Catéchèses Benoît XVI 19101

Mercredi 19 octobre 2011: Le ‘Grand Hallel’ Psaume 136 (135)

19101
Ps 136



Chers frères et soeurs,

je voudrais méditer aujourd’hui avec vous sur un Psaume qui résume toute l’histoire du salut dont l’Ancien Testament nous apporte le témoignage. Il s’agit d’un grand hymne de louange qui célèbre le Seigneur dans les manifestations multiples et répétées de sa bonté tout au long de l’histoire des hommes : c’est le Psaume 136 — ou 135 selon la tradition gréco-latine.

Prière solennelle d’action de grâce, connu comme le « Grand Hallel », ce Psaume est chanté traditionnellement à la fin du repas pascal juif et a probablement été prié également par Jésus lors de la dernière Pâque célébrée avec les disciples ; c’est à lui en effet que semble faire allusion l’annotation des évangélistes : « Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers » (cf. Mt 26,30 Mc 14,26). L’horizon de la louange illumine ainsi le chemin difficile du Golgotha. Tout le Psaume 136 se déroule sous forme de litanie, rythmée par la répétition de l’antienne « car éternel est son amour ». Tout au long de la composition, sont énumérés les nombreux prodiges de Dieu dans l’histoire des hommes et ses interventions constantes en faveur de son peuple ; et à chaque proclamation de l’action salvifique du Seigneur répond l’antienne avec la motivation fondamentale de la louange : l’amour éternel de Dieu, un amour qui, selon le terme hébreu utilisé, implique fertilité, miséricorde, bonté, grâce, tendresse. Tel est le motif unifiant de tout le Psaume, répété toujours sous la même forme, tandis que changent ses manifestations ponctuelles et paradigmatiques : la création, la libération de l’exode, le don de la terre, l’aide providentielle et constante du Seigneur à l’égard de son peuple et de chaque créature.

Après une triple invitation à l’action de grâce au Dieu souverain (vv. 1-3), on célèbre le Seigneur comme Celui qui a fait « des merveilles » (v. 4), dont la première est la création : le ciel, la terre, les étoiles (vv. 5-9). Le monde créé n’est pas un simple scénario dans lequel s’inscrit l’action salvifique de Dieu, mais c’est le début même de cette action merveilleuse. Avec la création, le Seigneur se manifeste dans toute sa bonté et sa beauté, il se compromet avec la vie, révélant une volonté de bien dont jaillit toute autre action de salut. Et dans notre Psaume, faisant écho au premier chapitre de la Genèse, le monde créé est synthétisé dans ses éléments principaux, en insistant en particulier sur les astres, le soleil, la lune, les étoiles, créatures magnifiques qui gouvernent le jour et la nuit. On ne parle pas ici de la création de l’être humain, mais il est toujours présent ; le soleil et la lune sont pour lui — pour l’homme — pour rythmer le temps de l’homme, le mettant en relation avec le Créateur en particulier à travers l’indication des temps liturgiques.

C’est précisément la fête de Pâques qui est évoquée immédiatement après lorsque, passant à la manifestation de Dieu dans l’histoire, commence le grand événement de la libération de l’esclavage de l’Egypte, de l’exode, retracé dans ses éléments les plus significatifs : la libération de l’Egypte avec la plaie des premiers-nés égyptiens, le départ de l’Egypte, le passage de la Mer Rouge, le cheminement dans le désert jusqu’à l’entrée en terre promise (vv. 10-20). Nous nous trouvons au moment originel de l’histoire d’Israël. Dieu est intervenu à travers toute sa puissance pour conduire son peuple à la liberté; à travers Moïse, son envoyé, il s’est imposé au pharaon, se révélant dans toute sa grandeur et, enfin, a écrasé la résistance des Egyptiens par le terrible fléau de la mort des premiers-nés. Ainsi, Israël peut quitter le pays de l’esclavage, avec l’or de ses oppresseurs (cf. Ex Ex 12,35-36), « sortant la main haute » (Ex 14,8), sous le signe exultant de la victoire. Au bord de la Mer rouge également, le Seigneur agit avec une puissance miséricordieuse. Devant un peuple d’Israël effrayé à la vue des Egyptiens qui le poursuivent, au point de regretter d’avoir quitté l’Egypte (cf. Ex Ex 14,10-12), Dieu, comme le dit notre Psaume, « sépara en deux parts la mer des Joncs... fit passer Israël en son milieu... Y culbutant pharaon et son armée » (vv. 13-15). L’image de la Mer rouge « séparée en deux » semble évoquer l’idée de la mer comme un grand monstre qui est coupé en deux morceaux et est rendu ainsi inoffensif. La puissance du Seigneur vainc le danger des forces de la nature et des forces militaires déployées par les hommes: la mer, qui semblait barrer la route au peuple de Dieu, laisse passer Israël au sec, puis se referme sur les Egyptiens, les emportant. « La main forte et le bras étendu » du Seigneur (cf. Dt Dt 5,15 Dt 7,19 Dt 26,8) se montrent ainsi dans toute leur force salvifique: l’oppresseur injuste a été vaincu, englouti par les eaux, tandis que le peuple de Dieu « passe en son milieu » pour poursuivre son chemin vers la liberté.

