Bernard sermons 4041
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1. C'est aujourd'hui que le Seigneur du ciel s'élève par une puissance céleste au plus haut des cieux, se dégage comme d'une vaine fumée des infirmités de la chair et revêt un vêtement de gloire. Le soleil s'est élancé dés son lever, sa chaleur a grandi et a pris de la force, il a prodigué et multiplié les flots de sa lumière sur la terre, et personne ne peut échapper à sa chaleur. La Sagesse de Dieu est retournée au séjour de la sagesse, là où tous les habitants comprennent et recherchent le bien, et n'ont pas moins de perspicacité pour le découvrir que de bon vouloir pour écouter son langage. Quant à nous, nous habitons dans un pays où la malice abonde, où la sagesse est rare, « parce que le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette demeure terrestre abat le sens par la multiplicité des soins qui l'agitent sans cesse (Sg 9,15). » Par le sens dont il est parlé ici je pense qu'il faut entendre l'intelligence. En effet, on peut dire qu'elle est véritablement abattue lorsqu'elle se livre à mille pensées, et ne se recueille point dans la seule et unique méditation de la cité par excellence dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles (Ps 121,3). Il faut que cette intelligence soit accablée, distraite par une foule de choses, en mille et mille manières. Quant à l'âme dont il est aussi parlé en cet endroit, je pense qu'elle n'est autre que nos affections qui cèdent à mille passions diverses dès que le corps se corrompt et qui, non-seulement ne peuvent se guérir, mais ne sauraient même se modérer jamais, tant que la volonté ne recherche point une seule chose, et ne tend point à cette seule et unique chose.
2. Il y a donc deux choses à purifier en nous, l'intelligence et la volonté; l'intelligence afin qu'elle apprenne à connaître, la volonté afin qu'elle sache vouloir. Heureux, oui bien des fois heureux sont Elie et Enoch qui sont éloignés de toutes les choses et de toutes les occasions qui peuvent affaiblir leur intelligence ou leur volonté : ne vivant désormais que pour Dieu, ils ne connaissent que Dieu et ne veulent que lui, d'ailleurs nous lisons au sujet d'Enoch (a) : « Il a été enlevé de peur que la malice des hommes ne corrompit son intelligence et que les apparences trompeuses des choses ne séduisissent son âme (Sg 4,11). » Pour nous, notre intelligence était troublée, pour ne point dire aveuglée, et notre volonté était souillée et même infiniment souillée; mais le Christ est venu illuminer notre intelligence et le Saint-Esprit purifie notre volonté. En effet, le Fils de l'homme a opéré tant et de telles merveilles sur la terre qu'on peut bien dire qu'il a arraché notre intelligence à l'influence de toutes les choses du monde, et nous a mis en état de penser constamment, sans jamais nous lasser, aux merveilles qu'il a faites. On peut bien dire qu'il a ouvert à vos pensées un vaste champ à parcourir, et que le torrent de ces pensées coule dans un lit si profond que, selon le Prophète, il est impossible de le passer à gué (Ez 48,5). En effet, qui peut se rendre compte, par la pensée, à quel point le Seigneur de toutes choses nous a prévenus, comment il est venu à nous, et nous a secourus, comment sa Majesté sans pareille a voulu mourir, afin que nous eussions la vie, a voulu être esclave pour que nous fussions rois, a voulu aller en exil, afin que nous revinssions dans la patrie, a voulu enfin descendre aux oeuvres les plus serviles, pour nous établir sur toutes les merveilles de ses mains?
a. Saint Bernard entend ici ces paroles d'Enoch, mais dans la Sagesse elles ont un sens général. Il est parlé d'Enoch en particulier au chapitre quarante-quatrième, verset seizième de l'Ecclésiastique, en ces termes : « Enoch plut à Dieu et fut transporté dans le Paradis . » On retrouve la même chose plus loin dans le cinquième sermon de saint Bernard, sur l'Ascension, n. 9.
4042 3. Le Seigneur des apôtres s'est montré lui-même si manifestement aux apôtres que, dès lors, ce n'est plus par les créatures visibles que nous avons pu comprendre ce qu'il y a d'invisible en Dieu (Rm 1,20), mais c'est en contemplant face à face celui qui a fait toutes choses. Comme les disciples étaient des hommes charnels tandis que Dieu est esprit, et qu'il n'y a rien de commun entre la chair et l'esprit, il s'est voilé pour eux sous des dehors corporels, et leur a montré dans une chair vivifiante le Verbe de Dieu incarné; c'était leur montrer le soleil derrière un nuage, une lumière éclatante dans un vase de terre, un flambeau allumé dans une lanterne. Le souffle de notre bouche est le Seigneur Christ, car c'est à lui que nous disons : «Nous vivrons sous votre ombre parmi les nations (Lm 4,20); » sous votre ombre, dit le Prophète, au milieu des peuples, non point au milieu des anges, où il nous sera donné de contempler sa lumière dans tout son éclat, avec un oeil d'une pureté parfaite. Voilà pourquoi il fut dit à Marie que la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre, parce qu'il y avait lieu de craindre pour elle, si elle se fût trouvée inondée de tout l'éclat de sa lumière, qu'elle ne pût même de son regard d'aigle contempler la divinité dans toute sa splendeur. Le Seigneur ne s'est donc montré à ses disciples, dans la chair, que pour détacher toutes leurs pensées des choses de ce monde et les reporter sur sa personne visible qui disait et faisait des choses merveilleuses, et, par la chair, les conduire à l'esprit, car Dieu est esprit, et il faut que ses adorateurs l'adorent en esprit et en vérité (Jn 4,24). Ne vous semble-t-il pas, après cela, qu'il a encore éclairé leur esprit quand il ouvrit leur intelligence et leur fit comprendre le sens des Ecritures, en leur montrant qu'il fallait que le Christ souffrît, ressuscitât d'entre les morts et entrât par cette voie dans sa gloire (Lc 24,26)?
