Catéchèses Benoît XVI 11008

Mercredi 1 octobre 2008 - Saint Paul, le "Concile" de Jérusalem et l'incident d'Antioche

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Chers frères et soeurs,

Le respect et la vénération que Paul a toujours cultivés à l'égard des Douze ne font pas défaut lorsqu'il défend avec franchise la vérité de l'Evangile, qui n'est autre que Jésus Christ, le Seigneur. Nous voulons aujourd'hui nous arrêter sur deux épisodes qui démontrent la vénération et, dans le même temps, la liberté avec laquelle l'Apôtre s'adresse à Céphas et aux autres Apôtres: ce qu'on appelle le "Concile" de Jérusalem et l'incident d'Antioche de Syrie, rapportés dans la Lettre aux Galates (cf. 2, 1-10; 2, 11-14).

Chaque Concile et Synode de l'Eglise est "un événement de l'Esprit" et contient dans son accomplissement les instances de tout le peuple de Dieu: ceux qui ont reçu le don de participer au Concile Vatican II en ont fait personnellement l'expérience. C'est pourquoi saint Luc, en nous informant sur le premier Concile de l'Eglise, qui s'est déroulé à Jérusalem, commence ainsi la lettre que les Apôtres envoyèrent en cette circonstance aux communautés chrétiennes de la diaspora: "L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé..." (
Ac 15,28). L'Esprit, qui agit dans toute l'Eglise, conduit les Apôtres par la main pour entreprendre de nouvelles routes en vue de réaliser ses projets: c'est Lui l'artisan principal de l'édification de l'Eglise.

L'assemblée de Jérusalem se déroula pourtant à un moment de tension importante au sein de la Communauté des origines. Il s'agissait de répondre à la question de savoir s'il fallait demander aux païens qui adhéraient à Jésus Christ, le Seigneur, la circoncision ou s'il était licite de les laisser libres de la Loi mosaïque, c'est-à-dire de l'observance des normes nécessaires pour être des hommes justes, qui obtempèrent à la Loi, et surtout libres des normes concernant les purifications cultuelles, les aliments purs et impurs et le Sabbat. Saint Paul parle également de l'assemblée de Jérusalem dans Ga 2, 1-10: quatorze ans après la rencontre avec le Ressuscité à Damas - nous sommes dans la deuxième moitié des années 40 ap. J.C. - Paul part avec Barnabé d'Antioche de Syrie et se fait accompagner par Tite, son fidèle collaborateur qui, bien qu'étant d'origine grecque, n'avait pas été obligé de se faire circoncire pour entrer dans l'Eglise. A cette occasion, Paul expose aux Douze, définis comme les personnes les plus remarquables, son évangile de la liberté de la Loi (cf. Ga 2,6). A la lumière de la rencontre avec le Christ ressuscité, il avait compris qu'au moment du passage à l'Evangile de Jésus Christ, pour les païens n'étaient plus nécessaire la circoncision, les règles sur la nourriture, sur le sabbat comme signes de la justice: le Christ est notre justice et "juste" est tout ce qui lui est conforme. Il n'y pas besoin d'autres signes pour être des justes. Dans la Lettre aux Galates, en quelques lignes, il rapporte le déroulement de l'assemblée: il rappelle avec enthousiasme que l'évangile de la liberté à l'égard de la Loi fut approuvé par Jacques, Céphas et Jean, "les colonnes", qui lui offrirent ainsi qu'à Barnabé la main droite de la communion ecclésiale dans le Christ (cf. Ga 2,9). Si, comme nous l'avons remarqué, pour Luc le Concile de Jérusalem exprime l'action de l'Esprit Saint, pour Paul il représente la reconnaissance décisive de la liberté partagée entre tous ceux qui y participèrent: une liberté des obligations provenant de la circoncision et de la Loi; cette liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés, pour que nous restions libres" et pour que nous ne nous laissions plus imposer le joug de l'esclavage (cf. Ga 5,1). Les deux modalités avec lesquelles Paul et Luc décrivent l'assemblée de Jérusalem ont en commun l'action libératrice de l'Esprit, car "là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté", dira-t-il dans la deuxième Lettre aux Corinthiens (cf. 3, 17).

