1994 Lettre aux Familles 20
20 L'histoire du " bel amour " commence à l'Annonciation, avec les paroles admirables que l'Ange a adressées à Marie, appelée à devenir la Mère du Fils de Dieu. Par le " oui " de Marie, Celui qui est " Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière " devient Fils de l'homme ; Marie est sa Mère, sans cesser d'être la Vierge qui " ne connaît pas d'homme " (cf. Lc 1,34). Comme Vierge-Mère, Marie devient Mère du bel amour. Cette vérité est déjà révélée par les paroles de l'Archange Gabriel, mais sa signification plénière sera confirmée et approfondie au fur et à mesure que Marie suivra son Fils dans le pèlerinage de la foi (48).
48- LG 56-59
La " Mère du bel amour " fut accueillie par celui qui, d'après la tradition d'Israël, était déjà son époux sur la terre, Joseph, de la race de David. Il aurait eu le droit de voir en sa fiancée son épouse et la mère de ses enfants. Mais Dieu intervient de sa propre initiative dans cette alliance sponsale: " Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit-Saint " (Mt 1,20). Joseph est conscient, il voit de ses yeux qu'en Marie a été conçue une vie nouvelle qui n'est pas issue de lui et, en homme juste, fidèle à la Loi ancienne qui, dans son cas, imposait le divorce, il veut dissoudre son mariage d'une manière charitable (cf. Mt 1,19). L'Ange du Seigneur lui fait savoir que cela ne serait pas conforme à sa vocation, que ce serait même contraire à l'amour sponsal qui l'unit à Marie. Cet amour sponsal mutuel, pour être pleinement le " bel amour ", exige que Joseph accueille Marie et son Fils sous le toit de sa maison à Nazareth. Joseph obéit au message divin et agit comme il lui a été prescrit (cf. Mt 1,24). C'est aussi grâce à Joseph que le mystère de l'Incarnation et, avec lui, le mystère de la Sainte Famille, est profondément inscrit dans l'amour sponsal de l'homme et de la femme et, indirectement, dans la généalogie de toute famille humaine. Ce que Paul appellera le " grand mystère " trouve dans la Sainte Famille son expression la plus haute. La famille se place ainsi véritablement au centre de la Nouvelle Alliance.
On peut dire aussi que l'histoire du " bel amour " a commencé, en un sens, avec le premier couple humain, avec Adam et Ève. La tentation à laquelle ils cédèrent et le péché originel qui en fut la conséquence ne les privèrent pas totalement de la capacité du " bel amour ". On le comprend en lisant, par exemple, dans le Livre de Tobie, que les époux Tobie et Sara, pour exprimer le sens de leur union, se réfèrent à leurs ancêtres Adam et Ève (cf. Tb 8,6). Dans la Nouvelle Alliance, saint Paul aussi en est témoin lorsqu'il parle du Christ comme nouvel Adam (cf. 1Co 15,45) : le Christ ne vient pas condamner le premier Adam et la première Ève, mais les racheter ; il vient renouveler ce qui, en l'homme, est don de Dieu, tout ce qui, en lui, est éternellement bon et beau, et qui constitue le substrat du bel amour. L'histoire du " bel amour " est, en un sens, l'histoire du salut de l'homme.
Le " bel amour " tire toujours son origine de l'auto-révélation de la personne. Dans la création, Ève se révèle à Adam, comme Adam se révèle à Ève. Au cours de l'histoire, les jeunes épouses se révèlent à leurs époux, les nouveaux couples humains se disent entre eux : " Nous marcherons ensemble sur le chemin de la vie ". Ainsi commence la famille comme union de deux personnes et, en vertu du sacrement, comme nouvelle communauté dans le Christ. L'amour, pour être réellement beau, doit être un don de Dieu, greffé par l'Esprit Saint dans le coeur des hommes et continuellement nourri en eux (cf. Rm 5,5). L'Eglise, qui en est bien consciente, demande à l'Esprit Saint de descendre dans le coeur des hommes lors du sacrement du mariage. Pour que le " bel amour " existe véritablement, c'est-à-dire don de la personne à la personne, il doit provenir de Celui qui est don lui-même et source de tout don.
