Montée Carmel II - 2003 20

Chapitre 20 - OÙ IL EST PROUVÉ PAR AUTORITÉS DE L'ÉCRITURE, COMMENT CES DITS ET PAROLES DE DIEU, BIEN QU'ILS SOIENT TOUJOURS VÉRITABLES, NE SONT PAS TOUJOURS CERTAINS EN LEURS PROPRES CAUSES


1. Il convient maintenant que nous prouvions la seconde cause pour laquelle les visions et paroles de la part de Dieu, quoiqu'elles soient véritables en soi, ne sont pas toujours certaines pour nous ; et ceci à raison de leurs causes, sur lesquelles elles se fondent; car souvent Dieu dit des choses qui sont fondées sur les créatures et sur leurs effets qui sont variables et peuvent manquer, et ainsi les paroles qui se fondent sur cela sont variables aussi et peuvent manquer, parce que, quand une chose dépend d'une autre, l'une venant à manquer, l'autre aussi manque. Comme si Dieu disait: « D'ici un an, j'enverrai telle plaie sur ce royaume », et la cause et le fondement de cette menace est une certaine offense que l'on fait contre Dieu en ce royaume; si l'offense cessait ou se changeait, la punition pourrait cesser; et la menace était véritable, parce qu'elle était fondée sur la faute actuelle et eût été exécutée si l'offense avait duré.

2. Nous voyons que cela est advenu en la ville de Ninive de la part de Dieu, lorsqu'il dit: Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur. Ce qui veut dire: Encore quarante jours, et Ninive sera ruinée (Jon 3,4), ce qui ne s'accomplit pas, parce que cessa la cause de cette menace qui était leurs péchés, en faisant pénitence; s'ils ne l'avaient faite, elle aurait été exécutée. Nous lisons aussi au troisième livre des Rois (1R 21,21) que le roi Achab ayant commis un grand péché, Dieu lui envoya promettre un grand châtiment (notre père Élie étant le messager) sur lui, sur sa maison et sur son royaume; et comme Achab déchira ses habits de douleur, et se vêtit d'un cilice, jeûna et dormit sur un sac et devint triste et humilié, Dieu lui envoya dire aussitôt par le même prophète ces paroles : Quia igitur humiliatus est mei causa, non inducam malum in diebus eius, sed in diebus filii sui ; qui veut dire : Puisqu'Achab s'est humilié pour l'amour de moi, je n'enverrai pas le mal que j'ai dit, durant ses jours, mais en ceux de ses enfants (1R 21,29). Où nous voyons que, comme Achab changea l'esprit et l'affection dans lesquels il se trouvait, Dieu aussi changea sa sentence.

3. D'où nous pouvons déduire pour notre propos qu'encore que Dieu ait révélé ou donné pour certain à une âme quelque chose en bien ou en mal, touchant la même âme ou d'autres, cela pourra changer plus ou moins, ou varier ou être supprimé entièrement, selon le changement ou la variation d'affection de cette âme, ou la cause sur laquelle Dieu se fondait; et ainsi cela ne s'accomplira pas comme on l'attendait, et sans savoir pourquoi le plus souvent, mais Dieu seul le sait. Parce qu'encore qu'il dise, qu'il enseigne et qu'il promette bien des choses, ce n'est pas qu'on les doive entendre ou posséder maintenant, mais afin qu'on les comprenne après, quand il sera à propos d'en avoir l'éclaircissement ou quand leur effet s'ensuivra; comme nous voyons qu'il fit avec ses disciples, auxquels il proposait nombre de paraboles et sentences dont ils n'entendirent pas la sagesse jusqu'au temps qu'ils devaient la prêcher qui fut lorsque l'Esprit Saint vint sur eux, duquel le Christ leur avait dit qu'il leur expliquerait tout ce qu'il leur avait dit en sa vie (Jn 14,26). Et saint Jean, parlant de l'entrée que Christ fit en Jérusalem dit : Hoec non cognoverunt discipuli eius primum : sed quando glorificatus est Iesus, tunc recordati sunt quia hoec erant scripta de eo (Jn 12,16). Et ainsi beaucoup de choses de Dieu très particulières peuvent passer par l'âme, sans qu'elle ni ceux qui la gouvernent sachent les entendre avant leur temps.

4. Dans le livre premier des Rois, nous lisons aussi que Dieu, irrité contre Heli, prêtre d'Israël, à cause des péchés de ses enfants qu'il ne châtiait point, lui envoya dire par Samuel, entre autres paroles, celles qui suivent : Loquens locutus sum, ut domus tua, et domus patris tui, ministraret in conspectu meo, usque in sempiternum. Verumtamen absit hoc a me. C'est comme s'il disait: Très véritablement j'ai dit jadis que ta maison et celle de ton père serviraient toujours en ma présence pour le sacerdoce. Mais je suis bien éloigné de ce propos. Je ne ferai rien de tel (1S 2,30). Car, étant donné que cet office de sacerdoce était fondé sur ce qu'il devait rendre gloire et honneur à Dieu et que pour cette fin Dieu avait promis pour toujours le sacerdoce à son père, il est arrivé que le zèle de l'honneur de Dieu ayant défailli en Héli - puisque, selon la plainte de Dieu même, il honorait plus ses enfants que Dieu, en dissimulant leurs péchés pour ne pas les humilier -, il est arrivé que la promesse a aussi manqué, qui aurait duré toujours, s'ils avaient toujours continué leur zèle à le servir.

5. Et ainsi, il ne faut pas croire que les paroles et révélations qui sont de la part de Dieu doivent arriver infailliblement à la lettre, surtout lorsqu'elles dépendent de causes humaines qui peuvent varier, changer ou s'altérer. Et, quand elles sont dépendantes de ces causes, Dieu le sait et ne le découvre pas toujours (mais il prononce la parole ou fait la révélation), quelquefois en taisant la condition, comme il fit aux Ninivites auxquels il prédit avec détermination qu'ils devaient périr au bout de quarante jours (Jon 3,4) ; d'autres fois il déclare, comme il fit à Roboam, en disant: Si tu gardes mes commandements comme mon serviteur David, je serai aussi avec toi comme avec lui et je te bâtirai une maison comme j'ai fait à mon serviteur David (1R 11,38). Mais soit qu'il la déclare ou non, on ne peut être sûr de l'interprétation, parce que nous ne pouvons pas comprendre les vérités cachées de Dieu qui sont en ses dits et la multitude des sens. Il est sur le ciel et parle en voie d'éternité ; nous autres, aveugles, sur la terre, et nous n'entendons que les voies de la chair et du temps. Et c'est pourquoi, à mon avis, le Sage dit: Dieu est au ciel, et toi en la terre; et ainsi, prends garde à parler peu (Qo 5,1).

