Sales - vie dévote 105
105
Les fleurs, dit l'Espoux sacré (20), apparaissent en nostre terre, le tems d'esmonder et tailler est venu.
Qui sont les fleurs de nos coeurs, o Philothee, sinon les bons desirs? Or, aussi tost qu'ilz paroissent, il faut mettre la main a la serpe, pour retrancher de nostre conscience toutes les oeuvres mortes et superflues. La fille estrangere, pour espouser l'Israélite, devoit oster la robbe de sa captivité, rogner ses ongles et raser ses cheveux (21): et l'ame qui aspire a l'honneur d'estre espouse du Filz de Dieu, se doit despouiller du viel homme et se revestir du nouveau(22), quittant le peché; puis, rogner et raser toutes sortes d'empeschemens qui destournent de l'amour de Dieu. C'est le commencement de nostre santé que d'estre purgé de nos humeurs peccantes.
Saint Paul tout en un moment fut purgé d'une purgation parfaitte, comme fut aussi sainte Catherine de Gennes, sainte Magdeleine, sainte Pelagie et quelques autres; mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grace, comme la resurrection des mortz en la nature, si que nous ne devons pas y pretendre. La purgation et guerison ordinaire, soit des cors soit des espritz, ne se fait que petit a petit, par progres, d'avancement en avancement, avec peyne et loysir. Les Anges ont des aisles sur l'eschelle de Jacob, mais ilz ne volent pas, ains montent et descendent par ordre, d'eschellon en eschellon. L'ame qui monte du peché a la devotion est comparee a l'aube (23), laquelle s'eslevant ne chasse pas les tenebres en un instant, mais petit a petit. La guerison, dit l'aphorisme, qui se fait tout bellement, est tous-jours plus asseuree; les maladies du coeur, aussi bien que celles du cors, viennent a cheval et en poste, mais elles s'en revont a pied et au petit pas.
Il faut donques estre courageuse et patiente o Philothee, en cette entreprinse. Helas, quelle pitié est-ce de voir des ames lesquelles, se voyans sujettes a plusieurs imperfections apres s'estre exercees quelques fois en la devotion, commencent a s'inquieter, se troubler et descourager, laissans presque emporter leur coeur a la tentation de tout quitter et retourner en arriere. Mais aussi, de l'autre costé, n'est-ce pas un extreme danger aux ames lesquelles, par une tentation contraire, se font accroire d'estre purgees de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenans pour parfaittes avant presque d'estre faittes, en se mettant au vol sans aisles? O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostees d'entre les mains du medecin! Ha, ne vous levés pas avant que la lumiere soit arrivee, dit le Prophete (24); levés vous apres que vous aurés esté assis et luy mesme prattiquant cette leçon et ayant des-ja et nettoyé, demande de l'estre derechef (25).
L'exercice de la purgation de l'ame ne se peut ni doit finir qu'avec nostre vie: ne nous troublons donq point de nos imperfections, car nostre perfection consiste a les combattre, et nous ne sçaurions les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer. Nostre victoire ne gist pas a ne les sentir point, mais a ne point leur consentir; mais ce n'est pas leur consentir que d'en estre incommodé (26). Il faut bien que pour l'exercice de nostre humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette bataille spirituelle; neanmoins nous ne sommes jamais vaincus sinon lhors que nous avons perdu ou la vie ou le courage. Or, les imperfections et pechés venielz ne nous sçauroyent oster la vie spirituelle, car elle ne se perd que par le peché mortel; il reste donques seulement qu'elles ne nous facent point perdre le courage: Delivre-moy, Seigneur, disoit David (27), de la couardise et descouragement. C'est une heureuse condition pour nous en cette guerre, que nous soyons tous-jours vainqueurs, pourvu que nous voulions combattre.
