Catéchèses S. J-Paul II 11479

Mercredi Saint 11 avril 1979 ETRE SOLIDAIRES AVEC LE CHRIST SOUFFRANT

11479 1. Pendant le Carême en se référant aux paroles du Christ, à l’enseignement des prophètes de l’Ancien Testament et à sa Tradition multiséculaire, l’Église nous exhorte à une solidarité particulière avec tous ceux qui souffrent, avec tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, connaissent la pauvreté, la misère l’injustice, la persécution. Nous en avons parlé mercredi dernier en poursuivant nos réflexions de Carême sur le sens actuel de la pénitence qui s’exprime par la prière, le jeûne et l’aumône. L’exhortation à la solidarité, au nom du Christ, avec toutes les tribulations et les nécessités de nos frères — et pas seulement ceux qui sont à portée de notre main ou de notre regard, mais avec tous, jusqu’à ces corps et ces âmes qui crient leur souffrance — est comme l’essence même de la façon dont est vécu spirituellement le Carême dans l’Église. La dernière semaine de Carême — après cette préparation (et seulement après elle) — l’Église nous exhorte à une solidarité particulière et exceptionnelle avec le Christ souffrant. Certes, la conscience de la passion du Christ nous a accompagnés tout au long des semaines de Carême, mais c’est seulement cette semaine qui, au sens plénier du mot, est la semaine de la passion du Seigneur. C’est la Semaine sainte. C’est au moment où arrive la fin du Carême que nous sommes appelés à une solidarité particulière et exceptionnelle avec le Christ souffrant ; au moment où a déjà mûri en nous l’attitude de conversion spirituelle, et spécialement l’esprit de solidarité avec tous nos frères qui souffrent. Cela correspond à la logique de la Révélation : l’amour de Dieu est le premier et le plus grand commandement, mais il ne peut s’accomplir en dehors de l’amour de l’homme. Il ne s’accomplit pas sans lui.

2. En même temps, les impulsions les plus profondes et les plus puissantes de l’amour doivent jaillir de cette Semaine où nous sommes appelés à une solidarité particulière et exceptionnelle avec le Christ dans sa passion et sa mort sur la croix. « Dieu en effet a tant aimé le monde » — l’homme dans le monde — « qu’il a donné son Fils unique » (
Jn 3,16). Il l’a donné à la passion et à la mort. En contemplant cette révélation d’amour qui part de Dieu et va vers l’homme dans le monde, nous ne pouvons pas nous arrêter, mais nous devons prendre « le chemin du retour » : le chemin du coeur humain qui va vers Dieu, le chemin de l’amour. Le Carême — et surtout la Semaine sainte — doit être chaque année de notre vie dans l’Église un nouveau commencement de ce « chemin d’amour ». Le Carême, comme nous le voyons, s’identifie avec le point culminant de la révélation de l’amour de Dieu pour l’homme.

L’Église nous exhorte donc à nous tenir d’une façon tout à fait particulière et exceptionnelle auprès du Christ et de lui seul. Elle nous demande de nous efforcer comme saint Paul (au moins pendant cette semaine) de « ne rien savoir d’autre… que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié » (1Co 2,2). Cette exhortation, l’Église l’adresse à tous, non seulement à toute la communauté des croyants, à tous les disciples du Christ, mais aussi à tous les autres. Se tenir devant le Christ qui souffre, nous retrouver solidaires avec lui, voilà le devoir et le besoin de tout coeur humain, la preuve de la sensibilité humaine. C’est en cela que se manifeste la noblesse de l’homme. La Semaine sainte est donc le temps d’une plus grande ouverture de l’Église à l’humanité et en même temps le sommet de l’évangélisation. Par tout ce que l’Église pense et dit du Christ ces jours-là, par la façon dont elle vit sa passion et sa mort, par sa solidarité avec lui, elle revient, année après année, aux racines mêmes de son message de salut. Et si, pendant cette Semaine sainte, l’Église se tait plus qu’elle ne parle, c’est pour laisser parler davantage le Christ lui-même, ce Christ que le Pape Paul VI a appelé « le tout premier et le plus grand évangélisateur » (Evangelii nuntiandi EN 7).

