Augustin, du travail des moines. - CHAPITRE 11. IC1,COMME AILLEURS, PAUL OBÉIT A UN SENTIMENT DE COMMISÉRATION POUR LES FAIBLES. - IL CRAINT, EN VIVANT DE L'ÉVANGILE, QUE LES FAIBLES NE S'IMAGINENT QUE L'ÉVANGILE SE VEND.

CHAPITRE 11. IC1,COMME AILLEURS, PAUL OBÉIT A UN SENTIMENT DE COMMISÉRATION POUR LES FAIBLES. - IL CRAINT, EN VIVANT DE L'ÉVANGILE, QUE LES FAIBLES NE S'IMAGINENT QUE L'ÉVANGILE SE VEND.


12. En preuve, toutefois, qu'il n'agissait ainsi que par condescendance pour l'humaine faiblesse, écoutons ce qui suit: «Car étant, dit-il, libre à l'égard de tous, je me suis rendu serviteur de tous, pour gagner à Dieu plus de personnes. J'ai vécu avec ceux qui «sont sous la loi, comme si j'avais encore été sous la loi, bien que je n'y fusse plus assujéti, pour gagner ceux qui sont sous la loi; avec ceux qui n'avaient pas la loi, comme si je n'en eusse pas en moi-même (bien que j'en eusse une à l'égard de Dieu, ayant celle de Jésus-Christ),pour gagner ceux qui n'avaient pas la loi»,

La ruse ni la feinte n'inspiraient point ici sa conduite, mais bien la condescendance et la miséricorde. Je veux dire qu'il ne voulait pas se faire passer pour juif, comme quelques-uns l'ont conclu (1) de ce qu'à Jérusalem il observait les rites de l'ancienne loi. Il agit alors, en effet, d'après cette maxime que lui-même a franchement et hautement formulée: «Quelqu'un est-il appelé étant déjà circoncis? Qu' il ne prétende pas au prépuce (2)», c'est-à-dire qu'il se garde de vivre comme s'il était entré avec le prépuce, comme s'il avait réparé le dépouillement de sa chair. En ce cas, en effet, et l'Apôtre le déclare en un autre endroit: «Votre circoncision est devenue prépuce (3)». Saint Paul était donc conséquent avec cette maxime bien arrêtée qui lui faisait dire: «Un circoncis est-il appelé? Qu' il ne prétende plus au prépuce. Un autre est-il appelé sans circoncision? Qu' il ne se fasse point circoncire». Par suite, il a tenu franchement la conduite qui parut une feinte aux yeux d'hommes sans attention ou sans connaissance de son état. Car il était Juif et déjà circoncis, quand il fut appelé à la foi; il ne voulut donc pas se couvrir du prépuce, c'est-à-dire, il se garda de vivre comme s'il n'avait jamais été circoncis, bien qu'il eût le droit dès lors de tenir cette conduite. - Il n'était pas sans doute sous la loi, comme ceux qui l'observaient servilement; mais toutefois il était assujéti à la loi de Dieu et de Jésus-Christ. Car la loi n'était pas autre chose que la loi de Dieu même, bien que les Manichéens pervers aient coutume de faire cette distinction. Autrement, et si, d'après eux, l'Apôtre doit passer pour avoir simulé le Judaïsme quand il en observa les rites, il faut dire qu'il a simulé aussi le paganisme et sacrifié aux idoles, puisqu'il avoue s'être affranchi de la loi avec ceux qui n'avaient pas la loi, désignant ainsi évidemment les gentils, que nous appelons les païens.


1. Voir S. Jérôme. Lettre LXXV, inter Augustinianas. - 2. 1Co 7,18 - 3. Rm 2,25

Admettons donc trois états à l'égard de la loi: l'homme a été sous elle, en elle, et sans elle. Sous la loi, vous trouvez les Juifs charnels. Dans la loi, les Juifs spirituels et les Chrétiens; d'où l'on voit que ceux-ci gardèrent ces prescriptions de leurs pères, mais sans prétendre imposer aux païens convertis cet insupportable fardeau; et c'est pour cela qu'eux-mêmes étaient circoncis. Enfin, sans la loi vivaient les Gentils qui n'avaient pas encore embrassé la foi. L'Apôtre déclare s'être conformé à eux par une condescendance miséricordieuse, et non par une métamorphose odieuse et hypocrite. Comprenons donc qu'il venait en aide au juif charnel et au païen dans la mesure où lui-même aurait voulu être aidé s'il avait été païen ou juif; heureux de porter par miséricorde les dehors de leurs faiblesses, sans pour cela les séduire par des évolutions mensongères. Aussi a-t-il le droit de poursuivre et de dire aussitôt: «Je me suis fait faible avec les faibles, pour gagner les faibles à Dieu». Il partait de ce principe, pour énoncer toutes les autres maximes que nous venons d'entendre. Se faire faible pour les faibles, n'était point mentir: de même, tous ses actes énoncés plus haut n'étaient pas des mensonges.