20. - Ct 2,12
21. - Dt 21,12
22. - Ep 4,22
23. -Pr 4,18
24. - Ps 126,3
25. - Ps 1,3
26. -Variante: " or, ce n'est pas leur consentir que de recevoir des incommodités d'icelles." (Ms.-A-B)
27. - Ps 54,9
106
La premiere purgation qu'il faut faire c'est celle du peché; le moyen de la faire c'est le saint Sacrement de Penitence. Cherches le plus digne confesseur que vous pourres; prenes en main quelqu'un des petitz livres qui ont esté faitz pour ayder les consciences a se bien confesser, comme Grenade (28), Bruno (29), Arias (30), Auger (31); lises les bien, et remarques de point en point en quoy vous aves offencé, a prendre despuis que vous eustes l'usage de rayson jusques a l'heure presente; et si vous vous defies de vostre memoire, mettes en escrit ce que vous aurés remarqué. Et ayant ainsy preparé et ramassé les humeurs peccantes de vostre conscience, detestes-les et les rejettes par une contrition et desplaysir aussi grand que vostre coeur pourra souffrir, considerant ces quatre choses: que par le peché vous aves perdu la grace de Dieu, quitté vostre part de Paradis, accepté les peynes eternelles de l'enfer et renoncé a l'amour eternel de Dieu.
Vous voyes bien, Philothee, que je parle d'une confession generale de toute la vie, laquelle, certes, je confesse bien n'estre pas tous-jours absolument necessaire, mais je considere bien aussi qu'elle vous sera extremement utile en ce commencement: c'est pourquoy je vous la conseille grandement Il arrive souvent que les confessions ordinaires de ceux qui vivent d'une vie commune et vulgaire sont pleines de grans defautz: car souvent on ne se prepare point ou fort peu, on n'a point la contrition requise, ains il advient maintes fois que l'on se va confesser avec une volonté tacite de retourner au peché, d'autant qu'on ne veut pas eviter l'occasion du peché, ni prendre les expediens necessaires a l'amendement de la vie; et en tous ces cas ici la confession generale est requise pour asseurer l'ame. Mais outre cela, la confession generale nous appelle a la connoissance de nous mesmes, nous provoque a une salutaire confusion pour nostre vie passee, nous fait admirer la misericorde de Dieu qui nous a attendus en patience; elle apaise nos coeurs, delasse nos espritz, excite en nous des bons propos, donne sujet a nostre pere spirituel de nous faire des advis plus convenables a nostre condition, et nous ouvre le coeur pour avec confiance nous bien declarer aux confessions suivantes.
Parlant donq d'un renouvellement general de nostre coeur et d'une conversion universelle de nostre ame a Dieu, par l'entreprise de la vie devote, j'ay bien rayson, ce me semble, Philothee, de vous conseiller cette confession generale.
28. - Grenade (Louis de), Dominicain espagnol (1505-1588). Mémorial de la vie chrétienne (Traité Il).
29. -Bruno Vincent , Jésuite italien (15320 594). Trattato del Sacramento della Penitenza, con l'esame della confessione generale, etc. Venezia, Gioliti, 1585.
30. -Arias Prançois, Jésuite espagnol (1533-1605). L'usance de la Confession...translatée par un Pere de la mesme Societé. Anvers, Trognese, 1601.
31. - Auger Ernoud, Jésuite français (1530-1591). La maniere d'ouyr la Messe... Item, un formulaire de bien confesser ses pechez, etc. Lyon, Michel Jove, 1571.
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Tous les Israélites sortirent en effect de la terre d'Egypte, mays ilz n'en sortirent pas tous d'affection; c'est pourquoy emmi le desert plusieurs d'entre eux regrettoyent de n'avoir pas les oignons et les chairs d'Egypte (32). Ainsy il y a des penitens qui sortent en effect du peché et n'en quittent pourtant pas l'affection: c'est a dire, ilz proposent de ne plus pecher, mais c'est avec un certain contrecoeur qu' ilz ont de se priver et abstenir des malheureuses delectations du peché; leur coeur renonce au peché et s'en esloigne, mais il ne laisse pas pour cela de se retourner souventefois de ce costé la, comme fit la femme de Loth du costé de Sodome (33). Ilz s'abstiennent du peché comme les malades font des melons, lesquelz ilz ne mangent pas parce que le medecin les menace de mort s'ilz en mangent; mais ilz s'inquietent de s'en abstenir, ilz en parlent et marchandent s'il se pourroit faire, ilz les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger. Car ainsy ces foibles et Iasches penitens s'abstiennent pour quelque tems du peché, mais c'est a regret; ilz voudroient bien pouvoir pecher sans estre damnés, ilz parlent avec ressentiment et goust du peché et estiment contens ceux qui les font. Un homme resolu de se venger changera de volonté en la confession, mais tost apres on le treuvera parmi ses amis qui prend playsir a parler de sa querelle, disant que si ce n' eust esté la crainte de Dieu, il eust fait ceci et cela, et que la loy divine en cet article de pardonner est difficile; que pleust a Dieu qu'il fust permis de se venger! Ha, qui ne voit qu'encor que ce pauvre homme soit hors du peché, il est neanmoins tout embarrassé de l'affection du peché, et qu'estant hors d'Egypte en effect, il y est encor en appetit, desirant les aulx et les oignons qu'il y souloit manger! comme fait cette femme qui, ayant detesté ses mauvaises amours, se plaist neanmoins d'estre muguettee et environnee. Helas, que telles gens sont en grand peril!
