Catéchèses Paul VI 16676

16 juin 1976: LA PRIÈRE DE JÉSUS

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Chers Fils et Filles,



En ce temps-ci, en ce moment si profondément engagé dans les affaires humaines, nous, nous rappelant sans cesse le cyclone spirituel que la Pentecôte est pour le monde et, spécialement, pour l’Eglise, nous allons, une fois encore, tourner notre pensée vers la prière, vers sa légitimité, vers sa nécessité, vers ses modalités. Nous n’ignorons pas que dans l’étude des religions, dans l’étude de la prière chrétienne, dans l’étude de la psychologie humaine, on s’est longuement penché sur cette expression de la spiritualité humaine, presque au risque de mettre en difficulté celui qui, d’une telle abondance d’expériences, de coutumes, de littérature voudrait dégager une synthèse et une orientation, le minimum nécessaire à l’homme profane d’aujourd’hui pour résumer mentalement sur une fiche ce qui lui suffit de savoir au sujet de ce thème désormais étranger à son esprit empirique et positif. Et si, nous-mêmes, adoptant cette impérieuse méthode de simplification, concluons notre réflexion sur la prière par deux propositions majeures, soit, d’abord, que la prière suppose de la part de Dieu, de l’intérêt, l’écoute des voix que l’homme élève vers Lui, c’est-à-dire une « Providence » ; et, ensuite, qu’elle, suppose de la part de l’homme, l’espérance, l’espoir d’être écouté et exaucé, nous constatons que nous avons certes, dressé le schéma essentiel de la prière, c’est-à-dire d’un possible dialogue entre l’homme et Dieu, mais que nous ne savons rien, ou tellement peu, au sujet de la validité de ce colloque. Celui-ci est-il une hypothèse imaginaire, ou établit-il réellement un rapport ; un rapport bilatéral et bénéfique ?

Eh bien ! parmi les plus grandes faveurs que le christianisme, la foi, mieux encore, Jésus-Christ en personne ont accordées à l’humanité, il y a précisément celle de la prière vraie, valide, indispensable, couronnée des plus grands succès. Le Christ a établi la communication entre l’homme et Dieu ; et cette communication qui prévaut sur toutes nos merveilleuses communications techniques et sociales modernes a la prière pour première et normale expression. Prier veut dire communiquer avec Dieu.

Et le Christ est Lui-même cette communication fondamentale. Il l’est par sa propre manifestation : entrons dans le domaine de la recherche sur la personne de Jésus — Qui est Jésus ? — objet actuellement encore de recherches laborieuses et, au fond, fatalement négatives pour celui qui se détache de la définition chalcédonienne de l’unique Personne du Verbe, vivant en deux natures, divine et humaine (cf. Denz-Schon.,
DS 301-302 ; Bouyer, Le Fils éternel, 469 et ss.) ; le « pont », comme s’exprimait Sainte Catherine (Dial. 25 et ss.). Et Lui-même, Jésus, Il est l’exemple le plus lumineux de la prière qui, mentionnée dans l’Eglise, devient pour nous la voie maîtresse de la prière et de la vie spirituelle. Jusqu’à présent l’humanité fidèle a suivi assidûment cette école. « Quelle est la voie qui peut me mener, moi, au Christ et à son message ? » se demande un penseur catholique moderne bien connu ; et il répond : « Il en est une très courte et très simple ; je pense à l’âme de Jésus en prière et je crois » (C. Adam, Cristo, nostro Fratello, 37, cf. le très beau chapitre : « la preghiera di Gesù » ; cf. également la vigoureuse synthèse du « Message de Jésus » de L. de Grand-maison, Jésus-Christ II, 347, et ss.).

Et comment, et quand Jésus a-t-il prié ? Oh comme serait belle et instructive une excursion dans les pages de l’Evangile où l’on cueillerait, comme des fleurs des champs, les allusions quasi occasionnelles au sujet de la prière du Seigneur. Marc l’Evangéliste écrit : « Le matin, bien avant le jour (Jésus) se leva, quitta la maison (probablement celle de Pierre à Capharnaüm ; cf. Mc 1,29) et s’en alla dans un lieu solitaire ; et là, il priait » (Mc 1,35). Voyez, par exemple, après la multiplication des pains. « Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier » (Mt 14,23).

