Augustin, du travail des moines. - CHAPITRE XVIII. AUTRE OBJECTION RÉFUTÉE: LA NÉCESSITÉ DE DISPENSER LA PAROLE DE DIEU. PAUL AVAIT DISTRIBUÉ SON TEMPS ENTRE LA PRÉDICATION ET LE TRAVAIL. - LA MEILLEURE ADMINISTRATION EST CELLE OU TOUT SE FAIT AVEC ORDRE.

CHAPITRE XVIII. AUTRE OBJECTION RÉFUTÉE: LA NÉCESSITÉ DE DISPENSER LA PAROLE DE DIEU. PAUL AVAIT DISTRIBUÉ SON TEMPS ENTRE LA PRÉDICATION ET LE TRAVAIL. - LA MEILLEURE ADMINISTRATION EST CELLE OU TOUT


21. Supposons toutefois qu'il faille charger tel moine en particulier du ministère de la parole, et qu'il y soit assez occupé pour n'avoir plus le temps de travailler: s'ensuit-il que tous les autres habitants du monastère puissent, comme lui, quand viennent leurs frères de condition séculière, leur expliquer les textes sacrés ou élucider une question quelconque? Quand bien même tous les moines auraient ce talent, chacun devrait n'en user qu'à tour de rôle, non-seulement pour laisser aux autres la facilité de s'occuper des travaux nécessaires, mais aussi parce qu'il suffit qu'un seul parle, même quand plusieurs écoutent.

L'Apôtre lui-même aurait-il eu le temps de travailler de ses mains, s'il n'avait fixé des heures spéciales pour dispenser aux peuples la parole divine? Dieu lui-même n'a pas voulu nous laisser ignorer cette règle de saint Paul; nous savons par l'Ecriture sainte quel métier il exerçait, et quel temps aussi il employait à la prédication de l'Evangile.


1. Ps 1,2 Ps 12,6

A Troade, par exemple, l'Apôtre se trouvait pressé par l'approche imminente du jour fixé pour son départ. Aussi quand, le lendemain du sabbat, les frères se réunirent pour rompre le pain, telle fut l'ardeur et l'importance des entretiens sacrés, qu'ils se prolongèrent jusqu'à minuit, comme si chacun avait oublié que ce n'était pas un jour de jeûne (1). -Au contraire, quand l'Apôtre habitait quelque temps une localité et qu'il y enseignait chaque jour, peut-on douter qu'il n'eût certaines heures spécialement consacrées à remplir ce devoir? Ainsi, pendant son séjour dans Athènes, trouvant en cette ville les plus empressés chercheurs de toutes choses, il suivit la ligne de conduite que nous indique l'Ecriture: «Avec les Juifs, il discutait dans la synagogue; avec les Gentils, habitants de la cité, il parlait en place publique et pendant tout le jour, s'adressant à tous ceux qui s'y trouvaient (2)». En effet, la synagogue ne l'appelait pas tous les jours, puisque la coutume n'y imposait de prédication que le sabbat; tandis qu' «en place publique, dit le texte sacré, il prêchait tous les jours», sans doute à cause des habitudes des Athéniens. Car, continue le texte sacré, quelques-uns des philosophes Epicuriens et Stoïciens conféraient avec lui. Et un peu plus bas: «Or les Athéniens et tous les étrangers qui demeuraient dans leur ville, ne passaient tout leur temps qu'à dire ou à entendre quelque chose de nouveau».

Supposons que l'Apôtre n'a pu travailler des mains durant tout le séjour qu'il fit à Athènes; c'est pour cela que les frères de Macédoine suppléaient alors à ses besoins, comme il le dit dans la seconde épître aux Corinthiens; quoique après tout il ait pu travailler encore à d'autres heures et pendant les nuits, parce que sa force de corps et d'âme pouvait y suffire.

Mais une fois sorti d'Athènes, que dit de lui l'Ecriture? «Il prêchait dans la synagogue tous les jours de sabbat (3)». Ceci se passait à Corinthe. Toutefois, lorsqu'à Troade la nécessité d'un prochain départ le força de prolonger l'entretien jusqu'à minuit, c'était le lendemain du sabbat, que nous appelons le dimanche (4). Cette circonstance nous apprend qu'il se trouvait alors non plus avec les Juifs, mais avec les chrétiens, d'autant plus que


1. Ac 20,7 - 2. Ac 17,17 -3. Ac 18,21 - 4. Ac 20,7

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l'historien sacré lui-même nous dit qu'ils étaient réunis pour la fraction du pain. Voilà, en effet, la plus sage manière de se gouverner; c'est de distribuer ainsi toutes choses en leur -temps, et de faire chacune à son tour; on évite par là une confusion, un tumulte d'affaires qui jette l'esprit humain dans un trouble inextricable.

CHAPITRE XIX.LE TRAVAIL DE SAINT PAUL ÉTAIT VRAIMENT UN TRAVAIL MANUEL.


