Premières Catéchèses S. J-Paul II 1978-79 16579

23 mai 1979 « MOI AUSSI, JE VOUS ENVOIE »

Voici que s'achève la période de quarante jours qui sépare la fête de Pâques de la fête de l’Ascension. L'ascension marque le détachement définitif de Jésus de ses Apôtres et de ses disciples. A un moment si important, le Christ leur confie la mission qu'il avait reçue du Père et qu'il a lui-même commencé de réaliser : Comme le Père m'a envoyé, à mon tour, je vous envoie, leur avait-il dit à sa première rencontre avec eux après sa résurrection. En ce moment, ils se trouvaient en Galilée, comme l'atteste l’évangéliste saint Matthieu : Les onze disciples se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes. Jésus s'approcha d'eux et leur dit ces paroles : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et fur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps. (Mt 28,16-20).

Ces paroles contiennent ce qu'on appelle le mandat missionnaire. Les obligations que le Christ transmet à ses Apôtres marquent la nature missionnaire de l'Église. Le concile Vatican II affirme avec force certes vérité : L'Église, durant son pèlerinage, sur terre, est missionnaire, puisqu'elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père (Décret sur l'activité missionnaire de l'Église, n° 2). De ce fait, l'Église est toujours en état de mission, et elle est toujours en route comme le reflète les forces intérieures de la foi et de l'espérance qui animent les apôtres, les disciples et les confesseurs du Christ Seigneur tout au fil des siècles. En ces lieux, affirmait saint François Xavier, en ces lieux (de l'Asie) beaucoup ne deviennent pas chrétiens seulement parce que manquent les hommes qui fassent d'eux des chrétiens. Souvent me vient l'idée de quitter ces lieux pour aller crier dans les universités d'Europe... et aussi de parler aux professeurs qui semblent avoir plus de science que de piété : « Oh ! Qu'il est grand le nombre des âmes exclues du ciel par votre faute !... »

Beaucoup d'entre eux devraient prendre l'habitude d'écouter ce que le Seigneur leur dit. Alors, ils s'écrieraient avec enthousiasme : Me voici Seigneur ; que voulez-vous que je fasse ? (Cinquième lettre de saint François Xavier à saint Ignace).



L'Église doit renouveler sa conscience missionnaire

Il faut relire les textes du concile Vatican II. L'Église doit renouveler sa conscience missionnaire. Une étude approfondie de ces textes portera à beaucoup de nouvelles applications dans les activités pastorales.

Ceux que le Christ a envoyés tout au cours des siècles — depuis la Pentecôte jusqu'à nos jours — portent un témoignage qui est la première source et le contenu essentiel de l'évangélisation : Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous, vous serez alors mes témoins à Jérusalem ; dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. Ils sont chargés d'enseigner en témoignant. L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins. (Discours du 2 octobre 1974 au Conseil des laïcs, voir aussi Evangelii nuntiandi, n° 41).

En lisant les Actes des Apôtres et les Épîtres du Nouveau Testament, nous constatons la fidélité de ceux qui exécutaient les ordres reçus du Christ. Ils incarnèrent dans leur vie les consignes du Christ. Saint Jean Chrysostome dit : Si le levain, mêlé à la farine, ne transforme pas toute la masse, peut-on dire que d'est du vrai levain ? N'allez pas dire que vous ne pouvez pas entraîner les autres en effet, si vous êtes des chrétiens authentiques, il est impossible que vous n'entraîniez pas les autres (Homélies sur les Actes des Apôtres, XX, 4 ; PG 60, 163).

L'évangélisateur n'est pas avant tout un professeur. C'est un messager. Cet évangélisateur se comporte comme un homme à qui a été confié un grand mystère. Et en même temps, il se comporte comme l'homme qui a découvert un grand trésor, comme le trésor enfoui dans un champ dont parle l'Évangile (cf. Mt Mt 13,44). Il sent un besoin urgent de transmettre le message qui lui a été confié. Plus encore qu'un besoin, il sent un devoir d'évangéliser, dans la ligne du magnifique urget de saint Paul (cf. 2Co 5,15) : L'amour du Christ nous pousse…

Nous tous nous pouvons redécouvrir cette physionomie intérieure en lisant et en relisant les Épîtres de Pierre, Paul, Jacques et d'autres encore. Ces écrits-nous permettent de mieux connaître les Douze. L'Église est née, en état de mission dans des hommes bien vivants ?

