Montée Carmel II - 2003 31

Chapitre 32 - DANS LEQUEL ON TRAITE DES PRÉHENSIONS QUE L'ENTENDEMENT REÇOIT DES SENTIMENTS INTÉRIEURS QUI SE FONT SURNATURELLEMENT EN L'ÂME.

- ON DIT LEUR CAUSE ET DE QUELLE MANIÈRE L'ÂME DOIT SE COMPORTER POUR NE PAS EMPÊCHER LA VOIE DE L'UNION DIVINE EN ELLES


1. Reste maintenant à traiter du quatrième et dernier genre de préhensions intellectuelles que nous disions pouvoir tomber en l'entendement de la part des sentiments spirituels qui se font souvent surnaturellement en l'âme du spirituel et que nous avons mis parmi les préhensions distinctes de l'entendement.

2. Ces sentiments spirituels distincts peuvent être en deux manières : Les premiers sont des sentiments en l'affection de la volonté; les seconds sont des sentiments en la substance de l'âme ; et les uns et les autres peuvent être de plusieurs manières. Ceux de la volonté quand ils sont de Dieu sont fort sublimes ; mais ceux de la substance de l'âme sont extrêmement hauts, de grand bien et fort utiles ; et ni l'âme ni celui qui la gouverne ne peuvent savoir ni entendre la cause d'où ils procèdent, ni quelles sont les bonnes oeuvres pour lesquelles Dieu lui fait ces faveurs ; puisqu'elles ne dépendent point d'oeuvres que l'âme fasse, ni de considérations qu'elle ait, encore que ces choses soient de bonnes dispositions pour cela. Dieu les donne à qui Il lui plaît et en vue de ce qui Lui plaît; car il arrivera qu'une personne se sera exercée en maintes oeuvres et ne recevra pas ces touches, et une autre, avec beaucoup moins, les aura excellentes et en grande abondance ; et ainsi il n'est pas besoin que l'âme soit actuellement employée et occupée en choses spirituelles (encore qu'il vaut beaucoup mieux l'être pour les avoir) pour que Dieu donne les touches d'où l'âme tire lesdits sentiments, parce que le plus souvent elle en a la pensée bien éloignée. De ces touches, quelques-unes sont distinctes et passent rapidement; les autres ne sont pas si distinctes et durent davantage.

3. Ces sentiments, en tant qu'ils sont sentiments seulement, n'appartiennent point à l'entendement, mais à la volonté ; de sorte que je n'en traite pas expressément en ce lieu, réservant cela jusqu'à ce que nous parlions de la nuit et de la purification de la volonté en ses affections, ce qui sera dans le Troisième Livre qui suit. Mais parce que souvent, et même le plus souvent, il rejaillit d'eux en l'entendement, préhension, notion et intelligence, pour cette seule fin il convient d'en faire ici mention. Aussi faut-il savoir que, de ces sentiments - ceux de la volonté et ceux qui sont dans la substance de l'âme, qu'ils procèdent de touches que Dieu cause soudainement, ou de touches durables et successives - souvent (comme je dis) rejaillit en l'entendement une préhension de connaissance ou intelligence ; ce qui a coutume d'être une très haute perception de Dieu et très savoureuse en l'entendement, que l'on ne peut nommer non plus que le sentiment d'où elle résulte. Et ces connaissances sont tantôt d'une manière, tantôt d'une autre; parfois plus relevées et plus claires, parfois moins relevées et moins claires, selon que le sont aussi les touches que Dieu fait, qui causent les sentiments d'où elles procèdent, et selon leur propriété.

4. Par précaution et pour acheminer l'entendement par ces notions en foi à l'union avec Dieu, il n'est pas besoin d'employer ici beaucoup de paroles car de même que les sentiments que nous avons dits se font passivement en l'âme, sans qu'elle fasse rien de sa part effectivement pour les recevoir, de même aussi leurs connaissances se reçoivent passivement dans l'entendement que les philosophes appellent possible, sans qu'il fasse rien de soi-même. D'où vient que de peur d'y faillir et d'en empêcher le profit, il ne doit aussi rien y faire, mais seulement se comporter passivement à leur sujet, sans entremettre sa capacité naturelle. Car, comme nous avons dit qu'il arrive en les paroles successives, il troublerait et déferait très facilement par son activité ces connaissances délicates, qui sont une savoureuse intelligence surnaturelle où le naturel ne peut atteindre, et qu'il ne peut comprendre en agissant, mais en recevant. Et ainsi, on ne doit pas les rechercher ni avoir envie de les admettre, de peur que l'entendement de lui-même n'en forme d'autres et que le démon n'y entre avec d'autres différentes et fausses ; ce qu'il peut faire fort facilement par le moyen desdits sentiments ou ceux qu'il peut de lui-même mettre en l'âme qui se livre à ces connaissances. Que l'âme se tienne résignée, humble et se comporte passivement en elles ; car puisqu'elle les reçoit passivement de Dieu, Il les lui communiquera aussi quand il lui plaira, la voyant humble et désappropriée, et de cette manière, elle n'empêchera pas en soi le profit que font ces connaissances pour l'union divine, qui est grand, parce que toutes ces touches sont touches d'union, union qui se fait passivement en l'âme.

5. Cela suffit pour conclure avec les préhensions surnaturelles de l'entendement en tant qu'on apprend à conduire par elles l'entendement en foi à l'union divine. Et ce qui a été dit à ce sujet suffit, parce que, quelque chose qui arrive à l'âme concernant l'entendement, on trouvera la précaution et la doctrine pour cela dans les divisions déjà dites. Et encore qu'une chose semble différente et qu'elle ne soit comprise en aucune, il n'y a aucune intelligence qui ne puisse se réduire à l'une d'elles, d'où l'on ne puisse tirer doctrine et précaution pour elle en ce qui a été dit en une autre semblable dans ces quatre genres. Et ainsi nous passerons au Troisième Livre, où avec la faveur divine nous traiterons de la purgation spirituelle et intérieure de la volonté75 bis concernant ses affections intérieures qu'ici nous appelons Nuit active.

Montée Carmel II - 2003 31