3. L’évangélisation se fait avec l’aide de la parole. Et les paroles prononcées par le Christ pendant sa passion ont précisément une énorme force d’expression. On peut même dire qu’elles sont le lieu d’une rencontre particulière avec tout homme ; elles sont l’occasion et le motif de manifester une grande solidarité. Combien de fois ne revenons-nous pas au fil conducteur de la prière du Christ au jardin des Oliviers, tel que les évangélistes l’ont rapporté : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! » (Mt 26,39) Tout homme ne dit-il pas la même chose ? Tout homme n’a-t-il pas les mêmes sentiments dans la souffrance, la tribulation, devant la croix ?: « … Que cela s’éloigne de moi ! » Quelle profonde vérité humaine devant ces mots ! Le Christ, en vrai homme, a éprouvé de la répugnance devant la souffrance : « Il commença à ressentir tristesse et angoisse » (Mt 26,37) et il dit : « … Que cela s’éloigne de moi ! », que cela n’arrive pas, que cela ne m’arrive pas ! Il faut accepter toute l’expression humaine, toute la vérité humaine de ces paroles pour savoir les rattacher à celles du Christ : « … S’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! Pourtant non comme je veux, mais comme tu veux. » (Mt 26,39) Tout homme qui rencontre la souffrance se trouve devant un défi… S’agit-il là uniquement d’un tel défi ? Le Christ nous donne la réponse : « … Comme tu veux… » Il ne s’adresse pas à un sort, un « sort aveugle », il parle à Dieu, au Père. Parfois, cette réponse ne nous suffit pas parce qu’elle est non pas le dernier mot, mais le premier. Nous ne pouvons comprendre Gethsémani et le calvaire que dans le contexte de tout l’événement pascal, de tout le mystère.

4. Dans les paroles de la passion du Christ il y a une rencontre particulièrement intense de l’ « humain » avec le « divin ». Nous le voyons déjà dans les paroles de Gethsémani. Ensuite le Christ se taira plutôt. Il dira un mot à Judas, puis à ceux que Judas a conduits dans le jardin de Gethsémani pour l’arrêter, et aussi à Pierre. Devant le Sanhédrin, il ne se défend pas, il témoigne, de même devant Pilate. Mais devant Hérode, « il ne répondit rien » (Lc 23,9). Pendant le supplice, se vérifient les paroles d’Isaïe : « Il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent. » (Is 53,7) Ses dernières paroles tombent du haut de la croix. Elles s’expliquent dans leur ensemble par le cours de l’événement, par l’horrible supplice. Mais en même temps, malgré leur brièveté et leur concision, transparaît ce qu’il y a en elles de « divin » et de « salvifique ». Nous percevons le sens « salvifique » des paroles adressées à sa Mère, à saint Jean, au bon larron, et aussi de celles qui se réfèrent à ses bourreaux. Ses dernières paroles, qu’il adresse à son Père, sont bouleversantes. C’est le dernier écho et en même temps comme la suite de la prière de Gethsémani : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46) Ces paroles reprennent celles du psalmiste (cf. Ps Ps 21,1 [22], 1). À Gethsémani, il avait dit : « S’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi. » (Mt 26,39) Et maintenant, du haut de la croix, il confirme publiquement que le « calice » ne s’est pas éloigné de lui, qu’il doit le boire jusqu’à la lie. Telle est la volonté du Père. Et de fait, l’écho de la prière de Gethsémani, c’est : « Tout est consommé. » (Jn 19,30) Et enfin, ces seuls mots : « Père, entre tes mains je remets mon Esprit. » (Lc 23,46)

L’agonie du Christ. D’abord l’agonie morale de Gethsémani, puis l’agonie à la fois physique et morale de la croix. Personne n’a manifesté aussi profondément que le Christ le tourment humain de la mort, précisément parce qu’il était Fils de Dieu ; parce que l’ « humain » et le « divin » constituaient en lui une mystérieuse unité. C’est pourquoi ces paroles de la passion du Christ, si profondément humaines, resteront pour toujours une révélation de la « divinité » qui, dans le Christ, s’est alliée à l’humanité, dans la plénitude de l’unité personnelle. On peut dire : la mort de Dieu-homme était nécessaire pour que nous, qui sommes les héritiers du péché originel nous voyions ce qu’il y a de dramatique dans la mort d’un homme.

En cette Semaine sainte, nous devons parvenir à une solidarité particulière avec le Christ souffrant, crucifié et agonisant, pour retrouver dans notre vie la proximité de ce qui est « divin » et de ce qui « humain ». Dieu a décidé de nous parler le langage de l’amour qui est plus fort que la mort. Accueillons ce message.