Toutefois, comme il apparaît avec une grande clarté dans les Lettres de saint Paul, la liberté chrétienne ne s'identifie jamais avec le libertinage ou avec le libre arbitre de faire ce que l'on veut; elle se réalise dans la conformité au Christ et donc dans le service authentique pour les frères, en particulier pour les plus indigents. C'est pourquoi, le compte-rendu de Paul sur l'assemblée se termine par le souvenir de la recommandation que les Apôtres lui adressèrent: "Ils nous demandèrent seulement de penser aux pauvres de leur communauté, ce que j'ai toujours fait de mon mieux" (Ga 2,10). Chaque Concile naît de l'Eglise et retourne à l'Eglise: en cette occasion, il y retourne avec une attention pour les pauvres qui, selon les diverses annotations de Paul dans ses Lettres, sont tout d'abord ceux de l'Eglise de Jérusalem. Dans sa préoccupation pour les pauvres, attestée en particulier dans la deuxième Lettre aux Corinthiens (cf. 8-9) et dans la partie finale de la Lettre aux Romains (cf. Rm 15), Paul démontre sa fidélité aux décisions qui ont mûri pendant l'assemblée.

Peut-être ne sommes-nous plus en mesure de comprendre pleinement la signification que Paul et ses communautés attribuèrent à la collecte pour les pauvres de Jérusalem. Ce fut une initiative entièrement nouvelle dans le cadre des activités religieuses: elle ne fut pas obligatoire, mais libre et spontanée; toute les Eglises fondées par Paul vers l'Occident y prirent part. La collecte exprimait la dette de ses communautés à l'égard de l'Eglise mère de la Palestine, dont elles avaient reçu le don extraordinaire de l'Evangile. La valeur que Paul attribue à ce geste de partage est tellement grande que rarement il l'appelle simplement "collecte": pour lui celle-ci est plutôt "service", "bénédiction", "amour", grâce", et même "liturgie" (2Co 9). On est en particulier surpris par ce dernier terme, qui confère à la collecte d'argent une valeur également cultuelle: d'une part, celle-ci est un geste liturgique ou "service", offert par chaque communauté à Dieu, de l'autre, elle est une action d'amour accomplie en faveur du peuple. Amour pour les pauvres et liturgie divine vont ensemble, l'amour pour les pauvres est liturgie. Les deux horizons sont présents dans chaque liturgie célébrée et vécue dans l'Eglise, qui par sa nature s'oppose à la séparation entre le culte et la vie, entre la foi et les oeuvres, entre la prière et la charité pour les frères. Le Concile de Jérusalem naît ainsi pour résoudre la question sur la façon de se comporter avec les païens qui adhéraient à la foi, en optant pour la liberté à l'égard de la circoncision et des observances imposées par la Loi, et elle se résout dans l'instance ecclésiale et pastorale, qui place en son centre la foi dans le Christ et l'amour pour les pauvres de Jérusalem et de toute l'Eglise.

Le deuxième épisode est le célèbre incident d'Antioche, en Syrie, qui atteste la liberté intérieure dont Paul jouissait: comment se comporter à l'occasion de la communion à la table entre les croyants d'origine juive et ceux d'origine païenne? Ici se fait jour l'autre épicentre de l'observance mosaïque: la distinction entre les aliments purs et impurs, qui divisaient profondément les juifs observants des païens. Au début, Céphas, Pierre partageait sa table avec les uns et les autres; mais avec l'arrivée de plusieurs chrétiens liés à Jacques, "le frère du Seigneur" (Ga 1,19), Pierre avait commencé à éviter les contacts à table avec les païens, pour ne pas scandaliser ceux qui continuaient à observer les lois sur les aliments purs; et le choix avait été partagé par Barnabé. Ce choix divisait profondément les chrétiens venus de la circoncision et les chrétiens venus du paganisme. Ce comportement, qui menaçait réellement l'unité et la liberté de l'Eglise, suscita les réactions enflammées de Paul, qui parvint à accuser Pierre et les autres d'hypocrisie; "Toi, tout juif que tu es, il t'arrive de suivre les coutumes des païens et non celles des juifs; alors, pourquoi forces-tu les païens à faire comme les juifs?" (Ga 2,14). En réalité, les préoccupations de Paul, d'une part, et celles de Pierre et Barnabé, de l'autre, étaient différentes: pour ces derniers la séparation des païens représentait une manière de protéger et de ne pas scandaliser les croyants provenant du judaïsme; pour Paul, elle constituait en revanche un danger de mauvaise compréhension du salut universel en Christ, offert aussi bien aux païens qu'aux juifs. Si la justification ne se réalise qu'en vertu de la foi dans le Christ, de la conformité avec lui, sans aucune oeuvre de la Loi, quel sens cela a-t-il d'observer la pureté des aliments à l'occasion du partage de la table? Les perspectives de Pierre et de Paul étaient probablement différentes: pour le premier ne pas perdre les juifs qui avaient adhéré à l'Evangile, pour le deuxième ne pas réduire la valeur salvifique de la mort du Christ pour tous les croyants.

