Catéchèses S. J-Paul II 30682

L’exaltation de la virginité - 30 juin 1982

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(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 2 juillet. Traduction et titre de la DC.


1. En expliquant dans le chapitre 7 de la Première lettre aux Corinthiens la question du mariage et de la virginité (ou de la continence à cause du royaume de Dieu), saint Paul cherche à motiver la raison pour laquelle celui qui choisit le mariage fait « bien » et celui qui, au contraire, se décide pour une vie dans la continence ou dans la virginité fait « mieux ». C'est ainsi qu'il écrit : « Voici ce que je dis, frères : le temps est écourté. Désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s'ils n'en avaient pas. » Et ensuite : « Ceux qui achètent, qu'ils soient comme s'ils ne possédaient pas, ceux qui tirent profit de ce monde comme s'ils n'en profitaient pas vraiment. Car la figure de ce monde passe. Je voudrais que vous soyez exempts de soucis » (
1Co 7,29 1Co 7,30-32).

2. Les dernières paroles du texte cité montrent que Paul, dans son argumentation, se réfère aussi à sa propre expérience et son argumentation devient plus personnelle. Non seulement il formule le principe et cherche à le motiver comme tel, mais il le lie à ses réflexions et à ses convictions personnelles nées de la pratique du conseil évangélique du cé1ibat. Chaque expression et chaque locution témoignent de leur force persuasive. L'apôtre n'écrit pas seulement à ses chrétiens de Corinthe : « Je voudrais que tous les hommes soient comme moi » (1Co 7,7), mais il va au-delà quand, en se référant aux hommes qui contractent un mariage, il écrit : « Mais les gens mariés auront de lourdes épreuves à supporter et moi, je voudrais vous les épargner » (1Co 7,28). Du reste, cette conviction personnelle était déjà exprimée dans les premières paroles du chapitre 7 de la même lettre lorsqu'il se réfère, même si c'est pour la modifier, à cette opinion des Corinthiens : « Venons-en à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. » (1Co 7,1)

3. On peut se poser la question : « Quelles épreuves Paul avait-il à l'esprit ? Le Christ ne parlait que des souffrances (ou des « afflictions ») qu'éprouve la femme quand elle doit « mettre au monde un enfant », en soulignant cependant la joie (cf. Jn 16,21) qu'elle éprouve comme récompense de ses souffrances après la naissance de son enfant : la joie de la maternité. Au contraire, Paul écrit sur « les épreuves du corps » qui attendent les conjoints. Cette expression serait- elle l'expression d'une aversion personnelle de l'apôtre à l'égard du mariage ? Dans cette observation réaliste, il faut voir un juste avertissement pour ceux qui — comme parfois les jeunes — considèrent que l'union et la convivence conjugales ne doivent que leur apporter du bonheur et de la joie. L'expérience de la vie démontre que les conjoints sont assez fréquemment déçus par ce qu'ils attendaient le plus. La joie de l'union porte avec elle aussi « ses épreuves » dont parle saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens. Elles sont souvent des « épreuves » de nature morale. S'il entend dire par cela que le véritable amour conjugal — précisément celui en vertu duquel « l'homme [...] s'unira à sa femme et tous les deux seront une seule chair » (Gn 2,24) — est aussi un amour difficile, il demeure certainement sur le terrain de la vérité évangélique et il n'y a aucune raison d'y voir des signes de l'attitude qui, plus tard, devait caractériser le manichéisme.

4. Dans ses paroles au sujet de la continence à cause du royaume de Dieu, le Christ ne cherche en aucune manière à pousser ses auditeurs au célibat ou à la virginité en leur montrant « les épreuves » du mariage. Il apparaît plutôt qu'il cherche à mettre en relief différents aspects, humainement pénibles, de la décision concernant la continence : tant la raison sociale que les raisons d'ordre subjectif conduisent le Christ à dire de l'homme qui prend une telle décision, qu'il se fait « eunuque », c'est-à-dire qu'il embrasse volontairement la continence. Mais grâce à cela, precisément, il projette très clairement toute la signification subjective, la grandeur et le caractère exceptionnel d'une telle décision : la signification d'une réponse mûre a un don particulier de l'Esprit.

