Augustin, de la perfection de la justice de l'homme. - CHAPITRE XVI. IL N'EST PERSONNE QUI FASSE LE BIEN ET NE PÉCHÉ PAS.

CHAPITRE XVI. IL N'EST PERSONNE QUI FASSE LE BIEN ET NE PÉCHÉ PAS.


37. L'auteur examine ensuite cet autre passage que nous leur opposons sans cesse: «Il n'y a pas sur la terre d'homme juste qui fasse le bien et qui ne pèche pas (1)». Il répond par d'autres passages, et en particulier par celui-ci tiré du livre de Job: «Avez-vous considéré. mon serviteur Job? car il n'est sur la terre personne qui lui ressemble, homme juste, véritable serviteur de Dieu, et s'abstenant de tout mal (2)». Nous avons examiné ce texte précédemment. Qu'il me suffise de lui faire remarquer que si ces paroles doivent être entendues dans le sens littéral de telle sorte que l'on puisse être absolument sans péché sur la terre, nécessairement il y a contradiction entre ce passage du livre de Job et celui qui vient d'être cité: «Il n'y a pas sur la terre d'homme juste qui fasse le bien et ne pèche pas»



CHAPITRE XVII. NUL HOMME VIVANT NE SERA JUSTIFIÉ EN VOTRE PRÉSENCE.


38. On nous objecte, dit l'auteur, cet autre passage: «Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence (3)». La réponse qu'il oppose n'a. d'autre résultat que de mettre


1. Si 7,21 — 2. Jb 1,8 — 3. Ps 102,2

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encore la sainte Ecriture en contradiction avec elle-même. Notre devoir, à nous, est de dissiper cette contradiction apparente. «Nous pouvons», dit-il, «réfuter nos adversaires en leur citant ce qui est dit de Zacharie et d'Elizabeth». «Zacharie et Elizabeth, son épouse, étaient tous deux justes en présence du Seigneur, marchant sans reproches dans l'observation de tous les commandements et des justices du Seigneur (1)». Or, ces justes avaient trouvé parmi les commandements celui qui leur enseignait à se purifier de leurs péchés. En effet, Zacharie était prêtre, et, comme tel, selon la parole de saint Paul dans l'Epître aux Hébreux, il offrait des hosties pour ses propres péchés (2). Ces mots: «sans reproche» doivent s'entendre selon l'interprétation que j'ai donnée plus haut, de paroles semblables (4).

L'auteur ajoute: «Le bienheureux Apôtre nous invite à nous rendre saints et immaculés en présence de Dieu (5)». En effet, nous devons tendre sans cesse à le devenir, surtout si nous ne pouvons être immaculés qu'à la condition d'être absolument sans péché. Mais s'il suffit de n'avoir aucun crime sur la conscience, nous ne pouvons nier qu'il ne se trouve sur la terre des hommes immaculés; car on peut n'être coupable d'aucun crime, sans que pour cela on soit absolument sans péché. Voilà pourquoi, dans les règles qu'il trace pour l'ordination des ministres sacrés, l'Apôtre n'exige pas qu'ils soient sans péché, car une telle condition serait impossible à réaliser; il se contente d'exiger que l'on soit «sans crime», condition parfaitement réalisable (6).

Enfin, notre auteur ne nous dit pas comment nous devons entendre ces paroles: «Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence». Pourtant le verset précédent rend très-facile l'interprétation de ces paroles; nous y lisons: «N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne sera justifié en votre présente». David craint le jugement, parce qu'il désire la miséricorde et que la miséricorde l'emporte sur le jugement. Ces mots N'entrez pas en jugement avec votre serviteur» signifient: Veuillez ne pas me juger selon vous qui êtes sans péché, «parce que nul

1. Lc 1,6 — 2. He 5,3 — 3. Chap. 2,n. 23-28 — 4. Ep 1,4 — 5. Tt 1

homme vivant ne sera justifié en votre présente»; du moment qu'il s'agit de cette vie, cette proposition ne saurait offrir de difficulté, et ces mots: «ne sera justifié» doivent s'entendre de la justification pleine et entière, à laquelle on ne saurait prétendre en cette vie.



CHAPITRE XVIII. NE DISONS PAS QUE NOUS SOMMES SANS PÉCHÉ.