6. Tu me diras peut-être que si nous ne pouvons pas l'entendre ni nous mêler de cela, pourquoi Dieu nous communique-t-il ces choses ? J'ai déjà dit que chaque chose s'entendra en son temps par ordre de Celui qui l'a dite et voudra qu'un tel l'entendre, et on verra qu'il était ainsi convenable, car Dieu ne fait rien sans cause ni vérité. C'est pourquoi il faut tenir pour certain qu'on ne saurait venir à bout de comprendre le sens des propos et des choses de Dieu, ni porter jugement arrêté sur ce qui paraît sans errer beaucoup et en venir à se trouver très confus. Les prophètes savaient fort bien cela qui avaient la parole de Dieu en leurs mains, pour lesquels la prophétie concernant le peuple était une grande épreuve, parce que, comme nous avons dit, une grande partie des prophéties n'arrivait pas comme la lettre le disait, et c'était la cause qui rendait les prophètes si risibles, si ridicules ; si bien que Jérémie en vînt à dire : Ils se moquent de moi tout le jour; chacun me raille et me méprise parce qu'il y a longtemps que je crie contre les vices et promets qu'ils seront détruits, et la parole du Seigneur m'a été tournée en opprobre et en risée tout le temps, et j'ai dit : je ne me souviendrai plus de lui et ne parlerai plus en son nom (Jr 20,7). En quoi le saint prophète, bien qu'il dise cela avec résignation et comme un homme faible qui ne peut soutenir les voies et les détours de Dieu, donne bien à entendre la différence entre l'accomplissement des paroles divines et le sens commun de la lettre; puisqu'on tenait les divins prophètes pour des mystificateurs et que ceux-ci enduraient tant du fait de la prophétie, que le même Jérémie dit ailleurs : Formido et laqueus facta est nobis vaticinatio, et contritio ; ce qui veut dire : Pour nous elle a été convertie en crainte, en piège, la prophétie, et en regret pour l'esprit (Lm 3,41).

7. Et la raison pour laquelle Jonas s'enfuit quand Dieu l'envoya prêcher la destruction de Ninive fut celle-ci qu'il convient de savoir: il connaissait la diversité des paroles divines, eu égard à l'intelligence des hommes et à la diversité des causes de ces paroles. De sorte qu'afin qu'on ne se moquât pas de lui si sa prophétie n'avait pas lieu, il aimait mieux s'en aller, fuir, que de prophétiser; et ainsi il demeura durant tous les quarante jours hors la ville, pour voir si elle s'accomplirait, et n'en voyant point l'accomplissement il s'en affligea fort, au point qu'il dit à Dieu : Obsecro, Domine, numquid non hoc est verbum meum, cum adhuc essem in terra mea ? propter hoc proeoccupavi, ut fugerem in Tharsis; soit: Je vous prie, Seigneur, n'est-ce pas là ce que je disais étant encore en mon pays ? C'est pourquoi j'ai résisté et je me suis enfui en Tarse (Jon 4,2). Et le saint se fâcha et pria Dieu qu'il lui ôtât la vie.

8. Faut-il donc s'étonner si les choses que Dieu dit et révèle aux âmes ne s'effectuent pas comme elles les entendent? Car, supposé que Dieu affirme à l'âme ou lui représente quelque chose de bien ou de mal, pour elle ou pour un autre, si cela est fondé en certaine affection ou service ou offense que cette âme ou l'autre font alors à Dieu, et de sorte que s'ils y persévèrent cela s'accomplira, néanmoins la chose n'est pas certaine pour cela, car la persévérance est incertaine ; aussi ne faut-il jamais se fier à notre intelligence, mais à la foi.



Chapitre 21 - DANS LEQUEL EST DÉCLARÉ COMMENT, BIEN QUE DIEU RÉPONDE QUELQUEFOIS À CE QU'ON LUI DEMANDE, IL NE PREND PAS PLAISIR QU'ON USE DE CE PROCÉDÉ.

- IL EST PROUVÉ COMMENT, BIEN QU'IL CONDESCENDE ET RÉPONDE, IL S'INDIGNE SOUVENT


1. Certains spirituels se rassurent, comme nous avons dit, en tenant pour bonne la curiosité dont ils usent parfois pour tâcher de savoir certaines choses par voie surnaturelle, pensant que, puisque Dieu répond quelquefois à leurs demandes, c'est faire bien et que Dieu y prend plaisir ; je veux bien qu'il soit vrai que Dieu leur réponde, ce n'est pas toutefois un bon procédé et Dieu n'y prend pas plaisir, au contraire, cela lui déplaît; et en outre il s'en fâche souvent et s'en offense beaucoup. La raison de cela est qu'il n'est permis à aucune créature de sortir des bornes que Dieu lui a naturellement réglées pour sa conduite. Il a mis les bornes naturelles et raisonnables à l'homme pour se gouverner; aussi vouloir les franchir n'est pas permis, et vouloir vérifier et comprendre des choses par voie surnaturelle66, c'est sortir des bornes naturelles. Donc la chose n'est pas permise; par suite, Dieu ne s'y plaît nullement, car il s'offense de tout ce qui est illicite. Le roi Achab le savait bien, puisque, même quand Isaïe lui dit de la part de Dieu qu'il demandât un signe, il ne voulut pas le faire, disant: Nonpetam, et non tentabo Dominum. Soit: Je ne demanderai pas une telle chose, et je ne tenterai pas Dieu (Is 1,12). Car tenter Dieu c'est vouloir traiter avec lui par voies extraordinaires, comme sont les surnaturelles.

66 Là il ne s'agit pas de la voie surnaturelle normale, celle des vertus théologales, mais du surnaturel extraordinaire et merveilleux comme visions, révélations, etc.


2. Vous me direz peut-être : s'il en est ainsi que Dieu ne s'y plaît pas, pourquoi répond-il quelquefois ? Je dis que c'est parfois le démon qui répond. Mais si c'est Dieu, c'est qu'il s'accommode à la faiblesse de l'âme qui veut suivre ce chemin, de peur de la décourager et la laisser retourner en arrière, ou de peur qu'elle ne pense que Dieu est mal avec elle, et qu'elle ne s'en affecte trop, ou pour d'autres fins que Dieu sait et qui sont fondées sur la fragilité de cette âme. Par là Dieu voit qu'il convient de répondre et il condescend à le faire par cette voie ; comme il fait aussi à l'égard de nombreuses âmes faibles et tendres, leur donnant des goûts et des suavités très sensibles quand elles traitent avec lui, comme nous avons déjà dit ; non que Dieu veuille ou se délecte à cette façon de procéder, ni qu'on le fasse par cette voie ; mais c'est que, comme nous avons dit, il traite chacun à son mode, car Dieu est comme la source où chacun puise selon sa capacité, et quelquefois il leur en laisse prendre par ces vases et ces tuyaux extraordinaires. Mais il ne s'ensuit pas pour cela qu'il soit permis de tirer l'eau par là, si ce n'est Dieu même qui le fait, qui peut la donner quand, comme et à qui il lui plaît, et pour telle fin que bon lui semble, sans aucune prétention de la part de l'homme, et ainsi, comme nous avons dit, il condescend parfois à l'appétit et aux supplications de certaines âmes, si bonnes et si simples qu'il ne les veut refuser, de peur de les attrister et non parce qu'une telle manière lui plaît.