4043 4. Mais, habitués à jouir de la présence de cette très-sainte chair, les apôtres ne pouvaient entendre parler d'un départ qui devait les priver de la présence du Seigneur, eux qui avaient renoncé à tout pour lui. Pourquoi cela? C'est parce que si leur intelligence était éclairée, leur volonté n'était pas encore purifiée. Aussi, entendons-nous leur doux maître leur dire avec beaucoup de douceur et de bonté : « Il vous est utile que je m'en aille; car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous... Mais parce que je vous ai dit ces choses votre coeur se remplit de tristesse (Jn 16,6-7). » Mais d'où vient que tant que le Christ restait sur la terre, l'Esprit-Saint ne pouvait descendre sur les apôtres? Est-ce qu'il lui était pénible de se trouver avec cette chair qui a été conçue et est née de lui, et par son opération, dans le sein d'une vierge et d'une vierge mère? Loin de nous cette pensée. Mais il voulait nous tracer la route que nous devons suivre, et imprimer en nous la forme qui doit être la nôtre. Et, en effet, le Christ s'éleva dans les airs, au milieu des larmes de ses apôtres, mais il leur envoya le Saint-Esprit qui purifia ou plutôt changea leurs sentiments, c'est-à-dire leur volonté; en sorte que dès-lors, après avoir voulu le retenir parmi eux, ils étaient heureux, au contraire, qu’il fût retourné dans les cieux. Voilà comment s'accomplit cette parole prophétique du Seigneur : « Vous serez dans la tristesse, mais cette tristesse se changera en joie (Jn 16,20); » c'est ainsi que le Christ éclaira leur intelligence et que le Saint-Esprit purifia leur volonté, en sorte que pour eux, connaître le bien c'est le vouloir ; or, c'est dans ces dispositions seulement que se trouve la religion parfaite ou la perfection religieuse.
5. Il me revient en mémoire, en ce moment, ce que le saint prophète Elisée répondit au prophète Elie, quand il lui disait de lui demander ce qu'il voudrait au moment où il se séparerait de lui, ou lui serait enlevé : « Je demande, dit-il, que votre double esprit demeure en moi. Elie reprit : Vous me demandez là une chose bien difficile. Néanmoins si vous me voyez quand je vous serai enlevé, vous aurez ce que vous demandez (2R 2,9-10). » Ne vous semble-t-il pas que le prophète Elie est la figure du Seigneur au jour de son ascension, et que le prophète Elisée est celle des apôtres, qui soupirent avec inquiétude au moment où le Christ monte dans les cieux ? De même que Elisée ne pouvait détacher ses yeux du prophète Elie, ainsi les apôtres ne pouvaient renoncer à la présence de Jésus-Christ. C'est à peine s'il put leur persuader que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. Mais que faut-il entendre par ce double esprit que Elisée demande, sinon la lumière de l'intelligence et la purification de la volonté? C'est une chose difficile que d'avoir ce double esprit, car il est bien rare de trouver sur la terre un homme à qui il soit donné de le posséder. « Néanmoins, avait dit Élie, si vous me voyez quand je vous serai enlevé, vous aurez ce que vous demandez.» Vos chers disciples, ô Seigneur Jésus, n'ont donc rien à perdre quand ils vous verront vous élever dans les cieux, et que, d'un regard plein de regret, ils vous suivront dans votre ascension pleine de force et de puissance. Nous pouvons certainement regarder comme le double esprit d'Elisée ce dont le Sauveur parle à ses apôtres en leur disant : « Quiconque croira en moi fera les oeuvres que je fais, il en fera même de plus grandes encore (Jn 14,12). » En effet, saint Pierre ne fit-il point de plus grandes choses que Jésus-Christ même, mais toutefois par Jésus-Christ, lorsque, selon les saintes Ecritures, «les populations apportaient les malades dans les places publiques et les déposaient sur de petits lits, afin que lorsque Pierre viendrait à passer, son ombre couvrit quelqu'un d'eux et les guérit de leurs maux (Ac 5,15) ? On ne voit, en effet nulle part, que le Sauveur ait guéri qui que ce soit par la seule vertu de son ombre.