Et mériteraient aussi une très longue méditation les prières du Seigneur dont parle l’Evangile. La célèbre prière, par exemple du Chapitre XI de l’Evangile de Saint Mathieu qui « nous fait pénétrer dans le secret le plus profond de sa vie » : « En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit « Je te bénis, Père, Seigneur du Ciel et de la terre, d’avoir caché ces choses aux sages et aux habiles et de les avoir révélées aux tout petits » (Mt 11,25). Et que dire de la prière qui conclut les discours de la Dernière Cène ? : « Ainsi parla Jésus. Puis, levant les yeux au ciel il dit : « Père, l’heure est venue : glorifie ton fils pour que ton fils te glorifie... » (Jn 17,1). Nous nous en souvenons : C’est la prière pour l’unité : « ...que tous soient un » (ib. Jn 17,21-22). Puis la triple, gémissante et héroïque prière de Gethsémani, dans l’imminence de la Passion : « Père, dit Jésus, si tu le veux, éloigne de moi ce calice ! Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne ! » (Lc 22,42).

Quelle révélation, non seulement sur le drame de la vie du Seigneur, mais aussi sur la complexité et la profondeur des destinées humaines qui, même dans leurs expressions les plus tragiques et les plus mystérieuses peuvent, grâce à la prière, être rattachées à la bonté, à la miséricorde, au salut découlant de Dieu.

Prier donc, comme Jésus. Prier fort. Prier aujourd’hui. Et toujours dans le climat de confiante communion que la prière a établi entre nous et le Père ; parce que c’est à un Père, et au Père que notre prière s’adresse.

Qu’il en soit ainsi ! Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Ce matin, Nous avons parmi nous les Frères des Ecoles Chrétiennes qui achèvent leur quarantième chapitre général. Les pèlerins ici présents apprécient avec Nous l’importance de tette Congrégation, si nombreuse et répandue en tant de pays, où elle accomplit un apostolat primordial. Aussi désirons-Nous leur adresser un encouragement particulier.

Chers Frères, votre vocation propre de religieux au service des jeunes est plus que jamais actuelle. Jamais les jeunes à évangéliser n’ont été aussi nombreux, et beaucoup, dans les grandes villes surtout, sont marginalisés ou désemparés. Ils ont vraiment besoin d’éducateurs animés d’un souffle évangélique. Fils de saint Jean-Baptiste de la Salle, voués par votre consécration à l’éducation chrétienne de la jeunesse, vous demeurez particulièrement bien placés pour répondre à ce pressant appel. Catéchètes par vocation, vous participez, par le ministère de la Parole, à la mission évangélisatrice de 1’Eglise. Ne doutez pas de l’importance apostolique de l’enseignement dans le cadre d’écoles catholiques, qui peuvent donner une formation chrétienne globale, et un climat spirituel favorable à l’orientation positive des jeunes libertés. Et rappelez-vous que, par l’intention spécifique de votre fondateur, vous êtes envoyés plus spécialement aux pauvres.

La réalisation de cette mission réclame de vous une authenticité toujours plus grande de votre consécration à Dieu et à vos frères, elle exige un type particulier de présence aux hommes dans un service aimant, au sein des communautés fraternelles et apostoliques de l’Institut; que ces communautés sachent assurer l’unité indispensable entre la contemplation et l’action apostolique, enracinées toutes les deux dans la charité divine! Qu’elles soient un lieu d’éducation mutuelle à découvrir le Dieu vivant! La place que vous y accorderez à la prière et à la charité fraternelle en sera le test; et cela exige une réelle discipline de vie.

La fidélité dynamique des Frères des Ecoles Chrétiennes demande donc un approfondissement continuel de leur foi, de leur vocation baptismale et de leur consécration religieuse qui la spécifie. Vous avez répondu à l’appel du Seigneur: demeurez convaincus que cette invitation personnelle méritait le don de toute votre vie à Dieu et aux jeunes, et que votre tâche apostolique est elle-même religieuse à plusieurs titres: en la remplissant vous accomplissez la volonté de Dieu, vous trouvez le Christ dans ceux auxquels vous êtes envoyés, vous cherchez finalement à préparer à Dieu un peuple d’adorateurs en esprit et en vérité.