Ainsi en est-il dans l'Evangile pour Marie et Joseph qui, au seuil de la Nouvelle Alliance, revivent l'expérience du " bel amour " décrite dans le Cantique des cantiques. Joseph pense et dit à Marie : " Ma petite soeur, ma fiancée " (cf. Ct 4,9). Marie, Mère de Dieu, conçoit par l'Esprit Saint, de qui provient le " bel amour ", délicatement placé par l'Evangile dans le contexte du " grand mystère ".
Quand nous parlons du " bel amour ", nous parlons par là même de la beauté : beauté de l'amour et beauté de l'être humain qui, grâce à l'Esprit Saint, est capable d'un tel amour. Nous parlons de la beauté de l'homme et de la femme, de leur beauté comme frères et soeurs, comme fiancés, comme époux. L'Evangile éclaire non seulement le mystère du " bel amour ", mais également le mystère tout aussi profond de la beauté, qui vient de Dieu comme l'amour. C'est de Dieu que viennent l'homme et la femme, personnes appelées à devenir un don réciproque. Du don originel de l'Esprit " qui donne la vie " jaillit le don réciproque de la condition de mari ou de femme, ainsi que le don d'être frère ou soeur.
Tout cela trouve une confirmation dans le mystère de l'Incarnation, devenu, dans l'histoire des hommes, source d'une beauté nouvelle, qui a inspiré d'innombrables chefs-d'oeuvre artistiques. Après la défense expresse de représenter par des images le Dieu invisible (cf. Dt 4,15-20), l'ère chrétienne a, au contraire, suscité la représentation artistique du Dieu fait homme, de Marie sa Mère et de Joseph, des saints de l'Ancienne comme de la Nouvelle Alliance et, en général, de toute la création, rachetée par le Christ ; elle inaugurait ainsi un nouveau rapport avec le monde de la culture et de l'art. On peut dire que le nouveau canon de l'art, prenant en compte la dimension profonde de l'homme et son avenir, commence avec le mystère de l'Incarnation du Christ en s'inspirant des mystères de sa vie : la naissance à Bethléem, la vie cachée à Nazareth, le ministère public, le Golgotha, la Résurrection, le retour dans la gloire. L'Eglise a conscience du fait que sa présence au monde contemporain, et en particulier la contribution qu'elle apporte pour mettre en valeur la dignité du mariage et de la famille, sont étroitement liées au développement de la culture ; elle y veille à juste titre. C'est bien pourquoi l'Eglise suit avec une grande attention les orientations des moyens de communication sociale, qui ont pour tâche de former le grand public et pas seulement de l'informer (49). Très avertie de la grande et profonde influence de ces moyens, elle ne se lasse pas de mettre en garde les spécialistes de la communication contre les dangers de la manipulation de la vérité. Quelle vérité peut-il y avoir, en effet, dans des films, dans des spectacles, dans des programmes de radio et de télévision où dominent la pornographie et la violence ? Est-ce là rendre un bon service à la vérité sur l'homme ? Voilà quelques interrogations auxquelles ne peuvent se soustraire les spécialistes de ces instruments et les différents responsables de l'élaboration et de la commercialisation de leurs produits.
