Catéchèses S. J-Paul II 14482

La complémentarité du mariage et de la continence - 14 avril 1982

14482
(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 15 avril. Traduction et titre de la DC.

TRÈS CHERS FRÈRES ET SOEURS !

La solennité de Pâques, qui est à peine passée, remplit nos esprits en cette semaine, et les remplira encore durant tout ce temps pascal, de cette joie qui vient de la commémoration de la glorieuse résurrection du Christ. Nous avons parcouru la route tourmentée de sa Passion, de la dernière cène jusqu'à l'agonie et la mort sur la croix, et nous avons ensuite attendu dans le grand silence du Samedi saint le carillonnement joyeux de la « bienheureuse nuit » de la vigile.

Pâques ne doit pas seulement demeurer au niveau des émotions et des souvenirs. Elle doit laisser une trace, elle doit avoir une incidence continuelle dans notre vie, elle doit être pour nous, tous les jours, une raison d'encouragement à la cohérence et au témoignage.

Pâques est pour le chrétien une invitation à vivre « une nouvelle vie » : « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez les choses d'en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; pensez aux choses d'en haut. » (
Col 3,1-3)

Dans les événements joyeux ou tristes de la vie, dans le travail, dans la profession, à l'école, le chrétien doit témoigner que le Christ est vraiment ressuscité, en le suivant avec courage et amour et en mettant en lui toute confiance et toute espérance.

À vous tous, je souhaite de tout coeur que la pensée des festivités pascales vous accompagne et vous fasse sentir la présence joyeuse du Christ ressuscité.

1. Continuons maintenant la réflexion des semaines précédentes sur les paroles sur la continence « à cause du royaume des cieux » que le Christ, selon l'évangile de Matthieu (Mt 19,10-12), a adressées à ses disciples.

Disons encore une fois que ces paroles, dans toute leur concision, sont admirablement riches et précises, riches d'un ensemble d'implications aussi bien de nature doctrinale que pastorale et, qu'en même temps elles montrent une juste limite en la matière. Ainsi donc, toute interprétation manichéenne reste incontestablement au-delà de cette limite, comme le reste aussi, selon ce que le Christ a dit dans le Discours sur la montagne, le désir concupiscent « dans le coeur » (cf. Mt 5,27-28).

Dans les paroles du Christ sur la continence « à cause du royaume des cieux », il n'y a aucune allusion au sujet de l'« infériorité » du mariage concernant le corps ou l'essence du mariage, qui consiste dans le fait que l'homme et la femme s'y unissent de manière à devenir « une seule chair » (cf. Gn 2,24 : « les deux seront une seule chair »). Les paroles du Christ rapportées dans Matthieu Mt 19,11-12 (et aussi les paroles de Paul dans la première Lettre aux Corinthiens, chapitre 1Co 7) ne fournissent pas d'argument pour soutenir « l'infériorité » du mariage ou la « supériorité » de la virginité ou du célibat par le fait que ceux-ci consistent dans l'abstention de « l'union » conjugale « dans le corps ». Sur ce point, les paroles du Christ sont incontestablement claires. Il propose à ses disciples l'idéal de la continence et l'appel à cette continence n 'est pas proposé en raison de l'infériorité ou au détriment de l' « union » conjugale « dans le corps » mais seulement « à cause du royaume des cieux ».

2. Dans cette perspective, un éclaircissement plus approfondi de l'expression « pour le royaume des cieux » est particulièrement utile. C'est ce que nous chercherons à faire par la suite, du moins sommairement. Mais, pour ce qui est de la juste compréhension du rapport entre le mariage et la continence dont parle le Christ, et de la compréhension de ce rapport tel que l'a compris toute la Tradition, cela vaut la peine d'ajouter que cette « supériorité » et cette « infériorité » sont contenues dans les limites de la complémentarité même du mariage et de la continence à cause du royaume de Dieu. Le mariage et la continence ne s'opposent pas l'un l'autre et ne divisent pas la communauté humaine (et chrétienne) en deux camps (disons : le camp des « parfaits » à cause de la continence et celui des « imparfaits » ou des moins parfaits à cause de la réalité de la vie conjugale). Mais ces deux situations fondamentales ou, comme on avait coutume de dire, ces deux « états », s'expliquent dans un certain sens et se complètent mutuellement pour ce qui est de l'existence et de la vie (chrétienne) de cette communauté qui, dans son ensemble et dans tous ses membres, se réalise dans la dimension du règne de Dieu et a une orientation eschatologique qui est le propre de ce règne. Eh bien ! par rapport à cette dimension et à cette orientation — auxquelles doit participer dans la foi la communauté tout entière, c'est-à-dire tous ceux qui lui appartiennent — la continence « à cause du royaume de Dieu » a une particulière importance et une particulière éloquence pour ceux qui vivent la vie conjugale. On sait d'ailleurs que ces derniers constituent la majorité.

