Augustin, du travail des moines. - CHAPITRE 26I. IL FAUT UTILISER NOS MOYENS, SOUS PEINE DE TENTER DIEU.

CHAPITRE 26I. IL FAUT UTILISER NOS MOYENS, SOUS PEINE DE TENTER DIEU.

Une remarque essentielle: Dieu a dit certainement: «Invoque-moi au jour de la tribulation, je te délivrerai; et tu me glorifieras (2)». Cette promesse n'obligea cependant point saint Paul à ne pas fuir, à ne pas se laisser descendre dans une corbeille le long d'un mur pour échapper aux mains d'un persécuteur (3); il ne crut pas devoir plutôt attendre qu'on l'arrêtât et que Dieu le délivrât ensuite,


1. Mt 6,24 - 2. Ps 49,15 - 3. Ac 9,25

comme il avait sauvé les enfants du milieu des flammes (1). - Le Seigneur lui-même a pu dire: «Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre (2)», sans contredire cet autre oracle qu'il a également prononcé: «Si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera (3)». - Rappelez-vous, enfin, les disciples de Jésus-Christ fuyant la persécution, et supposez qu'on leur eût posé des questions comme celles-ci: Pourquoi ne pas plutôt affronter les persécuteurs? Pourquoi ne pas invoquer le Seigneur votre Dieu et attendre qu'il vous délivre par des prodiges, comme il fit pour Daniel jeté aux lions et pour saint Pierre enchaîné? Les disciples répondraient: Il n'est point permis de tenter Dieu; c'est à lui d'agir, s'il lui plaît, de cette façon merveilleuse, quand nous aurons épuisé tout expédient, mais tant qu'il nous laissera la faculté de nous enfuir, si la fuite nous sauve, c'est encore lui qui nous aura sauvés.

Par analogie, quand les serviteurs de Dieu ont le temps et la force en suffisance pour suivre le précepte et l'exemple de l'Apôtre et pour gagner leur vie par le travail de leurs mains, si l'on vient à soulever contre eux l'objection des oiseaux du ciel qui ne sèment, ni ne moissonnent, ni n'amassent dans des greniers; ou bien encore des lis qui ne travaillent ni ne filent, la réponse leur sera facile; ils diront: Si une infirmité ou une occupation nous empêchait de travailler, Dieu nous donnerait la nourriture et le vêtement, comme aux oiseaux, comme aux lys, qui n'ont point de labeurs semblables aux nôtres; mais nous ne devons point tenter notre Dieu, quand nous pouvons travailler nous-mêmes; ce pouvoir que nous avons, nous ne l'avons que de sa bonté, et si nous vivons par ce moyen, c'est par un don de Dieu que nous vivons, puisqu'il nous a donné de le pouvoir. Et c'est pourquoi nous sommes sans inquiétude des biens nécessaires à la vie. Tant que nous pouvons travailler, nous sommes nourris et vêtus par ce même Dieu qui donne aux hommes l'aliment et le vêtement; et quand le travail nous est impossible, nous sommes encore nourris et vêtus par ce même Dieu qui donne aux oiseaux leur pâture et aux lys leur parure, parce que nous valons bien mieux qu'eux. Ainsi, dans notre sainte milice, nous ne pensons pas au


1. Da 3,50 - 2. Mt 10,23 - 3 Jn 16,23

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lendemain; parce que les biens temporels où le lendemain est compté pour beaucoup, n'ont point été le but de notre saint enrôlement; nous n'avons eu en vue que les biens éternels, où l'on ne connaît qu'un aujourd'hui sans fin; de sorte qu'affranchis des affaires du siècle, c'est à Dieu seul que nous voulons plaire (1).

CHAPITRE 28. TABLEAU FRAPPANT DES MOINES OISIFS ET VAGABONDS.


36. Les choses étant ainsi, veuillez, saint frère Aurèle, puisque par vous le Seigneur me donne cette grande confiance, veuillez me permettre d'adresser quelques mots à nos bien-aimés fils eux-mêmes, à nos très-chers frères; car je sais avec quel amour vous les enfantez, ainsi que je les engendre moi-même, jusqu'à ce que se forme en eux la discipline apostolique.