Car, en particulier, quelle faiblesse avoue-t-il avoir commise en faveur des faibles? Aucune; mais, par condescendance pour eux et seulement pour n'avoir pas l'air de vendre l'Evangile, craignant même d'encourir de fâcheux soupçons qui auraient empêché le progrès de la parole sainte chez ces hommes ignorants des choses, l'Apôtre ne voulut pas même accepter ce qui lui était dû d'après le droit fondé par Jésus-Christ. L'eût-il voulu recevoir, qu'il n'eût trompé personne, puisque c'était une dette; il n'a pas trompé davantage en refusant de l'accepter. Car il n'a pas nié l'existence de cette créance; il l'a même prouvée comme certaine tout en déclarant qu'il n'en avait point usé, et qu'il ne voulait point en user. Voilà, en définitive, en. quoi il s'est fait faible. il a refusé d'user de son droit, tant il se revêtait d'amour et de miséricorde, ne pensant qu'aux procédés dont il aurait voulu qu'on se servît envers lui, s'il avait été lui-même assez faible pour soupçonner de mercantilisme les prédicateurs de l'Evangile, en les voyant accepter leur salaire.

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CHAPITRE XII. EFFRAYÉ DES DANGERS QUE COURAIENT LES FAIBLES, L'APÔTRE AIMA MIEUX TRAVAILLER, QUE DE VIVRE DE L'ÉVANGILE.


13. C'est de cette faiblesse qu'il dit en un autre passage: «Nous nous sommes faits comme de petits enfants au milieu de vous; nous avons agi comme la mère nourrice qui a soin de ses enfants». Le contexte de tout ce morceau explique mieux encore sa pensée dans ce sens. «Car nous n'avons usé, poursuit-il, d'aucune flatterie, comme vous le savez vous-mêmes; nous n'avons point cherché l'occasion de satisfaire la cupidité, Dieu nous en est témoin; ni la gloire qui vient des hommes, de vous ni d'autres; et quoique nous eussions pu, comme les apôtres de Jésus-Christ, vous charger de notre subsistance, nous nous sommes faits parmi vous semblables aux petits enfants et pareils à la nourrice qui a soin de ses enfants (1)».

Ainsi cette affirmation, qu'il fait aux Corinthiens, du droit attaché à son apostolat et qu'il partage avec les autres apôtres tout en déclarant qu'il n'en a point usé, cette affirmation de son droit, il la répète dans ce passage de l'épître aux Thessaloniciens, dans ces mots surtout: «Quoique nous eussions pu vous «être à charge, comme les apôtres de Jésus-Christ», d'après la parole même du Seigneur: «Que l'ouvrier mérite son salaire».

Que saint Paul parle ainsi toujours sous l'inspiration de la même idée, le texte précité nous en donne la preuve: «Nous n'avons pas pris occasion, dit-il, de satisfaire notre cupidité; Dieu nous en est témoin». En effet, le règlement du Seigneur établissait une dette en faveur des dignes prédicateurs de l'Evangile; et ceux-ci, en prêchant, ne cherchaient point ce profit, mais seulement les intérêts du règne de Dieu, en retour duquel on leur offrait le nécessaire. Mais d'autres prédicateurs trouvaient l'occasion que saint Paul nous révèle: «Ceux-là, dit-il, ne servent point Dieu, mais leur ventre (2)». Pour retrancher à ces misérables cette occasion de vénalité, l'Apôtre allait jusqu'à abandonner le recouvrement d'une dette très-légitime.

Cette pensée n'est pas moins évidente dans la seconde aux Corinthiens, où l'Apôtre déclare que d'autres églises ont suppléé à ses