La présence du Christ dans l'Église ainsi que celle du Saint-Esprit, nous donnent la certitude que les vocations missionnaires ne manqueront jamais. Ils sont, en effet, marqués d'une vocation spéciale veux qui sont prêts à assumer l'oeuvre missionnaire, qu'ils soient autochtones ou étrangers, prêtres, religieux, laïcs.

La floraison actuelle des vocations missionnaires est aussi un indice de l'esprit missionnaire dans l'Église. Sur la vocation missionnaire générale de la communauté chrétienne vient germer une vocation missionnaire spéciale. La vocation atteint toujours l'homme à travers une communauté, elle n'est pas un fait isolé.



« De toutes les nations, faites des disciples ! »

L'Esprit-Saint, qui inspire la vocation d'un homme ou d'une femme, est aussi celui qui suscite au sein de l'Église les institutions qui s'engagent dans l'oeuvre missionnaire de l'Église. Les ordres religieux, congrégations, instituts missionnaires ont, tout au fil des siècles, représenté et vécu la vocation missionnaire de l'Église, et ils continuent de le faire.

A ces institutions, l'Église redit sa confiance, elle confirme le mandat qu'elle leur a donné, et elle salue avec joie et espérance les nouvelles institutions qui surgissent dans les terres de missions. Mais à leur tour ces institutions, expression de l'esprit missionnaire des églises locales où elle déploient leurs activités, entendent se vouer à la formation d'authentiques missionnaires. Le nombre des missionnaires ne doit pas diminuer, il doit au contraire augmenter pour mieux répondre aux nécessités des temps, qui ne sont plus lointaines, où les peuples s'ouvriront au Christ et à son évangile de vie.

En outre, l'Église attend et prépare une nouvelle époque missionnaire : les Églises locales, anciennes et nouvelles, envoient leurs propres membres dans les pays de missions.

La mission évangélisatrice qui concerne l'Église tout entière, est de mieux en mieux saisie comme une obligation qui touche les Églises locales. Aussi donnent-elles des prêtres, des religieux et religieuses, ainsi que les laïques aux pays de missions. Paul VI l'a bien mis en relief : Evangélisatrice, l'Église commence par s'évangéliser elle-même... En un mot, elle a toujours besoin d'être évangélisée, si elle veut garder la fraîcheur, l'élan et la force pour annoncer l'Évangile.

Que conclure de tout cela ? C'est que les églises doivent bien réfléchir à leur vocation missionnaire, en s'inspirant des mots de saint Paul : Malheur à moi, si je n'annonce pas l'Évangile ! (1Co 9,16).

Le premier dimanche de mai était consacré à la prière pour les vocations. Nous avons étendu cette prière sur le mois de mai tout entier, en recommandant ce problème à Marie, qui est la Mère de Jésus et aussi la Mère de l'Église.

En nous préparant maintenant à là solennité de la Pentecôte, nous aimerions exprimer dans notre prière le caractère missionnaire de l'Église. Puisse la grâce de la vocation missionnaire, donnée à l'Église des temps apostoliques jusqu'à nos jours résonner avec une force nouvelle de foi et d'espérance : Allez… allez donc : de toutes les nations, faites des disciples ! (Mt 28,19).






29 mai 1979 « ET TOUS FURENT REMPLIS D'ESPRIT SAINT »

29579
Nous lisons aux premières lignes des Actes des Apôtres qu'après sa Passion et sa Résurrection, Jésus s'était montré vivant... avec de nombreuses preuves, et pendant quarante jours il leur était apparu et les avait entretenus du royaume de Dieu. (
Ac 1,3). Alors, il leur annonça que sous peu de jours, ils seraient baptisés par l'Esprit-Saint (Ac 1,5) et avant la séparation définitive, comme remarque l'auteur des Actes des Apôtres, saint Luc, mais cette fois dans son évangile, il leur commanda : ... Demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en-haut (Lc 24,29). Après l'Ascension de Jésus au ciel, les Apôtres s'en retournèrent donc à Jérusalem (Lc 24,52) où, comme racontent les Actes des Apôtres, ils étaient tous, d'un même coeur, assidus à la prière avec quelques femmes dont Marie, Mère de Jésus (Ac 1,14). Le lieu de cette prière commune, explicitement recommandée par le Maître, était le temple de Jérusalem comme le dit le dernier passage de l'Evangile de saint Luc (Lc 24,53). Mais, c'était aussi le Cénacle, tel que le font comprendre les Actes des Apôtres.

