Catéchèses Benoît XVI 22108

Mercredi 22 octobre 2008 - Le christocentrisme de saint Paul

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Chers frères et soeurs,

Dans les catéchèses des semaines dernières nous avons médité sur la "conversion" de saint Paul, fruit de sa rencontre personnelle avec Jésus crucifié et ressuscité, et nous nous sommes interrogés sur ce qu'a été la relation de l'apôtre des nations avec Jésus terrestre. Aujourd'hui je voudrais parler de l'enseignement que saint Paul nous a laissé sur le caractère central du Christ ressuscité dans le mystère du salut, sur sa christologie. En vérité, Jésus Christ ressuscité, "exalté au dessus de tous les noms", est au centre de toutes ses réflexions. Le Christ est pour l'apôtre le critère d'évaluation des événements et des choses, l'objectif de chaque effort qu'il accomplit pour annoncer l'Evangile, la grande passion qui soutient ses pas sur les routes du monde. Et il s'agit d'un Christ vivant, concret: le Christ - dit Paul - "qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi" (
Ga 2,20). Cette personne qui m'aime, avec laquelle je peux parler, qui m'écoute et me répond, telle est réellement le principe pour comprendre le monde et pour trouver le chemin dans l'histoire.

Celui qui a lu les écrits de saint Paul sait bien qu'il ne s'est pas soucié de rapporter chacun des faits qui composent la vie de Jésus, même si nous pouvons penser que dans ses catéchèses il a raconté bien davantage sur Jésus pré-pascal que ce qu'il écrit dans les Lettres, qui sont des avertissements dans des situations précises. Son intention pastorale et théologique visait à un tel point à l'édification des communautés naissantes, qu'il concentrait spontanément tout dans l'annonce de Jésus Christ comme "Seigneur" vivant aujourd'hui et présent aujourd'hui parmi les siens. D'où le caractère essentiel de la christologie paulinienne, qui développe les profondeurs du mystère avec un souci constant et précis: annoncer, bien sûr, Jésus vivant, son enseignement, mais annoncer surtout la réalité centrale de sa mort et de sa résurrection, comme sommet de son existence terrestre et racine du développement successif de toute la foi chrétienne, de toute la réalité de l'Eglise. Pour l'apôtre, la résurrection n'est pas un événement isolé, séparé de la mort: le Ressuscité est toujours celui qui, auparavant, a été crucifié. Même ressuscité il porte ses blessures: la passion est présente en Lui et l'on peut dire avec Pascal qu'il est souffrant jusqu'à la fin du monde, tout en étant ressuscité et en vivant avec nous et pour nous. Cette identité du Ressuscité avec le Christ crucifié, Paul l'avait compris lors de la rencontre sur le chemin de Damas: à cet instant-là, lui avait été clairement révélé que le Crucifié est le Ressuscité et que le Ressuscité est le Crucifié, qui dit à Paul: "Pourquoi me persécutes-tu?" (Ac 9,4). Paul persécute le Christ dans l'Eglise et comprend alors que la croix est une "une malédiction de Dieu" (Dt 21,23), mais un sacrifice pour notre rédemption.

L'apôtre contemple avec fascination le secret caché du Crucifié-ressuscité et, à travers les souffrances vécues par le Christ dans son humanité (dimension terrestre), il remonte à cette existence éternelle dans laquelle Il ne fait qu'un avec le Père (dimension pré-temporelle): "Mais lorsque les temps furent accomplis - écrit-il -, Dieu a envoyé son Fils; il est né d'une femme, il a été sous la domination de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils" (Ga 4,4-5). Ces deux dimensions, la préexistence éternelle auprès du Père et la descente du Seigneur dans l'incarnation, s'annoncent déjà dans l'Ancien Testament, dans la figure de la Sagesse. Nous trouvons dans les Livres sapientiaux de l'Ancien Testament certains textes qui exaltent le rôle de la Sagesse préexistante à la création du monde. C'est dans ce sens que doivent être lus des passages comme celui du Psaume 90: "Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi, tu es Dieu" (v. 2); ou des passages comme celui qui parle de la Sagesse créatrice: "Yahvé m'a créée, prémices de son oeuvre, avant ses oeuvres les plus anciennes. Dès l'éternité je fus établie, dès le principe, avant l'origine de la terre" (Pr 8,22-23). L'éloge de la Sagesse, contenu dans le livre homonyme, est également suggestif: "Elle s'étend avec force d'un bout du monde à l'autre et elle gouverne l'univers pour son bien" (Sg 8,1).

