Catéchèses Paul VI 24111

24 novembre 1971: STRUCTURES ET ESPRIT

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Chers Fils et Filles,



Que pensez-vous de l’Eglise ? Telle est la question qui se pose encore à notre génération. Dans notre civilisation dite occidentale, le processus historique a non seulement distingué mais aussi séparé la société religieuse de la société civile : d’où la nécessité, en quelque sorte, de situer l’Eglise hors des affaires de l’Etat qui s’est octroyé le droit d’organiser la coexistence humaine. Quels sont le visage, la fonction et quelle est la raison d’être de l’Eglise dans le monde moderne, sécularisé, autosatisfait, agnostique à l’égard des différentes expressions de la religion ?

L’histoire nous a montré qu’au cours des siècles et en tous lieux, l’épisode évangélique de Césarée de Philippe n’a cessé de se répéter. En ce temps-là, Jésus lui-même, par un dialogue presque socratique, demanda à ses disciples qui était, au dire des gens, le Fils de l’homme ; et parmi une si grande variété de jugements, quelle était leur opinion à son égard : « Mais pour vous, qui suis-je ? » (
Mt 16,15).

C’est ainsi que cette question revient aujourd’hui et que nous nous interrogeons encore sur l’Eglise, Corps Mystique du Christ. Le Concile et, avant lui, les grands enseignements et les études théologiques ont fait surgir cette question : Qu’est-ce que l’Eglise ? Un phénomène religieux voué, comme tant d’autres, à être effacé par le progrès scientifique ? Une tradition spirituelle, une croyance populaire qui a survécu grâce à son riche héritage culturel et artistique ? Une entité sociale encombrante et prétentieuse, désormais dépassée, qui peut tout au plus stimuler l’adaptation de quelques adages évangéliques précieux pour la vie humaine ?

Vous avez certainement entendu parler de ces problèmes propres à notre temps et votre sensibilité de fidèles vous laisse entrevoir la manière dont ces différentes conceptions de l’Eglise tendent à en décréter la fin ou à en contester l’existence. Vous sentez qu’aucune définition scientifique ou empirique que lui attribuent, même inconsciemment, ceux qui sont hors de l’Eglise, ne pénètre dans sa vraie réalité, dans son mystère. Pour connaître vraiment l’Eglise, il faut y vivre, y participer, avoir la chance d’être admis à partager son expérience surnaturelle. En un mot, il faut la foi.

Mais aujourd’hui, et ce n’est pas la première fois, l’Eglise est l’objet d’une controverse intérieure, à laquelle l’opinion publique s’intéresse vivement. Celle-ci, sous prétexte de ramener l’Eglise à ses origines, à ses valeurs spirituelles authentiques, détermine deux principes fondamentaux : la structure et l’Esprit; nous pourrions dire : le corps humain organique et l’animation divine de l’Eglise. Jusque-là, aucune objection. Les difficultés surgissent lorsqu’on accuse la structure d’être abusive, difforme, précaire, nuisible, en d’autres termes, inutile. Elle nécessiterait des changements radicaux, pour répondre aux critiques ou même la dissolution pure et simple. La structure serait une dérivation illégitime — ou du moins non nécessaire — de l’ancienne formule de l’Eglise apostolique. Ce serait une structure autoritaire, juridique, formaliste, anti-évangélique, anti-historique, profanée par la course au pouvoir, à la richesse, au conservatisme et destinée à se séparer du monde.


Les charismes de l’Esprit


Au contraire, l’Esprit est charismatique, prophétique, libre et libérateur. Nous ne pouvons que nous réjouir de la priorité accordée ici à l’Esprit-Saint qui, par sa grâce, fait vivre, illumine, guide et sanctifie l’Eglise. Parmi tant de lourdeurs qui éloignent les esprits des réalités spirituelles, cet intérêt prioritaire, accordé aux charismes de l’Esprit, est digne de la plus haute considération : vue sous cet aspect, l’Eglise devient de manière subjective, la réalité religieuse par excellence, personnelle, intérieure, libre et heureuse ; en même temps, elle devient une réalité qui résulte objectivement d’une communication transcendante et mystérieuse avec l’Esprit divin, vrai et vivifiant. Mais cette réalité ne doit pas être confondue avec la pathologie religieuse, la superstition, le subjectivisme spirituel ou avec l’excitation collective ; elle doit être ramenée à la communauté de la foi et servir à son édification. Cette réalité ne peut faire abstraction du dessein divin qui offre à l’Eglise, aux communautés des croyants, le don polyvalent de l’Esprit et qui en organise l’effusion par un ministère complexe et qualifié (1Co 4,1 1Co 12,1 ss. ; 1Co 14,37-40 1P 4,10 ss.). On ne peut isoler l’économie de l’Esprit — même si Celui-ci, comme dit le Seigneur, souffle où il veut (Jn 3,8) — des structures, tant ministérielles que sacramentelles, instituées par le Christ, germées comme une plante de sa semence, de sa Parole.


