Catéchèses Benoît XVI 17110
Ces jours-ci, la communauté internationale suit avec une grande préoccupation la situation difficile des chrétiens au Pakistan, qui sont souvent victimes de violences ou de discrimination. De façon particulière, j’exprime aujourd’hui ma proximité spirituelle à Mme Asia Bibi et à sa famille, tandis que je demande que lui soit rendue au plus tôt la pleine liberté. En outre, je prie pour ceux qui se trouvent dans des conditions analogues, afin que leur dignité humaine et leurs droits fondamentaux également soient pleinement respectés.
Salle Paul VI24110
Chers frères et soeurs,
Je voudrais aujourd’hui vous parler d’une femme qui a eu un rôle éminent dans l’histoire de l’Eglise. Il s’agit de sainte Catherine de Sienne. Le siècle auquel elle vécut — le XIVe — fut une époque tourmentée pour la vie de l’Eglise et de tout le tissu social en Italie et en Europe. Toutefois, même dans les moments de grandes difficultés, le Seigneur ne cesse de bénir son peuple, suscitant des saints et des saintes qui secouent les esprits et les coeurs provoquant la conversion et le renouveau. Catherine est l’une de celles-ci et, aujourd’hui encore, elle nous parle et nous incite à marcher avec courage vers la sainteté pour être toujours plus pleinement disciples du Seigneur.
Née à Sienne, en 1347, au sein d’une famille très nombreuse, elle mourut dans sa ville natale en 1380. A l’âge de 16 ans, poussée par une vision de saint Dominique, elle entra dans le Tiers Ordre dominicain, dans la branche féminine dite des Mantellate. En demeurant dans sa famille, elle confirma le voeu de virginité qu’elle avait fait en privé alors qu’elle était encore adolescente, et se consacra à la prière, à la pénitence et aux oeuvres de charité, surtout au bénéfice des malades.
Lorsque la renommée de sa sainteté se diffusa, elle fut protagoniste d’une intense activité de conseil spirituel à l’égard de toutes les catégories de personnes: nobles et hommes politiques, artistes et personnes du peuple, personnes consacrées, ecclésiastiques, y compris le Pape Grégoire XI qui à cette époque, résidait à Avignon, et que Catherine exhorta de façon énergique et efficace à revenir à Rome. Elle voyagea beaucoup pour solliciter la réforme intérieure de l’Eglise et pour favoriser la paix entre les Etats: c’est pour cette raison également, que le vénérable Jean-Paul II voulut la déclarer co-patronne de l’Europe: pour que le Vieux continent n’oublie jamais les racines chrétiennes qui sont à la base de son chemin et continue de puiser à l’Evangile les valeurs fondamentales qui assurent la justice et la concorde.
Catherine souffrit beaucoup, comme de nombreux saints. Certains pensèrent même qu’il fallait se méfier d’elle, au point qu’en 1374, six ans avant sa mort, le chapitre général des Dominicains la convoqua à Florence pour l’interroger. Il mirent à ses côtés un frère cultivé et humble, Raymond de Capoue, futur maître général de l’Ordre. Devenu son confesseur et également son «fils spirituel», il écrivit une première biographie complète de la sainte. Elle fut canonisée en 1461.
La doctrine de Catherine, qui apprit à lire au prix de nombreuses difficultés et à écrire à l’âge adulte, est contenue dans le Dialogue de la Divine Providence, ou Livre de la Divine Doctrine, chef d’oeuvre de la littérature spirituelle, dans ses Lettres, et dans le recueil de Prières. Son enseignement contient une telle richesse qu’en 1970, le Serviteur de Dieu Paul VI, la déclara Docteur de l’Eglise, titre qui s’ajoutait à celui de co-patronne de la ville de Rome, par volonté du bienheureux Pie IX, et de patronne d’Italie, selon la décision du vénérable Pie XII.
Dans une vision qui ne s’effaça plus jamais du coeur et de l’esprit de Catherine, la Vierge la présenta à Jésus, qui lui donna un anneau splendide, en lui disant: «Moi, ton créateur et sauveur, je t’épouse dans la foi, que tu conserveras toujours pure jusqu’à ce que tu célèbres avec moi tes noces éternelles» (Raymond de Capoue, Sainte Catherine de Sienne, Legenda maior, n. 115, Sienne, 1998). Cet anneau ne demeura visible qu’à elle seule. Dans cet épisode extraordinaire, nous percevons le sens vital de la religiosité de Catherine et de toute spiritualité authentique: le christocentrisme. Le Christ est pour elle comme l’époux, avec lequel existe un rapport d’intimité, de communion et de fidélité; il est le bien-aimé au-delà de tout autre bien.
Cette union profonde avec le Seigneur est illustrée par un autre épisode de la vie de cette éminente mystique: l’échange du coeur. Selon Raymond de Capoue, qui transmit les confidences reçues de Catherine, le Seigneur Jésus lui apparut tenant dans la main un coeur humain rouge resplendissant, lui ouvrit la poitrine, l’y introduisit et dit: «Ma très chère petite fille, de même qu’un jour j’ai pris le coeur que tu m’offrais, voici à présent que je te donne le mien, et désormais, il prendra la place qu’occupait le tien» (ibid.). Catherine a vécu véritablement les paroles de saint Paul: «Ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2,20).
