Catéchèses Benoît XVI 40412

APPEL


C’est aujourd’hui la Journée internationale pour la sensibilisation sur le problème des mines antipersonnel, et j’exprime ma proximité aux victimes, et à leur familles. J’encourage tous ceux qui s’engagent pour libérer l’humanité de ces armes terribles et sournoises qui, comme le dit le bienheureux Jean-Paul II à l’occasion de l’entrée en vigueur de la Convention pour leur bannissement, empêchent aux hommes de «marcher ensemble sur les sentiers de la vie sans craindre les pièges de la destruction et de la mort» (Angelus, 28 février 1999).
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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier le groupe du Collège Saint-Joseph de Grandchamp et les étudiants belges de Neerpelt. Je vous invite à participer avec foi aux célébrations du Triduum pascal. Soyez sûrs de l’amour de Jésus pour chacun de vous. À tous, je souhaite une Sainte Pâque !





Place Saint-Pierre

Mercredi 11 avril 2012

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Chers frères et soeurs,

Après les célébrations solennelles de Pâques, notre rencontre d’aujourd’hui est empreinte de joie spirituelle, même si le ciel est gris, nous portons dans notre coeur la joie de la Pâque, la certitude de la Résurrection du Christ qui a définitivement triomphé sur la mort. Je renouvelle avant tout à chacun de vous mes voeux cordiaux de Pâques : que dans toutes les maisons et dans tous les coeurs retentisse l’annonce joyeuse de la Résurrection du Christ, afin de faire renaître l’espérance.

Au cours de cette catéchèse, je voudrais montrer la transformation que la Pâque de Jésus a provoquée chez ses disciples. Partons du soir du jour de la Résurrection. Les disciples sont enfermés chez eux par peur des juifs (cf.
Jn 20,19). La crainte serre le coeur et empêche d’aller vers les autres, vers la vie. Le Maître n’est plus là. Le souvenir de sa Passion alimente l’incertitude. Mais Jésus tient aux siens et est sur le point d’accomplir la promesse qu’il avait faite au cours de la Dernière Cène : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous » (Jn 14,18) et il dit cela à nous aussi, même dans les périodes sombres : « Je ne vous laisserai pas orphelins ». Cette situation d’angoisse des disciples change radicalement avec l’arrivée de Jésus. Il entre malgré les portes fermées, il se tient parmi eux et donne la paix qui rassure : « La paix soit avec vous ! » (Jn 20,19). C’est un salut commun qui acquiert toutefois à présent une signification nouvelle, car il opère un changement intérieur ; c’est le salut pascal, qui fait surmonter toute peur aux disciples. La paix que Jésus apporte est le don du salut qu’Il avait promis au cours de ses discours d’adieu : « C'est la paix que je vous laisse, c'est ma paix que je vous donne ; ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés » (Jn 14,27). En ce jour de Résurrection, Il la donne en plénitude et elle devient pour la communauté source de joie, certitude de victoire, sécurité dans l’appui sur Dieu. « Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés » (cf. Jn 14,1), nous dit-il à nous aussi.

Après ce salut, Jésus montre aux disciples les blessures des mains et du côté (cf. Jn 20,20), les signes de ce qui a été et qui ne s’effacera jamais : son humanité glorieuse est « blessée ». Ce geste a pour but de confirmer la nouvelle réalité de la Résurrection : le Christ qui est à présent parmi nous est une personne réelle, le même Jésus qui, trois jours auparavant, fut cloué sur la croix. Et c’est ainsi que, dans la lumière fulgurante de la Pâque, dans la rencontre avec le Ressuscité, les disciples saisissent le sens salvifique de sa passion et de sa mort. Alors, de la tristesse et de la peur, ils passent à la pleine joie. La tristesse et les blessures elles-mêmes deviennent source de joie. La joie qui naît dans leur coeur « en voyant le Seigneur » (Jn 20,20). Il leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! » (v. 21). Il est évident désormais qu’il ne s’agit pas seulement d’un salut. C’est un don, le don que le Ressuscité veut faire à ses amis, et c’est dans le même temps une consigne: cette paix, acquise par le Christ à travers son sang, est pour eux mais également pour tous, et les disciples devront l’apporter dans le monde entier. En effet, Il ajoute : « De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (ibid.). Jésus ressuscité est retourné parmi ses disciples pour les envoyer. Il a complété son oeuvre dans le monde, à présent, c’est à eux de semer la foi dans les coeurs afin que le Père, connu et aimé, rassemble tous ses fils dispersés. Mais Jésus sait que chez les siens, il y a encore beaucoup de peur, toujours. C’est pourquoi il accomplit le geste de souffler sur eux et les régénère dans son Esprit (cf. Jn 20,22) ; ce geste est le signe de la nouvelle création. Avec le don de l’Esprit Saint qui provient du Christ ressuscité, commence en effet un monde nouveau. Avec l’envoi en mission des disciples s’inaugure le chemin dans le monde du peuple de la nouvelle alliance, un peuple qui croit en Lui et dans son oeuvre de salut, un peuple qui témoigne de la vérité de la résurrection. Cette nouveauté d’une vie qui ne meurt pas, portée par la Pâque, doit être diffusée partout, afin que les épines du péché qui blessent le coeur de l’homme laissent la place à la semence de la Grâce, de la présence de Dieu et de son amour qui vainquent le péché et la mort.