5. Dans la lettre aux Corinthiens, saint Paul comprend le conseil de la continence de la même façon mais il l'exprime différemment. Il écrit en effet : « Voici ce que je dis, frères : le temps est écourté. » (1Co 7,29) et un peu plus loin : « La figure de ce monde passe » (1Co 7,31). Cette constatation au sujet de la caducité de l'existence humaine et du caractère transitoire du monde temporel, dans un certain sens au sujet du caractère accidentel de tout ce qui est créé, doit faire que « ceux qui ont une femme vivent comme s'ils n'en avaient pas » (1Co 7,29 cf. 1Co 7,31) et, en même temps, préparer le terrain pour l'enseignement de la continence. Au centre de son raisonnement en effet Paul met la phrase clé qui peut être reliée à l'énoncé du Christ, unique en son genre, sur le thème de la continence à cause du royaume de Dieu (cf. Mt 19,12).

6. Alors que le Christ met en relief la grandeur du renoncement, inséparable d'une telle décision, Paul montre surtout comment il faut comprendre le « royaume de Dieu » dans la vie de l'homme qui a renonce au mariage en vue de ce royaume. Alors que le triple parallélisme de l'énoncé du Christ atteint son point culminant dans la phrase qui signifie la grandeur du renoncement fait volontairement (« il y en a d'autres qui sont devenus eunuques à cause du royaume des cieux », Mt 19,12), Paul définit la situation par un seul mot : « Celui qui n'est pas marié » (agamos) ; plus loin, au contraire, il donne tout le contenu de l'expression « royaume des cieux » dans une synthèse splendide. Il dit, en effet : « Celui qui n'est pas marié a le souci des affaires du Seigneur : il cherche comment plaire au Seigneur. » (1Co 7,32)

Chaque mot de cet énoncé mérite une analyse spéciale.

7. Le contexte du verbe « se préoccuper » ou « chercher » dans l'Évangile de Luc, disciple de Paul, montre qu'il ne faut vraiment chercher que le royaume de Dieu (cf. Lc 12,31), ce qui constitue « la meilleure part », la seule chose nécessaire (cf. Lc 10,41). Paul lui-même parle directement de sa « préoccupation pour toutes les Églises » (2Co 11,28), de la recherche du Christ par la sollicitude pour les problèmes des frères pour les membres du corps du Christ (cf. Ph 2,20-21 1Co 12,25). Déjà de ce contexte ressort tout le vaste domaine de la « préoccupation » à laquelle l'homme non marié peut consacrer totalement sa pensée, son travail et son coeur. L'homme peut, en effet, « se préoccuper » seulement de ce qui lui tient vraiment à coeur.

8. Dans l'énoncé de Paul, celui qui n'est pas marié se préoccupe des choses du Seigneur (ta toû kyriou). Par cette expression concise, Paul embrasse la réalité objective tout entière du royaume de Dieu. « La terre et tout ce qu'elle contient sont au Seigneur », dira-t-il lui-même un peu plus loin dans cette lettre (1Co 10,26 cf. Ps 23,1).

L'objet de la sollicitude du chrétien est le monde tout entier! Mais, par le nom de « Seigneur », Paul qualifie avant tout Jésus-Christ (cf. par exemple Ph 2,11), et c'est pourquoi « les choses du Seigneur » signifient en premier lieu « le royaume du Christ », son corps qui est l'Église (cf. Col 1,18) et tout ce qui contribue à sa croissance. L'homme non marié se préoccupe de tout cela et c'est pourquoi Paul, étant dans le plein sens du terme « apôtre de Jésus-Christ » (1Co 1,1), écrit aux Corinthiens : « Je voudrais que tous les hommes soient comme moi. » (1Co 7,7)

9. Cependant, le zèle apostolique et l'activité la plus fructueuse n'épuisent pas encore ce qui se trouve dans la motivation paulinienne de la continence. On pourrait même dire que leur racine et leur source se trouvent dans la seconde partie de la phrase, qui montre la réalité subjective du royaume de Dieu : « Celui qui n'est pas marié se préoccupe, de savoir comment plaire au Seigneur. » Cette constatation embrasse tout le domaine de la relation personnelle avec Dieu. « Plaire à Dieu » — l'expression se trouve dans les livres anciens de la Bible (cf. par exemple Dt 13,19) — est synonyme de vie dans la grâce de Dieu et exprime l'attitude de celui qui cherche Dieu ou de celui qui se comporte selon sa volonté, de manière à lui être agréable. Dans un des derniers livres de la Sainte Écriture, cette expression devient une synthèse théologique de la sainteté. Saint Jean l'applique une seule fois au Christ : « Je fais toujours ce qui est agréable au Père. » (Jn 8,29) Dans la Lettre aux Romains, saint Paul observe que le Christ « ne cherche pas à plaire à lui-même » (Rm 15,3).

C'est dans ces deux constatations que se trouve tout ce qui constitue le contenu du « plaire à Dieu », entendu dans le Nouveau Testament comme la suite des traces du Christ.

