Lumen gentium 2 32
32 En vertu de son institution divine, la sainte Église est organisée et régie dans une admirable variété. « Car, de même qu’en un seul corps nous avons de nombreux membres, mais que ces membres n’ont pas tous la même forme d’activité, de même nous qui sommes nombreux nous ne sommes qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres » (Rm 12,4-5).
Il y a donc un seul peuple de Dieu, élu par lui : « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4,5) ; commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ, commune la grâce de la filiation, commune la vocation à la perfection, unique est le salut, unique l’espérance et indivisible la charité. Il n’y a donc dans le Christ et dans l’Église aucune inégalité de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe, parce que « il n’y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. En effet, vous êtes tous “un” dans le Christ Jésus » (Ga 3,28 gr ; cf. Col 3,11).
Si donc, dans l’Église, tous ne suivent pas le même chemin, tous néanmoins, sont appelés à la sainteté et ont, par la justice de Dieu, reçu une foi du même prix (cf. 2P 1,1). Même si certains, par la volonté du Christ, sont établis docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour les autres, il règne cependant entre eux tous une vraie égalité en ce qui concerne la dignité et l’action commune à tous les fidèles pour l’édification du Corps du Christ. En effet, la différence que le Seigneur a établie entre les ministres sacrés et le reste du Peuple de Dieu, comporte en elle-même l’union, puisque les pasteurs et les autres fidèles sont liés entre eux par une communauté de rapports ; que les pasteurs de l’Église suivent l’exemple du Christ et soient au service les uns des autres et au service des autres fidèles ; que ceux-ci, de leur côté, apportent aux pasteurs et docteurs leur concours empressé. Ainsi, dans la variété, tous rendent témoignage de l’admirable unité qui règne dans le corps du Christ ; en effet, la diversité même des grâces, des services et des activités, rassemble les fils de Dieu en un seul tout, parce que « c’est le seul et même Esprit qui opère tout en tous » (1Co 12,11).
Ainsi donc, de même que les laïcs, par un effet de la condescendance de Dieu, ont pour frère le Christ, qui est venu pour servir et non pour être servi (cf. Mt 20,28), alors qu’il est le Seigneur de tous, de même aussi ils ont pour frères ceux qui, établis dans le ministère sacré, paissent la famille de Dieu en enseignant, sanctifiant et gouvernant par l’autorité du Christ, de façon à ce que le commandement nouveau de l’amour soit accompli par tous. À ce sujet, saint Augustin prononce ces très belles paroles : « Si ce que je suis pour vous m’angoisse, ce que je suis avec vous me console. En effet, pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien. L’un est le nom d’une charge, l’autre celui d’une grâce ; l’un le nom d’un péril, l’autre celui du salut 1. »
1 Augustin, Serm. 340, 1 : PL 38, 1483.
33 Les laïcs, rassemblés dans le Peuple de Dieu et constitués en un seul Corps du Christ sous une seule Tête, sont appelés, quels qu’ils soient, à contribuer, en qualité de membres vivants, à la croissance de l’Église et à sa sanctification permanente en y appliquant toutes les forces qu’ils ont reçues par bienfait du Créateur et par grâce du Rédempteur.
L’apostolat des laïcs est une participation à la mission salvifique même de l’Église, apostolat auquel tous sont députés par le Seigneur lui-même en vertu du baptême et de la confirmation. Par les sacrements, surtout par la sainte eucharistie, est communiquée et nourrie cette charité envers Dieu et envers les hommes, qui est l’âme de tout l’apostolat. Mais les laïcs sont spécialement appelés à rendre l’Église présente et agissante dans les lieux et les situations où elle ne peut être le sel de la terre que par eux 2. Ainsi tout laïc, en vertu des dons qu’il a reçus, est à la fois un témoin et un instrument vivant de la mission de l’Église elle-même, « à la mesure du don du Christ » (Ep 4,7).
Outre cet apostolat qui concerne tous les fidèles sans exception, les laïcs peuvent de surcroît être appelés de diverses manières à apporter une collaboration plus immédiate à l’apostolat de la hiérarchie3 à la manière de ces hommes et de ces femmes qui secondaient l’apôtre Paul dans la proclamation de l’Évangile et qui peinaient lourdement dans le Seigneur (cf. Ph 4,3 Rm 16,3 s.). Par ailleurs, ils ont une aptitude à être nommés au service de la hiérarchie en vue de l’exercice de certaines fonctions ecclésiastiques à finalité spirituelle.