Mercredi de Pâques 18 avril 1979 L'OCTAVE PASCALE EST LE JOUR DE L'EGLISE

18479
1. « Haec dies quam fecit Dominus. »

Toutes ces journées entre le dimanche de Pâques et le dimanche « in albis », le deuxième après Pâques, ne font en un certain sens qu’un seul jour. La liturgie se concentre sur un seul événement, sur l’unique mystère. « Il est ressuscité, il n’est pas ici. » (
Mc 16,6) Il a accompli la Pâque. Il a révélé le sens du Passage. Il a confirmé la vérité de ses paroles. Il a dit le dernier mot de son message: message de la Bonne Nouvelle, de l’Evangile. Dieu lui-même, qui est Père, c’est-à-dire auteur de la vie, qui ne veut pas la mort (cf. Ez Ez 18,23-32) et qui « a créé tous les êtres pour qu’ils subsistent » (Sg 1,14), a manifesté jusqu’au bout son amour en lui et par lui. L’amour signifie la vie.

La résurrection est le témoignage définitif de la vie, c’est-à-dire de l’amour. « Mors et vita duello conflixerunt mirando. Dux vitae mortuus regnat vivus. » (« La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne. » (Séquence.) «

Voici le jour que fit le Seigneur » (Ps 117,24 [118], 24) : « Excelsior cunctis, lucidior universis, in quo Dominus resurrexit, in quo sibi novarn plebem… regenerationis spiritu conquisivit, in quo singulorum mentes gaudio et exsultatione perfudit. « Ce jour plus sublime que tous, plus lumineux que tous, où le Seigneur est ressuscité, où il s’est acquis un nouveau peuple… par l’esprit de régénération, où il a rempli de joie et d’allégresse les esprits de tous. » (Saint Augustin Sermo 168, In Pascha X, 1 ; PL 39, 2070.)

Cet unique jour correspond d’une certaine manière aux sept jours dont parle le livre de la Genèse et qui étaient les jours de la création (cf. Gn Gn 1-2). C’est pourquoi nous les célébrons tous en cet unique jour. En ces jours de l’octave, nous célébrons le mystère de la nouvelle création. Ce mystère s’exprime dans la personne du Christ ressuscité. Il est lui-même ce mystère. Il nous l’annonce et il nous y invite. C’est le levain. En vertu de cette invitation et de ce levain, nous devenons tous en Jésus-Christ la « nouvelle créature ».

« Célébrons donc la fête non pas avec de vieux ferments… mais avec du pain non fermenté : la droiture et la vérité. » (1Co 5,8)

2. Après sa résurrection, le Christ revient là d’où il était parti pour marcher vers sa passion et sa mort. Il revient au Cénacle où étaient les apôtres. Il entra alors que les portes étaient fermées, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : « La paix soit avec vous… De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie… Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » (Jn 20,19-23)

Combien elles sont significatives ces premières paroles prononcées par Jésus après sa résurrection ! Elles renferment le message du Ressuscité. Lorsqu’il dit: « Recevez l’Esprit-Saint », on pense au discours d’adieu prononcé par Jésus dans ce même Cénacle. Il avait alors dit ces paroles pleines du mystère de son coeur : « C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. » (Jn 16,7). En disant cela, il pensait à l’Esprit-Saint.

Et voilà qu’après avoir accompli son sacrifice après son « départ » par la croix, il revient au Cénacle pour leur apporter Celui qu’il leur avait promis. Nous lisons dans l’Évangile : « Il répandit sur eux son souffle et il leur dit : recevez l’Esprit-Saint. » (Jn 20,22) Il profère dans sa maturité la parole de sa Pâque. Il leur apporte le don de la passion et le fruit de la résurrection. Il les restaure par ce don. Il leur donne le pouvoir d’éveiller les autres à la vie, même si cette vie est morte en eux : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis. » (Jn 20,23)

Cinquante jours s’écouleront entre la résurrection et la Pentecôte. Mais, déjà, en cet unique jour que fit le Seigneur (cf. Ps Ps 117,24 [118], 24) sont réunis le don essentiel et le fruit de la Pentecôte. Lorsque le Christ dit : « Recevez l’Esprit- Saint », il annonce jusqu’à la fin son mystère pascal.

« Hoc autem est mysticum et secretissimum, quod nemo novit nisi qui accipit, nec accipit nisi qui desiderat, nec desiderat nisi quem ignis Spiritus Sancti medullitus inflammat, quem Christus misit in terram. » (« C’est une chose mystérieuse et très secrète que personne ne connaît, sinon celui qui la reçoit, que personne ne reçoit sinon celui qui la désire, que personne ne désire sinon celui qui, jusqu’au fond du coeur, est embrasé du feu de l’Esprit-Saint envoyé par le Christ sur la terre. » (Saint Bonaventura, « Itinerarium mentis in Deum », ch. 7, 4 : « Opera omnia », ed. min. Quaracchi, 5, p. 213.)