4044 6. Pour moi, je ne fais pas un doute que votre intelligence à tous ne soit illuminée, mais j'ai plus d'un motif manifeste pour croire que votre volonté n'est pas également purifiée. Tous, en effet, vous connaissez la voie que vous devez suivre et la manière dont il faut marcher dans cette voie, mais vous ne le voulez point tous également. Il y en a plusieurs parmi vous, il est vrai, qui, non-seulement, marchent mais courent, mais volent à tous les exercices dont cette voie et cette vie sont remplies; pour eux, les veilles sont courtes, les mets qui leur sont servis sont agréables et doux, leurs pauvres vêtements sont bons, et les travaux de leur vocation non-seulement sont tolérables, mais même pleins de charmes et d'attraits; mais il y en a aussi d'autres pour qui il n'en est pas ainsi; c'est avec un coeur sec ou plutôt à contre-coeur et par une sorte de respect humain (a) qu'ils se traînent plutôt qu'ils ne se portent à toutes ces choses et sous l'empire seul de la crainte de l'enfer. Que dis-je? Il y en a même quelques-uns qui se sont fait un front de courtisane qui ne sait plus rougir, que nous ne pouvons même plus forcer à ces sortes d'exercices. Oui, mes frères, il y en a beaucoup, parmi nous, qui s'assoient à la même table que nous, dorment à côté de nous, mêlent leurs chants aux nôtres, partagent nos travaux, et que j'appellerai bien malheureux, misérables même, attendu que, partageant toutes nos tribulations, ils n'ont aucune part à nos consolations. Dirai-je que le bras du Seigneur s'est raccourci et qu'il ne peut plus donner à tous ses enfants, quand je sais qu'il n'a qu'à ouvrir la main pour combler tout être vivant de ses bénédictions? Quelle est donc la cause pourquoi il en est ainsi? La voici, je crois : c'est qu'ils ne voient pas le Christ lorsqu'il leur est ravi, en d'autres termes, ils ne songent pas comment ils les a laissés orphelins, qu'ils sont des étrangers et des voyageurs sur la terre, qu'ils sont ici-bas dans leur corps de corruption comme dans un horrible cachot, et qu'ils ne sont point avec le Christ. Pour ces religieux-là, s'ils demeurent longtemps ainsi sous le fardeau qu'ils supportent, ils finiront par succomber ou par en être écrasés; on peut dire qu'ils sont dans une sorte d'enfer et qu'ils ne respirent jamais pleinement à la lumière des miséricordes du Seigneur, ni dans cette liberté de l'esprit qui seule rend doux le joug du Seigneur et son fardeau léger.
a Dans plusieurs manuscrits, tel que celui de la Colbertine où, après ces mots : « Plutôt qu'ils ne se portent, » on lit ces autres mots : « Ces malheureux, ces misérables même, » qui ne se trouvent ici que plusieurs lignes plus bas. Ces mots: « Par une sorte de respect humain, font complètement défaut. Toutefois, il nous a semblé que nous devions les conserver, de même que dans le cinquième sermon sur l'Ascension, n. 7, où on lit : « Enfin c'est à peine si la crainte de l'enfer, à peine si le respect humain les retiennent
7. Or, cette tiédeur pernicieuse vient de ce que leur affectirâce: qu'il ne me baise point par sa doctrine, ni par sa nature, mais «qu'il me donne,» par sa grâce, «un baiser de sa bouche.» Elle exprime admirablement bien la grâce de celui qui opère son opération et le mode dont il opère; car lorsqu'elle dit «qu'il me baise,» c'est la grâce de l'opérateur; et quand elle ajoute «d'un baiser,» c'est l'opération même, je veux dire la contemplation; et lorsqu'elle continue, en disant «de sa bouche,» elle exprime en termes évidents le mode dont il opère, c'est-à-dire la manière dont se fait la contemplation, car par la bouche on entend la parole.
501 Mais, bien chers frères, nous faisons aujourd'hui la fête du Saint-Esprit, elle mérite d'être célébrée avec toute sorte de sentiments de joie et de dévotion, car il n'est rien de plus doux en Dieu que son Saint-Esprit ; il est la bonté même de Dieu, il n'est autre que Dieu même. Si donc nous faisons la fête des saints, à combien plus forte raison devons-nous célébrer la fête de celui par qui tous les saints sont devenus saints? Si nous vénérons ceux qui ont été sanctifiés, à combien plus juste titre devons-nous honorer celui qui les a sanctifiés? Nous faisons doue aujourd'hui la fête de l'Esprit-Saint qui a apparu sous une forme visible, tout invisible qu'il soit, et aujourd'hui ce même Esprit-Saint nous révèle quelque chose de sa personne, comme le Père et le Fils s'étaient précédemment révélés à nous; car c'est dans la parfaite connaissance de la Trinité que se trouve la vie éternelle. Quant à présent nous ne la connaissons qu'en partie, et pour le reste qui nous échappe, que nous ne pouvons comprendre, nous le tenons par la foi. Pour ce qui est du Père, je le connais comme créateur de toutes choses, en entendant les créatures s'écrier toutes d'une voix : « C'est lui qui nous a faites, nous ne nous sommes point faites nous-mêmes (Ps 99,3), » et saint Paul, apôtre, dire : «Ce qu'il y a d'invisible en Dieu est devenu visible depuis la création du monde, par la connaissance que les créatures en donnent (Rm 1,20). » Quant à son éternité et à son immutabilité, cela me dépasse trop pour que je puisse y rien comprendre, car il habite dans une lumière inaccessible. Pour ce qui est du Fils, j'en sais, par sa grâce, de grandes choses, je sais qu'il s'est incarné. Quant à sa génération éternelle, qui pourra la raconter (Is 53,8)? Qui peut comprendre que le Fils est égal au Père? En ce qui regarde le Saint-Esprit, si je ne connais point sa procession du Père et du Fils, car cette connaissance admirable est si loin de mon esprit, et si élevée que je ne pourrai jamais y atteindre (Ps 138,8), du moins je sais quelque chose de lui, c'est l'inspiration. Il y a deux choses dans sa procession, c'est le lieu d'où il procède et celui où il procède. La procession du Père et du Fils se trouve, pour moi, enveloppée d'épaisses ténèbres, mais sa procession vers les hommes commence à devenir accessible à ma connaissance aujourd'hui, et elle est claire maintenant pour les fidèles.