22. Le même passage nous apprend encore quel métier exerçait l'Apôtre. «Après cela, est-il dit, Paul étant parti d'Athènes, vint à Corinthe. Et ayant trouvé un juif nommé Aquilas, originaire du Pont, qui était nouvellement venu d'Italie avec Priscille, sa femme, parce que l'empereur Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome, il se joignit à eux. Et parce que leur métier était de faire des tentes, et que c'était aussi le sien, il demeurait chez eux et y travaillait (1)».

Car si nos contradicteurs essaient d'entendre ce texte dans un sens allégorique, ils font voir où en sont leurs progrès dans les lettres ecclésiastiques, qu'ils se vantent pourtant d'étudier.

Au reste, qu'ils se rappellent les textes déjà cités. «Seuls, Barnabé et moi, n'aurions-nous pas le pouvoir de ne pas travailler (2)?» Mais, ajoute-t-il, «nous n'avons pas usé de ce pouvoir (3)». Ainsi encore: «Nous pouvions vous être à charge comme les Apôtres de Jésus-Christ (4)», mais au contraire, dit-il, «nous avons travaillé jour et nuit pour n'être à charge à aucun de vous (5)». - Ainsi, enfin «Le Seigneur a réglé que ceux qui annoncent l'Evangile, vivraient de l'Evangile; mais moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits (6)».

Ces textes et les autres semblables, nos adversaires n'ont qu'à les expliquer encore à contre-sens; ou bien, s'ils sont vaincus par l'éclat tout-puissant de la lumière et de la vérité, ils n'ont plus qu'à les comprendre et à obéir; ou, enfin, si la force ou. la volonté leur manque pour s'y soumettre, ils ont à reconnaître du moins qu'avec cette volonté on vaut


1. Ac 18,1-4 - 2. 1Co 9,6 - 3. 1Co 12 - 4. 1Th 2,7 - 5. 1Th 3,8 - 6. 1Co 9,14-15

mieux, qu'avec cette force on est plus heureux qu'eux-mêmes.

En effet, alléguer contre la loi de véritables infirmités corporelles ou même en prétexter d'imaginaires, ce n'est pas s'abuser ou abuser les autres jusqu'au point de faire croire que la perfection dans les religieux sera d'autant plus grande, que la paresse règnera chez eux davantage, après qu'on aura trompé leur simplicité. Oui, traitons humainement celui qui éprouve une véritable faiblesse de corps; abandonnons à la justice de Dieu celui qui la met en avant, sans pouvoir être convaincu de mensonge; mais disons que du moins ni, l'un ni l'autre n'accrédite une règle pernicieuse. En effet, dans le premier cas, le loyal serviteur de Dieu se met au service de son frère véritablement infirme; dans le second cas, placé en face du menteur, ou bien il le croit, parce qu'il ne le regarde pas comme un pervers, mais il n'imite point pourtant sa perversité; ou bien il ne le croit pas et le juge un trompeur, et alors il ne l'imite pas davantage. Vienne, au contraire, un frère qui dise: «Voici la vraie perfection; c'est de ne faire aucun ouvrage corporel, à l'imitation des oiseaux du ciel, et quiconque travaille de ses mains agit contre l'Evangile». Tout individu faible d'esprit qui écoute et qui croit de telles maximes, est bien à plaindre, non pas comme fainéant dès lors, mais comme indignement trompé.

CHAPITRE XX. DIFFICULTÉ: LES AUTRES APOTRES QUI ONT VÉCU DE L'ÉVANGILE SANS TRAVAILLER ONT-ILS PÉCHÉ?- RÉPONSE: LE PRÉCEPTE DU TRAVAIL REGARDE CEUX QUI N'ÉVANGÉLISENT PAS.


23. Une difficulté s'élève ici. Quoi donc! dira-t-on peut-être, en ne travaillant pas, tes autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas ont-ils péché, ou bien ont-ils créé des obstacles à l'Evangile? Car saint Paul déclare, lui, n'avoir point usé de son droit pour ne pas entraver la propagation de la foi. Dites-vous qu'ils ont péché en ne travaillant pas? - Vous niez alors qu'ils aient reçu le pouvoir de vivre de l'Evangile et sans le travail des mains. Dites-vous qu'ils avaient reçu le droit de ne pas travailler? Maintenez-vous la règle (258) du Seigneur, que «les prédicateurs de l'Evangile peuvent vivre de l'Evangile», et même, en général, «que l'ouvrier mérite son salaire (1)», tout en remarquant que saint Paul n'a pas voulu profiter de ce droit et qu'il a fait pour l'Eglise plus que son devoir? - C'est dire que les Apôtres n'ont pas péché. Mais s'ils n'ont pas péché, c'est qu'ils n'ont point suscité d'obstacles à l'oeuvre de Dieu; car entraver les progrès de l'Evangile, c'est bien certainement un péché. Concluons, ajoutent nos adversaires, que les choses étant ainsi, nous pouvons en toute liberté, nous aussi, user ou ne point user de ce pouvoir.