O serviteurs de Dieu et soldats de Jésus-Christ, pouvez-vous à ce point vous cacher à vous-mêmes les ruses du plus redoutable ennemi? Hostile à votre réputation, à cette odeur si bonne et si pure de Jésus-Christ; heureux d'empêcher que les âmes droites ne disent au Seigneur: «Nous courrons à l'odeur de vos parfums (2)», et n'échappent ainsi à ses pièges sataniques; il ne veut, lui, qu'étouffer ces parfums sacrés sous ses poisons infects; et voilà pourquoi il a dispersé partout un si grand nombre d'hypocrites sous l'habit monastique, les promenant dans toutes les provinces, sans avoir ici plus qu'ailleurs mission ni fixité, sans vouloir nulle part ni s'arrêter ni résider. Les uns vendent habituellement des ossements de martyrs, plus ou moins authentiques; les autres font parade de leurs franges et de leurs manteaux; d'autres prétendront avec mensonge avoir appris que leurs père et mère ou proches parents vivent en tel ou tel pays, et ils se disent en voyage pour les aller rejoindre. Et tous demandent, tous exigent les dépens de leur indigence lucrative, ou le salaire d'une sainteté d'emprunt. Et de temps à autre, et un peu partout, ils se font arrêter en flagrant délit de manoeuvres coupables, ou bien ils sont reconnus par un hasard quelconque. Alors, sous le nom général de moines, on blasphème votre genre de vie, si bon, si saint, que, pour l'honneur de Jésus-Christ,


1. 2Tm 2,4 - 2. Ct 1,4

nous voudrions voir se propager dans l'Afrique tout entière comme dans le reste du monde! N'êtes-vous donc pas enflammés du zèle de Dieu? Ne sentez-vous pas votre coeur brûler au dedans de vous-mêmes, et le feu vous consumer dans vos méditations (1)? Ne voulez-vous pas accabler de vos saintes oeuvres leurs oeuvres si mauvaises, et leur retrancher l'occasion de ces marchés honteux, si blessants pour votre considération même, si féconds en scandales pour les faibles? Ayez pitié de vous-mêmes et compassion du prochain; prouvez à tous les hommes que vous ne cherchez pas dans le loisir une subsistance facile, mais bien au contraire le royaume de Dieu par la voie étroite et rude de vos saintes institutions. Vous avez la même raison qu'avait l'Apôtre: celle de retrancher l'occasion à ceux qui cherchent l'occasion (2); et de rappeler à la vie par votre bonne odeur, ceux que suffoquent déjà leurs poisons infects.

CHAPITRE XXIX. OCCUPATIONS DE SAINT AUGUSTIN. - IL PRÉFÉRERAIT TRAVAILLER COMME LES MOINES, A DES HEURES DÉTERMINÉES.


37. Nous ne lions pas des fardeaux pesants; nous ne les plaçons sur vos épaules sans vouloir nous-mêmes y toucher du doigt (3). Etudiez-nous, et convenez que nos occupations sont pénibles, que plusieurs parmi nous portent un corps malade et affaibli, qu'enfin les églises dont nous sommes les serviteurs ont certains usages, qui ne nous permettent pas de vaquer aux travaux que nous vous exhortons de pratiquer.

Sans doute nous serions en droit de dire «Qui est-ce qui jamais servit sous les drapeaux à ses frais? Qui donc plante une vigne sans manger de son fruit? Qui donc mène un troupeau sans en boire le lait (4)?» - Et cependant j'ose sur mon âme prendre Jésus à témoin, parce qu'ici je parle en son nom avec toute sécurité: Si je ne consultais que mon avantage personnel, combien j'aimerais chaque jour, à des heures déterminées, comme c'est la règle dans les monastères bien gouvernés, m'imposer quelque travail des mains, et avoir tout le reste de mon temps libre et disponible pour lire, pour prier; pour


1. Ps 38,4 - 2. 2Co 11,12 - 3. Mt 23,4 - 4. 1Co 9,7

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m'occuper de quelque point d'Ecriture sainte! Quelle douce vie, en regard de celle où l'on doit subir les embarras si bouleversants de causes qui vous sont étrangères et suscitées uniquement à propos d'affaires séculières, qu'il faut trancher par un jugement ou prévenir par une sage intervention.