3. Le deuxième Concile du Vatican a de nouveau fait briller le mystère pascal dans le pèlerinage terrestre du Peuple de Dieu. Il en a tiré dans sa plénitude l’image de l’Église qui, toujours, plonge ses racines dans ce mystère de salut et y puise sa sève vitale. « Le Fils de Dieu, dans la nature humaine qu’il s’est unie, a racheté l’homme en triomphant de la mort par sa mort et sa résurrection, et il l’a transformé en une créature nouvelle (cf. Ga Ga 6,15 2Co 5,17). En effet, en communiquant son Esprit à ses frères qu’il rassemblait de toutes les nations, il a fait d’eux mystiquement comme son Corps. Dans ce Corps, la vie du Christ se répand dans les croyants que les sacrements, d’une manière mystérieuse et réelle, unissent au Christ souffrant et glorifié. » (Const. dogm. Lumen gentium LG 7 Lumen gentium )

L’Église demeure constamment dans le mystère du Fils qui s’est accompli avec la venue de l’Esprit-Saint, le jour de la Pentecôte.

L’octave pascale est le jour de l’Église.

En vivant ce jour, nous devons en même temps accueillir les paroles qui ont résonné pour la première fois dans le Cénacle où est apparu le Ressuscité : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (Jn 20,21)

Accueillir le Christ ressuscité, c’est accueillir la mission, comme l’ont accueillie les apôtres réunis au Cénacle.

Croire au Christ ressuscité, c’est participer à la même mission de salut qu’il a accomplie par le mystère pascal. La foi est conviction de l’intelligence et du coeur.

Cette conviction prend tout son sens lorsque d’elle naît la participation à cette mission que le Christ a reçue de son Père.

Croire, c’est accepter, en conséquence, cette mission du Christ.

Parmi les apôtres, Thomas était absent lorsque le Christ ressuscité est venu pour la première fois au Cénacle. Il disait bien haut à ses frères : « Si je ne vois pas… je ne croirai pas. » (Jn 20,25) Le Christ ressuscité survenant ensuite, il a été convaincu, et alors, comme nous le savons, toutes ses réticences sont tombées et il a professé sa foi en disant : « Mon Seigneur et mon Dieu. » (Jn 20,28) En même temps qu’il faisait l’expérience du mystère pascal, il reconfirmait sa participation à la mission du Christ. Comme si, à huit jours de distance, s’adressaient aussi à lui ces paroles du Christ : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (Cf. Jn Jn 20,21 Jn )

Thomas était un témoin du Christ devenu mûr.

4. Le deuxième Concile du Vatican enseigne la doctrine de la mission du Peuple de Dieu tout entier, appelé à participer à la mission du Christ (cf. Const. dog. Lumen gentium LG 10-12). C’est la triple mission. Le Christ prêtre, prophète et roi, a exprimé jusqu’à la fin sa mission dans le mystère pascal, dans la résurrection.

Dans cette grande communauté de l’Église, du Peuple de Dieu, chacun de nous participe à cette mission par le sacrement du baptême. Chacun de nous est appelé à la foi en la résurrection, comme Thomas : « Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » (Jn 20,27)

Chacun de nous a le devoir de définir le sens de sa vie par cette foi. Cette vie a des formes très diverses. C’est nous-mêmes qui devons lui donner une forme déterminée. Et, précisément, notre foi fait qu’une certaine partie de la vie de chacun de nous est imprégnée de cette mission que Jésus-Christ notre Rédempteur a reçue de son Père et a partagée avec nous. La foi fait qu’une certaine partie du mystère pascal imprègne la vie de chacun de nous et lui communique un certain rayonnement.

Il faut que nous retrouvions ce rayonnement pour le vivre chaque jour pendant tout ce temps, qui commence de nouveau en ce jour que fit le Seigneur.

APPEL

Encore un mot pour vous inviter à la prière. Nous nous sommes réjouis ensemble de la victoire du Christ sur la mort, de la surabondance de grâce et de vie qu’il nous a communiquée.

Pâques est vraiment la fête de la joie et de la vie.

Cependant, nous ne pouvons pas oublier les épreuves, les tristesses que les peuples de certaines régions du monde connaissent, précisément en ces jours, avec des pertes en vies humaines, des souffrances et des privations de toutes sortes : cataclysmes soudains, comme le tremblement de terre qui a frappé le matin de Pâques de nombreux centres habités de Yougoslavie, l’Albanie ; ou bien aggravation des tensions politiques et sociales, des luttes armées, en Rhodésie, en Ouganda, au Nicaragua ; ou encore ces nouvelles flambées punitives, douloureuses séquelles de révolutions précédentes.