24. Pour résoudre brièvement cette difficulté, je n'aurais qu'un mot à dire, et je le dirais en toute raison: Croyez absolument à saint Paul. - Il savait, lui, pourquoi chez les églises de la gentilité, il fallait porter l'Evangile sans ombre de vénalité. Aussi, sans blâmer les apôtres ses collègues, il prouvait le caractère spécial de son ministère. En effet, les Apôtres, assistés certainement par le Saint-Esprit, s'étaient partagé pour le monde entier les fonctions évangéliques; Paul avec Barnabé devaient s'adresser plutôt aux Gentils (2), et leurs collègues plutôt aux circoncis (3). Mais que l'Apôtre ait commandé le travail à tous ceux qui n'avaient pas reçu le droit que vous savez, voilà un fait évident, et tout ce que nous avons dit le prouve surabondamment. Or, nos pauvres frères s'arrogent bien témérairement, ce me semble, ce droit exceptionnel. Ils l'ont, je l'avoue, s'ils annoncent l'Evangile; et, comme ministres de l'autel et dispensateurs des sacrements, ils ne se l'arrogent pas, ils le réclament à juste titre.

CHAPITRE XXI. CEUX QUI VEULENT ÊTRE OISIFS SONT, POUR LA PLUPART, DES CONVERTIS QUI MENAIENT AUPARAVANT UNE VIE PAUVRE ET LABORIEUSE.


25. Si, du moins, ils étaient de ceux qui, dans le siècle, possédaient assez de fortune pour vivre en ce monde sans travail manuel, mais qui, s'étant convertis à Dieu, l'ont distribuée aux pauvres, il faudrait croire à leur infirmité, et la supporter. De tels hommes, en effet, élevés, je ne dirai pas, avec le vulgaire, plus soigneusement, mais, à dire vrai, plus


1. Mt 10,10 - 2. Ac 13,2 - 3. Ga 2,9

mollement que personne, ne peuvent d'ordinaire endurer la fatigue des travaux corporels. Peut-être cette classe d'hommes était nombreuse dans Jérusalem; et c'est d'eux qu'il est écrit qu'ils vendaient leurs propriétés et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, pour les distribuer entre les fidèles selon les besoins de chacun (1). Ces Juifs vinrent de près, et ils rendirent de grands services aux Gentils que Dieu appelait de loin et arrachait au culte des idoles; leur charité contribuait à accomplir cette parole de l'Ecriture: «La loi sortira de Sion; et la parole du Seigneur viendra de Jérusalem (2)». En retour de ce service éminent, les chrétiens convertis de la gentilité, devinrent, selon l'Apôtre, débiteurs de ces Israélites. «Oui, dit-il, ils sont leurs débiteurs», et il déclare à quel titre: «Car si, continue-t-il, les Gentils ont eu part à leurs biens spirituels, ainsi doivent-ils les aider de leurs biens charnels (3)».

CHAPITRE XXII. CONTRE LES MOINES OISIFS ET BAVARDS, DONT L'EXEMPLE ET LA PAROLE DÉTOURNENT LES AUTRES DU TRAVAIL.

De nos jours, au contraire, le plus souvent, on voit se consacrer à Dieu des gens de condition servile, parfois aussi des affranchis ou des esclaves à qui leurs maîtres ont donné ou sont prêts à donner la liberté tout exprès dans ce but; des individus enlevés à la vie des champs ou à des métiers d'artisan et à des travaux plébéiens; des hommes enfin dont l'éducation première est d'autant plus heureuse qu'elle a été plus ferme et plus rude. Si le couvent les refuse, c'est une faute grave; car de leurs rangs déjà l'on a vu sortir des personnages vraiment grands et exemplaires. Car «Dieu a choisi ce qu'il y a de plus faible, pour confondre ce qu'il y a de plus fort; il a choisi ce qu'il y a d'insensé dans le monde, pour confondre les sages; ce qu'il y a dans le monde de plus méprisé, ce qui paraît même n'être rien absolument, pour anéantir ce qui est, afin qu'aucun homme ne se glorifie devant lui (4)». Telle est donc aussi la sainte et pieuse pensée qui fait admettre des hommes mêmes qui n'apportent encore aucune preuve certaine que leur vie soit décidément


1. Ac 2,45 Ac 4,34 - 2. Is 2,3 - 3. Rm 15,27 - 4. 1Co 1,27-29

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changée et amendée. Car, sont-ils venus par suite d'une résolution ferme de servir Dieu? Ou, au contraire, échappés vides et pauvres à une vie indigente et laborieuse, ne cherchent-ils qu'à être nourris, vêtus, et en outre même honorés par ceux qui avaient habitude jusqu'alors de les mépriser et de les accabler? On ne saurait prononcer.

Pour eux, du moins, dans la question du travail, ils ne peuvent s'excuser par la raison de faiblesse physique; les habitudes de leur vie antérieure les condamneraient. Aussi cherchent-ils à se couvrir à l'ombre d'une discipline perverse, et par une interprétation misérable d'un texte évangélique, ils voudraient renverser les maximes apostoliques. Véritables oiseaux du ciel, en vérité, mais par l'orgueil qui leur fait essayer un vol téméraire; herbe des champs, oui, mais par leur terre à terre déplorable et charnel!