3. Il semble donc qu'une complémentarité ainsi comprise trouve sa base dans les paroles du Christ selon Matthieu Mt 19,11-12 (et aussi dans la première Lettre aux Corinthiens, chapitre 1Co 7). Il n'y a, au contraire, aucune base pour une opposition hypothétique selon laquelle les célibataires, en raison de la seule continence, constitueraient la classe des « parfaits » et, au contraire, les personnes mariées, la classe des « non- parfaits » (ou des « moins parfaits »). Si, en s'en tenant à une certaine tradition théologique, on parle de l'état de perfection (status perfectioniè), on le fait non pas en raison de la continence elle-même, mais par rapport à l'ensemble de la vie basée sur les conseils évangéliques (pauvreté, chasteté, obéissance), car cette vie correspond à l'appel du Christ à la perfection (« Si tu veux être parfait. ») (Mt 19,21). La perfection de la vie se trouve mesurée, au contraire, par la charité. Il s'ensuit qu'une personne qui ne vit pas dans 1' « état de perfection » (c'est-à-dire dans une institution qui fonde son plan de vie sur les voeux de pauvreté, de charité et d'obéissance), ou qui ne vit pas dans un institut religieux mais dans « le monde », peut atteindre de fait un degré supérieur de sainteté — dont la mesure est la charité — par rapport à la personne qui vit dans « l'état de perfection » avec un degré moindre de charité. C'est pourquoi celui qui l'atteint, même s'il ne vit pas dans un « état de perfection » institutionnalisé, parvient à cette perfection qui jaillit de la charité, à travers la fidélité à l'esprit de ces conseils. Cette perfection est possible et accessible à tout être humain, aussi bien dans un « institut religieux » que dans « le monde ».

4. Aux paroles du Christ rapportées par Matthieu (Mt 19,11-12) semble donc correspondre adéquatement la complémentarité du mariage et de la continence « à cause du royaume des cieux » dans leur signification et dans leur portée multiple. Dans la vie d'une communauté authentiquement chrétienne, les attitudes et les valeurs propres de l'un et l'autre état, c'est-à-dire de l'un ou l'autre choix essentiel et conscient comme vocation pour toute la vie terrestre et dans la perspective de l' « Église céleste », se complètent et, dans un certain sens se compénètrent mutuellement. Le parfait amour conjugal doit être marqué par cette fidélité et ce don à l'unique Époux (et aussi par la fidélité et par le don de l'unique Époux à l'unique Épouse) sur lequel sont fondés la profession religieuse et le célibat sacerdotal. En définitive, la nature de l'un et l'autre amour est « sponsal », c'est-à-dire exprimé à travers le don total de soi. L'un et l'autre amour tend à exprimer cette signification sponsale du corps qui, « depuis l'origine », est inscrit dans la structure personnelle même de l'homme et de la femme. Nous reprendrons par la suite cet argument.

5. D'autre part, l'amour sponsal qui trouve son expression dans la continence « à cause du royaume des cieux » doit porter, dans son développement régulier à la « paternité » ou à la « maternité » au sens spirituel (ou précisément à cette « fécondité de l'Esprit-Saint » dont nous avons déjà parlé), de manière analogue à l'amour conjugal qui mûrit dans la paternité et la maternité physique et qui se confirme précisément en elles comme un amour sponsal. De son côté, même la procréation physique répond pleinement à sa signification, mais seulement si elle se trouve complétée par la paternité et la maternité dans l'esprit dont l'expression et le fruit sont toute l'oeuvre éducatrice des parents à l'égard des enfants qui sont nés de leur union conjugale et corporelle.

Comme on le voit, ils sont nombreux les aspects et les sphères de la complémentarité de la vocation, au sens évangélique, de ceux qui « prennent femme et mari » et de ceux qui choisissent consciemment et volontairement la continence « à cause du royaume des cieux » (Mt 19,12).

Dans sa première Lettre aux Corinthiens (dont nous ferons l'analyse par la suite durant nos considérations), saint Paul écrira sur ce sujet : « Chacun reçoit de Dieu un don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là. » (1Co 7,7)

La paix dans le monde

Au cours de l'audience, le Pape a invité les personnes présentes à prier pour la paix dans le monde :

Je recommande à votre prière et aux prières du monde chrétien tout entier les situations de conflit dont j'ai déjà parlé lors de l'Angelus du dimanche des Rameaux et dans le message du jour de Pâques.