Je voudrais que la prière que nous adressons ensemble au Seigneur par l’intercession de Marie, reine du ciel, puisse implorer la paix pour les morts, le soulagement pour les blessés et les sans-abri, la protection pour les populations menacées d’incursions ou de représailles, l’humanité pour les prisonniers, la clémence pour les vaincus, le pardon et la réconciliation pour tous.



25 avril 1979 LA DIMENSION HUMAINE ET CHRETIENNE DE ROME

25479 C’est l’anniversaire de la fondation de Rome.

1. Il est très évocateur cet événement qui, il y a quelques jours, a été rappelé à la ville et au monde. Il est très évocateur aussi pour chaque homme, parce que l’homme est un « être historique ». Cela ne signifie pas seulement qu’il est soumis au temps, comme tous les êtres vivants de notre monde. L’homme est un être historique parce qu’il est capable d’insérer dans sa vie le temps, le transitoire, le passé et d’en faire une dimension particulière de son existence temporaire. Il en est ainsi dans les différents domaines de la vie humaine. Chacun de nous a sa propre histoire qui commence au jour de sa naissance. En même temps, chacun de nous, à travers l’histoire, fait partie de la communauté. L’appartenance de chacun de nous, en tant qu’ « être social », à un groupe ou à une société déterminée, s’opère toujours par l’histoire, dans une certaine dimension historique.

C’est ainsi que les familles, les nations ont aussi leur histoire. L’une des tâches de la famille est de se rattacher à l’histoire et à la culture de la nation, et en même temps de prolonger cette histoire dans l’éducation.

Lorsque nous parlons de l’anniversaire de la fondation de Rome, nous nous trouvons devant une réalité encore plus vaste. Ceux pour qui la Rome d’aujourd’hui est leur ville, leur capitale, ont certainement un droit et un devoir particuliers de se référer à cet événement, à cette date. Et puis, tous les Romains d’aujourd’hui savent parfaitement que ce qu’il y a d’exceptionnel dans cette ville, dans cette capitale, c’est qu’elle déborde leur propre histoire. Il faut ici remonter à un passé beaucoup plus lointain, non seulement jusqu’à l’ancien empire mais plus haut encore, jusqu’à la fondation de Rome.

Un immense patrimoine historique, différentes civilisations et cultures humaines, différentes transformations sociopolitiques nous séparent de cette date en même temps qu’ils nous y rattachent. Je dirai plus encore : la fondation de Rome ne marque pas seulement le commencement d’une succession de générations humaines qui ont habité cette ville et cette péninsule ; elle constitue aussi un commencement pour des nations et des peuples lointains qui ont conscience d’avoir un lien et une unité particulière avec la tradition culturelle latine dans ce qu’elle a de plus profond.

Moi aussi, bien que je vienne de la lointaine Pologne, je me sens lié par ma généalogie spirituelle à la fondation de Rome. Il en est de même pour toute la nation dont je suis originaire, ainsi que pour beaucoup d’autres nations de l’Europe d’aujourd’hui, et même au-delà.

2. L’anniversaire de la fondation de Rome est tout particulièrement évocateur pour nous qui croyons que l’histoire de l’homme sur la terre — l’histoire de toute l’humanité — a pris une nouvelle dimension avec le mystère de l’Incarnation. Dieu est entré dans l’histoire de l’homme en devenant homme. Telle est la vérité centrale de la foi chrétienne, qui est au coeur de l’Évangile et de la mission de l’Église. En entrant dans l’histoire de l’homme, en devenant homme, Dieu a fait de cette histoire, dans toute son extension, l’histoire du salut. Ce qui s’est accompli à Nazareth, à Bethléem et à Jérusalem est histoire et, en même temps, ferment d’histoire. Bien que l’histoire des hommes et des peuples ait suivi et continue à suivre des voies qui lui sont propres ; bien que l’histoire de Rome, alors au sommet de son antique splendeur, ait laissé passer inaperçues la naissance, la vie, la passion, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, cependant, ces événements du salut sont devenus un nouveau levain dans l’histoire de l’homme, particulièrement dans l’histoire de Rome. On peut dire qu’au moment de la naissance de Jésus, au moment où il est mort en croix et ressuscité, l’ancienne Rome, alors capitale du monde, a connu une nouvelle naissance. Ce n’est pas par hasard que nous la trouvons déjà si profondément insérée dans le Nouveau Testament. Saint Luc, qui compose son Évangile comme la marche de Jésus vers Jérusalem où s’accomplit le mystère pascal, fait de Rome, dans les Actes des apôtres, le point terminal des voyages apostoliques, où se manifestera le mystère de l’Église.