1. 1Th 2,5-7 - 2. Rm 16,18

besoins. C'est, qu'en effet, il paraît que l'Apôtre était réduit chez les Corinthiens à un tel excès d'indigence, que d'autres églises éloignées lui envoyaient le nécessaire, tandis qu'il refusait d'accepter rien de pareil de ceux qu'il évangélisait alors. Ecoutons-le: «Est-ce que j'ai fait une faute, lorsqu'afin de vous relever, je me suis rabaissé moi-même, en vous prêchant gratuitement le royaume de Dieu? J'ai dépouillé les autres églises en recevant d'elles l'assistance dont j'avais besoin pour vous servir. Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j'étais dans la nécessité, je n'ai été à charge à personne; mais nos frères qui étaient venus de Macédoine ont suppléé aux besoins que je pouvais avoir; et j'ai pris garde de ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je le ferai encore à l'avenir. Je vous assure, par la vérité de Jésus-Christ qui est en moi, qu'on ne me ravira point cette grâce dans toute l'Achaïe. Et pourquoi? Est-ce que je ne vous aime pas? Dieu le sait. Mais je fais cela, et je le ferai encore, afin de retrancher une occasion de se glorifier à ceux qui la cherchent, en voulant paraître tout à fait semblables à nous, pour trouver en cela un sujet de gloire (1)».

L'occasion qu'il déclare retrancher ici se trouve donc être exactement la même qu'il a indiquée dans l'autre passage, en disant: «Nous gardant, Dieu le sait, de toute cupidité (2)». - Et cette déclaration de sa seconde épître aux Corinthiens: «Je me suis abaissé pour vous faire grandir (3)», revient à celle qu'il leur a faite dans sa première épître: «Je me suis fait faible avec les faibles»; et c'est, enfin, ce qu'il. écrit aux Thessaloniciens: «Je me suis fait comme un petit enfant au milieu devons; et tout pareil à la nourrice qui prend soin de ses enfants (4)».

Aussi, faites attention à la suite de ce dernier texte: «Voilà comment, dans l'affection que nous ressentions pour vous, nous aurions souhaité de vous donner non-seulement la connaissance de l'Evangile de Dieu, mais aussi notre propre vie, tant était grand l'amour que nous vous portions. Car vous n'avez pas oublié, mes Frères, quelle peine et quelle fatigue nous avons souffertes, et comme nous vous avons prêché l'Evangile de Dieu, en travaillant jour et nuit, pour n'être à


1. 2Co 11,7-12 . - 2. Loc. jam cit. - 3. Ibid. - 4. Ibid.

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charge à aucun de vous (1)». En effet, il avait dit plus haut: «Nous pouvions cependant vous donner cette charge, comme les apôtres de Jésus-Christ». Mais le danger des faibles, mais la crainte que des soupçons calomnieux ne leur fissent haïr l'Evangile pour une apparence de vénalité, frappent d'épouvante les entrailles paternelles, maternelles même de l'Apôtre, et lui dictent cette conduite.

Tel est encore son langage dans les Actes des Apôtres, lorsqu'étant à Milet, il envoie à Ephèse pour faire venir les prêtres de cette église, et leur dit entr'autres choses: «Je n'ai désiré de personne ni argent, ni or, ni vêtements; et vous savez vous-mêmes que ces mains, que vous voyez, ont fourni à moi et à tous ceux qui étaient avec moi, tout ce qui nous était nécessaire. Je vous ai montré en toute manière qu'il faut soutenir ainsi les faibles en travaillant, et se souvenir de ces paroles que le Seigneur Jésus lui-même a dites: Qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir (2)».

CHAPITRE XIII. QUEL ÉTAIT LE TRAVAIL MANUEL DE L'APÔTRE. ENUMÉRATION DES OCCUPATIONS HONNÊTES AU MOYEN DESQUELLES ON GAGNE SA VIE.


14. Ici, l'on me demandera peut-être: supposé que l'Apôtre se livrât, pour gagner sa vie, à des travaux corporels, quelle occupation choisissait-il? quelles heures donnait-il au travail, et à quelles heures prêchait-il? - Je réponds: Mettons que je l'ignore; il n'en sera pas moins vrai qu'il a travaillé de son corps et gagné sa vie ainsi, sans vouloir user du droit, accordé par Notre-Seigneur aux ministres évangéliques, de vivre de l'Evangile: voilà des faits que les textes précédents mettent absolument hors de doute; car ce n'est pas une affirmation que l'Apôtre ait prononcée une fois et en passant; et la funeste habileté de l'esprit le plus subtil et le plus fourbe ne peut la détourner de son sens, ni la plier au service d'une autre idée.