Notre Psaume fait à présent référence à ce chemin, en rappelant par une phrase très brève le long pèlerinage d’Israël vers la terre promise : « Il mena son peuple au désert, car éternel est son amour ! » (v. 16). Ces quelques mots contiennent une expérience de quarante ans, un temps décisif pour Israël qui, se laissant guider par le Seigneur, apprend à vivre de la foi, dans l’obéissance et dans la docilité à la loi de Dieu. Ce sont des années difficiles, marquées par la dureté de la vie dans le désert, mais aussi des années heureuses, de confiance dans le Seigneur, de confiance filiale; c’est le temps de la « jeunesse » comme le définit le prophète Jérémie en parlant à Israël, au nom du Seigneur, avec des expressions pleines de tendresse et de nostalgie : « Je me rappelle l'affection de ta jeunesse, l'amour de tes fiançailles, alors que tu marchais derrière moi au désert, dans une terre qui n'est pas ensemencée » (Jr 2,2). Le Seigneur, comme le pasteur du Psaume 23 que nous avons contemplé dans une catéchèse, a guidé son peuple pendant quarante ans, l’a éduqué et aimé, le conduisant jusqu’à la terre promise, vainquant également les résistances et l’hostilité de peuples ennemis qui voulaient faire obstacle à son chemin de salut (cf. vv. 17-20).

Dans l’énumération des « grandes merveilles » que notre Psaume énonce, on parvient ainsi au moment du don conclusif, dans l’accomplissement de la promesse divine faite aux pères : « Il donna leur terre en héritage, car éternel est son amour ! En héritage à Israël son serviteur, car éternel est son amour ! » (vv. 21-22). Dans la célébration de l’amour éternel du Seigneur, on fait à présent mémoire du don de la terre, un don que le peuple doit recevoir sans jamais en prendre possession, vivant continuellement dans une attitude de recueillement reconnaissant et plein de gratitude. Israël reçoit le territoire dans lequel habiter comme « héritage », un terme qui désigne de manière générique la possession d’un bien reçu d’un autre, un droit de propriété qui, de manière spécifique, fait référence au patrimoine paternel. Une des prérogatives de Dieu est de « donner » ; et à présent, à la fin du chemin de l’exode, Israël, destinataire du don, comme un fils, entre dans le pays de la promesse accomplie. Le temps du vagabondage, sous les tentes, dans une vie marquée par la précarité, est fini. A présent a commencé le temps heureux de la stabilité, de la joie de construire des maisons, de planter les vignes, de vivre dans la sécurité (cf. Dt Dt 8,7-13). Mais c’est également le temps de la tentation de l’idolâtrie, de la contamination avec les païens, de l’autosuffisance qui fait oublier l’Origine du don. C’est pourquoi le psalmiste mentionne l’humiliation et les ennemis, une réalité de mort dans laquelle le Seigneur, encore une fois, se révèle comme le Sauveur : « Il se souvint de nous dans notre abaissement, car éternel est son amour ! Il nous sauva de la main des oppresseurs, car éternel est son amour ! » (vv. 23-24).

