Catéchèses Benoît XVI 16129

Mercredi 16 décembre 2009 - Jean de Salisbury

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Chers frères et soeurs,

Aujourd'hui, nous nous apprêtons à connaître la figure de Jean de Salisbury, qui appartenait à l'une des écoles de philosophie et de théologie les plus importantes du Moyen Age, celle de la cathédrale de Chartres, en France. Lui aussi, comme les théologiens dont j'ai parlé au cours des semaines passées, nous aide à comprendre comment la foi, en harmonie avec les justes aspirations de la raison, pousse la pensée vers la vérité révélée, dans laquelle se trouve le véritable bien de l'homme.

Jean est né en Angleterre, à Salisbury, entre 1100 et 1120. En lisant ses oeuvres, et surtout sa riche correspondance, nous apprenons les faits les plus importants de sa vie. Pendant 12 ans environ, de 1136 à 1148, il se consacra aux études, en fréquentant les écoles les plus qualifiées de l'époque, dans lesquelles il écouta les leçons de maîtres célèbres. Il se rendit à Paris, puis à Chartres, le milieu qui marqua le plus sa formation et dont il fit siens la grande ouverture culturelle, l'intérêt pour les problèmes spéculatifs et le goût de la littérature. Comme cela arrivait souvent à l'époque, les étudiants les plus brillants étaient requis par les prélats et les souverains, pour devenir leurs proches collaborateurs. Cela fut le cas également de Jean de Salisbury, qui fut présenté par son grand ami, Bernard de Clairvaux, à Théobald, archevêque de Canterbury — siège primatial d'Angleterre — qui l'accueillit volontiers dans son clergé. Pendant onze ans, de 1150 à 1161, Jean fut secrétaire et aumônier de l'archevêque âgé. Avec un zèle inlassable, tandis qu'il continuait de se consacrer à l'étude, il accomplit une intense activité diplomatique, se rendant par dix fois en Italie, dans le but explicite de s'occuper des relations du Royaume et de l'Eglise d'Angleterre avec le Pontife Romain. Par ailleurs, à cette époque, le Pape était Adrien IV, un anglais qui eut une profonde amitié avec Jean de Salisbury. Au cours des années qui suivirent la mort d'Adrien IV, survenue en 1159, apparut en Angleterre une situation de grave tension entre l'Eglise et le Royaume. Le roi Henri II, en effet, entendait affirmer son autorité sur la vie interne de l'Eglise, en limitant sa liberté. Cette prise de position suscita les réactions de Jean de Salisbury, et surtout la résistance courageuse du successeur de Théobald sur le siège épiscopal de Canterbury, saint Thomas Becket, qui pour cette raison partit en exil en France. Jean de Salisbury l'accompagna et demeura à son service, se prodiguant toujours en vue d'une réconciliation. En 1170, alors que Jean et Thomas Becket étaient tous deux déjà rentrés en Angleterre, ce dernier fut attaqué et tué à l'intérieur de sa cathédrale. Il mourut en martyr et comme tel, fut immédiatement vénéré par le peuple. Jean continua à servir fidèlement le successeur de Thomas également, jusqu'à ce qu'il soit élu évêque de Chartres, où il demeura de 1176 à 1180, année de sa mort.

Parmi les oeuvres de Jean de Salisbury, je voudrais en mentionner deux, qui sont considérées comme ses chefs-d'oeuvre, désignées de façon élégante sous les titres grecs de Metaloghicón (En défense de la logique) et Polycráticus (L'homme de gouvernement). Dans la première oeuvre, il repousse — avec la fine ironie qui caractérisait de nombreux hommes cultivés — la position de ceux qui avaient une conception réductrice de la culture, considérée comme une éloquence vide, des paroles inutiles. Jean, au contraire, fait l'éloge de la culture, de la philosophie authentique, c'est-à-dire de la rencontre entre la pensée forte et la communication, la parole efficace. Il écrit: « De même, en effet, qu'est non seulement téméraire, mais également aveugle l'éloquence qui n'est pas illuminée par la raison, ainsi, la sagesse qui ne jouit pas de l'usage de la parole est non seulement faible, mais dans un certain sens amputée: en effet, même si, parfois, une sagesse sans parole peut être utile comparée à sa conscience, elle est rarement et peu utile à la société » (Metaloghicón, 1, 1, PL 199, 327). Un enseignement très actuel. Aujourd'hui, ce que Jean définit l' « éloquence », c'est-à-dire la possibilité de communiquer à travers des instruments plus élaborés et diffus, s'est largement multipliée. Toutefois, la nécessité demeure d'autant plus urgente de communiquer des messages dotés de « sagesse », c'est-à-dire inspirés par la vérité, la bonté, la beauté. Il s'agit d'une grande responsabilité, qui interpelle en particulier les personnes qui oeuvrent dans le milieu multiforme et complexe de la culture, de la communication, des médias. Il s'agit d'un domaine dans lequel on peut annoncer l'Evangile avec une vigueur missionnaire.