Le Seigneur Jésus leur avait dit : Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit-Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux confins de la terre (Ac 1,8). Chaque année, l'Église célèbre dans sa liturgie l'Ascension du Seigneur le quarantième jour après Pâques. Chaque année, elle passe en prière les dix jours qui séparent l'Ascension de la Pentecôte. En un certain sens, l'Église se prépare chaque année à cet anniversaire.

Comme l'enseignent les Pères, l'Église est née sur la croix le Vendredi Saint, elle a révélé au monde sa naissance le jour de la Pentecôte quand les Apôtres ont été revêtus de la force d'en-haut (Lc 24,49) ; Quand ils ont été baptisés dans l'Esprit-Saint (Ac 1,5) ubi enim ecclesia, ibi et spiritus Dei ; et ubi spiritus Dei, illic ecclesia et omnis gratia: spiritus autem veritas (Là où est l'Église, là est l'Esprit de Dieu ; et là où est l'Esprit de Dieu, là est l'Église et toute grâce : l'Esprit est vérité) (Saint Ireneus, Adversus haereses, III, 24, 1 ; 7, 966).



Neuvaine à l'Esprit-Saint

Essayons de persévérer dans ce rythme de l'Église. Ces jours-ci, elle nous invite à participer à la neuvaine à l'Esprit-Saint. On peut dire, que parmi les neuvaines, celle à l'Esprit-Saint est la plus ancienne ; elle naît, en un certain sens, de l'institution du Christ et le Seigneur Jésus n'a pas indiqué les prières qu'il nous faut réciter en ces jours, mais il a recommandé aux Apôtres de passer ces journées en prière dans l'attente de la venue de l'Esprit-Saint. Cette recommandation est toujours valable. Et les dix jours qui suivent l'ascension du Seigneur renferment, chaque année, le même appel du maître, le même mystère de la grâce lié au rythme du temps liturgique.

Il faut tirer profit de ce temps. Essayons de nous recueillir et d'entrer au Cénacle avec Marie et les Apôtres, en préparant notre âme à accueillir l'Esprit-Saint et son action. Tout cela est très important pour la maturité intérieure de notre foi, de notre vocation chrétienne, pour l'Église-communauté : que chaque communauté dans l'Église et l'Église tout entière, communauté des communautés, grandissent, chaque année, grâce au don de la Pentecôte.

Le souffle vivifiant de l'Esprit est venu réveiller les énergies et les charismes endormis de l'Église et donner ce sens de vitalité et de joie qui, à chaque époque de l'histoire, présente une Église jeune et actuelle, prête et heureuse d'annoncer son éternel message (Paul VI, Discours aux cardinaux, 21 D).



Viens, Esprit-Saint !

Cette année aussi, il faut nous préparer à accueillir ce don : participons à la prière de l'Église... Il est impossible d'entendre l'Esprit sans écouter ce qu'il dit à l'Église (H. de Lubac, Méditations sur l'Église, Paris 1973, Aubier 168).

Prions aussi tout seuls. Il est une lumière particulière qui résonnera de toute sa force dans la liturgie de la Pentecôte. Nous pouvons la réciter souvent, en ce temps d'atteinte :

Viens, Esprit-Saint, en nos coeurs

et envoie du haut du ciel

un rayon de ta lumière.

Viens en nous, Père de pauvres,

Viens, dispensateur des dons,

Viens, lumière de nos coeurs.

Hôte très doux de nos âmes,

adoucissante fraîcheur,

dans le labeur, le repos,

dans la fièvre, la fraîcheur,

dans les pleurs, le réconfort.

Lave ce qui est souillé,

baigne ce qui est aride,

guéris ce qui est blessé.