Je veux rappeler en particulier la tension qui semble aller en s'aggravant, malgré des efforts généreux de médiation, entre l'Argentine et la Grande-Bretagne. En outre, les raisons d'anxiété causées par les douloureuses perturbations qui ont eu lieu en Terre sainte, en particulier à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza, à la suite du geste inconsidéré qui a été fait devant la mosquée El Aksa, à Jérusalem, causant des victimes innocentes et donnant naissance à d'autres faits douloureux, s'accroissent. Prions pour que ces nuages de préoccupation et d'autres qui s'amoncellent sur la terre de Jésus et sur le Proche-Orient se dissipent et que le souci de la compréhension et de la réconciliation puisse prévaloir dans la considération de toutes les parties intéressées.



Aux fidèles d'expression française

Chers Frères et Sœurs,

Dans la joie de la fête de Pâques, je tiens à vous offrir mes vœux afin qu’elle laisse une trace durable dans votre vie et soit source, chaque jour, d’encouragements à la cohérence et au témoignage.

Poursuivant nos réflexions sur l’appel à la chasteté pour le Royaume des Cieux, il convient d’insister sur la complémentarité des deux états de vie, mariage et chasteté consacrée. Lorsqu’on parle d’état de perfection, il faut rappeler que la perfection de la vie chrétienne est mesurée à l’aune de la charité. Ainsi celui qui a fait le choix du mariage, peut parvenir à un état de perfection plus haut, en fait, que celui atteint par d’autres, qui ont fait le choix de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance. Ainsi, dans une communauté chrétienne authentique, les valeurs de l’un et l’autre choix se complètent et en un certain sens, se compénètrent. L’un et l’autre expriment la signification nuptiale du corps, inscrite “au commencement” dans l’homme et dans la femme.

Avec joie, je vous salue, vous tous qui êtes venus ici et vous accorde bien volontiers ma Bénédiction Apostolique pour vous-mêmes, et tous ceux qui vous sont chers.



La signification du célibat - 21 avril 1982

21482
(1) Texte italien dans l’Osservatore Romano du 22 avril. Traduction et titre de la DC.


1. Poursuivons les réflexions sur les paroles du Christ concernant la continence « à cause du royaume des cieux ».

Il n'est pas possible de comprendre pleinement la signification et le caractère de la continence si la dernière partie de l'énoncé du Christ, « pour le royaume des cieux », n'est pas remplie de son contenu adéquat, concret et objectif. Nous avons dit précédemment que cette partie exprime la raison ou met en relief, dans un certain sens, la finalité subjective de l'appel du Christ à la continence. Cependant, l'expression

a, en elle-même, un caractère objectif et indique de fait une réalité objective par laquelle toutes les personnes, hommes et femmes, peuvent « devenir » des eunuques, comme dit le Christ. La réalité du « royaume » dans l'énoncé du Christ selon Matthieu (
Mt 19,11-12) est définie de manière précise et, en même temps, de manière générale, c'est-à-dire de manière qu'elle puisse comprendre toutes les déterminations et les significations particulières qui lui sont propres.

2. Le « royaume des cieux » signifie le « royaume de Dieu » que le Christ prêchait dans son accomplissement final, c'est-à-dire eschatologique. Le Christ prêchait ce royaume dans sa réalisation ou son instauration temporelle et, en même temps, il l'annonçait dans son accomplissement eschatologique. L'instauration temporelle du royaume de Dieu est en même temps son inauguration et sa préparation à l'accomplissement définitif. Le Christ appelle à ce royaume et, dans un certain sens, y invite tous les hommes (cf. la parabole du banquet des noces, Mt 22,1-14). S'il appelle quelques-uns à la continence « à cause du royaume des cieux », il ressort du contenu de cette expression qu'il les appelle à participer de manière singulière à l'instauration du royaume de Dieu sur la terre, grâce auquel commence et se prépare la phase définitive du « royaume des cieux ».

3. Dans ce sens, nous avons dit que cet appel portait en lui le signe particulier du dynamisme propre du mystère de la rédemption du corps. Ainsi donc, dans la continence pour le royaume des cieux, on met en évidence, comme nous l'avons déjà mentionné, le renoncement à soi-même, le fait de prendre sa croix tous les jours pour suivre le Christ (cf. Lc 9,23) et cela peut aboutir jusqu'à impliquer le renoncement au mariage et à une famille propre. Tout cela découle de la conviction que, de cette manière, il est possible de contribuer davantage à la réalisation du royaume de Dieu dans sa dimension terrestre avec la perspective de l'accomplissement eschatologique. Dans son énoncé selon Matthieu (Mt 19,11-12), le Christ a dit, d'une manière générale, que le renoncement volontaire au mariage a cette finalité, mais il ne spécifie pas cette affirmation. Dans son premier énoncé sur ce sujet, il ne précise pas encore pour quelles tâches concrètes cette continence volontaire est nécessaire ou indispensable pour la réalisation du royaume de Dieu sur la terre et pour en préparer l'achèvement futur. Paul de Tarse apporte quelque chose de plus à ce sujet (1 Co) et le reste sera complété par la vie de l'Église dans son développement historique, porté par le courant de l'authentique tradition.