L'opposition de nos contradicteurs venant donc se briser contre cette masse de textes si forts et si nombreux, pourquoi me demandent-ils quel genre de profession exerçait l'Apôtre et en quel temps il l'exerçait? Je ne sais qu'une chose. Il n'était point voleur, ni par


1. 1Th 2,8-9 - 2. Ac 20,33-35

adresse ni par effraction, ni par brigandage; il n'était ni conducteur de chars, ni veneur, ni histrion; ni voué à des gains infâmes. Il travaillait, en toute vertu et honneur, à quelque métier utile à la société, comme sont les professions où l'on manie le fer ou le bois, la pierre ou le cuir, les travaux des gens de la campagne ou tout autre métier semblable. Car l'honneur ne condamne pas certains ouvrages que condamne l'orgueil de certaines gens qui aiment à s'appeler hommes d'honneur et n'aiment pas à l'être en effet. - Non, l'Apôtre ne dédaignerait pas, lui, de mettre la main à quelque ouvrage rustique ni de s'appliquer à un travail d'ouvrier. Il a dit: «Soyez sans reproche en face des Juifs, des Grecs et de l'Eglise «de Dieu ' u; et ici il n'a lui-même à craindre le blâme d'aucun d'eux. Produirez-vous contre lui les Juifs? Leurs patriarches gardaient les troupeaux. Les Grecs, que nous appelons aussi les païens? Les ouvriers en cuir leur ont fourni des philosophes même très-honorables. L'Eglise de Dieu? Mais un homme si juste qu'il a été choisi pour témoin d'une virginité inviolable dans le mariage même, oui, l'époux de la Vierge Marie, Mère du Christ, était un artisan. Concluez donc que tout travail d'homme en ce genre est bon, pourvu qu'il soit innocent et sans fraude; condition suprême d'ailleurs, prévue et recommandée par l'Apôtre qui, craignant que la nécessité de gagner sa vie ne jette le travailleur en quelque couvre mauvaise, a soin de dire: «Que celui qui était voleur, ne vole plus; mais qu'il travaille davantage et honnêtement de ses mains, afin d'avoir même à donner à celui qui aurait besoin (2)». Un seul point est donc nécessaire à savoir: c'est que, dans ses travaux corporels, l'Apôtre faisait encore le bien.

CHAPITRE XIV. QUELLES HEURES L'APÔTRE CONSACRAIT-IL AU TRAVAIL? OISIVETÉ DES MOINES.


15. Mais quelles étaient habituellement les heures de son travail, ou bien encore quelle en était la durée, calculée de façon à ne pas nuire à sa prédication? La réponse est-elle possible? Bien sûr, il travaillait pendant le jour et pendant la nuit, lui-même ne nous a pas laissé ignorer cette circonstance (3). Nos gens, au contraire, si inquiets en apparence et


1. 1Co 10,32 - 2. - 3. 1Th 2,9 2Th 3,8

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si affairés de savoir quel temps l'Apôtre donnait au travail, eux-mêmes que font-ils? Sont-ils donc de ceux qui ont rempli du saint Evangile les contrées qui s'étendent au large dans le parcours de Jérusalem à l'Illyrie? Ont-ils entrepris de visiter tout ce qui reste encore de nations barbares et de les gagner au pacifique empire de l'Eglise?.... Ah! lorsque nous savons de ces gens qu'ils se réunissent dans une oisiveté entière en une sainte communauté, volontiers nous avouons que Paul a tenu une conduite merveilleuse. En effet, chargé. de la sollicitude immense de toutes les églises déjà créées ou encore en formation' et dont le soin et le labeur reposaient sur lui, Paul travaillait encore de ses propres mains; grâce à ce travail, il ne fut à charge à aucun des fidèles chez lesquels il demeurait à Corinthe, bien qu'il y ait eu vraiment besoin, mais tout ce qui lui manquait fut suppléé par les frères qui vinrent de Macédoines.

CHAPITRE XV. EN RECOMMANDANT LE TRAVAIL AUX SERVITEURS DE DIEU, PAUL VEUT NÉANMOINS QUE LES FIDÈLES POURVOIENT A LEURS BESOINS. LE TRAVAIL QUE LES SERVITEURS DE DIEU DOIVENT PRÉFÉRER EST CELUI QUI N'E


16. En effet, Paul a prévu cette sorte de nécessité où pourraient se trouver les saints. Ceux-ci, tout en obéissant à sa maxime de manger en silence le pain du travail, sont exposés cependant, pour maintes causes, à manquer d'un supplément nécessaire à leur subsistance. Aussi, après les avoir instruits et prévenus en ces termes: «Quant à ceux qui en sont là, nous leur commandons et nous les conjurons en Jésus-Christ Notre-Seigneur de manger en silence leur pain par le travail», l'Apôtre craint que les chrétiens plus aisés, ceux qui ont de quoi fournir le nécessaire aux serviteurs de Dieu, ne prennent occasion de là pour se ralentir, et par précaution, il ajoute aussitôt: «Vous, au contraire, mes frères, gardez-vous de faiblir à bien faire (3)» .