3. Cela s'entendra mieux par cette comparaison : un père de famille a des mets nombreux et divers sur la table, les uns meilleurs que les autres. Il y a un enfant qui veut avoir de ce qui est dans un plat, non du meilleur, mais du premier qu'il trouve, et il demande de celui-là parce qu'il croit meilleur de manger de celui-là que de l'autre ; et comme le père voit que s'il lui donne du meilleur, il n'en voudra pas, mais bien celui qu'il demande et que rien n'est à son goût sinon celui-là, de peur qu'il ne reste sans nourriture et désolé, il lui en donne avec tristesse. De même nous voyons que Dieu fit avec les enfants d'Israël quand ils lui demandèrent un roi ; car il le leur accorda contre son gré, parce que ce n'était pas ce qu'il leur fallait. Aussi dit-il à Samuel : Audi vocem populi in omnibus quoe loquuntur tibi : non enim te abiecerunt, sed me. Ce qui veut dire : Écoute la voix de ce peuple et accorde leur le roi qu'ils te demandent; car ils ne t'ont pas rejeté, mais moi (1S 8,7) de peur que je ne règne sur eux. De la même manière, Dieu condescend à quelques âmes, leur concédant ce qui n'est pas le meilleur, parce qu'elles ne veulent ou ne savent aller que par là; et ainsi quelques-unes ont des douceurs et des suavités d'esprit ou du sens, et Dieu les leur donne parce qu'elles ne sauraient manger la nourriture plus forte et plus solide des épreuves de la croix de son Fils, à quoi il voudrait qu'elles fussent plus affectionnées qu'à aucune autre chose.

4. Encore que de vouloir savoir des choses par voie surnaturelle je l'estime bien pis que de souhaiter des goûts spirituels au sens, car je ne vois pas comment l'âme qui les recherche peut être exempte de péché au moins véniel - quoiqu'elle ait beaucoup de bonnes intentions et quoiqu'elle soit parvenue à une grande perfection -, et de même celui qui le lui commanderait et qui y consentirait, car il n'y a aucune nécessité en cela, puisque nous avons la raison naturelle, la loi et la doctrine évangélique qui peuvent bien suffisamment nous conduire, et il n'y a ni difficulté ni nécessité qui ne puisse être résolue et remédiée par ces moyens tout à fait selon le bon plaisir de Dieu et au profit des âmes. Et nous devons tellement nous servir de la raison et de la doctrine évangélique que, même si maintenant, que nous le voulions, que nous ne le voulions pas, on nous dit des choses surnaturellement, nous n'en devons recevoir que ce qui est conforme à la raison et à la loi évangélique ; et en ce cas nous devons le recevoir, non parce c'est révélation, mais parce que c'est raison, laissant de côté tout sens de révélation ; et même alors convient-il de regarder et examiner cette raison bien davantage que s'il n'y avait point eu de révélation à son sujet, car le démon dit beaucoup de choses véritables et à venir et conformes à la raison, pour tromper.

5. D'où vient qu'en toutes nos nécessités, épreuves et difficultés, nous n'avons point de meilleur ni de plus sûr recours que l'oraison et l'espoir qu'Il pourvoira par les moyens qu'Il Lui plaira. Et c'est le conseil qui nous est donné en l'Écriture, où nous lisons que le roi Josaphat étant fort affligé, entouré d'ennemis, se mit en oraison, et le saint roi dit à Dieu : Cum ignoremus quod facere debeamus, hoc solum habemus residui, ut oculos nostros dirigamus ad te (2Ch 20,12). Et c'est comme s'il disait: Quand manquent les moyens et que la raison ne peut pourvoir aux nécessités, il ne nous reste qu'à lever les yeux vers Toi, afin que Tu y remédies selon ce qu'il Te plaira le plus.

6. Or - encore que nous ayons aussi donné à entendre - que Dieu ne manque pas de se fâcher, quoiqu'il réponde à de telles requêtes, il sera bon néanmoins de le prouver ici par quelques autorités de l'Écriture. a. Dans le premier livre des Rois (1S 28,6sq.) on dit que, le roi Saul demandant que le prophète Samuel qui était déjà mort, lui parlât, le prophète lui apparut; et malgré tout, Dieu se courrouça, car aussitôt Samuel le reprit de ce qu'il avait demandé une telle chose, en disant: Quare inquietasti me, ut suscitarer? Soit : Pourquoi m'as-tu dérangé en me faisant ressusciter? (1R 28,15). b. Nous savons aussi que Dieu ayant donné aux enfants d'Israël les viandes qu'ils lui avaient demandées, il ne manqua pas de s'irriter beaucoup contre eux, envoyant aussitôt le feu du ciel en punition, selon qu'il est écrit au Pentateuque (Nb 11,32-33) et selon ce que David raconte, en disant: Adhuc escoe eorum erant in ore ipsorum, et ira Dei descendit super eos ; ce qui veut dire : Ils avaient encore le morceau dans la bouche, que l'ire de Dieu descendit sur eux (Ps 11,30-31). c. Nous lisons aussi dans les Nombres (Nb 22,32) que Dieu se courrouça beaucoup contre le prophète Balaam parce qu'il avait été vers les Madianites, à la prière de leur roi Balac (quoique Dieu eût dit qu'il y allât parce qu'il en avait envie et l'avait demandé à Dieu), car, étant déjà en chemin, l'ange lui apparut avec une épée, voulant le tuer, et lui dit : Perversa est via tua, mihique contraria. Ton chemin est pervers et m'est contraire. Et pour cela il voulait le tuer.

7. En cette manière et en bien d'autres, Dieu courroucé condescend aux appétits des âmes ; ce dont nous avons de nombreux témoignages dans l'Écriture, sans compter de nombreux exemples. Mais ils ne sont pas nécessaires en une chose si claire. Seulement je dis qu'il est très dangereux, plus que je ne saurais le dire, de vouloir traiter avec Dieu par de telles voies, et il ne manquera pas d'errer beaucoup et de se trouver souvent confus celui qui s'est attaché à de tels modes - et celui qui en aura fait cas, me comprendra par expérience -; car outre la difficulté qu'il y a de savoir ne point faillir en les paroles et visions qui sont de Dieu, il y en a d'ordinaire parmi elles beaucoup qui sont du démon, parce qu'ordinairement il chemine avec l'âme, dans le même habit et la même manière que Dieu va avec elle, lui proposant une chose si semblable à celle que Dieu lui communique (pour s'ingérer en rôdant comme le loup dans le troupeau sous la peau de brebis) qu'à peine peut-on les discerner ; parce que, comme il dit beaucoup de choses véritables et conformes à la raison et qui arrivent vraiment, on peut facilement se tromper, pensant que, puisqu'elles se réalisent vraiment et qu'il prédit bien l'avenir, ce ne peut être que Dieu ; parce qu'ils ignorent que c'est une chose très aisée à celui qui a la lumière naturelle bien claire de connaître les choses ou nombre d'entre elles, qui ont été ou qui seront, en leurs causes, et comme le démon a cette lumière si vive, il peut très facilement déduire tel effet de telle cause; bien qu'il n'arrive pas toujours ainsi, puisque toutes les causes dépendent de la volonté de Dieu.