Assouplis ce qui est raide,

réchauffe ce qui est froid,

rend droit ce qui est faussé.

Peut-être reviendrons-nous sur cette magnifique prière et essaierons-nous de la commenter.

Aujourd'hui, nous ne rappellerons que quelques paroles et quelques phrases.

En ces jours, adressons donc nos prières à l'Esprit-Saint Prions pour ses dons. Prions pour la transformation de nos âmes.

Prions pour avoir le courage de confesser notre foi, pour la cohérence entre la vie et la foi. Prions pour l'Église afin qu'elle accomplisse sa mission dans l'Esprit-Saint, afin qu'elle soit accompagnée des conseils et de l'Esprit, de l'Époux et de son Dieu (Saint Bernardus, In vigilia nativitatis domine, sermo 3 n° l : PL 183, 941). Prions, pour l'unité de tous les chrétiens. Pour l'unité dans l'accomplissement de la même mission.



Allez et enseignez

Le récit de l’instant où les Apôtres réunis au Cénacle ont reçu l'Esprit-Saint est lié tout particulièrement à la révélation des langues. Lisons : Tout à coup vint du ciel un bruit tel que celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ; elles se divisaient et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent alors remplis de l’Esprit-Saint et commencèrent à parler en d'autres langues selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer (Ac 2,2-4).

L'événement qui se produisit au Cénacle ne passa pas inaperçu au dehors parmi les gens de Jérusalem et c'étaient des Juifs de différentes nations. ... La foule s'assembla et fut bouleversée car chacun les entendait parler sa propre langue (Ac 2,6). Et ceux qui s'émerveillaient en entendant parler leur propre langue sont par la suite cités dans le récit des Actes des Apôtres : Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du pont et d'Ave, de Phrygie et de Pamphylie, d'Egypte et de cette partie de la Lybie proche de Cyrène, Romains en séjour ici, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes (Ac 2,9-11). Tous entendaient, le jour de la Pentecôte, les Apôtres — qui étaient de Galilée — parler dans leurs propres langues et annoncer les merveilles de Dieu (Cf. Ac Ac 2,11).

Ainsi, le jour de la Pentecôte contient l'annonce visible de la réalisation du mandat du Christ : Allez... et enseignez toutes les nations... (Mt 28,19). Par la révélation des langues, nous voyons déjà que l'Église, en accomplissant cette mission, naît et vit dans toutes les nations de la terre. Dans quelques jours, à l'occasion du Jubilé de saint Stanislas, j'aurai la chance d'aller en Pologne, ma patrie. Et j'y célébrerai la Pentecôte, la fête de la venue de l'Esprit-Saint. J'ai déjà remercié plusieurs fois l'épiscopat et les autorités polonaises de leur invitation. Aujourd'hui, je tiens à les remercier à nouveau. Et dans cette attente, je veux dire toute ma joie parce qu'à cette révélation des langues, le jour de la Pentecôte, se sont ajoutées, au cours des siècles, les langues slaves, de la Macédoine, en passant par la Bulgarie, la Croatie, la Slovénie, la Bohême, la Slovaquie, la Lusace, à l'Occident. Et en Orient : Rus (appelée aujourd'hui Ukraine), Russie et Biélorussie. Je veux dire toute ma joie parce qu'à la révélation des langues le jour de la Pentecôte s'est ajoutée celle de ma nation : la langue polonaise. Et puisque j'aurai la possibilité de visiter ma patrie, à la Pentecôte, je veux rendre grâces parce que l'Évangile est annoncé depuis des siècles dans toutes ces langues et dans ma langue nationale. Et en même temps, je veux servir cette grande cause de notre époque : pour que les grandes oeuvres de Dieu continuent d'être annoncées dans la foi et avec courage, comme les graines de l'espérance et de l'amour que, par le don de la Pentecôte, le Christ a semées en nous.






13 juin 1979 L'EUCHARISTIE EST LE SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST

13679
« Pange, lingua,  gloriosi

Corporis mysterium

Sanguinisque pretiosi... »

(St Thomas, Hymne des Premières Vêpres de la Fête-Dieu, fête solennelle des Très Saints Corps et Sang du Christ).