Et quand il écrit à Tite: «Faites prendre les devants à Zénas, docteur de la loi, et à Apollon, en prenant bien garde qu'il ne leur manque rien», il veut aussi montrer le moyen qui les préservera de tout besoin, et


1. Rm 15,19 - 2. 2Co 11,9 - 3. 2Th 3,12-13

ajoute aussitôt: «Que nos frères apprennent aussi à être toujours les premiers à pratiquer les bonnes oeuvres, lorsque la nécessité le demande, afin qu'ils ne demeurent point stériles et sans fruit (1)».

Il a des précautions semblables pour Timothée, qu'il appelle son plus aimé fils. Il le savait faible de santé, comme il le prouve assez en l'avertissant de ne pas boire d'eau, mais d'user d'un peu de vin à cause de son estomac et de ses fréquentes maladies (2). Timothée ne pouvait donc se livrer à un travail corporel; et ne voulant sans doute pas dépendre, pour sa subsistance quotidienne, de ceux auxquels il dispensait la parole évangélique, peut-être cherchait-il quelque autre occupation où il exerçât plutôt ses facultés intellectuelles. Car autre chose est de se réserver, en travaillant, toute sa liberté d'esprit, comme fait l'ouvrier ordinaire, quand il n'est ni frauduleux ni avare, ni tourmenté du désir de s'enrichir; autre chose est d'occuper son esprit même à certains calculs, pénibles en dehors même du travail matériel, dans le but de faire ainsi de l'argent, comme c'est la profession, par exemple, des négociants, des courtiers, des loueurs. Ces gens mènent les affaires par leurs soins, sans toutefois travailler de leurs mains, et ils occupent ainsi leur intelligence même par le désir inquiet de s'enrichir. Timothée pouvait se jeter dans de pareilles occupations, puisque sa faiblesse physique lui rendait impossible le travail des mains. Paul, dans cette appréhension, lui prodigue en ces termes les avis, les encouragements, les consolations: «Travaillez comme un bon soldat de Jésus-Christ. «Celui qui est enrôlé au service de Dieu ne s'embarrasse point dans les affaires séculières, il ne veut plaire qu'à celui qu'il sert en volontaire. Celui qui prend part aux combats publics, n'est couronné qu'après avoir légitimement combattu (3)». Et de peur que son disciple, réduit à l'extrémité, ne lui dise: «Je ne puis travailler la terre, et je rougis de mendier (4)», l'Apôtre ajoute: «Un laboureur qui travaille, doit le premier récolter des fruits (5)»; dans le même sens qu'il avait dit aux Corinthiens: «Qui donc alla jamais à la guerre à ses dépens? qui est-ce qui plante la vigne et ne mange point de son fruit? Qui est-ce qui fait paître le troupeau et ne boit


1. Tt 3,13-14 - 2. 1Tm 5,2-3 - 3. 2Tm 2,3 et seq. - 4. Lc 16,3 - 5. 2Tm 2,6

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point de son lait?» - C'est ainsi que saint Paul rassure pleinement ce chaste prédicateur de l'Evangile, qui ne l'enseignait pas pour en faire marché, mais qui ne pouvait cependant gagner de ses mains le nécessaire de sa vie. Il veut lui faire comprendre qu'en prenant son nécessaire sur des fidèles, qu'il servait comme l'armée sert une province, qu'il cultivait comme une vigne, qu'il paissait comme un troupeau, ce n'était pas mendier, c'était exercer un droit.

CHAPITRE XVI. C'EST EXERCER UN MINISTÈRE A L'ÉGARD DES SAINTS QUE DE LEUR FOURNIR LES CHOSES NÉCESSAIRES A LA VIE CORPORELLE EN RETOUR DES BIENS SPIRITUELS. - QUE LES SERVITEURS DE DIEU OBÉISSENT A PA


17. Ainsi, tenant compte soit des occupations des serviteurs de Dieu, soit des infirmités corporelles dont ils ne peuvent être absolument exempts, l'Apôtre non-seulement permet, mais conseille fort à propos aux vrais fidèles de suppléer à tous leurs besoins.

Ne parlons plus, en effet, de ce droit dont l'Apôtre témoigne n'avoir point usé, mais dont il impose la charge aux fidèles, en disant «Que celui qui reçoit la sainte instruction de «la parole, assiste en tout bien celui qui l'instruit (1)». Non, ne parlons plus de ce droit tant de fois invoqué par saint Paul au profit des prédicateurs de l'Evangile, sur ceux qui reçoivent la prédication.