39. On nous objecte, dit l'auteur, ces autres paroles: «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons a nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1)». A la clarté de ce passage, il essaye d'opposer d'autres textes en apparence contraires. Il cite, ce même saint Jean écrivant dans son Epître: «Je vous le dis, mes frères, ne péchez pas. Tout homme qui est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence divine demeure en lui et qu'elle ne saurait pécher (2)». Plus loin, ce même Apôtre ajoute: «Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que la génération de Dieu le conserve, et que le méchant ne saurait le toucher (3)»; et encore, en parlant du Sauveur: «Il apparut afin d'enlever le péché. Quiconque demeure en lui ne pèche pas. Tout homme qui pèche ne le voit pas et ne le connaît pas. Mes très-chers, nous sommes les enfants de Dieu, et nous n'avons pas encore vu ce que nous serons un jour. Nous savons que lorsque Dieu nous apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est, et quiconque nourrit cette espérance, se sanctifie, comme Dieu lui-même est saint (4)».

Tous ces passages sont parfaitement exacts, ce qui ne détruit pas la vérité du texte qu'il rapporte, sans le réfuter: «Si nous disons a que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous». Par conséquent, si nous nous considérons en tant que nous sommes nés de Dieu, en tant que nous demeurons en Celui qui nous a apparu pour détruire le péché, c'est-à-dire en Jésus-Christ, sous ce premier rapport nous ne péchons pas, et l'homme intérieur se renouvelle en nous de jour en jour (5). Mais en tant que nous sommes nés de cet homme par qui le péché est entré dans le


1. 1Jn 1,8 — 2. — 3. 1Jn 5,18 — 4. 1Jn 3,2-6 — 5. 2Co 4,16

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monde et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort est entrée dans tous les hommes (1); à ce point de vue nous ne sommes pas sans péché; car nous n'avons point dépouillé notre faiblesse native, jusqu'à ce que soit pleinement réalisée cette rénovation intérieure en vertu de laquelle Dieu devient notre Père et nous sommes parfaitement guéris de notre infirmité naturelle, et du péché qui en était la suite. Les suites de ce péché se perpétuent dans l'homme intérieur, quoiqu'elles aillent toujours s'affaiblissant dans tous ceux qui marchent généreusement dans la voie du bien; malgré ces progrès, «si nous disons que nous sommes sans péché nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous».

Tout homme qui pèche n'a pas vu Dieu, «et ne l'a pas connu»; comment entendre ces paroles, puisque nous ne saurions avoir en cette vie la vue et la connaissance que nous aurons, lorsque nous contemplerons Dieu face à face? Nous ne pouvons aspirer ici-bas qu'à la vue et à la connaissance que nous donne la foi; or, malgré cette foi, combien n'est-il pas d'hommes qui pèchent, et en particulier les apostats qui cependant ont tous cru en Jésus-Christ et qui tous ont eu cette vue et cette connaissance qui viennent de la foi, sans qu'on puisse dire d'aucun d'eux qu'il n'a ni vu ni connu Jésus-Christ?»

Or, il me semble pouvoir ainsi formuler ma pensée: la rénovation marchant à la perfection voit et connaît; l'infirmité que nous avons à détruire, ne voit ni ne connaît, et comme cette infirmité originelle a laissé en nous des traces profondes: «si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est a point en nous». Par la grâce de la rénovation nous sommes les enfants de Dieu; mais à cause des restes de .notre infirmité native, «nous n'avons pas vu encore ce que nous serons; nous savons que lorsque Dieu nous aura apparu, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons comme il est en lui-même». Alors seulement il n'y aura plus de péché, parce qu'il ne restera aucune infirmité ni intérieure ni extérieure. «Quiconque a cette espérance en Dieu, se sanctifie, comme Dieu lui-même est saint». Il se sanctifie, non point par ses


1. Rm 5,12

propres forces, mais en croyant et en invoquant celui qui sanctifie ses saints. Quand cette sanctification, qui va croissant en nous de jour en jour, sera parvenue à sa perfection, elle détruira toutes les suites de notre infirmité.



CHAPITRE XIX. TOUT DÉPEND DE DIEU QUI FAIT MISÉRICORDE.