Dans le Metaloghicón Jean affronte les problèmes de la logique, qui à son époque était l'objet d'un grand intérêt, et il se pose une question fondamentale: qu'est-ce que la raison humaine peut connaître? Jusqu'à quel point peut-elle répondre à cette aspiration qu'il y a en chaque homme, c'est-à-dire la recherche de la vérité? Jean de Salisbury adopte une position modérée, fondée sur l'enseignement de certains traités d'Aristote et de Cicéron. Selon lui, la raison humaine atteint normalement des connaissances qui ne sont pas indiscutables, mais probables et que l'on peut remettre en question. C'est-à-dire que la connaissance humaine est imparfaite, car elle est sujette à la finitude, aux limites de l'homme. Celle-ci peut cependant croître et elle se perfectionne grâce à l'expérience et à l'élaboration de raisonnements corrects et cohérents, en mesure d'établir des rapports entre les concepts et la réalité, grâce à la discussion, à la confrontation et au savoir qui s'enrichit de génération en génération. Ce n'est qu'en Dieu qu'il existe une science parfaite, qui est communiquée à l'homme, au moins partiellement, au moyen de la Révélation accueillie dans la foi, c'est pourquoi la science de la foi, la théologie, déploie les potentialités de la raison et fait avancer avec humilité dans la connaissance des mystères de Dieu.

Le croyant et le théologien, qui approfondissent le trésor de la foi, s'ouvrent également à un savoir pratique, qui guide les actions quotidiennes, c'est-à-dire aux lois morales et à l'exercice des vertus. « La clémence de Dieu », écrit Jean de Salisbury, « nous a accordé sa loi, qui établit quelles sont les choses utiles à connaître pour nous, et qui indique ce qu'il est licite de savoir de Dieu et ce qu'il est juste de rechercher... Dans cette loi, en effet, s'explicite et devient évidente la volonté de Dieu, afin que chacun de nous sache ce qu'il est nécessaire de faire pour lui » (Metaloghicón 4, 41, PL 199, 944-945). Selon Jean de Salisbury, il existe également une vérité objective et immuable, dont l'origine est Dieu, accessible à la raison humaine et qui concerne l'action pratique et sociale. Il s'agit d'un droit naturel, auquel les lois humaines et les autorités politiques et religieuses doivent s'inspirer, afin qu'elles puissent promouvoir le bien commun. Cette loi naturelle est caractérisée par une propriété que Jean appelle « équité », c'est-à-dire l'attribution à chaque personne de ses droits. De celle-ci découlent les préceptes qui sont légitimes chez tous les peuples et qui ne peuvent en aucun cas être abrogés. Telle est la thèse centrale du Polycráticus, le traité de philosophie et de théologie politique, dans lequel Jean de Salisbury réfléchit sur les conditions qui rendent l'action des gouvernants juste et permise.

Alors que d'autres thèmes affrontés dans cette oeuvre sont liés aux circonstances historiques dans lesquelles elle fut composée, le thème du rapport entre loi naturelle et organisation juridique positive, au moyen de l'équité, est encore aujourd'hui d'une grande importance. A notre époque, en effet, surtout dans certains pays, nous assistons à une séparation préoccupante entre la raison, qui a la tâche de découvrir les valeurs éthiques liées à la dignité de la personne humaine, et la liberté, qui a la responsabilité de les accueillir et de les promouvoir. Peut-être Jean de Salisbury nous rappellerait-il aujourd'hui que ne sont conformes à l'équité que les lois qui protègent le caractère sacré de la vie humaine et qui repoussent la légalité de l'avortement, de l'euthanasie et des expérimentations génétiques irresponsables, ces lois qui respectent la dignité du mariage entre l'homme et la femme, qui s'inspirent à une correcte laïcité de l'Etat — une laïcité qui comporte cependant toujours la sauvegarde de la liberté religieuse —, et qui recherchent la subsidiarité et la solidarité au niveau national et international. S'il en était autrement, il finirait par s'instaurer ce que Jean de Salisbury définit la « tyrannie du prince » ou, dirions-nous, « la dictature du relativisme » : un relativisme qui, comme je le rappelai il y a quelques années, « ne reconnaît rien comme définitif et ne laisse comme mesure ultime que le propre moi et ses envies » (Missa pro eligendo Romano Pontifice, Homélie, cf. ORLF n. 16 du 19 avril 2005).

Dans ma plus récente encyclique, Caritas in veritate, m'adressant aux hommes de bonne volonté, qui s'engagent afin que l'action sociale et politique ne soit jamais détachée de la vérité objective sur l'homme et sur sa dignité, j'ai écrit: « La vérité et l'amour que celle-ci fait entrevoir ne peuvent être fabriqués. Ils peuvent seulement être accueillis. Leur source ultime n'est pas, ni ne peut l'être, l'homme, mais Dieu, c'est-à-dire Celui qui est Vérité et Amour. Ce principe est très important pour la société et pour le développement, dans la mesure où ni l'une ni l'autre ne peuvent être produits seulement par l'homme. La vocation elle-même des personnes et des peuples au développement ne se fonde pas sur une simple décision humaine, mais elle est inscrite dans un dessein qui nous précède et qui constitue pour chacun de nous un devoir à accueillir librement » (n. 52). Ce dessein qui nous précède, cette vérité de l'être, nous devons les chercher et les accueillir afin que naisse la justice, mais nous ne pouvons les trouver et les accueillir qu'avec un coeur, une volonté, une raison purifiés dans la lumière de Dieu.
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Je salue avec plaisir ce matin les pèlerins francophones. Que votre préparation à la fête de Noël vous aide à accueillir le Christ qui vient, afin qu'il puisse vivre pleinement en vous. Avec ma Bénédiction apostolique!