Cela paraît étrange, mais en écrivant aux chrétiens de Rome, quelques années après (vers le milieu des années 50 ap. J.C.), Paul lui-même se trouvera face à une situation analogue et demandera aux forts de ne pas manger de nourriture impure pour ne pas perdre ou pour ne pas scandaliser les faibles: "C'est bien de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, bref de ne rien faire qui fasse tomber ton frère" (Rm 14,21). L'incident d'Antioche se révéla donc une leçon aussi bien pour Pierre que pour Paul. Ce n'est que le dialogue sincère, ouvert à la vérité de l'Evangile, qui put orienter le chemin de l'Eglise: "En effet, le Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson; il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint" (Rm 14,17). C'est une leçon que nous devons apprendre nous aussi: avec les différents charismes confiés à Pierre et à Paul, laissons-nous guider par l'Esprit, en cherchant à vivre dans la liberté qui trouve son orientation dans la foi en Christ et se concrétise dans le service à nos frères. Ce qui est essentiel c'est d'être toujours plus conforme au Christ. C'est ainsi qu'on devient réellement libre, c'est ainsi que s'exprime en nous le noyau le plus profond de la Loi: l'amour pour Dieu et pour notre prochain. Prions le Seigneur pour qu'il nous enseigne à partager ses sentiments, pour apprendre de Lui la vraie liberté et l'amour évangélique qui embrasse tout être humain.
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Je salue tous les pèlerins francophones présents à cette audience, en particulier les participants au pèlerinage oecuménique Saint-Paul présidé par Monseigneur Robert Le Gall, archevêque de Toulouse, ainsi que les pèlerins venus du Canada et de la Guadeloupe. Puisse la méditation des lettres de Paul faire aimer toujours davantage l’Église en son mystère. Bon pèlerinage à tous !



Mercredi 8 octobre 2008 - Saint Paul et la vie terrestre de Jésus

8108
Chers frères et soeurs!


Dans les dernières catéchèses sur saint Paul, j'ai parlé de sa rencontre avec le Christ ressuscité, qui a changé profondément sa vie, puis de sa relation avec les douze Apôtres, appelés par Jésus - en particulier avec Jacques, Céphas et Jean - et de sa relation avec l'Eglise de Jérusalem. Il reste à présent la question de ce que saint Paul a su du Jésus terrestre, de sa vie, de ses enseignements, de sa passion. Avant d'aborder cette question, il peut être utile d'avoir à l'esprit que saint Paul lui-même distingue deux façons de connaître Jésus et plus généralement deux façons de connaître une personne. Il écrit dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens: "Ainsi donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair. Même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant ce n'est plus ainsi que nous le connaissons" (5, 16). Connaître "selon la chair", de manière charnelle, cela veut dire connaître de manière seulement extérieure, avec des critères extérieurs: on peut avoir vu une personne plusieurs fois, connaître ainsi son aspect et les divers détails de son comportement: la manière dont il parle, la manière dont il bouge, etc. Toutefois, même en connaissant quelqu'un de cette manière on ne le connaît pas réellement, on ne connaît pas le noyau de la personne. C'est seulement avec le coeur que l'on connaît vraiment une personne. De fait, les pharisiens et les saducéens ont connu Jésus de manière extérieure, ils ont appris son enseignement, beaucoup de détails sur lui, mais ils ne l'ont pas connu dans sa vérité. Il y a une distinction analogue dans une parole de Jésus. Après la Transfiguration, il demande aux apôtres: "Le Fils de l'homme qui est-il, d'après ce que disent les gens?" (
Mt 16,13) "Et vous que dites-vous? Pour vous qui suis-je?" (Mt 16,15). Les gens le connaissent, mais de manière superficielle; ils savent plusieurs choses de lui, mais ils ne l'ont pas réellement connu. En revanche, les Douze, grâce à l'amitié qui fait participer le coeur, ont au moins compris dans la substance et ont commencé à connaître qui est Jésus. Aujourd'hui aussi existe cette manière différente de connaître: il y a des personnes savantes qui connaissent Jésus dans ses nombreux détails et des personnes simples qui n'ont pas connaissance de ces détails, mais qui l'ont connu dans sa vérité: "le coeur parle au coeur". Et Paul veut dire essentiellement qu'il faut connaître Jésus ainsi, avec le coeur et connaître essentiellement de cette manière la personne dans sa vérité; puis, dans un deuxième temps, en connaître les détails.