La réalisation de votre mission ne va pas sans difficultés ni sans épreuves. Comme tous les Instituts religieux, vous souffrez de la diminution sensible du recrutement, de l’abandon même d’un certain nombre de frères désorientés peut-être par les bouleversements de la société et insuffisamment aguerris pour y faire face. Cette constatation, loi de vous décourager, doit vous inciter au contraire à remercier Dieu du don précieux de votre vocation, à comprendre vos responsabilités et à y répondre avec plus de vigilance et de générosité. Elle doit également vous rappeler l’urgence et l’importance de la formation initiale des jeunes frères pour qu’ils entrent progressivement dans l’attitude spirituelle fondamentale de votre vie religieuse. Nous sommes heureux de savoir que votre chapitre a cherché les moyens d’améliorer la recherche des vocations et la formation, indispensable et spécifique, des novices. Cette initiation n’est d’ailleurs jamais achevée: il est nécessaire de se convertir chaque jour au Seigneur, de s’adapter pour répondre aux besoins spirituels des jeunes, de promouvoir la formation permanente des frères, notamment des responsables, dans une communion intime à la vie et aux orientations de l’Eglise.

Voilà quelques conditions qui permettent de renouveler votre vie spirituelle et de redonner vigueur à votre vocation religieuse. Notre salut particulier et nos voeux à votre nouveau Supérieur général, le Très cher Frère José Padre Basterrechea, et aux capitulants qui représentent les jeunes Eglises d’Afrique et d’Asie. A tous, nos encouragements et, en gage d’espérance, notre affectueuse Bénédiction Apostolique.

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Nous sommes heureux aussi de saluer la délégation de l’Association des Entrepreneurs belges de travaux du génie civil. Nous vous remercions, chers amis, de votre participation à nos oeuvres de charité: tant d’hommes manquent encore du nécessaire! Nous recommandons au Seigneur le progrès de votre vie chrétienne, aussi bien dans l’exercice de votre profession que dans votre famille, et Nous vous bénissons de grand coeur, ainsi que tous ceux qui vous sont chers.




23 juin 1976: PRIEZ COMME CECI...

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Chers Fils et Filles,



Répondant à vos dispositions spirituelles avides en ce moment, pensons-nous, d’entendre notre parole, nous vous inviterons une fois de plus à réfléchir à la prière ; il nous semble que c’est dans cet acte que se synthétise pratiquement la vie spirituelle à laquelle les récentes célébrations liturgiques nous ont prédisposés.

Le renouvellement de notre vie morale, c’est-à-dire cette conversion, cette manière droite d’orienter toutes nos actions, cette metanoia dont parle l’Evangile et à laquelle on se réfère souvent, puis encore le rapport confiant et affectueux rétabli avec Dieu par l’approche aux sacrements pascals et, finalement, une expérience, prudente et dangereuse du moment social historique que nous vivons, tout cela nous met dans le coeur et sur les lèvres une prière spontanée et filiale. Nous nous trouvons probablement dans des conditions idéales pour prendre le vol vers le mystère de Dieu, un mystère qui n’est plus celé, qui n’est plus effrayant, mais qui est avalisé par la foi et étayé par quelque joyeuse expérience intérieure.

Quelle sera alors notre prière ? Demandons-le au Divin Maître lui-même, à Jésus Notre Seigneur : « apprends-nous à prier » (
Lc 11,1). Et voici la formule, première et suprême par antonomase, de notre colloque avec Dieu, celle que le Christ nous a enseignée : le « Notre Père ». Elle est l’expression la plus simple, la plus heureuse, la plus profonde de notre religion. Nous le savons tous.

