscur, elles vinrent au tombeau. C'est à cause de ces ténèbres que saint Grégoire dit (Hom. xxi in Evang.) que le Christ est ressuscité au milieu de la nuit, ne divisant pas la nuit en deux parties égales, mais supposant plutôt que la nuit était déjà passée. Car on peut dire que le crépuscule appartient au jour et qu'il appartient à la nuit à cause du rapport qu'il a avec l'un et l'autre.

33 Il faut répondre au troisième, que dans la mort du Christ la lumière qui est signifiée par un seul jour a tellement prévalu qu'elle a écarté les ténèbres des deux nuits, c'est-à-dire de notre double mort, comme nous l'avons dit (in corp. art.).





QUESTION 52.DE LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS.

1040
Il faut considérer la descente du Christ aux enfers ; et à cet égard huit questions se présentent : 1° A-t-il été convenable que le Christ descendit aux enfers? — 2° Dans quel enfer est-if descendu ? — 3" A-t-il été tout entier dans l'enfer ? — 4° Y est-il resté quelque temps? — 5" A-t-il délivré de l'enfer tes saints patriarches? — 6U En a-t-il délivré les damnés? — 7° A-t-il délivré les enfants morts avec le péché originel? — 8° A-t-il délivré les âmes du purgatoire?



ARTICLE i. — a-t-il été convenable que le christ descendit aux enfers?

1041

1 Il semble qu'il n'ait pas été convenable que le Christ descendît aux enfers. Car saint Augustin dit (Epist, clxiv) : Je n'ai pas encore pu trouver le mot d'enfer pris en bonne part dans l'Ecriture. Or, l'âme du Christ n'est pas descendue dans un lieu mauvais, parce <<yie les âmes des justes n'y descendent pas non plus. Il semble donc qu'il n'ait pas été convenable que le Christ descendit aux enfers.

2
Il ne peut pas convenir au Christ de descendre aux enfers d'après sa nature divine qui est absolument immuable, mais cela ne peut lui convenir que d'après la nature qu'il a prise. Or, les choses que le Christ a faites ou qu'il a souffertes dans la nature qu'il a prise se rapportent au salut de l'homme auquel il ne paraît pas nécessaire que le Christ soit descendu aux enfers; parce que c'est par sa passion qu'il a supportée en ce monde qu'il nous a délivrés du péché et de la peine, comme nous l'avons vu (art. 6). Il n'a donc pas été convenable que le Christ descendît aux enfers.

3
Par la mort du Christ l'âme a été séparée de son corps qui a été mis dans le sépulcre, ainsi que nous l'avons dit (quest. préc.). Or, il ne semble pas qu'il soit descendu aux enfers uniquement selon son âme; parce que l'âme étant incorporelle, il ne semble pas qu'elle puisse être mue localement. Car c'est aux corps, comme le prouve Aristote (Phys. lib. vi, text. 32), qu'il appartient de descendre. Il  n'a donc pas été convenable que le Christ descendit aux enfers.

20
Mais c'est le contraire. Il est dit dans le Symbole : qu'il est descendu aux enfers, et l'Apôtre s'écrie (Ep 1,9) : Pourquoi est-il dit qu'il est monté? Sinon parce qu'il était descendu auparavant dans les parties les plus basses de la terre, c'est-à-dire, d'après la glose (interi.), aux enfers (I).

(J) Par les enfers, on indique ici les limbes, connue on le voit par l'ARTICLE suivant.


CONCLUSION. — Il a été convenable que le Christ descendit aux enfers pour nous en délivrer, comme il a fallu qu'il souffrit la mort pour nous y arracher.

21 Il faut répondre qu'il a été convenable que le Christ descendit aux enfers : 1° parce qu'il était venu supporter notre peine pour nous en délivrer, d'après ces paroles du prophète (Is. liii, 4) : Il s'est véritablement chargé de nos maladies et il a porté nos douleurs. Or, par le péché l'homme avait encouru non-seulement la mort du corps, mais encore la descente aux enfers. C'est pourquoi comme il a été convenable qu'il mourût pour nous délivrer de la mort, de même il a été convenable qu'il descendît aux enfers pour nous en délivrer. D'où le prophète dit (Os 13,14) : O mort, je serai ta mort; ô enfer, je serai la ruine. 2° Parce qu'il était convenable qu'après avoir vaincu le diable par sa passion, il affranchit de ses chaînes ceux qu'il tenait captifs dans l'enfer, d'après ces paroles de Zacharie (Za 9,41): Par le sang de votre alliance vous avez fait sortir du lac vos captifs. Et saint Paul dit (Col 2,15) : Ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a exposées en spectade avec triomphe. 3° Afin que, comme il a montré sa puissance sur la terre par sa vie et sa mort, de même il montrât aussi sa puissance dans l'enfer en le visitant et en l'éclairant. D'où le Psalmiste dit (Ps 23,7) : Princes, enlevez vos portes, c'est-à-dire, d'après la glose (ord.Aug.) : princes de l'enfer, quittez votre puissance par laquelle vous avez retenu jusqu'aujourd'hui les hommes dans l'enfer-, et par conséquent qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, non-seulement dans le ciel, mais encore dans l'enfer, selon l'expression de saint Paul (Ph 2).