26. Il leur arrive, en effet, ce que le même. saint Paul reprochait aux jeunes veuves oublieuses des saintes règles: «Niais, de plus, elles s'apprennent à être oisives, et non-seulement oisives, mais curieuses et bavardes, et causant de choses dont elles ne devraient pas s'entretenir (1)». Ainsi parlait-il de femmes coupables; ainsi parlons-nous avec douleur et gémissement de ces hommes coupables aussi, qui bavards autant qu'oisifs, se permettent le langage le plus inconvenant contre l'Apôtre même, dans les Epîtres duquel nous lisons ce passage. Sans doute, il en est dans leurs rangs qui ont embrassé la sainte milice avec l'unique et ferme volonté de plaire à Celui au service duquel ils se sont enrôlés (2). Un tempérament fort et une santé parfaite leur permettraient certainement, non-seulement d'étudier et de s'instruire, mais encore de travailler des mains comme le veut saint Paul. Mais ils accueillent les discours de ces hommes oisifs et corrompus, sans pouvoir, novices inhabiles, en apprécier la fausseté; et la contagion pestilentielle les pervertit et leur communique la même corruption. Dès lors, non contents de ne point imiter l'obéissance des saints qui travaillent en silence et des monastères qui vivent, selon la règle apostolique, sous une discipline très-salutaire, ils insulteront aux plus parfaits; ils vanteront la paresse comme observance évangélique, ils accuseront la miséricorde comme prévarication contre


1. 1Tm 5,13 - 2. 2Tm 2,4

l'Evangile. - Et cependant, ménager la bonne réputation des serviteurs de Dieu, c'est exercer la miséricorde envers les âmes faibles, mieux encore qu'on n'exerce la charité envers les corps souffrants, lorsqu'on partage son pain avec les indigents. Aussi, plût au ciel que ces gens si portés à ménager leurs mains, ménageassent aussi tout à fait leurs langues! Car s'ils donnaient l'exemple du silence autant que celui de la paresse, ils entraîneraient moins de victimes dans leurs errements.

CHAPITRE XXIII. LES PARESSEUX ENTENDENT MAL L'ÉVANGILE. L'AUTEUR LES PLAISANTE. - MOINES QUI S'ENFERMENT, POUR N'ÊTRE VUS DE PERSONNE DURANT PLUSIEURS JOURS. - LE PRÉCEPTE ÉVANGÉLIQUE DE NE PAS SONGER


27. Voici maintenant qu'à l'encontre d'un Apôtre de Jésus-Christ, les adversaires nous citent l'Evangile de Jésus-Christ. Admirable travail de paresseux, qui voudraient empêcher au nom de l'Evangile, une conduite que saint Paul nous prescrit et qu'il a tenue lui-même pour ne pas créer d'empêchements à l'Evangile! Et cependant si nous voulions les forcer de vivre selon la lettre de l'Evangile interprétée même encore d'après leur manière, ils seraient les premiers à s'efforcer de nous convaincre qu'il ne faut point entendre ces textes au sens qu'eux-mêmes leur donnent. La raison, en effet, la seule raison qui leur fasse dire qu'ils ne doivent point travailler, c'est que les oiseaux du ciel ne sèment point, ne moissonnent point, et que le Seigneur nous a proposé leur exemple pour ne pas penser à ces sortes de besoins. Pourquoi donc ne pas étudier dans le même sens la suite du texte? Il n'est pas seulement dit que les oiseaux ne sèment ni ne moissonnent; le livre saint ajoute encore: «qu'ils n'amassent point dans des apothèques (1)». Or, cette expression peut se traduire par greniers, ou même littéralement, par dépôts de réserve. Pourquoi donc nos gens veulent-ils avoir mains oisives et pleins greniers? Pourquoi amasser et conserver ce qu'ils reçoivent du travail d'autrui, afin d'y puiser chaque jour? Pourquoi faire moudre le grain et cuire les aliments? Les oiseaux du ciel ne font rien de semblable. - D'ailleurs,


1. Mt 6,26

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se trouve des obligeants qui se laissent persuader de faire faire pour nos moines tous ces ouvrages, jusqu'à leur apporter jour par jour les aliments tout préparés, du moins estce par eux-mêmes qu'ils vont chercher l'eau à la fontaine, ou la prendre aux puits et citernes pour leur usage immédiat: autant de choses que ne font point les oiseaux.

Après tout même, si l'on veut, admettons que de bons fidèles, des sujets tout dévoués au Roi immortel des siècles, s'empressent de se mettre au service des plus vaillants soldats de Dieu, jusqu'à leur épargner la peine même de remplir une urne d'eau. Ainsi ferait-on peut-être, si nos moines, par un degré inouï de perfection, avaient surpassé les premiers chrétiens de Jérusalem. En effet, quand ceux-ci furent menacés d'une famine déjà prédite par les prophètes de leur Eglise (1), les bons fidèles de la Grèce leur envoyèrent du grain, dont je suppose qu'à Jérusalem on fit ou fit faire du pain: encore un soin que ne prennent pas les oiseaux.