Mais nous ferions bien d’y consacrer une réflexion toute spéciale, précisément pour nous rendre compte — ne serait-ce même que cela — du bonheur que nous avons de pouvoir prier ainsi ! Nous n’oserions pas vous en dire plus en ce moment. Qu’il suffise que nous vous invitions à réfléchir au moins au rapport religieux que cette prière établit entre nous, minuscules atomes dans l’océan de l’univers, et le Créateur de toute chose, l’Etre infini, éternel, ineffable, omniprésent et mystérieux, le Dieu du ciel et de la terre. Cette première constatation est déjà suffisante pour fixer notre pensée : Sommes-nous devenus si grands que nous pouvons nous arroger le titre de fils de Dieu ? ou est-ce Dieu qui a daigné se pencher vers nous jusqu’à nous permettre de le considérer, de le savoir notre Père ? C’est là le coeur de l’Evangile ; c’est la perspective, familière et exceptionnelle, que nous offre la révélation chrétienne. Pensons-y ; pensons-y ; car tout aussitôt nous sommes emportés vers l’horizon incommensurable de l’univers : Notre Père (souvenons-nous : notre Père, le nôtre !) qui êtes aux cieux ; le climat du mystère rend au Père cette face qui échappe à toute tentative de contemplation, mais ne nous enlève pas la certitude et la joie de nous être emparés de son vrai nom, de son nom si doux : Notre Père, principe vivant et amoureux de notre être, petit certes, mais merveilleux qui, baigné de la Lumière présente et invisible du soleil divin, se révèle à notre conscience comme son image à Lui ; Dieu dit, à l’origine : « faisons l’homme à notre ressemblance » (Gn 1,26) ; et alors in lumine Tuo videbimus lumen (Ps 35,10) — c’est par ta lumière que nous voyons la lumière —. Il suffirait de cette première annonce du dialogue rendu possible entre l’homme et Dieu, pour dire merci au Christ, pour lui dire la joie, imprévue et extatique, de notre esprit : « Maître, nous nous trouvons bien ici » (Mc 9,5).

Mais ceci n’est que l’atrium de notre conversation, devenue, déjà au seuil de son entrée dans le royaume des cieux, une conversation céleste (cf. Ep 3,20). Vous savez comment elle se poursuit, suivant un double dessein symétrique et trinitaire. Avec trois envolées ascendantes, vers le nom, vers le royaume, vers la volonté de Dieu ; célébratives les premières ; les trois suivantes implorantes, demandant le pain, le pardon, la protection nécessaire à notre fragile existence ; tendues les unes et les autres vers l’effort possible pour l’humble mais indispensable causalité humaine, de telle sorte que la prière ne soit pas la pusillanime et fataliste résignation aux accablantes difficultés du monde hostile, obscur qui nous cerne, mais au contraire qu’elle soit tournée vers la supérieure, mais compatissante causalité divine, que la prière filiale implore pour résoudre nos insolubles besoins. C’est ici que nous avons le point de liaison et de rencontre de la souveraine efficience divine à laquelle s’ouvre et sur laquelle se greffe, humble mais disponible et pleine de bonne volonté, l’efficience humaine. Tant d’aspects de la sagesse religieuse sont résumés ici pour nous enseigner et nous réconforter ! Et comme elle nous rend humbles, comme elle nous fait grands, la prière du « Notre Père » que nous a enseignée le Maître unique et souverain lui-même, Jésus-Christ (cf. Mt 23,8) ! et quelle profondeur subjective et personnelle elle creuse au-dedans de nous, quelles harmonies communautaires elle exige et encourage !

N’en disons pas plus mais nous voudrions que cette reine des prières devienne notre prière préférée. Et qu’elle soit, parfois, l’objet d’une spéciale, d’une attentive méditation. Il existe toute une littérature sur cette « Oraison dominicale », sur cette prière que le Seigneur nous a lui-même enseignée (Parmi les commentaires classiques les plus accessibles : tertullien, De oratione, P.L.I. 1149-1196 ; saint cyprien, De or. dom., PL 4, 519-543 ; Cat. Rom. Trident., De or. dom., etc., parmi les commentateurs les plus récents : Carnelutti, etc.).

Expression de notre insuffisance, de notre faiblesse, de notre culpabilité, la prière du Seigneur peut devenir notre force, notre confiance, notre espérance : « Demandez, et il vous sera donné » a dit le Seigneur. « Qui d’entre vous, quand son fils lui demande du pain, lui remettra une pierre ? ou, s’il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les deux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l’en prient » (Mt 7,9-11).

Priez donc ; priez toujours.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Nous saluons particulièrement ce matin un groupe d’étudiants orthodoxes de la Faculté théologique de Thessalonique, accompagnés de leur Doyen, qui font un voyage culturel et religieux en Italie.

Nous espérons qu’une connaissance réciproque directe facilitera la démarche vers la pleine unité entre nos Eglises, afin qu’elles donnent ensemble un nouveau témoignage de foi et d’unité. Pour vous, Nous vous souhaitons un plein succès dans vos études afin de rendre plus tard de féconds services.

Veuillez transmettre nos salutations à vos Evêques. Pour Nous, Nous invoquons sur vous et vos familles les bénédictions du Seigneur.