Mercredi 23 décembre 2009 - Origine historique de Noël

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Chers frères et soeurs,


Avec la neuvaine de Noël, que nous célébrons ces jours-ci, l'Eglise nous invite à vivre de manière intense et profonde la préparation de la Naissance du Sauveur, désormais imminente. Le désir, que nous portons tous dans le coeur, est que la prochaine fête de Noël nous offre, au milieu de l'activité frénétique de notre époque, une joie sereine et profonde pour nous faire toucher du doigt la volonté de notre Dieu et de nous donner un courage nouveau.

Pour mieux comprendre la signification du Noël du Seigneur je voudrais évoquer brièvement l'origine historique de cette solennité. En effet, l'année liturgique de l'Eglise ne s'est pas développé au commencement en partant de la naissance du Christ, mais de la foi en sa résurrection. C'est pourquoi la fête la plus ancienne de la chrétienté n'est pas Noël, mais Pâques; la résurrection du Christ fonde la foi chrétienne, elle est à la base de l'annonce de l'Evangile et elle fait naître l'Eglise. Etre chrétiens signifie donc vivre de manière pascale, en se laissant prendre dans la dynamique qui voit le jour avec le baptême et qui conduit à mourir au péché pour vivre avec Dieu (cf.
Rm 6,4).

Le premier à affirmer avec clarté que Jésus naquit le 25 décembre a été Hippolyte de Rome, dans son commentaire au Livre du prophète Daniel, écrit vers l'an 204. Certains exégètes remarquent ensuite que, ce jour-là, était célébrée la fête de la Consécration du Temple de Jérusalem, instituée par Judas Maccabée en 164 avant Jésus Christ. La coïncidence de dates signifierait alors qu'avec Jésus, apparu comme lumière de Dieu dans la nuit, se réalise véritablement la consécration du temple, l'Avènement de Dieu sur cette terre.

Dans la chrétienté, la fête de Noël a pris une forme définitive au IVe siècle, lorsqu'elle prit la place de la fête romaine du « Sol invictus », le soleil invincible; ainsi fut mis en évidence que la naissance du Christ est la victoire de la vraie lumière sur les ténèbres du mal et du péché. Toutefois, l'atmosphère spirituelle particulière et intense qui entoure Noël s'est développée au Moyen-Age, grâce à saint François d'Assise, qui était profondément amoureux de l'homme Jésus, du Dieu-avec-nous. Son premier biographe, Thomas de Celano, dans la Vita seconda raconte que saint François « plus que toutes les autres solennités, célébrait avec un ineffable soin le Noël de l'Enfant Jésus, et il appelait fête d'entre les fêtes le jour où Dieu, s'étant fait petit enfant, avait pris la tétée à un sein humain » (Sources franciscaines, n. 199, p. 492). C'est à cette dévotion particulière au mystère de l'Incarnation que doit son origine la fameuse célébration de Noël à Greccio. Elle fut probablement inspirée à saint François par son pèlerinage en Terre Sainte et par la crèche de Sainte-Marie-Majeure à Rome. Ce qui animait le Poverello d'Assise était le désir de faire l'expérience, de manière concrète, vivante et actuelle, de l'humble grandeur de l'événement de la naissance de l'Enfant Jésus et d'en communiquer la joie à tous.

Dans la première biographie, Thomas de Celano parle de la nuit de la crèche de Greccio de manière vivante et touchante, en offrant une contribution décisive à la diffusion de la plus belle tradition de Noël, celle de la crèche. La nuit de Greccio, en effet, a redonné à la chrétienté l'intensité et la beauté de la fête de Noël, et a éduqué le Peuple de Dieu à en saisir le message le plus authentique, la chaleur particulière, et à aimer et adorer l'humanité du Christ. Cette approche particulière de Noël a offert à la foi chrétienne une nouvelle dimension. La Pâque avait concentré l'attention sur la puissance de Dieu qui vainc la mort, inaugure la vie nouvelle et enseigne à espérer dans le monde qui viendra. Avec saint François et sa crèche étaient mis en évidence l'amour désarmé de Dieu, son humilité et sa bonté qui, dans l'Incarnation du Verbe, se manifeste aux hommes pour enseigner une nouvelle manière de vivre et d'aimer.

Thomas de Celano raconte que, en cette nuit de Noël, la grâce d'une vision merveilleuse fut accordée à François. Il vit couché immobile dans la mangeoire un petit enfant, qui fut réveillé du sommeil précisément par la proximité de François. Et il ajoute: « Cette vision n'était pas discordante des faits car, par l'oeuvre de sa grâce qui agissait au moyen de son saint serviteur François, l'Enfant Jésus fut ressuscité dans le coeur de beaucoup de personnes qui l'avaient oublié, et il fut profondément imprimé dans leur mémoire pleine d'amour » (Vita prima, op. cit., n. 86, p. 307). Cette évocation décrit avec beaucoup de précision ce que la foi vivante et l'amour de François pour l'humanité du Christ ont transmis à la fête chrétienne de Noël: la découverte que Dieu se révèle sous la tendre apparence de l'Enfant Jésus. Grâce à saint François, le peuple chrétien a pu percevoir qu'à Noël, Dieu est vraiment devenu l'« Emmanuel », le Dieu-avec-nous, dont ne nous sépare aucune barrière et aucune distance. Dans cet Enfant, Dieu est devenu si proche que nous pouvons le tutoyer et entretenir avec lui une relation confidentielle de profonde affection, de la même façon que nous le faisons avec un nouveau-né.