L’Eglise signe et instrument de l’Esprit


Aujourd’hui, nous essayons de trouver le juste rapport entre la structure visible, humaine, sacramentelle de l’Eglise et le mystère de l’Esprit dont elle est signe et instrument et dont nous tirons notre vie chrétienne. Nous verrons comment ce rapport est inhérent au dessein de l’Incarnation et de la Rédemption, comment il confère un caractère sacré à tout chrétien, sacerdoce royal commun à tous, et comment il a créé un sacerdoce ministériel qui rend organique et unitaire la communauté du peuple de Dieu; sacerdoce qui fait resplendir une dignité christiforme incomparable (le dialogue de St. Jean Chrysostome sur le sacerdoce met en évidence cet aspect sublime) ; sacerdoce doué de pouvoirs pastoraux, riches de magistère (cf. Lc 10,16 Jn 15,26-27 Jn 16,13 Mt 28,19 etc.), de sanctification (1Co 11,24 Jn 20,23) ; sacerdoce totalement voué à la charité qui devient un service (Mt 20,28), un service d’autorité (1Co 4,21 1P 4,11) mais si généreux, si humain, si paternel et si fraternel, conforme à celui du Christ, le bon Pasteur par excellence, qui sacrifie sa vie pour son troupeau (Jn 10,11-12).

C’est un bien que ce rapport entre structures de l’Eglise et Esprit du Christ ait été l’objet d’une étude approfondie de la part de penseurs et de théologiens fidèles et surtout de notre Commission théologique. Le problème du sacerdoce a été examiné à un niveau élevé dans les documents de l’Episcopat et du Concile. Le dernier Synode des évêques en a fait une synthèse qui sera publiée prochainement et nous avons confiance qu’elle servira à l’édification de toute l’Eglise et de nos prêtres, chers et vénérés.

Une fois de plus, nous verrons ce qu’est cette Eglise in fieri, c’est-à-dire en marche vers une Eglise dominée exclusivement par la hiérarchie de la sainteté. Elle est la manifestation du témoignage au Christ de l’apostolat humain (dans des structures hiérarchisées à tous les échelons du Peuple de Dieu) et de l’Esprit de Pentecôte, Epiphanie du Corps Mystique, structuré apostoliquement et animé spirituellement (CONGAR, Esquisse du mystère de l’Eglise, p. 129, etc.).

Encore une fois, fils très chers, essayons de comprendre et d’aimer l’Eglise.

Avec notre Bénédiction Apostolique.


***


Nous sommes heureux de saluer les prêtres Oblates de Marie Immaculée: chers Fils, au cours de ces quatre mois de «la retraite de Mazenod» comme vous l’appelez, vous avez médité sur votre expérience apostolique et vous avez pu renouveler l’ardeur de votre foi au Christ qui vous envoie en mission. Plus que jamais la Bonne Nouvelle a besoin de messagers qui la portent généreusement à «tous ceux qui sont au loin» (Ac 2,39). Chers Fils, que le Seigneur fasse fructifier votre annonce de l’Evangile du Sauveur.

Nous encourageons de la même manière les Frères de Saint-Gabriel, venus eux aussi de tous pays se ressourcer selon les orientations conciliaires, pour mieux faire face à leur belle vocation d’éducateurs chrétiens. Cette formation de la jeunesse est capitale pour susciter des hommes d’une foi solide, d’un esprit droit et d’un coeur généreux, qui seront l’avenir de l’Eglise et du monde.

Nous Nous tournons enfin vers les stagiaires de la République du Zaïre, qui suivent des cours près de l’Ecole de l’Aréonautique militaire italienne de Caserta. Soyez les bienvenus, chers amis. Vous êtes ici près du tombeau de l’apôtre Pierre qui est venu jusqu’ici rendre témoignage à Jésus au prix de son sang versé, lui qui disait aux premiers chrétiens: «Aimez-vous les uns les autres du fond du coeur et ardemment. Comportez-vous en hommes libres et en serviteurs de Dieu» (1P 1,22 et 1P 2,16). En Nous faisant l’écho de son message aujourd’hui encore toujours valable. Nous vous donnons, à chacun d’entre vous, comme à tous ceux qui vous sont chers, Notre paternelle Bénédiction Apostolique.