49-
Grâce à une telle réflexion critique, notre civilisation, qui présente cependant tant d'aspects positifs sur le plan matériel comme sur le plan culturel, devrait se rendre compte qu'elle est, sous divers aspects, une civilisation malade, qui provoque de profondes altérations chez l'homme. Pourquoi cela se produit-il ? La raison réside dans le fait que notre société s'est détachée de la vérité plénière sur l'homme, de la vérité sur ce que sont l'homme et la femme comme personnes. Par conséquent, elle est incapable de comprendre de manière exacte ce que sont réellement le don des personnes dans le mariage, l'amour responsable au service de la paternité et de la maternité, l'authentique grandeur de la procréation et de l'éducation. Est-il dès lors exagéré d'affirmer que les médias, s'ils n'obéissent pas aux sains principes de l'éthique, ne servent pas la vérité dans sa dimension essentielle ? Voilà donc le drame : les moyens modernes de communication sociale sont soumis à la tentation de manipuler le message, en falsifiant la vérité sur l'homme. L'être humain n'est pas ce dont la publicité fait la réclame ni ce qui est présenté dans les médias modernes. Il est bien davantage, comme unité psycho-physique, comme composé unifié d'âme et de corps, comme personne. Il est bien davantage par sa vocation à l'amour qui l'introduit comme homme et comme femme dans la dimension du " grand mystère ".
Marie a accédé la première à cette dimension, et elle y a introduit aussi son époux Joseph. Ils sont devenus ainsi les premiers modèles de ce bel amour dont l'Eglise ne cesse de demander la grâce pour la jeunesse, pour les époux et pour les familles. Que les jeunes, les époux, les familles ne se lassent pas, eux non plus, de prier à cette intention ! Comment ne pas penser aux multitudes de pèlerins, jeunes ou vieux, qui accourent dans les sanctuaires mariaux et fixent leur regard sur le visage de la Mère de Dieu, sur le visage des membres de la Sainte Famille, qui reflètent toute la beauté de l'amour donné par Dieu à l'homme ?
Dans le Discours sur la montagne, le Christ, se référant au sixième commandement, proclame ceci : " Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas l'adultère. Eh bien ! moi, je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son coeur, l'adultère avec elle " (Mt 5,27-28). Par rapport au Décalogue, qui tend à défendre la solidité traditionnelle du mariage et de la famille, ces paroles marquent un grand pas en avant. Jésus remonte à la source du péché d'adultère : cette source se trouve dans le coeur de l'homme et se manifeste par une manière de regarder et de penser qui est dominée par la concupiscence. Par la concupiscence, l'homme tend à s'approprier un autre être humain, qui n'est pas à lui, mais qui appartient à Dieu. Tout en s'adressant à ses contemporains, le Christ parle aux hommes de tous les temps et de toutes les générations ; il parle notamment à notre génération qui vit sous le signe d'une civilisation portée à la consommation et à l'hédonisme.
Pourquoi le Christ, dans le Discours sur la montagne, se prononce-t-il de manière si forte et si exigeante ? La réponse est on ne peut plus claire : le Christ veut garantir la sainteté du mariage et de la famille, il veut défendre la vérité tout entière sur la personne humaine et sur sa dignité. C'est seulement à la lumière de cette vérité que la famille peut être totalement la grande " révélation ", la première découverte de l'autre : la découverte réciproque des époux, puis la découverte de chaque fils ou fille qui naît de leur union. Tout ce que les époux se promettent mutuellement - d'être " toujours fidèles dans la joie et dans la peine, de s'aimer et de se respecter tous les jours de leur vie " - n'est possible que dans la dimension du " bel amour ". L'homme d'aujourd'hui ne peut en faire l'apprentissage à partir de ce que contient la culture de masse moderne. Le " bel amour " s'apprend surtout en priant. La prière, en effet, comprend toujours, pour utiliser une expression de saint Paul, une sorte d'enfouissement intérieur avec le Christ en Dieu : " Votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu " (Col 3,3). C'est seulement dans un tel enfouissement qu'oeuvre l'Esprit Saint, source du bel amour. Il répand cet amour non seulement dans le coeur de Marie et de Joseph, mais aussi dans celui des époux disposés à écouter la Parole de Dieu et à la garder (cf. Lc 8,15). L'avenir de tout noyau familial dépend de ce " bel amour " : amour mutuel des époux, des parents et des enfants, amour de toutes les générations. L'amour est la véritable source de l'unité et de la force de la famille.