En effet, dans cet Enfant se manifeste Dieu-Amour: Dieu vient sans armes, sans la force, parce qu'il n'entend pas conquérir, pour ainsi dire, de l'extérieur, mais il entend plutôt être librement accueilli par l'homme; Dieu se fait Enfant sans défense pour vaincre l'orgueil, la violence, la soif de possession de l'homme. En Jésus, Dieu a assumé cette condition pauvre et désarmante pour nous vaincre par l'amour et nous conduire à notre véritable identité. Nous ne devons pas oublier que le titre le plus grand de Jésus Christ est précisément celui de « Fils », Fils de Dieu; la dignité divine est indiquée par un terme, qui prolonge la référence à l'humble condition de la mangeoire de Bethléem, bien que correspondant de manière unique à sa divinité, qui est la divinité du « Fils ».

En outre, sa condition d'Enfant nous indique comment nous pouvons rencontrer Dieu et jouir de sa présence. C'est à la lumière de Noël que nous pouvons comprendre les paroles de Jésus: « Si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des cieux » (Mt 18,3). Celui qui n'a pas compris le mystère de Noël, n'a pas compris l'élément décisif de l'existence chrétienne. Celui qui n'a pas accueilli Jésus avec le coeur d'un enfant, ne peut pas entrer dans le royaume des cieux: tel est ce que François a voulu rappeler à la chrétienté de son époque et de tous les temps, jusqu'à aujourd'hui. Nous prions le Père pour qu'il accorde à notre coeur cette simplicité qui reconnaît le Seigneur dans l'Enfant, précisément comme le fit François à Greccio. Il pourrait alors aussi nous arriver ce que Thomas de Celano — se référant à l'expérience des pasteurs dans la Nuit Sainte (cf. Lc 2,20) — raconte à propos de ceux qui furent présents à l'événement de Greccio: « Chacun s'en retourna chez lui empli d'une joie ineffable » (Vita prima, op. cit., n. 86, p. 479).

Tel est le voeu que j'adresse avec affection à vous tous, à vos familles et à ceux qui vous sont chers. Bon Noël à vous tous!
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Chers pèlerins de langue française, prions Dieu pour qu'il mette en nos coeurs la simplicité qui nous fera reconnaître le Seigneur dans l'Enfant de la crèche. A tous, je souhaite de belles et saintes fêtes de Noël.


Mercredi 30 décembre 2009 - Pierre Lombard

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Chers frères et soeurs,

Au cours de cette dernière Audience de l'année, je voudrais vous parler de Pierre Lombard: un théologien qui vécut au XIIe siècle et qui a joui d'une grande notoriété, car l'une de ses oeuvres, intitulée Sentences, fut adoptée comme manuel de théologie pendant de nombreux siècles.

Qui était donc Pierre Lombard? Même si les informations sur sa vie sont peu nombreuses, nous pouvons reconstruire tout au moins les lignes essentielles de sa biographie. Il naquit entre le XIe siècle et le XIIe siècle, aux alentours de Novare, dans le nord de l'Italie, sur un territoire qui appartenait autrefois aux Lombards: c'est précisément pour cette raison qu'on lui attribua le nom de « Lombard ». Il appartenait à une famille de condition modeste, comme nous pouvons le déduire de la lettre de présentation que Bernard de Clairvaux écrivit à Gilduin, supérieur de l'abbaye de Saint-Victor à Paris, pour lui demander de recevoir gratuitement Pierre, qui voulait se rendre dans cette ville pour des raisons d'étude. En effet, même au Moyen-âge il n'y avait pas que les nobles ou les riches qui pouvaient étudier et jouer des rôles importants dans la vie ecclésiale et sociale, mais également des personnes d'origine humble, comme par exemple le Pape Grégoire VII, le Pape qui tint tête à l'empereur Henri IV, ou Maurice de Sully, l'archevêque de Paris qui fit construire Notre-Dame et qui était le fils d'un pauvre paysan.

Pierre Lombard commença ses études à Bologne, puis il se rendit à Reims, et enfin à Paris. A partir de 1140, il enseigna dans la prestigieuse école de Notre-Dame. Estimé et apprécié en tant que théologien, il fut chargé huit ans plus tard par le Pape Eugène III d'examiner les doctrines de Gilbert de Poitiers (« de la Porrée »), qui suscitaient de nombreux débats, car elles n'étaient pas considérées comme tout à fait orthodoxes. Devenu prêtre, il fut nommé évêque de Paris en 1159, un an avant sa mort, qui eut lieu en 1160.