1° décembre 1971: LE DIALOGUE DE L’AVENT

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Chers Fils et Filles,



Le temps de l’Avent ramène le grand problème de notre rencontre personnelle avec Dieu : c’est cela le problème religieux. Nous en connaissons tous la solution : c’est Noël, c’est le Christ, la foi, la vie catholique. Mais en réalité, chacun de nous a-t-il résolu ce problème ? Le résultat en est-il satisfaisant, vécu ? Nous ne répondrons pas maintenant à ces questions susceptibles d’éveiller notre inquiétude et nos doutes. L’Eglise, grande éducatrice des âmes, nous propose chaque année, en des termes toujours objectifs, les mêmes réflexions ; c’est son calendrier qui le veut ainsi, c’est le retour annuel de sa liturgie qui célèbre régulièrement les mêmes fêtes et répète les mêmes thèmes doctrinaux et spirituels. « Répète » n’est pas le mot exact. Nous devons dire « renouvelle ». Imaginons une courbe qui, au lieu de se boucler sur elle-même, monte en spirale. C’est ainsi que la liturgie, telle une spirale, s’élève pour ces fidèles qui en accueillent la méthode pédagogique, toujours égale dans son programme et nouvelle dans sa recherche. Nous voulons dire par là que nous ne participons pas de la même manière aux célébrations religieuses. Notre attitude et notre intérêt peuvent varier selon notre état d’âme. La façon de percevoir les « choses » religieuses change avec l’âge. « Lorsque j’étais enfant, écrit St. Paul, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant » (
1Co 13,11). Avec l’âge, c’est aussi notre monde qui change, ce monde qui nous marque, ne cesse de débiter formes et mesures et nous accapare de plus en plus.


Le monde de l’expérience sensible


L’« extérieur » nous provoque et nous n’avons plus un instant de paix. Ajoutons à cela l’effet néfaste de notre milieu de travail; journées laborieuses et souvent exténuantes qui altèrent notre état psychologique sans cesse soumis aux troubles extérieurs. Voir et écouter, tel est le slogan de cette civilisation dite de sons et d’images. L’écran de notre psychologie est sans cesse occupé par les sens. Ceux-ci fournissent à la pensée un matériel d’élaboration toujours nouveau ; ils l’aident de leurs voix et de leurs modèles. Ainsi notre vie tend à s’enfermer dans une sphère sensible où elle puise sa nourriture et s’épuise. L’homme devient naturaliste et positiviste sans qu’il s’en aperçoive. S’habituant à cette forme concrète de connaissance, il ne va pas chercher plus loin. C’est l’image de l’homme moderne. Sa formation et sa culture sont à ce niveau : le monde de l’expérience sensible. Monter plus haut ? Oui, mais toujours par l’escalier des sens, celui des quantités si possible, puisque son usage est fréquent dans le domaine scientifique. La tentation vient et triomphe : tout s’arrête là. Réfléchir davantage ? Chercher la raison des choses ? Comment sont-elles et pourquoi ? Chercher la vérité ? Le fondement, la cause transcendante ? Chercher l’amour ? La finalité des choses ?


La voie qui monte


Voilà alors que l’homme hésite entre deux tendances opposées : la première l’arrête : c’est la pesanteur, la crainte, la paresse surtout qui le poussent à se contenter de ce royaume de l’expérience et du sensible dont il a fait sa demeure naturelle. La seconde, plus naturelle encore, l’invite à monter : c’est la tendance à une recherche plus élevée, à un effort suprême.

C’est ici qu’entrent enjeu pensée et intelligence; comprendre le mouvement métaphysique de toute chose ; rien n’est stable ; aucune chose n’explique par elle-même sa nature et son sens, son origine et son but. Chaque chose, comprise dans ce qu’elle a de plus profond, ne se suffit pas. Elle renvoie à un principe, à une fin qui la dépassent. C’est une « voie », une montée. Elle est auréolée de mystère, un mystère, c’est-à-dire un royaume qu’on ignore mais qui, en fait, est bien connu de celui qui le franchit : c’est le mystère de Dieu, le mystère religieux. Ce voyage pénible et bienheureux qu’un instant suffit à entreprendre et que les années ne parviennent pas à achever, c’est la religion. Religion naturelle si nous y arrivons par nous-mêmes, puisque nous sommes préparés à ce début de rencontre encore obscure. Religion surnaturelle si, à l’appel de l’homme qui cherche, du pèlerin assoiffé, répond une voix vivante, infiniment vivante : « Je suis » ! La voix de Dieu qui vient de ce mystère un peu moins obscur; la voix qui ouvre le dialogue avec l’homme, le dialogue de la foi, de la supervie, le dialogue du Royaume de Dieu. Le dialogue de l’A vent, de la venue parmi nous et pour nous du Dieu vivant; le dialogue du Verbe qui s’est fait homme afin de parler aux hommes, communion ineffable et vivifiante.