Le reste nous est bien connu. Les apôtres de l’Évangile, et en premier lieu Pierre de Galilée, puis Paul de Tarse sont venus à Rome et y ont implanté l’Église là aussi. C’est ainsi que, dans la capitale du monde antique, a commencé son existence le Siège des successeurs de Pierre, des évêques de Rome. C’est aux Romains que saint Paul avait adressé sa lettre magistrale avant de venir ici, et qu’Ignace, évêque d’Antioche, a adressé son testament spirituel à la veille de son martyre. Ce qui était chrétien s’est enraciné en ce qui était romain et, après s’être développé dans l’humus romain, a commencé à croître avec une nouvelle force. Avec le christianisme, ce qui était romain a commencé à vivre une nouvelle vie, sans cesser pour autant de demeurer authentiquement « indigène ».

Comme le dit très bien d’Arcy : « Il y a dans l’histoire une présence qui fait d’elle plus qu’une simple succession d’événements. Comme dans un palimpseste, le nouveau se superpose à ce qui a déjà été écrit en lettres indélébiles et en élargit indéfiniment le sens. » (M. C. d’Arcy, S. J., The Sense of History Secular and Sacred, Londres 1959, 275.) Rome doit au christianisme une nouvelle universalité de son histoire, de sa culture, de son patri moine. Cette universalité chrétienne ( « catholique ») de Rome se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Non seulement elle a derrière elle deux mille ans d’histoire, mais elle continue à se développer sans cesse : elle arrive à de nouveaux peuples, à de nouvelles terres. C’est pourquoi les gens de toutes les parties du monde affluent bien volontiers vers Rome pour se retrouver comme chez eux dans ce centre toujours vivant d’universalité.

3. Je n’oublierai jamais les années, les mois, les jours où je suis venu ici pour la première fois. En cet endroit de prédilection, celui où je revenais sans doute le plus souvent, il y avait l’antique Forum romain, si bien conservé aujourd’hui encore. Combien il était éloquent pour moi, à côté de cet autre forum, l’église de Santa-Maria-Antiqua, construite directement sur un ancien édifice romain.

Le christianisme est entré dans l’histoire de Rome non par la violence, la force militaire, la conquête ou l’invasion, mais par la force du témoignage, payé très cher par le sang des martyrs, pendant plus de trois siècles. Il est entré par la force du levain de l’Évangile qui en révélant à l’homme sa vocation ultime et sa dignité suprême en Jésus-Christ (cf. Lumen gentium
LG 40 Gaudium et spes GS 22), a commencé à agir au plus profond de l’âme pour ensuite imprégner les institutions humaines et toute la culture. C’est pourquoi cette seconde naissance de Rome est si authentique, si riche de vérité intérieure, de force et de rayonnement spirituels.

Romains de vieille souche, accueillez ce témoignage d’un homme qui est venu ici par la volonté du Christ pour y être votre évêque en cette fin du second millénaire. Accueillez ce témoignage et inscrivez-le dans votre magnifique patrimoine auquel nous participons tous. L’homme provient de l’histoire. Il est fils de l’histoire pour en devenir ensuite l’artisan responsable. Aussi, le patrimoine de cette histoire le concerne-t-il profondément. C’est un grand bien pour la vie de l’homme qui doit être rappelé non seulement à l’occasion des fêtes, mais chaque jour. Puisse ce bien toujours trouver sa juste place dans notre conscience et notre comportement ! Efforçons-nous d’être dignes de l’histoire dont témoignent ici les églises, les basiliques, et plus encore le Colisée et les Catacombes de la Rome antique.

Tels sont les voeux, chers Romains, que vous adresse, en l’anniversaire de la fondation de Rome, votre évêque que vous avez accueilli d’un coeur si ouvert, il y a six mois, comme le Successeur de saint Pierre, comme le témoin de cette mission universelle que la divine Providence a inscrite dans le livre de l’histoire de la Ville éternelle.

Au Conseil international de la catéchèse

Je voudrais adresser un mot spécial aux membres du Conseil international de la catéchèse — évêques, prêtres, religieuses et experts laïcs — qui se sont réunis ces jours-ci à Rome pour étudier l’importante question de « la formation des catéchistes » et qui, avec les supérieurs et certains membres de la Congrégation du Clergé, organisatrice de la rencontre, sont venus ici pour exprimer au Pape leur communion ecclésiale. Je vous remercie, chers frères, de votre importante présence et, plus encore, de votre volonté effective de procéder à l’ « aggiornamento » du grave et délicat domaine de la catéchèse, qui constitue certainement la tâche principale de la mission de l’Église. Le thème que vous avez choisi est trop vaste et important pour que je puisse le développer ici. Je me limiterai à une brève et simple exhortation.