4. Dans l'énoncé du Christ sur la continence « à cause du royaume des cieux », nous ne trouvons aucun indice plus détaillé de la manière dont il faut entendre ce royaume — aussi bien pour ce qui est de sa réalisation terrestre que pour ce qui est de son accomplissement définitif — dans sa relation spécifique et « exceptionnelle » avec ceux qui sont « devenus » volontairement eunuques à cause de lui.

On ne dit pas non plus par quel aspect particulier de la réalité que constitue le royaume, lui sont associés ceux qui sont devenus librement « eunuques ». On sait, en effet, que le royaume des cieux est pour tous : même ceux qui prennent femme et mari sont en relation avec lui sur terre et dans le ciel. Pour tous, il est la « vigne du Seigneur » où, ici, sur terre, ils doivent travailler. Il est ensuite « la maison du Père » où ils doivent se trouver dans l'éternité. Qu'est donc ce royaume pour ceux qui choisissent la continence volontaire en vue de lui ?

5. Nous ne trouvons pour le moment aucune réponse à ces questions dans l'énoncé du Christ rapporté par Matthieu (Mt 19,11-12). Il semble que cela corresponde au caractère de tout l'énoncé. Le Christ répond à ses disciples de manière à ne pas demeurer dans la ligne de leurs pensées et de leurs jugements où se cache, au moins indirectement, une attitude utilitariste à l'égard du mariage. (« Si telle est la condition. il ne faut pas se marier. » Mt 19,10) Le maître se sépare explicitement de cette manière de poser le problème et donc, en parlant de la continence « à cause du royaume des cieux », il n'indique pas pourquoi cela vaut la peine, de cette manière, de renoncer au mariage pour que ce « il faut » ne résonne pas aux oreilles des disciples avec une consonance utilitariste. Il dit seulement que cette continence est parfois requise, sinon indispensable, pour le royaume des cieux. En cela, il indique qu'elle constitue dans le royaume que le Christ prêche et auquel il appelle, une valeur parliculière en elle-même. Ceux qui la choisissent volontairement doivent la choisir par rapport à la valeur qui est la sienne et non par suite de n'importe quel autre calcul.

6. Ce ton essentiel de la réponse du Christ, qui se réfère directement à la continence elle-même « à cause du royaume des cieux », peut être également rapporté, d'une manière indirecte, au problème précédent du mariage (cf. Mt 19,3-9). En prenant donc en considération l'ensemble de l'énoncé (Mt 19,3-11), selon l'intention fondamentale du Christ, la réponse serait la suivante : si quelqu'un choisit le mariage, il doit le choisir tel qu'il a été institué par le Créateur « dès l'origine », il doit chercher en lui ces valeurs qui correspondent au plan de Dieu. Si, au contraire, il décide de choisir la continence à cause du royaume des cieux, il doit y chercher les valeurs propres à cette vocation. En d'autres termes, il doit agir conformément à la vocation choisie.

7. Le « royaume des cieux » est certainement l'accomplissement définitif des aspirations de tous les hommes auxquels le Christ adresse son message : il est la plénitude du bien que le coeur humain désire au-delà des limites de tout ce qui peut être sa part au cours de la vie terrestre, il est la plus grande plénitude du plus grand don que Dieu fait à l'homme. Dans l'entretien avec les Sadducéens (Mt 22,24-30 Mc 12,18-27 Lc 20,27-40) que nous avons précédemment analysé, nous trouvons d'autres aspects particuliers sur ce « royaume » ou sur « l'autre monde ». Il y en a encore plus dans tout le Nouveau Testament. Il semble cependant que pour éclaircir ce qu'est le royaume des cieux pour ceux qui choisissent la continence volontaire à cause de lui, la révélation du rapport sponsal du Christ avec l'Église ait une signification particulière : entre autres textes, c'est donc celui de la Lettre aux Éphésiens Ep 5,25 s. sur lequel il nous faudra surtout nous appuyer lorsque nous prendrons en considération le problème de la sacramentalité du mariage, qui est décisif.