Le silence qui écoute


Vous savez cela. Vous êtes tous « enseignés par Dieu » (docibiles Dei : Jn 6,45). Mais afin que ces choses soient présentes à notre esprit et agissent dans notre vie, il faut le silence, condition indispensable. Autrement dit, pour réfléchir et comprendre, notre esprit doit être libre au moins un instant (in se reversus, Lc 16,17).

Mettons-nous à l’écoute de l’écho tumultueux, puis apaisé, de notre conscience, de notre personnalité propre que l’on n’explore jamais assez. Notre conscience se fait à son tour l’écho d’une autre voix, celle de la conscience religieuse, la voix de l’esprit de Dieu qui « enseigne toute vérité ».

C’est le premier exercice que nous proposons pour ce temps liturgique pour vivre en hommes, en chrétiens l’expérience quotidienne. Le silence qui écoute. Faites l’essai. Ecoutez attentivement. Quel est ce souffle prophétique qui, comme d’un désert sans fin, nous apporte ce message suggestif à peine murmuré : préparez la voie du Seigneur ? (Is 40,3-5).

Hommes modernes, reconstruisons notre vie intérieure, protégeons-la du tumulte extérieur et écoutons la voix de Dieu qui vient.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





15 décembre 1971: LA PRESENCE DU CHRIST DANS LE MONDE CONTEMPORAIN

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Chers Fils et Filles,



Frères, Fils, pèlerins, visiteurs, pour vous tous Noël approche. Noël qui porte la joie dans les coeurs. Mais en ces jours, nous ne saurions oublier les soucis qui hantent notre esprit. Pensons à la nouvelle guerre du Pakistan qui menace d’en déclencher d’autres bien plus graves encore, à la guerre du Moyen et de l’Extrême-Orient, apaisée en apparence, mais qui reste en éveil, aux tristes conditions de l’Irlande. Nous pourrions dire beaucoup de choses sur la paix dans le monde et par exemple sur le dernier synode des évêques. Nous vous demandons vivement de vous souvenir de tous ces problèmes dans vos prières. Mais aujourd’hui, au cours de cette brève audience, parlons de Noël qui se manifeste à tous sous le signe de la paix et de la joie.

Disons : sous le signe du Christ. Est-ce un sermon, vous demanderez-vous ? Non, il s’agit plutôt d’une question que nous voulons vous poser : quel intérêt le monde porte-t-il au Christ ? Ceci nous rappelle Jésus s’adressant à ses disciples à Césarée de Philippe : « Au dire des gens qu’est le Fils de l’homme ? » (
Mt 16,13). La première réponse qui vient à l’esprit s’exprime ainsi : intérêt pour le Christ, aujourd’hui? Aucun. Et hélas ! pour beaucoup, c’est celle qui semble la plus vraie. Mais, après une courte réflexion, cette même réponse se transforme: le Christ suscite tout de même quelque intérêt. Il est évident qu’au sein de l’Eglise, cet intérêt est des plus vifs. L’Eglise n’est-elle pas la continuation historique, la personnification permanente du Christ ? N’est-elle pas son Corps Mystique ? « Nous sommes tous Un dans le Christ, nous sommes le Corps du Christ » (St. augustin, Enarr. In Ps. 26 PL 36,211), puisque Lui est la tête de ce corps qui est l’Eglise, à laquelle nous avons la chance d’appartenir. Réjouissons-nous d’être conscients de cette union qui existe entre le Christ et l’Eglise puisque de nos jours certains contestataires osent estimer que le Christ est un Etre à part et non la communauté, la tradition, la religion, le christianisme qui réclament de Lui leur principe propre. On ne peut concevoir l’Eglise sans son origine historique, authentique et vitale qu’elle tire du Christ, sans Sa présence dans l’Eglise qui se manifeste par Sa grâce, Son autorité pastorale et sacramentelle, Sa communion ecclésiale dont l’Eucharistie est l’expression la plus caractéristique et nous fait tous Un avec Lui et parmi nous (cf. 1Co 10,17). L’Eglise est la mémoire mystique et vivante du Christ; partout où se trouve l’Eglise, il existe une actualité palpitante du Christ (Mt 28,20). Cette réalité historique et eschatologique de notre foi devrait suffire à nous faire aimer en même temps le Christ et l’Eglise.