10. Il semble que les deux parties de l'expression pauli- nienne se superposent. En effet, se préoccuper de ce qui « appartient au Seigneur », des « choses du Seigneur », doit « plaire au Seigneur ». D'autre part, celui qui plaît au Seigneur ne peut se renfermer en lui-même, mais il s'ouvre au monde, à tout ce qui est à ramener au Christ. Ce ne sont là évidemment que deux aspects de la même réalité de Dieu et de son royaume. Paul devait cependant les distinguer pour démontrer plus clairement la nature et la possibilité de la continence « à cause du royaume des cieux ».

Nous chercherons à revenir encore sur ce sujet.



Aux pèlerins de langue française

Chers pèlerins de langue française,

Vous venez donc de Marseille, de Gadagne, de Béziers, de Saint-Just d’Arbois, et aussi d’autres pays. Et parmi vous se trouve un groupe de Sœurs de Notre-Dame des Apôtres. Merci à tous pour votre visite! Et tous mes souhaits pour le profit spirituel de votre pèlerinage à Rome.

Depuis quelque temps, à l’occasion de ces rencontres familiales du mercredi, je m’efforce d’aider les participants à mieux saisir le sens et la richesse du conseil évangélique qu’est la continence volontaire à cause du Royaume des cieux.

Au chapitre septième de sa première Lettre aux Corinthiens saint Paul s’exprime très clairement au sujet du mariage et de la virginité: “Celui qui se marie, fait bien; celui qui ne se marie pas, fait mieux”. Ce disant, l’apôtre se réfère certainement à sa propre expérience de célibataire. Il ose même dire aux chrétiens de Corinthe - en songeant aux époux qui connaissent “les tribulations de la chair”, c’est-à-dire les tracas de la vie conjugale: “Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi!”.

Bien avant l’apôtre Paul Jésus avait parlé de la continence volontaire. Il avait surtout mis en relief la grandeur du célibat et le caractère exceptionnel d’une pareille décision, s’expliquant seulement comme une réponse mûrement réfléchie à un don de l’Esprit Saint.

Assurément, saint Paul ne comprend pas autrement ce conseil évangélique, mais il le présente différemment. Il cherche à démontrer que “celui qui n’est pas marié a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, tandis que celui qui s’est marié a souci des affaires de ce monde et cherche à plaire à sa femme”. N’oublions pas que ces expressions “avoir souci de”, “chercher le Royaume” sont souvent employées par l’évangéliste Luc, disciple de Paul, pour caractériser le souci et la recherche du Royaume de Dieu, considéré comme “la meilleure part”, “l’unique nécessaire”, “la volonté de plaire au Seigneur” en le préférant, Lui, et en se consécrant exclusivement à son œuvre de retour des hommes et des choses vers Dieu. Nous poursuivrons encore cette méditation. Mais je vous invite à prier souvent pour ceux et celles qui ont suivi cette voie évangélique.



La grandeur du célibat - 7 juillet 1982

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(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 9 juillet. Traduction et titre de la DC.


1. Au cours de la rencontre de mercredi dernier nous avons cherché à approfondir l'argumentation dont se sert saint Paul dans la Première Lettre aux Corinthiens pour convaincre ses destinataires que celui qui choisit le mariage fait « bien » et qu'au contraire, celui qui choisit la virginité (ou la continence selon l'esprit des conseils évangéliques), fait « mieux » (
1Co 7,38). En continuant aujourd'hui cette méditation, rappelons que selon saint Paul « celui qui n'est pas marié cherche. comment plaire à Dieu » (1Co 7,32).

« Plaire au Seigneur » a, comme arrière-plan, l'amour. Cet arrière-plan ressort d'un rapprochement qui vient après : « Celui qui n'est pas marié cherche comment plaire à Dieu, tandis que l'homme marié cherche comment plaire à sa femme. » Ici apparaît, dans un certain sens, le caractère sponsal de la « continence à cause du royaume de Dieu ». L'homme cherche toujours à plaire à la personne aimée. Ce « plaire à Dieu » n'est donc pas privé de ce caractère qui distingue la relation interpersonnelle des époux. Il est, d'une part, un effort de l'homme qui tend vers Dieu et qui cherche la manière de lui plaire, c'est-à-dire de lui exprimer son amour d'une manière active. À cette aspiration correspond, d'autre part, un agrément de Dieu qui, en acceptant les efforts de l'homme, couronne son action en lui accordant une nouvelle grâce : depuis l'origine cette aspiration a été, en effet, son don. « Chercher (à) comment plaire à Dieu » est donc une contribution de l'homme dans le dialogue continuel du salut commence par Dieu. Tout chrétien qui vit sa foi y prend évidemment part.