O Philothee, puisque vous voulés entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le peché, mais il faut tout a fait esmonder vostre coeur de toutes les affections qui dependent du peché; car, outre le danger qu'il y auroit de faire recheute, ces miserables affections allanguiroyent perpetuellement vostre esprit, et l'appesentiroyent en telle sorte qu'il ne pourroit pas faire les bonnes oeuvres promptement, diligemment et frequemment, en quoy gist neanmoins la vraÿe essence de la devotion. Les ames lesquelles sorties de l'estat du peché ont encor ces affections et allanguissemens, ressemblent a mon advis aux filles qui ont les pasles couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goust, dorment sans repos, rient sans joye, et se traisnent plustost que de cheminer; car de mesme, ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes qu'elles ostent toute la grace a leurs bons exercices, qui sont peu en nombre et petitz en effect.
32. - Nb 11,4
33. - Gn 19,26
108
Or, le premier motif pour parvenir a (34) cette seconde purgation, c'est la vive et forte apprehension du grand mal que le peché nous apporte, par le moyen de laquelle nous entrons en une profonde et vehemente contrition; car tout ainsy que la contrition, pourveu qu'elle soit vraye, pour petite qu'elle soit, et sur tout estant jointe a la vertu des Sacremens, nous purge suffisamment du peché, de mesme quand elle est grande et vehemente, elle nous purge de toutes les affections qui dependent du peché. Une haine ou rancune foible et debile nous fait avoir a contrecoeur celuy que nous haïssons et nous fait fuir sa compaignie; mais si c'est une haine mortelle et violente, non seulement nous fuyons et abhorrons celuy a qui nous la portons, ains nous avons a degoust et ne pouvons souffrir la conversation de ses alliés, parens et amis, non pas mesme son image, ni chose qui luy appartienne. Ainsy, quand le penitent ne hait le peché que par une legere, quoy que vraye contrition, il se resoult voyrement bien de ne plus pecher, mais quand il le hait d'une contrition puissante et vigoureuse, non seulement il deteste le peché, ains encor toutes les affections , dependances et acheminemens du peché.
Il faut donques, Philothee, aggrandir tant qu'il nous sera possible nostre contrition et repentance, affin qu'elle s' estende jusques aux moindres appartenances du peché. Ainsy Magdeleine en sa conversion perdit tellement le goust des pechés et des playsirs qu'elle y avoit prins, que jamais plus elle n'y pensa; et David protestoit de non seulement haïr le peché, mais aussi toutes les voyes et sentiers d'iceluy (35): en ce point consiste le rajeunissement de l'ame, que ce mesme Prophete (36) compare au renouvellement de l'aigle.
Or, pour parvenir a cette apprehension et contrition, il faut que vous vous exercies soigneusement aux meditations suivantes, lesquelles estans bien prattiquees desracineront de vostre coeur, moyennant la grace de Dieu, le peché et les principales affections du peché; aussi les ay-je dressees tout a fait pour cet usage. Vous les feres l'une apres l'autre selon que je les ay marquees, n'en prenant qu'une pour chaque jour, laquelle vous feres le matin, s'il est possible, qui est le tems le plus propre pour toutes les actions de l'esprit (37), et la ruminerés (38) le reste de la journee. Que si vous n'estes encor pas duite a faire la meditation, voyes ce qui en sera dit en la seconde Partie.