40. «On nous objecte», dit l'auteur, «ces autres paroles: Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (1)». Il y répond par ces textes, tirés de la sainte Ecriture: «Qu'il fasse ce qu'il veut (2)». «Parlant d'Onésime à Philémon, le même Apôtre écrivait», ajoute-t-il: «Je voulais le retenir auprès de a moi, afin qu'il me servît à votre place; a mais je n'ai rien voulu faire sans votre conseil, afin que votre bien parût non pas une nécessité, mais un état parfaitement volontaire (3). Nous lisons dans le Deutéronome: Il a placé devant vous la vie et la a mort, le bien et le mal; choisissez la vie, afin que vous viviez (4). Salomon dit également: Dieu, dès le commencement, a créé l'homme, et il l'a laissé dans la main de son propre conseil. Il lui a donné ses commandements et ses préceptes. Si tu veux garder les commandements et ne jamais trahir ta foi jurée, Dieu te conservera à jamais. Il a mis devant toi l'eau et le feu, étends la main vers ce que tu voudras. Devant l'homme sont la vie et la mort, le bien et le mal; la pauvreté et l'honnêteté sont du Seigneur Dieu (5). Isaïe nous dit: Si vous voulez m'écouter, vous mangerez les biens de la terre, mais si vous ne voulez;las et que vous ne m'écoutiez pas, le glaive vous dévorera. Car ces oracles sont sortis de a la bouche de Dieu même (6)».

De quelque voile épais que nos adversaires veulent se couvrir, ils sont ici parfaitement mis à découvert: Car ils affichent hautement la lutte contre la grâce ou la miséricorde de Dieu, quand nous-mêmes nous implorons cette même grâce en ces termes: «Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel; ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal (7)».


1. Rm 9,16 — 2. 1Co 7,36 — 3. Phm 13,14 — 4. Dt 30,15-19 — 5. Si 15,14-18 — 6. Is 1,19-20 — 7. Mt 7,10-13

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Pourquoi donc implorer ces grâces avec des gémissements et des larmes, si tout dépend de l'homme qui veut et qui court, et non pas de Dieu qui fait miséricorde? Sans doute tout cela exige le concours de notre volonté, mais de son côté notre volonté ne peut accomplir ces oeuvres sans le secours de la grâce divine. La foi, quand elle est ce qu'elle doit être, nous fait chercher pour trouver, demander pour recevoir et frapper pour qu'il nous soit ouvert (1). Celui qui dispute contre la grâce, ferme sur lui-même la porte de la miséricorde de Dieu. Je ne veux pas m'étendre davantage sur ce grave sujet, car mieux vaut le confier aux gémissements des fidèles qu'à mes humbles discours.


41. Nous enseignons que la miséricorde de Dieu est tellement nécessaire à celui qui veut et qui court, que pour courir il a même besoin d'être prévenu par la grâce. Or voyez, je vous prie, quel argument le Pélagien oppose à cette nécessité, dans ces paroles de l'Apôtre: «Qu'il fasse ce qu'il veut», quand elles se trouvent si bien expliquées par ce qui suit: «Il ne pèche pas, s'il se marie». Que vient donc faire ici la volonté de se marier, quand nous discutons du secours de la miséricorde divine? Ou bien il peut servir à quelque chose de vouloir, sans que Dieu lui-même unisse l'homme et la femme en vertu de cette providence spéciale qui gouverne toutes choses; ou bien il faudra prendre rigoureusement à la lettre cette parole de l'Apôtre à Philémon: «Afin que votre bien parût non pas une nécessité, mais un état parfaitement volontaire»; d'où il suivrait qu'il pourrait y avoir un bien volontaire sans que «Dieu opérât en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir (2)». Ou bien ces paroles du Deutéronome: «Il a placé devant l'homme la vie et la mort, le bien et le mal», devraient s'interpréter en ce sens que l'homme soit averti de choisir la vie, sans que cet avertissement lui vînt pour cela de la miséricorde de Dieu; ou qu'il pût servir à quelque chose de choisir la vie, sans que Dieu inspire la charité qui doit présider à ce choix et le confirmer, et ce nonobstant ces paroles: «La colère est dans son indignation, et la vie dans sa volonté (3)». Ou bien ces autres paroles . «Si vous voulez observer les préceptes, ils vous conserveront», signifieraient que


1. Lc 11,9 — 2. Ph 2,13 — 3. Ps 29,6

nous ne devons pas remercier Dieu de nous avoir donné cette volonté; car si nous étions privés de toute lumière de la vérité, nous sérions incapables du vouloir cette observation.

L'homme voit devant lui l'eau et le feu; il étend à son gré la main sur l'un ou sur l'autre, mais au-dessus de lui se trouve le Seigneur qui l'appelle et se tient à une hauteur qui défie la pensée humaine. En effet, le premier principe de la conversion du coeur c'est la foi, selon cette parole: «Vous viendrez et vous passerez du commencement de la foi (1)». Par conséquent chaque homme choisit le bien a selon que Dieu a a départi à chacun la mesure de la foi (2)»; «personne ne peut venir à moi», dit le Prince de la foi, «si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire». Et pour mieux nous faire comprendre qu'il parle de la foi par laquelle nous croyons en lui, le Sauveur ajoute: «Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie; mais il en est parmi vous qui ne croient pas. En effet, Jésus connaissait depuis le commencement et ceux qui croyaient et celui qui devait le livrer; et il disait: Voilà pourquoi j'ai proclamé a que personne ne peut venir à moi, si mon Père ne lui en a fait la grâce (3)».