21 Le court récit de l'enfance de Jésus, d'une manière très significative, nous relate presque simultanément sa naissance et le péril auquel il dut immédiatement faire face. Luc rapporte les paroles prophétiques prononcées par le vieillard Syméon lorsque l'Enfant-Jésus est présenté au Seigneur dans le Temple, quarante jours après sa naissance. Il parle de " lumière " et de " signe de contradiction " ; puis il fait à Marie cette prédiction : " Toi-même, une épée te transpercera l'âme " (cf. Lc 2,32-35). Matthieu, au contraire, s'attarde sur le piège tendu par Hérode à Jésus : averti par les Mages venus d'Orient pour voir le nouveau roi qui devait naître (cf. Mt 2,2), il se sent menacé dans son pouvoir et, après leur départ, il ordonne de tuer tous les enfants de Bethléem et des environs âgés de moins de deux ans. Jésus échappe aux mains d'Hérode grâce à une intervention divine particulière et grâce à la sollicitude paternelle de Joseph qui l'emmène avec sa Mère en Egypte où ils demeurent jusqu'à la mort d'Hérode. Ils reviennent ensuite à Nazareth, leur ville natale, où la Sainte Famille commence une longue période de vie cachée, rythmée par l'accomplissement fidèle et généreux des devoirs quotidiens (cf. Mt 2,1-23 Lc 2,39-52).
Le fait que Jésus, dès sa naissance, ait eu à faire face à des menaces et à des périls semble être d'une éloquence prophétique. Comme enfant déjà, il est " signe de contradiction ". Il y a aussi un signe d'éloquence prophétique dans le drame des enfants innocents de Bethléem, tués sur ordre d'Hérode et devenus, selon l'antique liturgie de l'Eglise, participants de la naissance et de la passion rédemptrice du Christ (50). A travers leur " passion ", ils achèvent " ce qui manque aux souffrances du Christ, pour son corps qui est l'Eglise " (Col 1,24).
50- Dans la liturgie de leur fête, qui remonte au Vè siècle, l'Eglise s'adresse aux saints Innocents avec les paroles du poète Prudence (+ vers 405) qui les célébrait comme des "fleurs du martyre que, dès l'aube de leur vie, le persécuteur du Christ a coupées, tel l'ouragan qui emporte des roses non encore écloses".
Dans l'Evangile de l'enfance, l'annonce de la vie, qui se réalise d'une manière admirable dans l'événement de la naissance du Rédempteur, est donc fortement mise en face de la menace contre la vie, vie qui contient en totalité le mystère de l'Incarnation et de la réalité divine et humaine du Christ. Le Verbe s'est fait chair (cf. Jn 1,14), Dieu s'est fait homme. Les Pères de l'Eglise rappelaient souvent ce mystère sublime : " Dieu s'est fait homme, afin que nous devenions des dieux " (51). Cette vérité de la foi est en même temps la vérité sur l'être humain. Elle met en lumière la gravité de tout attentat contre la vie de l'enfant dans le sein de sa mère. Ici précisément, nous nous trouvons aux antipodes du " bel amour ". En ne cherchant que le plaisir, on peut en venir à tuer l'amour, à en tuer le fruit. Pour la culture du plaisir, le " fruit béni de ton sein " (Lc 1,42) devient en un sens un " fruit maudit ".
51- S. Athanase, De Incarnatione Verbi, n. 54; PG 25, 191-192.
Comment ne pas rappeler à ce sujet les déviations que connaît, dans de nombreux pays, ce qu'on appelle l'Etat de droit. La Loi de Dieu à l'égard de la vie humaine est sans équivoque et catégorique. Dieu ordonne : " Tu ne tueras pas " (Ex 20,13). Aucun législateur humain ne peut donc affirmer : Il t'est permis de tuer, tu as le droit de tuer, tu devrais tuer. Malheureusement, dans l'histoire de notre siècle, cela s'est produit lorsque ont accédé au pouvoir, même d'une manière démocratique, des forces politiques qui ont établi des lois contraires au droit de tout homme à la vie, au nom de prétendus, autant qu'aberrants, motifs eugéniques, ethniques ou autres. Il y a un phénomène non moins grave, notamment parce qu'il s'accompagne d'un large assentiment ou consensus de l'opinion publique : celui des législations qui ne respectent pas le droit à la vie dès la conception. Comment pourrait-on accepter moralement des lois qui permettent de tuer l'être humain non encore né mais qui vit déjà dans le sein maternel ? Le droit à la vie devient ainsi l'apanage exclusif des adultes, qui se servent des parlements eux-mêmes pour faire aboutir leurs projets et poursuivre leurs intérêts personnels.