Ce texte est également valable aussi bien pour la théologie du mariage que pour la théologie de lacontinence « à cause du royaume », c'est-à-dire la théologie de la virginité ou du célibat. Il semble que c'est précisément dans ce texte que nous trouvions presque concrétisé ce que le Christ avait dit à ses disciples en les invitant à la continence volontaire « à cause du royaume des cieux ».

8. Il a déjà été suffisamment souligné dans cette analyse que les paroles du Christ — avec toute leur grande concision — sont fondamentales, pleines de contenu essentiel et en outre caractérisées par une certaine sévérité. Il n'y a pas de doute que le Christ prononce son appel à la continence dans la perspective de l' « autre monde ». Mais, dans cet appel, il met l'accent sur tout ce en quoi s'exprime le réalisme temporel de la décision pour une telle continence, décision qui est liée à la volonté de participer à l'oeuvre rédemptrice du Christ.

Ainsi donc, à la lumière des paroles respectives du Christ rapportées par Matthieu (Mt 19,11-12) ressortent surtout la profondeur et le sérieux de la décision de vivre dans la continence « à cause du royaume », et le moment du renoncement qu'une telle décision implique, y trouve une expression.

Indubitablement, à travers tout cela, à travers le sérieux et la profondeur de la décision, à travers la sévérité et la responsabilité qu'elle comporte, transparaît et brille l'amour : l'amour comme disponibilité du don exclusif de soi pour le « royaume de Dieu ». Dans les paroles du Christ, cet amour semble cependant être voilé par ce qui est, au contraire, mis au premier plan. Le Christ ne cache pas à ses disciples le fait que le choix de la continence « à cause du royaume des cieux », vu selon les catégories de la temporalité est un renoncement. Cette manière de parler aux disciples, qui formule clairement la vérité de son enseignement et des exigences qu'il contient, est significatif pour tout l'Évangile. C'est précisément cette manière de parler qui leur confère, entre autres, une marque et une force si convaincantes.

9. C'est le propre du coeur humain d'accepter des exigences, même difficiles, au nom de l'amour pour un idéal et surtout au nom de l'amour envers la personne (l'amour est en effet par essence orienté vers la personne). C'est pourquoi dans cet appel à la continence « à cause du royaume des cieux », les disciples d'abord et ensuite toute la vivante tradition de l'Église découvriront rapidement l'amour qui se réfère au Christ lui-même comme Époux de l'Église, Époux des âmes auxquelles il s'est lui-même donné jusqu'au bout, dans le mystère de sa Pâque et de l'Eucharistie.

De cette manière, la continence « à cause du royaume des cieux », le choix de la virginité ou du célibat pour toute la vie sont devenus, dans l'expérience des disciples et de ceux qui ont suivi le Christ, l'acte d'une réponse particulière de l'amour de l'Époux divin et, pour cela, ils ont acquis la signification d'un acte d'amour sponsal, c'est-à-dire d'un don sponsal de soi dans le but de rendre en retour, d'une manière particulière, l'amour sponsal du rédempteur, un don compris par lui- même comme un renoncement mais surtout fait par amour.



Aux fidèles de langue française
Chers Frères et Sœurs,

J’ai continué, en italien, à parler de la continence totale “pour le Royaume des cieux”, c’est-à-dire pour le Royaume de Dieu, prêché par Jésus, instauré ici-bas et accompli dans l’au-delà. Certes, ce Royaume est pour tous, mariés ou célibataires; selon l’état de vie qu’il a choisi, chacun doit chercher les valeurs qui y correspondent dans le plan de Dieu. Mais le célibat est une façon singulière de participer à l’instauration du règne de Dieu sur la terre. Le Christ ne précise pas pourquoi, lorsqu’il répond à la réflexion intéressée des apôtres à propos du mariage, sans doute parce qu’il ne veut pas se placer sur ce terrain du calcul utilitaire. Le célibat volontaire a sa valeur en lui-même. Mais ses paroles concises s’éclairent si on se réfère aux lettres de saint Paul et à l’expérience séculaire de l’Eglise. Le Christ y est présenté comme l’Epoux divin de l’Eglise, l’Epoux des amês, auxquelles il s’est donné jusqu’au bout. La donation complète de soi-même dans le célibat pour le Royaume s’inscrit dans ce contexte nuptial: elle répond à cet amour du Rédempteur, fait participer à son œuvre de rédemption, d’une façon spéciale. Elle comporte ici-bas un renoncement; mais elle est faite surtout par amour.