502 Dans le principe, l'Esprit-Saint invisible manifestait sa venue par des signes visibles, il fallait qu'il en fût ainsi; mais aujourd'hui, plus les signes sont spirituels, plus ils conviennent à leur nature, plus ils semblent dignes de lui. Il vint donc alors sur les apôtres sous la forme de langues de feu, afin qu'ils parlassent dans la langue de tous les peuples des paroles de feu, et qu'ils annonçassent avec une langue de feu une loi de feu. Que personne ne se plaigne que l'Esprit ne se manifeste plus à nous ainsi maintenant, « car le Saint-Esprit se manifeste à chacun selon qu'il est besoin (1Co 12,7). » Après tout, s'il faut le dire, c'est plutôt à nous qu'aux apôtres que s'est faite cette manifestation du Saint-Esprit : en effet, à quoi devaient leur servir ces langues des nations, sinon à convertir les nations? Le Saint-Esprit s'est manifesté à eux d'une autre manière qui leur était plus personnelle, et c'est de cette manière là qu'il se manifeste encore en nous à présent. En effet, il devint clair pour tous qu'ils avaient été revêtus de la vertu d'en haut, quand on les vit passer d'une si grande pusillanimité à une telle constance. Ils ne cherchent plus à fuir, ils ne songent plus à se cacher, dans la crainte des Juifs, bien loin de là, ils prêchent en public avec une constance plus grande que la crainte qui les poussait naguère à se cacher. On ne peut douter que le changement opéré en eux ne soit l'oeuvre du Très-Haut, quand on se rappelle les craintes du prince dès apôtres à la voix d'une servante, et qu'on voit aujourd'hui sa force sous les coups dont les princes des prêtres le font charger. « Les apôtres sortirent du conseil; dit l'Écriture, tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Ac 5,41), » qu'ils avaient abandonné quand on le conduisait lui-même, devant le conseil, et laissé seul par leur fuite. Peut-on douter après cela, qu'ils aient été visités par l'Esprit de force qui seul a pu faire éclater une puissance invisible dans leur âme ? C'est de la même manière aussi que les choses que l'Esprit-Saint opère en nous rendent témoignage de sa présence en nous.
503 Comme il nous a été ordonné de nous détourner du mal et de faire du bien (1P 3,11 Ps 33,145), voyez comment le Saint-Esprit vient au secours dé notre faiblesse pour nous faire accomplir ces deux commandements, car si les grâces sont différentes, l'Esprit qui les donne est le même. Ainsi, pour nous détourner du mal, il opère trois choses en nous, la componction, la supplication et la rémission. En effet, le commencement de notre retour à Dieu est dans le repentir qui n'est certainement point le fruit de notre esprit, mais de l'Esprit-Saint : c'est une vérité que la raison nous enseigne et que l'autorité confirme. En effet, quel homme, s'il s'approche du feu, transi de froid, hésitera à croire, quand il se sera réchauffé, que c'est du feu que lui vient la chaleur qu'il n'aurait pu se procurer ailleurs? Ainsi en est-il de celui .qui, transi de froid par le péché, s'il vient se réchauffer aux ardeurs du repentir, il ne peut douter qu'il a reçu un autre esprit que le sien, qui le gourmande et le juge? C'est d'ailleurs ce que nous apprend l'Évangile; car, en parlant du Saint-Esprit que les fidèles doivent recevoir, le Sauveur dit : « Il convaincra le monde de péché (Jn 16,8). »
504 Mais à quoi bon le repentir de sa faute, si on ne prie point pour en obtenir le pardon? Or, il faut encore que ceci soit opéré par le Saint-Esprit, pour qu'il remplisse notre âme d'une douce confiance qui la porte à prier avec joie et sans hésiter. Voulez-vous que je vous montre que c'est là encore l'oeuvre du Saint-Esprit? D'abord, tant qu'il sera éloigné de vous, soyez sûr que vous ne trouverez rien qui ressemble à la prière au fond de votre coeur. D'ailleurs, n'est-ce pas en lui que nous nous écrions : Mon Père, mon Père (Rm 8,16) ? N'est-ce pas lui encore qui prie pour nous avec des gémissements inénarrables (Rm 8,26), et cela dans le fond même de notre coeur? Que ne fait-il point dans le coeur du Père? Mais, de même qu'au dedans de nous, il intercède pour nous, ainsi, dans le Père, il nous pardonne nos fautes de concert avec le Père; dans nos coeurs, il remplit auprès du Père le rôle de notre avocat, et dans le coeur du Père il se conduit divers nous comme notre Seigneur. Ainsi c'est lui qui nous donne la grâce de prier, et c'est lui qui nous accorde ce que 'nous demandons dans la prière, et, en même temps qu'il nous élève vers Dieu, par une pieuse confiance en lui, il incline bien plus encore le coeur de Dieu vers nous, par un effet de sa bonté et de sa miséricorde. Aussi, pour que vous ne doutiez point que c'est le Saint-Esprit qui opère la rémission des péchés, écoutez,ce qui fut dit un jour aux apôtres : «Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez (Jn 20,22-23). » Voilà donc ce que fait le Saint-Esprit pour nous éloigner du péché.