Voici venir le jour — en fait, pratiquement commencé — où, par sa liturgie solennelle l’Église parlera pour vénérer le mystère dont elle vit chaque jour : l’Eucharistie. Le fondement, et simultanément, le point culminant de la vie de l'Église (cf. Const. sur la S. Liturgie : Sacrosanctum Concilium,
SC 10). Sa fête incessante et, en même temps, sa « Sainte quotidienneté ».

Chaque année, le Jeudi Saint, début du saint Triduum, nous rassemble au Cénacle où nous commémorons la Dernière Cène. Et ce jour serait certainement le plus adapté pour méditer avec vénération tout ce que l'Eucharistie, le Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, constitue pour l'Église. Il s'est toutefois révélé au cours de l'histoire que ce seul jour, ce jour le plus adapté, ne suffisait pas. En outre, il est organiquement inséré dans l'ensemble de la commémoration pascale ; et toute la Passion, la Mort, la Résurrection occupent alors nos esprits et nos coeurs. Il ne nous est donc pas possible à ce moment de dire de l'Eucharistie tout ce dont notre coeur déborde. C'est pourquoi, dès le moyen âge, et précisément en 1264, le besoin d'adoration simultanément liturgique et publique du Très Saint Sacrement a trouvé son expression dans une fête solennelle particulière que l'Église célèbre le premier jeudi suivant la dimanche de la Très Sainte Trinité, c'est-à-dire demain, la commençant déjà avec les premières vêpres de la veille ; donc aujourd'hui. Je désire que cette méditation nous introduise en plein climat de la fête eucharistique.

« Non est alia natio tam grandis quae habeat deos appropinquantes sibi, sicut Deus noster adest nobis. » Il n'est aucune nation si grande qui ait la divinité proche comme notre Dieu qui habite parmi nous » (St Thomas, Officium SS. Corporis Christi, II Notturni ; cf. Opusc. 57).

De l'Eucharistie, on peut parler de différentes manières. Et au cours de l'histoire on en a déjà parlé de façons diverses. Il est difficile d'en dire quelque chose qui n'ait pas encore été dit. Et en même temps, quoi qu'on en dise et quelle que soit la manière dont on aborde ce grand Mystère de la foi et de la vie de l'Église, on découvre toujours quelque chose de nouveau. Non pas que nos paroles révèlent cette nouveauté. Celle-ci se trouve dans le Mystère lui-même. Toute tentative de vivre avec l'Eucharistie dans un esprit de foi fait jaillir une nouvelle lumière, une nouvelle stupeur, une nouvelle joie.

« Et s'émerveillant de ceci et considérant le caractère sublimer de l'amour divin (...) le fils du tonnerre s'exclamait : « Dieu a tant aimé le monde » (Jn 3,16) (…) Dis-nous donc, ô bienheureux Jean, dis-nous en quel sens tant ? Dis la mesure, dis la grandeur, enseigne-nous le sublime « Dieu a tant aimé le monde. » (St Jean Chrysostome, In Genes. VIII Homélie XXVII, 1 ; Opera Omnia [Migne] 4, 241).

L'Eucharistie rend Dieu extraordinairement proche de nous. Elle est le Sacrement de sa présence, à l'homme. Dieu dans l'Eucharistie est précisément le Dieu qui a voulu entrer dans l'histoire de l'homme. Il a voulu accepter l'humanité elle-même. Il a voulu devenir homme. Le Sacrement du Corps et du Sang du Christ nous rappelle sans cesse sa divine humanité.

Nous chantons « Ave, verum corpus, natum ex Maria Virgine. » Salut, vrai corps né de  la Vierge Marie. Et en vivant avec l'Eucharistie, nous retrouvons toute la simplicité et la profondeur du mystère de l'Incarnation.

Elle est le Sacrement de la descente de Dieu vers l'homme, du rapprochement avec tout ce qui est humain. Elle est le Sacrement de la divine « condescendance » (Cf. St Jean Chrysostome, In Genes, 3, 8 ; Homélie XXVII, 1 ; P.G. 53, 134). L'entrée divine dans la réalité humaine a atteint son point culminant avec la passion et la mort. Par sa passion et sa mort sur la Croix le Fils de Dieu incarné est devenu, de manière particulièrement radicale, le Fils de l'homme, il a partagé jusqu'à la fin ce qui est la condition de tout homme.