Ces mêmes textes sapientiaux qui parlent de la préexistence éternelle de la Sagesse, parlent également de la descente, de l'abaissement de cette Sagesse, qui s'est créée une tente parmi les hommes. Nous entendons ainsi déjà résonner les paroles de l'évangile de Jean qui parle de la tente de la chair du Seigneur. Elle s'est créé une tente dans l'Ancien Testament: là est indiqué le temple, le culte selon la "Torah"; mais du point de vue du Nouveau Testament nous pouvons dire que celle-ci n'était qu'une préfiguration de la tente bien plus réelle et significative: la tente de la chair du Christ. Et nous voyons déjà dans les Livres de l'Ancien Testament que cet abaissement de la Sagesse, sa descente dans la chair, implique également la possibilité qu'elle soit refusée. Saint Paul, en développant sa christologie, fait précisément référence à cette perspective sapientielle: il reconnaît en Jésus la sagesse éternelle existant depuis toujours, la sagesse qui descend et se crée une tente parmi nous et ainsi il peut décrire le Christ, comme "puissance et sagesse de Dieu", il peut dire que le Christ est devenu pour nous "par lui [Dieu] notre sagesse, pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption" (1Co 1,24 1Co 1,30). De même, Paul explique que le Christ, de même que la Sagesse, peut être refusé en particulier par les dominateurs de ce monde (cf. 1Co 2,6-9), si bien que dans les desseins de Dieu peut se créer une situation paradoxale, la croix, qui se retournera en chemin de salut pour tout le genre humain.

Un développement ultérieur de ce cycle sapientiel, qui voit la Sagesse s'abaisser pour ensuite être exaltée malgré le refus qu'on peut lui opposer, se trouve dans le célèbre hymne contenu dans la Lettre aux Philippiens (cf. 2, 6-11). Il s'agit de l'un des textes les plus élevés de tout le Nouveau Testament. La plus grande majorité des exégètes s'accordent désormais à considérer que ce passage reproduit une composition antérieure au texte de la Lettre aux Philippiens. Il s'agit d'une donnée très importante, car cela signifie que le judéo-christianisme, avant saint Paul, croyait dans la divinité de Jésus. En d'autres termes, la foi dans la divinité de Jésus n'est pas une invention hellénistique, apparue bien après la vie terrestre de Jésus, une invention qui, oubliant son humanité, l'aurait divinisé; nous voyons en réalité que le premier judéo-christianisme croyait en la divinité de Jésus, et nous pouvons même dire que les Apôtres eux-mêmes, dans les grands moments de la vie de leur Maître, ont compris qu'Il était le Fils de Dieu, comme le dit saint Pierre à Césarée de Philippes: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16). Mais revenons à l'hymne de la Lettre aux Philippiens. La structure de ce texte peut être articulée en trois strophes, qui illustrent les moments principaux du parcours accompli par le Christ. Sa préexistence est exprimée par les paroles: "lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu" (v. 6); suit alors l'abaissement volontaire du Fils dans la deuxième strophe: "mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur" (v. 7), jusqu'à s'humilier lui-même "en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix" (v. 8). La troisième strophe de l'hymne annonce la réponse du Père à l'humiliation du Fils: "C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le nom qui surpasse tous les noms" (v. 9). Ce qui frappe est le contraste entre l'abaissement radical et la glorification successive dans la gloire de Dieu. Il est évident que cette seconde strophe est en opposition avec la prétention d'Adam qui voulait lui-même se faire Dieu, est en opposition également avec le geste des bâtisseurs de la tour de Babel qui voulaient édifier seuls le pont vers le ciel et devenir eux-mêmes des divinités. Mais cette initiative de l'orgueil s'acheva dans l'autodestruction: ce n'est pas ainsi que l'on arrive au ciel, au bonheur véritable, à Dieu. Le geste du Fils de Dieu est exactement le contraire: non l'orgueil, mais l'humilité, qui est la réalisation de l'amour et l'amour est divin. L'initiative d'abaissement, d'humilité radicale du Christ, à laquelle s'oppose l'orgueil humain, est réellement l'expression de l'amour divin; celle-ci est suivie par cette élévation au ciel vers laquelle Dieu nous attire avec son amour.