À tous les laïcs incombe donc l’insigne charge de travailler à ce que le dessein divin de salut atteigne toujours davantage tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux. Par conséquent, la voie doit leur être partout ouverte pour que, selon leurs forces et selon les nécessités du temps, ils participent eux aussi activement à l’oeuvre salutaire qui est celle de l’Église.
2 Cf. Pie XI, Encycl. Quadragesimo anno, 15 mai 1931 : AAS 23 (1931), p. 221 s. Pie XII, Alloc. De quelle consolation, 14 oct. 1951 : AAS 43 (1951), p. 790 s.
3 Cf. Pie XII, Alloc. Six ans se sont écoulés, 5 oct. 1957 : AAS 49 (1957), p. 927.
34 Comme le Christ Jésus, Prêtre souverain et éternel, veut que son témoignage et son service se poursuivent également par l’intermédiaire des laïcs, il les vivifie par son Esprit et les pousse incessamment à toute oeuvre bonne et parfaite.
À ceux qu’il associe intimement à sa vie et à sa mission, il accorde aussi une part de sa fonction sacerdotale en vue de l’exercice du culte spirituel, pour que Dieu soit glorifié et les hommes sauvés. Pour cette raison, les laïcs, du fait qu’ils sont consacrés au Christ et ont reçu l’onction de l’Esprit Saint, sont, d’une façon admirable, appelés et équipés pour que les fruits de l’Esprit soient produits en eux de façon toujours plus abondante. En effet, toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leur travail quotidien, leur détente intellectuelle et corporelle, si tout cela est accompli dans l’Esprit, et même les peines de la vie, si elles sont supportées avec patience, deviennent « des offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ » (1P 2,5), qui, dans la célébration de l’Eucharistie, sont offertes en toute piété au Père ensemble avec l’offrande du corps du Seigneur. Ainsi les laïcs aussi, agissant partout saintement en adorateurs, consacrent à Dieu le monde lui-même.
35 Le Christ, grand prophète, qui par le témoignage de sa vie et la puissance de sa parole a proclamé le Royaume du Père, remplit sa fonction prophétique jusqu’à la pleine manifestation de la gloire, non seulement par la hiérarchie qui enseigne en son nom et avec son pouvoir, mais aussi par les laïcs que, pour cette raison, il établit comme témoins et qu’il dote en même temps du sens de la foi et de la grâce de la parole (cf. Ac 2,17-18 Ap 19,10), pour que la puissance de l’Évangile brille dans leur vie familiale et sociale de tous les jours. Ils se présentent eux-mêmes comme fils de la promesse, lorsque, fermes dans la foi et l’espérance, ils mettent à profit le moment présent (cf. Ep 5,16 Col 4,5) et attendent avec constance la gloire à venir (cf. Rm 8,25). Qu’ils ne cachent pas cette espérance au fond d’eux-mêmes, mais que, par une continuelle conversion et par la lutte « contre les maîtres de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal » (Ep 6,12), ils l’expriment aussi à travers les structures de la vie séculière.
De même que les sacrements de la Loi nouvelle, où s’alimentent la vie et l’apostolat des fidèles, préfigurent le ciel nouveau et la terre nouvelle (cf. Ap 21,1), de même les laïcs deviennent des hérauts efficaces de la foi aux réalités espérées (cf. He 11,1), si, sans hésiter, ils font se rejoindre la profession de la foi et une vie puisée dans la foi. Cette évangélisation, c’est-à-dire l’annonce du Christ réalisée à la fois par le témoignage d’une vie et par la parole, acquiert un caractère spécifique et une efficacité particulière du fait qu’elle s’accomplit dans les conditions communes du siècle.
Dans cette fonction apparaît la haute valeur de cet état de vie qui est sanctifié par un sacrement spécial, à savoir la vie conjugale et familiale. C’est là, dans la famille où la religion chrétienne pénètre toute la conduite de la vie et la transforme davantage de jour en jour, que se trouvent, à un titre éminent, l’exercice et l’école de l’apostolat pour les laïcs. C’est là que les époux ont leur vocation propre, celle d’être l’un pour l’autre et pour les enfants les témoins de la foi et de l’amour du Christ. La famille chrétienne proclame à haute voix à la fois les vertus présentes du Royaume de Dieu et l’espérance de la vie bienheureuse. Ainsi, par son exemple et son témoignage, elle convainc le monde de péché et elle éclaire ceux qui cherchent la vérité.