7 juillet 1976: CONSTRUIRE L’EGLISE

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Chers Fils et Filles,



Vous qui venez visiter et vénérer le siège de l’humble successeur de l’apôtre, Simon fils de Jean, que Jésus Lui-même a appelé Pierre, quelle parole prophétique, quel destin historique cherchez-vous, non seulement à l’emplacement de sa tombe mais aussi dans l’édifice monumental qui glorifie sa mémoire et symbolise sa mission spirituelle ? N’entendez-vous pas au fond du coeur l’écho de la promesse que Jésus a faite à l’Apôtre lorsqu’il lui dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » ? (
Mt 16,18). Paroles fatidiques qui semblent acquérir une signification sensible et que nous ne méditerons jamais assez ; paroles qui se répercutent non seulement dans l’édifice de la Basilique où nous sommes venus regarder, admirer, prier, mais surtout dans l’institution qui a ici son pivot et son coeur, qui nous implique tous et qui nous révèle notre nom, très commun et plus que jamais mystérieux : nous, nous sommes Eglise, l’Eglise, le corps historique, visible et en même temps spirituel et transcendant notre scène historique, le Corps mystique du Christ ! C’est pour ce lieu béni, c’est pour ce moment privilégié que l’annonce messianique et divine a été prononcée, proclamée : « Moi, moi le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, je bâtirai mon Eglise ».

Tout cela mérite d’être écouté, médité, et compris dans la mesure où cela nous est possible. Contentons-nous, en ce moment de choisir un seul mot : « Moi, le Seigneur... (cf. Is 9,4-6), je bâtirai... » Que signifie ce terme, bâtir, édifier. Cela veut dire prendre des matériaux informes et dispersés et, tout en respectant leur structure essentielle, les modeler, les unir, les grouper selon un plan architectural, leur conférer l’utilité et la dignité d’un destin unique qui réfléchisse une pensée, une finalité, une beauté qui appartient à chacun des éléments en particulier et à l’édifice dans son ensemble. Voilà ce que le Christ a voulu faire de l’humanité, du royaume de Dieu, de la construction. Voilà le royaume de Dieu que l’Evangile annonce, voilà l’Eglise dont le Christ a dit : « mon Eglise » ; voilà l’humanité impliquée dans le dessein du salut. Ceci est la clé qui ouvrira l’intelligence aux Ecritures : qu’on lise l’histoire d’Abraham (cf. Gn 12,3 Ga 3,8 et ss.) ; l’histoire d’Israël (Ga 6,15-16 Rm 9 etc.); l’histoire de l’Eglise naissante (Ac 11,17-18 etc.); c’est la pensée divine, à l’oeuvre dans l’histoire de l’humanité, et au plus secret des âmes qui écoutent le Maître intérieur.

L’immensité vertigineuse de la révélation divine qui ouvre devant nous son étendue sans fin et cependant toute proche (cf. Ep 3,18-19 et ss.) peut donner au visiteur une sensation d’ivresse et en même temps un sentiment de confusion, peut le laisser pour ainsi dire écrasé, dérouté. Il ne faut pas qu’il en soit ainsi ! Puisons-y au contraire deux messages qui nous comblent de réconfortante énergie.

Le premier est le message de l’unité et de l’universalité qui découle de l’Evangile et qui s’est emparé de nous ici. Il y a tant de choses qu’un tel message nous obligerait à rappeler ! Il suffirait d’en écouter, non pas seulement l’écho, mais la répétition, devenue simple comme une expression verbale, extrêmement réaliste et entraînante toutefois, qui vibre dans les dernières et si émouvantes paroles du Christ, au seuil de sa passion : « Que tous soient un » (cf. Jn 17,11 ; etc.). Ici, ces paroles testamentaires du Seigneur résonnent sans fin. Ici elles deviennent comme une trompe qui sonne pour tous les peuples ; ici, elles deviennent vocation pour tous ceux qui ont l’esprit ouvert à l’appel divin. Ici, elles sont comme une offrande, comme un jeu amoureux du Seigneur, un colloque avec lui. Ecouter est ici la première forme de prière, d’expression spirituelle sincère, apte à greffer celui qui écoute dans le dessein du divin interlocuteur.