Nous nous trouvons en face d'une énorme menace contre la vie, non seulement d'individus, mais de la civilisation tout entière. L'affirmation que cette civilisation est devenue, par certains aspects, une " civilisation de la mort " se confirme de manière préoccupante. N'est-ce donc pas un événement prophétique que la naissance du Christ ait été accompagnée d'une menace contre son existence ? Oui, même la vie de Celui qui est tout à la fois Fils de l'homme et Fils de Dieu a été menacée ; elle a été en danger dès ses débuts et n'a échappé à la mort que par miracle.
Dans les dernières décennies, toutefois, on remarque quelques symptômes réconfortants de réveil des consciences : on le constate tant dans le monde de la pensée que dans l'opinion publique. On voit se développer, surtout parmi les jeunes, une nouvelle conscience du respect de la vie depuis la conception ; les mouvements pour la vie (pro life) se répandent. C'est un levain d'espérance pour l'avenir de la famille et de l'humanité tout entière.
22 Epoux et familles du monde entier, l'Epoux est avec vous ! C'est la première chose que veut vous dire le Pape, en l'année que les Nations Unies et l'Eglise consacrent à la famille. " Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui " (Jn 3,16-17) ; " ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est Esprit. Il vous faut naître d'en haut " (Jn 3,6-7). Vous devez " naître d'eau et d'Esprit " (Jn 3,5). C'est précisément vous, chers pères et mères, qui êtes les premiers témoins et ministres de cette nouvelle naissance de l'Esprit Saint. Vous, qui engendrez vos enfants pour la patrie terrestre, n'oubliez pas qu'en même temps vous les engendrez pour Dieu. Dieu désire qu'ils naissent de l'Esprit Saint ; il veut qu'ils soient ses fils adoptifs dans le Fils unique, qui nous donne le " pouvoir de devenir enfants de Dieu " (Jn 1,12). L'oeuvre du salut perdure dans le monde et se réalise grâce à l'Eglise. Tout cela est l'oeuvre du Fils de Dieu, de l'Epoux divin, qui nous a transmis le Règne du Père et qui nous rappelle à nous, ses disciples: " Le Royaume de Dieu est au milieu de vous " (Lc 17,21).
Notre foi nous dit que Jésus-Christ, qui " est assis à la droite du Père ", viendra juger les vivants et les morts. D'autre part, l'évangéliste Jean nous assure qu'Il a été envoyé dans le monde " non pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui " (Jn 3,17). En quoi consiste donc le jugement ? Le Christ lui-même donne la réponse : " Tel est le jugement : la lumière est venue dans le monde Celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses oeuvres sont faites en Dieu " (Jn 3,19 Jn 3,21). C'est ce qu'a récemment rappelé l'Encyclique Veritatis splendor (52). Le Christ est-il donc juge ? Tes actes te jugeront à la lumière de la vérité que tu connais.
52- VS 84
Ce sont leurs oeuvres qui jugeront les pères et les mères, les fils et les filles. Chacun de nous sera jugé à partir des commandements, y compris ceux que nous avons rappelés dans cette Lettre : le quatrième, le cinquième, le sixième et le neuvième. Mais chacun sera jugé surtout sur l'amour, qui donne leur sens aux commandements et qui en est la synthèse. " Au soir de la vie, nous serons jugés sur l'amour ", a écrit saint Jean de la Croix (53). Le Christ, Rédempteur et Epoux de l'humanité, n'" est né et n'est venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute sa voix " (cf. Jn 18,37). C'est lui qui sera le juge, mais de la manière qu'il a lui-même indiquée en parlant du jugement dernier (cf. Mt 25,31-46). Son jugement sera un jugement sur l'amour, un jugement qui confirmera définitivement la vérité que l'Epoux était avec nous, sans que, peut-être, nous l'ayons su.