2. Paul observe cependant que l'homme lié par le lien du mariage « se trouve divisé » (1Co 7,34) à cause de ses devoirs familiaux (cf. 1Co 7,34). De cette constatation semble donc résulter que la personne non mariée devrait être caractérisée par une intégration intérieure, par une unification qui lui permettraient de se consacrer complètement au service du royaume de Dieu dans toutes ses dimensions. Cette attitude suppose l'abstention du mariage, exclusivement « à cause du royaume de Dieu », et une vie orientée uniquement vers ce but. D'une autre manière, « la division » peut entrer également furtivement dans la vie de quelqu'un qui n'est pas marié et qui, étant privé, d'une part, de la vie conjugale et, d'autre part, du but clair pour lequel il devrait y renoncer, pourrait se trouver devant un certain vide.

3. L'Apôtre semble bien connaître tout cela et il s'empresse de spécifier qu'il ne veut pas « tendre un piège » à celui à qui il conseille de ne pas se marier, mais il le fait pour lui indiquer ce qui convient le mieux et qui le tient uni au Seigneur sans partage (cf. 1Co 7,35). Ces paroles font venir à l'esprit ce que le Christ dit aux apôtres au cours de la dernière Cène, selon l'Évangile de Luc : « Vous êtes ceux qui ont tenu bon avec moi dans mes épreuves (littéralement « dans les tentations »). Et moi, je dispose pour vous du royaume comme mon Père en a disposé pour moi. » (Lc 22,28-29) Celui qui n'est pas marié, « étant uni au Seigneur », peut être certain que ses difficultés trouveront compréhension. « Nous n'avons pas, en effet, un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses. Il a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher. » (He 4,15) Ceci permet à la personne qui n'est pas mariée non pas tant de se plonger exclusivement dans les éventuels problèmes personnels, mais de les inclure dans le grand courant des souffrances du Christ et de son corps qui est l'Église.

4. L'Apôtre montre de quelle manière on peut « être uni au Seigneur » : cela peut arriver lorsqu'on aspire à demeurer en permanence avec lui, à jouir de sa présence (euparedron), sans se laisser distraire par les choses non essentielles (ape- rispastos) (cf. 1Co 7,35).

Paul précise encore plus clairement cette pensée lorsqu'il parle de la femme mariée ou de celle qui a choisi la virginité ou qui n'a plus de mari. Alors que la femme mariée doit se préoccuper de « la manière de plaire à son mari », celle qui n'est pas mariée « a le souci des choses du Seigneur afin d'être sainte de corps et d'esprit » (1Co 7,34).

5. Pour comprendre de manière adéquate toute la profondeur de la pensée de Paul, il faut observer que la « sainteté », selon la conception biblique, est plutôt un état qu'une action. Elle a avant tout un caractère ontologique et ensuite moral également. Dans l'Ancien Testament notamment, il y a une « séparation » à partir de ce qui n'est pas sujet à l'influence de Dieu, de ce qui est « profane », pour appartenir exclusivement à Dieu. Donc, la « sainteté dans le corps et dans l'esprit » signifie aussi le caractère sacré de la virginité ou du célibat, acceptés à cause « du royaume de Dieu ». En même temps, ce qui est offert à Dieu doit être distingué de la pureté morale et, pour cela, présuppose un comportement « sans tache ni ride », « saint et immaculé », selon le modèle virginal de l'Église qui se trouve devant le Christ (Ep 5,27).

Dans ce chapitre de la Lettre aux Corinthiens l'apôtre touche les problèmes du mariage et du célibat ou de la virginité d'une manière profondément humaine et réaliste, en se rendant compte de la mentalité de ses destinataires. Dans une certaine mesure, l'argumentation de Paul est ad homi- nem. Le nouveau monde et le nouvel ordre des valeurs qu'il annonce doivent se rencontrer, dans le milieu de ses destinataires, avec un autre « monde » et avec un autre ordre de valeurs, différents également de ceux où les paroles prononcées par le Christ avaient été entendues pour la première fois.