Il s'agit maintenant des saints de l'église de Jérusalem, de ces fidèles qui avaient vendu et distribué tous leurs biens, et qui dès lors habitaient cette cité dans une sainte communauté de vie, sans jamais plus parler de propriété privée, n'ayant plus en Dieu qu'un seul coeur et une seule âme (2). C'est pour ces simples fidèles que saint Paul réclame le nécessaire; c'est leur cause qu'il plaide auprès des églises des Gentils. Tel est le sens de ce passage de l'Epître aux Romains: «Maintenant je m'en vais à Jérusalem porter aux saints quelques aumônes. Car les églises de Macédoine et d'Achaïe ont résolu avec beaucoup d'affection de faire quelque a part de leurs biens à ceux d'entre les saints


1. Ga 6,6 - 2. Ac 2,44 Ac 4,32

de Jérusalem qui sont pauvres. Oui, elles l'ont résolu, et, de fait, elles leur sont redevables. Car, si les Gentils ont participé à leurs richesses spirituelles, elles doivent aussi leur faire part de leurs biens temporels (1)».

Ce passage ressemble à celui où il dit aux Corinthiens: «Si nous avons jeté chez vous les semences des biens spirituels, est-ce donc merveille que nous moissonnions vos biens charnels (2)?»

Et de même dans la seconde épître aux mêmes Corinthiens: «Mais il faut, mes frères, que je vous fasse savoir la grâce de Dieu envers les églises de Macédoine. C'est que leur joie s'est d'autant plus redoublée, qu'ils ont été éprouvés par de plus grandes afflictions; et que leur profonde pauvreté a répandu avec abondance les richesses de leur charité sincère. Car, je leur rends ce témoignage, qu'ils se sont portés d'eux-mêmes à donner autant qu'ils pouvaient, et même au-delà de ce qu'ils pouvaient; nous conjurant, avec beaucoup de prières, de recevoir l'aumône qu'ils offraient pour prendre part à l'assistance destinée aux saints. Et ils n'ont pas fait seulement en cela ce que nous avions a espéré d'eux, mais ils se sont donnés eux-mêmes premièrement au Seigneur et puis à nous par la volonté de Dieu. C'est ce qui nous a porté à supplier Tite que, comme il a déjà commencé, il achève aussi de vous rendre parfaits en cette grâce, et que, comme vous êtes riches en toutes choses, en foi, en paroles, en science, en toutes a sortes de soins, et en l'affection que vous nous portez, vous le soyez aussi en cette sorte de grâce. Ce que je ne vous dis pas néanmoins pour vous imposer une loi, mais seulement pour vous porter, par l'exemple de l'ardeur des autres, à donner des preuves de votre charité sincère. Car vous savez quelle a été la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté. C'est ici un conseil que je vous donne, parce que cela vous est utile, et que vous n'avez pas seulement commencé les premiers à faire cette charité, mais que vous en avez de vous-mêmes formé le dessein dès


1. Rm 15,5-27 - 2. 1Co 9,11

254

l'année passée. Achevez donc maintenant ce que vous avez commencé de faire dès lors, afin que comme vous avez une si prompte volonté d'assister vos frères, vous les assistiez aussi effectivement de ce que vous avez. Car lorsqu'un homme a une grande volonté de donner, Dieu la reçoit, ne demandant de lui que ce qu'il peut, et non ce qu'il ne peut pas. Ainsi je n'entends pas que les autres soient soulagés, et que vous soyez surchargés; mais que, pour ôter l'inégalité, votre abondance supplée maintenant à leur pauvreté, afin que votre pauvreté soit soulagée un jour par leur abondance, et qu'ainsi tout soit réduit à l'égalité, selon ce qui est écrit de la manne: celui qui en recueillit beaucoup n'en eut pas plus que les autres; et celui qui en recueillit peu n'en eut pas moins. Or, je rends grâces à Dieu de ce qu'il a mis au coeur de Tite la même sollicitude que j'ai pour vous. Car non-seulement il a bien reçu la prière que je lui ai faite; mais s'y étant porté avec encore plus d'affection par lui-même, il est parti de son propre mouvement pour vous aller voir. Nous avons envoyé aussi avec lui notre frère, qui est devenu célèbre par l'Evangile dans toutes les églises; et qui de plus, a été choisi par les églises pour nous accompagner dans nos voyages, et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à nos frères, pour la gloire du Seigneur, et pour seconder notre bonne volonté; et notre dessein en cela a été d'éviter que personne ne puisse nous rien reprocher sur cette aumône abondante, dont nous sommes les dispensateurs. Car nous tâchons de faire le bien avec tant de circonspection, qu'il soit approuvé non-seulement de Dieu, mais aussi des hommes (1)».