34. - Variante: Or, le premier moyen et fondement de (Ms.-AB-C)
35. - Ps 118,104 et 128
36. - Ps 102,5
37. - Le chapitre se termine ici dans le Ms tet dans l'édition A.
38. -Variante: les remascherés et ruminerés (B).
109 Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Supplies-le qu'il vous inspire.
Considerations
1.Considerés qu'il n'y a que tant d'ans que vous n'esties point au monde, et que vostre estre estoit un vray rien. Ou estions-nous, o mon ame, en ce tems la? Le monde avoit des-ja tant duré, et de nous, il n'en estoit nulle nouvelle.
2. Dieu vous a fait esclore de ce rien, pour vous rendre ce que vous estes, sans qu'il eust besoin de vous, ains par sa seule bonté.
3. Considerés l'estre que Dieu vous a donné; car c'est le premier estre du monde visible, capable de vivre eternellement et de s'unir parfaittement a sa divine Majesté.
Affections et resolutions
1. Humilies-vous profondement devant Dieu, disant de coeur avec le Psalmiste: O Seigneur, je suis devant vous comme un vray rien (39). Et comment eustes-vous memoire de moy (40) pour me creer? Helas, mon ame, tu estois abimee dans cet ancien neant, et y serois encores de present si Dieu ne t'en eust retiree; et que ferois-tu dedans ce rien?
2. Rendes graces a Dieu. O mon grand et bon Createur, combien vous suis-je redevable, puisque vous m'estes allé prendre dans mon rien, pour me rendre par vostre misericorde ce que je suis. Qu'est ce que je feray jamais pour dignement benir vostre saint Nom et remercier vostre immense bonté?
3. Confondés-vous. Mays helas, mon Createur, au lieu de m'unir a vous par amour et service, je me suis rendue toute rebelle par mes desreglees affections, me separant et esloignant de vous pour me joindre au peché, n'honnorant non plus vostre bonté que si vous n'eussies pas esté mon Createur.
4. Abaisses-vous devant Dieu. O mon ame, sçache que le Seigneur est ton Dieu; c'est luy qui t'a fait, et tu ne t'es pas faitte toy mesme (41). O Dieu, je suis l'ouvrage de vos mains (42).
5. Je ne veux donq plus des-ormais me complaire en moy mesme, qui de ma part ne suis rien. Dequoy te glorifies-tu, o poudre et cendre (43), mais plustost, o vray neant? dequoy t'exaltes-tu? Et pour m'humilier, je veux faire telle et telle chose, supporter telz et telz mespris. Je veux changer de vie et suivre des-ormais mon Createur, et m'honnorer de la condition de l'estre qu'il m'a donné, l'employant tout entierement a l'obeissance de sa volonté par les moyens qui me seront enseignés, et desquelz je m'enquerray vers mon pere spirituel
Conclusion
1. Remercies Dieu. Benis, o mon ame, ton Dieu et que toutes mes entrailles loüent son saint Nom(44); car sa bonté m'a tiree de rien, et sa misericorde m'a creée.
2.Offres. O mon Dieu, je vous offre l'estre que vous m' aves donné, avec tout mon coeur; je le vous dedie et consacre.
3. Pries. O Dieu, fortifies moy en ces affections et resolutions; o Sainte Vierge, recommandes les a la misericorde de vostre Filz, avec tous ceux pour qui je dois prier, etc.
Pater noster, Ave.
Au sortir de l'orayson, en vous pourmenant un peu, recueilles un petit bouquet de devotion, des considerations que vous aves faites, pour l'odorer le long de la journee.
39. - Ps 38,7
40. - Ps 8,5
41. - Ps 89,3
42. - Ps 137,8
43. - Si 10,9
44. - Ps 102,1
110 Preparation
1. Mettes-vous devant Dieu.
2. Pries-le qu'il vous inspire.
Considerations
1.Dieu ne vous a pas mise en ce monde pour aucun besoin qu'il eust de vous, qui luy estes du tout inutile, mais seulement affin d'exercer en vous sa bonté, vous donnant sa grace et sa gloire. Et pour cela il vous a donné l'entendement pour le connoistre, la memoire pour vous souvenir de luy, la volonté pour l'aymer, l'imagination pour vous representer ses bienfaitz, les yeux pour voir les merveilles de ses ouvrages, la langue pour le loüer, et ainsy des autres facultés.