Cela dit, demeure toutefois la question: qu'a connu saint Paul de la vie concrète, des paroles, de la passion, des miracles de Jésus? Il semble confirmé qu'il ne l'a pas rencontré pendant sa vie terrestre. A travers les apôtres et l'Eglise naissante il a assurément connu aussi les détails sur la vie terrestre de Jésus. Dans ses Lettres, nous pouvons trouver trois formes de référence au Jésus pré-pascal.

En premier lieu, on trouve des références explicites et directes. Paul parle de l'ascendance davidique de Jésus (cf. Rm 1,3), il connaît l'existence de ses "frères" ou consanguins (1Co 9,5 Ga 1,19), il connaît le déroulement de la Dernière Cène (cf. 1Co 11,23), il connaît d'autres paroles de Jésus, par exemple, sur l'indissolubilité du mariage (cf. 1Co 7,10 avec Mc 10,11-12), sur la nécessité que celui qui annonce l'Evangile soit nourri par la communauté dans la mesure où l'ouvrier est digne de son salaire (cf. 1Co 9,14 et Lc 10,7); Paul connaît les paroles prononcées par Jésus lors de la Dernière Cène (cf. 1Co 11,24-25 et Lc 22,19-20) et il connaît aussi la croix de Jésus. Telles sont les références directes à des paroles et des faits de la vie de Jésus.

En deuxième lieu, nous pouvons entrevoir dans certaines phrases des Lettres pauliniennes plusieurs allusions à la tradition attestée dans les Evangiles synoptiques. Par exemple, les paroles que nous lisons dans la première Lettre aux Thessaloniciens, selon lesquelles "le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit" (5, 2), ne s'expliqueraient pas comme un renvoi aux prophéties vétéro-testamentaires, car la comparaison avec le voleur nocturne ne se trouve que dans l'Evangile de Matthieu et de Luc, donc elle est tirée précisément de la tradition synoptique. Ainsi, quand nous lisons que: "ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Jésus a choisi..." (1Co 1,27-28), on entend l'écho fidèle de l'enseignement de Jésus sur les simples et sur les pauvres (cf. Mt 5,3 Mt 11,25 Mt 19,30). Il y a ensuite les paroles prononcée par Jésus dans la joie messianique: "Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange: ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits" (Mt 11,25). Paul sait - c'est son expérience missionnaire - combien ces paroles sont vraies, c'est-à-dire que ce sont précisément les simples qui ont le coeur ouvert à la connaissance de Jésus. La mention de l'obéissance de Jésus "jusqu'à la mort", que l'on trouve dans Ph 2, 8, ne peut également que rappeler la totale disponibilité du Jésus terrestre à l'accomplissement de la volonté de son Père (cf. Mc 3,35 Jn 4,34). Paul connaît donc la passion de Jésus, sa croix, la manière dont il a vécu les derniers moments de sa vie. La croix de Jésus et la tradition sur cet événement de la croix sont au centre du Kérygme paulinien. Un autre pilier de la vie de Jésus connu par saint Paul est le Discours de la Montagne, dont il cite certains éléments presque à la lettre, quand il écrit aux Romains: "Aimez-vous les uns les autres... Bénissez ceux qui vous persécutent... Vivez en paix avec tous... Vainc le mal par le bien...". Donc, dans ses lettres, on trouve un reflet fidèle du Discours de la Montagne (cf. Mt 5-7).