L'Eucharistie, Sacrement du Corps et du Sang, nous rappelle surtout cette mort que le Christ subit sur la Croix ; elle rappelle et renouvelle, d'une certaine façon, c'est-à-dire non sanglante, sa réalité historique. En témoignent les paroles prononcées au Cénacle séparément, sur le pain et sur le vin, les paroles qui, dans l'institution du Christ, réalisent le Sacrement de son Corps et de son Sang ; le Sacrement de la mort, qui a été un sacrifice expiatoire. Le Sacrement de la mort, dans lequel s'est exprimée toute la puissance de l'amour. Le Sacrement de la mort qui a consisté à donner la vie pour reconquérir la plénitude de la vie.

« Manduca vitam, bibe vitam habebis vitam, et integra est vitam » (Mange la vie, bois la vie : tu auras la vie, et c'est la vie entière. St Augustin, Sermonus ad populum. Série 1, Sermon 131 ; 1, 1).

Grâce à ce Sacrement « dans l'histoire de l'homme est continuellement annoncée la mort qui donne vie » (Cf. Co 11, 26).

Elle se réalise continuellement dans ce très simple signe qu'est le signe du pain et du vin. Dieu y est présent et proche de l'homme avec cette pénétrante rencontre de la mort sur la Croix d'où a jailli la puissance de la Résurrection. Grâce à l'Eucharistie, l'homme participe à cette puissance.

L’Eucharistie est le Sacrement de la Communion. Le Christ se donne lui-même à chacun de nous qui le recevons sous les espèces eucharistiques. Il se donne à chacun de nous qui mangeons la nourriture eucharistique, qui buvons la boisson eucharistique. Cet acte de manger est signe de la Communion. C'est le signe de l'union spirituelle dans laquelle l'homme reçoit le Christ qui lui offre la participation à son Esprit et en qui il retrouve, particulièrement intime, la relation avec le Père ; et l'homme ressent que l'accès à Lui est particulièrement proche. Comme l’a dit un grand poète :

« Je parle avec Toi qui règnes dans les cieux et qui es, en même temps, un hôte dans la demeure de mon esprit... Je parle avec Toi ! Les paroles me manquent pour Toi ; Ta pensée écoute chacune de mes pensées ; Tu règnes au loin et tu sers dans la proximité, Roi dans les cieux et dans mon coeur sur la Croix,» (Mickiewicz, Entretiens du soir).

En effet nous nous approchons de l'Eucharistie en récitant d'abord le Paster noster.

La communion est un lien bilatéral. Il convient donc de dire que non seulement nous recevons le Christ, que non seulement chacun de nous le reçoit sous ce signe eucharistique, mais que le Christ reçoit lui aussi chacun de nous. Dans ce Sacrement, pour ainsi dire, il accepte toujours l'homme, en fait son ami comme il l'a dit au Cénacle : « Vous êtes mes amis » (Jn 15,14). Cet accueil et cette acceptation de l'homme de la part du Christ est un bienfait inouï. L’homme ressent profondément le désir d'être accepté. Toute la vie de l'homme est tendue dans cette direction : être accueilli et accepté par Dieu ; c'est cela qu'exprimé sacramentellement l'Eucharistie. Toutefois, comme le dit saint Paul, il faut que l'homme « s'éprouve soi-même » (1Co 11,28) ; pour savoir s'il est digne d'être accepté par le Christ. En un certain sens, l'Eucharistie est un défi constant parce que l'homme cherche à être accepté, parce qu'il adapte sa conscience aux exigences de la très sainte Amitié divine.

Nous désirons, dans le cadre de la fête d'aujourd'hui, de même que dimanche prochain et chaque jour exprimer cette particulière et publique vénération, cet amour que nous vouons toujours au très saint Sacrement. Permettez qu'en ce moment, je tourne encore une fois mes pensées vers la Pologne d'où je suis retourné il y a quelques jours. Ce furent pour moi des journées d'un pèlerinage parmi les hommes auxquels je n'ai cessé d'être lié par les liens les plus profonds de la foi, de l'espérance et de la charité. Je désire remercier encore une fois tous mes compatriotes. Je remercie les autorités de l'État. Je remercie mes Frères de l'Épiscopat. Je remercie tout le monde.

