Bernard sermons 7091
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1. «Vos plants sont comme un jardin délicieux (Ct 4,13).» Ce sont les paroles de félicitations que la Jérusalem , céleste fait entendre à la Jérusalem de la terre. Or les plants dont elle parle sont au . nombre de trois. Le premier est celui des gens du monde qui vivent dans les liens du mariage et qui font pénitence; le second est celui des convers qui vivent dans la continence au fond d'un cloître, et le troisième est le plant des prélats qui prêchent et qui prient pour le peuple de Dieu. C'est du premier plant, je veux dire de la pénitence, que parlent les anges qui ressentent de la joie pour la conversion d'un seul pécheur qui fait pénitence, (Lc 15,10),quand ils disent: «Qui est celle-ci qui monte par le désert comme une petite vapeur d'aromates, etc. (Ct 3,6)?» Or on entend ici par ces mots: «Qui monte par le désert,» c'est-à-dire par cette terre non frayée et aride, le fait de l'âme qui se rappelle ses péchés, et elle monte «comme une petite vapeur,» quand elle les confesse humblement. Or on dit que cette confession se fait. droit «comme monte une petite vapeur d'aromate,» parce qu'elle se partage entre plusieurs espèces de péchés, comme la fumée de l'encens qui passe par les ouvertures de l'encensoir. Il faut encore remarquer que si la fumée n'a jamais d'éclat, elle a pourtant quelquefois de l'odeur. Or, on reconnaît que la fumée de la confession dont il est parlé ici, a une certaine odeur de piété, aux paroles qui suivent: «Une vapeur d'aromates, de myrrhe et d'encens et de toutes sortes de poudres odoriférantes.» La confession doit toujours être accompagnée de la myrrhe et de l'encens, c'est-à-dire de la mortification de la chair et de l'oraison du coeur, car l'une ne peut point ou ne peut guère servir sans l'autre. En effet, si quelqu'un mortifie sa chair sans se livrer à la prière, c'est un orgueilleux, et c'est à lui qu'il est dit: «Est-ce que je mange la chair des taureaux et m'abreuvé-je du sang des boucs (Ps 49,13)?» De même, s'il prie et néglige de mortifier sa chair, Dieu lui dira: «Pourquoi m'invoquez-vous en me disant: Seigneur, Seigneur! si vous ne faites point ce que je dis (Lc 6,46).?» Ou bien encore: «Quiconque détourne l'oreille pour ne point écouter la loi, sa prière même sera exécrable (Pr 28,9).» L'une et l'autre se donnent donc un mutuel appui, puisqu'il est certain que l'une ne saurait être agréée sans l'autre.
2. Il est dit: «comme une vapeur do toutes sortes de poudres odoriférantes (Ct 3,6).» Après le souvenir et la confession des péchés, après la mortification et l'oraison, il faut produire le fruit des aumônes. On a raison de les appeler-«une poudre» attendu qu'elles ne sont que de la terre: «odoriférante» parce qu'elles exhalent l'odeur la plus suave. Voilà d'où vient qu'il a été dit à Corneille qui faisait des bonnes oeuvres: «Vos prières et vos aumônes ont monté (Ac 10,4).» Peut-être sont-elles appelées «toute espèce de poudres odoriférantes,» parce que tous les péchés, non-seulement les grands, mais aussi les plus petits doivent être broyés par la confession et déliés par la componction. Mais restons-en là pour le premier plant.