8. Prenons un exemple: Le démon connaît que la terre et l'air et l'état du soleil sont en telle manière et ont une telle disposition que, arrivé tel moment, la disposition de ces éléments nécessairement, selon l'état où ils sont, s'infectera, et ainsi infectera les gens avec la peste, et il connaît les endroits où ce sera plus et ceux où ce sera moins. Voici la peste connue en sa cause. Or quelle merveille est-ce que, le démon révélant ceci à une âme, lui disant: « D'ici un an ou une demi-année, il y aura de la peste », cela se trouve véritable ? Et toutefois, c'est prophétie du démon. De même il peut connaître les tremblements de terre, voyant que ses concavités se remplissent d'air, et peut dire : « En tel temps, la terre tremblera » ; ce qui est une connaissance naturelle, pour laquelle il suffit de garder l'esprit libre des passions de l'âme, selon ce que dit Boèce en ces paroles : Si vis claro lumine cer-nere verum, gaudia pelle, timorem spemque fugato, nec dolor adsit67 ; soit : Si tu veux connaître les vérités avec la clarté naturelle, chasse loin de toi la joie et la crainte, et l'espoir et la douleur.

67 P.L. 63, 656-658.


9. L'on peut aussi connaître des événements et des cas surnaturels en leurs causes, suivant l'ordre de la Providence divine, qui très justement et certainement agit selon ce qu'exigent les causes bonnes ou mauvaises posées par les enfants des hommes ; car on peut connaître naturellement que telle personne, telle ville ou autre chose viendra à telle ou telle nécessité, ou à tel ou tel point, que Dieu, selon sa providence et sa justice, y interviendra selon ce que demande la cause et conformément à elle, avec punition ou avec récompense ou comme l'exige la cause, et alors dire: « En tel temps, Dieu vous donnera ou fera cela, ou telle chose arrivera certainement ». Ce que la sainte Judith donna à entendre à Holopherne, lorsque, pour lui persuader que les enfants d'Israël devaient être infailliblement ruinés, elle lui raconta premièrement quantité de péchés et de misères qu'ils faisaient, et aussitôt elle dit: Et quoniam hoec faciunt, certum est quod in perditionem dabuntur (Jdt 11,9-12) ; ce qui veut dire : Donc, parce qu'ils font ces choses, il est certain qu'ils seront mis en déroute. Ce qui est connaître le châtiment en la cause; car c'est autant comme qui dirait: Il est certain que de tels péchés doivent causer tels châtiments de Dieu, qui est très juste, et comme dit la Sagesse divine: Per quoe quis peccat, per hoec et torquetur. Par les choses en lesquelles chacun pèche, il est puni (Sg 11,17).

10. Le démon peut connaître cela, non seulement naturellement, mais encore par l'expérience qu'il a d'avoir vu faire choses semblables à Dieu, et il peut le dire auparavant et tomber juste. Le saint homme Tobie connut aussi par la cause la punition de Ninive, dont il avertit son fils, en disant : Prends garde, mon fils, quand ta mère et moi serons morts, aussitôt quitte cette terre qui ne peut plus subsister; je vois clairement que son iniquité même sera cause de son châtiment qui consistera en ce qu'elle sera ruinée et détruite entièrement (Tb 14,12-13). Le démon et Tobie pouvaient aussi savoir cela non seulement par l'iniquité de la cité, mais encore par l'expérience qu'ils avaient, voyant qu'ils commettaient les péchés pour lesquels Dieu détruisit le monde dans le déluge et ceux des gens de Sodome qui périrent aussi par le feu; encore que Tobie le connût aussi par l'esprit divin.

11. Et le démon peut connaître aussi qu'un tel ne saurait naturellement plus vivre que tant de temps et le dire auparavant, et ainsi de nombreuses autres choses et de bien des manières qu'on ne saurait suffisamment déclarer, ni même aborder pour nombre d'entre elles, à cause de leur enchevêtrement extrême et de leur suprême adresse à insinuer des mensonges ; ce dont on ne peut se préserver qu'en fuyant toutes les révélations et visions et propos surnaturels. C'est pourquoi Dieu se courrouce justement contre ceux qui les admettent, parce qu'il voit que c'est témérité de telles personnes de s'exposer à un si grand péril et que c'est présomption et curiosité, et une branche de superbe, et une racine et fondement de vaine gloire, un mépris des choses divines et le principe de beaucoup de maux où beaucoup sont tombés ; ils ont tellement irrité Dieu, qu'exprès il les a laissés tomber en erreur, se tromper, s'obscurcir l'esprit et quittant les voies droites de la vie, s'abandonnant à leurs vanités et fantaisies, selon ce que révèle Isaïe en disant: Dominus miscuit in medio eius spiritus vertiginis, qui est comme s'il disait: Le Seigneur y a mêlé l'esprit de vertige, de trouble et de confusion (Is 19,14), qui en langage courant veut dire l'esprit d'entendre à rebours. Ce qu'Isaïe énonce directement pour notre propos, parce qu'il parle de ceux qui veulent savoir l'avenir par voie surnaturelle, et pour cela il dit que Dieu leur a mêlé un esprit d'entendre à rebours ; non que Dieu voulût ou leur donnât effectivement l'esprit d'erreur, mais parce qu'ils ont voulu s'ingérer en des choses où ils ne pouvaient parvenir naturellement. Dont Dieu étant irrité, il les a laissés faillir, ne leur communiquant pas sa lumière dans les choses où il ne voulait pas qu'ils s'entremissent. Et de cette manière, Dieu est cause de ce dommage, à savoir, cause privative, qui consiste pour Lui à retirer sa lumière et sa faveur; et à si bien les retirer que nécessairement ils en viennent à errer.

12. Et de cette manière Dieu donne permission au démon pour qu'il en aveugle et trompe beaucoup qui le méritent à cause de leurs péchés et de leur témérité; le démon le peut et en vient à bout, car eux le croient et le tiennent pour bon esprit; au point que fût-on tout à fait persuadé que ce n'est pas un bon esprit, on ne saurait les détromper, étant déjà (par permission de Dieu) imbus de cet esprit d'entendre à rebours, comme il advint aux prophètes d'Achab, Dieu les laissant tromper par l'esprit de mensonge, donnant pour cela permission au démon, en disant : Decipies, et proevalebis; egredere, et fac ita; ce qui veut dire: Tu prévaudras avec tes mensonges et tu les tromperas ; sors et fais ainsi (1R 22,22). Et il eut tant de pouvoir sur les prophètes et sur le roi pour les tromper qu'ils ne voulurent pas croire le prophète Michée qui leur disait la vérité, tout au contraire de ce que les autres avaient prophétisé, et cela fut parce que Dieu les laissa aveugler à cause de l'affection de propriété qu'ils avaient à ce qu'ils voulaient qu'il leur advînt et que Dieu leur répondît conformément à leurs appétits et à leurs désirs ; ce qui était un moyen et une disposition très certaine à ce que Dieu les laissât tout exprès aveugler et tromper.