2.Estant creée et mise en ce monde a cette intention, toutes actions contraires a icelle doivent estre rejettees et evitees, et celles qui ne servent de rien a cette fin doivent estre mesprisees, comme vaines et superflues.
3.Considerés le malheur du monde qui ne pense point a cela, mais vit comme s' il croyoit de n'estre creé que pour bastir des maysons, planter des arbres, assembler des richesses et faire des badineries.
Affections et resolutions
1.Confondes-vous, reprochant a vostre ame sa misere, qui a esté si grande ci devant qu'elle n'a que peu ou point pensé a tout ceci. Helas, ce dires-vous, que pensois-je, o mon Dieu, quand je ne pensois point en vous? dequoy me resouvenois-je quand je vous oubliois? qu'aymois-je quand je ne vous aymois pas? Helas, je me devois repaistre de la verité, et je me remplissois de la vanité, et servois le monde qui n'est fait que pour me servir.
2.Detestes la vie passee. Je vous renonce, pensees vaines et cogitations inutiles; je vous abjure, o souvenirs detestables et frivoles; je vous renonce, amitiés infidelles et desloyales, services perdus et miserables, gratifications ingrates, complaisances fascheuses.
3. Convertisses-vous a Dieu. Et vous, o mon Dieu, mon Sauveur, vous seres doresnavant le seul objet de mes pensees; non, jamais je n'appliqueray mon esprit a des cogitations qui vous soient desaggreables: ma memoire se remplira tous les jours de ma vie, de la grandeur de vostre debonnaireté, si doucement exercee en mon endroit; vous seres les delices de mon coeur et la suavité de mes affections. Ha donq, telz et telz fatras et amusemens ausquelz je m'appliquois, telz et telz vains exercices ausquelz j'employois mes journees, telles et telles affections qui engageoient mon coeur, me seront des-ormais en horreur; et a cette intention j'useray de telz et telz remedes.
Conclusion
I. Remercies Dieu qui vous a faite pour une fin si excellente. Vous m'aves faite, o Seigneur, pour vous, affin que je jouisse eternellement de l'immensité de vostre gloire quand sera-ce que j'en seray digne, et quand vous beniray-je selon mon devoir?
2. Offrés. Je vous offre, o mon cher Createur, toutes ces mesmes affections et resolutions, avec toute mon ame et mon coeur.
3. Pries. Je vous supplie, o Dieu, d'avoir aggreables mes souhaitz et mes voeux, et de donner vostre sainte benediction a mon ame, a celle fin qu'elle les puisse accomplir par le merite du sang de vostre Filz respandu sur la Croix, etc.
Faites le petit bouquet de devotion.
111 Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Pries-le qu'il vous inspire.
Considerations
1. 1.Consideres les graces corporelles que Dieu vous a donnees: quel cors, quelles commodités de l'entretenir, quelle santé, quelles consolations loysibles pour iceluy, quelz amis, quelles assistances. Mais cela consideres-le avec une comparayson de tant d'autres personnes qui valent mieux que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices: les uns gastés de cors, de santé, de membres; les autres abandonnés a la merci des opprobres, et du mespris et des-honneur; les autres accablés de pauvreté; et Dieu n'a pas voulu que vous fussies si miserable.
2. Consideres les dons de l'esprit: combien y a-il au monde de gens hebetés, enragés, insensé; et pourquoy n'estes-vous pas du nombre? Dieu vous a favorisee. Combien y en a-il qui ont esté nourris rustiquement et en une extreme ignorance; et la Providence divine vous a fait eslever civilement et honnorablement.
3. Consideres les graces spirituelles o Phîlothee, vous estes des enfans de l'Eglise; Dieu vous a enseignee sa connoissance des vostre jeunesse. Combien de fois vous a-il donné ses Sacremens? combien de fois, des inspirations, des lumieres interieures, des reprehensions pour vostre amendement? combien de fois vous a-il pardonné vos fautes? combien de fois, delivree des occasions de vous perdre ou vous esties exposee? Et ces annees passees, n'estoyent ce pas un loysir et commodité de vous avancer au bien de vostre ame? Voyes un peu par le menu combien Dieu vous a esté doux et gracieux.