Comme la sainte de Sienne, chaque croyant ressent le besoin de s’uniformiser aux sentiments du Coeur du Christ pour aimer Dieu et son prochain, comme le Christ lui-même aime. Et nous pouvons tous laisser notre coeur se transformer et apprendre à aimer comme le Christ, dans une familiarité avec Lui nourrie par la prière, par la méditation sur la Parole de Dieu et par les Sacrements, en particulier en recevant fréquemment et avec dévotion la sainte communion. Catherine appartient elle aussi à ce groupe de saints eucharistiques, avec lesquels j’ai voulu conclure mon Exhortation apostolique Sacramentum caritatis (cf. n. 94). Chers frères et soeurs, l’Eucharistie est un don d’amour extraordinaire que Dieu nous renouvelle sans cesse pour nourrir notre chemin de foi, renforcer notre espérance, enflammer notre charité, pour nous rendre toujours plus semblables à Lui.
Autour d’une personnalité aussi forte et authentique commença à se constituer une véritable famille spirituelle. Il s’agissait de personnes fascinées par l’autorité morale de cette jeune femme dont la vie atteignait un niveau très élevé, et parfois impressionnées également par les phénomènes mystiques auxquels elles assistaient, comme les extases fréquentes. Beaucoup de gens se mirent à son service et considérèrent surtout comme un privilège d’être guidées spirituellement par Catherine. Ils l’appelaient «maman», car en tant que fils spirituels, ils puisaient en elle la nourriture de l’esprit.
Aujourd’hui aussi l’Eglise tire un grand bénéfice de l’exercice de la maternité spirituelle de nombreuses femmes, consacrées et laïques, qui nourrissent dans les âmes la pensée pour Dieu, qui renforcent la foi des personnes et qui orientent la vie chrétienne vers des sommets toujours plus élevés. «Je vous dis et je vous appelle mon fils — écrit Catherine en s’adressant à l’un de ses fils spirituels Giovanni Sabbatini —, dans la mesure où je vous mets au monde par des prières incessantes et mon désir auprès de Dieu, comme une mère met son fils au monde» (Recueil de lettres, Lettre n. 141: A dom Giovanni de’ Sabbatini). Elle avait l’habitude de s’adresser au frère dominicain Bartolomeo de Dominici par ces mots: «Bien-aimé et très cher frère et fils dans le doux Christ Jésus».
Un autre trait de la spiritualité de Catherine est lié au don des larmes. Celles-ci expriment une extrême et profonde sensibilité, la capacité à s’émouvoir et à éprouver de la tendresse. De nombreux saints ont eu le don des larmes, renouvelant l’émotion de Jésus lui-même, qui n’a pas retenu et caché ses pleurs devant le sépulcre de son ami Lazare et la douleur de Marie et de Marthe, et à la vue de Jérusalem, au cours de ses derniers jours terrestres. Selon Catherine, les larmes des saints se mélangent au Sang du Christ, dont elle a parlé avec un ton vibrant et des images symboliques très efficaces: «Rappelez-vous du Christ crucifié, Dieu et homme (...) Donnez-vous pour objet le Christ crucifié, cachez-vous dans les plaies du Christ crucifié, noyez-vous dans le sang du Christ crucifié» (Recueil de lettres, Lettre n. 16; A une personne que l’on ne nomme pas).
Nous pouvons ici comprendre pourquoi Catherine, bien que consciente des fautes humaines des prêtres, ait toujours éprouvé un très grand respect pour eux: ces derniers dispensent, à travers les sacrements et la Parole, la force salvifique du Sang du Christ. La sainte de Sienne a toujours invité les saints ministres, et également le Pape, qu’elle appelait «doux Christ de la terre», à être fidèles à leurs responsabilités, toujours et seulement animée par son amour profond et constant pour l’Eglise. Avant de mourir, elle dit: «Alors que je quitte mon corps, moi en vérité j’ai consommé et donné ma vie dans l’Eglise et pour la Sainte Eglise, ce qui m’est une grâce très particulière» (Raymond de Capoue, Sainte Catherine de Sienne, Legenda maior, n. 363).
Nous apprenons donc de sainte Catherine la science la plus sublime: connaître et aimer Jésus Christ et son Eglise. Dans le Dialogue de la Divine Providence celle-ci, à travers une image singulière, décrit le Christ comme un pont lancé entre le ciel et la terre. Celui-ci est formé de trois marches constituées par les pieds, par le côté et par la bouche de Jésus. En s’élevant grâce à ces marches, l’âme passe à travers les trois étapes de chaque voie de sanctification: le détachement du péché, la pratique de la vertu et de l’amour, l’union douce et affectueuse avec Dieu.
Chers frères et soeurs, apprenons de sainte Catherine à aimer avec courage, de manière intense et sincère, le Christ et l’Eglise. Faisons donc nôtres les paroles de sainte Catherine que nous lisons dans le Dialogue de la Divine Providence, en conclusion du chapitre qui parle du Christ-pont: «Par miséricorde, tu nous as lavés dans le Sang, par miséricorde, tu voulus converser avec les créatures. O fou d’amour! Il ne t’a pas suffi de t’incarner, mais tu voulus aussi mourir! (...) O miséricorde! Mon coeur étouffe en pensant à toi: car où que je me tourne, je ne trouve que miséricorde» (chap. 30). Merci.