Et c'est précisément là, dans ma terre natale que j'ai, appris la fervente vénération, le profond amour de l'Eucharistie. C'est là que j'ai appris le culte du Corps du Christ. Depuis des siècles se déroulent, le jour de la « Fête-Dieu », des manifestations par lesquelles mes compatriotes cherchent à exprimer en commun et publiquement ce que l'Eucharistie représente pour eux. Et ils le font encore aujourd'hui. Je m'unis donc spirituellement à eux, maintenant que j'ai pour la première fois la joie de célébrer la fête du Corps et du Sang du Christ ici, en la Ville Eternelle où Pierre, de génération en génération, répond de certaine façon au Christ : « Seigneur, tu sais que je t'aime… Seigneur tu sais que je t'aime » (Jn 21,15-17). D'une certaine manière, l'Eucharistie est le point culminant de cette réponse. Je désire la redire avec toute l'Église à Celui qui a manifesté son amour par le Sacrement de son Corps et de son Sang, demeurant avec nous « jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20).






20 juin 1979 APPRENDRE A LIRE LE MYSTERE DU COEUR DU CHRIST

20679
1. Après-demain, vendredi, la liturgie de l'Église nous rassemble, dans une adoration et un amour particulier autour du mystère du coeur du Christ. Je voudrais donc, aujourd'hui, en anticipant cette fête, tourner avec vous nos coeurs vers le mystère de ce coeur. Ce mystère m'a parlé dès ma jeunesse. J'y reviens chaque année, au rythme du temps liturgique de l'Église.

Le mois de juin est, vous le savez, consacré au coeur divin, au Sacré-Coeur de Jésus. Nous lui exprimons notre amour et notre adoration par des litanies qui, avec une profondeur particulière, parlent dans chacune de leurs invocations, de son contenu théologique.

Je voudrais donc m'arrêter avec vous ne serait-ce que quelques instants, devant ce coeur auquel s'adresse l'Église, communauté de coeurs humains. Je voudrais parler de ce mystère si humain dans lequel Dieu s'est révélé avec une force et une simplicité sans pareil.



Un soldat, d'un coup de lance, le frappa au côté

2. Laissons parler maintenant les textes de la liturgie de vendredi, en commençant par l'Évangile de saint Jean. L'évangéliste rapporte l'événement avec la précision d'un témoin oculaire. Comme c'était le jour de la Préparation, les Juifs, de crainte que les corps ne restent en croix durant le sabbat — ce jour du sabbat devait être particulièrement important — demandèrent à Pilate de leur faire briser les jambes et de les faire enlever. Les soldats vinrent donc, ils brisèrent les jambes au premier puis du second de ceux qui avaient été crucifiés avec lui. Arrivés à Jésus, ils constatèrent qu'il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes Mais un des soldats, d'un coup de lance, le frappa au côté et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau (
Jn 19,31-34).

Pas un mot sur le coeur.

L'évangéliste parle seulement du coup de lance au côté, d'où sortit du sang et de l'eau. Le langage du récit est presque médical, anatomique. La lance du soldat a certainement frappé le coeur pour contrôler si le condamné était déjà mort. Ce coeur, ce coeur humain, a cessé de battre. Jésus a cessé de vivre. Mais, en même temps, cette ouverture anatomique du coeur du Christ après la mort — malgré l’âpreté historique du texte — nous pousse à penser par métaphore. Le coeur n'est pas seulement un organe qui conditionne la vitalité biologique de l'homme. Le coeur est un symbole. Il parle de tout l'homme intérieur. Il parle de l'intérieur spirituel de l'homme. Et la tradition a aussitôt relu dans ce sens le récit de Jean. Du reste, c'est l’évangéliste lui-même qui a poussé à cela lorsqu'on se référant à l'attestation du témoin oculaire qui n'était autre que lui, il s'est référé en même temps à cette phrase de l’Écriture sainte : Ils verront celui qu'ils ont transpercé (Jn 19,37 Zc Jn 12,10).