Comme tous les maîtres de théologie de son temps, Pierre écrivit lui aussi des discours et des commentaires des Saintes Ecritures. Son chef d'oeuvre est cependant constitué par les quatre livres des Sentences. Il s'agit d'un texte né et destiné à l'enseignement. Selon la méthode théologique en usage à cette époque, il fallait tout d'abord connaître, étudier et commenter la pensée des Pères de l'Eglise et d'autres écrivains considérés comme faisant autorité. Pierre rassembla donc une documentation très vaste, principalement constituée par l'enseignement des grands Pères latins, en particulier saint Augustin, et ouverte à la contribution de théologiens de son époque. Entre autres, il utilisa également une oeuvre encyclopédique de théologie grecque, connue depuis peu en Occident: La foi orthodoxe, composée par saint Jean Damascène. Le grand mérite de Pierre Lombard est d'avoir classé tout le matériel qu'il avait rassemblé et sélectionné avec soin, dans un cadre systématique et harmonieux. En effet, l'une des caractéristiques de la théologie est d'organiser de manière unitaire et ordonné le patrimoine de la foi. Il distribua donc les sentences, c'est-à-dire les sources patristiques sur les divers thèmes, en quatre livres. Le premier livre concerne Dieu et le mystère trinitaire; le deuxième, l'oeuvre de la création, du péché et de la Grâce; le troisième, le Mystère de l'Incarnation et l'oeuvre de la Rédemption, avec un vaste développement sur les vertus. Le quatrième livre est consacré aux sacrements et aux réalités dernières, celles de la vie éternelle, ou Novissimi. La vision d'ensemble que l'on en tire inclut presque toutes les vérités de la foi catholique. Ce regard synthétique et la présentation claire, ordonnée, schématique et toujours cohérente, expliquent le succès extraordinaire des Sentences de Pierre Lombard. Celles-ci permettaient un apprentissage sûr de la part des étudiants, et un vaste espace d'approfondissement pour les maîtres, les enseignants qui s'en servaient. Un théologien franciscain, Alexandre de Hales, qui vécut un génération après celle de Pierre, introduisit une subdivision dans les Sentences, qui en rendit la consultation et l'étude plus facile. Même les plus grands théologiens du XIIIe siècle, Albert le Grand, Bonaventure de Bagnoregio et Thomas d'Aquin, commencèrent leur activité académique en commentant les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard, les enrichissant par leurs réflexions. Le texte de Lombard fut le livre le plus utilisé dans toutes les écoles de théologie, jusqu'au xvi siècle.
Je désire souligner que la présentation organique de la foi est une exigence incontournable. En effet, les vérités de la foi s'éclairent réciproquement et, dans leur vision totale et unitaire, apparaît l'harmonie du plan de salut de Dieu et la place centrale du Mystère du Christ. Sur l'exemple de Pierre Lombard, j'invite tous les théologiens et les prêtres à garder toujours à l'esprit toute la vision de la doctrine chrétienne, contre les risques actuels de fragmentation et de perte de valeur des vérités individuelles. Le Catéchisme de l'Eglise catholique, ainsi que le Compendium du même Catéchisme, nous offrent précisément ce cadre complet de la Révélation chrétienne, à accueillir avec foi et gratitude. Je voudrais donc encourager chaque fidèle et les communautés chrétiennes à profiter de ces instruments pour connaître et approfondir les contenus de notre foi. Celle-ci apparaîtra ainsi une merveilleuse symphonie, qui nous parle de Dieu et de son amour et qui sollicite notre ferme adhésion et notre réponse concrète.

Pour avoir une idée de l'intérêt que peut susciter aujourd'hui encore la lecture des Sentences de Pierre Lombard, je propose deux exemples. S'inspirant du commentaire de saint Augustin du livre de la Genèse, Pierre se demande la raison pour laquelle la création de la femme eut lieu de la côte d'Adam et non de sa tête ou de ses pieds. Et il explique: « Celle qui était formée n'était pas une dominatrice, ni même une esclave de l'homme, mais sa compagne » (Sentences 3, 18, 3). Ensuite, toujours sur la base de l'enseignement patristique, il ajoute: « Dans cette action est représenté le mystère du Christ et de l'Eglise. En effet, comme la femme a été formée de la côte d'Adam alors que celui-ci dormait, ainsi l'Eglise est née des sacrements qui commencèrent à jaillir du côté du Christ qui dormait sur la Croix, c'est-à-dire du sang et de l'eau, avec lesquels nous sommes rachetés de la peine et purifié de la faute » (Sentences 3, 18, 4). Ce sont des réflexions profondes et valables encore aujourd'hui, alors que la théologie et la spiritualité ont beaucoup approfondi l'analogie avec la relation sponsale entre le Christ et son Eglise.

Dans un autre passage de son oeuvre principale, Pierre Lombard, à propos des mérites du Christ, se demande: « Pour quelle raison, alors, [le Christ] voulut souffrir et mourir, si ses vertus étaient déjà suffisantes pour lui valoir tous les mérites? ». Sa réponse est incisive et claire: « Pour toi, pas pour lui-même! ». Il continue ensuite par une autre question et une autre réponse, qui semblent reproduire les discussions qui se tenaient pendant les leçons des maîtres de théologie du Moyen-âge: « Et dans quel sens souffrit-il et mourut-il pour moi? Afin que sa passion et sa mort soient pour toi un exemple et une cause. Un exemple de vertu et d'humilité, une cause de gloire et de liberté; un exemple donné par Dieu obéissant jusqu'à la mort; une cause de ta libération et de ta béatitude » (Sentences 3, 18, 5).

Parmi les contributions les plus importantes offertes par Pierre Lombard à l'histoire de la théologie, je voudrais rappeler sa réflexion sur les sacrements, dont il donne une définition je dirais définitive: « On appelle sacrement au sens propre ce qui est un signe de la grâce de Dieu et une forme visible de la grâce invisible, de manière telle qu'il en porte l'image et en est la cause » (4, 1, 4). Avec cette définition, Pierre Lombard saisit l'essence des sacrements: ceux-ci sont cause de la grâce, ils ont la capacité de communiquer réellement la vie divine. Les théologiens suivants n'abandonneront plus cette vision et utiliseront également la distinction entre élément matériel et élément formel, introduite par le « Maître des Sentences », comme fut appelé Pierre Lombard. L'élément matériel est la réalité sensible et visible, l'élément formel sont les paroles prononcées par le ministre. Tous deux sont essentiels pour une célébration complète et valable des sacrements. La matière, la réalité avec laquelle le Seigneur nous touche véritablement, et la parole qui donne le sens spirituel. Dans le Baptême, par exemple, l'élément matériel est l'eau que l'on verse sur la tête de l'enfant et l'élément formel sont les paroles « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Lombard, en outre, clarifie le fait que seuls les sacrements transmettent objectivement la grâce divine et qu'il sont sept: le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Pénitence, l'Onction des Malades, l'Ordre et le Mariage (cf. Sentences 4, 2, 1).