Enfin, admettons ce que j'ai commencé à déclarer déjà; admettons que nos gens ont surpassé d'un degré quelconque de perfection les chrétiens héroïques de Jérusalem. Si, pour tout ce qui a trait aux besoins les plus élémentaires de la vie, ils font comme les oiseaux, ils ont à démontrer encore que les hommes servent les oiseaux comme eux-mêmes voudraient être servis. Or, l'on ne traite ainsi que les oiseaux captifs et renfermés auxquels on ne se fie pas et dont on craint qu'ils ne s'envolent pour ne plus revenir. Encore ceux-ci préfèrent-ils jouir de leur liberté et prendre leur nécessaire dans les champs, plutôt que de le recevoir tout servi et préparé de la main des hommes.


28. Poursuivons. - Nos gens se verront surpassés par un nouveau et plus sublime degré de perfection. D'autres, en effet, se feront une règle de sortir tous les jours dans nos campagnes, comme le bétail au pâturage, afin d'y ramasser ce qu'ils trouveront pendant un temps convenable, et de ne rentrer que rassasiés et repus. Qu'il serait bien aussi toutefois, qu'à cause des gardes, le Seigneur daignât accorder des ailes à ces serviteurs de Dieu, puisqu'en les trouvant ainsi dans les propriétés particulières, on pourrait bien non pas les arrêter comme voleurs, mais leur donner


1. Ac 11,28-30

la chasse, comme à des étourneaux!En cas pareil, celui-là imiterait l'oiseau autant que possible, qui pourrait ne jamais se laisser prendre par le chasseur.

Eh bien!que tous octroient aux serviteurs de Dieu, sortie parfaitement libre et à leur gré sur tous les champs, avec droit d'en revenir en toute sûreté après réfection convenable. Ainsi une loi avait-elle prescrit au peuple d'Israël que personne n'arrêterait dans son champ aucun individu comme voleur, sauf celui qui voudrait emporter avec lui quelque objet (1) qu'on laissât aller par conséquent libre et impuni l'homme qui n'aurait touché que ce qu'il aurait mangé. D'après ce principe, quand les disciples du Seigneur prirent quelques épis, les Juifs les accusèrent de violer le sabbat et non d'être voleurs (2). Mais comment faire aux époques de l'année où l'on ne trouve pas dans les champs la nourriture toute prête à manger? Essayez donc d'emporter chez vous des aliments que vous devez faire cuire et apprêter; on vous dira, en vous appliquant dans votre sens même un texte de l'Evangile: Laissez; les oiseaux du ciel ne font point comme vous!


29. Faisons encore une concession. L'on pourra, durant toute l'année, trouver dans les champs, soit sur les arbres, soit dans les herbages, soit parmi les racines, des aliments susceptibles d'être mangés sans cuisson préalable. On se donnera d'ailleurs assez d'exercice et de mouvement, pour que les mets qui d'ordinaire veulent être cuits, se mangent crus sans inconvénient. Il sera possible aussi de sortir pour trouver sa pâture, même pendant les plus grandes rigueurs de l'hiver. Ainsi n'aura-t-on besoin ni d'enlever un aliment pour aller le préparer, ni de rien réserver pour le lendemain.

Voilà encore un régime de vie impraticable à des hommes qui s'isolent de la société pendant de longs jours, sans permettre d'ailleurs qu'on entre chez eux, et qui s'enferment ainsi pour vivre dans une plus grande ferveur d'oraison. Ils ont l'habitude, en effet, d'enfermer avec eux des provisions vulgaires et de peu de prix, mais suffisantes toutefois pour tout le temps où ils ont résolu de se cacher à tout regard humain. Encore une chose que ne font point les oiseaux.

Lorsqu'ils s'abandonnent, au reste, à ces

1. Dt 23,24-25 - 2. Mt 12,1-2

261

pieux exercices d'un admirable recueillement, ayant d'ailleurs tous les loisirs de s'y livrer, et qu'ils nous appellent, non par une orgueilleuse enflure mais par une sainteté charitable, à suivre leurs exemples, je suis si loin de les blâmer, que j'avoue ne pouvoir les louer comme ils le méritent. Mais que dirons-nous de ces hommes, cependant, si d'après leur sens même, nous invoquons l'Evangile? Oserons-nous leur déclarer que plus ils sont saints, moins ils ressemblent aux oiseaux? Car, à moins de mettre en réserve la nourriture de plusieurs jours, ils ne pourront, comme ils le font, s'astreindre à la clôture. Et il leur faut, comme nous, entendre cette parole évangélique: «Ne pensez pas au lendemain (1)».


30. Disons, pour nous résumer en quelques mots:

Ceux qui s'essaient à renverser les maximes si évidentes de l'Apôtre en leur opposant un texte si mal compris de l'Evangile, devraient aussi ou ne point penser au lendemain, à l'imitation des oiseaux du ciel, ou se soumettre à saint Paul, comme des fils bien-aimés; je dis mieux, ils devraient faire l'un et l'autre, parce que les deux recommandations concordent. Non, Paul, serviteur de Jésus-Christ (2), ne pourrait donner un conseil contraire à celui de son Maître.