Outre la Lettre aux Philippiens, il y a d'autres passages de la littérature paulinienne où les thèmes de la préexistence et de la descente du Fils de Dieu sur la terre sont reliés entre eux. Une réaffirmation de l'assimilation entre Sagesse et Christ, avec toutes les conséquences cosmiques et anthropologiques qui en découlent, se retrouve dans la première Lettre à Timothée: "C'est le Christ manifesté dans la chair, justifié par l'Esprit, apparu aux anges, proclamé chez les païens, accueilli dans le monde par la foi, enlevé au ciel dans la gloire" (3, 16). C'est surtout sur ces prémisses que l'on peut mieux définir la fonction du Christ comme Médiateur unique, avec en toile de fond l'unique Dieu de l'Ancien Testament (cf. 1Tm 2,5 en relation avec Is 43,10-11 Is 44,6). C'est le Christ le vrai pont qui nous conduit au ciel, à la communion avec Dieu.

Et enfin quelques mots sur les derniers développements de la christologie de saint Paul dans les Lettres aux Colossiens et aux Ephésiens. Dans la première, le Christ est qualifié de: "Premier né par rapport à toutes les créatures" (1, 15-20). Ce terme de "Premier né" implique que le premier parmi tant de fils, le premier parmi tant de frères et de soeurs est descendu pour nous attirer à lui et faire de nous ses frères et soeurs. Dans la Lettre aux Ephésiens nous trouvons une belle présentation du plan divin du salut, lorsque Paul dit que dans le Christ Dieu voulait récapituler toute chose (cf. Ep 1,23). Le Christ est la récapitulation de toutes les choses, il résume toutes choses et nous guide vers Dieu. Et ainsi il nous implique dans un mouvement de descente et de montée, en nous invitant à participer à son humilité, c'est-à-dire à son amour envers le prochain, pour participer ainsi également de sa glorification en devenant comme lui fils dans le Fils. Prions le Seigneur afin qu'il nous aide à nous conformer à son humilité, à son amour, pour qu'il nous soit ainsi permis de participer de sa divinisation.
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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue particulièrement le groupe du diocèse d’Aire et Dax, ainsi que tous les pèlerins des paroisses et collèges de Suisse et de France. En cette année paulinienne, que votre pèlerinage à Rome soit pour vous l’occasion de redécouvrir l’enseignement de l’Apôtre des Nations qui nous invite à approfondir toujours plus notre connaissance et notre amour du Christ. Que Dieu vous bénisse !



Mercredi 29 octobre 2008 - La théologie de la Croix dans la christologie de saint Paul

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Chers frères et soeurs,

Dans l'expérience personnelle de saint Paul se trouve un fait incontestable: alors qu'au début il avait été un persécuteur et avait utilisé la violence contre les chrétiens, à partir du moment de sa conversion sur le chemin de Damas, il passa du côté du Christ crucifié, en faisant de celui-ci la raison de sa vie et le motif de sa prédication. Son existence fut entièrement dépensée pour les âmes (cf.
2Co 12,15), et ne fut pas du tout calme ni à l'abri des embûches et des difficultés. Lors de sa rencontre avec Jésus lui était clairement apparue la signification centrale de la Croix: il avait compris que Jésus était mort et était ressuscité pour tous et pour lui-même. Les deux choses étaient importantes; l'universalité: Jésus est mort réellement pour tous, et la subjectivité: Il est mort également pour moi. Dans la Croix s'était donc manifesté l'amour gratuit et miséricordieux de Dieu. C'est tout d'abord en lui-même que Paul fit l'expérience de cet amour (cf. Ga 2,20), et de pécheur il devint croyant, de persécuteur apôtre. Jour après jour, dans sa nouvelle vie, il se rendait compte que le salut est "grâce", que tout provient de la mort du Christ et non de ses mérites, qui du reste n'existaient pas. L'"évangile de la grâce" devint ainsi pour lui l'unique façon de comprendre la Croix, non seulement le critère de sa nouvelle existence, mais aussi la réponse à ses interlocuteurs. Parmi ceux-ci se trouvaient tout d'abord les juifs, qui plaçaient leur espérance dans les oeuvres et en espéraient le salut; il y avait ensuite les grecs, qui opposaient leur sagesse humaine à la Croix; et enfin il y avait des groupes d'hérétiques qui s'étaient formé leur propre idée du christianisme selon leur modèle de vie.