Par conséquent, les laïcs, même quand ils sont pris par des soucis temporels, peuvent et doivent exercer une action précieuse pour l’évangélisation du monde. Si certains d’entre eux, en cas de manque de ministres sacrés ou en cas d’empêchement de ces derniers en régime de persécution, suppléent à certaines fonctions sacrées, dans la mesure de leur capacité ; si beaucoup d’entre eux dépensent toutes leurs forces dans l’action apostolique, tous cependant doivent coopérer à l’extension et à l’accroissement du règne du Christ dans le monde. C’est pourquoi les laïcs s’efforceront, de façon avisée, d’approfondir leur connaissance de la vérité révélée et demanderont instamment à Dieu le don de sagesse.
36 Le Christ, qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort et qui pour cela a été exalté par le Père (cf. Ph 2,8-9) est entré dans la gloire de son Royaume. Tout lui est soumis, jusqu’au moment où lui-même se soumettra au Père ensemble avec toutes les choses créées, pour que Dieu soit tout en tous (cf. 1Co 15,27-28). Ce pouvoir, il l’a donné en partage à ses disciples de façon que eux aussi soient établis dans une liberté royale, et que par leur abnégation et par la sainteté de leur vie, ils triomphent du règne du péché en eux (cf. Rm 6,12), bien plus de façon que, servant le Christ aussi dans les autres, ils conduisent, dans l’humilité et la patience, leurs frères au Roi, - et le servir, c’est régner. En effet, le Seigneur désire étendre son royaume également grâce au concours des fidèles laïcs : « royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix 4 » ; dans ce royaume, la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption, en vue de la glorieuse liberté des enfants de Dieu (cf. Rm 8,21). Aux disciples est faite une promesse vraiment importante, un commandement important leur est donné : « Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1Co 3,23).
Les fidèles doivent donc reconnaître la nature intime de toute la création, sa valeur et sa finalité qui est d’être ordonnée à la louange de Dieu, et par leurs activités même séculières, ils doivent s’aider mutuellement en vue d’une vie plus sainte, de façon à ce que le monde soit imprégné de l’esprit du Christ et atteigne plus efficacement sa fin dans la justice, la charité et la paix. Pour l’accomplissement de ce devoir dans son universalité, les laïcs occupent une place privilégiée. Que par leur compétence dans les disciplines profanes et par leur activité élevée de l’intérieur par la grâce du Christ, ils apportent une contribution efficace à ce que, par le travail de l’homme, la technique et la culture, les biens créés, selon les dispositions du Créateur et l’illumination de son Verbe, soient mis en valeur au bénéfice d’absolument tous les hommes, qu’ils soient répartis de façon plus convenable entre eux et qu’ils conduisent, à leur façon, dans la liberté humaine et chrétienne, au progrès universel. Ainsi le Christ, à travers les membres de l’Église, répandra de plus en plus sa lumière salutaire sur la société humaine tout entière.
Que de plus les laïcs unissent leurs forces pour assainir les institutions et les conditions de vie dans le monde, là où des moeurs portent au péché, de telle sorte qu’elles deviennent toutes conformes aux règles de la justice et favorisent la pratique des vertus plutôt que d’y faire obstacle. En agissant de cette manière, ils imprégneront de valeur morale la culture et les activités humaines. Par là, en même temps, le champ du monde est mieux préparé à recevoir la semence de la Parole de Dieu et les portes sont plus largement ouvertes à l’Église pour lui permettre de faire parvenir son message de paix au monde.
En raison de l’économie même du salut, les fidèles apprendront à distinguer soigneusement entre les droits et les devoirs qui leur incombent du fait qu’ils sont agrégés à l’Église et ceux qui leur reviennent en tant que membres de la société humaine. Qu’ils s’appliquent à allier harmonieusement les uns et les autres, en se souvenant que dans n’importe quelle affaire temporelle, ils doivent se laisser guider par leur conscience chrétienne, car aucune activité humaine, même dans les affaires temporelles, ne peut être soustraite à la souveraineté de Dieu. De nos jours surtout, il faut que cette distinction et en même temps cette harmonie brillent avec le plus d’éclat possible dans la façon d’agir des fidèles, pour que la mission de l’Église puisse répondre plus pleinement aux conditions particulières du monde d’aujourd’hui. De même en effet qu’il faut reconnaître que la cité terrestre, qui est vouée à bon droit aux soucis du siècle, est régie par des principes propres, de même il faut rejeter, à juste titre, la funeste doctrine qui tend à construire la société sans tenir aucun compte de la religion et qui combat la liberté religieuse des citoyens et la supprime 5.