505 Quant au bien, qu'est-ce que le Saint-Esprit opère en nous pour nous le faire faire ? Il nous avertit, il nous meut, il nous instruit. Il avertit notre mémoire, il instruit notre raison, il meut notre volonté; car toute l'âme est dans ces trois facultés. Pour ce qui est de la mémoire le Saint-Esprit lui suggère le souvenir du bien dans ses saintes pensées, et c'est par là qu'il secoue notre lâcheté et réveille notre torpeur. Aussi, toutes les fois, ô mon frère, que vous sentirez naître dans votre coeur le souvenir du bien, rendez gloire à Dieu, et hommage au Saint-Esprit, c'est sa voix qui retentit à vos oreilles, car il n'y a que lui qui parle de justice, et, comme dit l'Evangile : « Il vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit (Jn 14,26). » Mais remarquez ce qui précède : « Il vous enseignera toutes choses (Jn 14,26). » Or, je vous ai dit qu'il instruit la raison. Il y en a beaucoup qui sont pressés de bien faire, mais ils ne savent ce qu'ils doivent faire, il leur faut, pour cela, encore une grâce du Saint-Esprit. Il faut qu'après nous avoir suggéré la pensée du bien, il nous apprenne à en venir aux actes, et
à ne pas laisser la grâce de Dieu stérile dans notre coeur. Mais quoi! n'est-il pas dit que « celui-là est plus coupable, qui sait ce qu'il faut faire et ne le fait point (Jc 4,17) ? » Ce n'est donc point assez d'être averti et instruit du bien à faire, il faut encore que nous soyons mus, et portés à le faire par le Saint-Esprit qui aide notre faiblesse, et répand dans nos coeurs la charité qui n'est autre que la Bonne volonté.
506 Mais, lorsque le Saint-Esprit, survenant ainsi en vous, se sera mis en possession de votre âme tout entière, lui suggérera de bonnes pensées, l'instruira et l'excitera, en faisant entendre constamment sa voix dans nos âmes, et que nous entendrons ce que le Seigneur Dieu dira au dedans de nous en éclairant notre raison et enflammant notre volonté. Ne vous semble-t-il pas alors qu'il aura rempli, de langues de feu, la maison entière de notre âme? Car, comme je vous l'ai déjà dit, l'âme est toute dans ces trois facultés. Que ces langues de feu nous semblent distinctes les unes des autres, c'est un signe de la multiplicité des pensées de notre esprit, mais dans leur multiplicité même, la lumière de la vérité, et la chaleur de la charité, en fera comme un seul et même foyer. D'ailleurs, on peut dire que la maison de notre âme ne sera complètement remplie qu'à la fin, lorsqu'il sera versé dans notre sein une bonne mesure, une mesure foulée, pressée, enfaîtée par dessus les bords. Mais quand en sera-t-il ainsi? Seulement, lorsque les jours de la Pentecôte seront accomplis. Heureux ceux qui sont déjà entrés dans la quadragésime du repos, et qui ont commencé l'année jubilaire, je veux parler de ceux de nos frères à qui le Saint-Esprit a donné l'ordre de se reposer de leurs travaux, car c'est encore une de ses opérations. En effet, il y a deux époques que nous célébrons particulièrement, l'une est la Quadragésime, et l'autre la Quinquagésime; l'une précède la Passion et l'autre suit la Résurrection; la première est consacrée à la componction du coeur et aux larmes de la pénitence; la seconde à la dévotion de l'esprit, et au chant solennel de l'Alléluia. La sainte quarantaine est la figure de la vie présente, et les cinquante jours qui la suivent sont l'image du repos des saints qui succède à leur mort. Lorsque les jours de cette cinquantaine seront terminés, c'est-à-dire au jugement dernier, et à la résurrection, le jour de la Pentecôte sera venu, et la maison sera toute remplie de la plénitude du Saint-Esprit. Car, la terre entière sera pleine de sa majesté lorsque, non-seulement notre âme, mais aussi notre corps devenu spirituel ressuscitera, si toutefois, selon l'avis que l'Apôtre nous donne, nous avons eu soin de le semer enterre, lorsqu'il était encore tout animal (1Co 15,44).
507 1. C'est aujourd'hui, mes frères bien-aimés, que les cieux se sont fondus en eau à la face du Dieu d'Israël, et qu'une pluie volontaire est tombée sur l'héritage du Christ (Ps 67,10) ; car c'est aujourd'hui que l'Esprit-Saint qui procède du Père, est descendu sur les apôtres dans la plénitude de sa majesté, et leur a fait part des dons de sa grâce. Après les magnificences de la résurrection, après les splendeurs de l'ascension, après la gloire décernée à Jésus dans le séjour des cieux, il ne nous restait plus qu'à voir enfin la joie des justes, depuis si longtemps attendue, et les hommes du ciel remplis des dons des cieux. N'est-ce pas ce qu'avait prédit Isaïe longtemps d'avance, en termes d'un grand poids, et dans un ordre parfait, lorsqu'il disait : « Un jour viendra où le germe du Seigneur sera dans la magnificence et dans la gloire; où les fruits de la terre seront abondants, et ceux qui auront été sauvés en Israël seront dans la joie (Is 4,2) ? » Ce germe du Seigneur n'est autre que Jésus-Christ, qui seul a été conçu tout à fait sans péché, car s'il est venu dans une chair semblable à celle du péché, cependant elle n'était point une chair de péché, et pour avoir été fils d'Adam selon la chair, il ne fut point son fils selon les privations; il ne fut pas un enfant de colère par la nature comme le reste des hommes qui sont tous conçus dans l'iniquité. Or, ce germe de la tige de Jessé qui se développe dans le sein fécond d'une vierge, fut dans toute sa magnificence le jour où il ressuscita d'entre les morts; car, c'est alors, Seigneur mon Dieu, que vous avez fait paraître votre grandeur d'une manière éclatante, que vous vous êtes environné de gloire et de majesté, et revêtu de lumière et d'éclat comme d'un manteau (Ps 103,1-2). Mais ensuite, quelle ne fut point la gloire de votre ascension, lorsque vous retournâtes à votre Père, au milieu du cortège des anges et des âmes saintes, ce jour où, la palme du triomphe à la main, vous êtes entré dans les cieux, et où vous avez enfermé l'humanité que vous avez prise, dans l'identité même de la divinité ? Quel homme pourrait, je ne dis point expliquer par des paroles, mais seulement concevoir dans sa pensée, l'élévation de ce fruit mûri sur la terre, quand il alla se placer à la droite du Père, sur ce trône où il éblouit les yeux des natures célestes, lui que les anges n'osent contempler , et qu'ils craignent de toucher même du regard? O Seigneur Jésus, que ceux qui ont été sauvés en Israël, que vos apôtres dont vous avez fait choix avant la création du monde, soient inondés d'allégresse. Que votre esprit qui est bon, qui lave nos souillures et sème les vertus, vienne enfin dans un esprit de jugement et de ferveur.