Pour saint Paul, la Croix a un primat fondamental dans l'histoire de l'humanité; elle représente le point central de sa théologie, car dire Croix signifie dire salut comme grâce donnée à chaque créature. Le thème de la Croix du Christ devient un élément essentiel et primordial de la prédication de l'Apôtre: l'exemple le plus clair concerne la communauté de Corinthe. Face à une Eglise où étaient présents de manière préoccupante des désordres et des scandales, où la communion était menacée par des partis et des divisions internes qui fissuraient l'unité du Corps du Christ, Paul se présente non pas avec une sublimité de parole ou de sagesse, mais avec l'annonce du Christ, du Christ crucifié. Sa force n'est pas le langage persuasif mais, paradoxalement, la faiblesse et l'impatience de celui qui ne se remet qu'à la "puissance de Dieu" (cf. 1Co 2,1-4). La Croix, en raison de tout ce qu'elle représente, et donc également en raison du message théologique qu'elle contient, est scandale et folie. L'apôtre l'affirme avec une force impressionnante, qu'il est bon d'écouter avec ses propres paroles: "Car le langage de la Croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu (...) il a plu a Dieu de sauver les croyants par cette folie qu'est la proclamation de l'Evangile. Alors que les Juifs réclament les signes du Messie, et que le monde grec recherche une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens" (1Co 1,18-23).

Les premières communautés chrétiennes auxquelles Paul s'adresse, savent très bien que Jésus est désormais ressuscité et vivant; l'apôtre veut rappeler non seulement aux Corinthiens et aux Galates, mais à nous tous que le Ressuscité est toujours Celui qui a été crucifié. Le "scandale" et la "folie" de la Croix se trouvent précisément dans le fait que, là où il semble n'y avoir qu'échec, douleur, défaite, précisément là se trouve toute la puissance de l'Amour infini de Dieu, car la Croix est expression d'amour et l'amour est la vraie puissance qui se révèle justement dans cette faiblesse apparente. Pour les juifs, la Croix est skandalon, c'est-à-dire piège ou pierre d'achoppement: elle semble faire obstacle à la foi du juif religieux qui ne trouve rien de semblable dans les Saintes Ecritures. Paul, avec beaucoup de courage, semble dire ici que l'enjeu est très élevé: pour les juifs, la Croix contredit l'essence même de Dieu, qui s'est toujours manifesté à travers des signes prodigieux. Accepter la Croix du Christ signifie donc accomplir une profonde conversion dans la manière de se rapporter à Dieu. Si pour les juifs, le motif du refus de la Croix se trouve dans la Révélation, c'est-à-dire la fidélité au Dieu des Pères, pour les Grecs, c'est-à-dire les païens, le critère de jugement pour s'opposer à la Croix est la raison. Pour ce dernier, en effet, la Croix est moría, folie, littéralement insipidité, c'est-à-dire une nourriture sans sel; non pas une erreur, donc, mais une insulte au bon sens.