Chers amis, aujourd’hui aussi, le Ressuscité entre dans nos maisons et dans nos coeurs, bien que les portes soient parfois fermées. Il entre en donnant la joie et la paix, la vie et l’espérance, des dons dont nous avons besoin pour notre renaissance humaine et spirituelle. Lui seul peut retourner ces pierres sépulcrales que l’homme place souvent sur ses propres sentiments, sur ses propres relations, sur ses propres comportements ; des pierres qui marquent la mort: divisions, inimitiés, rancoeurs, jalousies, méfiances, indifférences. Lui seul, le Vivant, peut donner un sens à l’existence et faire reprendre le chemin à celui qui est fatigué et triste, découragé et privé d’espérance. C’est l’expérience qu’ont faite les deux disciples qui, le jour de Pâques, étaient en chemin de Jérusalem vers Emmaüs (cf. Lc 24,13-35). Ils parlent de Jésus, mais leurs visages « tout tristes » (v. 17) expriment les espérances déçues, l’incertitude et la mélancolie. Ils avaient quitté leur pays pour suivre Jésus avec ses amis, et ils avaient découvert une nouvelle réalité, dans laquelle le pardon et l’amour n’étaient plus seulement des paroles, mais touchaient concrètement l’existence. Jésus de Nazareth avait rendu tout nouveau, avait transformé leur vie. Mais à présent Il était mort et tout semblait fini.

Cependant, à l’improviste, ce ne sont plus deux, mais trois personnes qui marchent. Jésus s’approche des deux disciples et marche avec eux, mais ces derniers sont incapables de le reconnaître. Ils ont bien sûr entendu les voix sur sa résurrection, en effet, ils lui disent : « À vrai dire, nous avons été bouleversés par quelques femmes de notre groupe. Elles sont allées au tombeau de très bonne heure, et elles n'ont pas trouvé son corps ; elles sont même venues nous dire qu'elles avaient eu une apparition: des anges, qui disaient qu'il est vivant » (v. 22-23). Pourtant, tout cela n’avait pas été suffisant à les convaincre, car « lui, ils ne l'ont pas vu » (v. 24). Alors Jésus, avec patience, « en partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur expliqua, dans toute l'Écriture, ce qui le concernait » (v. 27). Le Ressuscité explique l’Écriture Sainte aux disciples, offrant la clef de lecture fondamentale de celle-ci, c’est-à-dire Lui-même et son Mystère pascal : les Écritures Lui rendent témoignage (cf. Jn 5,39-47). Le sens de tout, de la Loi, des prophètes et des Psaumes, s’ouvre à l’improviste et devient clair à leurs yeux. Jésus avait ouvert leur esprit à l’intelligence des Écritures (cf. Lc 24,45).