13. Car Ézéchiel le prophétisa ainsi, au nom de Dieu : parlant contre celui qui se met à vouloir savoir les choses par voie de Dieu, selon la vanité et la curiosité de son propre esprit, il dit: Quand un tel homme s'adressera au prophète pour m'interroger par lui, moi le Seigneur, je lui répondrai par moi-même, et je mettrai ma face irritée contre cet homme, et quand le prophète aura failli en ce qui lui fut demandé : Ego, Dominus, decepi prophetam illum; soit: C'est moi le Seigneur qui ai trompé ce prophète (Ez 14,1-9). Ce qui doit s'entendre: n'intervenant pas en sa faveur pour qu'il ne soit pas trompé ; car c'est ce qu'il veut dire quand il dit : Moi, le Seigneur, je lui répondrai par moi-même, irrité ; ce qui n'est autre chose que de retirer sa grâce et sa faveur de cet homme. D'où s'ensuit nécessairement qu'il sera trompé étant délaissé de Dieu ; et alors le démon répond selon le goût et l'appétit de cet homme qui, comme il se plaît à cela et que les réponses et les communications sont selon sa volonté, il se laisse fort abuser. Il semble que nous soyons un peu sorti du sujet que nous avions promis au titre du chapitre, qui était de prouver que Dieu, quoiqu'il réponde, se fâche quelquefois. Mais si l'on y prend bien garde, tout ce qui a été dit convient à notre intention, puisqu'en tout on voit que Dieu n'agrée pas qu'on désire de telles visions, vu qu'il permet qu'on y soit trompé de tant de façons.


Chapitre 22 - DANS LEQUEL EST ÉCLAIRCI UN DOUTE POURQUOI IL N'EST PLUS PERMIS EN LA LOI DE GRÂCE DE CONSULTER DIEU PAR VOIE SURNATURELLE,

COMME ON LE FAISAIT EN L'ANCIENNE LOI. - ON LE PROUVE PAR UNE AUTORITÉ DE SAINT PAUL


1. De tous les côtés nous viennent des doutes et ainsi nous ne pouvons pas aller aussi vite que nous voudrions, parce qu'à mesure qu'ils se présentent, nous sommes obligés nécessairement de les éclaircir, afin que la vérité de la doctrine toujours demeure claire et en sa force. Néanmoins, dans ces doutes, il se trouve toujours cet avantage, qu'encore qu'ils nous retardent un peu, ils servent toutefois pour plus de doctrine et de clarté de notre dessein, comme il se verra dans le présent doute.

2. Dans le chapitre précédent, nous avons dit que ce n'est pas la volonté de Dieu que les âmes prétendent recevoir par voie surnaturelle des choses distinctes de visions et locutions, etc. Par ailleurs, nous avons vu dans le même chapitre et conclu des témoignages de l'Écriture qu'on y a allégués, que cela se pratiquait en l'Ancienne Loi et que cette manière de traiter avec Dieu était permise, et non seulement permise, mais que Dieu la commandait, et quand ils ne le faisaient pas, Dieu les reprenait, comme il se voit en Isaïe, où Dieu reprend les enfants d'Israël qui voulaient descendre en Israël sans L'avoir d'abord consulté en disant: Et os meum non interrogastis (Is 30,2); soit: Vous n'avez pas d'abord interrogé ma bouche même sur ce qui convenait; et aussi nous lisons en Josué (Jos 9,14) que les mêmes enfants d'Israël ayant été abusés par les Gabaonites, l'Esprit Saint y note cette faute, en disant: Susceperunt ergo de cibariis eorum, et os Domini non interrogaverunt ; ce qui veut dire : Ils ont reçu de leurs vivres et ils n'ont pas interrogé la bouche du Seigneur. Et aussi nous voyons en la divine Écriture que Moïse consultait toujours Dieu, ce que faisait pareillement David et les autres rois d'Israël au sujet de leurs guerres et nécessités, de même les prêtres et les prophètes anciens, et Dieu leur répondait et leur parlait sans se courroucer, et ils faisaient bien en cela; de sorte que s'ils y eussent manqué, c'eût été mal fait, et c'est la vérité: pourquoi donc aujourd'hui, en la Loi Nouvelle et de grâce, n'en sera-t-il pas comme c'était avant?

3. À quoi on doit répondre que la principale cause pourquoi en la Loi de l'Écriture les demandes qu'on faisait à Dieu étaient permises et pourquoi il était convenable que les prophètes et les prêtres désirent des visions et des révélations de Dieu, c'était parce qu'alors la foi n'était pas encore bien fondée, ni la Loi évangélique établie, et ainsi ils avaient besoin de s'enquérir de Dieu et qu'il parlât, tantôt par paroles, tantôt par des visions et révélations, soit encore en figures et ressemblances, soit en plusieurs autres manières de significations ; parce que tout ce qu'Il répondait, parlait et révélait était des mystères de notre foi et des choses la concernant et orientées vers elle ; car pour autant les choses de la foi ne viennent pas de l'homme, mais de la bouche de Dieu même - Il les dit par sa bouche même -, pour cela il était nécessaire (comme nous avons dit) qu'ils interrogent la bouche même de Dieu ; et pour cela Dieu même les reprenait, parce qu'en leurs affaires, ils n'interrogeaient pas sa bouche, afin que leur répondant, Il les acheminât dans le succès de leurs affaires à la foi qu'ils ne savaient pas puisqu'elle n'était pas encore fondée. Mais à présent que la foi est fondée en Christ et que la Loi évangélique est manifestée en cette ère de grâce, il n'y a plus lieu d'interroger de cette manière, ni qu'Il parle ni réponde comme alors, car en nous donnant comme Il nous l'a donné son Fils, qui est son unique Parole - car il n'en a point d'autre -, Il nous a révélé toutes choses en une seule fois par cette seule Parole et il n'a plus à parler.

4. Et c'est le sens de cette autorité avec laquelle saint Paul commence à vouloir induire les Hébreux à se retirer de ces premières manières et façons de traiter avec Dieu selon la loi de Moïse, et à jeter les yeux sur Christ seulement, disant : Multifariam multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis : novis-sime autem diebus istis locutus est nobis in Filio. Et c'est comme s'il disait: Ce que Dieu autrefois a dit à nos pères par ses prophètes en maintes sortes et manières, maintenant en ces derniers jours, il nous l'a dit en son Fils tout en une seule fois (He 1,1). En quoi l'Apôtre donne à entendre que Dieu est demeuré comme muet et qu'Il n'a plus rien à dire, parce que ce qu'il disait alors par parcelles aux prophètes, Il l'a tout dit en Lui, en nous donnant le Tout qui est son Fils.