Voici donc ce que nous leur dirons hautement: Si, d'après votre manière d'entendre les oiseaux du ciel dans l'Evangile, vous ne voulez pas vous procurer par le travail de vos mains la nourriture et le vêtement, gardez-vous aussi de rien mettre en réserve pour le lendemain, car les oiseaux ne font point de réserves pareilles. - Si, au contraire, on peut se permettre des provisions pour le lendemain sans aller contre le texte de l'Evangile où il est dit: «Considérez les oiseaux du ciel; ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent point dans les greniers (3)», on peut aussi n'aller ni contre l'Evangile ni contre l'exemple des oiseaux, en gagnant cette vie charnelle par le travail du corps.

CHAPITRE XXIV. FAIRE DES RÉSERVES POUR LE LENDEMAIN N'EST PAS CHOSE DÉFENDUE PAR L'ÉVANGILE.


31. En effet, si vous les pressez, d'après


1. Mt 6,34 - 2. Mt 6,34 - 3. Rm 1,1

l'Evangile, de ne rien mettre en réserve pour le lendemain, ils ont contre vous d'excellentes réponses.

Pourquoi donc le Seigneur même eut-il une bourse, pour y serrer l'argent qu'il recevait (1)? Pourquoi si longtemps avant la famine prédite envoya-t-on du grain à nos pères dans la foi (2)? Pourquoi les Apôtres procurèrent-ils à l'indigence des saints le nécessaire en telle abondance qu'il ne leur manqua rien de longtemps, de sorte que notre bienheureux Paul put écrire dans sa lettre aux Corinthiens: «Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, faites la même chose que j'ai ordonnée aux églises de Galatie. Que chacun de vous mette à part chez soi, le premier jour de la semaine, ce qu'il voudra, l'amassant peu à peu selon sa bonne volonté, afin qu'on n'attende pas mon arrivée pour recueillir les aumônes. Et lorsque je serai arrivé, j'enverrai avec des lettres de recommandation ceux que vous aurez jugés propres pour porter vos charités à Jérusalem. Si la chose mérite que j'y aille moi-même, ils viendront avec moi (3)». Ils nous allèguent ces faits et plusieurs autres encore, avec autant d'abondance que de vérité.

Nous répondons à notre tour: Vous voyez donc que, malgré la parole du Seigneur: «Ne pensez pas au lendemain», vous n'êtes point forcés par ce texte à ne rien épargner pour le lendemain: pourquoi prétendez-vous alors que ce texte vous oblige à ne rien faire? Pourquoi n'acceptez-vous pas l'exemple des oiseaux pour ne rien mettre en réserve, tandis que vous voulez, à leur exemple, vous dispenser do tout travail?

CHAPITRE XXV. A QUOI SERT-IL D'AVOIR ABANDONNÉ SES OCCUPATIONS, ANTÉRIEURES, S'IL FAUT REVENIR AU TRAVAIL? - LA CHARITÉ DANS LA VIE COMMUNE. - IL CONVIENT QUE CEUX MÊMES QUI SORTENT D'UNE CONDITION SU


32. On dira: Que sert donc à un soldat de Dieu d'avoir abandonné les affaires qui l'occupaient dans le siècle pour se tourner tout entier vers la sainte milice et la vie spirituelle,


1. Jn 12,6 - 2. Ac 11,28-30 - 3. 1Co 16,1-4

262

s'il lui faut encore, comme un ouvrier, s'occuper à des travaux vulgaires?

Mais est-il donc facile aussi d'expliquer en théorie à quoi sert l'oracle rendu par le Seigneur à un riche qui lui demandait le moyen d'acquérir la vie éternelle? Jésus-Christ lui dit ce qu'il faut faire pour être parfait: Vendre ce qu'il avait, distribuer tout pour le soulagement des pauvres, et puis le suivre (1). Eh bien! quel homme à suivi Notre-Seigneur d'un pas plus vif et plus libre, que celui qui a dit: «Je n'ai pas couru en vain; je n'ai pas non plus en vain travaillé (2)?» Or il a prescrit ces travaux et il a mis lui-même son précepte en pratique. Instruits et formés par cette imposante autorité, nous y trouvons assez de motifs pour suivre l'exemple de l'abandon de nos biens matériels et de l'acceptation du travail corporel.

Toutefois, aidés par le Seigneur lui-même, peut-être il nous est donné de savoir quelque peu ce que gagnent les serviteurs de Dieu à délaisser les affaires du siècle, même à la condition de travailler ensuite de leurs mains.

Voilà un homme qui, de riche qu'il était, se convertit à cette vie austère, sans avoir aucune infirmité qui le condamne au repos. Avons-nous assez perdu la saveur sainte de Jésus-Christ pour ne pas comprendre quelle plaie de vieil orgueil il vient ainsi guérir quand, après s'être retranché les superfluités qui entretenaient dans son coeur des ardeurs mortelles, il pousse l'humilité jusqu'à accepter la tâche d'un ouvrier pour gagner le modique salaire de la vie naturelle?

Supposons, au contraire, la conversion d'un indigent à la vie monastique. Quelles devront être ses vues? Lui aussi cessera d'agir comme il agissait; il renoncera à tout désir d'augmenter le peu qu'il avait; il ne cherchera plus ses intérêts, mais ceux de Jésus-Christ (3); il embrassera la charité qui caractérise la vie commune, décidé à vivre dans la société d'hommes qui n'ont en Dieu qu'un coeur et qu'une âme, dans un état où «personne ne «considère ce qu'il possède comme lui appartenant en propre, mais où tout est commun «à tous (4)».