4 Missel romain, Préface de la fête du Christ Roi.
5 Cf. Léon XIII, Encycl. Immortale Dei, 1" nov. 1885 : ASS 18 (1885), p. 166 s. Id., Encycl. Sapientiae christianae, 10 janv. 1890 : ASS 22 (1889-1890), p. 397 s. Pie XII, Alloc. Alla vostra filiale, 23 mars 1958 : AAS 50 (1958), p. 220 : « la legittima sana laicità dello Stato (la légitime saine laïcité de l’État) ».
37 Comme tous les chrétiens, les laïcs ont le droit de recevoir en abondance des pasteurs sacrés leur part des biens spirituels de l’Église, surtout les secours de la Parole de Dieu et des sacrements 6 7, et ils feront connaître à ces pasteurs leurs besoins et leurs voeux avec la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ. En fonction de leurs connaissances, de leur compétence et du rang qu’ils occupent, ils ont la faculté, voire même parfois le devoir de donner leur avis en ce qui concerne le bien de l’Église 1. Cela se fera, le cas échéant, par le moyen d’institutions établies à cette fin par l’Église, et toujours dans la véracité, le courage et la prudence, avec respect et charité à l’égard de ceux qui, en raison de leurs charges sacrées, tiennent la place du Christ. Comme tous les fidèles, les laïcs accepteront avec empressement dans un esprit d’obéissance chrétienne ce que les pasteurs sacrés, qui représentent le Christ, décident en leur qualité de docteurs et de chefs dans l’Église, en suivant en cela l’exemple du Christ qui par son obéissance jusqu’à la mort a ouvert à tous les hommes la voie bienheureuse de la liberté des fils de Dieu. Ils n’omettront pas de recommander à Dieu dans leurs prières ceux qui leur sont préposés, et qui exercent leur vigilance, en étant appelés à rendre compte de nos âmes, pour qu’ils le fassent avec joie et non en gémissant (cf. He 13,17).
Que les pasteurs sacrés, de leur côté, reconnaissent et promeuvent la dignité et la responsabilité des laïcs dans l’Église ; qu’ils aient volontiers recours à la prudence de leurs conseils, qu’ils leur confient avec assurance des charges en vue du service de l’Église et qu’ils leur laissent la liberté et le champ pour agir, qu’ils les encouragent même à entreprendre des activités de leur propre initiative. Qu’avec un amour paternel ils considèrent attentivement dans le Christ les entreprises, les voeux, et les désirs proposés par les laïcs8. Qu’ils reconnaissent en la respectant la juste liberté qui appartient à tous dans la cité terrestre.
De ces relations familières entre les laïcs et les pasteurs, on doit attendre beaucoup d’avantages pour l’Église : c’est de cette façon, en effet, que se fortifie chez les laïcs le sens de leur responsabilité propre, que s’attise l’ardeur du zèle, que les forces des laïcs s’associent plus facilement à l’oeuvre des pasteurs. Ceux-ci, pour leur part, aidés par l’expérience des laïcs, sont en état de porter un jugement plus précis et mieux approprié en matière aussi bien spirituelle que temporelle, de sorte que l’Église tout entière, fortifiée par tous ses membres, puisse remplir plus efficacement sa mission pour la vie du monde.
6 Cod. lur. Can., can. 682.
7 Cf Pie XII, Alloc. De quelle consolation, l.c., p. 789 : « Dans les batailles décisives, c’est parfois du front que partent les plus heureuses initiatives [...] » Id., Alloc. L’importance de la presse catholique, 17 févr. 1950 : AAS 42 (1950), p. 256.
8 Cf. 1 Th 5, 19 et 1 Jn 4, 1.
38 Chaque laïc doit être devant le monde le témoin de la résurrection et de la vie du Seigneur Jésus et le signe du Dieu vivant. Tous ensemble et chacun pour sa part, ils doivent nourrir le monde de fruits spirituels (cf. Ga 5,22) et y répandre cet esprit qui anime les pauvres, les doux et les pacifiques que le Seigneur a proclamés heureux dans l’Évangile (cf. Mt 5,3-9). En un mot, « ce que l’âme est dans le corps, que les chrétiens le soient dans le monde9 ».