Ces paroles nous montrent, d'abord jusqu'à l'évidence, combien l'Apôtre voulait imposer aux saintes populations une large sollicitude en faveur des dignes serviteurs de Dieu et assurer à ceux-ci le nécessaire. C'est un simple conseil qu'il donne, parce que cette charité profite plus à ceux qui la font qu'à ceux qui la reçoivent. Et cependant, ces derniers ont d'autres avantages de leur côté: ainsi, un saint usage de ce don généreux de leurs frères, l'attention à ne point servir Dieu en vue de cette aumône, la précaution de ne l'accepter


1. 2Co 8,1-9

que comme supplément à un état nécessiteux et non comme un encouragement à la paresse. - Mais ces paroles, aussi, nous révèlent la sollicitude personnelle à saint Paul, son scrupule dans ce ministère de charité. Non content d'envoyer cette offrande par Tite, il rappelle que lui-même veut avoir un compagnon de ses voyages, choisi pour ce ministère parles Eglises, un homme de probité reconnue, un homme de Dieu «dont la louange en l'Evangile, ajoute-t-il, retentit dans toutes les Eglises». Et il s'est fait choisir ce compagnon, dit-il, pour éviter la critique des hommes qui, sans ce témoignage de ses saints coassociés dans ce ministère, pourraient le faire passer aux yeux des faibles et des impies comme recevant pour son propre compte, comme s'attribuant personnellement ce qu'il recevait pour suppléer aux nécessités des saints, au lieu de le porter et de le distribuer aux indigents.


18. Il dit un peu plus loin: «Il serait superflu de vous écrire davantage touchant à cette assistance qui se prépare pour les saints de Jérusalem. Car je sais avec quelle affection vous vous y portez; et c'est aussi ce qui me donne lieu de me glorifier de vous devant les Macédoniens, leur disant que la province d'Achaïe était disposée à faire cette charité dès l'année passée; et votre exemple a excité le même zèle dans l'esprit de plusieurs. C'est pourquoi j'ai envoyé nos frères vers vous, afin que ce ne soit pas en vain que je me sois loué de vous en ce point, et qu'on vous trouve tout prêts, selon l'assurance que j'en ai donnée; de peur que si ceux de Macédoine, qui viendront avec moi, trouvaient que vous n'eussiez rien préparé, ce ne fût à nous, pour ne pas dire à vous-mêmes, un sujet de confusion dans cette conjoncture, de nous être loués de vous. C'est ce qui m'a fait juger nécessaire de prier nos frères d'aller vous trouver avant moi, afin qu'ils aient soin que la charité, que vous avez promis de faire, soit toute prête, avant notre arrivée; mais de telle sorte que ce soit un don offert par la charité, et non arraché à l'avarice. Or, je vous avertis, mes frères, que celui qui sème peu moissonnera peu; et que celui qui sème avec abondance moissonnera aussi avec abondance. Ainsi que chacun donne ce qu'il aura résolu (255) en lui-même de donner, non avec tristesse, ni comme par force; car Dieu aime celui qui donne avec joie (1). Et Dieu est tout-puissant pour vous combler de toute grâce; afin qu'ayant en tout temps et en toutes choses tout ce qui suffit pour votre subsistance, vous ayez abondamment de quoi exercer toutes sortes de bonnes oeuvres, selon ce qui est écrit: Le juste distribue son bien; il donne aux pauvres; sa justice demeure éternellement (2). Dieu qui donne la semence à celui qui sème vous donnera le pain dont vous avez besoin pour vivre, et multipliera ce que vous aurez semé, et fera croître de plus en plus les fruits de votre justice; afin que vous soyez riches en tout, pour exercer avec un coeur simple toutes sortes de charités; ce qui nous donne sujet de rendre à Dieu de grandes actions de grâces. Car cette oblation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints, mais elle est riche et abondante par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle fait rendre à Dieu; parce que ces saints, recevant ces preuves de votre libéralité, par notre ministère, se portent à glorifier Dieu de la soumission que vous témoignez à l'Evangile de Jésus-Christ; et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres: et de plus elle est riche et abondante par les prières qu'ils font pour vous, et par l'amour qu'ils vous gardent à cause des grâces éminentes que vous avez reçues de Dieu. Dieu soit loué de son ineffable don (3)».