Dès lors se pose la question: comment pouvons-nous faire de ce Psaume une prière qui soit nôtre, comment pouvons-nous nous approprier, par notre prière, de ce Psaume ? Le cadre du Psaume est important, au début et à la fin : c’est la création. Nous reviendrons sur ce point: la création comme le grand don de Dieu dont nous vivons, dans lequel il se révèle dans sa bonté et sa grandeur. Et donc, avoir à l’esprit la création comme don de Dieu est un point qui nous est commun à tous. Vient ensuite l’histoire du salut. Naturellement, nous pouvons dire: cette libération de l’Egypte, le temps du désert, l’entrée en Terre Sainte puis les autres problèmes, sont très loin de nous, ils n’appartiennent pas à notre histoire. Mais nous devons être attentifs à la structure fondamentale de cette prière. La structure fondamentale est qu’Israël se rappelle de la bonté du Seigneur. Dans cette histoire, il y a beaucoup de vallées obscures, il y a beaucoup de moments marqués par la difficulté et la mort, mais Israël se rappelle que Dieu était bon et qu’il peut survivre dans cette vallée obscure, dans cette vallée de la mort, parce qu’il se souvient. Il garde en mémoire la bonté du Seigneur, de sa puissance ; sa miséricorde vaut pour l’éternité. Et cela est important pour nous aussi : garder en mémoire la bonté du Seigneur. La mémoire devient force de l’espérance. La mémoire nous dit : Dieu existe, Dieu est bon, éternelle est sa miséricorde. Et ainsi, la mémoire ouvre, même dans l’obscurité d’un jour, d’un temps, la route vers l’avenir : elle est lumière et étoile qui nous guide. Nous avons nous aussi une mémoire du bien, de l’amour miséricordieux, éternel de Dieu. L’histoire d’Israël appartient déjà à notre mémoire aussi, la mémoire de la façon dont Dieu s’est montré, a créé son peuple. Puis Dieu s’est fait homme, l’un d’entre nous : il a vécu avec nous, il a souffert avec nous, il est mort pour nous. Il reste avec nous dans le Sacrement et dans la Parole. C’est une histoire, une mémoire de la bonté de Dieu qui nous assure sa bonté: son amour est éternel. Et puis aussi en ces deux mille ans de l’histoire de l’Eglise, il y a toujours, à nouveau, la bonté du Seigneur. Après la période obscure de la persécution nazie et communiste, Dieu nous a libérés, il a montré qu’il est bon, qu’il a de la force, que sa miséricorde vaut pour toujours. Et, comme dans l’histoire commune, collective, est présente cette mémoire de la bonté de Dieu, elle nous aide, elle devient étoile de l’espérance, ainsi, chacun aussi a son histoire personnelle de salut, et nous devons réellement tirer profit de cette histoire, avoir toujours à l’esprit la mémoire des grandes choses qu’il a faites dans ma vie aussi, pour avoir confiance : sa miséricorde est éternelle. Et si aujourd’hui, je suis dans la nuit obscure, demain, Il me libère car sa miséricorde est éternelle.

Revenons au Psaume, parce que, à la fin, il revient à la création. Le Seigneur — c’est ce qui est dit — « à toute chair, il donne le pain, éternel est son amour ! » (n. 25). La prière du Psaume se conclut par une invitation à la louange : « Rendez grâce au Dieu du ciel, éternel est son amour ! ». Le Seigneur est le Père bon et prévoyant, qui donne son héritage à ses fils et offre à tous la nourriture pour vivre. Le Dieu qui a créé les cieux et la terre et les grandes lumières célestes, qui entre dans l’histoire des hommes pour conduire au salut tous ses enfants est le Dieu qui comble l’univers de sa présence de bien en étant attentif à la vie et en donnant du pain. La puissance invisible du Créateur et Seigneur chantée dans le Psaume se révèle dans la petite visibilité du pain qu’il nous donne, avec lequel il nous fait vivre. Et ainsi, ce pain quotidien symbolise et synthétise l’amour de Dieu comme Père, et nous ouvre à l’accomplissement néo-testamentaire, à ce « pain de vie », l’Eucharistie, qui nous accompagne dans notre existence de croyants, en anticipant la joie définitive du banquet messianique au Ciel.

Frères et soeurs, la louange de bénédiction du Psaume 136 nous a fait reparcourir les étapes les plus importantes de l’histoire du salut, jusqu’à parvenir au mystère pascal, où l’action salvifique de Dieu arrive à son sommet. Avec une joie reconnaissante nous célébrons donc le Créateur, Sauveur et Père fidèle, qui « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle » (Jn 3,16). Dans la plénitude des temps, le Fils de Dieu se fait homme pour donner la vie, pour le salut de chacun de nous, et il se donne comme pain dans le mystère eucharistique pour nous faire entrer dans son alliance qui fait de nous ses fils. C’est à ce point que s’élève la bonté miséricordieuse de Dieu et la sublimité de son « amour pour toujours ».