* * *


Je salue avec une joie particulière les pèlerins français venus de la Région apostolique du Centre. Et je félicite leurs évêques, que j’avais le bonheur d’accueillir récemment en visite “ad limina”, d’avoir entraîné six cent cinquante de leurs diocésains au cœur même de cette grande famille qu’est l’Eglise du Christ. Je demande au Seigneur ressuscité que pasteurs et fidèles de Bourges, de Blois, de Moulins, de Nevers, d’Orléans, de Sens et de Tours continuent de construire - dans la joie et l’espérance - des communautés chrétiennes, peut-être modestes quant au nombre mais remarquables par leur ferveur et leur rayonnement évangéliques. J’accorde mon affectueuse Bénédiction aux diocésains ici présents, mais également à toutes les paroisses et institutions chrétiennes de cette région du Centre et à leurs responsables.

* * *


Au très beau groupe de collégiens et lycéens de Strasbourg, à leurs professeurs et à leurs parents, j’adresse mes félicitations pour leur fidélité à venir chaque année au centre de la catholicité. Je les encourage de tout cœur à vivre les découvertes qu’ils ont faites - en préparant et en accomplissant leur pèlerinage - sur “l’Eglise en prière dans le monde d’aujourd’hui”. Avec ma paternelle Bénédiction Apostolique.

* * *


Je remercie également le groupe des Représentants militaires des pays adhérant à l’Alliance Atlantique de leur aimable visite. Et je forme les meilleurs souhaits pour leurs personnes et pour les membres de leurs familles qui les accompagnent, en y joignant encore des vœux ardents pour la paix du monde.

A tous les pèlerins de langue française ici présents, je souhaite la grâce pascale du renouveau de leur foi et de leur charité, et j’accorde de grand cœur ma Bénédiction Apostolique.



Continence et signification sponsale du corps - 28 avril 1982

28482
(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 29 avril. Traduction et titre de la DC.


1. « Il y en a qui sont devenus eunuques à cause du royaume des cieux. » C'est ainsi que s'exprime le Christ selon l'Évangile de Matthieu (
Mt 19,12).

C'est le propre du coeur humain d'accepter des exigences, même difficiles, au nom de l'amour pour un idéal et, surtout, au nom de l'amour pour une personne (par essence, l'amour est en effet orienté vers une personne). C'est pourquoi dans l'appel à la continence « à cause du royaume des cieux », d'abord les disciples eux-mêmes et ensuite la Tradition vivante ont rapidement découvert cet amour qui se réfère au Christ lui-même comme époux de l'Église et époux des âmes, auxquelles il s'est donné lui-même jusqu'au bout, dans le mystère de sa Pâque et dans l'Eucharistie. Ainsi, la continence « à cause de royaume des cieux », le choix de la virginité ou du célibat pour toute la vie sont devenus, dans l'expérience des disciples et de ceux qui suivent le Christ, un acte de réponse particulière à l'amour de l'époux divin et ils ont acquis la signification d'un acte d'amour sponsal, c'est-à- dire de don sponsal de soi dans le but de répondre de manière spéciale à l'amour sponsal du Rédempteur : un don de soi compris comme un renoncement mais surtout fait par amour.

2. Nous avons déjà tiré toute la richesse du contenu dont est chargé l'énoncé du Christ sur la continence « à cause du royaume des cieux », bien qu'il soit concis mais qui, en même temps, est si profond. Maintenant, il convient de prêter attention à la signification qu'ont ces paroles pour la théologie du corps, comme nous avons cherché à en présenter et à en reconstruire les fondements bibliques « à partir de l'origine ». L'analyse de cette « origine » biblique à laquelle le Christ s'est référé dans son entretien avec les Pharisiens sur le sujet du mariage, de son unité et de son indissolubilité (cf. Mt 19,3-9)

— peu avant d'adresser à ses disciples les paroles sur la continence « à cause du royaume des cieux » (ibid Mt 19,10-12) —, nous permet de rappeler la profonde vérité sur la signification sponsale du corps humain dans sa masculinité et dans sa féminité, comme nous l'avons montré en son temps à partir des analyses de la Genèse (en particulier, à partir du chapitre Gn 2,23-25). C'est précisément ainsi qu'il fallait formuler et préciser ce que nous trouvons dans ces textes anciens.

3. La mentalité contemporaine s'est habituée à penser et à parler surtout de l'instinct sexuel, en transférant au domaine de la réalité humaine ce qui est propre au monde des êtres vivants, aux animaux. Or, une réflexion approfondie sur le texte concis du premier et du deuxième chapitre de la Genèse nous permet d'établir, avec certitude et conviction, que « dès l'origine » se trouve délimitée dans la Bible une frontière très claire et univoque entre le monde des animaux (animalia) et l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Bien qu'il soit relativement court, il y a cependant dans ce texte suffisamment d'espace pour montrer que l'homme a une claire conscience de ce qui le distingue de manière essentielle de tous les êtres vivants (animalia).