Entre temps, ils étaient arrivés au village, probablement à la maison de l’un des deux. L’étranger en voyage fait « semblant d'aller plus loin » (v. 28), mais ensuite il s’arrête car ils lui demandent avec ferveur : « Reste avec nous » (v. 29). Nous aussi, nous devons toujours à nouveau dire au Seigneur avec ferveur : « Reste avec nous ». « Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna » (v. 30). Le rappel des gestes accomplis par Jésus lors de la Dernière Cène est évident. « Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent » (v. 31). La présence de Jésus, tout d’abord à travers les paroles, puis avec le geste de la fraction du pain, permet aux disciples de Le reconnaître, et ces derniers peuvent sentir de manière nouvelle ce qu’ils avaient déjà éprouvé en marchant avec Lui : « Notre coeur n'était-il pas brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les Ecritures ? » (v. 32). Cet épisode nous indique deux « lieux » privilégiés où nous pouvons rencontrer le Ressuscité qui transforme notre vie: l’écoute de la Parole, en communion avec le Christ et la fraction du Pain ; deux « lieux » profondément unis entre eux, car « La Parole et l’Eucharistie sont corrélées intimement au point de ne pouvoir être comprises l’une sans l’autre : la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l’événement eucharistique » (Exhort. apost. post-syn. Verbum Domini, 54-55).

Après cette rencontre, les deux disciples « se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : “C'est vrai ! le Seigneur est ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre” » (vv. 33-34). À Jérusalem, ils écoutent la nouvelle de la résurrection de Jésus et, à leur tour, ils racontent leur expérience, enflammés d’amour pour le Ressuscité, qui a ouvert leur coeur à une joie indomptable. Ils ont été — comme le dit saint Pierre — « régénérés à une espérance vivante par la résurrection du Christ des morts » (cf. 1P 1,3). En effet, en eux renaît l’enthousiasme de la foi, l’amour pour la communauté, le besoin de communiquer la bonne nouvelle. Le Maître est ressuscité et avec lui toute la vie renaît; témoigner de cet événement devient pour eux une nécessité irrépressible.

Chers amis, que le Temps pascal soit pour nous tous l’occasion propice pour redécouvrir avec joie et enthousiasme les sources de la foi, la présence du Ressuscité parmi nous. Il s’agit d’accomplir le même itinéraire que Jésus fit faire aux deux disciples d’Emmaüs, à travers la redécouverte de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie, c’est-à-dire aller avec le Seigneur et se laisser ouvrir les yeux au sens véritable de l’Ecriture et à sa présence dans la fraction du pain. Le sommet de ce chemin, aujourd’hui comme alors, est la communion eucharistique : dans la communion, Jésus nous nourrit avec son Corps et son Sang, pour être présent dans notre vie, pour nous rendre nouveaux, animés par la puissance de l’Esprit Saint.

En conclusion, l’expérience des disciples nous invite à réfléchir sur le sens de la Pâque pour nous. Laissons Jésus ressuscité nous rencontrer ! Lui, vivant et véritable, est toujours présent parmi nous : il marche avec nous pour guider notre vie, pour ouvrir nos yeux. Ayons confiance dans le Ressuscité qui a le pouvoir de donner la vie, de nous faire renaître comme fils de Dieu, capables de croire et d’aimer. La foi en Lui transforme notre vie : elle la libère de la peur, elle lui donne une ferme espérance, elle l’anime par ce qui donne un sens plein à l’existence, l’amour de Dieu. Merci.
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J’accueille avec joie les pèlerins francophones, venus notamment de Suisse, du Liban, et de France. Je salue particulièrement les pèlerins du diocèse de Belley-Ars, les confirmands de Séez, et les nombreux jeunes. À tous je renouvelle mes voeux fervents de Pâques, vous invitant à vous laisser rencontrer par Jésus ressuscité et d’y trouver la véritable joie ! Bon pèlerinage à tous.