J’estime que dans la formation du catéchiste, au-delà de tous les problèmes concernant la méthode et le contenu de l’enseignement, deux choses sont nécessaires : la probité de vie et la sincérité de la foi chrétienne. La préparation culturelle et l’art pédagogique ne suffisent pas pour rendre les vérités révélées accessibles à la mentalité de l’homme d’aujourd’hui. Ils sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas : il faut que le catéchiste ait une âme, qu’il vive et rende vivant tout ce qu’il enseigne. À ce propos je voudrais vous laisser, pour que vous vous en inspiriez, quelques paroles de saint Bonaventure de Bagnoreggio qui, dans son Itinerarium mentis in Deum, disait aux enseignants de son temps, en un style lapidaire et limpide : « Que personne ne croie que puisse suffire l’enseignement sans le rayonnement, la spéculation sans la dévotion, l’investigation sans l’admiration, la circonspection sans l’exultation, l’activité sans la piété, la science sans la charité, l’intelligence sans l’humilité, l’étude sans la grâce divine, le brillant sans la sagesse inspirée par Dieu. » (Itinerarium mentis in Deum, Introduction, 4.)

Tout cela, naturellement, exige du catéchiste un grand amour de Jésus-Christ, notre maître. Il doit être disponible devant lui et se mettre à son écoute ; il doit marcher quotidiennement à sa suite pour pouvoir apprendre comment il parlait aux enfants, aux jeunes, aux savants et aux ignorants dans sa catéchèse continuelle.

Voilà, chers frères, les brèves pensées dont je voulais vous faire part. Que l’Esprit-Saint vous soutienne dans votre travail; que la très Sainte Vierge, Siège de la Sagesse, vous encourage dans vos difficultés. Je donne ma paternelle bénédiction à vous et à tous ceux qui, à divers titres, travaillent dans le délicat domaine de la catéchèse.




2 mai 1979 MARIE EST UNE PRESENCE MATERNELLE

20579 1. « Reine du ciel, réjouis-toi, Alléluia !
Car le Seigneur que tu as mérité de porter Alléluia !
Est ressuscité comme il l’a dit, Alléluia !
Prie Dieu pour nous, Alléluia ! »

Je désire consacrer l’audience générale d’aujourd’hui d’une façon particulière à la Mère du Christ ressuscité. Le temps pascal nous permet de nous adresser à elle avec les paroles de joie très pure par lesquelles l’Église la salue. Le mois de mai commencé hier, nous encourage à penser à elle et à en parler d’une façon particulière. C’est en effet son mois. Le temps de l’Année liturgique et ce mois de mai nous invitent donc à ouvrir nos coeurs à Marie d’une façon toute spéciale.

2. Avec son antienne pascale Regina Caeli, l’Église parle à la Mère, à Celle qui eut le bonheur de porter dans son sein, sous son coeur et plus tard entre ses bras, le Fils de Dieu, notre Sauveur. Elle l’a reçu pour la dernière fois entre ses bras sur le Calvaire, lorsqu’on l’a descendu de la croix. Sous ses yeux, on l’a mis dans le linceul et on l’a porté au tombeau, sous ses yeux de Mère. Et le troisième jour, le tombeau fut trouvé vide. Mais elle ne fut pas la première à le constater. Il y eut auparavant les « trois Marie » particulièrement Marie de Magdala, la pécheresse convertie. Les apôtres, prévenus par les femmes, sont venus ensuite le vérifier. Et même si les évangiles ne nous disent rien de la visite de la Mère du Christ au lieu de la résurrection, tous cependant nous pensons qu’elle dut, en quelque manière, y être présente en premier. Elle devait être la première à participer au mystère de la Résurrection, parce que c’était son droit de Mère.

La liturgie de l’Église respecte ce droit de Mère lorsqu’elle lui adresse cette invitation particulière à la joie de la Résurrection : « Réjouis-toi…, il est ressuscité comme il l’a dit. » Et l’antienne ajoute tout de suite cette demande d’intercession : « Prie Dieu pour nous ! » La révélation de la puissance divine du Christ par la Résurrection est en même temps révélation de « la toute-puissance d’intercession (omnipotentia supplex)de Marie auprès de son Fils.

3. L’Église de tous les temps, dès le Cénacle de la Pentecôte entoure toujours Marie d’une vénération particulière, et elle s’adresse à elle avec une confiance particulière.

Au IIe Concile du Vatican, l’Église d’aujourd’hui a fait une synthèse de tout ce qui s’est développé pendant des générations. Le chapitre 8 de la Constitution dogmatique Lumen gentium est en un certain sens une « grande charte » de la mariologie pour notre temps : Marie présente d’une façon particulière dans le mystère du Christ et dans le mystère de l’Église, Marie « Mère de l’Église », comme avait commencé à l’appeler Paul VI (dans le Credo du Peuple de Dieu) qui lui a consacré par la suite un document spécial (Marialis cultus).