Donc, le Christ a encore une place dans notre monde moderne qui bien souvent le nie et l’oublie. Cet intérêt se manifeste d’une façon bizarre : les revues américaines ont reproduit des photos de jeunes « hippies » vêtus de tricots sur lesquels on lisait : « J’aime Jésus » (I love Jésus). Comment se fait-il ? Nous ne saurions l’expliquer; mais que d’attitudes de la jeunesse actuelle ne peuvent s’expliquer ! Et pourtant, elles se manifestent si ouvertement qu’elles finissent par créer une mode, un mimétisme qui, tout en ne déposant pas en faveur de l’autonomie des jeunes, constitue toutefois un fait et lance un slogan, un aphorisme qui se propage avec la rapidité d’une épidémie. Le moment du slogan Jésus, est-il donc venu ? Dans le monde contemporain d’autres signes marquent l’actualité du Christ, ne serait-ce que pour le nier : le cauchemar du Christ est toujours présent dans le monde de la culture. Il en résulte que les négations les plus fermes des milieux culturels dernier cri engendrent questions et réponses d’où le Christ, frappé à mort par la plus élégante des critiques, ressuscite plus réel et plus vivant que jamais. Toutes les thèses qui se dégagent du domaine extérieur à l’Eglise, là où se trouve le Christ vivant, ne sont pas tout à fait négatives. L’affirmation de Benedetto Croce garde toute sa valeur puisqu’elle est vraie : Nous ne pouvons nous dire chrétiens tant que notre esprit n’aura pas assimilé tout ce que le Christ nous a enseigné. Notre cher et inlassable Jean Guitton a écrit récemment : «... Je me souviens que mon vieil ami Couchoud qui avait philosophé toute sa vie sur l’Evangile, me disait : J’admets tout le Credo sauf Sub Pontio Pilato.Il aurait accepté tous les dogmes à condition qu’ils soient tous révélés et sans aucun rapport avec l’histoire. Jésus n’avait pour lui aucune existence historique ». Cette affirmation nous fait douter de l’objectivité dépensée de l’illustre ami de Jean Guitton. Il est trop difficile d’effacer le rôle de Pilate, réalité historique, dans la vie de Jésus. Jésus est présent parmi nous. Si nous tournons vers Lui notre regard, il nous éclaire ; il nous persécute si nous nous détournons de Lui. Tout connaisseur de littérature contemporaine sait que le Christ ou son message se dégage toujours, comme mû par une logique inexorable, de la scène du monde qu’elle soit profane et même son ennemie. Pourquoi cette logique ? Pourquoi l’homme ressent-il ce besoin de rencontrer Jésus ? Peut-être parce que Jésus est présent à la fois sur deux voies : celle qui conduit à l’homme et celle qui conduit à Dieu. Il est, en effet, le Fils de l’Homme et le Fils de Dieu. Ainsi lorsque nous nous intéressons à l’homme, qu’il s’agisse de l’homo sapiens des savants et des philosophes, ou de l’homme malheureux, du pauvre, de l’enfant, du pécheur, nous cherchons toujours Jésus, l’homme vrai, l’homme type, l’homme bon, libre, notre Homme. Et Dieu veuille que nous sachions mettre en pratique la profonde vérité de Sa Parole, chez tout homme qui implore aide et salut. C’est moi, Jésus (Mt 25,40). Et lorsque nous voudrons découvrir la Vérité Suprême qui enveloppe et dépasse la sphère humaine et le domaine des connaissances naturelles, lorsque nous voudrons percevoir la lumière éblouissante du visage de Dieu, nous devons nous arrêter sur cette image invisible de Dieu (Col 1,15) et confesser la vérité de la Parole de Jésus « qui me voit, voit aussi mon Père » (Jn 14,9).

Par conséquent, celui qui s’intéresse aux choses suprêmes, doit s’intéresser au Christ. Chaque intérêt de notre vie, temporel et extérieur, tourmenté et intérieur peut représenter la voie vers l’intérêt suprême, le Christ Seigneur.

Tout ce qui est droit, honnête, implorant, « en recherche », conduit à Jésus. Tout conduit à Noël.

C’est là notre souhait. Avec notre Bénédiction Apostolique.





22 décembre 1971: NOËL : EXHORTATION A LA RECHERCHE DE DIEU

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Chers Fils et Filles,



Noël nous engage à la recherche de Dieu. Nous savons très bien qu’il s’agît là d’un problème complexe qui se pose toujours sous des formes nouvelles, même si on a tendance à le considérer désormais dépassé. Pourquoi ? Les réponses sont si nombreuses qu’elles laissent des doutes sur leur valeur. Dieu est mort, ose-t-on dire. Comment cela se fait-il ? on l’a écrit. Dit et écrit par d’autres ; qu’en pensez-vous ? Nous ne savons pas très bien mais... on peut s’en passer. Qui peut s’en passer ? Le monde, le cosmos, l’être des choses sont-ils une raison suffisante de leur existence ?