9 Epist. adDiognetum, 6:6 <1 Punk, I, p. 400 ; SC 33. Cf. Jean Chrysostome, In Mt. Hom. 46 (47), 2 : PG 58, 478, sur le ferment dans la musse
39 L’Église, dont le saint Concile présente le mystère, est, selon notre foi, indéfecti- blement sainte. En effet, le Christ, Fils de Dieu, qui avec le Père et l’Esprit est célébré comme le « seul Saint 1 », a aimé l’Église comme son épouse, se livrant pour elle en vue de la sanctifier (cf. Ep 5,25-26), et il se l’est unie comme son Corps et l’a comblée du don de l’Esprit Saint, pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi dans l’Église, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient conduits par elle, sont appelés à la sainteté, selon les paroles de l’Apôtre : « La volonté de Dieu, c’est notre sanctification » (1Th 4,3 Ep 1,4). Cette sainteté de l’Église se manifeste et doit se manifester sans cesse par les fruits de grâce que l’Esprit produit dans les fidèles ; elle s’exprime sous de multiples formes en chacun de ceux qui, dans la conduite de leur vie, tendent à la perfection de la charité, en édifiant les autres ; elle apparaît d’une manière plus spécifique dans la pratique des conseils qu’on a coutume d’appeler évangéliques. Cette pratique des conseils, assumée sous l’impulsion de l’Esprit par un grand nombre de chrétiens, soit à titre privé, soit dans une condition ou un état sanctionnés dans l’Église, fournit et doit fournir dans le monde un témoignage et un exemple éclatants de cette sainteté.
1 Missel Romain, Gloria in excelsis Cf. Lc 1, 35 ; Mc 1, 24 ; Lc 4, 34 ; Jn 6, 69 (ho hagios tou Theou) (le saint de Dieu) ; Ac 3, 14 ; 4, 27 et 30 ; He 7, 26 ; 1 Jn 2, 20 ; Ap 3, 7.
40 Le Seigneur Jésus, maître et modèle divin de toute perfection, a prêché à tous et à chacun de ses disciples, de quelque condition qu’ils soient, la sainteté de vie, dont lui-même est à la fois l’auteur et le consommateur : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48) 2. Sur tous en effet il a répandu l’Esprit Saint, pour les mouvoir de l’intérieur à aimer Dieu de tout leur coeur, de toute leur âme, de tout leur esprit, de toutes leurs forces (cf. Mc 12,30) et à s’aimer les uns les autres comme le Christ les a aimés (cf. Jn 13,34 Jn 15,12). Les disciples du Christ, appelés par Dieu non pas selon leurs oeuvres, mais selon son dessein gracieux, et justifiés en Jésus, le Seigneur, sont véritablement devenus dans le baptême de la foi fils de Dieu et participants de la nature divine et, par conséquent, réellement saints. Cette sanctification qu’ils ont reçue il faut donc qu’avec l’aide accordée par Dieu ils la gardent dans leur vie et la portent à son achèvement. Ils sont exhortés par l’Apôtre à vivre « comme il convient à des saints » (Ep 5,3) et à se revêtir « comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, des sentiments de profonde miséricorde, de bonté, d’humilité, de modestie, de patience » (Col 3,12) et à porter les fruits de l’Esprit pour la sanctification (cf. Ga 5,22 Rm 6,22). Et comme nous nous rendons tous coupables de manquements sur bien des points (cf. Jc 3,2), nous avons constamment besoin de la miséricorde de Dieu et tous les jours nous devons formuler la prière : « Pardonne-nous nos offenses » (Mt 6,12)3.
Il est donc clair pour tous que tous les fidèles, quel que soit leur état ou leur rang, sont appelés à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité4, sainteté qui, dans la société terrestre elle-même, contribue à la promotion d’un mode de vie plus humain. Pour atteindre cette perfection, les fidèles emploieront les forces reçues à la mesure du don du Christ de façon à ce que, marchant sur ses traces et devenus conformes à son image, obéissant en tout à la volonté du Père, ils se vouent de toute leur âme à la gloire de Dieu et au service du prochain. Ainsi la sainteté du Peuple de Dieu croîtra en produisant des fruits abondants, comme l’histoire de l’Église le montre clairement à travers la vie de tant de saints.
2 Cf. Origène, Comm. Rom 7,7: PG 14, 1122 B. Ps.-Macaire, De Oratione, 11 : PG 34, 861 AB. Thomas, Summa Theol. II-II, q. 184, a. 3.
3 Cf. Augustin, Retract. II, 18 : PL 32, 637 s. ; BA 12. — Pie XII, Encycl. Mystici Corporis, 29 juin 1943 : AAS 35 (1943), p. 225.