2. Allons, mes frères, repassons dans notre esprit les opérations de la Trinité en nous et sur nous, depuis le commencement jusqu'à la fin du monde, et voyons avec quelle sollicitude, cette majesté divine, sur qui repose l'administration et le gouvernement des siècles, a pris soin de ne point nous perdre pour l'éternité. Elle avait tout créé dans la puissance, elle gouvernait tout dans la sagesse, et multipliait les preuves de l'une et de l'autre, c'est-à-dire de la puissance et de la sagesse, dans la création et dans la conservation de la machine ronde; quant à la bonté, cette bonté excessive qui était aussi en Dieu, elle y demeurait cachée dans le coeur du Père, mais elle devait, un jour, se répandre comme un trésor depuis longtemps grossi, sur la race des enfants d'Adam. Mais en attendant le jour propice pour cela, le Seigneur disait : « Je nourris des pensées de paix (Is 29,11), » et songeait à nous envoyer celui qui est notre paix, celui qui a réuni en un, ce qui était divisé en deux, il méditait, dis-je, de donner enfin la paix par dessus la paix, la paix à ceux qui étaient loin de lui, et la paix à ceux qui en étaient proches. Le Verbe de Dieu était établi au plus haut des cieux, mais sa propre bonté l'engagea à descendre vers nous, sa miséricorde l'arracha de son trône, la vérité, comme il avait promis de venir, le contraignit à le faire, la pureté d'un sein virginal, le reçut sans détriment pour la virginité de sa mère, et sa puissance l'en fit sortir de même; l'obéissance fut son guide en toute occasion, et la patience, son armure ; sa charité le fit reconnaître à son langage et à ses miracles.
508 3. A présent, je trouve dans la pensée de mes maux et dans le souvenir des larmes de mon Dieu, une ample matière à réflexion sur les voies que je suis, et un motif de tourner mes pas vers ses commandements. En effet, ces liens sont ineffables, parce que, pour tout dire en un mot, le Dieu sage n'a rien trouvé de meilleur pour nous racheter dans toute sa sagesse. Mais nous étions environnés de maux sans nombre; car, comme dit le Juste : « Mes péchés ont dépassé le nombre des grains de sable de la mer, et vous, Seigneur, vous me pardonnerez ces péchés pour la gloire de votre nom, parce qu'ils sont nombreux (Ps 24,12). » Si le diable envoya un serpent, aux replis tortueux, verser, par le conduit de l'oreille, dans l'âme de la femme, un venin qui devait se répandre ensuite dans toute sa race, Dieu, de son côté, envoya aussi un ange, Gabriel, pour faire entrer également par le conduit de l'oreille, dans le sein d'une vierge, le Verbe du Père, et faire pénétrer l'antidote par la même voie que le poison avait suivie. Ah! nous avons vu sa gloire, et c'était bien la gloire qui convenait au Fils unique du Père, et ce que le Christ nous a apporté du coeur de son Père n'avait rien que de paternel; en sorte que le genre humain pouvait, dans sa crainte, soupçonner dans le Fils de Dieu rien qui ne fût doux et digne du coeur d'un Père. Nous n'étions qu'une plaie depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tète, nous étions hors de la bonne voie dès le ventre de nos mères, nous étions damnés dam leur sein avant même d'y être nés, car nous sommes conçus du péché et conçus dans le péché.