Voilà un genre d'ennuis auquel l'Apôtre nous a enchaînés, non par son décret sans doute, mais par celui du Maître qui dictait ses paroles. Et toutefois, nous ne lisons pas que l'Apôtre lui-même ait subi cette sorte d'embarras: son apostolat l'entraînait à de tout autres labeurs. Il n'a pas dit: «Si donc vous avez des différends entre vous pour les affaires du siècle», soumettez-nous les causes, ou établissez-nous vos juges; mais bien

«Prenez pour arbitres les hommes les plus bas placés dans l'Eglise. Ou plutôt, car je parle pour vous faire honte, n'y a-t-il donc point parmi vous une seule personne sage, qui puisse être juge entre ses frères? Faut-il au contraire qu'un frère plaide contre son frère, et encore devant les infidèles (1)?» - C'est donc parmi les simples fidèles fixés dans la localité même et d'ailleurs remarquables par leur sagesse, ce n'est pas parmi les prédicateurs obligés de courir çà et là pour l'Evangile, que saint Paul a voulu faire choisir les examinateurs d'affaires semblables. Aussi n'a-t-il jamais été écrit de lui qu'il se soit occupé de choses de ce genre; tandis que nous ne pouvons nous excuser à cet endroit, nous, personnages si misérables pourtant; car, à défaut de sages, l'Apôtre veut des juges même de ce peu de valeur, plutôt que de laisser porter au barreau profane les affaires des chrétiens. Nous acceptons toutefois ce rude travail, encouragés par les consolations d'en-haut, animés par l'espérance de la vie éternelle, voulant enfin porter du fruit par la patience. Serviteurs de l'Eglise de Dieu, nous nous devons surtout à ses membres les plus infirmes, bien que dans cet admirable corps nous ne soyons que des membres sans mérite. Je passe sous silence d'autres soucis innombrables de l'ordre spirituel, que nul peut-être ne soupçonne s'il n'en a pas fait l'expérience, et je reviens à dire: Non, nous ne lions point de lourds fardeaux; nous ne les plaçons pas sur vos épaules, sans vouloir nous-mêmes y toucher du doigt. Dieu voit notre disposition, en


1. 1Co 6,46

effet, puisqu'il connaît nos coeurs: oui, si l'échange nous était possible sans faillir à notre devoir, nous aimerions mieux embrasser les oeuvres à la pratique desquelles nous vous exhortons, que celles dont l'accomplissement nous est imposé. Sans doute, tous sans exception, vous comme nous, en travaillant chacun dans notre rang et notre devoir, nous marchons dans la voie étroite, dans la peine et la souffrance; mais les joies de l'espérance nous rendent aussi le joug du Seigneur bien doux et son fardeau bien léger; c'est lui, en effet, qui nous convie au repos, après avoir lui-même traversé la vallée de larmes où il n'a point vécu non plus sans douleur.

Si donc vous êtes et nos frères, et nos fils, et les co-serviteurs d'un même maître; ou plutôt, si nous sommes vos serviteurs en Jésus-Christ, écoutez nos avis, reconnaissez nos préceptes, acceptez notre doctrine. Si, au contraire, nouveaux Pharisiens, nous lions des fardeaux pesants pour les placer sur vos épaules, faites ce que nous vous disons, tout en blâmant ce que nous faisons (1). Nous nous inquiétons fort peu, au reste, d'être jugés par vous ou par toute autre puissance humaine (2). La pureté de l'amour qui nous inspire cet intérêt pour vous, est sous l'oeil de Dieu. Qu'il en juge, puisqu'il nous a inspiré les idées mêmes que nous plaçons maintenant sous ses yeux. Enfin; pensez de nous ce que vous voudrez. Seulement, l'apôtre saint Paul vous commande et vous conjure dans le Seigneur de manger votre pain en travaillant en silence, c'est-à-dire paisiblement et sous la règle de l'obéissance'. Or, je le crois, vous n'avez contre l'Apôtre aucun soupçon mauvais, vous avez même une foi parfaite en Celui qui parle par cette bouche inspirée.