Enfin, il est possible de trouver une troisième manière dont sont présentes les paroles de Jésus dans les Lettres de Paul: c'est lorsqu'il opère une forme de transposition de la tradition pré-pascale à la situation d'après la Pâque. Un cas typique est le thème du Royaume de Dieu. Il se trouve assurément au centre de la prédication du Jésus historique (cf. Mt 3,2 Mc 1,15 Lc 4,43). Chez Paul on peut trouver une transposition de cette thématique, parce qu'après la résurrection il est évident que Jésus en personne, le ressuscité, est le Royaume de Dieu. Le Royaume arrive donc là où Jésus arrive. Et ainsi, nécessairement, le thème du Royaume de Dieu, où était anticipé le mystère de Jésus, se transforme en christologie. Toutefois, les mêmes dispositions demandées par Jésus pour entrer dans le Royaume de Dieu sont tout à fait valables pour Paul en ce qui concerne la justification au moyen de la foi: autant l'entrée dans le Royaume que la justification exigent une attitude de grande humilité et disponibilité, libre de présomptions, pour accueillir la grâce de Dieu. Par exemple, la parabole du pharisien et du publicain (cf. Lc 18,9-14) donne un enseignement que l'on retrouve tel quel chez Paul, lorsqu'il insiste sur le fait de devoir exclure toute vanterie à l'égard de Dieu. Les phrases de Jésus sur les publicains et les prostituées, plus disponibles que les pharisiens à accueillir l'Evangile (cf. Mt 21,31 Lc 7,36-50), et son choix de partager la table avec eux (cf. Mt 9,10-13 Lc 15,1-2) se retrouvent elles aussi entièrement dans la doctrine de Paul sur l'amour miséricordieux de Dieu envers les pécheurs (cf. Rm 5,8-10 et aussi Ep 2,3-5). Ainsi le thème du Royaume de Dieu est reproposé sous une forme nouvelle, mais toujours dans une pleine fidélité à la tradition du Jésus historique.

Un autre exemple de transformation fidèle du noyau doctrinal tel que l'entendait Jésus se trouve dans les "titres" qui lui sont attribués. Avant Pâques, il se qualifie lui-même de Fils de l'homme; après la Pâque, il devient évident que le Fils de l'homme est aussi le Fils de Dieu. Par conséquent, le titre préféré par Paul pour qualifier Jésus est Kyrios, "Seigneur" (cf. Ph 2,9-11), qui indique la divinité de Jésus. Avec ce titre, le Seigneur Jésus apparaît dans toute la lumière de la résurrection. Sur le Mont des Oliviers, au moment de l'extrême angoisse de Jésus (cf. Mc 14,36), les disciples avant de s'endormir avaient entendu comment il parlait avec le Père et l'appelait "Abbà-Père". C'est un terme très familier, équivalent à notre "papa", utilisé uniquement par les enfants en communion avec leur père. Jusqu'à ce moment-là il était impensable qu'un juif utilise une parole semblable pour s'adresser à Dieu; mais Jésus, étant vrai Fils, en ce moment d'intimité, parle ainsi et dit: "Abbà, Père". Dans les Lettres de saint Paul aux Romains et aux Galates, de manière surprenante ce terme "Abbà", qui exprime le caractère exclusif de la filiation de Jésus, apparaît dans la bouche des baptisés (cf. Rm 8,15 Ga 4,6), parce qu'ils ont reçu l'"esprit du Fils" et à présent ils portent en eux-mêmes cet Esprit et ils peuvent parler comme Jésus et avec Jésus en vrais fils de leur Père, ils peuvent dire "Abbà" parce qu'ils sont devenus fils dans le Fils.