C'est ainsi que regarde l'Église, c'est ainsi que regarde l'humanité. Et voici que dans le transpercé par la lance du soldat, toutes les générations de chrétiens ont appris et apprennent à lira le mystère du coeur de l'homme crucifié qui était et qui est le Fils de Dieu.



L'amour du Christ surpasse toute connaissance

3. Beaucoup de disciples du coeur du Christ, hommes et femmes, ont acquis, au cours des siècles, une connaissance plus ou moins profonde de ce mystère.

L'un des protagonistes dans ce domaine a été certainement Paul de Tarse, converti de persécuteur en apôtre. Lui aussi nous parle dans la liturgie de vendredi prochain avec les paroles de la lettre aux Ephésiens. Il parle comme un homme qui a reçu une grande grâce, puisqu'il lui a été donné d'annoncer aux païens l'impénétrable richesse du Christ et de mettre en lumière comment Dieu réalise le mystère tenu caché depuis toujours en Lui, le Créateur de l'univers (Ep 8-9).

Cette richesse du Christ et, en même temps, ce dessein éternel de salut de Dieu sont adressés par l'Esprit Saint à l'homme intérieur, afin qu'il fasse habiter le Christ en son coeur par la foi (Ep 3,16-17). Et quand le Christ, par la force de l'Esprit-Saint habitera par la foi dans nos coeurs d'hommes, alors nous serons à même de comprendre, avec notre esprit humain,(c'est-à-dire avec ce « coeur ») ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... et de connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance... (Ep 3,18-19).

C'est pour cette connaissance, faite par le coeur, par chaque coeur humain, qu'a été ouvert, à la fin de sa vie terrestre, le coeur divin du condamné et du crucifié sur le Calvaire.

La mesure de cette connaissance par le coeur humain est diverse. Devant la force des paroles de Paul, que chacun de nous s'interroge sur la mesure de son coeur.... Devant lui nous apaiserons notre coeur, car si notre coeur nous accuse, Dieu, est plus grand que notre coeur et il discerne tout (1Jn 3,19-20). Le coeur de l’homme-Dieu ne juge pas les coeurs humains. Le coeur appelle. Le coeur invite. C'est pourquoi il a été ouvert par la lance du soldat.



Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur

4. Le mystère du coeur s'ouvre par les blessures du corps. C'est le grand mystère de la piété qui s'ouvre, les entrailles de miséricorde de notre Dieu (Saint Bernard, Sermo LXI, 4 : P.L. 18, 1072).

Le Christ parle dans la liturgie de vendredi : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29). Une seule fois peut-être avec des mots à lui, le Seigneur Jésus a parlé de son coeur. Et il n'a mis en évidence que cet aspect : Douceur et humilité. Comme pour dire que c'est par cette seule voie qu'il veut conquérir l'homme ; que c'est par la douceur et l'humilité, qu'il veut être le roi des coeurs. Tout le mystère de son règne s'exprime dans ces deux mots. La douceur et l'humilité couvrent, en un certain sens, toute la « richesse » du coeur du Rédempteur dont a parlé saint Paul aux Éphésiens. Mais cette « douceur » et cette humilité le révèlent pleinement. Elles nous permettent de le connaître et de l'accepter. Elles en font un objet d'adoration suprême.

Les belles litanies du Sacré-Coeur de Jésus sont composées de beaucoup de paroles semblables — bien plus, elles contiennent des cris d'admiration pour la richesse du coeur du Christ. Méditons-les sérieusement.



Le coeur de Dieu-Homme, source de vie et de sainteté

5. Ainsi, à la fin de ce cycle liturgique de l'Église qui a commencé par le premier dimanche de l'Avent, puis est passé par Noël, le Carême, la Résurrection et la Pentecôte, par le dimanche de la Très Sainte Trinité et la Fête-Dieu, arrive la fête du Coeur Divin, du Sacré-Coeur de Jésus. Ce cycle se referme parfaitement en lui, dans le coeur du Dieu-Homme. C'est également de lui que rayonne, chaque année, toute la vie de l'Église.

Ce coeur est source de vie et de sainteté.







Premières Catéchèses S. J-Paul II 1978-79 16579