31 Il faut répondre au premier argument, que le mot d'enfer signifie le mal de la peine, et non le mal de la faute. Par conséquent il a été convenable que le Christ descendit dans l'enfer, non comme s'il eût été passible de la peine, mais pour délivrer ceux qui y étaient soumis.

32
Il faut répondre au second, que la passion du Christ a été la cause universelle du salut du genre humain ; elle a atteint les vivants aussi bien que les morts. Or, une eaus universelle est appliquée à des effets particuliers par un moyen spécial. Par conséquent comme la vertu de la passion du Christ est appliquée aux vivants par les sacrements qui nous rendent semblables à elle, de même elle a été appliquée aux morts par la descente du Christ aux enfers. C'est pour cela que Zacharie dit (Za 9), qu'i/ a tiré les captifs du lac par le sang de son alliance, c'est-à-dire par la vertu de sa passion (1).

33 Il faut répondre au troisième, que l'âme du Christ est descendue aux enfers non par un genre de mouvement analogue à celui des corps, mais elle y est descendue comme les anges se meuvent, ainsi que nous l'avons dit (part. I, quest. liii).



ARTICLE ii. — le christ est-il descendu dans l'enfer des damnés?

1042
1 Il semble que le Christ soit descendu aussi dans l'enfer des damnés. Car la divine sagesse dit (
Si 24,45) : Je pénétrerai toutes les parties inférieures delà terre. Or, parmi les parties inférieures de la terre on compte l'enfer des damnés, puisqu'il est dit (Ps 62,40) : Qu'ils entreront clans les parties inférieures de la terre. Le Christ qui est la sagesse de Dieu est donc descendu aussi jusqu'à l'enfer des damnés.

2 Saint Pierre dit (Ac 2,24) : Dieu a ressuscité le Christ en le faisant sortir libre des douleurs des enfers, comme en effet il n'était pas j)ossible

(I) C'est aussi ce que 1 Eglise exprimo dans l'hymne de l'Ascension : Inferni claustra, penetrans, tuos captivos redimens, victor triumpho nobili, ad dexteram Patris residens

qu'il y fût retenu. Or, il n'y a pas de douleurs dans l'enfer des patriarches, ni dans celui des enfants* qui ne sont pas punis de la peine du sens poulie péché actuel, mais seulement de la peine du sens à cause du péché originel. Le Christ est donc descendu dans l'enfer des damnés, ou bien encore dans le purgatoire où les hommes sont punis de la peine du sens pour leurs péchés actuels.

3 Saint Pierre dit (1. Pit. 3, 19) : que le Christ alla prêcher aux esprits qui étaient retenus en prison et qui avaient été incrédules autrefois : ce qui s'entend, comme le dit saint Athanase (Epist, ad Epict.), de la descente du Christ aux enfers. Car il dit que le corps du Christ a été mis dans le tombeau, quand il est allé prêcher aux esprits qui étaient captifs, selon l'expression du même apôtre. Or, il est évident que les incrédules se trouvaient dans l'enfer des damnés. Le Christ est donc descendu dans cet enfer.

4
Saint Augustin dit (Epist, clxiv) : Si l'Ecriture avait dit simplement que le Christ était allé dans le sein d'Abraham, et qu'elle n'eût fait mention ni de l'enfer, ni de ses douleurs, j'ai peine à croire que personne eût jamais osé dire qu'il était descendu aux enfers. Mais parce qu'il y a des passages évidents qui parlent de l'enfer et de ses douleurs, 0Il ne voit pas pourquoi le Sauveur y serait descendu, si ce n'avait été pour délivrer quelqu'un de ces mêmes douleurs. Or, le lieu des douleurs est l'enfer des damnés. Le Christ y est donc descendu.

5
Comme le dit le même docteur (in quod. serm. de Resurrect. cap. 11) : Le Christ en descendant dans l'enfer a délivré tous les justes qui étaient tenus dans les liens du péché originel. Or, parmi ces justes se trouvait aussi Job qui dit de lui-même (Jb 17,10) : Tout ce qui est à moi descendra dans V enfer le plus profond. Le Christ est donc descendu aussi jusqu'à l'enfer le plus profond.

20 Mais c'est le contraire. Il est dit de l'enfer des damnés (Job,10, 21): Avant que faille en cette terre d'où je ne reviendrai point, dans cette terre de ténèbres couverte de l'obscurité de la mort, yù n'habite aucun ordre, mais une perpétuelle horreur. Or, il n'y a rien de commun entre la lumière et les ténèbres, comme on le voit (2Co 6). Par conséquent le Christ qui est la lumière n'est pas descendu dans cet enfer des damnés.


CONCLUSION. — Le Christ est descendu par sa puissance dans tous les enfers ; mais par sa présence substantielle il n'est descendu que dans celui où séjournaient les justes.