Place Saint-Pierre

Mercredi 18 avril 2012

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Chers frères et soeurs, je reprends les catéchèses sur la prière. Depuis la Pentecôte, l’Esprit Saint guide les pas de l’Église, une communauté priante. Mais la Pentecôte n’est pas un évènement isolé. Dans les Actes des Apôtres, saint Luc rapporte d’autres interventions du Saint Esprit à des moments difficiles de la vie de l’Église naissante. Après la guérison du paralytique du Temple, Pierre et Jean furent arrêtés parce qu’ils annonçaient la résurrection de Jésus. Face au péril de la persécution, la communauté ne cherche pas à savoir comment réagir, mais elle se met à prier. C’est une prière commune, de toute l’Église. Cette prière consolide l’unité. Elle aide la communauté à lire ce qui arrive à la lumière de la foi et de la Parole de Dieu. L’opposition contre Jésus, sa mort, font partie du projet de Dieu pour le salut du monde. Le Mystère du Christ est la clé nécessaire pour comprendre la persécution. Dans la prière, les premiers chrétiens demandent à Dieu ni d’être défendus, ni de ne pas être éprouvés, ni le succès, mais de pouvoir proclamer avec assurance et liberté la Parole de Dieu. Comme eux, puissions-nous être guidés par l’Esprit de Jésus Christ pour vivre avec courage et joie chaque situation de la vie, et porter la bonne nouvelle à tous !
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Je salue les pèlerins francophones, venus notamment de Suisse, d’Afrique et de France, en particulier le groupe des prêtres de Normandie, du diocèse de Gap et d’Embrun et des fidèles des diocèses d’Outre-Mer, ainsi que les jeunes de l’école d’évangélisation de Paray-le-Monial. Que la prière vous aide à voir la présence de Dieu et son projet d’amour dans votre vie. Avec ma bénédiction !





Place Saint-Pierre

Mercredi 25 avril 2012

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Chers frères et soeurs,

Dans la dernière catéchèse, j’ai montré que l’Église, depuis les débuts de son chemin, s’est trouvée à devoir affronter des situations imprévues, de nouvelles questions et urgences auxquelles elle a tenté d’apporter des réponses à la lumière de la foi, en se laissant guider par l’Esprit Saint. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter pour réfléchir sur une autre de ces situations, sur un problème sérieux que la première communauté chrétienne de Jérusalem a dû affronter et résoudre, comme nous le raconte saint Luc dans le sixième chapitre des Actes des apôtres, à propos de la pastorale de la charité envers les personnes seules et ayant besoin d’aide et d’assistance. La question n’est pas secondaire pour l’Église et risquait à ce moment-là de créer des divisions à l’intérieur de l’Église : le nombre des disciples, en effet, était en constante augmentation, mais les disciples de langue grecque commençaient à se plaindre des disciples de langue hébraïque parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution quotidienne (cf.
Ac 6,1). Face à cette urgence qui concernait un aspect fondamental dans la vie de la communauté, c’est-à-dire la charité envers les plus faibles, pauvres et sans défense, et la justice, les apôtres convoquent tout le groupe des disciples. Dans ce moment d’urgence pastorale, on est frappé par le discernement démontré par les apôtres. Ils se trouvent face à l’exigence primaire d’annoncer la Parole de Dieu selon le mandat du Seigneur, mais — même si c’est là l’exigence primaire de l’Église — ils considèrent avec tout autant de sérieux le devoir de la charité et de la justice, c’est-à-dire le devoir d’assister les veuves, les pauvres, de résoudre avec amour les situations de besoin où se trouvent leurs frères et soeurs, pour répondre au commandement de Jésus : aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés (cf. Jn 15,12 Jn 15,17). Les deux réalités qui doivent vivre dans l’Église — l’annonce de la Parole, le primat de Dieu, et la charité concrète, la justice —, sont donc en train de créer des difficultés et il faut trouver une solution, pour que toutes deux puissent avoir leur place, leur relation nécessaire. La réflexion des apôtres est très claire, ils disent, comme nous l’avons entendu : « Il n'est pas normal que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des repas. Cherchez plutôt, frères, sept d'entre vous, qui soient des hommes estimés de tous, remplis d'Esprit Saint et de sagesse, et nous leur confierons cette tâche. Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la Parole » (Ac 6,2-4).