Et enfin, je voudrais évoquer la dimension salvifique de la mort de Jésus, que nous trouvons dans la phrase évangélique selon laquelle "le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude" (Mc 10,45 Mt 20,28). Le reflet fidèle de cette parole de Jésus apparaît dans la doctrine paulinienne sur la mort de Jésus comme rachat (cf. 1Co 6,20), comme rédemption (cf. Rm 3,24), comme libération (cf. Ga 5,1) et comme réconciliation (cf. Rm 5,10 2Co 5,18-20). C'est là le centre de la théologie paulinienne, qui se fonde sur cette parole de Jésus.

En conclusion, saint Paul ne pense pas à Jésus en tant qu'historien, comme à une personne du passé. Il connaît assurément la grande tradition sur la vie, les paroles, la mort et la résurrection de Jésus, mais il ne traite pas de tout cela comme d'une chose du passé; il le propose comme réalité du Jésus vivant. Pour Paul, les paroles et les actions de Jésus n'appartiennent pas au temps historique, au passé. Jésus vit maintenant et parle maintenant avec nous et vit pour nous. Telle est la vraie manière de connaître Jésus et d'accueillir la tradition le concernant. Nous devons nous aussi apprendre à connaître Jésus non selon la chair, comme une personne du passé, mais comme notre Seigneur et Frère, qui est aujourd'hui avec nous et nous montre comment vivre et comment mourir.
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Je suis heureux d’accueillir les pèlerins de langue française, particulièrement les servants de messe du Jura pastoral, dans le diocèse de Bâle. Que par son enseignement saint Paul vous aide à mettre la personne du Christ au coeur de votre vie et à reconnaître en elle le salut de Dieu offert à tous ! Avec ma bénédiction apostolique !


Mercredi 15 octobre 2008 - Saint Paul premier théologien de l'Eglise

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Chers frères et soeurs,

Dans la catéchèse de mercredi dernier j'ai parlé de la relation de Paul avec le Jésus pré-pascal dans sa vie terrestre. La question était: "Qu'a su Paul de la vie de Jésus, de ses paroles, de sa passion"? Aujourd'hui je voudrais parler de l'enseignement de saint Paul sur l'Eglise. Nous devons commencer par la constatation que ce mot "Eglise" en français - comme en italien "Chiesa" et en espagnol "Iglesia" - est tiré du grec "ekklesia"! Il vient de l'Ancien Testament et signifie l'assemblée du peuple d'Israël, convoquée par Dieu, en particulier l'assemblée exemplaire au pied du Sinaï. Avec ce mot est à présent signifiée la nouvelle communauté des croyants dans le Christ qui se sentent assemblée de Dieu, la nouvelle convocation de tous les peuples par Dieu et devant Lui. Le terme ekklesia fait son apparition pour la première fois sous la plume de Paul, qui est le premier auteur d'un écrit chrétien. Cela a lieu dans l'incipit de la première Lettre aux Thessaloniciens, où Paul s'adresse textuellement "à l'Eglise des thessaloniciens" (cf. ensuite également à "l'Eglise de Laodicée" dans
Col 4,16). Dans d'autres Lettres il parle de l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe (1 Co 1, 2; 2 Co 1, 1), qui est en Galatie (Ga 1,2 etc.) - des Eglises particulières donc - mais il dit aussi avoir persécuté "l'Eglise de Dieu": non pas une communauté locale déterminée, mais "l'Eglise de Dieu". Ainsi, nous voyons que ce mot "Eglise" a une signification pluridimensionnelle: il indique, d'une part, les assemblées de Dieu dans des lieux déterminés (une ville, un pays, une maison), mais il signifie aussi toute l'Eglise dans son ensemble. Et ainsi nous voyons que "l'Eglise de Dieu" n'est pas seulement une somme de différentes Eglises locales, mais que les différentes Eglises locales sont à leur tour une réalisation de l'unique Eglise de Dieu. Toutes ensemble elles sont "l'Eglise de Dieu", qui précède les Eglises locales singulières et s'exprime, se réalise dans celles-ci.