Je veux donc conclure cette catéchèse en faisant miennes les paroles que saint Jean écrit dans sa Première Lettre et que nous devrions toujours avoir à l’esprit dans notre prière : « Voyez comme il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés fils de Dieu — et nous le sommes » (1Jn 3,1). Merci.
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Je salue les pèlerins francophones, particulièrement les groupes de pèlerins venus de France, de Suisse, du Canada, ainsi que les jeunes des collèges Saint Joseph du Parchamp, Sainte Geneviève, Notre Dame de Bourbourg, et les lycéens de Sète et du Lot-et-Garonne. Par la foi, devenons chaque jour plus conscient de la présence de Dieu dans notre vie. Demandez-lui d’éclairer vos choix et de fortifier votre amour. Bon pèlerinage à tous !



Salle Paul VI

Mercredi 26 octobre 2011: Prière en préparation à la rencontre d'Assise

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Pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix

Je suis heureux de vous accueillir dans la Basilique Saint-Pierre et d’adresser ma cordiale bienvenue à vous tous qui n’avez pas trouvé de place dans la Salle Paul VI. Adhérez toujours au Christ et témoignez avec joie de l’Évangile! De tout coeur je vous adresse à tous ma Bénédiction.
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Chers frères et soeurs,

Aujourd’hui, le traditionnel rendez-vous de l’Audience générale revêt un caractère particulier, car nous sommes à la veille de la Journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde, qui aura lieu demain à Assise, vingt-cinq ans après la première rencontre convoquée par le bienheureux Jean-Paul II. J’ai voulu intituler cette journée : « Pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix », pour exprimer l’engagement que nous voulons solennellement renouveler, avec les membres des diverses religions, et également avec des hommes non-croyants, mais qui sont sincèrement à la recherche de la vérité, dans la promotion du véritable bien de l’humanité et dans l’édification de la paix. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, « Celui qui est en chemin vers Dieu, ne peut pas ne pas transmettre la paix, celui qui construit la paix ne peut pas ne pas se rapprocher de Dieu ».

En tant que chrétiens, nous sommes convaincus que la contribution la plus précieuse que nous puissions apporter à la cause de la paix est celle de la prière. C’est pour cette raison que nous nous retrouvons aujourd’hui, en tant qu’Eglise de Rome, avec les pèlerins présents dans l’Urbs, à l’écoute de la Parole de Dieu, pour invoquer avec foi le don de la paix. Le Seigneur peut illuminer notre esprit et nos coeurs et nous guider pour être des artisans de justice et de réconciliation dans nos vies quotidiennes et dans le monde.

Dans le passage du prophète Zacharie, que nous venons d’écouter, a retenti une annonce pleine d’espérance et de lumière (Zc 9, 10). Dieu promet le salut, invite à « exulter avec force » car ce salut est sur le point de se concrétiser. Il parle d’un roi : « Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux » (v. 9), mais celui qui est annoncé n’est pas un roi qui se présente avec la puissance humaine, la force des armes; ce n’est pas un roi qui domine par le pouvoir politique et militaire ; c’est un roi doux, qui règne par l’humilité et la clémence face à Dieu et aux hommes, un roi différent par rapport aux grands souverains du monde : « monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse » (ibid.) Il se manifeste en montant l’animal des personnes simples, du pauvre, en opposition avec les chars de guerre des armées des puissants de la terre. C’est même un roi qui fera disparaître ces chars, retranchera les arcs de guerre, annoncera la paix aux nations (cf. v. 10).