3. Le second plant est la vie des continents dans le cloître ou dans le désert. Dans ce plant il n'est fait aucune mention de désert ni de vapeur, c'est-à-dire de pénitence; mais de lumière, de splendeur et de vertu. Enfin, c'est à la louange de ce plant que la voix des anges fait entendre ces paroles: «Quelle est celle-ci qui s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, élevée comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (Ct 6,9)?» Dans ces mots il faut voir trois vertus du second plant, l'humilité, la chasteté et la charité. En effet, l'aurore est la fin de la nuit et le commencement du jour. La nuit c'est la vie du pécheur, et le jour, la vie du juste. Aussi l'aurore qui dissipe les ténèbres, annonce la lumière et se prend avec raison pour l'humilité, car de même que l'aurore sépare la nuit du jour, ainsi l'humilité sépare le juste du pécheur. C'est en effet, par elle, je veux dire par l'humilité, que le juste commence, et par elle qu'il grandit. Aussi l'Écriture parle-t-elle de «l'aurore à son lever,» afin que l'édifice des vertus commence par l'humilité et s'élève ensuite comme sur son propre fondement. C'est donc pour montrer son humilité qu'il est dit «Comme l'aurore à son lever.» Les paroles suivantes: «Belle comme la lune,» indiquent la chasteté. Or, on dit que la lune ne tient pas son éclat d'elle-même, mais le tire du soleil. Aussi, plus elle se trouve directement opposée au soleil, plus est grande la partie de son disque éclairé de sa lumière. Il en est de même d'une congrégation et de toute âme fidèle: si elle s'expose aux rayons du vrai Soleil, on ne peut douter qu'à son aspect, elle ne reçoive aussitôt un certain lustre de beauté et un éclat de chasteté. De là vient que, prenant un certain accroissement à sa lumière, et faisant quelque progrès, elle arrive à la perfection et mérite qu'on dise d'elle ce qui suit.
4. «Élevée comme le soleil.» Pourquoi comme le soleil? Est-ce parce que les justes brilleront comme le Soleil dans le. royaume de leur Père (Mt 12,14)? Mais là, d'où leur viendra cet éclat du Soleil, sinon de leur robe nuptiale? Car c'est d'elle que devaient se revêtir ceux qui étaient sur la terre et à qui il a été dit: «Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (Lc 24,49),» de cette vertu de charité dont la robe, nuptiale est le signe: quiconque en sera revêtu et l'aura convenablement ordonnée en soi, sera certainement terrible à ses ennemis, comme une armée rangée en bataille. En effet, les démons se mettent bien peu en peine des autres vertus, quelles qu'elles soient, quand elles sont sans la charité. Mais quand ils voient la charité, et qu'ils la voient réglée comme une armée rangée en bataille, ils s'enfuient avec précipitation. On peut aussi voir dans ces mots, «élevée comme le soleil,» la persévérance qui n'appartient qu'aux élus. Mais par ces paroles qui viennent après, «terrible comme une armée rangée en bataille,» on peut entendre la discrétion, qui est la mère des vertus, qui jette la terreur dans le camp des démons et les met en fuite, acquiert et conserve les vertus. On peut encore fort bien entendre et dire beaucoup d'autres choses dans ce second plant, mais qu'il suffise dans le nombre du peu que nous venons de dire.
5. Le troisième plant convient aux saints prédicateurs, dont la doctrine et la vie arrachent ce cri d'admiration: «Quelle est celle-ci qui monte du désert remplie de délices, appuyée sur son bien-aimé (Ct 8,5)?» Au premier plant il a été dit «qui est celle qui monte par le désert,» mais de celui-ci il est dit: «Quelle est celle-ci qui monte du désert?» A cause des épines qui déchirent les pénitents quand ils marchent à travers elles; ici, au contraire, les docteurs ont foulé aux pieds, avec une grande élévation d'âme, tout ce qu'ils ont pu soustraire au monde; aussi est-il dit, «qui monte du désert comblée de délices.» Mais il faut chercher quelles sont ces délices dont ils sont comblés, et quel est ce bien-aimé, et pourquoi il est dit qu'ils s'appuient sur lui. Il ne faut pas tenir pour médiocres les délices auxquelles les citoyens d'en haut donnent ce nom; car ces délices ne sont telles que pour le coeur, non pour le ventre; pour l'âme, non pour le corps; pour l'esprit, non pour la chair; pour la raison, non pour les sens; pour l'homme intérieur, non pour l'homme extérieur; ces délices, pour le dire en quelque sorte en un seul mot, c'est l'infusion abondante de la grâce spirituelle. Heureuse l'âme où une telle grâce se répand, qui se trouve prévenue des bénédictions et de la douceur d'en haut, pour devenir le temple de Dieu et l'oracle du Saint-Esprit. Une pareille âme ne saurait se trouver à court des richesses du salut, je veux dire de la sagesse et de la science, ni dépourvue du plus grand trésor du salut, la crainte du Seigneur. Quand elle se sentira remplie et comblée de ces délices, il ne lui restera plus qu'à exalter le Seigneur au plus haut des cieux, et à le louer dans la chaire des vieillards. Ce qu'elle aura entendu au fond de la chambre, elle le redira sur les toits, et c'est ainsi qu'elle sera comblée de délices; car être comblé, c'est être établi dans la prédication de la doctrine, luire par l'exemple de sa vie, et remplir avec constance les oeuvres spirituelles.