4. Jésus-Christ est donc venu apporter un premier remède là même où nous sommes atteints par la première blessure; il descend substantiellement dans le sein d'une Vierge, et y est conçu par l'opération du Saint-Esprit, pour purifier ainsi notre propre conception, que l'esprit du mal avait infestée sinon faite; ne voulant pas que sa vie terrestre fût stérile, il purifie, pendant les neuf mois passés dans le sein de sa mère, notre antique blessure, en scrutant à fond, comme on dit, ce pays de purulence, afin d'y faire revenir une santé perpétuelle. Voilà comment il apparaît alors notre salut au milieu de la terre, c'est-à-dire dans le sein même de la Vierge Marie, qui est appelée le milieu de la ferre avec une admirable propriété de termes. En effet, Marie est comme le juste milieu, comme l'arche de Dieu, comme la cause de toutes choses, et l'affaire de tous les siècles, où se fixent les regards de ceux qui habitent dans le ciel, et de ceux qui sont dans les enfers, de ceux qui nous ont précédés, de nous qui venons après eux, et de ceux qui viendront après nous, des enfants de nos enfants, et des enfants qui descendront de nos petits-enfants. Ceux qui sont dans le ciel la contemplent pour être réparés, et ceux qui habitent dans les enfers fixent les yeux sur elle pour en être tirés ; ceux qui font précédée la considèrent pour être trouvés des prophètes fidèles; et ceux qui la suivent, pour être glorifiés. Voilà pourquoi toutes les nations vous proclament bienheureuse, ô Mère de Dieu, Maîtresse du inonde, Reine du ciel (Lc 1,48); oui, dis-je, toutes les nations, car il y a des générations dans le ciel comme il en est sur la terre, selon ces paroles de l'Apôtre : a Le père des esprits, de qui découle touffe paternité dans le ciel et sur la terre (Ep 3,15). » Ainsi désormais toutes les générations, ô Vierge, vous proclameront bienheureuse, parce que vous avez enfanté pour elles toutes, la vie et la gloire. N'est-ce point en vous que les anges trouvent à jamais la joie, les justes, la grâce, et les pécheurs, le pardon? C'est donc avec raison que toute créature a les yeux fixés sur vous, puisque ce n'est que par vous, en vous et, de vous que la main du Tout-Puissant a récréé ce qu'il avait créé une première fois.
509 5. Mais vous, Seigneur Jésus, me ferez-vous la grâce de me donner votre vie de même que vous m'avez donné votre conception? Car ce n'est pas assez que ma conception soit impulse, ma mort est perverse et ma vie pleine de péril; mais ma mort est suivie, d'une seconde mort plus grave que la première. Je te donnerai, me répond-il, non-seulement ma conception, mais ma vie aussi; et cela à tous les degrés des âges que tu pourras parcourir; je te donnerai donc, ô homme, mon bas-âge, mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse, je te donnerai tout, je te donnerai même ma mort, ma résurrection, et mon ascension, je t'enverrai ensuite le Saint-Esprit, et cela je le feras afin due ma conception purifie la tienne, que ma, vie façonne ta vie, ove ma mort détruise ta mort, que ma résurrection prélude à la tienne, que mon ascension prépare ton ascension et que ton esprit vienne en aide à ta faiblesse. Ainsi, tu verras sans obscurité la voie où tu dois ,marcher, tu sauras avec quelle prudence on doit y marches, et' tu verras le séjour où tu dois tendre. Dans nia vie tu connaîtras ta voie, et, en me voyant frayer les sentiers de la pauvreté, et de l'obéissance, de l'humilité et de la patience, de la charité et de la miséricorde, sans jamais m'en écarter, tu pourras marcher sur mes pas, sans t’écarter ni à droite ni à gauche. Mais dans ma mort te donnerai ma justice, je briserai le joug de ta captivité, je débusquerai les ennemis qui assiègent tes voies et les occupent et les empêcherai de te nuire. Après cela je retournerai dans le séjour d'où je suis parti, et je rendrai la vue de ma personne à ces brebis qui étaient restées sur les montagnes et que j'avais quittées, non pas pour te ramener, toi, mais pour te rapporter sur mes épaules.
5010 6. Mais, ô homme, pour que tu ne te plaignes point de mon absence et que ton coeur n'en soit point attristé, je t'enverrai l'Esprit paraclet, qui te donnera un gage de salut, la force de la vie,1a lumière de la science: le gage du salut, c'est le témoignage que cet Esprit saint rendra à ton esprit que tu es fils de Dieu : ce sont les signes bien certains (a) de prédestination qu'il imprimera et montrera dans ton coeur.
a Saint Bernard appelle ces signes , « des signes bien certains, » dans le même sens qu'il disait dans son second sermon pour l'octave de Pâques, n. 3. « Si toute certitude sur ce point nous est absolument refusée. u on peut se reporter encore su premier sermon, pour la septuagésime, n. 1, où Saint Bernard s’exprime ainsi : « Il est certain que nous ne sommes point assurés de notre salut; mais l'espérance qui s'appuie sur la foi nous console et empêche une nous ne soyons torturés par l'inquiétude et le doute à ce sujet. Aussi nous a-t-il donné des signes si manifestes de salut, qu'il n'est pas permis de douter que ceux en qui ils se rencontrent ne soient du nombre des élus. Il a voulu, s'il leur refusait la certitude du salut, afin de les maintenir dans une sorte de sollicitude à ce sujet, leur donner au moins dans l'espérance, la grâce de la consolation. On peut consulter encore là-dessus, si on veut, les notes de Horstius.
Il répandra la joie dans ton coeur et il arrosera, sinon constamment, du moins bien souvent, ton âme de la féconde rosée du Ciel. Il te donnera aussi la force de la vie en sorte que ce qui est impossible à la nature, par sa grâce, non-seulement te deviendra possible, mais même te sera facile, et te fera marcher avec bonheur comme au sein de la richesse et de l'abondance, au milieu des travaux et des veilles, dans la faim et la soif et dans toutes les observances religieuses, qui sembleraient un plat de mort si elles n'étaient édulcorées par cette douce farine. Il te donnera enfin la lumière de la science qui te fera dire, quand tu auras tout fait comme il faut que ce soit fait, que tu es un serviteur inutile : cette lumière de science qui t'empêchera de t'attribuer le bien que tu pourras trouver en toi, attendu que tout bien vient de lui, de lui, dis-je, sans qui non seulement, ô homme, tu es incapable de commencer le moindre bien, mais de commencer quelque bien que ce soit, bien loin de pouvoir le mener à bonne fin, Voilà donc, comment cet esprit t'instruira en ces trois choses, de toutes choses ; oui, de tout ce qui a rapport à ton salut, car c'est en ces trois choses que se trouve la perfection pleine et entière.