CHAPITRE XXX. IL EST A CRAINDRE QUE LA PARESSE DES MAUVAIS NE RALENTISSE ET NE GATE LES BONS.


38. Mon très-cher Aurèle, vénéré frère dans les entrailles de Jésus-Christ, vous avez maintenant ma pensée sur le travail des moines, aussi bien traitée que me l'a permis Celui qui, par votre bouche, m'a commandé de l'écrire. Je n'ai pas tardé à prendre la plume, parce qu'une crainte surtout me préoccupait: celle que des frères vertueux et fidèles à obéir aux


1. Mt 23,3 - 2. 1Co 4,3 - 3. 2Th 3,12

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préceptes apostoliques ne s'entendissent jeter le nom de prévaricateurs de l'Evangile, par des êtres paresseux et désobéissants; je voulais que ceux qui ne travaillent pas ne pussent douter du moins de leur infériorité absolue auprès de ceux qui travaillent. Est-ce chose supportable, en effet, que des hommes en révolte obstinée contre les avis les plus salutaires de l'Apôtre, ne soient pas simplement tolérés à raison de leur infirmité spirituelle, et qu'on les exalte même comme plus parfaits? Faut-il que des monastères basés sur des principes plus purs se laissent corrompre à leur tour par ce double appât d'un droit absolu autant que lâche à la paresse, et d'un faux renom de sainteté?

Et vous autres aussi, simples fidèles, nos frères et fils, qui prenez habitude de pencher de ce côté et de défendre par ignorance leurs prétentions téméraires, sachez que vous avez à vous corriger vous-mêmes pour rendre leur correction possible, sans que, pour cela, vous faiblissiez dans la pratique de la bienfaisance. Oui, subvenez promptement et avec joie aux nécessités dés serviteurs de Dieu: loin de vous blâmer, nous serons très-heureux de vous bénir; mais craignez, par une pitié très-malheureuse, de nuire au bien éternel de ces pauvres gens, plus encore que vous n'aideriez à leur bien temporel.


39. En effet, Dieu est moins offensé, quand du moins le pécheur n'est point «loué dans les désirs coupables de son âme et que l'auteur d'iniquités ne reçoit pas encore de bénédictions (1)».

CHAPITRE XXXI. CONTRE LES MOINES A LONGUE CHEVELURE.

Or, est-il une iniquité plus grande que de prétendre aux services respectueux de ses inférieurs, quand on refuse soi-même respect et soumission aux supérieurs? - Je désigne ici l'Apôtre et non pas nous-mêmes; c'est à lui que ces gens désobéissent jusqu'à laisser croître leur chevelure; et voilà pourtant un point sur lequel il n'admet pas même la contradiction, car il a dit: «Si quelqu'un aime à contester, il nous suffit de répondre que ce n'est point là notre coutume ni celle de l'Eglise. Or, cela, je vous le prescris (2)». Il veut donc


1. Ps 9,24 - 2. 1Co 11,14-16

qu'en ce point l'on ne cherche pas l'habileté de ses raisonnements, mais qu'on n'ait d'attention que pour son autorité de Maître.

Au reste, dans quel but, je le demande, entretenir ainsi de longs cheveux contre le précepte si évident de l'Apôtre? Doit-on pousser l'abstention du travail jusqu'à interdire celui du perruquier? La prétention d'imiter les oiseaux de l'Evangile fait-elle redouter à ces religieux une façon d'être déplumés qui rendrait le vol impossible?