6. Mais en tout cela, il faut que tout pasteur recherche la gloire de son auteur, non la sienne; car c'est lui qui est son bien-aimé dont il est écrit: «Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi (Ct 2,16),» et c'est de lui encore que le Père a dit: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le (Lc 9,35).» C'est sur lui j qu'il faut s'appuyer, afin de rapporter tout ce qu'on fait au secours de sa grâce, car c'est de lui que tout vient, c'est par lui que tout se fait, et c'est à lui que tout se rapporte. D'ailleurs le bien-aimé du Père, qui nous enseigne toute science, nous apprendra mieux que personne pourquoi on doit s'appuyer sur lui. Il dit, en effet, à ses disciples qu'il remplissait de cette sorte de délices: «C'est moi qui suis le cep de la vigne, vous, vous en êtes les branches. Aussi, de même que la branche de la vigne ne saurait porter de fruit d'elle-même, et qu'il faut qu'elle demeure unie au cep, ainsi vous ne pouvez porter aucun fruit si vous ne demeurez en moi (Jn 15,4-5).» Et ailleurs, «sans moi vous ne pouvez rien faire.» C'est comme s'il disait sans détour; si vous voulez être comblés de délités, appuyez-vous sur moi. Mais voyons maintenant comment ils en sont comblés et comment ils s'appuient sur lui. Plaçons au milieu de nous pour nous instruire, tous, un prédicateur achevé. Eh bien donc, bienheureux Paul, soyez rempli vous-mêmes des délices qui vous appartiennent. Certainement après avoir prêché l'Évangile depuis Jérusalem et ses environs jusqu'à l'Illyrie; après avoir jeté sans récompense les fondements de l'Évangile; après avoir fait part, comme un prudent et fidèle dispensateur, des célestes trésors, et du sacrement de la foi aux Grecs et aux barbares; après avoir porté partout dans votre corps mortel, la mortification de Jésus, au milieu des nombreuses et admirables merveilles que vous avez opérées, et que nous ne saurions rappeler ici en détail, vous avez pu vous écrier avec une pleine autorité et sans orgueil aucun, bien que vous fussiez le moindre des apôtres à vos propres yeux, «sa grâce n'a point été stérile en moi; mais j'ai travaillé plus que tous les autres (1Co 15,10).» Ce sont là de grandes, et, si je puis m'exprimer de la sorte, de délicieuses délices! mais pour ne point les perdre appuyez-vous sur votre bien-aimé: «Non ce n'est pas moi qui l'ai fait, mais c'est la grâce de Dieu qui a travaillé avec moi (1Co 15,10).» Oui, oui, soyez comblé de délices; car, à vrai dire, de telles délices sont bien délicieuses. «Je puis tout, u dit-il; allons appuyez-vous sur le bien-aimé, «en celui qui fait ma force (Ph 4,13).» Le même apôtre dit encore ailleurs: «Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur (2Co 10,17) .» C'est-à-dire, que celui qui est comblé de délices, s'appuie sur son bien-aimé.
7. Tout ce que je viens de dire sur les trois plants, représentant trois genres d'hommes, que la sainte Église contient dans son sein en cette vie, et que Ézéchiel a désignés dans ses écrits par Noé, Daniel et Job, c'est avec l'aide de Dieu que je l'ai fait.; mais on pourrait sans inconvénient voir ces trois plants dans chaque saint en particulier. Ainsi, chez eux, le premier plant sera la pénitence, le second la justice, et le troisième la prédication. En effet, ils commencent leur conversion par le repentir, ils pratiquent ensuite la vertu, en vivant bien, et enfin s'ils font des progrès dans le bien, ils prêchent de bouche la justice qu'ils pratiquent dans leur conduite. Mais comme le vice tend des embûches à la vertu, et l'approche de si près que ceux qui s'éloignent de l'une tombent dans les filets de l'autre, il faut que la pénitence soit exempte de honte, et ne rougisse point de confesser les péchés commis; que la justice se donne bien de garde de feindre, et que les prélatures mettent de côté tout orgueil; car là où il y a de grandes grâces, là aussi se trouve de grandes épreuves.