5. C'est pourquoi celui qui demanderait maintenant à Dieu ou qui voudrait quelque vision ou révélation, non seulement ferait une sottise, mais ferait injure à Dieu, ne jetant pas entièrement les yeux sur Christ, sans vouloir autre chose que sa nouveauté. Car Dieu pourrait lui répondre de cette manière, en disant: Si je t'ai dit toutes les choses en ma Parole qui est mon Fils, je n'en ai point d'autre; que puis-je maintenant te répondre ou révéler qui soit plus que cela? Regarde-Le seulement parce que je t'ai tout dit et révélé en Lui, et tu y trouveras encore plus que tu ne demandes et que tu ne saurais souhaiter. Parce que tu désires des paroles et des révélations partielles, et si tu le regardes bien, tu y trouveras tout, parce qu'il est toute ma parole et ma réponse, toute ma vision et toute ma révélation; que je vous ai déjà dite, répondue, manifestée et révélée, vous le donnant pour Frère, Compagnon et Maître, Prix et Récompense. Car depuis ce jour que je suis descendu avec mon Esprit sur lui au mont Thabor, en disant : Hic est filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui, ipsum audite ; à savoir : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, dans lequel je me suis plu, écoutez-le (Mt 11,5), j'ai cessé toutes ces manières d'instructions et de réponses et lui ai tout remis. Écoutez-le, car je n'ai plus de foi à révéler ni de choses à manifester; que si je parlais autrefois, c'était en promettant Christ; et si l'on m'interrogeait, ce n'était que pour demander et espérer Christ, où ils devaient trouver toutes sortes de bien, comme le fait maintenant savoir toute la doctrine des évangé-listes et des apôtres; mais à présent, qui m'interrogerait de même et voudrait que je lui réponde ou que je lui révèle quelque chose, ce serait, en quelque sorte, me redemander Christ et me demander plus de foi et dire qu'il y a défaut en elle, qui est déjà donnée dans Christ; et ainsi, il ferait grande injure à mon Fils bien-aimé ; parce que non seulement en cela il manquerait à la foi, mais l'obligerait à s'incarner à nouveau et à passer par sa première vie et sa première mort. Tu n'as plus rien à me demander, ni à désirer des révélations ou visions de ma part. Regarde-le bien, tu trouveras tout cela déjà fait et donné, et encore plus en lui.

6. Si tu veux que je te dise quelque mot de consolation, regarde mon Fils, qui m'est si obéissant et soumis pour mon amour et qui est affligé, et tu ouïras ce qu'il te répondra. Si tu veux que je te révèle des choses cachées ou des événements, jette seulement les yeux sur lui et tu y trouveras des mystères très cachés et la sagesse et les merveilles de Dieu qui sont contenus en lui, selon que dit mon Apôtre : In quo sunt omnes thesauri sapientioe et scientioe Dei absconditi ; soit : En ce Fils de Dieu, sont cachés tous les trésors de la sagesse et science de Dieu (Col 2,3) ; ces trésors de la sagesse seront pour toi beaucoup plus sublimes, plus savoureux et plus utiles que ce que tu veux savoir.

Car pour cela se glorifiait le même apôtre, disant qu'il n'avait donné à entendre qu'il ne savait autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1Co 2,2). Et si tu veux encore d'autres visions et révélations divines ou corporelles, regarde-le encore en son humanité, et tu y trouveras plus que tu ne penses, parce que l'Apôtre dit aussi: In ipso habitat omnis plenitudo divinitatis corporaliter, ce qui veut dire: en Christ demeure corporellement toute la plénitude de la divinité (Col 2,9).

7. Il ne faut donc plus consulter Dieu de cette sorte, et il n'est pas nécessaire qu'il parle davantage, puisque, ayant achevé de dire toute la foi en Christ, il n'a plus de foi à révéler ni n'en aura jamais plus. Et quiconque voudrait maintenant recevoir quelque chose par voie surnaturelle, comme nous avons dit, ce serait noter un défaut en Dieu, de n'avoir pas donné en son Fils tout ce qui convient; car, encore qu'on le fasse en supposant la foi et en la croyant, c'est une curiosité de moindre foi. Donc, il ne faut point attendre ni doctrine ni autre chose par voie surnaturelle; à cause de la parole que Christ dit en la croix: Consummatum est (Jn 19,30) quand il expira et qui veut dire : C'est accompli, non seulement ces anciennes façons prirent fin, mais aussi toutes les cérémonies et coutumes de la Vieille Loi. Et ainsi nous devons nous gouverner en tout par la loi du Christ-Homme et par celle de son Église et de ses ministres, humainement et visiblement, et remédier par cette voie à nos ignorances et faiblesses spirituelles, car nous trouverons d'abondants remèdes à tout par cette voie, et sortir de ce chemin n'est pas seulement curiosité, mais grande témérité. Et il ne faut rien croire par voie surnaturelle, mais seulement ce qui est enseigné par Christ-Homme, comme je dis, et par ses ministres hommes ; si bien que saint Paul dit ces paroles : Quod si angelus de coelo evangelizaverit, proeterquam quod evangeli-zavimus vobis, anathema sit ; à savoir : Si quelque ange du ciel vous évangélise hors de ce que nous, hommes, nous vous avons évangélisé, qu'il soit maudit et excommunié (Ga 1,8).

8. Vu donc qu'il est vrai qu'on doit toujours s'en tenir à ce que Christ a enseigné, et que tout le reste n'est rien, et ne doit pas être cru s'il n'est conforme à cela, celui qui à présent veut traiter avec Dieu à la façon de l'Ancienne Loi chemine en vain, d'autant plus qu'il n'était pas permis à toutes sortes de personnes de ce temps-là d'interroger Dieu, et Dieu ne répondait pas à tous, mais seulement aux prêtres et aux prophètes, car c'était par leur bouche que le peuple devait savoir la loi et la doctrine, et si quelqu'un voulait savoir une certaine chose de Dieu, il le demandait par le prophète ou le prêtre et non lui-même. Et si David parfois consultait Dieu sans l'entremise d'un tiers, c'est qu'il était prophète, et même, avec tout cela, il ne le faisait pas sans le vêtement sacerdotal, comme on le voit dans le premier livre des Rois (1S 23,9) où il dit à Abiathar, prêtre : Applica ad me ephod - qui était un des vêtements des plus grandes autorités du sacerdoce - et c'est avec lui qu'il consulta Dieu ; mais d'autres fois il consultait Dieu par Nathan et par d'autres prophètes ; et il fallait croire que ce qu'on leur disait était de Dieu, par leur bouche et celle des prêtres, et non par leur propre avis.

9. Et ainsi, ce que Dieu disait alors n'avait aucune autorité, ni force pour donner entier crédit, s'il n'était approuvé par la bouche des prêtres et des prophètes. Car Dieu désire tant que le gouvernement et la conduite de l'homme soit par un autre homme semblable à lui et que l'homme soit régi et gouverné par la raison naturelle, qu'il veut absolument qu'on n'accorde pas un entier crédit aux choses qu'Il nous communique surnaturellement et qu'on ne s'y fie avec force et sécurité, jusqu'à ce qu'elles aient passé par ce canal humain de la bouche de l'homme. Ainsi, quand il dit ou révèle quelque chose à l'âme, c'est avec une manière d'inclination mise en la même âme de la découvrir à qui il convient de la déclarer; et jusqu'à cela, il ne donne point entière satisfaction, parce que l'homme ne l'a pas reçue d'un autre homme semblable à lui. D'où vient que nous lisons au livre des Juges que la même chose est advenue au capitaine Gédéon, parce que Dieu lui ayant souvent dit qu'il vaincrait les Madianites, néanmoins il était incertain et couard, Dieu lui ayant laissé cette timidité, jusqu'à ce que par la bouche des hommes il eût ouï ce que Dieu lui avait révélé. Ce fut que, le voyant ainsi faible, Il lui dit: Lève-toi et descends dans le camp; et cum audieris quod loquantur, tunc confortabuntur manus tuoe, et securior ad hostium castra descendes, soit : Quand tu auras entendu ce que les hommes disent, alors tu seras fortifié en ce que je t'ai dit, et tu descendras avec plus d'assurance contre l'armée ennemie (Jg 1,9-11). Et ainsi il arriva qu'ayant entendu raconter le songe d'un Madianite à un autre dans lequel il avait rêvé que Gédéon devait les vaincre, il prit courage et se disposa joyeusement au combat. Où l'on voit que Dieu ne voulut pas qu'il soit certain - puisqu'il ne lui donna pas l'assurance - seulement par la voie surnaturelle jusqu'à ce qu'il fût confirmé naturellement.