53- La vive Flamme d'amour, VFA 59,0.
Le juge est l'Epoux de l'Eglise et de l'humanité. C'est pourquoi il juge en disant : " Venez, les bénis de mon Père, car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu " (Mt 25,34-36). Cette liste pourrait naturellement s'allonger et en elle apparaîtrait un nombre infini de problèmes qui concernent aussi la vie conjugale et familiale. On pourrait y trouver également des expressions comme celles-ci : "J'étais un enfant encore à naître et vous m'avez reçu, me permettant de naître ; j'étais un enfant abandonné et vous avez été pour moi une famille ; j'étais un enfant orphelin et vous m'avez adopté et élevé comme votre enfant ". Et encore : " Les mères qui hésitaient et qui subissaient des pressions indues, vous les avez aidées à accepter leur enfant à naître et à le mettre au monde ; vous avez aidé des familles nombreuses, des familles en difficulté, à garder et à élever les enfants que Dieu leur avait donnés ". Nous pourrions continuer, avec une liste longue et variée qui comprendrait toute sorte de vrai bien moral et humain, où s'exprime l'amour. Telle est la grande moisson que le Rédempteur du monde, auquel le Père a remis le jugement, viendra récolter: c'est la moisson de grâce et d'oeuvres bonnes, mûrie au souffle de l'Epoux dans l'Esprit Saint, qui ne cesse d'agir dans le monde et dans l'Eglise. Rendons-en grâce à Celui qui est l'Auteur de tout bien.
Nous savons pourtant que, dans la sentence finale rapportée par l'évangéliste Matthieu, il y a une autre liste, grave et terrifiante : " Loin de moi, car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire, j'étais un étranger et vous ne m'avez pas accueilli, nu et vous ne m'avez pas vêtu " (Mt 25,41-43). Et, dans cette liste également, il se trouvera peut-être d'autres comportements, dans lesquels Jésus, là aussi, se présente toujours comme l'homme méprisé. Ainsi, il s'identifie avec la femme ou le mari abandonné, avec l'enfant conçu et refusé : " Vous ne m'avez pas accueilli ! ". Ce jugement lui aussi fait son chemin à travers l'histoire de nos familles ; il fait son chemin à travers l'histoire des nations et de l'humanité. Les paroles du Christ " vous ne m'avez pas accueilli " concernent aussi des institutions sociales, des gouvernements et des organisations internationales.
Pascal a écrit que " Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde " (54). L'agonie de Gethsémani et l'agonie du Golgotha sont le point culminant de la manifestation de l'amour. Dans l'une et l'autre se manifeste l'Epoux qui est avec nous, qui aime toujours de manière nouvelle, qui " aime jusqu'à la fin " (cf. Jn 13,1). L'amour qui est en lui et qui va de lui jusqu'aux frontières des histoires personnelles ou familiales, dépasse les frontières de l'histoire de l'humanité.
54- B. Pascal, Pensées, n.553 (éd. Br.).
Au terme de ces réflexions, chers Frères et Soeurs, en pensant à tout ce qui sera proclamé pendant l'Année de la Famille à partir de diverses tribunes, je voudrais renouveler avec vous la confession adressée par Pierre au Christ : " Tu as les paroles de la vie éternelle " (Jn 6,68). En même temps nous disons : Tes paroles, Seigneur, ne passeront pas (cf. Mc 13,31) ! Quel souhait le Pape peut-il former pour vous au terme de cette longue méditation sur l'Année de la Famille ? Il vous souhaite de vous retrouver tous dans ces paroles, qui sont " esprit et vie " (cf. Jn 6,63).