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1. «Je suis venu dans mon jardin, ma soeur, mon épouse (Ct 5,1)» Ailleurs il est dit: «Le roi m'a fait entrer dans son cellier (Ct 1,3),» et dans une autre endroit on lit: «Dans sa chambre à coucher (Ct 3,4).» Cette triple introduction de l'âme raisonnable se fait par son Époux, le Verbe de Dieu, au triple sens de la sainte Écriture, je veux dire au sens historique, au sens moral et au sens mystique. Elle est introduite dans le jardin, c'est le sens historique; dans le cellier, c'est le sens moral; dans la chambre à coucher, c'est le sens mystique. Dans le jardin, c'est-à-dire dans l'histoire, se trouve contenue une triple opération de la Trinité; la création du ciel et de la terre, la rénovation du ciel et de la terre, la confirmation du ciel et de la terre. Le Père les a créés, le Fils les a réconciliés, le Saint-Esprit les a confirmés; mais autre;est le temps de la création, autre celui de la réconciliation, autre enfin celui de la confirmation; de même que dans un jardin, autre est le temps de la plantation, autre celui de la récolte des fruits, autre celui de la manducation de ces fruits. La création et la réconciliation appartiennent au siècle présent, la confirmation appartient au siècle futur. Au commencement des temps, le Père a créé; dans la plénitude des temps, le Fils a réconcilié, et, après tous les temps, le Saint-Esprit confirmera. Le Fils a dit, en parlant de son père: «Mon Père opère toujours (Jn 5,17).» et il a ajouté, en parlant de lui-même: «et moi aussi j'opère toujours (Jn 5,17).» De même le Saint-Esprit, à la fin des siècles, pourra dire avec vérité . Le Père et le Fils ont opéré jusqu'à présent, désormais moi aussi j'opère.; alors surtout qu'il aura fait nos corps spirituels, que notre corps se sera attaché à notre esprit, et notre esprit à Dieu, et que le Saint-Esprit confirmera ce même corps, en sorte que désormais on verra s'accomplir, sans aucun intervalle de temps, ce que dit l'Ecriture «Celui qui est uni à Dieu ne fait plus qu'un seul esprit avec lui (1Co 6,17).» L'ancien Testament nous instruit de la création et nous promet la réconciliation; le Nouveau nous montre la réconciliation, et nous promet la confirmation.
2. (a) La seconde introduction est l'introduction dans le cellier. Ce cellier contient la science morale et comprend trois caveaux distincts Dans le premier, se trouvent les aromates,:dans le second les fruits et dans le troisième le vin. Dans le premier se placent ceux qui sont en de bons termes avec leurs supérieurs; dans le second, ceux qui sont -bien avec leurs égaux, et dans le troisième ceux qui le sont avec leurs inférieurs. Le premier caveau est celui de la discipline, ale second celui de la nature, et le troisième celui de la grâce. En effet, quiconque s'efforce d'atteindre le terme de la vie parfaite, se fait d'abord disciple et il entre dans le caveau de la discipline, où, sous la direction d'un maître, il compose ses moeurs de diverses vertus, comme les parfumeurs composent des parfums de diverses espèces d'aromates. Aussi, ce caveau est-il appelé celui des aromates, parce que tous ceux qui embrassent d'eux-mêmes le travail de la discipline, répandent pour les autres, par leur exemple, la délicieuse odeur de l'imitation. De ce caveau, on passe directement dans le second, qui est le caveau de la nature, parce que ceux qui ont appris à rompre leur volonté sous un maître peuvent aisément vivre en bonne intelligence avec leurs condisciples. C'est dans ce caveau qu'on vit en commun avec les autres, aussi est-il bien appelé le caveau de la nature, attendu que si la nature a fait tous les hommes égaux, elle en a placé quelques-uns au dessus des autres, ou à la tête des autres, à cause de leurs vertus. On appelle aussi ce caveau le caveau des fruits, parce qu'il est très-utileque chacun communique aux autres la grâce qu'il a reçue; voilà pourquoi il est écrit: «Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte (Pr 18,16).» C'est aussi ce qui a fait dire au Prophète: «Comme il est doux et agréable à des frères de vivre unis ensemble!» Mais lorsqu'on est bien consommé dans ce caveau de la nature, alors on peut aller dans le caveau qui est celui de la grâce, en sorte qu'après avoir vécu saintement et sans discussion avec les autres, on se trouve placé à leur tête pour les façonner. Or, ce troisième caveau est le caveau au vin, parce que ceux qui sont placés à la tète des autres pour les diriger doivent bouillir de charité. On l'appelle aussi le caveau de i la grâce; ce nom peut déjà également convenir aux deux premiers caveaux, attendu que la discipline et la vie commune sont également un don de la grâce. Mais le troisième mérite plus particulièrement ce nom, parce qu'il est bien facile d'être soumis à ses supérieurs, ou de vivre en communauté, tandis qu'il est bien rare et très-difficile de passer de ces deux états, d'une manière utile, au gouvernement des autres.