Chers frères et soeurs, il est important de reconnaître combien la vie sacramentelle dans laquelle le Seigneur, à travers cette matière, dans la communauté de l'Eglise, nous touche et nous transforme, est précieuse et indispensable pour chaque chrétien. Comme le dit le Catéchisme de l'Eglise catholique, les sacrements sont « des forces qui sortent du Corps du Christ; toujours vivant et vivifiant, actions de l'Esprit Saint » (n. 1116). En cette Année sacerdotale que nous célébrons, j'exhorte les prêtres, en particulier les ministres ayant charge d'âme, à avoir eux-mêmes les premiers, une intense vie sacramentelle pour pouvoir aider les fidèles. Que la célébration des sacrements soit caractérisée par la dignité et le décorum, qu'elle favorise le recueillement personnel et la participation communautaire, le sens de la présence de Dieu et l'ardeur missionnaire. Les sacrements sont le grand trésor de l'Eglise et il revient à chacun de nous de les célébrer avec des fruits spirituels. En eux, un événement toujours surprenant touche notre vie: le Christ, à travers les signes visibles, vient à notre rencontre, nous purifie, nous transforme et nous fait participer à son amitié divine.

Chers amis, nous sommes arrivés à la fin de cette année et aux portes du nouvel an. Je souhaite que l'amitié de Notre Seigneur Jésus Christ vous accompagne chaque jour de cette année qui va commencer. Puisse cette amitié du Christ être notre lumière et notre guide, nous aidant à être des hommes de paix, de sa paix. Bonne année à tous!
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Je suis heureux d'accueillir ce matin les pèlerins de France, de Belgique et des pays francophones. Je salue la paroisse de Belloy-en-France et le Choeur « Cantate Domino », de Aalst. A tous je souhaite une bonne et sainte Année! Qu'elle vous permette d'aller à la rencontre de Dieu et de vos frères! Que Dieu vous bénisse!


Mercredi 13 janvier 2010 - Les Ordres mendiants

Chers frères et soeurs,

Au début de la nouvelle année, nous nous penchons sur l'histoire du christianisme, pour voir comment se développe une histoire et comment elle peut être renouvelée. Dans celle-ci, nous pouvons voir que ce sont les saints, guidés par la lumière de Dieu, qui sont les authentiques réformateurs de la vie de l'Eglise et de la société. Maîtres à travers la parole et témoins à travers l'exemple, ils savent promouvoir un renouveau ecclésial stable et profond, car ils ont été eux-mêmes profondément renouvelés, ils sont en contact avec la véritable nouveauté: la présence de Dieu dans le monde. Cette réalité réconfortante, selon laquelle dans chaque génération naissent des saints qui apportent la créativité du renouveau, accompagne constamment l'histoire de l'Eglise parmi les tristesses et les aspects négatifs de son chemin. Nous voyons, en effet, siècle après siècle, naître également les forces de la réforme et du renouveau, car la nouveauté de Dieu est inexorable et donne toujours une force nouvelle pour aller de l'avant. C'est ce qui a eu lieu également au XIIIe siècle, avec la naissance et le développement extraordinaire des Ordres mendiants: un modèle de grand renouveau à une nouvelle époque historique. Ceux-ci furent appelés ainsi en raison de leur caractéristique de « mendier », c'est-à-dire d'avoir recours humblement au soutien économique des personnes pour vivre le voeu de pauvreté et accomplir leur mission évangélisatrice. Parmi les Ordres mendiants qui apparurent à cette époque, les plus connus et les plus importants sont les Frères mineurs et les Frères prêcheurs, connus comme franciscains et dominicains. Ils sont appelés ainsi en raison du nom de leurs fondateurs, respectivement François d'Assise et Dominique de Guzman. Ces deux grands saints eurent la capacité de lire avec intelligence « les signes des temps », percevant les défis que devait affronter l'Eglise de leur temps.

Un premier défi était représenté par l'expansion de divers groupes et mouvements de fidèles qui, bien qu'inspirés par un désir légitime d'authentique vie chrétienne, se plaçaient souvent en dehors de la communion ecclésiale. Ils étaient en profonde opposition avec l'Eglise riche et belle qui s'était développée précisément avec la diffusion du monachisme. Dans les récentes catéchèses, je me suis arrêté sur la communauté monastique de Cluny, qui avait toujours plus attiré les jeunes et donc les forces vitales, ainsi que les biens et les richesses. De façon logique, s'était ainsi développée, dans un premier temps, une Eglise riche de propriété et également de biens immobiliers. Contre cette Eglise on opposa l'idée que le Christ vint sur terre pauvre et que la véritable Eglise aurait dû être précisément l'Eglise des pauvres; le désir d'une véritable authenticité chrétienne s'opposa ainsi à la réalité de l'Eglise empirique. Il s'agit de ce que l'on a appelé les mouvements paupéristes du Moyen Age. Ils contestaient durement la façon de vivre des prêtres et des moines de l'époque, accusés d'avoir trahi l'Evangile et de ne pas pratiquer la pauvreté comme les premiers chrétiens, et ces mouvements opposèrent au ministère des évêques une véritable « hiérarchie parallèle ». En outre, pour justifier leurs choix, ils diffusèrent des doctrines incompatibles avec la foi catholique. Par exemple, le mouvement des cathares ou des albigeois reproposa d'antiques hérésies, comme la dévalorisation et le mépris du monde matériel – l'opposition à la richesse devint rapidement une opposition à la réalité matérielle en tant que telle – la négation de la libre volonté, puis le dualisme, l'existence d'un second principe, du mal comparé à Dieu. Ces mouvements eurent du succès, spécialement en France et en Italie, non seulement en vertu de leur solide organisation, mais également parce qu'ils dénonçaient un désordre réel dans l'Eglise, provoqué par le comportement peu exemplaire de divers représentants du clergé.