* * *
Chers amis, puisse sainte Catherine de Sienne nous apprendre ainsi la science la plus sublime: aimer avec courage intensément et sincèrement Jésus Christ et aimer l’Eglise! Je salue cordialement les pèlerins francophones: bon séjour à tous!
Salle Paul VI11210
Chers frères et soeurs,
Je me souviens encore avec une grande joie du voyage apostolique au Royaume-Uni au mois de septembre dernier. L’Angleterre est une terre qui a donné naissance à de nombreuses figures illustres qui par leur témoignage et leur enseignement embellissent l'histoire de l'Eglise. L'une d'elles, vénérée aussi bien par l'Eglise catholique que par la Communion anglicane, est la mystique Julienne de Norwich, dont je voudrais vous parler ce matin.
Les informations dont nous disposons sur sa vie — en petit nombre — sont tirées principalement du livre dans lequel cette femme noble et pieuse a recueilli le contenu de ses visions, intitulé Révélations de l'amour divin. On sait qu'elle a vécu entre 1342 et 1430 environ, des années tourmentées tant pour l'Eglise, déchirée par le schisme qui a suivi le retour du Pape d'Avignon à Rome, que pour la vie des populations qui subissaient les conséquences d'une longue guerre entre le royaume d'Angleterre et le royaume de France. Toutefois, même dans ces temps de tribulations, Dieu ne cessa de susciter des figures comme Julienne de Norwich, pour rappeler les hommes à la paix, à l'amour et à la joie.
Comme elle le raconte elle-même, en mai 1373, probablement le 13 de ce mois, elle fut frappée soudainement par une maladie très grave qui en trois jours semblait devoir la porter à la mort. Après que le prêtre, accouru à son chevet, lui montra le Crucifix, Julienne non seulement retrouva promptement la santé, mais elle reçut ces seize révélations qu'elle rédigea ensuite par écrit et commenta dans son livre, les Révélations de l'amour divin. Et ce fut précisément le Seigneur qui, quinze ans après ces événements extraordinaires, lui révéla le sens de ces visions. «Voudrais-tu savoir ce qu'a entendu ton Seigneur et connaître le sens de cette révélation? Sache-le: l'amour est ce qu'il a entendu. Qui te le révèle? L’amour. Pourquoi te le révèle-t-il? Par amour... Ainsi ai-je appris que notre Seigneur signifie amour» (Julienne de Norwich, Le livre des révélations, chap. 86).
Inspirée par l'amour divin, Julienne opéra un choix radical. Comme une antique anachorète, elle choisit de vivre à l'intérieur d'une cellule, située à proximité de l'église dédiée à saint Julien, dans la ville de Norwich, qui était à son époque un centre urbain important, proche de Londres. Peut-être prit-elle le nom de Julienne précisément de celui du saint auquel était consacrée l'église où elle vécut pendant tant d'années, jusqu'à sa mort. Nous pourrions être surpris, avoir quelques perplexités face à cette décision de vivre «recluse », comme on disait à son époque. Mais elle n'était pas la seule à faire un tel choix: dans ces siècles-là, un nombre considérable de femmes opta pour ce genre de vie, en adoptant des règles élaborées explicitement pour elles, comme celle composée par saint Aelred de Rievaulx. Les anachorètes ou «recluses», à l'intérieur de leur cellule, se consacraient à la prière, à la méditation et à l'étude. Elles mûrissaient ainsi une sensibilité humaine et religieuse très aiguisée, qui leur apportait la vénération des populations. Hommes et femmes de tous âges et conditions, cherchant conseils ou réconfort, les recherchaient avec dévotion. Ce n'était donc pas un choix individualiste; à travers cette proximité au Seigneur mûrissait précisément en elles la capacité d'être conseillères pour beaucoup, d’aider ceux qui connaissaient des difficultés dans cette vie.
Nous savons que Julienne aussi recevait de fréquentes visites, comme en atteste l'autobiographie d'une autre fervente chrétienne de son temps, Margery Kempe, qui se rendit à Norwich en 1413 pour recevoir des suggestions sur sa vie spirituelle. Voilà pourquoi, de son vivant, Julienne était appelée, comme il est écrit sur le monument funéraire qui en recueille la dépouille: «Mère Julienne ». Elle était devenue pour beaucoup une mère.
Les femmes et les hommes qui se retirent pour vivre en compagnie de Dieu, précisément grâce à leur choix, acquièrent un sens élevé de compassion pour les peines et les faiblesses des autres. Amies et amis de Dieu, ils disposent d’une sagesse que le monde, dont ils s’éloignent, ne possède pas et, avec bonté, ils la partagent avec ceux qui frappent à leur porte. Je pense donc avec admiration et reconnaissance aux monastères de clôture féminins et masculins qui, aujourd’hui plus que jamais, sont des oasis de paix et d’espérance, précieux trésor pour toute l’Eglise, en particulier en rappelant le primat de Dieu et l’importance d’une prière constante et intense pour le chemin de foi.