42. Notre auteur pense avoir trouvé, en faveur de sa cause, un puissant argument dans ces paroles du prophète Isaïe: «Si vous le voulez et si vous m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre; mais si vous ne le voulez pas et si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera. Tel est l'oracle formulé par le Seigneur lui-même». Est-ce donc que la loi tout entière n'est pas pleine de ces conditions? et si ces préceptes sont imposés aux orgueilleux, n'est-ce point parce que la loi a été établie pour faire reconnaître les a transgressions jusqu'à l'avènement du rejeton qui a été promis (4)?» Voilà pourquoi la loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché; mais où il y a eu abondance du péché, il y a eu surabondance «de la grâce (5)». Ainsi donc l'homme, s'appuyant orgueilleusement sur ses propres forces, n'avait pu que défaillir et devenir honteusement prévaricateur en face des préceptes qui lui avaient été imposés; de là


1. Ct 4 selon la Septante — 2. Rm 12,3 — 3. Jn 6,41 Jn 6,65-66 — 4. Ga 3,19 — 5. Rm 5,20

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pour lui le besoin le plus pressant de chercher un libérateur et un sauveur, et c'est ainsi que la crainte de la loi le rendit humble, et, s'imposant à lui comme un maître, le conduisit à la foi et à la grâce.

Sous le fardeau toujours grossissant de leurs infirmités, les hommes se sont précipités dans l'iniquité (1) et ils ne pouvaient obtenir leur guérison que de la venue de Jésus-Christ. La grâce du Sauveur a été l'objet de la foi de la part des anciens justes; aidés par cette grâce, ils sont arrivés à une connaissance assez explicite du Messie, et quelques-uns même ont annoncé sa venue. Tels furent dans le peuple juif Moïse, Josué, Samuel, David et d'autres encore; en dehors du peuple juif, le patriarche Job; et avant même la formation de ce peuple, Abraham, Noé et beaucoup d'autres qui nous sont connus par les saintes Ecritures ou sur lesquels elles gardent le silence. Car nous n'avons qu'un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme (2), sans la grâce duquel aucun homme n'est délivré de la condamnation qui pèse sur lui soit en vertu de la déchéance originelle, soit par le fait même de ses propres iniquité



CHAPITRE XX. IL FAUT LE SECOURS DE DIEU POUR NE PAS PÉCHER.


43. Notre auteur termine par ce singulier raisonnement: «Si l'on me demande: L'homme peut- il ne pas pécher, même en parole? je réponds qu'il le peut si Dieu le veut; or, Dieu le veut, donc l'homme le peut». Il continue: «Si l'on me demande: L'homme peut- il ne pas pécher dans ses a pensées? je réponds qu'il le peut, si Dieu le veut; or, Dieu le veut, donc l'homme le peut».Voyez comme il évite avec soin de dire. Si Dieu lui vient en aide, l'homme peut ne pas pécher, car c'est à Dieu que nous disons: «Soyez mon secours, ne m'abandonnez pas (3)»; lorsque nous travaillons, non point pour arriver aux biens ou pour échapper aux maux corporels, mais pour embrasser et pratiquer la justice. Voilà pourquoi sous disons: «Ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal (4)».


1. Ps 15,4 — 2. 1Tm 2,5 — 3. Ps 26,9 — 4. Mt 6,13

Quel est celui qui a besoin de secours, si ce n'est celui qui agit? Or, il est aidé s'il croit, s'il prie, s'il est appelé selon le décret de Dieu; car «ceux que Dieu a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés; «et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (1)». Nous courons donc lorsque nous nous perfectionnons, lorsque notre santé s'affermit et se développe; c'est ainsi que l'on dit d'une blessure qu'elle va se cicatrisant, lorsqu'elle est entourée de soins assidus et efficaces. En nous perfectionnant ainsi de toute manière, nous en arrivons à nous dépouiller entièrement de la faiblesse du péché; et non-seulement c'est là ce que Dieu veut, mais il nous prévient par sa grâce et nous aide à obtenir ce précieux résultat. Or, la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur produit en nous ces heureux effets, non-seulement par les préceptes, les sacrements et les exemples, mais surtout par l'Esprit-Saint; car c'est par lui qu'est mystérieusement répandue dans nos coeurs la charité (2), qui demande par des gémissements inénarrables (3), jusqu'à ce que nous ayons acquis une santé parfaite et que Dieu se montre à nous face à face dans son éternelle vérité.