Il est tout à fait absurde de penser cela sans sombrer dans le panthéisme. On admet alors que le problème est insoluble et qu’il est par conséquent inutile dé se le poser. On finit par conclure que la folle déclaration sur la mort de Dieu se réfère non pas au monde dans lequel nous vivons et dont nous ignorons comment et pourquoi il existe, mais à notre esprit dans lequel la pensée de Dieu n’est plus. Nous, modernes, nous ne serions plus capables d’exercer notre intelligence sur cet Objet impossible à atteindre ; nous nous contentons de l’expérience sensible, aujourd’hui si favorisée par la technique des sons et des images et par le plaisir des sens et des sentiments. Nous nous contentons de la connaissance scientifique qui, de nos jours, envahit notre pensée et dont les applications en ont fait la dominatrice du monde. Cela vous suffit-il ? Oui, nous n’en demandons pas davantage ; telle est actuellement la réponse la plus commune.

Mais, nous, nous disons que ce n’est pas suffisant. Et pour soutenir cette conviction, nous avons le témoignage de ceux-là mêmes qui la réfutent. Le discours serait long et peut-être polémique mais il peut conduire à cette conclusion : l’athéisme, dans sa logique propre, doit parvenir à une nouvelle affirmation ou au moins à la recherche d’un Principe, immanent ou transcendant, mais être en soi et cause de soi, que nous devrons appeler à nouveau, Dieu. C’est la nécessité intrinsèque de la rationalité qui exige que l’on dépasse cet arrêt de l’esprit. Cela est d’autant plus vrai que nous sommes convaincus que plus l’homme avance dans le progrès, l’expérience, la connaissance, l’usage des choses, plus il sera contraint de terminer son effort dans l’adoration. Car, de tout ce qui est conquis par cet effort, jaillit, impératif et doux, le besoin religieux. Plus les choses sont connues, plus elles parlent et « annoncent la gloire de Dieu » ; elles se déclarent d’elles-mêmes les effets d’une Cause supérieure, démontrent d’être les signes d’une Pensée dominante, nous rapprochent de l’Etre Suprême et Unique qui, selon la synthèse de St. Augustin est « la cause de l’existence, la raison de la connaissance et l’ordre de l’action » (cf. st. augustin, De Civ. Dei, VIII, 4 ; PL 41, 228). Dieu lui-même « a mis sa lumière dans nos coeurs pour nous montrer la grandeur de ses oeuvres; nous louerons son Saint Nom racontant la grandeur de ses oeuvres » (cf.
Si 17,8).

Victoire de Dieu ? Triomphe de la religion ? Attention : toute cette étude sublime et tourmentée, connaissance et amour, concerne la rationalité naturelle qui arrive à la certitude de l’existence de Dieu mais demeure encore nébuleuse, disons même ignorante quant à l’essence de Dieu (ST. thomas, Summa Contra Gent., SCG 1,3). Dieu est mystère. Nous ne pouvons avoir de Lui qu’une notion indirecte ; nous le connaissons comme principe par le rapport que toute chose doit avoir avec Lui. Dieu en lui-même ne peut être l’objet d’une science purement naturelle. Ce fait peut expliquer pourquoi tant de penseurs reculent devant les conclusions insuffisantes de cette religion, construite avec les seules forces de la raison humaine. Parfois ils retombent dans le doute ou dans le scepticisme ou même dans la négation. La religion devient alors pour les savants, les esprits rationnels, pour tant d’hommes de notre temps, un tourment, une inquiétude, un problème non résolu et marginal, plutôt qu’une paix de l’âme.

C’est le premier point dont nous voulions vous parler à l’approche de Noël. Il existe dans l’esprit humain une aspiration profonde, une nostalgie mystique, une certaine disposition innée à comprendre Dieu davantage ; il existe un espoir de pouvoir l’atteindre. L’esprit humain a l’intuition que la plus petite goutte de la connaissance du Dieu vivant le remplirait d’une joie ineffable. Les mystiques connaissent bien cette insomnie de l’âme humaine. Nous pourrions en citer quelques-uns : rappelons par exemple deux juifs, Bergson (Les deux sources) et Simone Weil (Attente de Dieu) ; et tous les hommes au coeur pur sont, dans un certain sens, mystiques, car comme le Christ l’a proclamé, ils sont appelés à « voir Dieu ». En ce Noël, nous devrions tous avoir le coeur pur, nous faire humbles et petits, afin de jouir du don tant soupiré et inattendu de la Révélation du Dieu fait Homme. Savoir attendre, savoir vouloir, savoir recevoir.