Deux choses apparaissent: d’abord, il existe à partir de ce moment-là dans l’Église un ministère de la charité. L’Église ne doit pas seulement annoncer la Parole, mais aussi réaliser la Parole, qui est charité et vérité. Et, deuxième point, ces hommes non seulement doivent jouir d’une bonne réputation, mais doivent être des hommes remplis d’Esprit Saint et de sagesse, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas seulement être des organisateurs qui savent « faire », mais ils doivent « faire » dans l’esprit de la foi avec la lumière de Dieu, avec la sagesse dans le coeur, et donc leur fonction aussi — bien que surtout pratique — est toutefois une fonction spirituelle. La charité et la justice ne sont pas seulement des actions sociales, mais sont des actions spirituelles réalisées à la lumière de l’Esprit Saint. Nous pouvons donc dire que cette situation est affrontée avec une grande responsabilité par les apôtres, qui prennent cette décision : sept hommes sont choisis ; les apôtres prient pour demander la force de l’Esprit Saint ; puis ils leur imposent les mains afin qu’ils se consacrent de façon particulière à cette diaconie de la charité. Ainsi, dans la vie de l’Église, dans les premiers pas qu’elle accomplit, se reflète, d’une certaine façon, ce qui était advenu au cours de la vie publique de Jésus, dans la maison de Marthe et de Marie à Béthanie. Marthe était prise tout entière par le service de l’hospitalité à offrir à Jésus et à ses disciples ; Marie, en revanche, se consacre à l’écoute de la Parole du Seigneur (cf. Lc 10,38-42). Dans les deux cas, on n’oppose pas les moments de la prière et de l’écoute de Dieu, et l’activité quotidienne, l’exercice de la charité. Le rappel de Jésus : « Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part: elle ne lui sera pas enlevée » (Lc 10,41-42), ainsi que la réflexion des apôtes : « Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la Parole » (Ac 6,4), montrent la priorité que nous devons accorder à Dieu. Je ne voudrais pas entrer maintenant dans l’interprétation de cette épisode Marthe-Marie. Quoi qu’il en soit, on ne doit pas condamner l’activité à l’égard du prochain, pour l’autre, mais il faut souligner qu’elle doit aussi être imprégnée intérieurement par l’esprit de contemplation. D’autre part, saint Augustin dit que cette réalité de Marie est une vision de notre situation au ciel, sur la terre nous ne pouvons donc jamais y parvenir complètement, mais un peu d’anticipation doit être présente dans toute notre activité. La contemplation de Dieu doit aussi être présente. Nous ne devons pas nous perdre dans l’activisme pur, mais nous laisser toujours aussi pénétrer dans notre activité par la lumière de la Parole de Dieu et ainsi apprendre la véritable charité, le véritable service pour l’autre, qui n’a pas besoin de tant de choses — il a assurément besoin des choses nécessaires — mais il a surtout besoin de l’affection de notre coeur, de la lumière de Dieu.

Saint Ambroise, en commentant l’épisode de Marthe et Marie, exhorte ainsi ses fidèles, et nous aussi : « Cherchons à avoir nous aussi ce qui ne peut pas nous être ôté, en prêtant à la parole du Seigneur une attention diligente, qui ne soit pas distraite : il arrive aussi aux semences de la parole céleste d’être emportées au loin, si elles sont semées le long de la route. Que le désir de savoir te stimule toi aussi, comme Marie : telle est l’oeuvre la plus grande, la plus parfaite ». Et il ajoute que même « le soin du ministère ne doit pas distraire de la connaissance de la parole céleste », de la prière (Expositio Evangelii secundum Lucam, VII, 85 : pl 15, 1720). Les saints ont donc expérimenté une profonde unité de vie entre la prière et l’action, entre l’amour total pour Dieu et l’amour pour leurs frères. Saint Bernard, qui est un modèle d’harmonie entre contemplation et activité, dans le livre De consideratione, adressé au Pape Innocent ii pour lui offrir quelques réflexions à propos de son ministère, insiste précisément sur l’importance du recueillement intérieur, de la prière pour se défendre des dangers d’une activité excessive, quelle que soit la condition dans laquelle on se trouve et la tâche que l’on accomplit. Saint Bernard affirme que les occupations trop nombreuses, une vie frénétique, finissent souvent par endurcir le coeur et faire souffrir l’esprit (cf. ii, 3).