A plus d'une occasion, Paul lui-même fit l'amère expérience du refus de l'annonce chrétienne jugée "insipide", sans importance, pas même digne d'être prise en considération sur le plan de la logique rationnelle. Pour ceux qui, comme les grecs, voyaient la perfection dans l'esprit, dans la pensée pure, il était déjà inacceptable que Dieu puisse devenir un homme, en acceptant toutes les limites de l'espace et du temps. Ensuite, croire qu'un Dieu puisse finir sur une Croix était décidément inconcevable! Et nous voyons que cette logique grecque est également la logique commune de notre temps. Le concept d'apátheia, indifférence, comme absence de passions en Dieu, aurait-il pu comprendre un Dieu devenu homme et vaincu, qui aurait ensuite repris son corps pour vivre comme ressuscité? "Sur cette question nous t'écouterons une autre fois" (Ac 17,32) dirent de manière méprisante les Athéniens à Paul, lorsqu'ils entendirent parler de résurrection des morts. Ils considéraient comme perfection de se libérer du corps, conçu comme une prison; comment ne pas considérer une aberration de reprendre son corps? Dans la culture antique il ne semblait pas y avoir de place pour le message du Dieu incarné; tout l'événement "Jésus de Nazareth" semblait être caractérisé par la plus totale insipidité et la Croix en était certainement le point le plus emblématique.
Mais pourquoi saint Paul a-t-il fait précisément de la parole de la Croix le point fondamental de sa prédication? La réponse n'est pas difficile: la Croix révèle "la puissance de Dieu" (cf. 1Co 1,24) qui est différente du pouvoir humain; elle révèle en effet son amour: "La folie de Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme" (ibid., v. 25). A des siècles de distance de Paul, nous voyons que c'est la Croix, et non la sagesse qui s'oppose à la Croix, qui a gagné dans l'histoire. Le Crucifié est sagesse, car il manifeste vraiment qui est Dieu, c'est-à-dire la puissance d'amour qui arrive jusqu'à la Croix pour sauver l'homme. Dieu utilise des méthodes et des instruments qui, à première vue, ne nous semblent que faiblesse. Le Crucifié révèle, d'une part, la faiblesse de l'homme et, de l'autre, la véritable puissance de Dieu, c'est-à-dire la gratuité de l'amour: c'est précisément cette gratuité totale de l'amour qui est la véritable sagesse. Une fois encore saint Paul en a fait l'expérience jusque dans sa chair et il en témoigne dans différents passages de son parcours spirituel, devenus des points de référence précis pour chaque disciple de Jésus: "Ma grâce te suffit: ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2Co 12,9); et aussi: "Ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort" (1 Co 1, 28). L'apôtre s'identifie à tel point avec le Christ que lui aussi, malgré les nombreuses épreuves, vit dans la foi du Fils de Dieu qui l'a aimé et s'est donné lui-même pour ses péchés et pour ceux de tous (cf. Ga 1,4 Ga 2,20). Ce fait autobiographique de l'Apôtre devient un paradigme pour nous tous.
Saint Paul a offert une admirable synthèse de la théologie de la Croix dans la deuxième Lettre aux Corinthiens (5, 14-21), où tout est contenu dans deux affirmations fondamentales: d'une part le Christ, que Dieu a identifié pour nous au péché (v. 21), est mort pour tous (v. 14); de l'autre, Dieu nous a réconciliés avec lui en ne nous comptant pas nos péchés (vv. 18-20). C'est par ce "ministère de la réconciliation" que chaque esclavage est désormais racheté (cf. 1Co 6,20 1Co 7,23). Il apparaît ici comme tout cela est important pour notre vie. Nous aussi nous devons entrer dans ce "ministère de la réconciliation" qui implique toujours le renoncement à sa propre supériorité et le choix de la folie de l'amour. Saint Paul a renoncé à sa vie en se donnant totalement pour le ministère de la réconciliation, de la Croix qui est salut pour nous tous. Et nous aussi devons savoir le faire: nous pouvons justement trouver notre force dans l'humilité de l'amour et notre sagesse dans la faiblesse de renoncer pour entrer ainsi dans la force de Dieu. Nous devons tous former notre vie sur cette véritable sagesse: ne pas vivre pour nous-mêmes, mais vivre dans la foi en ce Dieu dont nous pouvons tous dire: "Il m'a aimé et s'est donné pour moi".
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Je suis heureux de saluer les évêques et les séminaristes de Basse-Normandie, les évêques et prêtres qui guident différents pèlerinages diocésains et paroissiaux français et suisse. Je salue plus particulièrement le pèlerinage diocésain de l'enseignement catholique de Soisson, les différents groupes présents, les confirmés adultes, et surtout les jeunes et collégiens, ainsi que les servants de Messe des diocèses du Mans et de Metz, et de la paroisse de Dompierre en Suisse.