Affections et resolutions
1. Admires la bonté de Dieu. O que mon Dieu est bon en mon endroit! O qu'il est bon! Que vostre coeur, Seigneur, est riche en misericorde et liberal en debonnaireté (45)! O mon ame, racontons a jamais combien de graces il nous a faites.
2. Admires vostre ingratitude. Mais que suis-je, Seigneur, que vous ayes eu memoîre de moy (46)? O que mon indignité est grande! Helas, j'ay foulé au pied vos benefices; j'ay deshonnoré vos graces, les convertissant en abus et mespris de vostre souveraine bonté; j 'ay opposé l'abisme de mon ingratitude a l'abisme de vostre grace et faveur.
3. Excites-vous a reconnoissance. Sus donq, o mon coeur, ne veuille plus estre infidelle, ingrat et desloyal a ce grand Bienfaiteur. Et comment mon ame ne sera-elle pas meshuy sujette a Dieu (47), qui a fait tant de merveilles et de graces en moy et pour moy?
4. Ha donq, Philothee, retires vostre cors de telles et telles voluptés, rendes-le sujet au service de Dieu qui a tant fait pour luy; appliques vostre ame a le connoistre et reconnoistre, par telz et telz exercices qui sont requis pour cela; employés soigneusement les moyens qui sont en l'Eglise pour vous sauver et aymer Dieu. Ouy, je frequenteray l'orayson, les Sacremens, j'escouteray la sainte parole, je prattiqueray les inspirations et conseilz.
Conclusion
1.Remercies Dieu de la connoissance qu'il vous a donnee maintenant de vostre devoir, et de tous les bienfaitz cy devant receus.
2.Offres-luy vostre coeur avec toutes vos resolutions.
3. Pries-le qu'il vous fortifie, pour les prattiquer fidellement par le merite de la mort de son Fil; implorés l'intercession de la Vierge et des Saintz,
Pater noster, etc.
Faites le petit bouquet spirituel.
45. - Ps 85,5
46. - Ps 8,5
47. - Ps 61,1
48. - Ps 39,13
112
Preparation
1.Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Supplies-le qu'il vous inspire.
Considerations
1. Penses combien il y a que vous commencés a pecher, et voyes combien des ce premier commencement les pechés se sont multipliés en vostre coeur; comme tous les jours vous les aves accreus contre Dieu, contre vous mesme, contre le prochain, par oeuvre, par parole, par desir et pensee.
Consideres vos mauvaises inclinations, et combien vous les avés suivies. Et par ces deux pointz vous verrés que vos coulpes sont en plus grand nombre que les cheveux de vostre teste (48), voyre que le sable de la mer.
3. Consideres a part le peché d'ingratitude envers Dieu, qui est un peché general lequel s'espanche par tous les autres, et les rend infiniment plus enormes: voyes donq combien de benefices Dieu vous a fait, et que de tous, vous aves abusé contre le Donateur; singulierement, combien d'inspirations mesprisees, combien de bons mouvemens rendus inutiles. Et encor plus que tout, combien de fois aves-vous receu les Sacremens, et ou en sont les fruitz? que sont devenus ces pretieux joyaux dont vostre cher Espoux vous avoit ornee? tout cela a esté couvert sous vos iniquités.
Avec quelle preparation les aves-vous receus? Pensés a cette ingratitude, que Dieu vous ayant tant couru apres pour vous sauver, vous aves tous-jours fui devant luy pour vous perdre.
Affections et resolutions
1. Confondes-vous en vostre misere. O mon Dieu, comment ose-je comparoistre devant vos yeux? Helas, je ne suis qu'un apostheme du monde et un esgoust d'ingratitude et d'iniquité. Est il possible que j'aye esté si desloyale, que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une des puissances de mon ame, que je n'aye gasté, violé et souïllé, et que pas un jour de ma vie ne soit escoulé auquel je n'aye produit de si mauvais effectz? Est-ce ainsy que je devois contrechanger les benefices de mon Createur et le sang de mon Redempteur?
2. Demandes pardon, et vous jettés aux pieds du Seigneur comme un enfant prodigue, comme une Magdeleine, comme une femme qui auroit souïllé le lit de son mariage de toutes sortes d'adulteres. O Seigneur, misericorde sur cette pecheresse; helas, o source vive de compassion, ayes pitié de cette miserable.