Il est important d'observer que presque toujours le mot "Eglise" apparaît avec l'adjonction de la qualification "de Dieu": ce n'est pas une association humaine, née d'idées ou d'intérêts communs, mais d'une convocation de Dieu. Il l'a convoquée et c'est pourquoi elle est une dans toutes ses réalisations. L'unité de Dieu crée l'unité de l'Eglise dans tous les lieux où elle se trouve. Plus tard, dans la Lettre aux Ephésiens, Paul élaborera longuement le concept d'unité de l'Eglise, en continuité avec le concept de Peuple de Dieu, Israël, considéré par les prophètes comme "épouse de Dieu", appelée à vivre une relation sponsale avec Lui. Paul présente l'unique Eglise de Dieu comme "épouse du Christ" dans l'amour, un seul corps et un seul esprit avec le Christ lui-même. Il est bien connu que le jeune Paul avait été un adversaire acharné du nouveau mouvement constitué par l'Eglise du Christ. Il en avait été un adversaire, parce qu'il avait vu menacée, dans ce nouveau mouvement, la fidélité à la tradition du peuple de Dieu, animé par la foi dans le Dieu unique. Cette fidélité s'exprimait surtout dans la circoncision, dans l'observance des règles de la pureté cultuelle, dans l'abstention de certains aliments, dans le respect du Sabbat. Cette fidélité, les juifs l'avaient payée avec le sang des martyrs, pendant la période des Maccabées, quand le régime hellénistique voulait obliger tous les peuples à se conformer à l'unique culture hellénistique. Beaucoup de juifs avaient défendu avec leur sang la vocation propre d'Israël. Les martyrs avaient payé par leur vie l'identité de leur peuple, qui s'exprimait à travers ces éléments. Après la rencontre avec le Christ ressuscité, Paul comprit que les chrétiens n'étaient pas des traîtres; au contraire, dans la nouvelle situation le Dieu d'Israël à travers le Christ, avait élargi son appel à toutes les nations, en devenant le Dieu de tous les peuples. De cette manière, se réalisait la fidélité au Dieu unique; les signes distinctifs constitués par les règles et les observances particulières n'étaient plus nécessaires, par ce que tous étaient appelés, dans leur variété, à faire partie de l'unique peuple de Dieu de "l'Eglise de Dieu" dans le Christ.

Une chose fut pour Paul immédiatement claire dans la nouvelle situation: la valeur fondamentale et fondatrice du Christ et de la "parole" qui l'annonçait. Paul savait que non seulement on ne devient pas chrétien par la force, mais également que dans la configuration interne de la nouvelle communauté la composante institutionnelle était inévitablement liée à la "parole" vivante, à l'annonce du Christ vivant dans lequel Dieu s'ouvre à tous les peuples et les unit en un unique peuple de Dieu. Il est symptomatique que dans les Actes des Apôtres, Luc emploie plusieurs fois, également à propos de Paul, le syntagme "annoncer la parole" (Ac 4,29 Ac 4,31 Ac 8,25 Ac 11,19 Ac 13,46 Ac 14,25 Ac 16,6 Ac 16,32), avec l'intention évidente de souligner au maximum la portée décisive de la "parole" de l'annonce. Concrètement cette parole est constitué par la croix et la résurrection du Christ, dans lesquelles les Ecritures se sont réalisées. Le mystère pascal, qui a provoqué le tournant de sa vie sur le chemin de Damas, se trouve bien sûr au centre de la prédication de l'apôtre (cf. 1Co 2,2 1Co 15,14). Ce Mystère annoncé dans la parole se réalise dans les sacrements du baptême et de l'Eucharistie et devient ensuite réalité dans la charité chrétienne. L'oeuvre évangélisatrice de Paul n'a pas d'autre finalité que celle d'implanter la communauté des croyants dans le Christ. Cette idée est comprise dans l'étymologie même du terme ekklesia, que Paul, et avec lui tout le christianisme, a préféré à l'autre terme de "synagogue": non seulement parce qu'à l'origine le premier est plus "laïc" (dérivant de la pratique grecque de l'assemblée politique et pas précisément religieuse), mais également parce qu'il implique directement l'idée plus théologique d'un appel ab extra, et donc pas seulement l'idée d'une simple réunion ensemble; les croyants sont appelés par Dieu, qui les réunit en une communauté, son Eglise.