Ce fut précisément dans la solitude habitée par Dieu que Julienne de Norwich composa les Révélations de l’Amour divin, dont deux versions nous sont parvenues, une plus brève, probablement la plus ancienne, et une plus longue. Ce livre contient un message d’optimisme fondé sur la certitude d’être aimés de Dieu et d’être protégés par sa Providence. Nous lisons dans ce livre les merveilleuses paroles qui suivent: «Je vis avec une absolue certitude... que Dieu, encore avant de nous créer, nous a aimés, d’un amour qui n’est jamais venu à manquer, et qui ne disparaîtra jamais. Et dans cet amour, Il a accompli toutes ses oeuvres et, dans cet amour, Il a fait en sorte que toutes les choses soient utiles pour nous, et dans cet amour notre vie dure pour toujours... Dans cet amour, nous avons notre principe, et tout cela nous le verrons en Dieu sans fin» (Le Livre des révélations, chap. 86).
Le thème de l’amour divin revient souvent dans les visions de Julienne de Norwich qui, avec une certaine audace, n’hésite pas à le comparer également à l’amour maternel. C’est l’un des messages les plus caractéristiques de sa théologie mystique. La tendresse, la solitude et la douceur de la bonté de Dieu envers nous sont si grandes que, à nous pèlerins sur la terre, elles évoquent l’amour d’une mère pour ses enfants. En réalité, les prophètes bibliques ont parfois eux aussi utilisé ce langage qui rappelle la tendresse, l’intensité et la totalité de l’amour de Dieu, qui se manifeste dans la création et dans toute l’histoire du salut et qui atteint son sommet dans l’Incarnation du Fils. Mais Dieu dépasse toujours tout amour humain, comme le dit le prophète Isaïe: «Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas» (Is 49,15). Julienne de Norwich a compris le message central pour la vie spirituelle: Dieu est amour et ce n’est que lorsqu’on s’ouvre, totalement et avec une confiance totale, à cet amour et qu’on le laisse devenir l’unique guide de notre existence, que tout est transfiguré, que l’on trouve la véritable paix et la véritable joie et que l’on est capable de la diffuser autour de soi.
Je voudrais souligner un autre point. Le Catéchisme de l’Eglise catholique rapporte les paroles de Julienne de Norwich quand il expose le point de vue de la foi catholique sur un thème qui ne cesse de constituer une provocation pour tous les croyants (cf. nn. 303-314). Si Dieu est suprêmement bon et sage, pourquoi le mal et la souffrance des innocents existent-ils? Même les saints, précisément les saints, se sont posé cette question. Illuminés par la foi, ils nous donnent une réponse qui ouvre notre coeur à la confiance et à l’espérance: dans les mystérieux desseins de la Providence, Dieu sait également tirer du mal un bien plus grand, comme l’écrivit Julienne de Norwich: «J’appris de la grâce de Dieu que je devais rester fermement dans la foi, et que je devais donc solidement et parfaitement croire que tout aurait bien fini...» (Le livre des révélations, chap. 32).
Oui, chers frères et soeurs, les promesses de Dieu sont toujours plus grandes que nos attentes. Si nous remettons à Dieu, à son immense amour, les désirs les plus purs et les plus profonds de notre coeur, nous ne serons jamais déçus. «Et tout sera bien», «chaque chose sera pour le bien»: tel est le message final que Julienne de Norwich nous transmet et que moi aussi je vous propose aujourd’hui. Merci.
* * *
Je salue les jeunes du Collège Chapuis, de Paris, et les paroissiens de Sainte Anne du Pays-Blanc. Je salue cordialement également les membres de la Délégation du groupe d’amitié France-Saint-Siège de l’Assemblée nationale. Que sainte Julienne de Norwich nous enseigne à trouver la joie et à oeuvrer pour la paix véritable ! Bon pèlerinage à tous !
Je recommande à vos prières et à celles des catholiques du monde entier l’Eglise qui est en Chine, qui, comme vous le savez, vit des moments particulièrement difficiles. Nous demandons à la Bienheureuse Vierge Marie, Auxiliatrice des chrétiens, de soutenir tous les évêques chinois, qui me sont si chers, afin qu’ils témoignent leur foi avec courage, en plaçant chaque espérance dans le Sauveur que nous attendons. En outre, nous confions à la Vierge tous les catholiques de ce bien-aimé pays, afin que, par son intercession, ils puissent réaliser une authentique existence chrétienne en communion avec l’Eglise universelle, contribuant ainsi également à l’harmonie et au bien commun de leur noble peuple.
Salle Paul VI22120
Chers frères et soeurs,
Avec cette dernière Audience avant les fêtes de Noël, nous nous approchons, impatients et remplis d’émerveillement, du «lieu» où pour nous et notre salut, tout a commencé, tout a trouvé son accomplissement, où se sont rencontrées et croisées les attentes du monde et du coeur humain à travers la présence de Dieu. Nous pouvons d’ores et déjà avoir un avant-goût de la joie, à cause de la petite lueur que l’on entrevoit et qui, de la grotte de Bethléem, commence à rayonner sur le monde. Nous avons été accompagnés sur le chemin de l’Avent, que la liturgie nous a invités à vivre, pour accueillir avec disponibilité et reconnaissance le grand Avènement de la venue du Sauveur et contempler emplis d’émerveillement son entrée dans le monde.