3. Proposes de vivre mieux. O Seigneur, non, jamais plus, moyennant vostre grace, non, jamais plus je ne m'abandonneray au peché. Helas, je ne l'ay que trop aymé; je le deteste, et vous embrasse, o Pere de misericorde; je veux vivre et mourir en vous.
4. Pour effacer les pechés passés, je m'en accuseray courageusement, et n 'en laisseray pas un que je ne pousse dehors.
5. Je feray tout ce que je pourray pour en deraciner entierement les plantes de mon coeur, particulierement de telz et de telz qui me sont plus ennuyeux.
6. Et pour ce faire, j'embrasseray constamment les moyens qui me seront conseillés, ne me semblant d'avoir jamais asses fait pour reparer de si grandes fautes.
Conclusion
1. Remerciés Dieu qui vous a attendue jusques a cette heure, et vous a donné ces bonnes affections.
2. Faites-luy offrande de vostre coeur pour les effectuer.
3. Pries-le qu'il vous fortifie, etc.
113
Preparation
1. Mettes-vous en la presence de Dieu.
2. Demandes-luy sa grace.
3. Imagines-vous d'estre malade en extremité dans le lit de la mort, sans esperance aucune d'en eschapper.
Considerations
1. Consideres l'incertitude du jour de vostre mort. O mon ame, vous sortires un jour de ce cors. Quand sera-ce? sera-ce en hiver ou en esté? en la ville ou au village? de jour ou de nuit? sera-ce a l'impourveu ou avec advertissement? sera-ce de maladie ou d'accident? aures-vous le loysir de vous confesser, ou non? seres-vous assistee de vostre confesseur et pere spirituel? Helas, de tout cela nous n'en sçavons rien du tout; seulement cela est asseuré que nous mourrons, et tous-jours plus tost que nous ne pensons.
2. Consideres qu'alhors le monde finira pour ce qui vous regarde, il n'y en aura plus pour vous; il renversera sans dessus dessous devant vos yeux. Ouy, car alhors les playsirs, les vanités, les joyes mondaines, les affections vaynes nous apparoistront comme des fantosmes et nuages. Ah chetifve, pour quelles bagatelles et chimeres ay je offensé mon Dieu! Vous verrés que nous avons quitté Dieu pour neant. Au contraire, la devotion et les bonnes oeuvres vous sembleront alhors si desirables et douces: et pourquoy n'ay je suivi ce beau et gracieux chemin? Alhors les pechés qui sembloyent bien petitz, paroistront gros comme des montagnes, et vostre devotion, bien petite.
3. Consideres les grans et langoureux adieux que vostre ame dira a ce bas monde: elle dira adieu aux richesses, aux vanités et vaynes compaignies, aux playsirs, aux passetems, aux amis et voysins, aux parens, aux enfans, au mari, a la femme, bref, a toute creature; et, en fin finale, a son cors, qu'elle delaissera pasle, have, desfait, hideux et puant.
4. Consideres les empressemens qu'on aura pour lever ce cors-la et le cacher en terre, et que, cela fait, le monde ne pensera plus gueres en vous, ni n'en sera plus memoire, non plus que vous n' avés gueres pensé aux autres: Dieu luy face paix, dira-on, et puis, c'est tout. O mort, que tu es considerable, que tu es impiteuse!
5. Consideres qu'au sortir du cors, l'ame prend son chemin ou a droite ou a gauche. Helas, ou ira la vostre
? quelle voye tiendra-elle? non autre que celle qu'elle aura commencee en ce monde.
Affections et resolutions
1. Pries Dieu et vous jettes entre ses bras. Las! Seigneur, receves-moy en vostre protection pour ce jour effroyable; rendés-moy cette heure heureuse et favorable, et que plustost toutes les autres de ma vie me soyent tristes et d'affliction.
2. Mesprises le monde. Puisque je ne sçai l'heure en laquelle il te faut quitter, o monde, je ne me veux point attacher a toy. O mes chers amis, mes cheres alliances, permettes-moy que je ne vous affectionne plus que par une amitié sainte, laquelle puisse durer eternellement; car, pourquoy m'unir a vous en sorte qu'il faille quitter et rompre la liaison?