Dans cette optique, nous pouvons également comprendre le concept original, exclusivement paulinien, de l'Eglise comme "Corps du Christ". A cet égard, il faut avoir à l'esprit les deux dimensions de ce concept. L'une est à caractère sociologique, selon laquelle le corps est constitué par ses composantes et n'existerait pas sans elles. Cette interprétation apparaît dans la Lettre aux Romains et dans la première Lettre aux Corinthiens, où Paul reprend une image qui existait déjà dans la sociologie romaine: il dit qu'un peuple est comme un corps avec divers membres, dont chacun à sa fonction, même les plus petits et apparemment le plus insignifiants, sont nécessaires pour que le corps puisse vivre et réaliser ses fonctions. De manière opportune, l'apôtre observe que dans l'Eglise il y a beaucoup de vocations: prophètes, apôtres, maîtres, personnes simples, tous appelés à vivre chaque jour la charité, tous nécessaires pour construire l'unité vivante de cet organisme spirituel. L'autre interprétation fait référence au Corps même du Christ. Paul soutient que l'Eglise n'est pas seulement un organisme, mais devient réellement corps du Christ dans le sacrement de l'Eucharistie, où tous nous recevons son Corps et nous devenons réellement son Corps. Ainsi se réalise le mystère sponsal que tous deviennent un seul corps et un seul esprit dans le Christ. Ainsi la réalité va bien au-delà de l'image sociologique, en exprimant sa véritable essence profonde, à savoir l'unité de tous les baptisés dans le Christ, considérés par l'Apôtre "un" dans le Christ, conformés au sacrement de son Corps.

En disant cela Paul montre qu'il sait bien et il nous fait comprendre à tous que l'Eglise n'est pas sienne et n'est pas nôtre: l'Eglise est corps du Christ, elle est "Eglise de Dieu", "champ de Dieu, édification de Dieu, (...) temple de Dieu" (1Co 3,9 1Co 3,16). Cette dernière qualification est particulièrement intéressante, car elle attribue à un tissu de relations interpersonnelles, un terme qui communément servait pour indiquer un lieu physique, considéré comme sacré. Le rapport entre Eglise et temple finit donc par assumer deux dimensions complémentaires: d'une part, est appliqué à la communauté ecclésiale la caractéristique de dimension séparée et de pureté qui revenait à l'édifice sacré, mais, de l'autre, est également dépassé le concept d'un espace matériel, pour transférer cette valeur à la réalité d'une communauté de foi vivante. Si auparavant les temples étaient considérés comme des lieux de la présence de Dieu, à présent l'on sait et l'on voit que Dieu n'habite pas dans des édifices faits en pierres, mais le lieu de la présence de Dieu dans le monde est la communauté vivante des croyants.

La qualification de "peuple de Dieu", qui chez Paul est appliquée substantiellement au peuple de l'Ancien Testament, puis aux païens qui étaient "le non-peuple" et sont devenus eux aussi le peuple de Dieu grâce à leur insertion dans le Christ à travers la Parole et le sacrement, mériterait un discours à part. Et enfin, une dernière nuance. Dans la Lettre à Timothée, Paul qualifie l'Eglise de "maison de Dieu" (1Tm 3,15); et il s'agit d'une définition vraiment originale, car elle se réfère à l'Eglise comme structure communautaire où sont vécues de chaleureuses relations interpersonnelles à caractère familial. L'apôtre nous aide donc a comprendre toujours plus profondément le mystère de l'Eglise dans ses différentes dimensions d'assemblée de Dieu dans le monde. Telle est la grandeur de l'Eglise et la grandeur de notre appel: nous sommes temple de Dieu dans le monde, lieu où Dieu habite réellement, et nous sommes, dans le même temps, communauté, famille de Dieu dont Il est charité. Comme famille et maison de Dieu, nous devons réaliser dans le monde la charité de Dieu et être ainsi avec la force qui vient de la foi, le lieu et le signe de sa présence. Prions le Seigneur afin qu'il nous concède d'être toujours davantage son Eglise, son Corps, le lieu de la présence de sa charité dans notre monde et dans notre histoire.
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Je salue tous les pèlerins francophones présents aujourd’hui, en particulier ceux venus de France métropolitaine, de l’Île de la Réunion et du Canada. Que votre prière auprès de la tombe des apôtres Pierre et Paul affermisse votre amour de l’Église, Corps du Christ. Bon pèlerinage à tous !




Catéchèses Benoît XVI 11008