Mercredi 5 novembre 2008 - L'importance de la christologie - L'importance décisive de la résurrection

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Chers frères et soeurs,

"Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre message est sans objet, et votre foi est sans objet (...) vous n'êtes pas libérés de vos péchés" (
1Co 15,14 1Co 15,17). Avec ces puissantes paroles de la première Lettre aux Corinthiens, saint Paul fait comprendre quelle importance décisive il attribue à la résurrection de Jésus. Dans cet événement, en effet, se trouve la solution du problème posé par le drame de la Croix. A elle seule, la Croix ne pourrait pas expliquer la foi chrétienne, elle resterait même une tragédie, l'indication de l'absurdité de l'être. Le mystère pascal consiste dans le fait que ce Crucifié "est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures" (1Co 15,4)- c'est ce qu'atteste la tradition proto-chrétienne. C'est là que se trouve la clef de voûte de la christologie paulinienne: tout tourne autour de ce centre de gravité. Tout l'enseignement de l'apôtre Paul part de et arrive toujours au mystère de Celui que le Père a ressuscité de la mort. La résurrection est une donnée fondamentale, une sorte d'axiome préalable (cf. 1 Co 15, 12), à partir duquel Paul peut formuler son annonce (kerygma) synthétique: Celui qui a été crucifié, et qui a ainsi manifesté l'immense amour de Dieu pour l'homme, est ressuscité et il est vivant parmi nous.

Il est important de saisir le lien entre l'annonce de la résurrection, telle que Paul la formule, et celle en usage dans les premières communautés chrétiennes pré-pauliniennes. On peut véritablement voir ici l'importance de la tradition qui précède l'Apôtre et qu'avec un grand respect et attention il veut à son tour transmettre. Le texte sur la résurrection, contenu dans le chapitre 15, 1-11 de la première Lettre aux Corinthiens, met bien en évidence le lien entre "recevoir" et "transmettre". Saint Paul attribue une grande importance à la formulation littérale de la tradition; au terme du passage examiné, il souligne: "Bref, qu'il s'agisse de moi ou des autres, voilà notre message" (1 Co 15, 11), mettant ainsi en lumière l'unité du kerygma, de l'annonce pour tous les croyants et pour tous ceux qui annonceront la résurrection du Christ. La tradition à laquelle il se rattache est la source à laquelle il puise. L'originalité de sa christologie ne se fait jamais au détriment de la fidélité à la tradition. Le kerygma des Apôtres préside toujours à la réélaboration personnelle de Paul; chacun de ses arguments part de la tradition commune, dans laquelle s'exprime la foi partagée par toutes les Eglises qui sont une seule Eglise. Et ainsi saint Paul offre un modèle pour tous les temps sur la manière de faire de la théologie et de prêcher. Le théologien, le prédicateur, ne crée pas de nouvelles visions du monde et de la vie, mais il est au service de la vérité transmise, au service du fait réel du Christ, de la Croix, de la résurrection. Sa tâche est de nous aider à comprendre aujourd'hui, derrière les paroles anciennes, la réalité du "Dieu avec nous", et donc la réalité de la vraie vie.