C’est un rappel précieux pour nous aujourd’hui, habitués à tout évaluer selon le critère de la productivité et de l’efficacité. Le passage des Actes des apôtres nous rappelle l’importance du travail — un véritable ministère est sans aucun doute créé —, de l’engagement dans les activités quotidiennes qui doivent être accomplies avec responsabilité et dévouement, mais également de notre besoin de Dieu, de sa direction, de sa lumière qui nous donnent force et espérance. Sans la prière quotidienne vécue avec fidélité, notre action devient vide, perd son âme profonde, se réduit à un simple activisme qui, à la fin, nous laisse insatisfaits. Il existe une belle invocation de la tradition chrétienne qu’il faut réciter avant toute activité, qui dit : «Actiones nostras, quaesumus, Domine, aspirando praeveni et adiuvando prosequere, ut cuncta nostra oratio et operatio a te semper incipiat, et per te coepta finiatur », c’est-à-dire : « Inspire nos actions, Seigneur, et accompagne-les par ton assistance, pour que chacune de nos paroles et de nos actions possède toujours en toi son début et en toi son accomplissement ». Chaque pas de notre vie, chaque action, également de l’Eglise, doit être faite devant Dieu, à la lumière de sa Parole.

Dans la catéchèse de mercredi dernier, j’avais souligné la prière unanime de la première communauté chrétienne face à l’épreuve et la façon dont, précisément dans la prière, dans la méditation sur l’Écriture Sainte, elle a pu comprendre les événements qui avaient lieu. Lorsque la prière est alimentée par la Parole de Dieu, nous pouvons voir la réalité avec un regard neuf, avec les yeux de la foi et le Seigneur, qui parle à l’esprit et au coeur, donne une nouvelle lumière au chemin à tout moment et dans toutes les situations. Nous croyons dans la force de la Parole de Dieu et de la prière. La difficulté que vivait l’Église face au problème du service aux pauvres, à la question de la charité, est surmontée dans la prière, à la lumière de Dieu, de l’Esprit Saint. Les apôtres ne se limitent pas à ratifier le choix d’Étienne et des autres hommes, mais « après avoir prié, ils leur imposèrent les mains » (Ac 6,6). L’évangéliste rappellera à nouveau ces gestes à l’occasion de l’élection de Paul et Barnabé, quand nous lisons : « après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission » (Ac 13,3). Il confirme à nouveau que le service concret de la charité est un service spirituel. Les deux réalités doivent aller de pair.

Avec le geste de l’imposition des mains, les apôtres confèrent un ministère particulier à sept hommes, afin que leur soit donnée la grâce correspondante. L’accent placé sur la prière — « après avoir prié », disent-ils — est important car il souligne précisément la dimension spirituelle du geste ; il ne s’agit pas simplement de conférer une charge comme c’est le cas dans une organisation sociale, mais il s’agit d’un événement ecclésial dans lequel l’Esprit Saint s’approprie sept hommes choisis par l’Église, en les consacrant dans la Vérité qui est Jésus Christ : Il est le protagoniste silencieux, présent dans l’imposition des mains, afin que les élus soient transformés par sa puissance et sanctifiés pour affronter les défis pratiques, les défis pastoraux. L’accent sur la prière nous rappelle en outre que ce n’est que du rapport intime avec Dieu cultivé chaque jour que naît la réponse au choix du Seigneur et qu’est confié chaque ministère dans l’Église.

Chers frères et soeurs, le problème pastoral qui a conduit les apôtres à choisir et à imposer les mains sur sept hommes chargés du service de la charité, pour se consacrer eux-mêmes à la prière et à l’annonce de la Parole, nous indique également le primat de la prière et de la Parole de Dieu qui toutefois, produit ensuite l’action pastorale. Pour les pasteurs, il s’agit de la forme de service première et plus précieuse à l’égard du troupeau qui leur est confié. Si les poumons de la prière et de la Parole de Dieu n’alimentent pas le souffle de notre vie spirituelle, nous risquons de suffoquer au milieu des mille choses de chaque jour: la prière est le souffle de l’âme et de la vie. Et il y a un autre rappel précieux que je voudrais souligner : dans le rapport avec Dieu, dans l’écoute de sa Parole, dans le dialogue avec Dieu, même lorsque nous nous trouvons dans le silence d’une église ou de notre chambre, nous sommes unis au Seigneur et à de nombreux frères et soeurs dans la foi comme un ensemble d’instruments qui, même dans leur individualité, élèvent à Dieu une unique grande symphonie d’intercession, d’action de grâce et de louange. Merci.
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Je salue les pèlerins francophones, particulièrement les nombreux groupes diocésains et paroissiaux accompagnés par leurs Évêques respectifs, ainsi que les catéchistes de Strasbourg et tous les jeunes français et suisses venus à Rome. Puissiez-vous redécouvrir le goût de la prière pour répondre chaque jour à l’appel du Seigneur. Bon pèlerinage à tous !