Quelle pleine onction de sainte allégresse parfume le coeur de l'Apôtre, lorsqu'il parle de cet échange de secours par lesquels l'armée du Christ et son peuple pourvoient à leurs mutuels besoins, se renvoyant l'une à l'autre les biens du corps et les biens de l'âme! Avec quelle force éclate le cri de joies saintes, dans ces paroles: «Grâces soient rendues à Dieu pour ce don inénarrable».


19. Ainsi, d'abord, l'Apôtre, disons mieux, l'Esprit-Saint qui possédait, remplissait et dirigeait son coeur, n'a pas cessé d'adresser aux chrétiens qui jouiraient de quelque aisance dans le monde, une pressante exhortation. C'est de ne laisser jamais manquer de nécessaire ceux d'entre les serviteurs de Dieu qui, voulant occuper dans l'Eglise un plus haut


1. Si 35,11 - 2. Ps 111,9 - 3. 2Co 9,1-15

rang de sainteté, auraient brisé tous les liens des espérances du siècle, et consacré à la milice de Dieu leur âme désormais affranchie. - Par contre, les hommes ainsi voués obéiront aussi aux leçons de saint Paul: il leur impose la compassion pour les faibles; le devoir de briser avec l'amour du bien personnel pour travailler de leurs plains au bien commun, et l'obéissance sans murmure à leurs supérieurs. Enfin, dans les offrandes des fidèles vertueux, ils ne verront qu'un supplément à leur propre travail, aux labeurs qu'ils s'imposeront pour gagner leur vie; car il peut leur rester des besoins encore, à raison des faiblesses physiques de quelques-uns d'entr'eux, ou bien à cause de leurs occupations ecclésiastiques et de l'étude nécessaire des saintes doctrines.

CHAPITRE XVII. OBJECTION DES PARESSEUX: ILS VAQUENT A L'ORAISON, A LA PSALMODIE, A LA LECTURE, A LA PAROLE DE DIEU. - IL EST PERMIS DE CHANTER DES PSAUMES EN TRAVAILLANT. - LA LECTURE NE SERT DE RIEN,


20. Je voudrais savoir ce que font, à quoi s'occupent ceux qui se refusent aux travaux corporels. - A prier, répondent-ils, à psalmodier, à lire, à prêcher la parole de Dieu. - Sainte vie assurément, vie louable et embellie de la suavité de Jésus! Mais s'il n'est pas permis de quitter de telles occupations, on ne doit non plus ni manger, ni préparer chaque jour les aliments, pour pouvoir ensuite les servir et s'en nourrir. Or, si les serviteurs de Dieu sont forcés, parles besoins impérieux de la faiblesse physique, d'employer à ces détails un temps déterminé, pourquoi ne pas assigner aussi certaines fractions du temps à l'observation des préceptes de l'Apôtre? Car, enfin, une seule prière de l'obéissance respectueuse se fait exaucer plus vite que dix mille oraisons du mépris désobéissant.

D'ailleurs, tout en travaillant des mains, on peut chanter les divins cantiques et alléger son travail même par un appel à Dieu. Ne savons-nous pas à quelles vanités et le plus souvent même à quelles obscénités empruntées aux fables de la scène, tous les ouvriers adonnent et leurs coeurs et leurs voix, sans que leurs mains quittent l'ouvrage? Qui empêche donc qu'un serviteur de Dieu, tout en (256) travaillant des mains, médite la loi du Seigneur et chante le nom du Seigneur Tout-Puissant (1)? Sans doute il se réservera un temps spécial pour apprendre les choses saintes que sa mémoire doit lui rappeler. Et c'est pourquoi précisément les bonnes oeuvres sont prescrites aux fidèles, qui ont à suppléer aux nécessités matérielles du religieux. Ainsi le temps qu'il emploiera à perfectionner son âme, ces heures où les travaux du corps lui deviennent impossibles, ne lui apporteront pas une indigence accablante.

Comment, en vérité, ceux qui prétendent s'occuper de la lecture n'y trouvent-ils pas le précepte de l'Apôtre? Quelle étrange perversité, de ne vouloir pas suivre ce que prescrit cette lecture même, tout en voulant y vaquer; et de ne pas vouloir pratiquer ce qu'on lit, sous le prétexte de lire plus longtemps ce qui est bon? Qui ne sait que nous profitons d'autant plus vite d'une bonne lecture, que plus vite nous mettons cette lecture en action?


Augustin, du travail des moines. - CHAPITRE 11. IC1,COMME AILLEURS, PAUL OBÉIT A UN SENTIMENT DE COMMISÉRATION POUR LES FAIBLES. - IL CRAINT, EN VIVANT DE L'ÉVANGILE, QUE LES FAIBLES NE S'IMAGINENT QUE L'ÉVANGILE SE VEND.