a Dans plusieurs éditions, ce second point commence un second sermon, mais c'est à tort.
3. C'est dans ces trois caveaux que sont contenues et formées les moeurs de tous les hommes. En effet, tous les hommes sont ou des prélats ou des égaux ou des inférieurs. Or, de même qu'on cueille au jardin ce qu'il y a de meilleur pour le déposer dans les celliers où il y a encore une place particulière pour chaque chose, ainsi, dans l'histoire, on recueille le sens moral pour le déposer, si je puis le dire, dans le cellier, d'où on tire ensuite tout ce qui peut servir à la vie de l'homme. En effet, les prélats y lisent quels ils doivent être envers leurs inférieurs, quand ils ont ces mots sous les yeux: «Ne dominant pas sur l'héritage du Seigneur, mais vous rendant les modèles du troupeau (),» et ceux-ci encore «ce n'est pas nous qui dominons sur votre foi, mais nous sommes les aides de votre joie (2Co 1,23),» puis celles du Seigneur dans l'Évangile: «Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jn 10,11).» Les égaux trouvent également dans les saintes Écritures, la manière dont ils doivent se conduire les uns envers les autres, car ils y lisent ces paroles: «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ (Ga 6,2),» et ces autres, «prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d'honneur (Rm 12,10),» et beaucoup d'autres recommandations semblables. Les inférieurs y trouvent aussi de quoi régler leurs moeurs, et la manière dont ils doivent se soumettre à leurs supérieurs, quand ils y lisent ces paroles: «Obéissez à ceux qui vous conduisent et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vous comme devant rendre compte de vos âmes (He 13,17) (a).»
a Pour ce qui est de l'introduction de l'âme dans la chambre à coucher, on peut voir le sermon vingt-troisième sur le Cantique des cantiques n.11.
7093 remontant du lavoir et portant un double fruit, sans qu'il y en ait de stériles parmi elles»
Ct 4,2
1. Ce ne sont pas, je pense, de petits mystères que le Saint-Esprit, la source intérieure d'où s'écoule le fleuve du Cantique des cantiques, nous recommande dans ces dents. Car ce n'est pas de ces dents-là qu'il est dit: «Dieu leur brisera les dents dans la bouche (Ps 58,7),» ni de celles dont la voix de Dieu même parle en ces termes au saint homme Job: «La terreur habite autour de ses dents (Jb 41,5).» C'étaient des dents plus blanches que le lait, car c'étaient celles de l'Épouse, de celle dont le Très-Haut a aimé la beauté, et qui n'a ni tache ni ride. Car si elle était toute blanche, elle avait les dents bien plus blanches encore. Toutefois, c'est une comparaison aussi nouvelle qu'inouïe, que de dire, pour les louer: «Vos dents sont comme un troupeau de brebis tondues.» Qu'y a-t-il, en effet, de si juste dans cette comparaison, qui nous porte à croire qu'elle est descendue du mystérieux séjour du ciel? Il y a quelque chose de vraiment grand, et qui doit être senti dans toute sa grandeur par toute grande âme. En effet, c'est le Saint-Esprit qui parle ainsi; or, quand il parle, il n'y a pas un seul iota dans ce qu'il dit, qui puisse passer sans avoir un sens. Évidemment il y a quelque chose de caché dans ces dents, qui ne peut, si on le découvre, que nous découvrir le mystère d'une intelligence des plus saintes.