4. L'application à l'homme de cette catégorie, essentiellement naturaliste, qui est contenue dans le concept et dans l'expression d'« instinct sexuel », n'est donc pas du tout appropriée et adéquate. Il est évident que cette application peut se faire sur la base d'une certaine analogie. En effet, la particularité de l'homme par rapport à tout le monde des êtres vivants (animalia) est telle que, compris du point de vue de l'espèce, il ne peut pas être fondamentalement qualifié comme animal, mais comme animal rationnel C'est pourquoi, malgré cette analogie, l'application du concept d'« instinct sexuel » à l'homme, étant donné la dualité dans laquelle il existe comme homme et comme femme, limite cependant grandement et, dans certain sens, « diminue » ce que sont la masculinité et la féminité elles-mêmes dans la dimension personnelle de la subjectivité humaine. Elle limite et « diminue » également ce pourquoi les deux, l'homme et la femme, s'unissent de manière à être une seule chair (cf. Gn 2,24). Pour exprimer cela d'une manière appropriée et adéquate, il faut utiliser également une analyse différente de l'analyse naturaliste. C'est précisément l'étude de l'« origine » biblique qui nous oblige à le faire de manière convaincante. La vérité sur la signification sponsale du corps humain dans sa masculinité et dans sa féminité, affirmée dans les premiers chapitres de la Genèse (et en particulier dans le chapitre Gn 2,23-25), ou la découverte à un moment de la signification sponsale du corps dans la structure personnelle de la subjectivité de l'homme et de la femme, semblent être à ce sujet un concept clé et, en même temps, le seul approprié et le seul adéquat.

5. Précisément, par rapport à ce concept, par rapport à la vérité sur la signification sponsale du corps humain, il faut relire et comprendre les paroles du Christ sur la continence « à cause du royaume des cieux », prononcées dans le contexte immédiat de cette référence à l' « origine », sur lequel il a fondé sa doctrine sur l'unité et l'indissolubilité du mariage. À la base de l'appel du Christ à la continence se trouvent non seulement « l'instinct sexuel » comme catégorie d'un besoin, je dirais, naturaliste, mais aussi la conscience de la liberté du don qui est organiquement liée à la conscience profonde et mûre de la signification sponsale du corps, dans la structure totale de la subjectivité personnelle de l'homme et de la femme. C'est seulement par rapport à une telle signification de la masculinité et de la féminité de la personne humaine que l'appel à la continence volontaire « à cause du royaume des cieux » trouve sa pleine garantie et sa pleine motivation. C'est seulement et exclusivement dans cette perspective que le Christ dit : « Qu'il comprenne celui qui peut comprendre. » (Mt 19,12) Par cela, il montre que cette continence — bien que dans tous les cas elle soit surtout un don — peut être aussi « comprise », c'est-à-dire tirée et déduite du concept que l'homme a de son propre « je » psychologique dans son intégrité et, en particulier, de la masculinité et de la féminité de ce « je » dans la relation réciproque qui est inscrite comme « par nature » dans toute subjectivité humaine.

6. Comme nous l'avons rappelé dans les analyses précédentes, faites sur la base du Livre de la Genèse (Gn 2,23 Gn 2,25), cette relation réciproque de la masculinité et de la féminité, ce « pour » réciproque de l'homme et de la femme, ne peut être compris de manière appropriée et adéquate que dans l'ensemble dynamique du sujet personnel. Les paroles du Christ dans Matthieu (Mt 19,11-12) montrent ensuite que ce « pour », présent « dès l'origine » à la base du mariage, peut aussi être à la base de la continence « pour » le royaume des cieux ! En s'appuyant sur la même disposition du sujet personnel grâce à laquelle l'homme se retrouve pleinement à travers un don sincère de soi (cf. GS 24), l'être humain (homme ou femme) est capable de choisir le don personnel de soi-même, fait à une autre personne dans l'engagement conjugal où ils deviennent « une seule chair », et il est également capable de renoncer librement à ce don de soi à une autre personne, afin que, choisissant la continence « à cause du royaume des cieux », il puisse se donner totalement au Christ. Sur la base de cette même disposition du sujet personnel et sur la base de cette même signification sponsale de l'être pour ce qui est du corps, masculin et féminin, il peut modeler l'amour qui pousse l'homme au mariage dans la dimension de toute la vie (cf. Mt 19,3-10) mais il peut aussi modeler l'amour qui pousse l'homme pour toute la vie à la continence « à cause du royaume des cieux » (cf. Mt 19,11-12). C'est précisément de cela que parle le Christ dans l'ensemble de son énoncé, en s'adressant aux Pharisiens (cf. Mt 19,3-10) et ensuite à ses disciples (cf. Mt 19,11-12).