10. Il faut bien plus admirer ce qui arriva en ceci à Moïse, Dieu lui ayant commandé avec de nombreuses raisons, et l'ayant confirmé par les signes de la verge changée en serpent et de sa main devenue lépreuse, qu'il allât délivrer les enfants d'Israël, il fut si lâche et si aveuglé en cette expédition que bien que Dieu se courrouçât, il ne prît jamais courage pour avoir vraiment foi en l'occurrence pour y aller (jusqu'à ce que Dieu l'animât) par son frère Aaron, en lui disant : Aaron frater tuus Levites scio quod eloquens sit: ecce ipse egredietur in occursum tuum, vidensque te, loeta-bitur corde. Loquere ad eum, etpone verba mea in ore eius, et ego ero in ore tuo, et in ore illius, etc. Ce qui est comme s'il disait: je sais que ton frère Aaron est un homme éloquent; regarde, il viendra au-devant de toi et, te voyant, se réjouira en son coeur; parle-lui et mets en sa bouche mes paroles et je serai en ta bouche et en la sienne, afin que chacun reçoive confirmation de la bouche de l'autre.

11. Moïse ayant entendu ces paroles, s'encouragea aussitôt avec l'espoir de la consolation du conseil qu'il devait avoir de son frère. Car l'âme humble a cela de propre qu'elle n'entreprend point de traiter avec Dieu par elle seule, et qu'elle ne peut se satisfaire sans la conduite et le conseil humain. Et Dieu le veut ainsi, parce qu'Il est avec ceux qui s'assemblent pour s'entretenir de la vérité, afin de l'élucider et confirmer en eux, fondée sur la raison naturelle, comme il promit de le faire avec Moïse et Aaron assemblés, parlant par la bouche de l'un et de l'autre. C'est pourquoi il dit aussi dans l'Évangile que Ubi fuerint duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum ego in medio eorum ; soit : Là où deux ou trois seront assemblés pour délibérer sur ce qui est davantage à l'honneur et à la gloire de mon nom, je suis là au milieu d'eux (Mt 18,20) ; à savoir, éclaircissant et établissant en leurs coeurs les vérités divines. Et il faut remarquer qu'il ne dit pas : Où se trouvera un seul, je suis là, mais au moins deux ; pour donner à entendre que Dieu veut que pas un ne se fie seulement à soi-même touchant les choses qu'il juge être de Dieu, ni qu'il s'y confirme ou affermisse dans l'Église ou ses ministres, parce qu'étant seul, Il ne lui éclaircira et ne confirmera pas la vérité dans le coeur, et ainsi il demeurera faible et froid.

12. De là vient ce que l'Ecclésiaste enchérit, en disant : Voe soli, qui cum ceciderit, non habet suble-vantem se. Si dormierint duo, fovebuntur mutuo : unus quomodo calefiet ? et si quispiam proevaluerit contra unum, duo resistent ei (Qo 4,10-12); ce qui veut dire: malheur à celui qui est seul, parce que s'il tombe, il n'a personne qui le relève. Si deux dorment ensemble, ils s'échaufferont l'un l'autre (c'est à savoir, avec la chaleur de Dieu qui est au milieu) ; un seul, comment s'échauffera-t-il?; à savoir: comment ne sera-t-il pas froid en les choses de Dieu?; et si quelqu'un est plus fort et qu'il prévale contre un (soit: le démon, qui sait se prévaloir contre ceux qui veulent se conduire seuls dans les choses de Dieu), deux ensemble lui résisteront, qui sont le disciple et le maître qui se joignent pour savoir et pour effectuer la vérité. Et jusqu'à ce qu'on en vienne là, le solitaire se sent ordinairement tiède et faible en la vérité, même s'il l'a beaucoup entendue de Dieu. Ce qui est tellement vrai que saint Paul ayant longtemps prêché l'Évangile, qu'il dit avoir appris, non de l'homme, mais de Dieu, néanmoins il ne put se mettre en repos jusqu'à ce qu'il allât en conférer avec saint Pierre et les apôtres, disant : Ne forte in vanum currerem, aut cucurrissem (Ga 2,2) ; ce qui veut dire : De peur que d'aventure, je ne coure ou n'aie couru en vain ; ne se tenant pas rassuré jusqu'à ce que l'homme lui ait donné la sécurité. Chose certes qui paraît remarquable, Paul, que Celui qui te révéla cet Évangile, n'ait pu aussi te révéler en toute sécurité la faute que tu pouvais faire dans la prédication de sa vérité !

13. Ici est donné clairement à entendre que ce n'est pas bien de se fier aux choses que Dieu révèle, si ce n'est selon l'ordre que nous disons. Car, supposé que la personne soit certaine du fait - comme saint Paul l'était de son Évangile (puisqu'il avait déjà commencé de le prêcher) - encore que la révélation soit de Dieu, néanmoins l'homme peut errer à son sujet ou en ce qui la concerne, car Dieu, bien qu'il dise l'un, ne dit pas toujours l'autre; et souvent il dit une chose, et non le moyen de l'exécuter; parce que, d'ordinaire, tout ce qui peut se faire par l'industrie et le conseil humain, Il ne le fait, ni ne le dit, encore qu'il traite longtemps familièrement avec l'âme. Cela, saint Paul le savait fort bien, puisque (comme nous avons dit) étant certain que Dieu lui avait révélé l'Évangile, il alla toutefois en conférer. Et nous voyons que cela est clair dans l'Exode (Ex 18,21-22) où Dieu traitant avec tant de familiarité avec Moïse, il ne lui avait jamais donné ce conseil très utile que son beau-père Jéthro lui donna, à savoir : de choisir d'autres juges pour l'aider et pour que le peuple ne demeurât pas dans l'attente depuis le matin jusqu'à la nuit ; conseil que Dieu approuva, quoiqu'Il ne lui en eût rien dit, car c'était chose qui pouvait se comprendre par la raison et le jugement humain; touchant les visions et les paroles de Dieu, Dieu n'a pas coutume de les révéler, parce qu'il veut toujours qu'on se serve de ceux-là autant qu'on pourra, et toutes choses doivent être réglées par eux, sauf celles qui sont de foi, qui excèdent tout jugement et toute raison quoiqu'elles ne soient pas contre.