Les franciscains et les dominicains, dans le sillage de leurs fondateurs, montrèrent en revanche qu'il était possible de vivre la pauvreté évangélique, la vérité de l'Evangile comme telle, sans se séparer de l'Eglise; ils montrèrent que l'Eglise reste le vrai, l'authentique lieu de l'Evangile et de l'Ecriture. Plus encore, Dominique et François tirèrent justement de l'intime communion avec l'Eglise et avec la papauté la force de leur témoignage. Avec un choix tout à fait original dans l'histoire de la vie consacrée, les membres de ces ordres non seulement renonçaient à la possession de biens personnels, comme le faisaient les moines depuis l'Antiquité, mais ils ne voulaient pas que fussent mis au nom de la communauté des terrains et des biens immobiliers. Ils entendaient ainsi témoigner d'une vie extrêmement sobre, pour être solidaires avec les pauvres et ne s'en remettre qu'à la Providence, vivre chaque jour de la Providence, de la confiance de se mettre entre les mains de Dieu. Ce style personnel et communautaire des ordres mendiants, uni à la totale adhésion à l'enseignement de l'Eglise et à son autorité, fut hautement apprécié par les Papes de l'époque, comme Innocent III et Honorius III, qui offrirent tout leur soutien à ces nouvelles expériences ecclésiales, en reconnaissant en elles la voix de l'Esprit. Et les fruits ne manquèrent pas: les groupes paupéristes qui s'étaient séparés de l'Eglise rentrèrent dans la communion ecclésiale ou, lentement, ils trouvèrent une nouvelle dimension, avant de disparaître. Encore aujourd'hui, tout en vivant dans une société où prévaut souvent l'« avoir » sur l'« être », l'on est très sensible aux exemples de pauvreté et de solidarité, que les croyants offrent avec des choix courageux. Encore aujourd'hui, de semblables initiatives ne manquent pas: les mouvements, qui partent réellement de la nouveauté de l'Evangile et le vivent dans notre temps dans sa radicalité, en se mettant entre les mains de Dieu, pour servir leur prochain. Le monde, comme le rappelait Paul VI dans Evangelii nuntiandi, écoute volontiers les maîtres, quand ils sont aussi des témoins. Il s'agit d'une leçon à ne jamais oublier dans l'oeuvre de diffusion de l'Evangile: être les premiers à vivre ce qui s'annonce, être le miroir de la charité divine.

Franciscains et dominicains furent des témoins, mais aussi des maîtres. En effet, une autre exigence répandue à leur époque était celle de l'instruction religieuse. Un grand nombre de fidèles laïcs, qui habitaient dans les villes en voie de grande expansion, désiraient pratiquer une vie chrétienne spirituellement intense. Ils essayaient donc d'approfondir la connaissance de la foi et d'être guidés sur le chemin difficile mais enthousiasmant de la sainteté. Les Ordres mendiants surent aussi avec bonheur aller à la rencontre de cette nécessité: l'annonce de l'Evangile dans la simplicité et dans sa profondeur et sa grandeur était un but, peut-être le but principal de ce mouvement. Avec beaucoup de zèle, en effet, ils se consacrèrent à la prédication. Les fidèles étaient très nombreux, souvent de véritables foules, à se réunir pour écouter les prédicateurs dans les églises et dans les lieux à ciel ouvert, pensons à saint Antoine par exemple. Des sujets proches de la vie des gens étaient traités, surtout la pratique des vertus théologales et morales, avec des exemples concrets, facilement compréhensibles. En outre, on enseignait des formes pour nourrir la vie de prière et la piété. Par exemple, les franciscains diffusèrent largement la dévotion relative à l'humanité du Christ, avec l'engagement d'imiter le Seigneur. L'on n'est donc pas surpris que fussent nombreux les fidèles, femmes et hommes, qui choisissaient de se faire accompagner sur le chemin chrétien par des frères franciscains et dominicains, directeurs spirituels et confesseurs recherchés et appréciés. Ainsi naquirent des associations de fidèles laïcs qui s'inspiraient de la spiritualité de saint François et de saint Dominique, adaptée à leur état de vie. Il s'agit du Tiers Ordre, tant franciscain que dominicain. En d'autres termes, la proposition d'une « sainteté laïque » conquit un grand nombre de personnes. Comme l'a rappelé le Concile oecuménique Vatican II, la vocation à la sainteté n'est pas réservée à quelques-uns, mais elle est universelle (cf. Lumen gentium LG 40). Dans tous les états de vie, on trouve la possibilité de vivre l'Evangile selon les exigences de chacun d'eux. Encore aujourd'hui, tout chrétien doit tendre à la « haute mesure de la vie chrétienne », quel que soit l'état de vie auquel il appartient.