6. Si Paul, par sa doctrine au sujet du mariage et de la continence, se réfère également à la caducité du monde et de la vie humaine dans ce monde, il le fait certainement en référence au milieu qui, dans un certain sens, était orienté selon « le profit du monde ». Comme il est significatif, de ce point de vue, son appel « à ceux qui profitent du monde » pour qu'ils le fassent « comme s'ils n'en usaient pas vraiment » (1Co 7,31). À partir du contexte immédiat, il résulte que le mariage également, dans ce cadre, était compris comme une manière de « profiter du monde » et qu'il était différent de la manière dont il l'était dans toute la tradition israélite (malgré quelques pervertissements que Jésus a indiqués dans son entretien avec les Pharisiens ou dans le Discours sur la Montagne). Indubitablement, tout cela explique le style de la réponse de Paul. L'apôtre se rendait bien compte qu'en encourageant l'abstention du mariage, il devait en même temps mettre en lumière une manière de comprendre le mariage qui soit conforme avec tout l'ordre évangélique des valeurs. Il devait le faire avec le maximum de réalisme en ayant devant les yeux le milieu auquel il s'adressait, les idées et les manières d'évaluer les choses qui y dominaient.

7. Aux hommes qui vivaient dans un milieu où le mariage était surtout considéré comme une des manières de « profiter du monde », Paul se prononce donc par les paroles significatives aussi bien au sujet de la virginité ou du célibat (comme nous l'avons vu) qu'au sujet du mariage lui-même : « Je dis aux célibataires et aux veuves qu'il est bon de rester ainsi, comme moi. Mais s'ils ne peuvent vivre dans la continence, qu'ils se marient car il vaut mieux se marier que brûler. » (1Co 7,8-9) Paul avait déjà exprimé presque la même idée : « Venons-en à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. » (1Co 7,1-2)

8. Peut-être que l'apôtre, dans la Première Lettre aux Corinthiens, regarde le mariage exclusivement du point de vue d« un remède contre la concupiscence », comme on avait l'habitude de le dire dans le langage théologique traditionnel ? Les énoncés qui viennent d'être rapportés ci-dessus sembleraient en témoigner. Cependant, dans le contexte immédiat des formulations rapportées, nous lisons une phrase qui nous conduit à voir de manière différente l'ensemble de l'enseignement de saint Paul contenu dans le chapitre 7 de la Première Lettre aux Corinthiens. « Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi ; (il répète son argument préféré en faveur de l'abstention du mariage) — mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là. » (1Co 7,7) Ainsi donc, même ceux qui choisissent le mariage et vivent dans le mariage reçoivent un « don » de Dieu, un « don » particulier, c'est-à-dire la grâce propre de ce choix, de ce mode de vivre, de cet état. Le don reçu par les personnes qui vivent dans le mariage est différent de celui reçu par les personnes qui vivent dans la virginité et qui choisissent la continence à cause du royaume de Dieu. Néanmoins, c'est un vrai « don de Dieu », un don « particulier », destiné à des personnes concrètes et un don « spécifique », c'est-à-dire adapté à leur vocation de vie.

9. On peut donc dire que tandis que, dans sa caractérisation du mariage du point de vue « humain » (et peut-être encore plus du point de vue de la situation locale qui dominait à Corinthe), l'apôtre met fortement en relief la motivation du regard concernant la concupiscence de la chair, en même temps il souligne aussi, avec non moins de conviction, son caractère sacramentel et « charismatique ». Avec la même clarté avec laquelle il voit la situation de l'homme par rapport à la concupiscence de la chair, il voit aussi l'action de grâce en tout homme — dans celui qui vit dans le mariage ainsi que dans celui qui choisit volontairement la continence — en ayant présent à l'esprit « que le monde passe ».



Aux pèlerins d'expression française

Chers Frères et Sœurs,

Je vous souhaite la bienvenue, à vous qui venez des pays de langue française, et spécialement aux familles, aux malades, aux jeunes.

Dans mon discours en italien, j’ai expliqué la pensée de l’apôtre Paul sur la grandeur du célibat volontaire pour ceux qui veulent se consacrer sans réserve au Seigneur. Il est vrai que tout homme ressent en lui cette aspiration qui le pousse vers Dieu pour lui exprimer son amour, pour lui plaire, et Dieu répond aux efforts de chacun en lui donnant de nouvelles grâces qui l’aident à progresser spirituellement. Mais tandis que la personne mariée est partagée entre deux devoirs - envers sa famille et envers Dieu -, celle qui ne s’est pas mariée à cause du Royaume des cieux est totalement libre et peut donc s’attacher au Seigneur sans partage, s’attacher aux réalités du monde nouveau prêché par le Christ et non aux choses du monde présent qui passe et qui disparaîtra.

Cela ne veut pas dire que l’apôtre méprise le mariage. S’il souhaite que tous soient comme lui, il s’empresse d’ajouter: “Mais chacun reçoit de Dieu son don particulier”. Que chacun soit donc fidèle au don qu’il a reçu, sans oublier la place que Dieu doit tenir dans sa vie personnelle!