Je crains de m'étendre sur ce travers, parce que parmi nos frères chevelus, il en est tels qui, à part ceci, méritent à bien des égards et même presque en tout notre vénération. Mais, plus nous les aimons en Jésus-Christ, plus nous avons de sollicitude à les avertir. Car nous ne craignons pas que leur humilité méprise notre admonition, puisque nous désirons trouver des moniteurs comme eux quand il nous arrive de chanceler ou de nous égarer.

Nous avertissons donc ces saints religieux de ne point s'ébranler aux discours de vains raisonneurs, et de ne jamais suivre dans un abus condamnable des gens auxquels', dans tout le reste, ils sont si loin de ressembler. Heureux de promener leur hypocrisie et leur vénalité, ceux-ci craignent qu'une sainteté à cheveux ras soit moins prisée qu'à longue chevelure; aux hommes qui les contemplent, ils veulent rappeler l'idée de ces antiques prophètes de l'Ecriture, des Samuel et des autres personnages qui se refusaient au rasoir. Ils ne réfléchissent pas à la différence de ce voile prophétique des anciens, et de ce dévoilement inscrit dans l'Evangile dont saint Paul a dit: «Quand vous serez convertis au Seigneur, alors le voile sera ôté (1)». En effet, la chevelure des saints, pendant ces temps antiques, avait le même sens symbolique que le voile jeté entre la face de Moïse et les regards du peuple d'Israël. Et, que la chevelure soit un voile, c'est encore le même saint Paul qui le déclare, avec une autorité qui accable ici nos adversaires, car il dit expressément: «Si un homme laisse croître ses cheveux, c'est une honte à lui (2)».

Cette honte, disent-ils, nous l'acceptons comme juste expiation de nos péchés. -Voilà bien faire tomber le rideau d'une hypocrite humilité pour abriter sous son ombre l'orgueil et la vénalité! Est-ce donc que l'Apôtre


1. 2Co 3,16 - 2. 1Co 11,4-16

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nous donnerait une leçon d'orgueil, quand il dit: «Tout homme qui prie ou qui prophétise ayant la tête couverte, déshonore sa tête»; et plus bas: «L'homme ne doit point se voiler la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu (1)?» Oser dire: «l'homme ne doit pas!» Il ne sait sans doute enseigner l'humilité! - Toutefois, si le symbole de l'ère prophétique, devenu une honte sous le règne de l'Evangile, si le voile plaît tant à leur humilité, eh bien! qu'ils se tondent et qu'ils se voilent la tête avec un cilice! Mais non, car leur tête n'aurait plus cet extérieur qui attire l'argent; et puis Samson ne se voilait pas d'un cilice, mais bien de sa chevelure (2).

CHAPITRE 32. MAUVAISE MANIÈRE DONT LES MOINES CHEVELUS INTERPRÈTENT L'ÉCRITURE. - L'APÔTRE SAINT PAUL A FAIT PROFESSION D'UNE CHASTETÉ PARFAITE. - PRÉCEPTE FAIT AUX HOMMES DE NE POINT SE VOILER LA TÊT


40. Pour défendre leur chevelure, nos gens ont inventé encore un argument, presque impossible à redire, et déplorable autant que ridicule. - L'homme, avouent-ils, a reçu de l'Apôtre défense de porter longue chevelure; mais «ceux qui se sont faits eunuques pour le royaume des cieux (3)», ne sont plus des hommes.