23 Je fléchis les genoux en présence du Père de qui toute paternité et toute maternité tirent leur nom : " Qu'il daigne vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intérieur " (Ep 3,16). Je reviens volontiers à ces paroles de l'Apôtre que j'ai citées dans la première partie de cette Lettre. Ce sont, en un sens, des paroles clés. La famille, la paternité et la maternité vont de pair. En même temps, la famille est le premier milieu humain dans lequel se forme l'" homme intérieur " dont parle l'Apôtre. L'affermissement de sa force est un don du Père et du Fils dans l'Esprit Saint.
L'Année de la Famille place devant nous et dans l'Eglise une tâche immense, semblable à celle qui concerne la famille chaque année et chaque jour, mais qui, dans le contexte de cette Année, revêt une signification et une importance particulières. Nous avons commencé l'Année de la famille à Nazareth, en la solennité de la Sainte Famille ; nous désirons, tout au long de cette Année, faire un pèlerinage jusqu'en ce lieu de grâce qui est devenu le sanctuaire de la Sainte Famille dans l'histoire de l'humanité. Nous désirons faire ce pèlerinage en retrouvant la conscience du patrimoine de vérité sur la famille qui, depuis l'origine, constitue un des trésors de l'Eglise. C'est le trésor qui s'amasse à partir de la riche tradition de l'Ancienne Alliance, qui s'achève dans la Nouvelle et qui trouve son expression plénière et emblématique dans le mystère de la Sainte Famille, par laquelle l'Epoux divin accomplit la rédemption de toutes les familles. C'est à partir de là que Jésus proclame l'" évangile de la famille ". C'est à ce trésor de vérité que puisent toutes les générations des disciples du Christ, à commencer par les Apôtres, dont nous avons largement utilisé l'enseignement dans cette Lettre.
A notre époque, ce trésor est exploité à fond dans les documents du Concile Vatican II (55) ; d'intéressantes analyses sont développées également dans de nombreux discours consacrés par Pie XII aux époux (56), dans l'encyclique Humanae vitae de Paul VI, dans les interventions au Synode des évêques consacré à la famille (1980) et dans l'Exhortation apostolique Familiaris consortio. J'ai déjà mentionné ces prises de position du Magistère. Si j'y reviens maintenant, c'est pour souligner l'ampleur et la richesse de ce trésor de la vérité chrétienne sur la famille. Les seuls témoignages écrits, toutefois, ne suffisent pas. Bien plus importants sont les témoignages vivants. Paul VI a fait remarquer que " l'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins" (57). C'est surtout aux témoins que, dans l'Eglise, se trouve confié le trésor de la famille, aux pères et aux mères, aux fils et aux filles qui, par leur famille, ont trouvé le chemin de leur vocation humaine et chrétienne, la dimension de l'" homme intérieur " (Ep 3,16) dont parle l'Apôtre, et qui ont ainsi atteint la sainteté. La Sainte Famille est la première de tant d'autres familles saintes. Le Concile a rappelé que la sainteté est la vocation universelle des baptisés (58). A notre époque, comme dans le passé, il ne manque pas de témoins de " l'évangile de la famille ", même s'ils ne sont pas connus ou s'ils n'ont pas été canonisés par l'Eglise. L'Année de la Famille est une occasion opportune de prendre mieux conscience de leur existence et de leur grand nombre.
55- GS 47-52
56- Une attention particulière doit être accordée au Discours aux participants au Congrès de l'Union catholique italienne d'Obstétrique (29 octobre 1951), dans Discorsi e Radiomessaggi, XIII, pp. 333-353.
57- Cf. Discours aux membres du "Conseil des Laïcs" (2 octobre 1974); AAS 66 (1974), p. 568.