2. En effet, les dents sont blanches et fortes; elles n'ont ni chair ni peau; elles ne peuvent rien souffrir entre elles, et il. n'est pas de douleur comparable à leur douleur; elles sont enfermées par les lèvres, qui empêchent qu'on ne les voie, il n'est pas bien de les faire voir si ce n'est quand onrit. Elles mâchent la nourriture pour le corps tout entier, mais n'en retiennent point la saveur; elles ne s'usent pas facilement; elles sont rongées en ordre, les unes en haut et les autres en bas, et tandis que celles d'en bas sont mobiles, celles d'en haut ne le sont pas. Or, les dents ainsi envisagées sont pour moi une image des hommes qui ont embrassé la vie monastique, qui, choisissant la voie la plus courte, et la vie la plus sûre, semblent surpasser en blancheur le corps entier de l'Église qui est blanc. Qu'y a-t-il, en effet, de plus blanc que ces hommes qui, évitant toute espèce de souillures et d'immondices, versent des larmes sur leurs péchés de pensées comme sur des péchés d'action. Quoi de plus fort qu'eux? Pour eux les tribulations sont des consolations, les mépris un sujet de gloire, la pauvreté une véritable abondance. Ils n'ont pas non plus de chair, car jusques dans la chair ils oublient la chair et s'entendent dire par l'Apôtre: «Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit (Rm 8,9).» Ils n'ont pas de peau non plus, car ils n'ont ni l'éclat ni la tension des soucis de ce monde, ils dorment et reposent en paix (Ps 4,9). Ils ne souffrent pas qu'il y ait quoi que ce soit entre eux car ils regardent comme intolérable la moindre pierre d'achoppement qui se trouve soit entre eux, soit dans leur propre conscience. De là vient cette opportune importunité qui vous caractérise, et dont vous nous fatiguez si souvent, quand vous dépensez tant de fois de si longues parties du jour, même lorsque cela n'est pas nécessaire, à écarter ces pierres d'achoppement. Il n'y a pas de douleur semblable à celle des religieux, car il n'y a rien d'aussi redoutable et d'aussi horrible que les murmures et les distensions dans une maison religieuse. Les dents sont enfermées derrière les lèvres qui empêchent qu'on ne les voie; ainsi sommes-nous entourés de remparts matériels qui nous dérobent aux regards et à l'approche des gens du monde. Il n'est pas bien qu'elles paraissent, si ce n'est peut-être quand on rit; ainsi n'est-il rien de plus inconvenant qu'un religieux qu'on voit paraître dans les villes et les châteaux, à moins qu'il ne soit forcé de le faire parla charité qui couvre une multitude de péchés; la charité c'est le rire, car elle est gaie; mais sa gaieté n'est point de la dissipation. Les dents mâchent la nourriture pour tout le corps; ainsi les religieux sont établis pour prier pour le corps entier de l'Église, je veux dire pour les vivants et pour les morts. Mais ils ne doivent en retenir aucune saveur, c'est-à-dire ils ne doivent se glorifier de rien, mais au contraire, dire avec le Psalmiste: «Non, Seigneur, non, ne nous attribuez point la gloire, réservez-la pour votre nom. Elles ne s'usent pas facilement, ainsi les religieux sont d'autant plus fervents qu'ils sont plus âgés, et courent d'autant plus vite, qu'ils approchent davantage du but. Les religieux sont aussi rangés en ordre; en effet, où trouver de l'ordre si ce n'est là où le boire et le manger, la veille et le sommeil, le travail et le repos, la promenade et la sieste et le reste sont réglés, avec poids, nombre et mesure? Il y en. a aussi de placés en haut et d'autres placés en bas, puisque parmi nous se trouvent des supérieurs et des inférieurs, mais si bien unis entre eux que les supérieurs et les inférieurs se trouvent dans un parfait accord. Si les dents d'en bas peuvent remuer tandis que celles d'en haut demeurent immobiles, il en est de même des religieux, parmi lesquels, s'il arrive parfois que les inférieurs soient troublés, le devoir des supérieurs est de montrer constamment une âme inébranlable. «Comme un troupeau de brebis tondues,» est-il dit. Comme les religieux sont bien comparés à des brebis dépouillées de leur laine! ne sont-ils pas véritablement tondus ces hommes qui n'ont rien conservé en propre, ni leur coeur, ni leur corps, ni rien de ce monde? «Remontant du lavoir (Ct 4,2).» Le lavoir c'est le Baptême d'où remonte celui qui s'élève au haut de la vie parfaite, au contraire c'est descendre que de se laisser aller à une vie de honte. «Toutes portent un double fruit (Ct 4,2),» car ils enfantent également par la parole et par l'exemple. «Et il ne s'en trouve point de stérile parmi elles (Ct 4,2);» car il n'y en a pas un seul parmi les religieux qui ne porte des fruits.