3. Je me veux preparer a cette heure, et prendre le soin requis pour faire ce passage heureusement; je veux asseurer l'estat de ma conscience de tout mon pouvoir, et veux mettre ordre a telz et telz manquemens.
Conclusion
Remercies Dieu de ces resolutions qu'il vous a donnees; offres les a sa Majesté; supplies la derechef qu'elle vous rende vostre mort heureuse par le merite de celle de son Filz. Implorés l'ayde de la Vierge et des Saintz. Pater, Ave Maria. Faites un bouquet de myrrhe.
114 Preparation
1. Mettes-vous devant Dieu.
2. Supplies-le qu'il vous inspire.
Considerations
. 1.En fin, apres le tems que Dieu a marqué pour la duree de ce monde, et apres une quantité de signes et presages horribles pour lesquelz les hommes secheront d'effroi (Lc 21,26) et de crainte, le feu venant comme un deluge bruslera et reduira en cendre toute la face de la terre, sans qu'aucune des choses que nous voyons sur icelle en soit exempte.
2. Apres ce deluge de flammes et de foudres, tous les hommes ressusciteront de la terre, excepté ceux qui sont des-ja ressuscités, et a la voix de l'Archange comparoistront en la vallee de Josaphat. Mais helas, avec quelle difference car les uns y seront en cors glorieux et resplendissans , et les autres en cors hideux et horribles.
3. Consideres la majesté avec laquelle le souverain Juge comparoistra, environné de tous les Anges et Saintz, ayant devant soy sa Croix plus reluisante que le soleil, enseigne de grace pour les bons, et de rigueur pour les mauvais.
4. Ce souverain Juge, par son commandement redoutable et qui sera soudain executé, separera les bons des mauvais, mettant les uns a sa droite, les autres a sa gauche; separation eternelle, et apres laquelle jamais plus ces deux bandes ne se treuveront ensemble.
5. La separation faite et les livres des consciences ouvertz, on verra clairement la malice des mauvais et le mespris dont ilz ont usé contre Dieu; et d'ailleurs, la penitence des bons et les effectz de la grace de Dieu qu'ilz ont receuë, et rien ne sera caché. O Dieu, quelle confusion pour les uns, quelle consolation pour les autres
6. Consideres la derniere sentence des mauvais : Alles, mauditz, au feu eternel qui est preparé au diable et a ses compaignons (Mt 25,41). Peses ces paroles si pesantes. Alles, dit il: c'est un mot d'abandonnement perpetuel que Dieu fait de telz malheureux, les bannissant pour jamais de sa face. Il les appelle mauditz: o mon ame, quelle malediction! Malediction generale, qui comprend tous les maux; malediction irrevocable qui comprend tous les tems et l'eternité. Il adjouste, au feu eternel:regarde, o mon coeur, cette grande eternité. O eternelle eternité des peynes, que tu es effroyable!
7. Consideres la sentence contraire des bons: Venes, dit le Juge; ah, c'est le mot aggreable de salut par lequel Dieu nous tire a soy et nous reçoit dans le giron de sa bonté; benis de mon Pere: o chere benediction, qui comprend toute benediction! possedés le royaume qui vous est preparé des la constitution du monde (Mt 25,34). O Dieu, quelle grace, car ce royaume n'aura jamais fin!
Affections et resolutions
1.Tremble, o mon ame, a ce souvenir. O Dieu, qui me peut asseurer pour cette journee, en laquelle les colomnes du ciel trembleront de frayeur (Jb 26,11)?
2. Detestés vos pechés, qui seulz vous peuvent perdre en cette journee espouvantable.
3. Ah, je me veux juger moy-mesme maintenant, affin que je ne sois pas jugee (1Co 11,31); je veux examiner ma conscience et me condamner, m'accuser et me corriger, affin que le Juge ne me condamne en ce jour redoutable je me confesseray donq, j'accepteray les advis necessaires, etc.
Conclusion
1. Remercies Dieu qui vous a donné moyen de vous asseurer pour ce jour-la, et le tems de faire penitence.
2.Offres-luy vostre coeur pour la faire.
3. Pries-le qu'il vous face la grace de vous en bien acquitter.
Pater noster, Ave.
Faites un bouquet
Sales - vie dévote 105