Mais qui est ce roi dont parle le prophète Zacharie ? Rendons-nous un moment à Bethléem et écoutons à nouveau ce que l’Ange dit aux pasteurs qui veillent de nuit, en montant la garde auprès de leur troupeau. L’Ange annonce une joie qui sera celle du peuple tout entier, liée à un signe de pauvreté : un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche (cf.
Lc 2,8-12). Et la multitude céleste chante : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! » (v. 14), aux hommes de bonne volonté. La naissance de cet enfant, qui est Jésus, apporte une annonce de paix pour le monde entier. Mais allons également aux moments finaux de la vie du Christ, lorsqu’Il entre dans Jérusalem accueilli par une foule en liesse. L’annonce qu’avait faite le prophète Zacharie de l’avènement d’un roi humble et doux revient à l’esprit des disciples de Jésus de façon particulière après les événements de la passion, de la mort et de la résurrection, du Mystère pascal, lorsqu’ils revinrent avec les yeux de la foi à l’entrée glorieuse du Maître dans la Ville Sainte. Il monte un âne, qu’il a emprunté (cf. Mt 21,2-7) : il n’est pas sur un riche carrosse, il n’est pas à cheval, comme les grands. Il n’entre pas dans Jérusalem accompagné d’une puissante armée de chars et de cavaliers. Il est un roi pauvre, le roi de ceux qui sont les pauvres de Dieu. Dans le texte grec apparaît le terme praeîs, qui signifie les humbles, les doux ; Jésus est le roi des anawim, de ceux qui ont le coeur libre de la soif de pouvoir et de richesse matérielle, de la volonté et de la recherche de domination sur l’autre. Jésus est le roi de ceux qui ont cette liberté intérieure qui rend capables de surmonter l’avidité, l’égoïsme qui règne dans le monde, et qui savent que Dieu seul est leur richesse. Jésus est le roi pauvre parmi les pauvres, doux parmi ceux qui veulent être doux. De cette façon, Il est un roi de paix, grâce à la puissance de Dieu, qui est la puissance du bien, la puissance de l’amour. C’est un roi qui fera disparaître les chars et les chevaux de bataille, qui brisera les arcs de guerre; un roi qui réalise la paix sur la Croix, en réunissant la terre et le ciel et en jetant un pont fraternel entre tous les hommes. La Croix est le nouvel arc de paix, signe et instrument de réconciliation, de pardon, de compréhension, signe que l’amour est plus fort que toute violence et que toute oppression, plus fort que la mort: le mal se vainc par le bien, par l’amour.

Tel est le nouveau royaume de paix dans lequel le Christ est roi; il s’agit d’un royaume qui s’étend sur toute la terre. Le prophète Zacharie annonce que ce roi doux, pacifique, dominera « de la mer à la mer et du fleuve aux extrémités de la terre » (Za 9,10). Le royaume que le Christ inaugure a des dimensions universelles. L’horizon de ce roi pauvre, doux, n’est pas celui d’un territoire, d’un Etat, mais ce sont les extrémités du monde; au-delà de toute barrière de race, de langue, de culture. Il crée la communion, il crée l’unité. Et où voyons-nous se réaliser aujourd’hui cette annonce ? Dans le grand réseau des communautés eucharistiques qui s’étend sur toute la terre réapparaît de façon lumineuse la prophétie de Zacharie. C’est une grande mosaïque de communautés dans lesquelles est présent le sacrifice d’amour de ce roi doux et pacifique ; c’est la grande mosaïque qui constitue le « Royaume de paix » de Jésus de la mer à la mer jusqu’aux extrémités du monde ; il s’agit d’une multitude d’« ilôts de paix » qui irradient la paix. Partout, dans chaque situation, dans chaque culture, des grandes villes avec leurs immeubles, jusqu’aux petits villages avec leurs humbles demeures, des immenses cathédrales aux petites chapelles, Il vient, il est présent ; et en entrant en communion avec Lui, les hommes eux aussi sont unis entre eux en un unique corps, surmontant la division, les rivalités, les rancoeurs. Le Seigneur vient dans l’Eucharistie pour nous arracher à notre individualisme, à nos particularismes qui excluent les autres, pour ne faire de nous qu’un seul corps, un seul royaume de paix dans un monde divisé.