L’attente joyeuse, caractéristique des jours qui précèdent Noël, est certainement l’attitude fondamentale du chrétien qui désire vivre de façon féconde la rencontre renouvelée avec Celui qui vient habiter parmi nous: Jésus Christ, le Fils de Dieu fait homme. Retrouvons cette disposition du coeur, et faisons-la nôtre, chez ceux qui en premier accueillirent la venue du Messie: Zacharie et Elisabeth, les pasteurs, le peuple simple, et en particulier Marie et Joseph, qui ont ressenti en première personne la trépidation, mais surtout la joie pour le mystère de cette naissance. Tout l’Ancien Testament constitue une unique grande promesse, qui devait s’accomplir avec la venue d’un sauveur puissant. C’est ce dont témoigne en particulier le livre du prophète Isaïe, qui nous parle des tourments de l’histoire et de toute la création pour une rédemption destinée à redonner de nouvelles énergies et une nouvelle orientation au monde entier. Ainsi, à côté de l’attente des personnages des Saintes Ecritures, trouve un espace et une signification, à travers les siècles, également notre attente, celle qu’en ces jours nous vivons et celle qui nous maintient éveillés sur tout le chemin de notre vie. En effet, toute l’existence humaine est animée par ce profond sentiment, par le désir que ce que nous avons entrevu et perçu de plus vrai, de plus beau et de plus grand avec notre esprit et notre coeur, puisse venir à notre rencontre et devant nos yeux devienne concret et nous apporte un réconfort.
«Voilà que vient le Seigneur tout-puissant: il sera appelé Emmanuel, Dieu-avec-nous» (Antienne d’ouverture, Messe du 21 décembre). Ces jours-ci, nous répétons souvent ces paroles. Dans le temps de la liturgie, qui réactualise le Mystère, est désormais tout proche Celui qui vient nous sauver du péché et de la mort, Celui qui, après la désobéissance d’Adam et Eve, nous embrasse à nouveau et ouvre pour nous l’accès à la vraie vie. C’est ce qu’explique saint Irénée, dans son traité «Contre les hérésies», lorsqu’il affirme: «Le fils même de Dieu s'est fait “à la ressemblance de la chair du péché” pour condamner le péché et, ainsi condamné, l'expulser de la chair, et pour appeler d'autre part l'homme à lui devenir semblable, l'assignant ainsi pour imitateur à Dieu, l'élevant jusqu'au royaume du Père et lui donnant de voir Dieu et de saisir le Père» (III, 20, 2-3).
Ainsi nous apparaissent certaines des idées préférées de saint Irénée, selon lesquelles Dieu avec l’Enfant Jésus nous appelle à la ressemblance avec lui-même. Nous voyons comment Dieu est. Et ainsi, cela nous rappelle que nous devrions être semblables à Dieu. Et nous devons l’imiter. Dieu s’est donné, Dieu s’est donné entre nos mains. Nous devons imiter Dieu. Et enfin, l’idée qu’ainsi, nous pouvons voir Dieu. Une idée centrale de saint Irénée: l’homme ne voit pas Dieu, il ne peut pas le voir, et ainsi, il est dans l’obscurité de la vérité, de lui-même. Mais l’homme qui ne peut voir Dieu, peut voir Jésus. Et ainsi, il voit Dieu, ainsi, il commence à voir la vérité, ainsi il commence à vivre.
Le Sauveur vient donc pour réduire à l’impuissance l’oeuvre du mal et tout ce qui peut encore nous tenir éloignés de Dieu, pour nous restituer à l’antique splendeur et à la paternité primitive. Avec sa venue parmi nous, Dieu nous indique et nous assigne également une tâche: précisément celle de lui ressembler et de tendre à la vraie vie, d’arriver à la vision de Dieu dans le visage du Christ. Saint Irénée affirme encore: «Le Verbe de Dieu installa son habitation parmi les hommes et se fit Fils de l’homme, pour habituer l’homme à percevoir Dieu et pour habituer Dieu à installer sa demeure dans l’homme, selon la volonté du Père. C’est pourquoi Dieu nous a donné comme «signe» de notre salut celui qui, né de la Vierge, est l’Emmanuel» (ibid.). On trouve ici aussi une très belle idée centrale de saint Irénée: nous devons nous habituer à percevoir Dieu. Dieu est normalement éloigné de notre vie, de nos idées, de notre action. Il est venu près de nous et nous devons nous habituer à être avec Dieu. Et Irénée ose dire avec audace que Dieu aussi doit s’habituer à être avec nous et en nous. Et que Dieu devrait peut-être nous accompagner à Noël, nous habituer à Dieu, comme Dieu doit s’habituer à nous, à notre pauvreté et à notre fragilité. La venue du Seigneur ne peut donc avoir d’autre but que celui de nous enseigner à voir et à aimer les événements, le monde et tout ce qui l’entoure, avec les yeux mêmes de Dieu. Le Verbe fait enfant nous aide à comprendre la manière d’agir de Dieu, afin que nous soyons capables de nous laisser toujours plus transformer par sa bonté et par son infinie miséricorde.