Cette présence de Marie dans le mystère de l’Église, c’est-à-dire en même temps dans la vie quotidienne du Peuple de Dieu dans le monde entier, est surtout une présence maternelle. Marie donne pour ainsi dire à l’oeuvre de salut de son Fils et à la mission de l’Église une forme originale : la forme maternelle. Tout ce que les mots humains peuvent dire du « génie » propre de la femme-mère — le génie du coeur — se réfère à elle.

Marie est toujours le plus complet accomplissement du mystère du salut — de l’Immaculée-Conception à l’Assomption — et elle est continuellement une préannonce très efficace de ce mystère. Elle révèle le salut, elle apporte la grâce même à ceux qui semblent les plus indifférents et les plus éloignés. Dans le monde, qui à côté de son progrès, manifeste sa « corruption » et son « vieillissement », elle ne cesse d’être « le commencement d’un monde meilleur » (origo mundi melioris), selon l’expression de Paul VI.

« À l’homme d’aujourd’hui, écrivait-il, la Vierge Marie… offre une vision sereine et une parole rassurante : la victoire de l’espérance sur l’angoisse, de la communion sur la solitude, de la paix sur le trouble, de la joie et de la beauté sur le dégoût et la nausée… de la vie sur la mort. » (Paul VI, Exhortation apostolique Pour le bon ordonnancement et le développement du culte envers la Bienheureuse Vierge Marie, 57 : AAS 66, 1974, 166.)

4. C’est vers elle, qui est la Mère du bel amour, que je voudrais acheminer spécialement les jeunes du monde entier et de toute l’Église. Elle porte en elle un signe indestructible de jeunesse et de beauté qui ne passera jamais. Je prie pour que les jeunes aillent vers elle, qu’ils aient confiance en elle, qu’ils lui confient la vie qui est devant eux, qu’ils lui apportent le simple et chaleureux amour de leurs coeurs. Elle seule peut répondre excellemment à cet amour : « Si tu la suis, tu ne dévies pas; si tu la pries, tu ne désespères pas ; si tu penses à elle, tu n’erres pas… ; si elle t’aide, tu arrives… » (St Bernard, Homilia II super Missus est, XVI ; PL 183, 71.)

À Marie, qui est Mère de la grâce divine, je confie les vocations sacerdotales et religieuses. Que le nouveau printemps des vocations, que leur nouvelle augmentation dans toute l’Église deviennent une preuve particulière de sa présence maternelle dans le mystère du Christ aujourd’hui et dans le mystère de son Église sur toute la terre. Seule Marie est une incarnation vivante de ce don total et complet à Dieu, au Christ, à son action de salut, qui doit trouver sa juste expression dans toute vocation sacerdotale et religieuse. Marie est l’expression la plus complète de la parfaite fidélité à l’Esprit-Saint et à son action intérieure ; elle est l’expression de la fidélité qui signifie coopération persévérante à la grâce de la vocation.

Dimanche prochain, dans toute l’Église, on priera pour les vocations sacerdotales et religieuses, masculines et féminines. C’est le dimanche des Vocations. Qu’elle donne une moisson abondante, par l’intercession de la Mère de la grâce divine.

5. Je consacre le monde entier, toutes les nations de la terre, tous les hommes à la Mère du Christ parce qu’elle est leur Mère à tous. Je lui consacre spécialement ceux pour qui la vie est plus difficile, plus dure, ceux qui souffrent physiquement ou spirituellement, qui vivent dans la misère, qui subissent des injustices ou des torts.

Cependant, au terme de cette méditation de mai, je voudrais vénérer Marie de Jasna Gora (Clermont), à Czestochowa et dans toute ma patrie. J’y allais chaque année en pèlerinage le 3 mai, qui est la fête de la Reine de Pologne. Chaque année, j’y ai célébré une messe solennelle au cours de laquelle le cardinal Wyszynski, primat de Pologne, en présence de l’Épiscopat et de l’immense foule des pèlerins, renouvelait l’acte de consécration de la Pologne en « maternel abandon » à Notre-Dame. Cette année encore, si Dieu le permet, j’irai à Jasna Gora les 4 et 5 juin. Mais demain, j’y serai de coeur et d’esprit pour dire avec toute l’Église, avec vous tous qui êtes ici réunis aujourd’hui sur cette splendide place Saint-Pierre : « Regina caeli laetare, Alleluia ! »






Catéchèses S. J-Paul II 11479