L'importance des Ordres mendiants s'accrut tellement au Moyen-âge que les institutions laïques, telles que les organisations du travail, les anciennes corporations et les autorités civiles elles-mêmes, avaient souvent recours à la consultation spirituelle des membres de ces Ordres pour la rédaction de leurs règlements et, parfois, pour la résolution des différends internes et externes. Les franciscains et les dominicains devinrent les animateurs spirituels de la cité médiévale. Avec une profonde intuition, ils mirent en oeuvre une stratégie pastorale adaptée aux transformations de la société. Etant donné que de nombreuses personnes se déplaçaient des campagnes vers les villes, ils placèrent leurs couvents non plus dans des zones rurales mais urbaines. En outre, pour exercer leur activité au bénéfice des âmes, il était nécessaire de se déplacer selon les exigences pastorales. Effectuant un autre choix entièrement innovateur, les Ordres mendiants abandonnèrent le principe de la stabilité, typique du monachisme antique, pour choisir une autre manière d'agir. Les mineurs et les prêcheurs voyageaient d'un lieu à l'autre, avec ferveur missionnaire. En conséquence, ils se dotèrent d'une organisation différente par rapport à celle de la grande partie des Ordres monastiques. A la place de la traditionnelle autonomie dont jouissait chaque monastère, ils réservèrent une plus grande importance à l'Ordre en tant que tel et au Supérieur général, ainsi qu'à la structure des provinces. Ainsi, les mendiants étaient davantage disponibles pour les exigences de l'Eglise universelle. Cette flexibilité rendit possible l'envoi des frères les plus adaptés au déroulement de missions spécifiques et les Ordres mendiants atteignirent l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient, le nord de l'Europe. Avec cette flexibilité, le dynamisme missionnaire fut renouvelé.

Un autre grand défi était représenté par les transformations culturelles en cours pendant cette période. De nouvelles questions rendaient vivant le débat dans les universités, qui sont nées à la fin du XIIe siècle. Les mineurs et les prêcheurs n'hésitèrent pas à assumer également cet engagement et, en tant qu'étudiants et professeurs, ils entrèrent dans les universités les plus célèbres de l'époque, créèrent des centres d'études, produisirent des textes de grande valeur, donnèrent naissance à de véritables écoles de pensée, furent les acteurs de la théologie scolastique au plus fort de sa période, intervenant de manière significative dans le développement de la pensée. Les plus grands penseurs, saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure, étaient mendiants, oeuvrant précisément avec ce dynamisme de la nouvelle évangélisation, qui a également renouvelé le courage de la pensée, du dialogue entre raison et foi. Aujourd'hui aussi il existe une « charité de et dans la vérité » , une « charité intellectuelle » à exercer, pour éclairer les intelligences et conjuguer la foi avec la culture. L'engagement dont firent preuve les franciscains et les dominicains dans les universités médiévales est une invitation, chers fidèles, à être présents dans les lieux d'élaboration du savoir, pour proposer, avec respect et conviction, la lumière de l'Evangile sur les questions fondamentales qui concernent l'homme, sa dignité, son destin éternel. En pensant au rôle des franciscains et des dominicains au Moyen-âge, au renouveau spirituel qu'ils suscitèrent, au souffle de vie nouvelle qu'ils communiquèrent dans le monde, un moine a dit: « A cette époque, le monde vieillissait. Deux Ordres naquirent dans l'Eglise, dont ils renouvelèrent la jeunesse comme celle d'un aigle » (Burchard d'Ursperg, Chronicon).

Chers frères et soeurs, au début de cette année, nous invoquons précisément l'Esprit Saint, jeunesse éternelle de l'Eglise: qu'il fasse ressentir à chacun l'urgence d'offrir un témoignage cohérent et courageux de l'Evangile, afin que ne manquent jamais des saints, qui fassent resplendir l'Eglise comme une épouse toujours pure et belle, sans tache et sans ride, capable d'attirer irrésistiblement le monde vers le Christ, vers son salut.

APPEL


Je désire lancer un appel pour la situation dramatique dans laquelle se trouve Haïti. Ma pensée va, en particulier, vers la population durement frappée, il y a quelques heures, par un tremblement de terre dévastateur, qui a provoqué de lourdes pertes en vies humaines, un grand nombre de sans abris et de personnes portées disparues, ainsi que d'innombrables dommages matériels. J'invite chacun à s'unir à ma prière au Seigneur pour les victimes de cette catastrophe et pour ceux qui pleurent leur disparition. J'assure de ma proximité spirituelle ceux qui ont perdu leur maison, ainsi que toutes les personnes éprouvées de différentes façons par cette grave catastrophe, en implorant de Dieu le réconfort et le soulagement dans leurs souffrances. Je fais appel à la générosité de chacun, afin que l'on ne fasse pas manquer à ces frères et soeurs qui vivent un moment de besoin et de douleur, notre solidarité concrète et le soutien pratique de la communauté internationale. L'Eglise catholique ne manquera pas d'intervenir immédiatement à travers ses institutions caritatives pour répondre aux besoins les plus immédiats de la population.
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Je suis heureux de saluer les pèlerins francophones, en particulier ceux qui sont venus des Iles Wallis et Futuna. Prions avec ferveur pour que le Seigneur donne à son Eglise les saints qui la feront resplendir aux yeux des hommes pour les attirer au Christ. Bon pèlerinage à tous!



Mercredi 20 janvier 2010 - Semaine de prière pour l’unité des chrétiens

20010
Catéchèses Benoît XVI 16129