Nous arrivons au deuxième point qui nous tient à coeur. Oui, Dieu s’est révélé. Dieu s’est manifesté, Dieu est venu vivre et demeurer parmi nous. C’est là le prodige. C’est Noël. C’est la vie chrétienne, commencement et gage de notre union à la vie de Dieu. Depuis des siècles, tout au long de l’Ancien Testament, Dieu avait commencé à chercher l’homme. Nous étions des chercheurs myopes et incapables « d’escalader » le Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est venu avec le Christ à notre recherche, recherche universelle de l’humanité, recherche personnelle de chacun de nous.

C’est Noël, soyons présents à cette rencontre.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





29 décembre 1971: NOËL NOUS INVITE A CHERCHER DIEU

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Chers Fils et Filles,



Nous sommes dans le temps liturgique qui prolonge la fête de Noël. Par conséquent, nous vous parlerons aujourd’hui encore de la Nativité.

Nous y sommes invités par le mystère de l’Incarnation qui, à Noël, manifeste son avènement, s’insère dans l’histoire, se situe dans un lieu déterminé de la terre, à Bethléem, foyer des prophéties messianiques, source de la tradition chrétienne qui s’est répandue dans le monde et est arrivée jusqu’à nous. Ajoutons à cela les richesses théologiques spirituelles, folkloriques qui font de cette fête de Noël l’une des plus belles et des plus solennelles de l’année.

Mais comprenons-nous réellement son sens doctrinal si complexe ? Après nous avoir ravis par là beauté de la scène évangélique où simplicité, pauvreté, poésie, terre et ciel, lumières et ténèbres se rencontrent, Noël nous pose de graves problèmes tant pour sa compréhension doctrinale que pour les bienfaits dont il comble tous ceux qui osent timidement s’en approcher, leur offrant même un motif de distraction : manifestations profanes qui définissent Noël dans les coutumes populaires et même mondaines.

Au cours de cet entretien, notre intention n’est pas de donner une preuve d’érudition ou encore moins de vous apprendre quelque chose de nouveau ou d’original. Nous voulons vous parler brièvement des trois aspects principaux de Noël qui peuvent être classés dans trois périodes de l’histoire de l’Eglise.

Pendant les trois premiers siècles du christianisme, — c’est la première période — Noël n’avait pas une célébration liturgique propre, sa date variait et son seul but n’était pas d’exalter la naissance du Christ mais de remplacer la fête païenne du soleil (« soleil invincible » en l’honneur duquel l’Empereur Aurélien fit édifier à Rome un temple magnifique 274 a. J.C.) par celle du Christ, Soleil de l’humanité. Mais, assez rapidement, l’idée doctrinale mise en valeur par la naissance du Christ est celle de Sa divinité ; c’est l’apparition du Fils de Dieu fait Homme qui attire l’attention. L’Eglise contemple le mystère de l’union hypostatique, c’est-à-dire de la double nature du Christ, divine et humaine, vivant dans l’Unique Personne du Verbe. Ainsi ont fait St. Jean Chrysostome, St. Augustin et St. Léon Le Grand. Noël est défini par une théophanie : Le Christ dans l’humilité c’est Dieu avec nous (cf. st. augustin, Sermones in Natale Domini ; PL 38, 995 ss. ; Humilis Deus, de cath. rud. IV ; PL 40, 366). Les paroles de tendresse pour l’Enfant Jésus ne manquent pas dans cette littérature magnifique, par exemple St. Ambroise s’exprime ainsi en commentant l’Evangile de St. Luc : « Me illius infantiae vagientis abluunt fletus, mea lacrymae illae delicta laverunt », les larmes de cet enfant en pleurs lavent mes fautes (PL 15, 1649). La célébration de Noël est fondée entièrement sur la divinité du Christ : le Concile de Nicée (325) affirme contre les Ariens, la divinité du Christ ; ceux de Constantinople (381), d’Ephèse (431) et de Chalcédoine (451) offrent le tableau théologique de la divinité (Dieu, Un et Trine), celui de la Maternité humaine et divine de la Vierge, celui de la christologie dans sa formule essentielle et complète. C’est la source principale de la liturgie de Noël.

La piété médiévale, sans rien ôter au contenu doctrinal est caractérisée par l’attraction envers l’humanité du Christ, de l’enfant Jésus ; cette théologie éclaire la personnalité humaine du Sauveur, une affectivité plus grande caractérise Noël. La scène de la crèche éveille l’intérêt des fidèles. Déjà St. Jérôme, dans l’éloge funèbre de Paule, veuve romaine établie en Palestine, décrit la piété de la pèlerine qui visite Bethléem, entre dans la grotte de la Nativité « in specum Salvatoris », regarde avec les yeux de la foi « oculis fidei » et imagine « infantem pannis involutum, vagiantem in praesepi », l’enfant Jésus enveloppé dans ses langes qui vagit dans la crèche (EP 108,10 PL 22,834 a 404). Le modèle de la crèche déjà esquissé par St. Luc, s’impose. La crèche n’est pas un élément figuratif de la liturgie mais une représentation populaire qui manifestera toujours la foi, la piété, l’art et le sentiment du peuple chrétien et fera la joie des enfants, des pauvres, des humbles, des familles et des Saints.