58- LG 40
C'est par la famille que se déploie l'histoire de l'homme, l'histoire du salut de l'humanité. Dans ces pages, j'ai cherché à montrer que la famille se trouve au centre du grand affrontement entre le bien et le mal, entre la vie et la mort, entre l'amour et tout ce qui s'oppose à l'amour. C'est à la famille qu'est confiée la tâche de lutter d'abord pour libérer les forces du bien, dont la source se trouve dans le Christ Rédempteur de l'homme. Il faut faire en sorte que chaque foyer s'approprie ces forces, afin que, selon l'expression utilisée lors du millénaire du christianisme en Pologne, la famille soit " forte de Dieu " (59). Telle est la raison pour laquelle cette Lettre a voulu s'inspirer des exhortations apostoliques que nous trouvons dans les écrits de Paul (cf. 1Co 7,1-40 Ep 5,21-6,9 Col 3,25), et dans les lettres de Pierre et de Jean (cf. 1P 3,1-7 1Jn 2,12-17). Malgré la différence de contexte historique et culturel, quelles ressemblances entre la situation des chrétiens et des familles de l'époque avec celle d'aujourd'hui !
59- Cf. Card. Stefan Wyszeynski, Rodzina Bogiem silna, Homélie prononcée à Jasna Gora, 26 août 1961.
Je vous lance donc un appel : un appel que j'adresse spécialement à vous, chers époux et épouses, pères et mères, fils et filles. C'est un appel à toutes les Eglises particulières, pour qu'elles demeurent unies dans l'enseignement de la vérité apostolique ; à mes Frères dans l'épiscopat, aux prêtres, aux familles religieuses et aux personnes consacrées, aux mouvements et aux associations de fidèles laïcs ; aux frères et aux soeurs auxquels nous unit la foi commune en Jésus-Christ, même si nous ne faisons pas encore l'expérience de la pleine communion voulue par le Sauveur (60) ; à tous ceux qui, partageant la foi d'Abraham, appartiennent comme nous à la grande communauté de ceux qui croient en un Dieu unique (61) ; à ceux qui sont les héritiers d'autres traditions spirituelles et religieuses ; à tout homme et à toute femme de bonne volonté.
60- LG 15
61- LG 16
Que le Christ, qui est le même " hier, aujourd'hui et à jamais " (He 13,8), soit avec nous tandis que nous fléchissons les genoux devant le Père de qui viennent toute paternité, toute maternité et toute famille humaine (cf. Ep 3,14-15) et, avec les paroles mêmes de la prière qu'il adresse au Père et qu'il nous a lui-même enseignée, qu'il nous donne encore une fois le témoignage de l'amour avec lequel il nous " aima jusqu'à la fin " (Jn 13,1) !
Avec la puissance de sa vérité, je parle à l'homme de notre temps pour qu'il comprenne la grandeur des biens que sont le mariage, la famille et la vie ; le grand péril constitué par le refus de respecter ces réalités et par le manque de considération pour les valeurs suprêmes qui fondent la famille et la dignité de l'être humain.
Que le Seigneur Jésus nous redise tout cela avec la puissance et la sagesse de la Croix, afin que l'humanité ne cède pas à la tentation du " père du mensonge " (Jn 8,44) qui la pousse constamment à prendre des voies larges et dégagées, à l'apparence facile et agréable, mais qui sont en réalité remplies de pièges et de dangers ! Qu'il nous soit donné de suivre toujours Celui qui est " le Chemin, la Vérité et la Vie " (Jn 14,6) !
Voilà, chers Frères et Soeurs, la tâche des familles chrétiennes et le souci missionnaire de l'Eglise, au long de cette Année riche de grâces divines singulières. Puisse la Sainte Famille, icône et modèle de toute famille humaine, aider chacun à cheminer dans l'esprit de Nazareth ; puisse-t-elle aider chaque famille à approfondir sa mission dans la société et dans l'Eglise par l'écoute de la Parole de Dieu, par la prière et le partage fraternel de la vie ! Que Marie, Mère du bel amour, et Joseph, Gardien du Rédempteur, nous accompagnent tous de leur incessante protection !C'est dans ces sentiments que je bénis chaque famille au nom de la Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 février 1994, fête de la Présentation du Seigneur, en la seizième année de mon pontificat.
JEAN-PAUL II
1994 Lettre aux Familles 20