41 Dans la diversité des formes de vie et des tâches, c’est une seule sainteté qui est cultivée par tous ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu et qui, obéissant à la voix du Père et adorant Dieu le Père en esprit et en vérité, marchent à la suite du Christ pauvre, humble, et portant la croix, pour mériter d’avoir part à sa gloire. Mais chacun doit résolument progresser, selon ses dons et ses fonctions propres, par la voie d’une foi vive, qui suscite l’espérance et agit par la charité.
Les pasteurs du troupeau du Christ, en premier lieu, doivent, à l’image du Prêtre souverain et étemel, Pasteur et Évêque de nos âmes, exercer avec sainteté et empressement, avec humilité et force, leur ministère, qui, s’il est exercé de cette façon, sera aussi pour eux un moyen éminent de sanctification. Choisis pour être élevés à la plénitude du sacerdoce, ils reçoivent le don de la grâce sacramentelle pour que, par la prière, l’offrande du sacrifice, la prédication, par toutes les formes de la sollicitude et du service épiscopal, ils exercent en perfection la charge de la charité pastorale5, pour qu’ils ne craignent pas de donner leur vie pour leurs brebis, et pour que, devenant un modèle pour leur troupeau (cf. 1P 5,3), ils fassent, aussi par leur exemple, progresser l’Église vers une sainteté de jour en jour plus grande.
A la ressemblance de l’ordre des évêques, dont ils forment la couronne spirituelle 6, ayant part à la grâce de leur charge dans le Christ, éternel et unique Médiateur, les prêtres * s’efforceront de grandir dans l’amour de Dieu et du prochain par l’exercice quotidien de leur fonction, de maintenir entre eux le lien de la communion sacerdotale, d’abonder en tout bien spirituel et de fournir à tous un vivant témoignage de Dieu 7, se faisant les émules de ces prêtres qui, au cours des siècles, ont laissé un exemple éclatant de sainteté dans un service souvent humble et caché. Leur louange demeure dans l’Eglise de Dieu. Priant et offrant le sacrifice, au titre de leur fonction, pour leur peuple et pour tout le Peuple de Dieu, prenant conscience de ce qu’ils font et se conformant à ce qu’ils accomplissent8, loin de se laisser entraver par les soucis, les dangers et les tribulations de l’apostolat, les prêtres doivent plutôt s’élever par là à une plus haute sainteté en nourrissant et soutenant leur action à partir des richesses de la contemplation, pour la joie de toute l’Église de Dieu. Tous les prêtres *, et spécialement ceux qui au titre particulier de leur ordination sont appelés prêtres diocésains, se rappelleront combien l’union fidèle et la collaboration généreuse avec leur évêque contribuent à leur sanctification. A la mission et à la grâce du souverain Prêtre participent aussi, d’une façon particulière, les ministres de l’ordre inférieur, en premier Heu les diacres, qui étant au service des mystères du Christ et de l’ÉgHse9, doivent se garder purs de tout vice, plaire à Dieu et veiller à toute oeuvre bonne devant les hommes (cf. 1Tm 3,8-10 et 12-13). Les clercs, qui, appelés par le Seigneur et réservés pour être sa part, se préparent sous la vigilance des pasteurs aux fonctions de ministres, sont tenus à conformer leur esprit et leur coeur à une élection si haute, en se montrant assidus à la prière, fervents dans l’amour, ayant en vue tout ce qui est vrai, juste, de bonne réputation, accompHssant tout pour la gloire et l’honneur de Dieu. S’y ajoutent les laïcs choisis par Dieu, qui sont appelés par l’évêque pour s’adonner pleinement aux tâches apostoüques, et qui travaillent de façon très fructueuse dans le champ du Seigneur 10.
En suivant la route qui leur est propre, les époux et les parents chrétiens, pour leur part, doivent se soutenir mutuellement dans la grâce, tout au long de leur vie, par un amour fidèle, et imprégner du sens des vérités chrétiennes et des vertus de l’Évangile les enfants qu’ils ont reçus avec amour de Dieu. Ainsi ils donnent à tous l’exemple d’un amour inlassable et généreux, ils construisent une fraternité de charité, ils sont les témoins et les coopérateurs de la fécondité de la Mère Église, en signe et en participation de l’amour dont le Christ a aimé son Épouse et s’est livré pour elle 11. Un exemple semblable est donné d’une autre manière par les veuves et les célibataires qui, eux aussi, peuvent contribuer pour une part non négligeable à la sainteté et à l’activité dans l’Église. Quant à ceux qui s’adonnent à des travaux souvent durs, il faut qu’ils s’accomplissent eux-mêmes à travers les tâches humaines, qu’ils aident leurs concitoyens, qu’ils cherchent à améliorer l’état de la société tout entière et de la création, mieux encore qu’avec une charité active ils imitent le Christ, dont les mains ont exécuté des travaux d’artisan et qui, avec son Père, ne cesse d’agir pour le salut de tous ; qu’ils le fassent, en étant remplis de la joie de l’espérance, en portant les fardeaux les uns des autres, et que par leur travail quotidien ils puissent s’élever à une sainteté plus haute, même apostolique.