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1. «Élie eut peur de Jézabel, et, s'étant enfui, il alla partout où sa volonté le portait; arrivé à Bersabé, en Juda, il renvoya son serviteur et continua sa marche dans le désert. Lorsqu'il fut arrivé sous un genévrier, il s'y assit à l'ombre, s'étendit et dormit. Alors un ange du Seigneur le toucha et lui dit: Lève-toi et mange. Il regarda et vit à sa tête un pain cuit sous la cendre et un vase plein d'eau. Il mangea donc et but, et il marcha pendant quarante jours et quarante nuits, fortifié par cette nourriture, et parvint à Horeb, appelé aussi la montagne de Dieu (1R 19,8).» Or Élie, qui signifie le Seigneur, ou le Seigneur fort, est l'image de tout juste qui souffre persécution pour la justice. Aussi est-il dit: «Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (Mt 5,10).» II craint Jézabel, c'est-à-dire la malice du siècle, la tyrannie du diable, se lève du milieu des tentations qui le poussent au péché, et s'en va partout où le pousse la volonté que lui inspire le Seigneur. Il arrive à Bersabé, en Juda, dans la sainte Église, qui est appelée Bersabé, c'est-à-dire le septième puits, à cause de l'abondance des grâces du Saint-Esprit aux sept dons qui se donne dans soit sein à tous les fidèles; Bersabé signifie encore le puits de la satiété, à cause de la profondeur des mystères de Dieu et de la réfection des saintes Écritures. Il est parlé en ces termes de cette profondeur dans les Psaumes: «Une eau profonde dans les nuées de l'air (Ps 117,21),» et ailleurs: «Vos jugements sont un profond abîme (Ps 35,7).» En considérant cette profondeur, l'Apôtre tremble, défaille d'épouvante, et s'écrie: «0 profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, etc. (Rm 11,33).»
2. Au sujet de cette satiété, on lit dans un psaume: «Il m'a élevé auprès d'une eau qui me nourrit: (Ps 22,2),» et dans un autre «Ils seront enivrés de l'abondance qui est dans votre maison (Ps 35,9).» Cette ivresse-là n'engendre point le dégoût; au contraire, elle excite de nouveaux désirs et un appétit insatiable. Dans cet Océan des saintes Écritures, l'agneau se promène et l'éléphant est à la nage. Au banquet de la doctrine catholique, chacun, selon la mesure de son intelligence, trouve une table chargée de mets suffisants. C'est un paradis de délices, un jardin où poussent toutes sortes de fruits. Ainsi, en arrivant à Bersabé, c'est-à-dire dans la sainte Église, comme nous l'avons dit plus haut, il court à la confession, qui est figurée par Juda, et il renvoie son serviteur, je veux dire son sens puéril, ou encore la faiblesse de ses premiers actes, et il se dirige vers le désert, c'est-à-dire. vers le mépris du monde. Une fois qu'il y est arrivé, il s'assied, ce qui signifie qu'il se repose de tout tumulte du monde, et chante avec le Prophète: «C'est là pour toujours le lieu de mon repos (Ps 131,14).» Il se prosterne, c'est-à-dire il se répute vil et renonce à ses désirs, suivant ce mot de l'Évangile: «Que celui qui veut venir après moi se renonce lui-même (Lc 9,23).» Il s'endort à l'ombre d'un genévrier, car dans les parvis de la maison .de Dieu, il cesse d'avoir les sens de son corps adonnés à toutes sortes d'iniquités, et il dit avec le Prophète: «Je dormirai et me reposerai dans la paix (Ps 4,9).» C'est alors qu'un ange lui apparaît , et le touche, le réveille pour faire le bien, et le fait lever pour de plus grandes choses. Il regarde à sa tète, c'est-à-dire à Jérusalem, qui est la tête de l'Église, et il trouve un pain cuit sous la cendre, c'est-à-dire le pain de la doctrine d'un Dieu, rude en apparence, mais doux, fortifiant au dedans d'une manière ineffable; puis un vase d'eau, c'est-à-dire une fontaine de larmes avec la componction du coeur. Il mange et il boit, je veux dire il fait ce qu'il entend, et, fortifié par ce qu'il vient de prendre, il marche vers la montagne de béatitude.