Il est ici opportun de préciser: saint Paul, en annonçant la résurrection, ne se soucie pas d'en présenter une exposition doctrinale organique - il ne veut pas écrire une sorte de manuel de théologie -, mais il affronte le thème en répondant à des doutes et à des questions concrètes qui lui étaient présentés par les fidèles; un discours d'occasion donc, mais rempli de foi et de théologie vécue. On y trouve une concentration sur l'essentiel: nous avons été "justifiés", c'est-à-dire rendus justes, sauvés, par le Christ mort et ressuscité pour nous. Le fait de la résurrection apparaît tout d'abord, sans lequel la vie chrétienne serait tout simplement absurde. En ce matin de Pâques, eut lieu quelque chose d'extraordinaire, de nouveau et, dans le même temps, de très concret, caractérisé par des signes bien précis, enregistrés par de nombreux témoins. Pour Paul aussi, comme pour les autres auteurs du Nouveau Testament, la résurrection est liée au témoignage de celui qui a fait une expérience directe du Ressuscité. Il s'agit de voir et de sentir non seulement avec les yeux ou avec les sens, mais également avec une lumière intérieure qui pousse à reconnaître ce que les sens extérieurs attestent comme un fait objectif. Paul accorde donc - comme les quatre Evangiles - une importance fondamentale au thème des apparitions, qui sont la condition fondamentale pour la foi dans le Ressuscité qui a laissé la tombe vide. Ces deux faits sont importants: la tombe est vide et Jésus est apparu réellement. Ainsi se constitue cette chaîne de la tradition qui, à travers le témoignage des Apôtres et des premiers disciples, parviendra aux générations successives, jusqu'à nous. La première conséquence, ou la première manière d'exprimer ce témoignage, est de prêcher la résurrection du Christ comme synthèse de l'annonce évangélique et comme point culminant d'un itinéraire salvifique.

Paul effectue tout cela en plusieurs occasions: on peut consulter les Lettres et les Actes des apôtres, où l'on voit toujours que le point essentiel pour lui est d'être témoin de la résurrection. Je ne voudrais citer qu'un seul texte: Paul, arrêté à Jérusalem, se trouve devant le sanhédrin en tant qu'accusé. En cette circonstance, dans laquelle est en jeu pour lui la mort ou la vie, il indique quel est le sens et le contenu de toute sa prédication: "C'est à cause de notre espérance en la résurrection des morts que je passe en jugement" (Ac 23,6). Paul répète sans cesse ce même refrain dans ses Lettres (cf. 1 Th 1, 9sq; 4, 13-18; 5, 10), dans lesquelles il fait aussi appel à son expérience personnelle, à sa rencontre personnelle avec le Christ ressuscité (cf. Ga 1,15-16 1 Co Ga 9,1).

Mais nous pouvons nous demander: quel est pour saint Paul le sens profond de l'événement de la résurrection de Jésus? Que nous dit-il à nous, deux mille ans plus tard? L'affirmation "le Christ est ressuscité", est-elle actuelle pour nous également? Pourquoi la résurrection est-elle pour lui et pour nous aujourd'hui un thème aussi déterminant? Paul donne solennellement une réponse à cette question au début de la Lettre aux Romains, où il commence en disant: "Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils: selon la chair, il est né de la race de David, selon l'Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les morts" (Rm 1,3-4). Paul sait bien, et il le dit de nombreuses fois, que Jésus a toujours été le Fils de Dieu, dès le moment de son incarnation. La nouveauté de la résurrection consiste dans le fait que Jésus, élevé de l'humilité de son existence terrestre, est constitué Fils de Dieu "dans sa puissance". Jésus, humilié jusqu'à la mort sur la croix, peut à présent dire aux Onze: "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre" (Mt 28,18). Ce que dit le Psaume 2, 8 s'est réalisé: "Demande, et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre tout entière". C'est pourquoi avec la résurrection commence l'annonce de l'Evangile du Christ à tous les peuples - commence le Royaume du Christ, ce nouveau Royaume qui ne connaît d'autre pouvoir que celui de la vérité et de l'amour. La résurrection révèle donc définitivement quelle est l'identité authentique et la stature extraordinaire du Crucifié. Une dignité incomparable et très élevée: Jésus est Dieu! Pour saint Paul, l'identité secrète de Jésus se révèle dans le mystère de la résurrection plus encore que dans l'incarnation. Alors que le titre de Christ, c'est-à-dire de "Messie", "Oint", tend chez saint Paul à devenir le nom propre de Jésus et celui de Seigneur spécifie son rapport personnel avec les croyants, à présent le titre de Fils de Dieu vient illustrer la relation intime de Jésus avec Dieu, une relation qui se révèle pleinement dans l'événement pascal. On peut donc dire que Jésus est ressuscité pour être le Seigneur des morts et des vivants (cf. Rm 14,9 et 2 Co Rm 5,15) ou, en d'autres termes, notre Sauveur (cf. Rm 4,25).