14. D'où vient que personne ne doit penser qu'encore qu'il soit certain que Dieu et les saints traitent familièrement avec lui beaucoup de choses, ils doivent par là-même lui déclarer les fautes qu'il a touchant n'importe quelle chose, puisqu'il peut le savoir par une autre voie. Aussi, il n'y a point de raison de s'y fier, ainsi nous lisons dans les Actes des Apôtres, ce qui est arrivé à saint Pierre ; bien que prince de l'Église et instruit directement de Dieu, étant en quelque erreur touchant une cérémonie dont il usait parmi les gentils, Dieu néanmoins se taisait; au point que saint Paul le reprit, selon ce qu'il affirme, en disant: Cum vidissem, quod non recte ambularent ad veritatem Evangelii, dixi Cephoe coram omnibus : Si tu iudaeus cum sis, gentiliter vivis, quomodo gentes cogis iudaizare ? ; ce qui veut dire : Comme je vis, dit saint Paul, que les disciples ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, je dis à Pierre en présence de tous: Si, étant juif comme tu l'es, tu vis à la façon des gentils, comment fais-tu une telle erreur que tu forces les gentils à judaïser? (Ga 2,14). Dieu n'avertissait pas lui-même saint Pierre de cette faute, parce que ce faux semblant était chose qui tombait sous la raison naturelle et qu'il pouvait la savoir par voie rationnelle.

15. Ainsi Dieu punira au jour du jugement maintes fautes et péchés de beaucoup de ceux avec lesquels il aura ici-bas familièrement conversé et auxquels il aura donné beaucoup de lumière et de vertu, parce qu'en ce qu'ils savaient devoir faire par ailleurs, ils se négligeaient, se confiant en cette communication et vertu qu'ils avaient avec Dieu. Et ainsi, comme dit Christ en l'Évangile, ils s'étonneront alors, en disant: Domine,

Domine, nonne in nomine tuo prephetavimus, et in nomine tuo doemonia eiecimus, et in nomine tuo doemonia eiecimus, et in nomine tuo virtutes multas fecimus? ; soit: Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom les prophéties que tu nous disais ? Et n'avons-nous pas chassé les démons en ton nom et fait maints miracles et vertus en ton nom? (Mt 7,22). Et le Seigneur dit qu'il leur répondra en disant: Et tunc confitebor illis, quia numquam novi vos : dis-cedite a me omnes qui operamini iniquitatem ; à savoir : Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité, parce que je ne vous ai jamais connus (Mt 7,23). De ceux-ci était le prophète Balaam et d'autres semblables, qui étaient pécheurs, bien que Dieu leur parlât et leur donnât des grâces. Le Seigneur reprendra aussi, pour leur compte, les élus ses amis auxquels il s'est ici-bas communiqué familièrement, de leurs défauts et paresse, dont il ne devait pas les avertir lui-même, puisque par la loi et la raison naturelle qu'il leur avait données, il les avertissait assez.

16. Pour conclure cette partie, je dis et je tire de ce qui a été dit, que tout ce que l'âme recevra, de quelque façon que ce soit, par voie surnaturelle, elle doit aussitôt le dire à son maître spirituel, clairement, sincèrement, entièrement et simplement. Car, encore qu'il semble n'y avoir pas sujet d'en rendre compte et d'employer du temps à cela, puisque comme nous avons dit en le rejetant et n'en tenant pas compte et sans le vouloir, l'âme demeure en sûreté - principalement quand ce sont visions ou révélations ou autres communications surnaturelles, qui ou bien sont claires ou peu importe qu'elles le soient ou non -, toutefois il est nécessaire, bien qu'il semble à l'âme n'en avoir point de sujet, de le dire entièrement. Et ceci pour trois raisons : la première, parce que, comme nous avons dit, Dieu communique maintes choses dont il ne confirme pas totalement l'effet, la force, la lumière et l'assurance en l'âme jusqu'à ce que, comme nous avons dit on en confère avec celui que Dieu a placé comme juge spirituel de cette âme, qui est celui qui a le pouvoir de la lier et délier, d'approuver et de réprouver en elle, selon ce que nous avons prouvé par les autorités alléguées ci-dessus et expérimentons tous les jours, voyant dans les âmes humbles où cela se passe, qu'après en avoir conféré avec qui de droit, elles demeurent avec une nouvelle satisfaction, force, lumière et sûreté; tellement qu'il semble à quelques-unes que, jusqu'à ce qu'elles l'aient communiqué, cela ne leur demeure ni ne leur appartient, et qu'alors on le leur donne de nouveau.

17. La deuxième raison est qu'ordinairement l'âme a besoin de doctrine en ce qui lui arrive, pour l'acheminer par cette voie à la nudité et à la pauvreté spirituelle, qui est la Nuit obscure ; car, si cette doctrine lui manque, bien que l'âme ne veuille de telles choses, sans y penser, elle deviendra grossière en la voie spirituelle et s'habituera à celle du sens dans lequel ces choses distinctes se passent en partie.

18. La troisième cause est qu'il convient à l'humilité et sujétion et mortification de l'âme de rendre compte de tout, bien qu'elle n'en fasse pas de cas ni d'estime; parce qu'il y a des âmes qui ont bien de la peine à déclarer cela, estimant que ce n'est rien, et ne savent comment celui à qui on doit s'en ouvrir le prendra; ce qui est de peu d'humilité et, pour cela même, il faut s'assujettir à le dire; il y en a d'autres qui ont grande honte à le déclarer de peur qu'on ne voie qu'elles ont des choses qui paraissent appartenir aux saints, ou pour d'autres causes qui les affligent s'il faut le dire, et ainsi, il leur semble qu'elles n'en doivent pas parler, puisqu'elles n'en font point de cas, et qu'après elles le disent toujours sans difficulté.

19. Mais il faut prendre garde, au sujet de ce qui a été dit : bien que nous ayons tant travaillé pour persuader qu'il est nécessaire de rejeter ces choses et que les confesseurs ne mettent point les âmes sur ce sujet, cependant les pères spirituels ne doivent leur en montrer aucun dégoût, ni les en détourner ni les mépriser de telle sorte que les âmes se replient sur elles-mêmes et n'osent plus les confier; et que ce serait occasion de tomber en maints inconvénients, s'ils les empêchaient de les dire ; parce que ces choses étant un moyen et une manière par lesquels Dieu mène ces âmes, il n'est pas convenable d'être mal avec Lui, ni de s'en étonner ou scandaliser, mais plutôt il faut procéder très doucement et posément, les encourageant et enhardissant à les dire, et si nécessaire leur en donner l'ordre; car en la difficulté qu'ont certaines âmes d'en parler il est parfois nécessaire de se servir de tout. Qu'ils les acheminent en la foi, les instruisant doucement à détourner leurs yeux de tout cela, leur apprenant comment il faut en dénuer l'appétit et l'esprit pour s'avancer, et leur faisant entendre qu'une oeuvre ou un acte de volonté fait en charité est plus agréable à Dieu que toutes les visions et communications qu'elles pourraient avoir du ciel, puisqu'elles n'ont ni mérite ni démérite, et que bien des âmes fort éloignées de ces choses sont sans comparaison plus avancées que d'autres qui en ont beaucoup.




Montée Carmel II - 2003 20