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1. «Or, la famine régnait en ce pays, et les enfants des prophètes demeuraient avec Élisée. Il leur fit servir un ragoût. A peine en eurent-ils goûté, qu'ils s'écrièrent: il y a dans ce pot un mets qui donne la mort, ô homme de Dieu, et ils n'en purent manger. Mais lui: apportez-moi de la farine dit-il, il la mit dans le pot et leur dit: Servez-en maintenant à tout le monde, et il en mangea lui-même, et il n'y eut plus ensuite aucune amertume dans le pot (2R 4,38-41).» La famine qui désolait le pays, c'est la disette de la parole de Dieu dans l'âme des hommes: Les fils des prophètes, ce sont les fils des prédicateurs. Le mot prophète signifie voyant. Ce n'est donc pas sans motif que les saints prédicateurs sont appelés des prophètes, car ils contemplent les secrets des mystères de Dieu, et, selon qu'ils voient en quel état sont les moeurs des hommes, ils leurs administrent des remèdes en rapport avec leurs dispositions. Élisée signifie le salut du Seigneur, c'est le nom qui convient à tout prélat, à tout docteur de l'Église, car c'est leur voix sainte et persuasive qui annonce aux peuples le salut du Seigneur, et le leur procure en le leur annonçant. Celui-ci, par exemple, pour s'acquitter de son devoir, sert à ses inférieurs un grand pot rempli d'herbes des champs je veux dire leur sert des avis pleins de gravité, remplis d'amertume, mais qui pourtant ont ressenti les chaudes influences du feu du Saint-Esprit. Mais les inférieurs, saisis de répugnance pour ces paroles austères, s'écrient: «Il y a dans ce pot un mets qui donne la mort;» et ne peuvent en manger.
2. Alors un sage dispensateur, s'il n'apporte lui-même, du moins fait apporter de la farine; car s'il ne donne point, il exhorte à avoir de la charité qui est le condiment rendant doux ce qui auparavant semblait amer. En effet, si un prédicateur peut faire retentir aux oreilles des assistants des paroles de salut, personne, si ce n'est Dieu, ne peut donner le goût de la charité au palais du coeur. C'est ce qui faisait dire à Saint Grégoire: «Si ce n'est l'esprit qui vous instruise au dedans, c'est en vain qu'au dehors les docteurs se fatiguent à vous parler (Greg. Rom. 30, in Evang.).» Or; il y a le goût du ciel et le goût de la terre; le goût du ciel ne saurait nous plaire tant que nous recherchons celui de notre cuisine. Dans le désert, Dieu donne des cailles et la manne: «Ce que les enfants d'Israël ayant vu, ils se dirent les uns aux autres: Manhu? Qu'est-ce que cela? Car ils ne savaient point ce que c'était. Moïse leur dit: C'est le pain que le Seigneur vous donne pour vous nourrir (Ex 16,15).» Saint Jean nous découvre le sens de ce fait dans son Évangile, quand il nous rapporte ces paroles du Seigneur: «Je vous le dis en vérité, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc. Aussi, plusieurs de ses disciples l'ayant entendu, dirent: ce discours est bien dur, qui peut l'écouter? Et., à partir de ce moment, beaucoup d'entre eux s'éloignèrent de lui (Jn 6,61).» Voilà comment quelques âmes simples, quand elles se convertissent, sont effrayées de la sévérité de la loi. Si on leur parle du mépris du monde, de la lutte entre les vertus et les vices; de la préoccupation des veilles, de l'assiduité de la prière, des privations et des jeûnes, elles gémissent et se disent intérieurement. Qu'est-ce cela? qui peut suffire à tant et de si grandes choses? C'est parce qu'elles ignorent quelle force on trouve dans l'ordre, une fois qu'on y est entré. Mais le Pasteur doit leur faire entendre des paroles de consolation, et les presser d'apporter de la farine.
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