Dans la nuit du monde, laissons-nous encore surprendre et illuminer par cet acte de Dieu, qui est totalement inattendu: Dieu se fait Enfant. Laissons-nous émerveiller, illuminer par l’Etoile qui a inondé l’univers de joie. Que Jésus Enfant, en parvenant jusqu’à nous, ne nous trouve pas non préparés, uniquement occupés à rendre la réalité extérieure plus belle. Que le soin que nous mettons pour rendre plus resplendissantes nos rues et nos maisons nous pousse encore davantage à prédisposer notre âme à rencontrer celui qui viendra nous rendre visite, qui est la véritable beauté et la véritable lumière. Purifions-donc notre conscience et notre vie de ce qui est contraire à cette venue: pensées, paroles, attitudes et actions, en nous incitant toujours à accomplir le bien et à contribuer à réaliser dans notre monde la paix et la justice pour chaque homme et à marcher ainsi à la rencontre du Seigneur.
La crèche est un signe caractéristique de ce temps de Noël. Place Saint-Pierre aussi, selon la coutume, elle est presque prête et elle se tourne de manière idéale vers Rome et le monde entier, représentant la beauté du Mystère du Dieu qui s’est fait homme et a planté sa tente parmi nous (cf. Jn 1,14). La crèche est l’expression de notre attente, que Dieu s’approche de nous, que Jésus s’approche de nous, mais elle est également l’expression de l’action de grâce à Celui qui a décidé de partager notre condition humaine, dans la pauvreté et dans la simplicité. Je me réjouis car elle reste vivante et on redécouvre même la tradition de préparer la crèche dans les maisons, sur les lieux de travail, dans les lieux de rassemblement. Que ce témoignage authentique de foi chrétienne puisse offrir également aujourd’hui à tous les hommes de bonne volonté une icône suggestive de l’amour infini du Père envers nous tous. Que les coeurs des enfants et des adultes puissent encore être émerveillés face à elle.
Chers frères et soeurs, que la Vierge Marie et saint Joseph nous aident à vivre le Mystère de Noël avec une gratitude renouvelée à l’égard du Seigneur. Au milieu de l’activité frénétique de notre époque, que ce temps nous donne un peu de calme et de joie et nous fasse toucher du doigt la bonté de notre Dieu, qui se fait Enfant pour nous sauver et nous apporter un nouveau courage et une nouvelle lumière sur notre chemin. Tel est mon voeu pour un saint et joyeux Noël: je l’adresse avec affection à vous tous ici présents, à vos familles, en particulier les malades et les personnes qui souffrent, ainsi qu’à vos communautés et à ceux qui vous sont chers.
* * *
Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier les étudiants de l’enseignement catholique de la région de Lyon, ainsi que la délégation de la Croix-Rouge française et les missionnaires de la divine Miséricorde accompagnés de Mgr Rey, Évêque de Fréjus-Toulon. Que votre préparation aux fêtes qui approchent ne soit pas seulement matérielle, mais qu’elle soit aussi l’occasion de purifier vos coeurs de tout ce qui les empêche d’accueillir le Sauveur qui vient. Joyeux Noël à tous!
Salle Paul VI15120
Chers frères et soeurs,
Je voudrais présenter aujourd'hui une mystique qui n'est pas de l'époque médiévale; il s'agit de sainte Véronique Giuliani, une moniale clarisse capucine. La raison en est que le 27 décembre prochain nous fêterons le 350ème anniversaire de sa naissance. Città di Castello (Italie), le lieu où elle vécut la majeure partie de sa vie et où elle mourut, tout comme Mercatello — son village natal — et le diocèse d'Urbin, vivent avec joie cet événement.
Véronique naît donc le 27 décembre 1660 à Mercatello, dans la vallée du Metauro, de Francesco Giuliani et Benedetta Mancini; elle est la dernière de sept soeurs, dont trois autres embrasseront la vie monastique; elle reçoit le nom d'Ursule. A l'âge de sept ans, elle perd sa mère, et son père part s'installer à Piacenza comme surintendant des douanes du duché de Parme. Dans cette ville, Ursule sent grandir en elle le désir de consacrer sa vie au Christ. L'appel se fait de plus en plus pressant, si bien qu'à 17 ans, elle entre dans la stricte clôture du monastère des clarisses capucines de Città di Castello, où elle demeurera toute sa vie. Elle y reçoit le nom de Véronique, qui signifie «image véritable » et, en effet, elle devient l'image véritable du Christ crucifié. Un an plus tard elle prononce sa profession religieuse solennelle: pour elle commence le chemin de configuration au Christ à travers beaucoup de pénitences, de grandes souffrances et plusieurs expériences mystiques liées à la Passion de Jésus: le couronnement d'épines, le mariage mystique, la blessure au coeur et les stigmates. En 1716, à 56 ans, elle devient abbesse du monastère et sera reconfirmée dans ce rôle jusqu'à sa mort, en 1727, après une terrible agonie de 33 jours, qui culmine dans une joie profonde, si bien que ses dernières paroles furent: «J'ai trouvé l'Amour, l'Amour s'est laissé voir! C'est la cause de ma souffrance. Dites-le à toutes, dites-le à toutes!» (Summarium Beatificationis, 115-120). Le 9 juillet, elle quitte sa demeure terrestre pour la rencontre avec Dieu. Elle a 67 ans, cinquante desquels passés dans le monastère de Città di Castello. Elle est proclamée sainte le 26 mai 1839 par le Pape Grégoire XVI.