Je suis heureux de saluer tous les pèlerins venant de France, de Suisse, du Canada et des autres pays de langue française, et je donne à tous ma Bénédiction Apostolique.


Continence et théologie du corps - 14 juillet 1982

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(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 16 juillet. Traduction et titre de la DC.


1. Durant nos réflexions précédentes, en analysant le septième chapitre de la Première Lettre aux Corinthiens, nous avons cherché à recueillir et à comprendre les enseignements et les conseils que saint Paul donne aux destinataires de sa lettre au sujet des questions concernant le mariage et la continence volontaire (ou l'abstention du mariage). En affirmant que celui qui choisit le mariage « fait bien » et que celui qui choisit la virginité « fait mieux », l'Apôtre se rapporte à la caducité du monde ou à tout ce qui est temporel.

Il est facile de comprendre que la raison de la caducité et de la fragilité de ce qui est temporel parle, dans ce cas, avec une force beaucoup plus grande que ne le fait la référence à la réalité de l' « autre monde ». Bien que l'Apôtre s'exprime ici avec quelques difficultés, nous pouvons cependant être d'accord pour dire qu'à la base de l'interprétation paulinien- ne du thème « mariage-virginité » se trouve non seulement la métaphysique même de l'être accidentel (donc passager), mais plutôt la théologie d'une grande attente dont Paul a été un fervent partisan. Ce n'est pas le « monde » qui constitue la destinée éternelle de l'homme mais le Royaume de Dieu. L'homme ne peut pas trop s'accrocher aux biens qui sont à la mesure du monde périssable.

2. Le mariage est également lié à « ce monde » qui passe. Ici nous sommes, dans un certain sens, très proches de la perspective ouverte par le Christ dans son énoncé sur la résurrection future (cf.
Mt 22,23-32 Mc 12,18-27 Lc 20,27-40). C'est pourquoi, le chrétien, selon l'enseignement de Paul, doit vivre le mariage du point de vue de sa vocation définitive. Et tandis que le mariage est lié au choix de ce monde qui passe et impose donc, dans un certain sens la nécessité de « s'enfermer » dans cette caducité, l'abstention du mariage libère au contraire, pourrait-on dire, d'une telle nécessité. C'est précisément pour cela que l'Apôtre déclare que celui qui choisit la continence « fait mieux ». Bien que son argumentation se poursuive sur cette voie, elle met cependant au premier plan (comme nous l'avons déjà constaté) surtout le problème du « plaire au Seigneur » et de « se préoccuper des choses du Seigneur ».

3. On peut admettre que les mêmes raisons parlent en faveur de ce que l'Apôtre conseille aux femmes demeurées veuves. « La femme est liée à son mari aussi longtemps qu'il vit. Si le mari meurt, elle est libre d'épouser qui elle veut, mais un chrétien seulement. Cependant, elle sera plus heureuse, à mon avis, si elle reste comme elle est ; et je crois, moi aussi, avoir l'Esprit de Dieu. » (1Co 7,39-40) Qu'elle demeure donc veuve plutôt que de contracter un nouveau mariage.

4. À travers ce que nous découvrons dans une lecture perspicace de la Lettre aux Corinthiens (en particulier du chapitre 7) se dévoile tout le réalisme de la théologie pauli- nienne du corps. Si, dans sa lettre, l'Apôtre proclame que « votre corps est le temple de l'Esprit Saint qui est en vous » (1Co 6,19), en même temps il est pleinement conscient de la faiblesse et du péché auxquels l'homme est soumis, précisément en raison de la concupiscence de la chair.

Cependant, une telle conscience n'obscurcit en aucune manière la réalité du don de Dieu dont sont participants aussi bien ceux qui s'abstiennent du mariage que ceux qui prennent femme ou mari. Dans le chapitre 7 de la Première Lettre aux Corinthiens, nous trouvons un encouragement clair à l'abstention du mariage, la conviction que celui qui se décide à cela « fait mieux », mais nous ne trouvons cependant aucun fondement pour considérer comme « charnels » ceux qui vivent dans le mariage et, au contraire, comme « spirituels » ceux qui, pour des motifs religieux, choisissent la continence. En effet, dans l'une et l'autre manière de vivre — dans l'une et l'autre vocation, dirions-nous aujourd'hui — travaille ce « don » que chacun reçoit de Dieu, c'est-à-dire la grâce qui fait que le corps est « le temple de l'Esprit Saint » et qu'il demeure tel aussi bien dans la virginité (dans la continence) que dans le mariage si l'homme demeure fidèle à ce don et, conformément à son état ou à sa vocation, s'il ne « déshonore » pas ce « temple de l'Esprit Saint » qu'est son corps.