Qui peut oublier que c’est dans la nuit de Noël 1223 à Greccio, que St. François a mis dans une grotte un boeuf, un âne, un peu d’avoine, composant ainsi la première crèche où il ne manquait que les personnages de l’Evangile. La messe a été célébrée près de la grotte (cf. tommaso da celano 1, 84-87). La dévotion à la crèche a des antécédents historiques importants : le Pape Sixte III, constructeur de Sainte Marie Majeure, dite Sancta Maria ad praesepe, en a reproduit une dans un oratoire et son successeur, Sixte V l’a faite transporter par Fontana dans la Chapelle du St. Sacrement où, du reste, elle se trouve encore. Il existe toute une tradition d’écrivains et de Saints séduits par l’enfance de Jésus et parmi eux St. Bernard (cf. Sermones ; PL 183, 87-152 ; 383, 398). Ce sentiment de cordialité à l’égard du Christ, de l’Enfant Jésus, caractérise notre piété actuelle. C’est bien. C’est un sentiment plein de sympathie, de familiarité, de poésie et cela fait honneur à l’humanité du Christ. Pensons à l’Enfant Jésus de Prague et ici, à Rome, à celui de l’Aracoeli.

La dévotion à l’enfance du Christ marque la troisième période, la nouvelle spiritualité qui se dégage du mystère de la crèche. Le Cardinal Pierre de Bérulle (1575-1629), grand maître spirituel, fidèle à son principe d’associer le dogme à la piété, mettra en valeur la dévotion au Verbe Incarné et fondera l’école spirituelle, enseignant ainsi à contempler « les états » de Notre Seigneur dans sa vie temporelle et éternelle, bien avant ses actions. L’un de ces premiers états est l’enfance qui dans l’âme chrétienne doit être le reflet de la contemplation et de l’assimilation de cet état de vie. Nous savons que « tous Ses jours et tous Ses moments sont adorables », mais désormais, la dévotion à l’Enfance de Jésus a trouvé chez Bérulle son promoteur. D’autres disciples l’ont suivi (cf. H. brémond, Histoire litt. du Sent. Rel., volume III).

Disons maintenant un mot de celle qui a su nous enseigner « l’esprit d’enfance », Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. L’enfance spirituelle représente l’un des courants les plus vivants de la religiosité de notre temps. Il n’a rien de puéril ni d’affecté. Il s’exprime simplement, d’une manière innocente selon la parole paradoxale mais toujours divine de Jésus : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (
Mt 18,3). Et Jésus a donné d’autres paroles d’apologie de l’enfance (Mt 11,25 Mt 18,4 Mt 19,14 Mt 25,40). Le fondement évangélique de cette spiritualité ne saurait être plus autorisé et celle-ci se développe dans une humilité non seulement morale mais théologique et métaphysique, semblable à celle de la Vierge (Lc 1,38-48) ; humilité de la sagesse qui a le sens de la transcendance de Dieu et de la dépendance absolue de la créature envers son Créateur; humilité d’autant plus justifiée que nous sommes une chose, puisque tout dépend de Dieu et que la comparaison de toute chose avec l’Infini nous oblige à baisser la tête. Et cette école spirituelle unit la confiance à l’humilité car Dieu nous a donné d’innombrables signes de sa bonté et de son amour. Si Dieu veut être appelé Père, notre esprit doit se remplir de sens filial, d’une filiation, d’une enfance pleine de foi et d’abandon. C’est l’enfance spirituelle qu’à l’Ecole de la Tradition, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus résume ainsi : « C’est le chemin de la confiance et de l’abandon total ».

Retenons ces paroles comme fruits de Noël.

Nous avons contemplé le mystère de Noël, mystère de bonté et d’humanité. Nous déplorons d’autant plus les événements du monde qui en ces jours nous offre le triste spectacle de conflits irréductibles, de vengeances, de bombardements, de violence, comme si cela pouvait servir à préparer la paix.

Face à cette misère de l’humanité à tant de menaces de dépravation de la valeur des biens suprêmes, face à cette souffrance des populations innocentes, nous devons élever vers Dieu de nouvelles prières pour la concorde et la recherche de voies pacifiques de réconciliation, sans jamais oublier la Loi du Christ « Bienheureux les doux car ils posséderont la terre » (Mt 5,4).

Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 24111