21 Il faut répondre qu'on dit qu'une chose est quelque part de deux manières : 1° Par ses effets : le Christ est descendu de la sorte dans tous les enfers, mais d'une manière différente. Car sa descente dans l'enfer des damnés a eu pour effet de les convaincre de leur incrédulité et de leur malice-, elle a au contraire donné à ceux qui étaient dans le purgatoire l'espérance d'arriver à la gloire ; et elle a répandu la lumière de la gloire éternelle sur les saints patriarches qui n'étaient retenus dans l'enfer que par le péché originel. 2° On dit qu'une chose est partout par son essence. De cette manière l'âme du Christ n'est descendue que dans le lieu où se trouvaient les justes, pour que ceux qu'il visitait intérieurement par sa grâce selon sa divinité, il les visitât aussi localement par son âme. C'est ainsi que tout en n'existant que dans une seule partie de l'enfer il a néanmoins étendu son action d'une certaine manière sur toutes les autres parties, comme en souffrant dans un seul endroit de la terre il a délivré le monde entier par sa passion.

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ qui est la sagesse de

Dieu a pénétré toutes les parties inférieures, non pas en les parcourant toutes localement par son âme (1), mais en étendant à toutes d'une certaine manière l'effet de sa puissance; de telle sorte cependant qu'il n'a éclairé que les justes. Aussi la Sagesse ajoute : Et f éclairerai tous ceux qui espèrent dans le Seigneur.

32
Il faut répondre au second, qu'il y a deux sortes de douleur; l'une résulte de la peine que les hommes souffrent pour leur péché actuel, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 17,6) : Les douleurs de l'enfer m'ont environné; l'autre provient de ce que la gloire qu'on espère se trouve différée, d'après ces paroles du Sage (Pr 13,12) : L'espérance qui est différée afflige V âme. Les saints patriarches souffraient cette dernière douleur dans l'enfer. C'est pour ce motif que saint Augustin dit (Serm. de resurrect.) : qu'ils adressaient au Christ des prières pleines de larmes. En descendant aux enfers, le Christ a fait cesser ces deux sortes de douleurs, mais d'une manière différente. Car il a fait cesser les douleurs qui résultent des peines en les en préservant, comme on dit que le médecin arrête la maladie dont il préserve par une médecine. Quant aux douleurs qui provenaient de ce que la gloire était actuellement différée, il les a fait cesser en leur donnant la gloire elle-même.

33 Il faut répondre au troisième, que ces paroles de saint Pierre se rapportent, d'après quelques interprètes, à la descente du Christ dans les enfers; et ils expliquent ainsi ce passage : Le Christ est venu en esprit, c'est-à-dire par son âme, prêcher à ceux qui avaient été enfermés dans la prison, c'est- à-dire dans l'enfer, et qui avaient été incrédules autrefois. D'où saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. iii, cap. 19) : que comme il a évangélisé ceux qui sont sur la terre, de même il a évangélisé ceux qui sont dans l'enfer, non pour convertir les incrédules à la foi, mais pour convaincre leur infidélité; parce qu'on ne peut concevoir sa prédication que comme la manifestation de sa divinité qui s'est faite clans les enfers par la descente toute- puissante qu'il y a opérée. — Mais saint Augustin explique mieux ce passage (Epist, ad Evod. loc. cit.) eif disant qu'il ne se rapporte pas à la descente du Christ aux enfers, mais à l'opération de sa divinité qu'il a exercée depuis le commencement du monde, de sorte que le véritable sens est celui- ci : par V esprit de sa divinité il a prêché par des inspirations intérieures et par les avertissements extérieurs qu'il mettait dans la bouche des justes, à ceux qui avaient été enfermés élans la prison, c'est-à-dire à ceux qui vivaient dans un corps mortel qui est comme la prison de l'âme, et qui avaient été incrédules autrefois, c'est-à-dire qui n'avaient pas cru à Noé qui les prêchait, lorsque la patience de Dieu les attendait, en différant le châtiment du déluge. Aussi saint Pierre ajoute : Au temps de Noé, quand on construisait l'arche.

34
Il faut répondre au quatrième, que le sein d'Abraham peut se considérer sous deux rapports : 1° Comme un lieu où l'on est exempt de toutes les peines sensibles. En ce sens le nom d'enfer ne lui convient pas et il n'y a pas là de douleurs. 2° On peut le considérer par rapport à la privation de la gloire qu'on espère, et à cet égard c'est un enfer et un lieu de douleur. C'est pourquoi comme maintenant on entend par le sein d'Abraham le repos des bienheureux, on ne lui donne pas le nom d'enfer et on ne dit pas que c'est un lieu de souffrances.

(1) II ne pouvait être dans l'enfer des damnés, par sa substance, parce que la lumière et les ténèbres sont incompatibles.

25
Il faut répondre au cinquième, que, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. xiii, cap. ult.), on appelle les lieux supérieurs de l'enfer le plus profond. Car si par rapport à la hauteur du ciel notre atmosphère est l'enfer, par rapport à la hauteur de l'atmosphère elle-même, la terre qui se trouve au bas peut recevoir le nom d'enfer et être appelée profonde; mais, par rapport à la hauteur de cette même terre, les lieux de l'enfer qui sont supérieurs aux autres demeures de ce triste séjour peuvent être dits très- profonds (1-).




III Pars (Drioux 1852) 1022