5. Dans l'enseignement de Paul, contenu surtout dans le chapitre 7 de la Première Lettre aux Corinthiens, nous ne trouvons aucune prémisse de ce que l'on appellera plus tard le « manichéisme ». L'Apôtre est pleinement conscient que, bien que la continence à cause du royaume de Dieu demeure toujours digne de recommandation, en même temps, la grâce, c'est-à-dire « le don propre de Dieu » aide aussi les époux dans cette convivence dans laquelle (selon les termes de Gn 2,24) ils sont si étroitement unis qu'ils deviennent « une seule chair ». Cette convivence charnelle est donc soumise à la puissance du « don qui vient de Dieu ». L'Apôtre écrit avec le même réalisme qui caractérise tout son raisonnement dans le chapitre 7 de cette Lettre : « Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. Ce n'est pas la femme qui dispose de son corps, c'est son mari. De même, ce n'est pas le mari qui dispose de son corps, c'est sa femme. » (V. 1Co 7,3-4.)

6. On peut dire que ces formulations sont un commentaire clair, de la part du Nouveau Testament, des paroles qui viennent d'être rappelées du Livre de la Genèse (Gn 2,24). Cependant, les expressions employées ici, en particulier celles de « devoir » et « ne dispose pas » ne peuvent pas être expliquées, si l'on fait abstraction de la juste dimension de l'alliance conjugale telle que nous avons cherché à le montrer en faisant l'analyse des textes de la Genèse. Nous chercherons à le faire encore plus pleinement lorsque nous parlerons de la sacramentalité du mariage à partir de la Lettre aux Éphésiens (cf. Ep 5,22-33). En son temps, il faudra encore revenir à ces expressions significatives qui, du vocabulaire de saint Paul, sont passées dans toute la théologie du mariage.

7. Pour le moment, continuons à porter toute notre attention aux autres phrases de ce même passage du chapitre VII de la Première Lettre aux Corinthiens, où l'Apôtre adresse aux époux les paroles suivantes : « Ne vous refusez pas l'un à l'autre, sauf d'un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière, puis retournez ensemble, de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l'occasion de vous tenter. En parlant ainsi, je vous fais une concession, je ne vous donne pas d'ordre. » (1Co 7,56) C'est un texte très significatif, auquel il faudra peut-être se référer dans le cadre des méditations sur les autres thèmes.

Il est très significatif que l'Apôtre qui, dans toute son argumentation sur le mariage et la continence, fait, comme le Christ, une claire distinction entre le commandement et le conseil évangélique, éprouve le besoin de se référer également à la « concession », comme à une règle supplémentaire, et cela précisement surtout en référence aux conjoints et à la convivence réciproque. Saint Paul dit clairement que tant la convivence conjugale que l'abstention volontaire et périodique des conjoints doivent être le fruit de « ce don de Dieu » qui leur est « propre » et qu'en coopérant consciemment avec ce don, les conjoints eux-mêmes peuvent maintenir et renforcer ce lien personnel réciproque et, en même temps, cette dignité que le fait d'être le « temple de l'Esprit Saint qui est en eux » (cf. 1Co 6,19), confère à leur corps.

8. Il semble que la règle paulinienne de « concession » indique la nécessité de prendre en considération tout ce qui, de quelque manière, correspond à la subjectivité si différenciée de l'homme et de la femme. Tout ce qui, dans cette subjectivité, est de nature non seulement spirituelle, mais également psychosomatique, toute la richesse subjective de l'être humain, laquelle, entre son être spirituel et son être corporel, s'exprime dans la sensibilité spécifique tant pour l'homme que pour la femme, tout cela doit demeurer sous l'influence du don que chacun reçoit de Dieu, don qui lui est propre.

Comme on le voit, dans le chapitre 7 de la Première Lettre aux Corinthiens, saint Paul interprète l'enseignement du Christ sur la continence à cause du royaume des cieux de cette manière, très pastorale, qui lui est propre, en n'omettant pas à cette occasion des accents tout à fait personnels. Il interprète l'enseignement sur la continence et sur la virginité, parallèlement à la doctrine sur le mariage, en conservant le réalisme propre d'un pasteur et, en même temps, les dimensions que nous trouvons dans l'Évangile, dans les paroles du Christ lui-même.