7. Il est évident que le choix du mariage, tel qu'il a été institué par le Créateur « dès l'origine », suppose la prise de conscience et l'acceptation intérieure de la signification spon- sale du corps, liées à la masculinité et à la féminité de la personne humaine. C'est précisément cela qui est en effet exprimé de manière lapidaire dans les versets du Livre de la Genèse. En écoutant les paroles que le Christ adresse à ses disciples sur la continence « à cause du royaume des cieux » (cf. Mt 19,11-12), nous ne pouvons pas penser que ce second genre de choix puisse être fait de manière consciente et libre sans une référence à sa propre masculinité ou à sa féminité et à cette signification sponsale qui est propre à l'être humain, précisément dans la masculinité ou la féminité de son être subjectif personnel. À la lumière des paroles du Christ, nous devons même admettre que ce second genre de choix, c'est-à-dire la continence à cause du royaume de Dieu, se réalise aussi en relation avec la masculinité ou la féminité propre de la personne qui fait un tel choix. Il se réalise sur la base de la pleine conscience de cette signification sponsale que la masculinité et la féminité contiennent en elles. Si ce choix se réalisait par la voie d'un quelconque « laisser de côté » artificiel de cette richesse réelle de tout sujet humain, il ne répondrait pas de manière appropriée et adéquate au contenu des paroles du Christ dans Matthieu Mt 19,11-12.

Le Christ demande ici explicitement une pleine compréhension lorsqu'il dit : « Qu'il comprenne celui qui peut comprendre. » (Mt 19,12)



Aux pèlerins de langue française

Chers Frères et Sœurs,

Dans mon allocution en italien, j’ai continué à parler du choix volontaire de la continence, du célibat, pour le Royaume des cieux. Les paroles très concises de Jésus à ce sujet, non seulement ne contredisent pas la signification nuptiale du corps, du caractère masculin ou féminin des êtres humains appelés à se réaliser dans un rapport réciproque, mais elles la supposent. A condition, bien sûr, de ne pas enfermer l’être humain, rationnel et libre, dans les limites de l’instinct sexuel des animaux, qui comporte une nécessité d’ordre naturaliste. Ce qui caractérise l’homme et la femme, c’est la conscience de la liberté du don de soi, liée organiquement au sens nuptial du corps chez un sujet personnel. Ils peuvent donc choisir la donation personnelle d’eux-mêmes à une autre personne dans le pacte conjugal, et aussi y renoncer librement afin de pouvoir se donner totalement au Christ, qui est l’Epoux de l’Eglise et des âmes, et ainsi choisir la continence pour le Royaume des cieux.

* * *


Mon salut chaleureux va d’abord aux huit cents pèlerins français des douze diocèses de la région apostolique du midi qui gravite autour de Toulouse. Je suis heureux d’y retrouver le cher Cardinal Marty, les évêques de Toulouse et de Mende. Malgré mon grand désir, je n’ai pas pu me rendre à Lourdes, mais vous, vous venez à Rome. Essayez, chers Frères et Sœurs, d’y redécouvrir l’Eglise, ses racines apostoliques, ses développements variés, de siècle en siècle, sa vocation universelle. Forts de l’espérance qui l’habite, vous continuerez à la construire chez vous, en vous appuyant sur le roc de la foi, en prenant chacun vos responsabilités dans vos communautés, prêtres, religieuses, laïcs, en vivant bien unis, sans rougir des exigences de l’Evangile, qui sont de surcroît un remède aux misères de notre société. Que l’intercession de Marie vous garde dans la joie de Pâques et la docilité à l’Esprit Saint!

* * *


Je voudrais aussi assurer de ma sympathie le groupe des handicapés français, et tous ceux qui partagent continuellement leur vie et leur amitié dans les communautés de l’Arche. Comment ne pas encourager ce type de solidarité fraternelle, où chacun, fût-il démuni à un certain plan, est pleinement reconnu, et à même d’apporter sa part avec tout son cœur! Je bénis avec affection chacun d’entre vous.

* * *


Et à tous les pèlerins de langue française, de France, de Suisse, jeunes, adultes, personnes du troisième âge, religieuses et prêtres, je souhaite la paix de Pâques. Portez-la autour de vous Avec ma Bénédiction Apostolique.





Catéchèses S. J-Paul II 14482