Véronique Giuliani a beaucoup écrit: des lettres, des textes autobiographiques, des poésies. La source principale pour reconstruire sa pensée est toutefois son Journal, commencé en 1693: vingt-deux mille pages manuscrites, qui couvrent une période de trente-quatre ans de vie de clôture. L'écriture coule avec spontanéité et régularité, on n'y trouve pas de ratures ou de corrections, ni de signes de ponctuation ou de division en chapitres ou parties selon un dessein préalable. Véronique ne voulait pas composer une oeuvre littéraire: elle fut obligée par le Père Girolamo Bastianelli, religieux de Saint-Philippe, en accord avec l'évêque diocésain Antonio Eustachi, de mettre ses expériences par écrit.
Sainte Véronique a une spiritualité fortement christologique et sponsale: c'est l'expérience d'être aimée par le Christ, Epoux fidèle et sincère, et de vouloir y répondre avec un amour toujours plus intense et passionné. En elle, tout est interprété dans une perspective d'amour, et cela lui donne une profonde sérénité. Toute chose est vécue en union avec le Christ, par amour pour lui et avec la joie de pouvoir Lui démontrer tout l'amour dont est capable une créature.
Le Christ auquel Véronique est profondément uni est le Christ souffrant de la passion, la mort et la résurrection; c'est Jésus dans l'acte de s'offrir au Père pour nous sauver. De cette expérience dérive aussi l'amour intense et souffrant pour l'Eglise, sous la double forme de la prière et de l'offrande. La sainte vit dans cette optique: elle prie, elle souffre, elle cherche la «pauvreté sainte», comme une «expropriation», une perte de soi (cf. ibid., III, 523), pour être précisément comme le Christ qui a tout donné de lui-même.
A chaque page de ses écrits, Véronique recommande quelqu'un au Seigneur, dans des prières d'intercession et par l'offrande d'elle-même dans toute souffrance. Son coeur s'ouvre à tous «les besoins de la Sainte Eglise», en vivant avec anxiété le désir de salut de «tout l'univers et du monde» (ibid., III-IV, passim). Véronique s’écrie: «O hommes et femmes pécheurs... tous et toutes venez au coeur de Jésus; venez au bain de son précieux sang... Il vous attend les bras ouverts pour vous embrasser » (ibid., II, 16-17). Animée d'une ardente charité, elle apporte à ses soeurs du monastère attention, compréhension, pardon; elle offre ses prières et ses sacrifices pour le Pape, son évêque, les prêtres, et pour toutes les personnes dans le besoin, y compris les âmes du purgatoire. Elle résume sa mission contemplative par ces mots: «Nous ne pouvons pas aller prêcher par le monde et convertir les âmes, mais nous sommes obligées de prier sans cesse pour toutes les âmes qui offensent Dieu... en particulier par nos souffrances, c'est-à-dire par un principe de vie crucifiée» (ibid., IV, 877). Notre sainte conçoit cette mission comme «être au milieu» entre les hommes et Dieu, entre les pécheurs et le Christ crucifié.
Véronique vit en profondeur la participation à l'amour souffrant de Jésus, certaine que «souffrir avec joie» est la «clé de l'amour» (cf. ibid., I, 299.417; III, 330.303.871; IV, 192). Elle souligne que Jésus souffre pour les péchés des hommes, mais aussi pour les souffrances que ses fidèles serviteurs allaient devoir supporter au cours des siècles, au temps de l'Eglise, précisément pour leur foi solide et cohérente. Elle écrit: «Son Père éternel lui fit voir et entendre à ce moment-là toutes les souffrances que devaient endurer ses élus, les âmes qui lui étaient le plus chères, celles qui profiteraient de Son Sang et de toutes ses souffrances» (ibid., II, 170). Comme le dit de lui-même l'apôtre Paul: «Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l'Eglise» (Col 1,24). Véronique en arrive à demander à Jésus d'être crucifié avec Lui: «En un instant — écrit-elle —, je vis sortir de ses très saintes plaies cinq rayons resplendissants; et tous vinrent vers moi. Et je voyais ces rayons devenir comme de petites flammes. Dans quatre d'entre elles, il y avait les clous; et dans l'une il y avait la lance, comme d'or, toute enflammée: et elle me transperça le coeur, de part en part... et les clous traversèrent mes mains et mes pieds. Je ressentis une grande douleur; mais, dans la douleur elle-même, je me voyais, je me sentais toute transformée en Dieu» (Journal, I, 897).