CHAPITRE XXI.


44. A l'exception du médiateur de Dieu et des hommes, tout homme en cette vie a eu besoin de la rémission des péchés; et penser le contraire serait se mettre en contradiction avec ces paroles de l'Apôtre: «Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (4)». Rejeter cette vérité de l'existence du péché dans tous les hommes, c'est affirmer avec autant d'orgueil que d'impiété qu'il est des hommes qui ont pu être libres et sauvés de tout péché en dehors de toute médiation du Christ Sauveur et Libérateur, quand ce même Sauveur a solennellement déclaré que «le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades. Je


1. Rm 8,29-30 — 2. Rm 5,25 — 3. Rm 8,26 — 4. Rm 5,12

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suis venu appeler, non pas les justes, mais les pécheurs (1)».

De même soutenir qu'après avoir reçu la rémission des péchés, l'homme peut avoir vécu ou peut vivre ici-bas absolument sans péché, c'est contredire formellement ces paroles de saint Jean: «Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point a en nous (2)». Il parle non pas au passé, mais au présent: «Nous n'avons». Soit, dira quelqu'un, mais le péché dont parle l'Apôtre n'est autre chose que ce vice originel qui habite dans notre chair mortelle et auquel l'Apôtre nous commande de résister (3); il ne parle nullement de ce péché que nous commettons nous-mêmes par un acte formel de notre volonté quand nous consentons à une action, à une parole, ou à une pensée mauvaise, sous l'impulsion de cette concupiscence qui est appelée péché, à laquelle on ne saurait consentir sans péché, et dont l'influence nous ébranle malgré nous. Cette distinction est une pure subtilité qui ne saurait tenir un instant devant ces paroles de l'Oraison dominicale: «Pardonnez-nous nos offenses». En effet, quel besoin aurions-nous de prononcer cette demande, si jamais nous ne consentions à aucune parole coupable, à aucune pensée mauvaise, à aucun désir criminel? Il nous suffirait de dire: «Ne nous laissez pas succomber à la tentation,


1.Mt 9,12-13 — 2. 1Jn 1,8 — 3. Rm 6,12

mais délivrez-nous du mal (1)»; et l'Apôtre saint Jacques n'aurait pas dit: «Nous péchons en beaucoup de choses (2)».

Celui qui pèche c'est celui qui, sous l'influence trompeuse ou dominatrice de la concupiscence mauvaise, blesse les droits de la justice, dans ses actes, ses pensées ou ses paroles. Enfin, si, faisant abstraction de notre chef, et un Sauveur de son corps mystique, certains auteurs prétendent qu'il y a eu ou qu'il est en cette vie des hommes tellement justes qu'ils ne commettent aucun péché, ou qu'aucune de leurs actions ne leur soit imputée à péché, à la rigueur je ne vois pas que je sois obligé de les condamner, quoique je mette une distinction entre le bonheur de celui qui est sans péché et le bonheur de celui à qui Dieu n'impute aucun péché (3) (a). Je connais des hommes qui partagent cette opinion; je n'ose les condamner, mais je ne puis non plus les approuver. J'agirais autrement à l'égard de ceux qui soutiendraient que nous ne sommes point obligés de demander la grâce de ne pas succomber à la tentation. Or, c'est soutenir l'inutilité de cette prière que de prétendre que l'homme peut sans la grâce de Dieu éviter le péché et qu'il lui suffit pour cela de sa propre et humaine volonté. Je déclare une telle doctrine réellement pernicieuse et digne de tous les anathèmes.


1. Mt 6,12-13 — 2. Jc 3,2 — 3. Ps 26,9

(a) Cette condamnation devant laquelle Augustin hésite, a été portée par le Concile de Carthage en 418. (Note du traducteur

Traduction de M l'abbé BURLERAUX.


FIN DES OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT AUGUSTIN.



AUGUSTIN. N uction y>CHAPITRE XXI.</a></h2>E SECOURS DE DIEU POUR NE PAS PÉCHER.</a></h2>/a></h2>
Augustin, de la perfection de la justice de l'homme. - CHAPITRE XVI. IL N'EST PERSONNE QUI FASSE LE BIEN ET NE PÉCHÉ PAS.