Que ceux sur qui pèse le poids de la pauvreté, de l’infirmité, de la maladie et d’autres tribulations, ou qui souffrent persécution, pour la justice, sachent qu’ils sont unis, de façon spéciale, au Christ qui souffre pour le salut du monde : le Seigneur les a proclamés heureux dans l’Évangile et « le Dieu de toute grâce qui nous a appelés à sa gloire éternelle dans le Christ Jésus, après une courte période de souffrance, les rétablira, les affermira et les rendra inébranlables » (1P 5,10).
Ainsi donc tous les fidèles du Christ se sanctifieront chaque jour davantage dans les conditions, les charges et les circonstances de leur vie, et au moyen de tout cela, s’ils acceptent tout avec foi de la main du Père céleste et s’ils coopèrent à la volonté de Dieu, en manifestant à tous, dans le service temporel lui-même, l’amour dont Dieu a aimé le monde.
4 Cf. Pie XI, Encycl. Rerum omnium, 26 janv. 1923 : AAS 15 (1923), p. 50 et p. 59-60. Encycl. Casti Connubii, 31 déc. 1930 : AAS 22 (1930), p. 548. Pie XII, Const. Apost. Provida Mater, 2 févr. 1947 : AAS 39 (1947), p. 117. Alloc. Annus sacer, 8 déc. 1950 : AAS 43 (1951), p. 27-28. Alloc. Neldarvi, 1er juillet 1956 : AAS 48 (1956), p. 574 s.
5 Cf. Thomas, Summa Théol II-II, q. 184, a. 5 et 6. De perf. vitae spir., c. 18. Origène, In Is. Hom. 6, 1 : PG 13, 239.
6 Cf. Ignace M., Magn. 13, 1 : éd. Funk, I, p. 241 ; SC 10.
7 Cf. S. Pie X, Exhort. Haerent animo, 4 août 1908 : ASS 41 (1908), p. 560 s. Cod. iur. Can., can. 124. Pie XI, Encycl. Ad catholici sacerdotii, 20 déc. 1935 : AAS 28 (1936), p. 22 s.
8 Pontifical romain, Ordo comnrationis sacerdotalis, dans l’exhortation initiale.
9 Cf. Ignace M., Trall 2, 1 : éd. Funk, I, p. 244; SC 10.
10 Cf. Pie XII, Alloc. Sous la maternelle protection, 9 déc. 1957 : AAS 50 (1958), p. 36.
11 Cf. Pie XI, Encycl. Casti Connuhii, 31 déc. 1930 : AAS 22 (1930), p. 548 s. Jean Chrysostome, In Ephes. Hom. 20, 2 : PG 62, 136 s.
42 « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui » (1Jn 4,16). Or Dieu a répandu sa charité dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (cf. Rm 5,5); par conséquent, le don premier et le plus nécessaire est la charité par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toutes choses et le prochain à cause de Dieu. Mais pour que la charité grandisse dans les âmes et y porte des fruits comme le fait une bonne semence, chaque fidèle doit écouter volontiers la Parole de Dieu et, avec le secours de sa grâce, accomplir sa volonté en la mettant en oeuvre, participer fréquemment aux sacrements, surtout à l’Eucharistie, et aux actions liturgiques, s’appliquer constamment à la prière, à l’abnégation, au service actif des frères, et à l’exercice de toutes les vertus. En effet, la charité, en tant que lien de la perfection et plénitude de la loi (cf. Col 3,14 Rm 13,10), régit tous les moyens de sanctification, les informe et les conduit à leur fin 12 * * 15. C’est donc la charité envers Dieu ainsi qu’envers le prochain qui est la marque du vrai disciple du Christ. Comme Jésus, le Fils de Dieu, a manifesté sa charité en donnant sa vie pour nous, personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour Lui et ses frères (cf. 1Jn 3,16 Jn 15,13). Ce témoignage suprême d’amour devant tous, surtout devant les persécuteurs, certains chrétiens ont été appelés à le rendre dès les premiers temps, d’autres le seront sans cesse. C’est pourquoi le martyre, par lequel le disciple est assimilé à son Maître qui a accepté librement la mort pour le salut du monde et par lequel il est conformé à lui dans l’effusion du sang, est estimé par l’Église comme le don le plus éminent et la preuve suprême de la charité. Même si cela n’est donné qu’à un petit nombre, il faut que tous cependant soient prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix à travers les persécutions qui ne manquent jamais à l’Église.