Mais comment pouvons-nous construire ce royaume de paix dont le Christ est le roi ? Le commandement qu’Il laisse à ses apôtres et, à travers eux, à nous tous est : « Allez donc, de toutes nations faites des disciples... Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,19). Comme Jésus, les messagers de paix de son royaume doivent se mettre en marche, doivent répondre à son invitation. Ils doivent partir, mais pas avec la puissance de la guerre ou avec la force du pouvoir. Dans le passage de l’Evangile que nous avons écouté, Jésus envoie soixante-douze disciples à la grande moisson qu’est le monde, en les invitant à prier le Maître de la moisson pour que les ouvriers ne manquent jamais à sa moisson (cf. Lc 10,1-3); cependant il ne les envoie pas avec des moyens puissants, mais bien « comme des agneaux au milieu des loups » (v. 3), sans bourse, besace, ni sandales (cf. v. 4). Saint Jean Chrysostome, dans l’une de ses homélies, commente : « Tant que nous serons des agneaux, nous vaincrons et, même si nous sommes entourés par de nombreux loups, nous réussirons à les vaincre. Mais si nous devenons des loups, nous serons vaincus, car nous serons privés de l’aide du pasteur » (Homélie 33, 1: PG 57,389). Les chrétiens ne doivent jamais céder à la tentation de devenir des loups parmi les loups. Ce n’est pas avec le pouvoir, avec la force, avec la violence que le royaume de paix du Christ s’étend, mais avec le don de soi, avec l’amour porté à l’extrême, même à l’égard de ses ennemis. Jésus ne vainc pas le monde avec la force des armes, mais avec la force de la Croix, qui est la véritable garantie de la victoire. Et cela a pour conséquence pour celui qui veut être un disciple du Seigneur, son envoyé, d’être également prêt à la passion et au martyre, à perdre sa vie pour Lui, afin que dans le monde triomphent le bien, l’amour, la paix. Telle est la condition pour pouvoir dire, en entrant dans chaque réalité : « Paix à cette maison ! » (Lc 10,5).

Devant la basilique Saint-Pierre se trouvent deux grandes statues des saints Pierre et Paul, facilement identifiables: saint Pierre tient les clefs dans sa main, saint Paul, en revanche, tient une épée à la main. Celui qui ne connaît pas l’histoire de ce dernier pourrait penser qu’il s’agit d’un grand condottiere qui a guidé de puissantes armées et qui, avec son épée, à soumis des peuples et des nations, parvenant à la célébrité et à la richesse avec le sang des autres. C’est en revanche exactement le contraire : l’épée qu’il tient entre les mains est l’instrument avec lequel Paul fut mis à mort, avec lequel il subit le martyre et répandit son propre sang. Sa bataille ne fut pas celle de la violence, de la guerre, mais celle du martyre pour le Christ. Son unique arme fut précisément l’annonce de « Jésus Christ et du Christ crucifié » (1Co 2,2). Sa prédication ne se fonda pas sur « des discours persuasifs de la sagesse; c'était une démonstration d'Esprit et de puissance » (v. 4). Il consacra sa vie à apporter le message de réconciliation et de paix de l’Evangile, prodiguant toutes ses énergies pour le faire retentir jusqu’aux extrémités de la terre. Et telle a été sa force : il n’a pas cherché une vie tranquille, commode, loin des difficultés, des contrariétés, mais il s’est consumé pour l’Evangile, il a donné tout son être sans réserves, et il est ainsi devenu le grand messager de la paix et de la réconciliation du Christ. L’épée que saint Paul tient entre les mains rappelle également la puissance de la vérité, qui souvent peut blesser, peut faire mal ; l’apôtre est resté fidèle jusqu’au bout à cette vérité, il l’a servie, il a souffert pour celle-ci, il a donné sa vie pour elle. Cette même logique vaut également pour nous, si nous voulons être des annonciateurs du royaume de paix annoncé par le prophète Zaccharie et réalisé par le Christ : nous devons être disposés à payer de notre personne, à souffrir en première personne l’incompréhension, le refus, la persécution. Ce n’est pas l’épée du conquérant qui construit la paix, mais l’épée de celui qui souffre, de celui qui sait donner sa vie.

Chers frères et soeurs, en tant que chrétiens, nous voulons invoquer de Dieu le don de la paix, nous voulons le prier de faire de nous les instruments de sa paix dans un monde encore déchiré par la haine, par les divisions, les égoïsmes, les guerres, nous voulons lui demander que la rencontre de demain à Assise favorise le dialogue entre personnes de différentes appartenances religieuses et apporte un rayon de lumière capable d’illuminer l’esprit et le coeur de tous les hommes, afin que la rancoeur cède la place au pardon, la division à la réconciliation, la haine à l’amour, la violence à la douceur, et que la paix règne dans le monde. Amen.