Place Saint-Pierre

Mercredi 2 mai 2012

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Chers frères et soeurs,

Dans les dernières catéchèses, nous avons vu comment, dans la prière personnelle et communautaire, la lecture et la méditation de l’Écriture Sainte peuvent ouvrir à l’écoute de Dieu qui nous parle et nous éclaire pour comprendre le présent. Aujourd’hui, je voudrais parler du témoignage et de la prière du premier martyr de l’Église, saint Étienne, l’un des sept choisis pour le service de la charité auprès des personnes dans le besoin. Au moment de son martyre, rapporté dans les Actes des Apôtres, se manifeste, encore une fois, le rapport fécond entre la Parole de Dieu et la prière.

Étienne est conduit au tribunal, devant le Sanhédrin, où il est accusé d’avoir déclaré que « Jésus... détruira ce lieu-ci [le temple] et changera les usages que Moïse nous a légués » (
Ac 6,14). Au cours de sa vie publique, Jésus avait en effet annoncé la destruction du temple de Jérusalem : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2,19). Toutefois, comme le note l’évangéliste Jean, « lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite » (Jn 2,21-22).

Le discours d’Étienne devant le tribunal, le plus long des Actes des Apôtres, se développe sur cette prophétie de Jésus, qui est le nouveau temple, inaugure un nouveau culte, et remplace, avec l’offrande qu’il fait de lui-même sur la croix, les sacrifices anciens. Étienne veut démontrer que l’accusation qui lui est adressée de subvertir la loi de Moïse est infondée et il illustre sa vision de l’histoire du salut, de l’alliance entre Dieu et l’homme. Il relit ainsi toute la narration biblique, itinéraire contenu dans l’Écriture sainte, pour montrer qu’il conduit au « lieu » de la présence définitive de Dieu, qui est Jésus Christ, en particulier sa passion, sa mort et sa résurrection. C’est dans cette perspective aussi qu’Étienne lit son existence comme disciple de Jésus, en le suivant jusqu’au martyre. La méditation sur l’Écriture Sainte lui permet ainsi de comprendre sa mission, sa vie, son présent. En cela, il est guidé par la lumière de l’Esprit Saint, par son rapport intime avec le Seigneur, au point que les membres du Sanhédrin virent son visage « comme celui d’un ange » (Ac 6,15). Ce signe d’assistance divine rappelle le visage rayonnant de Moïse descendant du mont Sinaï après avoir rencontré Dieu (cf. Ex Ex 34,29-35 2Co 3,7-8).

Dans son discours, Étienne part de l’appel d’Abraham, pèlerin vers la terre indiquée par Dieu et qu’il eut en sa possession uniquement comme promesse. Il passe ensuite à Joseph, vendu par ses frères, mais assisté et libéré par Dieu, pour arriver à Moïse, qui devient l’instrument de Dieu pour libérer son peuple, mais rencontre aussi et plusieurs fois le refus de son propre peuple. Dans ces événements rapportés par l’Écriture Sainte, à l’égard de laquelle Étienne manifeste une écoute religieuse, Dieu apparaît toujours, et ne se lasse jamais d’aller au devant de l’homme bien qu’il le trouve souvent dans une attitude d’opposition obstinée. Et ce par le passé, dans le présent et à l’avenir. Par conséquent, dans tout l’Ancien Testament, il voit la préfiguration de l’épisode de Jésus lui-même le Fils de Dieu qui s’est fait chair, qui — comme les anciens Pères — rencontre des obstacles, le rejet, la mort. Étienne se réfère donc à Josué, à David et à Salomon, mis en relation avec la construction du temple de Jérusalem, et il conclut avec les mots du prophète Isaïe (66, 1-2) : « Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds : quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, et quel sera le lieu de mon repos ? N’est-ce pas ma main qui a fait tout cela ? » (Ac 7,49-50). Dans sa méditation sur l’action de Dieu dans l’histoire du salut, en soulignant la tentation éternelle de refuser Dieu et son action, il affirme que Jésus est le Juste annoncé par les prophètes ; en Lui, Dieu lui-même s’est rendu présent de manière unique et définitive : Jésus est le « lieu » du vrai culte. Étienne ne nie pas l’importance du temple pour un certain temps, mais il souligne que «le Très-Haut n’habite pas dans des demeures faites de main d’homme » (Ac 7,48). Le nouveau vrai temple où Dieu habite est son Fils, qui a assumé la chair humaine, c’est l’humanité du Christ, le Ressuscité qui rassemble les peuples et les unit dans le Sacrement de son corps et de son sang. L’expression à propos du temple qui n’est pas « fait de main d’homme », se trouve dans la théologie de saint Paul et de la Lettre aux Hébreux : le corps de Jésus, qu’il a assumé pour s’offrir lui-même comme victime sacrificielle pour expier les péchés, est le nouveau temple de Dieu, le lieu de la présence du Dieu vivant ; en Lui, Dieu et l’homme, Dieu et le monde sont réellement en contact : Jésus prend sur lui tout le péché de l’humanité pour le porter dans l’amour de Dieu et pour le « brûler » dans cet amour. S’approcher de la Croix, entrer en communion avec le Christ, veut dire entrer dans cette transformation. C’est cela entrer en contact avec Dieu, entrer dans son vrai temple.