La sainte est convaincue qu'elle participe déjà au Royaume de Dieu, mais dans le même temps elle invoque tous les saints de la patrie bienheureuse pour qu'ils viennent à son aide sur le chemin terrestre de sa donation, dans l'attente de la béatitude éternelle; telle est l'aspiration constante de sa vie (cf. ibid. II, 909; v. 246). Par rapport à la prédication de l'époque, souvent axée sur le «salut de l'âme» en termes individuels, Véronique fait preuve d'un profond sens de «solidarité», de communion avec tous ses frères et soeurs en marche vers le Ciel, et elle vit, elle prie et elle souffre pour tous. En revanche, les choses qui ne sont pas ultimes, terrestres, bien qu'appréciées au sens franciscain comme un don du Créateur, apparaissent toujours relatives, entièrement subordonnées au «goût» de Dieu et sous le signe d'une pauvreté radicale. Dans la communio sanctorum, elle éclaircit son don ecclésial, ainsi que la relation entre l'Eglise en pèlerinage et l'Eglise céleste. «Tous les saints — écrit-elle — sont là-haut grâce aux mérites et à la passion de Jésus; mais ils ont coopéré à tout ce qu'a fait notre Seigneur, si bien que leur vie a été entièrement ordonnée, réglée par ses oeuvres elles-mêmes» (ibid., III, 203).
Dans les écrits de Véronique, nous trouvons de nombreuses citations bibliques, parfois de manière indirecte, mais toujours ponctuelle: elle fait preuve d'une familiarité avec le Texte sacré, dont se nourrit son expérience spirituelle. Il faut en outre noter que les moments forts de l'expérience mystique de Véronique ne sont jamais séparés des événements salvifiques célébrés dans la liturgie, où trouvent une place particulière la proclamation et l'écoute de la Parole de Dieu. Les Saintes Ecritures illuminent, purifient, confirment donc l'expérience de Véronique, la rendant ecclésiale. D'autre part, cependant, c'est précisément son expérience, ancrée dans les Saintes Ecritures avec une intensité sans égale, qui conduit à une lecture plus approfondie et «spirituelle» du Texte sacré luimême, entre dans la profondeur cachée du texte. Non seulement elle s'exprime avec les paroles des Saintes Ecritures, mais réellement, elle vit aussi de ces paroles, elles se font vie en elle.
Par exemple, notre sainte cite souvent l'expression de l'apôtre Paul: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?» (Rm 8,31, cf. Journal, 1, 714 ; II, 116.1021; III, 48). En elle, l'assimilation de ce texte paulinien, cette grande confiance et cette joie profonde, devient un fait accompli dans sa personne elle-même: «Mon âme — écrit-elle — a été liée par la volonté divine et je me suis vraiment établie et arrêtée pour toujours dans la volonté de Dieu. Il me semblait que je n'aurais plus jamais à me séparer de cette volonté de Dieu et je revins en moi avec ces paroles précises: rien ne pourra me séparer de la volonté de Dieu, ni les angoisses, ni les peines, ni les tourments, ni le mépris, ni les tentations, ni les créatures, ni les démons, ni l'obscurité, et pas même la mort, car, dans la vie et dans la mort, je veux entièrement, et en tout, la volonté de Dieu» (Journal, IV, 272). Ainsi avons-nous, nous aussi, la certitude que la mort n'a pas le dernier mot, nous sommes enracinés dans la volonté de Dieu et ainsi réellement dans la vie, à jamais.
Véronique se révèle, en particulier, un témoin courageux de la beauté et de la puissance de l'Amour divin, qui l'attire, l'envahit, l'embrase. C'est l'amour crucifié qui s'est imprimé dans sa chair, comme dans celle de saint François d'Assise, avec les stigmates de Jésus. «Mon épouse — me murmure le Christ crucifié — les pénitences que tu accomplis pour ceux que j'ai en disgrâce me sont chères... Ensuite, détachant un bras de la croix, il me fit signe de m'approcher de son côté... Et je me retrouvais entre les bras du Crucifié. Je ne peux pas raconter ce que j'éprouvais à ce moment: j'aurais voulu être toujours dans son très saint côté» (ibid., I, 37). Il s'agit également de son chemin spirituel, de sa vie intérieure: être dans les bras du crucifié et être aimé dans l'amour du Christ pour les autres. Avec la Vierge Marie également, Véronique vit une relation de profonde intimité, témoignée par les paroles qu'elle entend un jour la Vierge lui adresser et qu'elle rapporte dans son Journal: «Je te fis reposer en mon sein, tu connus l'union avec mon âme, et par celle-ci tu fus, comme en vol, conduite devant Dieu» (IV, 901).
Sainte Véronique Giuliani nous invite à faire croître, dans notre vie chrétienne, l'union avec le Seigneur dans notre proximité avec les autres, en nous abandonnant à sa volonté avec une confiance complète et totale, et l'union avec l'Eglise, Epouse du Christ; elle nous invite à participer à l'amour souffrant de Jésus Crucifié pour le salut de tous les pécheurs; elle nous invite à garder le regard fixé vers le Paradis, but de notre chemin terrestre où nous vivrons avec un grand nombre de nos frères et soeurs la joie de la pleine communion avec Dieu; elle nous invite à nous nourrir quotidiennement de la Parole de Dieu pour réchauffer notre coeur et orienter notre vie. Les dernières paroles de la sainte peuvent être considérées comme la synthèse de son expérience mystique passionnée: «J'ai trouvé l'Amour, l'Amour s'est laissé voir!». Merci.
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les lycéens de Toulon. Avec sainte Véronique, puissiez-vous dire de votre rencontre avec le Christ: «J'ai trouvé l'Amour, l'Amour s'est laissé voir»! A tous je souhaite une bonne préparation aux fêtes de Noël.
Salle Paul VI
Catéchèses Benoît XVI 17110