Etrange folie! vraiment: parler ainsi c'est emprunter contre les oracles les plus évidents de l'Ecriture les armes et l'esprit de la plus détestable impiété; c'est persévérer dans une voie tortueuse; c'est tenter d'introduire une doctrine empoisonnée; ce n'est plus être cet «homme heureux qui n'est point allé dans l'assemblée des impies, qui ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence (4)». En effet, celui qui méditerait jour et nuit sur la loi de Dieu, y trouverait saint Paul lui-même qui, professant certainement la chasteté parfaite, a pu dire: «Je voudrais que tous les hommes vécussent comme moi-même (5)». Et cependant, vierge, il veut être et se montrer homme aussi, non-seulement en vivant


1. 1Co 11,4-7 - 2. Jg 16,17 - 3. Mt 19,12 - 4. Ps 1,1 - 5. 1Co 7,7

comme tel, mais en faisant l'aveu qu'il l'est toujours. Voici ses paroles: «Quand j'étais enfant, je parlais comme un enfant, j'avais les goûts de l'enfant et les pensées de l'enfant; mais quand je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l'enfant (1)». - Mais que rappelé-je l'Apôtre, puisque nos contradicteurs prouvent par leur langage qu'à l'endroit même de Notre-Seigneur et sauveur Jésus-Christ, ils ne savent que penser? Car est-ce d'un autre que lui qu'il est dit: «Jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité d'une même foi et d'une même connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un homme parfait et à la mesure de l'âge et de la plénitude de Jésus-Christ, afin que nous ne soyons plus comme des enfants qui flottent et se laissent emporter à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes et par leur adresse à machiner l'erreur (2)?» Telles sont, en effet, les tromperies qui leur servent à duper les inhabiles; telle est l'adresse et telles sont les machinations de l'ennemi qui les emportent eux-mêmes au hasard; et dans ces évolutions malheureuses ils entraînent et forcent aussi à évoluer tristement les âmes des faibles qui s'attachent à leurs doctrines, de sorte qu'elles ne savent plus où elles en sont.

Ainsi, encore, ils ont ouï ou ils ont lu ce texte de l'Ecriture: «Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ; ici donc il n'y a plus juif, ni gentil; esclave ni libre; homme ni femme (3)»; et ils ne comprennent pas que cela est dit uniquement au point de vue de la concupiscence charnelle des sexes; parce que, dans cet homme intérieur dont nous prenons la nature nouvelle par le renouvellement de notre âme (4), le sexe ainsi entendu s'efface et n'est plus. - Qu'ils ne renient donc point leur qualité d'hommes, sous prétexte qu'ils ne font point les fonctions de leur sexe viril. Quand des chrétiens mariés les remplissent, ils ne sont pas chrétiens sans doute à cause des fonctions qui leur sont communes avec tous autres gens même non chrétiens, avec les animaux mêmes. Autre chose est l'action permise à l'humaine faiblesse, ou la dette payée à la propagation physique de l'espèce; autre chose est un signe adopté par la profession de chrétien et dans le but de gagner


1. 1Co 13,11 - 2. Ep 4,13-14 - 3. Ga 3,27-28 - 4. 2Co 4,16

une vie éternelle et incorruptible. Par suite, ce précepte qui défend aux hommes de se voiler la tête reçoit figurément son application dans notre corps, mais réellement il s'accomplit dans notre âme où se trouve l'image et la gloire de Dieu, comme le prouvent les paroles mêmes qui le formulent: «L'homme, est-il dit, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu». Et, où se trouve cette image de Dieu, saint Paul encore nous le révèle en disant: «N'usez point de mensonge les uns envers les autres; dépouillez le vieil homme avec ses oeuvres, et revêtez-vous du nouveau, qui se renouvelle pour connaître Dieu selon l'image de celui qui l'a créé (1)».

Peut-on douter que ce renouvellement s'opère dans l'âme? Si l'on en doutait encore, qu'on écoute un oracle encore plus exprès «Selon la vérité de Jésus, vous devez déposer le vieil homme quant à son ancienne conduite, l'homme qui se corrompt suivant ses passions d'erreur. Au contraire, renouvelez-vous dans l'intérieur de votre âme, et revêtez-vous de l'homme nouveau qui a été créé selon Dieu (2)». - Eh quoi, les femmes n'ont-elles rien à prétendre à ce renouvellement de l'âme, de cette partie où se trouve l'image de Dieu? Qui oserait le dire? Toutefois leur sexe physique ne porte point le trait et le signe de cette image: aussi on leur commande d'être voilées. Elles sont femmes, et par là même, elles représentent plutôt cette partie de nous-mêmes qu'on peut appeler concupiscentielle, qui doit être sous l'empire de l'âme, comme celle-ci doit être elle-même soumise à Dieu dans toute vie parfaite et bien réglée.