La vie et le discours d’Étienne s’interrompent à l’improviste lors de la lapidation, mais son martyre est précisément l’accomplissement de sa vie et de son message : il devient un avec le Christ. Ainsi, sa méditation sur l’action de Dieu dans l’histoire, sur la Parole divine qui a trouvé son plein accomplissement en Jésus, devient une participation à la prière même de la Croix. En effet, avant de mourir, il s’exclame : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit » (Ac 7,59), reprenant les paroles du Psaume 31 (v. 6) et recopiant la dernière expression de Jésus sur le Calvaire : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46) ; et, enfin, comme Jésus, il s’écrie à grande voix devant ceux qui étaient en train de le lapider : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché » (Ac 7,60). Remarquons que si, d’un côté, la prière d’Étienne reprend celle de Jésus, son destinataire est différent, car l’invocation est adressée au Seigneur lui-même, c’est-à-dire à Jésus qu’il contemple glorifié à la droite du Père : « Mais Étienne [...] regardait vers le ciel ; il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu » (v. 55).

Chers frères et soeurs, le témoignage de saint Étienne nous offre plusieurs indications pour notre prière et notre vie. Nous pouvons nous demander: d’où ce premier martyr chrétien a-t-il tiré la force pour affronter ses persécuteurs et parvenir jusqu’au don de lui-même ? La réponse est simple : de sa relation avec Dieu, de sa communion avec le Christ, de la méditation sur l’histoire du salut, d’avoir vu l’action de Dieu, qui, en Jésus Christ, est parvenu au sommet. Notre prière doit elle aussi être nourrie de l’écoute de la Parole de Dieu, dans la communion avec Jésus et son Église.

Un deuxième élément : saint Étienne voit préannoncées, dans l’histoire de la relation d’amour entre Dieu et l’homme, la figure et la mission de Jésus. Lui — le Fils de Dieu — est le temple « non fait de main d’homme » dans lequel la présence de Dieu le Père s’est faite si proche qu’elle est entrée dans notre chair humaine pour nous conduire à Dieu, pour nous ouvrir les portes du Ciel. Notre prière doit alors être contemplation de Jésus à la droite de Dieu, de Jésus comme Seigneur de notre, de mon existence quotidienne. En Lui, sous la direction de l’Esprit Saint, nous pouvons nous aussi nous adresser à Dieu, établir un contact réel avec Dieu, avec la confiance et l’abandon des fils qui s’adressent à un Père qui les aime de manière infinie. Merci.
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Je salue les pèlerins francophones, particulièrement les groupes diocésains accompagnés de leur évêque ainsi que les prêtres et les séminaristes, les fidèles de différentes paroisses et les jeunes. Je vous invite à prier chaque jour afin que Jésus soit le Maître de votre existence. En lui et par lui, nous pouvons nous adresser en toute confiance à Dieu, notre Père ! Avec ma bénédiction !





Place Saint-Pierre

Mercredi 9 mai 2012


Catéchèses Benoît XVI 40412