APPEL

Chers frères et soeurs, avant de vous saluer dans les diverses langues, je commence par un appel. En cet instant, ma pensée va aux populations de Turquie durement frappées par le tremblement de terre qui a provoqué de graves pertes en vies humaines, de nombreux disparus et des dommages considérables. Je vous invite à vous unir à moi dans la prière pour ceux qui ont perdu la vie et à être spirituellement proches de tant de personnes si durement éprouvées. Que le Très-Haut apporte son soutien à tous ceux qui sont engagés dans les opérations de secours.

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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier les membres de l’Association internationale Foi et Lumière, ainsi que le groupe de Cambrai avec l’archevêque, Monseigneur François Garnier, les paroisses et les jeunes venant de France et de Suisse. Je vous invite à prier pour la rencontre qui aura lieu demain à Assise avec des représentants des communautés chrétiennes, de diverses religions et des personnalités du monde de la culture et de la science. Puisse ce pèlerinage de la vérité et de la paix nous encourager à marcher toujours vers Dieu, et renforcer notre engagement au service de la paix. Bon séjour à tous !





Salle Paul VI

Mercredi 2 novembre 2011: Commémoration de tous les fidèles défunts

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Chers frères et soeurs !

Après avoir célébré la solennité de tous les saints, l’Eglise nous invite aujourd’hui à commémorer tous les fidèles défunts, à tourner notre regard vers les nombreux visages qui nous ont précédés et qui ont conclu leur chemin terrestre. Au cours de l’Audience d’aujourd’hui, je voudrais donc vous proposer quelques pensées simples sur la réalité de la mort qui pour nous, chrétiens, est illuminée par la Résurrection du Christ, et pour renouveler notre foi dans la vie éternelle.

Comme je le disais déjà hier au cours de l’Angélus, nous nous rendons ces jours-ci au cimetière pour prier pour les personnes chères qui nous ont quittés, nous allons en quelque sorte leur rendre visite pour leur exprimer, une fois de plus, notre affection, pour les sentir encore proches, en rappelant également, de cette façon, un article du Credo : dans la communion des saints existe un lien étroit entre nous, qui marchons encore sur cette terre, et nos nombreux frères et soeurs qui ont déjà atteint l’éternité.

Depuis toujours, l’homme se préoccupe de ses morts et tente de leur donner une deuxième vie à travers l’attention, le soin, l’affection. D’une certaine façon, on veut conserver leur expérience de vie ; et, paradoxalement, c’est précisément des tombes devant lesquelles se bousculent les souvenirs que nous découvrons la façon dont ils ont vécu, ce qu’ils ont aimé, ce qu’ils ont craint, ce qu’ils ont espéré, et ce qu’ils ont détesté. Celles-ci représentent presque un miroir de leur monde.

Pourquoi en est-il ainsi ? Car, bien que la mort soit souvent un thème presque interdit dans notre société, et que l’on tente constamment de chasser de notre esprit la seule idée de la mort, celle-ci concerne chacun de nous, elle concerne l’homme de tout temps et de tout lieu. Et devant ce mystère, tous, même inconsciemment, nous cherchons quelque chose qui nous invite à espérer, un signe qui nous apporte un réconfort, qui nous ouvre un horizon, qui offre encore un avenir. Le chemin de la mort, en réalité, est une voie de l’espérance et parcourir nos cimetières, comme lire les inscriptions sur les tombes, signifie accomplir un chemin marqué par l’espérance d’éternité.

Mais nous nous demandons : pourquoi éprouvons-nous de la crainte face à la mort ? Pourquoi une grande partie de l’humanité ne s’est-elle jamais résignée à croire qu’au-delà de la mort, il n’y pas pas simplement le néant ? Je dirais qu’il existe de multiples réponses : nous éprouvons une crainte face à la mort car nous avons peur du néant, de ce départ vers quelque chose que nous ne connaissons pas, qui nous est inconnu. Il existe alors en nous un sentiment de rejet parce que nous ne pouvons pas accepter que tout ce qui a été réalisé de beau et de grand au cours d’une existence tout entière soit soudainement effacé, tombe dans l’abîme du néant. Et surtout, nous sentons que l’amour appelle et demande l’éternité et il n’est pas possible d’accepter que cela soit détruit par la mort en un seul moment.