5011 C'est précisément ce qui faisait dire à un prophète, sous l'inspiration du même esprit: « semez pour vous dans la justice, » voilà pour le gage du salut : « moissonnez l'espérance de la vie, » ces mots rappellent la force de la vie; et «Allumez-vous la lumière de la science » paroles qui n'ont besoin d'aucun commentaire; et si ce même esprit a apparu sur les apôtres en langue de feu, c'est pour rappeler qu'il éclaire en même temps qu'il échauffe; aussi ceux qu'il remplit de sa présence les remplit-il en même temps de ferveur, et leur fait-il connaître en vérité qu'il n'y a que la miséricorde toute seule qui les a prévenus et qui les conduit. Le serviteur de Dieu qui disait « la miséricorde de mon Dieu me préviendra (Ps 58,11), » ou bien, « votre miséricorde, Seigneur, est devant mes yeux (Ps 25,3), » ou bien encore, « votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie (Ps 22,6), » et ailleurs, « le Seigneur m'environne de la miséricorde (Ps 102,4), » et enfin, « mon Dieu et ma miséricorde (Ps 58,11), » était bien rempli des preuves de cette miséricorde. Avec quelle douceur, Seigneur Jésus, n'avez-vous point vécu parmi les hommes! avec quelle abondance et quelle largesse ne leur avez-vous point fait du bien! quelle force n'avez-vous point montrée au milieu des traitements indignes et cruels que vous avez essuyés pour les hommes! On peut bien dire qu'il eût été plus facile d'aspirer le miel de la pierre et l'huile des rochers les plus durs, tant vous fûtes vous-mêmes dur et insensible aux paroles, plus dur encore aux coups, extrêmement dur enfin au supplice de la croix, car, au milieu de toutes ces épreuves on vous vit muet comme l'agneau qui se tait, et n'ouvre même point la bouche entre les mains de celui qui lui ravit sa toison. Vous voyez avec quelle vérité s'exprimait celui qui disait : « le Seigneur prend soin de moi (Ps 39,23). » Dieu le Père pour racheter un esclave n'épargne pas même son Fils, et le Fils va de lui-même au devant des épreuves; le Père et ce Fils envoient ensuite le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit enfin prie pour nous avec des gémissements inénarrables.
5012 O enfants d'Adam, ô hommes de pierre et de bronze, que tant de bonté, une telle flamme, un amour si brûlant, un coeur si ardent qui a échangé de si riches vêtements contre des hardes si viles, ne peuvent attendrir! cet amant de nos âmes ne nous a point rachetés au prix de choses corruptibles, à prix d'or ou d'argent, mais au prix de son précieux sang dont il a versé la dernière goutte pour nous, car Veau et le sang ont coulé à flots des cinq plaies du corps de Jésus. Qu'aurait-il dû faire de plus qu'il n'ait pas fait? il a rendu la vue aux aveugles, il a ramené dans la droite voie ceux qui s'étaient égarés; il a réconcilié les pécheurs avec Dieu, il a justifié les impies, il a passé trente-trois ans sur la terre, il vécut au milieu des hommes et mourut pour les hommes, lui qui n'eut qu'un mot à dire, et toutes les vertus angéliques, les séraphins et les chérubins, ont été créés, lui enfin qui peut tout ce qu'il veut. Que te demande donc, ô homme, celui qui t'a recherché avec une pareille sollicitude? rien autre chose que de te voir pressé du désir de monter avec ton Dieu. Or ce désir, il n'y a que le Saint-Esprit qui le fasse naître, lui qui scrute le fond de nos coeurs, qui discerne les parties de notre âme et les intentions de notre esprit, lui qui ne souffre point la présence du plus petit brin de paille dans la demeure de notre coeur, lorsqu'il s'y est établi, sans le consumer aussitôt aux ardeurs de son seul regard, cet esprit, dis-je, plein de douceur et de suavité, qui plie notre volonté, ou plutôt la redresse et la conforme à la sienne, afin que nous puissions comprendre exactement quelle elle est, l'aimer avec ferveur, et l'accomplir avec efficacité.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE DEUXIÈME SERMON POUR LA PENTECÔTE, n.6.
275. « Ce sont des signés bien certains de prédestination. Ces paroles ont quelque rapport avec les dogmes condamnés des sectaires de ce siècle (le siècle de Horstius), qui enseignent que chacun doit tenir pour certain qu'il est prédestiné, et du nombre de ceux qui seront sauvés, et le croire de cette certitude qu'on ne peut se tromper; mais gardez-vous bien de penser qu'elles favorisent ce sens impie. En effet, ce que saint Bernard appelle des signes bien certains de prédestination, ne sont pas à ses yeux des signes qui ne peuvent jamais être faux, mais qui, dans l'ordre des conjectures et des probabilités, approchent le plus de la certitude. Ils sont d'autant plus surs et certains qu'on fait plus de progrès dans la vie chrétienne. (Note de Horstius.)
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Bernard sermons 4041