9. Dans l'énoncé de Paul, on peut retrouver cette structure fondamentale porteuse de la doctrine révélée sur l'homme qui est également destiné à la « vie future » avec son corps. Cette structure porteuse se trouve à la base de tout l'enseignement évangélique sur la continence à cause du royaume de Dieu (cf. Mt 19,12) mais, en même temps, l'accomplissement définitif (eschatologique) de la doctrine évangélique sur le mariage s'appuie également sur elle (cf. Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,36). Ces deux dimensions de la vocation humaine ne s'opposent pas entre elles, mais sont complémentaires. Toutes les deux fournissent une réponse totale à l'une des questions fondamentales de I'homme : à la question sur la signification d' « être corps », c'est-à-dire sur la signification de la masculinité et de la féminité, d'être, « dans son corps », un homme ou une femme.

10. Ce que nous définissons ici d'habitude comme théologie du corps apparaît comme quelque chose de fondamental et de constitutif pour l'herméneutique anthropologique et, en même temps également, pour l'éthique et pour la théologie de l'éthos humain. Dans chacun de ces domaines, il faut écouter attentivement non seulement les paroles du Christ lorsqu'il se refère à l' « origine » (Mt 19,4) ou au « coeur » comme lieu intérieur et en même temps « historique » (cf. Mt 5,28) de la rencontre avec la concupiscence de la chair. Nous devons aussi écouter attentivement les paroles par lesquelles le Christ s'est référé à la résurrection pour mettre dans le coeur agité de l'homme les premières semences de la réponse à la question sur ce que signifie être « chair » dans la perspective de l' « autre monde ».



Aux pèlerins de langue française

Chers Frères et Sœurs.

Poursuivant notre méditation hebdomadaire, je viens de rappeler en italien que saint Paul, tout tendu vers Dieu et la vie future en Lui, conseillait de s’abstenir du mariage pour se préoccuper uniquement du Seigneur, sans être partagé en raison des devoirs familiaux. Il ajoutait toutefois que, s’il est “mieux” d’agir ainsi, celui qui choisit le mariage fait “bien”, mais il ne doit pas s’attacher aux réalités de ce monde qui passera: ce qui compte avant tout, c’est de plaire au Seigneur, c’est de laisser agir le don, la grâce que chacun de nous reçoit et qui fait de notre corps le temple de l’Esprit Saint. Cette grâce aide les époux à vivre pleinement leur union tout en restant fidèles à Dieu.

Saint Paul est cependant réaliste car il connaît les faiblesses de la personne humaine, et les conseils qu’il donne tiennent compte de cette faiblesse. Mais il affirme qu’en coopérant avec la grâce qui est en eux, les époux peuvent maintenir et renforcer leurs liens personnels réciproques tout en respectant la dignité que confère à leurs corps le fait d’être des temples de l’Esprit Saint. Toute la richesse, aussi bien spirituelle que psycho-somatique, de la personne humaine doit rester sous l’influence du don que chacun reçoit de Dieu.

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Chers jeunes de la paroisse de Nieuwkerken au diocèse de Gand, je tiens à vous adresser un merci chaleureux pour votre visite, d’autant plus que vous avez le mérite d’accomplir votre pèlerinage à bicyclette. Je vous souhaite de conserver toujours l’esprit sportif et de transposer sans cesse votre goûte de l’effort et de l’endurance au niveau de la conquête de valeurs morales et spirituelles indispensables à l’authentique construction de vos personnalités. C’est pour vous aider sur ce chemin, que je vous bénis spécialement, ainsi que vos familles et votre paroisse.

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J’exprime également ma cordiale gratitude pour leur aimable visite aux quatre cents participants des championnats du monde d’Escrime, venus à Rome de quarante nations. Appréciant la valeur éducative d’un sport qui développe l’agilité et l’adresse, le réflexe et la maîtrise de soi, je forme à ce plan des vœux pour tous et chacun d’entre vous. Je souhaite aussi que votre rencontre internationale se déroule dans une atmosphère de profonde sympathie humaine, certainement bénéfique pour l’entente fraternelle des peuples. Puisse enfin votre séjour en cette ville, spécialement marquée par l’histoire bi-millénaire du christianisme, éveiller ou réveiller au plus profond de vous-mêmes la dimension spirituelle de toute vie humaine, nécessairement accompagnée de la volonté et du bonheur de servir le monde d’aujourd’hui.

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A tous les groupes venus de France ou de pays d’expression française, déjà nommés tout à l’heure, à ceux qui sont venus en famille, je dis un merci du cœur pour leur réconfortante visite. Jeunes et adultes, soyez tous de fervents disciples du Christ et des membres actifs de son Eglise! Je suis heureux de vous bénir.





Catéchèses S. J-Paul II 30682