De plus, nous éprouvons de la crainte à l’égard de la mort car, lorsque nous nous trouvons vers la fin de notre existence, existe la perception qu’un jugement est exercé sur nos actions, sur la façon dont nous avons mené notre vie, surtout sur les zones d’ombre que nous savons souvent habilement éliminer ou que nous nous efforçons d’effacer de notre conscience. Je dirais que c’est précisément la question du jugement qui est souvent à l’origine de la préoccupation de l’homme de tous les temps pour les défunts, de l’attention pour les personnes qui ont compté pour lui et qui ne sont plus à ses côtés sur le chemin de la vie terrestre. Dans un certain sens, les gestes d’affection et d’amour qui entourent le défunt sont une façon de le protéger dans la conviction qu’ils ne demeurent pas sans effet sur le jugement. C’est ce que nous pouvons constater dans la majorité des cultures qui caractérisent l’histoire de l’homme.

Aujourd’hui, le monde est devenu, tout au moins en apparence, beaucoup plus rationnel, ou mieux, la tendance s’est diffusée de penser que chaque réalité doit être affrontée avec les critères de la science expérimentale, et qu’également à la grande question de la mort on ne doit pas tant répondre avec la foi, mais en partant de connaissances expérimentables, empiriques. On ne se rend cependant pas suffisamment compte que, précisément de cette manière, on a fini par tomber dans des formes de spiritisme, dans la tentative d’avoir un contact quelconque avec le monde au-delà de la mort, presque en imaginant qu’il y existe une réalité qui, à la fin, serait une copie de la réalité présente.

Chers amis, la solennité de la Toussaint et la commémoration de tous les fidèles défunts nous disent que seul celui qui peut reconnaître une grande espérance dans la mort, peut aussi vivre une vie à partir de l’espérance. Si nous réduisons l’homme exclusivement à sa dimension horizontale, à ce que l’on peut percevoir de manière empirique, la vie elle-même perd son sens profond. L’homme a besoin d’éternité et toute autre espérance est trop brève, est trop limitée pour lui. L’homme n’est explicable que s’il existe un Amour qui dépasse tout isolement, même celui de la mort, dans une totalité qui transcende aussi l’espace et le temps. L’homme n’est explicable, il ne trouve son sens profond, que s’il y a Dieu. Et nous savons que Dieu est sorti de son éloignement et s’est fait proche, qu’il est entré dans notre vie et nous dit : « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (
Jn 11,25-26).

Pensons un moment à la scène du Calvaire et écoutons à nouveau les paroles que Jésus, du haut de la Croix, adresse au malfaiteur crucifié à sa droite : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23,43). Pensons aux deux disciples sur la route d’Emmaüs, quand, après avoir parcouru un bout de chemin avec Jésus Ressuscité, ils le reconnaissent et partent sans attendre vers Jérusalem pour annoncer la Résurrection du Seigneur (cf. Lc 24,13-35). Les paroles du Maître reviennent à l’esprit avec une clarté renouvelée : « Que votre coeur ne se trouble pas ! Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, je vous l'aurais dit ; je vais vous préparer une place » (Jn 14,1-2). Dieu s’est vraiment montré, il est devenu accessible, il a tant aimé le monde « qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16), et dans l’acte d’amour suprême de la Croix, en se plongeant dans l’abîme de la mort, il l’a vaincue, il est ressuscité et nous a ouvert à nous aussi les portes de l’éternité. Le Christ nous soutient à travers la nuit de la mort qu’Il a lui-même traversée; il est le Bon Pasteur, à la direction duquel on peut se confier sans aucune crainte, car Il connaît bien la route, même dans l’obscurité.

Chaque dimanche, en récitant le Credo, nous réaffirmons cette vérité. Et en nous rendant dans les cimetières pour prier avec affection et avec amour pour nos défunts, nous sommes invités, encore une fois, à renouveler avec courage et avec force notre foi dans la vie éternelle, ou mieux, à vivre avec cette grande espérance et à la témoigner au monde : derrière le présent il n’y a rien. C’est précisément la foi dans la vie éternelle qui donne au chrétien le courage d’aimer encore plus intensément notre terre et de travailler pour lui construire un avenir, pour lui donner une espérance véritable et sûre. Merci.
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Je suis heureux de saluer ce matin les pèlerins de langue française. Que votre foi dans la résurrection du Christ vous donne force et courage pour traverser les épreuves de la vie et qu’elle fasse grandir en vous l’espérance de la vie éternelle ! Que Dieu vous bénisse !


Catéchèses Benoît XVI 19101