Les anciens chefs de la république terrestre sont ordinairement loués en termes magnifiques par leurs littérateurs, pour avoir préféré à leurs intérêts privés l'intérêt commun de tout un peuple de concitoyens. Tel fut, parmi


1. Mt 19,21 - 2. Ph 1,16 - 3. Ph 2,21 - 4. Ac 4,32

eux, Scipion, ce triomphateur de l'Afrique domptée, lequel n'aurait pu rien donner en mariage à sa fille, si un décret du sénat ne l'avait dotée aux frais du trésor public (1).

Quel coeur et quel dévouement ne doit donc pas avoir pour sa chère république, le citoyen de la cité éternelle, de la Jérusalem céleste? N'est-ce pas le moins pour lui, que de laisser en commun tout le fruit du travail de ses mains pour son frère bien-aimé, et, si celui-ci manque de quelque chose, d'y suppléer par ces fonds de communauté, heureux de dire avec celui dont il a suivi le précepte et l'exemple: «Nous semblons ne rien avoir et nous possédons tout (2)?»


33. Redisons-le donc, d'abord, à ces hommes qui ont abandonné ou distribué aux pauvres un ample patrimoine ou une certaine quantité de biens, et que leur humilité pieuse et salutaire détermine à demander place parmi les pauvres de Jésus-Christ. Ils ont donné ainsi une grande preuve de courage; ils ont de plus contribué largement, ou dans une certaine mesure du moins, à pourvoir de leurs biens aux besoins de la communauté; et par suite, les fonds de celle-ci et la charité fraternelle leur devraient en retour la subsistance gratuite. Toutefois, s'ils sont assez forts et qu'on ne les emploie pas aux travaux spirituels de l'Eglise, qu'ils s'occupent, eux aussi, de travaux manuels pour ôter toute excuse à certains paresseux, venus d'un milieu plus humble, et partant plus endurcis à la peine. Ils feront ainsi une oeuvre de miséricorde plus belle encore que lorsqu'ils ont distribué tous leurs biens aux indigents. - Au reste, s'ils s'y refusent, qui oserait les y forcer? Néanmoins, il faudra trouver pour eux dans le monastère certains travaux qui les affranchissent davantage de la fatigue du corps, mais qui réclament le soin d'administrateurs vigilants, afin qu'eux-mêmes ne mangent pas non plus gratuitement leur pain, puisque ce pain désormais appartient à la communauté. Et l'on ne devra pas faire attention à quels monastères ou dans quel endroit chacun aura fait à ses frères indigents l'abandon de ce qu'il possédait. Car la république chrétienne est une; et pour cette raison, tout chrétien qui donne ses biens pour subvenir aux nécessités du prochain en quelque lieu que ce soit, doit recevoir du trésor de Jésus-Christ en n'importe quel lieu, et y retrouver


1. Scipion, dans Valerius, liv. 4,c. 4. - 2. 2Co 2,10

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son nécessaire. Car partout où lui-même a donné à ses frères, qui donc a reçu, sinon Jésus-Christ?

Un mot maintenant à ceux qui, en dehors de la sainte association, gagnaient leur vie par le travail. Ils forment le grand nombre de ceux qui entrent dans les monastères, par la raison qu'ils forment aussi le grand nombre dans le genre humain. S'ils ne veulent pas travailler, qu'ils ne mangent point. Si les riches viennent dans la milice chrétienne chercher l'humiliation par piété, ce n'est pas pour que les pauvres trouvent l'élévation par l'orgueil. Il serait souverainement indécent qu'un genre de vie qui fait avec des sénateurs des hommes de travail, fît avec des ouvriers des hommes de loisir, et qu'un lieu où se rendent des propriétaires de grands domaines après avoir renoncé à leurs délices, fût habité par des paysans vivant dans la mollesse.

CHAPITRE 26. COMMENT IL FAUT ENTENDRE LA MAXIME: NE PAS S'INQUIÉTER DE LA NOURRITURE NI DU VÊTEMENT. - EN QUEL SENS FAUT-IL PRENDRE L'EXEMPLE DES OISEAUX DU CIEL ET DES LIS DES CHAMPS.


34. On réplique: Le Seigneur a pourtant dit: «Ne soyez point inquiets, pour votre vie, de ce que vous mangerez; ni, pour votre corps, comment vous le vêtirez (1)».