Tout cela comporte d'importantes conséquences pour notre vie de foi: nous sommes appelés à participer jusqu'au plus profond de notre être à tout l'événement de la mort et de la résurrection du Christ. L'Apôtre dit: nous sommes "passés par la mort avec le Christ" et nous croyons que "nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet: ressuscité d'entre les morts, le Christ ne meurt plus; sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir" (Rm 6,8-9). Cela se traduit par un partage des souffrances du Christ, qui prélude à cette pleine configuration avec Lui à travers la résurrection, à laquelle nous aspirons dans l'espérance. C'est ce qui est arrivé également à saint Paul, dont l'expérience personnelle est décrite dans les Lettres avec des accents à la fois poignants et réalistes: "Il s'agit de connaître le Christ, d'éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant en moi sa mort, dans l'espoir de parvenir, moi aussi, à ressusciter d'entre les morts" (Ph 3,10-11 cf. 2 Tm Ph 2,8-12). La théologie de la Croix n'est pas une théorie - elle est la réalité de la vie chrétienne. Vivre dans la foi en Jésus Christ, vivre la vérité et l'amour implique des renoncements quotidiens, implique des souffrances. Le christianisme n'est pas la voie de la facilité; il est plutôt une ascension exigeante, cependant éclairée par la lumière du Christ et par la grande espérance qui naît de Lui. Saint Augustin dit: aux chrétiens n'est pas épargnée la souffrance, au contraire ils leur en revient en peu plus en partage, parce que vivre la foi exprime le courage d'affronter la vie et l'histoire plus en profondeur. Toutefois, ce n'est qu'ainsi, en faisant l'expérience de la souffrance, que nous connaissons la vie dans sa profondeur, dans sa beauté, dans la grande espérance suscitée par le Christ crucifié et ressuscité. Le croyant se trouve donc placé entre deux pôles: d'un côté, la résurrection qui d'une certaine manière est déjà présente et à l'oeuvre en nous (cf. Col 3,1-4 Ep 2,6); de l'autre, l'urgence de s'insérer dans ce processus qui conduit tout et tous vers la plénitude, décrite dans la Lettre aux Romains avec une image hardie: de même que toute la création gémit et souffre des douleurs de l'enfantement, nous aussi nous gémissons dans l'attente de la rédemption de notre corps, de notre rédemption et résurrection (cf. Rm 8,18-23).

En résumé, nous pouvons dire avec Paul que le véritable croyant obtient le salut en professant par sa bouche que Jésus est le Seigneur et en croyant avec son coeur que Dieu l'a ressuscité des morts (cf. Rm 10,9). Avant tout, ce qui est important, c'est le coeur qui croit dans le Christ et qui dans la foi "touche" le Ressuscité; mais il ne suffit pas de porter la foi dans son coeur, nous devons la confesser, en témoigner par notre bouche, par notre vie, en rendant ainsi présente la vérité de la croix et de la résurrection dans notre histoire. En effet, de cette manière le chrétien s'insère dans le processus grâce auquel le premier Adam, terrestre et sujet à la corruption et à la mort, se transforme progressivement en dernier Adam, céleste et incorruptible (cf. 1 Co 15, 20-22.42-49). Ce processus a commencé avec la résurrection du Christ, dans laquelle se fonde donc l'espérance de pouvoir un jour entrer nous aussi avec le Christ dans notre véritable patrie qui est aux Cieux. Soutenus par cette espérance, nous poursuivons avec courage et avec joie.
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Je salue tous les pèlerins francophones présents aujourd’hui, en particulier les jeunes du collège Notre-Dame de Bourbourg ainsi que les pèlerins du diocèse de Montpellier. Puisse la résurrection du Christ être votre espérance et orienter tous vos choix et votre vie vers les biens que Dieu promet. Bon pèlerinage à tous !




Catéchèses Benoît XVI 22108