En outre, la sainteté de l’Église est soutenue, d’une façon particulière, par les conseils multiples dont le Seigneur, dans l’Évangile, a proposé l’observance à ses disciples 13. Parmi ceux-ci, une place éminente revient à ce don précieux de la grâce divine, accordé par le Père à certains (cf. Mt 19,11 1Co 7,7), de se vouer à Dieu seul plus facilement et d’un coeur sans partage (cf. 1Co 7,32-34) dans la virginité et le célibat14. Cette continence parfaite à cause du Royaume des cieux a toujours été tenue particulièrement en honneur dans l’Eglise, comme signe et stimulant de la charité et comme une source particulière de fécondité spirituelle dans le monde. L’Église se remémore aussi l’avertissement de l’Apôtre, qui, appelant les fidèles à la charité, les exhorte à avoir en eux les sentiments qui étaient ceux du Christ Jésus, qui « s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave, [...] se faisant obéissant jusqu’à la mort » (Ph 2,7-8) et qui pour nous « s’est fait pauvre, de riche qu’il était » (2Co 8,9). Comme il est nécessaire que les disciples pratiquent toujours l’imitation de cette charité et de cette humilité du Christ et en portent toujours témoignage, la Mère Église se réjouit de trouver en son sein beaucoup d’hommes et de femmes, qui suivent de plus près et manifestent plus clairement la kénose du Seigneur, en assumant la pauvreté dans la liberté des fils de Dieu et en renonçant à leur volonté propre : c’est-à-dire, qui, au-delà de la mesure du précepte, se soumettent, en matière de perfection, à un homme à cause de Dieu, afin de se conformer plus pleinement au Christ obéissant15.
Tous les fidèles du Christ sont donc invités et tenus à chercher à atteindre la sainteté et la perfection propres à leur état. Que tous s’appliquent donc à régler leurs sentiments en toute rectitude, pour que l’usage des choses du monde et un attachement aux richesses contraire à l’esprit de pauvreté évangélique ne les empêchent pas de rechercher la charité parfaite, selon l’avertissement de l’Apôtre : « Que ceux qui usent de ce monde ne s’y arrêtent pas ; car la figure de ce monde passe » (cf. 1Co 7,31 gr) 16.
12 Cf. Augustin, Ettchir. 121, 32 : PL 40, 288 ; BA 9. Thomas, Summa Theol. II-II, q. 184, a. 1. Pie XII, Exhort. Apost. Menti nostrae, 23 sept. 1930 : AAS 42 (1950), p. 660.
13 Sur les conseils en général, cf. Origènc, Comm. Rom. X, 14 : PG 14, 1275 B. Augustin, De S. Virginitate, 15, 15 : PL 40, 403 ; BA 3. Thomas, Summa Theol. I-II, q. 100, a. 2 C (fin), II-II, q. 44, a. 4, ad 3.
14 Sur la supériorité de la virginité consacrée, cf. Tertullien, Exhort. Cast. 10 : PL 2, 925 C. Cyprien, Hab. Virg. 3 et 22 : PL 4, 443 B et 461 A s. Athanase (?), De Virg. : PG 28, 252 s. ; Jean Chrysostome, De Virg. : PG 48,533 s., SC 125.
15 En ce qui concerne la pauvreté spirituelle, cf. Mt 5, 3 et 19, 21 ; Mc 10, 21 ; Lc 18, 22 ; en ce qui concerne l’obéissance, on renvoie à l’exemple du Christ : Jn 4, 34 et 6, 38 ; Ph 2, 8-10 ; He 10, 5-7. Les témoignages des Pères et des fondateurs d’ordres abondent.
16 Sur la pratique effective des conseils qui n’est pas imposée à tous, cf. Jean Chrysostome, In Mt. Hom. 7, 7 : PG 57, 81 s. Ambroise. Dr Valais, 4, 23 : PL 16, 241 s.
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