Ainsi, dans un seul et même homme, il y a l'âme et la concupiscence; l'une qui conduit, l'autre qui est conduite; l'une qui commande, l'autre qui obéit: la différence des sexes en deux personnes humaines, l'homme et la femme, reproduit aussi ce double trait. Tel est le mystère qui fait dire à l'Apôtre que l'homme ne doit point se voiler la tête, et que la femme doit porter le voile. Car l'âme s'élève avec d'autant plus de gloire vers les régions supérieures, que vous mettez plus de force à arracher la concupiscence loin des basses régions; et un jour arrive enfin où l'homme tout entier; avec ce corps même aujourd'hui mortel et si fragile, se revêt, par la résurrection dernière,d'incorruptibilité et d'immortalité; et, dès lors, la mort est ensevelie dans sa victoire (1).


1 Col 3,9-10 - 2. Ep 4,21-24



CHAPITRE XXXIII. CERTAINS MOINES CHEVELUS, SAINTS HOMMES D'AILLEURS, INVITÉS A SE DÉPOUILLER DE LEUR CHEVELURE.


41. Que désormais donc ceux qui ne veulent pas agir avec droiture, cessent du moins d'enseigner l'erreur. A d'autres, toutefois, s'adresse le blâme que nous formulons ici: il ne tombe pas sur ceux qui ont uniquement le travers de porter longue chevelure, bien que cette violation d'un précepte apostolique malédifie et trouble grandement l'Eglise. En effet, telles personnes ne voulant pas penser le moindre mal au sujet de ces religieux, sont forcées de plier dans un sens mauvais les paroles si claires de l'Apôtre; telles autres préfèrent avant tout défendre la saine interprétation des Ecritures, plutôt que de flatter n'importe quels hommes. De là naissent entre des frères, les uns plus faibles, les autres plus fermes, des disputes bien amères et bien dangereuses. Je n'en doute pas: ceux de nos religieux qu'en tout le reste nous admirons et nous aimons, s'ils connaissaient cet état des esprits, s'empresseraient d'y porter remède. Non, notre blâme ne tombe pas sur eux.

Mais plutôt nous les prions et les supplions par la divinité et par l'humanité de Jésus-Christ et par la charité du Saint-Esprit; qu'ils cessent désormais de donner ce scandale à ces faibles, pour lesquels Jésus-Christ est mort! qu'ils ne portent point à cet excès la douleur et le tourment dans notre coeur! Car une pensée nous afflige: des hommes pervers pourraient imiter cet abus pour tromper le public; ils le feraient d'autant plus volontiers qu'ils aperçoivent ce travers en des personnes que tant d'autres vertus nous commandent d'honorer par les témoignages les plus légitimes de l'amour chrétien. Toutefois si après cet avis ou plutôt cette prière de notre part, ils croient devoir persévérer dans leur habitude, nous ne voudrons que gémir et pleurer. Il suffit qu'ils sachent nos voeux; s'ils sont les serviteurs de Dieu, ils se montreront miséricordieux; s'ils oublient la miséricorde, je ne veux rien leur dire de plus sévère.


1. 1Co 15,54

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Si vous approuvez toutes ces considérations où j'ai peut-être été plus diffus que ne le permettraient vos occupations et les miennes, faites-les connaître à nos frères et fils, en faveur desquels vous avez daigné m'imposer cette tâche. Si je dois au contraire en retrancher ou y corriger quelque chose, la réponse de Votre Béatitude me l'apprendra.

Traduction de M. l'abbé COLLERY.




Augustin, du travail des moines. - CHAPITRE 26I. IL FAUT UTILISER NOS MOYENS, SOUS PEINE DE TENTER DIEU.