Sans doute; et c'est parce qu'il avait dit d'abord: «Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent». - En effet, celui qui prêche l'Evangile dans l'unique but d'avoir de quoi manger et de quoi se vêtir, doit se croire tout ensemble au service de Dieu, dont il prêche la parole; et au service de l'argent, puisqu'il prêche pour gagner ce nécessaire: voilà l'oeuvre double que le Seigneur déclare impossible. Dès lors, celui qui prêche l'Evangile pour ce motif, est convaincu de servir, non pas Dieu, mais l'argent, bien que Dieu se serve de lui, à son insu, pour le progrès spirituel du prochain. Telle est la maxime principale que Notre-Seigneur fait suivre de celle-ci: «Et c'est pourquoi je vous dis: ne soyez pas inquiets, pour votre vie, «de ce que vous mangerez; ni, pour votre corps, comment vous le vêtirez». Il ne défend pas qu'on se procure ces choses dans la mesure


1. Mt 6 S. Augustin en explique plusieurs versets consécutifs.

du besoin et par des moyens honnêtes; mais il ne permet pas qu'on en fasse son but, qu'on travaille pour cet objet, surtout dans les oeuvres qu'impose la prédication de l'Evangile. Il s'agit donc de l'intention; et, ce mobile de nos oeuvres, Jésus-Christ l'appelle notre oeil. Aussi, pour arriver à la conséquence qui nous occupe, il avait commencé par poser ce principe: «Votre oeil est la lampe de votre corps; si votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux; mais si votre oeil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux». Autrement: telle est l'intention qui détermine votre acte, tel est aussi votre acte lui-même. - Pour en venir à cette maxime, le Seigneur avait fait précédemment en ces termes le précepte de l'aumône: «Gardez-vous d'enfouir vos trésors dans la terre, où la rouille et les vers les dévorent, où les voleurs les déterrent et les dérobent. Amassez-vous plutôt des trésors dans le ciel, où ni la rouille ni les vers ne les mangent, où les voleurs ne les déterrent ni ne les dérobent. Car où est votre trésor, là aussi est votre coeur». Et c'est immédiatement qu'il ajoute: «Votre oeil est le flambeau de votre corps», sans doute afin que ceux qui font l'aumône ne la fassent pas dans l'intention de plaire aux hommes, ou de retrouver sur la terre le bien qu'ils ont fait. De là encore, l'Apôtre, en commandant à Timothée de donner des avis aux riches, lui dit et Qu'ils donnent facilement, qu'ils fassent part et de leurs biens, qu'ils se préparent un trésor «qui soit un fondement solide pour l'avenir, afin d'arriver à la véritable vie (1)».

Ainsi, Dieu a voulu élever vers la vie future et la céleste récompense l'oeil de ceux qui font des aumônes, afin que leur oeil étant simple, toutes leurs actions soient lumineuses. C'est ce suprême salaire qu'il désigne encore quand il dit ailleurs: «Celui qui vous reçoit, me reçoit; et celui qui me reçoit, reçoit Celui qui m'a envoyé. Celui qui reçoit un prophète en sa qualité de prophète, recevra la récompense «du prophète; et celui qui reçoit un juste en qualité de juste, recevra la récompense du juste; et quiconque aura donné seulement un verre d'eau froide à boire à l'un de ces plus petits, comme étant un de mes disciples, je vous le dis en vérité, il ne perdra pas sa récompense (2)».

Ainsi le Seigneur craint que l'on ne trompe


1. 1Tm 6,18-19 - 2. Mt 10,40-42

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et surprenne l'oeil de ceux qui donnent le nécessaire aux pauvres qu'on trouve parmi les prophètes, les justes et les disciples de Jésus; et que l'oeil, aussi, de ceux qui sont l'objet de ces bienfaits, ne se gâte à son tour, en ce sens qu'ils auraient la volonté de servir Jésus-Christ dans le but de se les attirer. C'est pour cela qu'il dit: «Non, personne ne peut servir deux maîtres»; et bientôt après «Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent», et aussitôt, enfin, comme conclusion inévitable «C'est pourquoi je vous dis: ne soyez pas inquiets, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, comme vous le couvrirez (1)».


35. Quant à la maxime suivante qui a trait aux oiseaux et aux lis des champs, Notre-Seigneur la prononce pour que personne au monde ne tombe dans cette erreur funeste, de croire notre Dieu indifférent aux besoins indispensables de ses serviteurs. Puisqu'au contraire sa Providence s'étend jusqu'à créer et protéger des créatures aussi chétives, combien moins refusera-t-il de nourrir et de vêtir les hommes qui travaillent de leurs mains! - Toutefois, pour éviter que ses serviteurs ne rabaissent leur sainte milice à la seule ambition de ces choses matérielles, le Seigneur leur donne un avis important. C'est qu'en payant la noble dette de notre enrôlement sacré sous sa bannière, notre intention se dirige non pas vers ce but terrestre, mais vers son royaume et sa justice. A cette condition, le reste nous sera donné, soit que le travail de nos mains y suffise, soit même que nos infirmités physiques nous empêchent d'y pourvoir, soit encore que sa sainte milice nous enchaîne à des labeurs qui ne nous permettent aucune autre occupation.


Augustin, du travail des moines. - CHAPITRE XVIII. AUTRE OBJECTION RÉFUTÉE: LA NÉCESSITÉ DE DISPENSER LA PAROLE DE DIEU. PAUL AVAIT DISTRIBUÉ SON TEMPS ENTRE LA PRÉDICATION ET LE TRAVAIL. - LA MEILLEURE ADMINISTRATION EST CELLE OU TOUT SE FAIT AVEC ORDRE.