Puis le second message, celui relatif à la construction; la construction de l’Eglise, que le Christ Lui-même opère dans l’histoire ; une construction qui, pour nous fils du temps, est toujours, peut-on dire, un commencement. Tout le travail accompli au cours des siècles qui nous précèdent ne nous exonère pas de la collaboration avec le divin constructeur ; mieux, il nous appelle, et pas seulement à une fidèle tâche de conservation ; encore moins à un passif traditionalisme ou au refus hostile des innovations continuelles de la vie humaine ; il nous appelle à recommencer da capo, nous souvenant, certes, et gardiens fidèles, de ce que l’histoire authentique de l’Eglise a accumulé pour notre génération et pour toutes les suivantes, mais conscients du fait que jusqu’à la fin des temps, l’édifice réclame de nouveaux travaux, exige une construction laborieuse, fraîche, géniale, comme si l’Eglise, l’édifice divin, devait commencer aujourd’hui son aventureux défi aux célestes hauteurs (cf. 1Co 3,10 1P 2,5) ; ici, il faut se libérer de la fatigue, de la paresse, de la méfiance, de la contestation systématique qui ruine l’effort ; ici il faut, avec fraîcheur juvénile et audace géniale, avec humilité et grande confiance, tâcher de voir, à travers les besoins de la société, le projet que le Christ, le bâtisseur, prépare pour les siens; efforçons-nous d’être les siens. Avec notre Bénédiction Apostolique.




14 juillet 1976: LA FOI EST LA BASE

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Chers Fils et Filles,



Nous avons dit, et reprenant un discours que nous jugeons fondamental et véritable programme de vie chrétienne, nous répétons : il faut construire l’Eglise. Oui, cet édifice qui exprime le dessein religieux pour l’humanité, l’ordre spirituel de chaque homme et celui des hommes considérés socialement ; qui signifie l’organisation d’une société dans laquelle se réalise la pensée de Dieu au sujet du monde. Son plan concernant nos rapports vrais et opérants avec la Divinité, Son amoureux projet relatif à notre salut, l’Eglise, donc, — répétons-le — doit être construite dans le siècle présent, dans l’histoire que nous sommes en train de vivre.

Construire l’Eglise ! en tenant compte de diverses choses extrêmement importantes.

Et d’abord du fait qu’il s’agit d’une opération qui n’est pas, effectivement, la nôtre mais celle du Christ ; du Christ lui-même. Il a dit : « Je bâtirai mon Eglise » (
Mt 16,18). Lui, il est le divin Architecte ; il est le maître d’oeuvre ; en ce certain sens il est l’unique constructeur. Il s’agit d’une opération dont II est Lui-même la vraie cause. C’est de Lui que dépend l’oeuvre que nous voulons voir réaliser ; c’est Son oeuvre, c’est une oeuvre divine. Nous, invités dans les chantiers des desseins divins nous sommes des collaborateurs. « Nous sommes, dit Saint Paul, les collaborateurs de Dieu » (1Co 3,9) ; nous sommes cause seconde dans la grande exécution de l’oeuvre qui a Dieu, qui a le Christ pour cause première; nous sommes des ministres, nous sommes des instruments ; nous nous trouvons dans l’ordre de la « conditionnalité » plutôt que dans celui de la causalité ; il s’agit là d’une question théologique sur laquelle se sont penchés laborieusement les plus grands penseurs, comme Saint Augustin (cf. De Gratia Christi, 26 ; P.L. X, 374) ; qu’il nous suffise de rappeler Saint Paul : « Que possèdes-tu, que tu n’aies reçu ? » (1Co 4,7). Mais cette doctrine, nous le répétons, ne diminue en rien notre responsabilité, ne nous enlève pas le mérite de notre action ; et, au point de vue du thème qu’ici nous considérons, il confère à notre oeuvre ministérielle la grande dignité d’être collaboratrice de l’oeuvre divine ; elle ne rend pas sans portée la nécessité de l’effort humain; au contraire celui-ci est réclamé jusqu’au don total de soi dans l’engagement même à participer à l’oeuvre de la grâce (cf. 2Co 12,9).

La seconde chose à noter est que pour nous il s’agit moins de construire l’Eglise que de la reconstruire, sauf évidemment si nous nous trouvons dans le domaine missionnaire où l’implantation, la plantatio de l’Eglise doit commencer par la première annonce de l’Evangile (cf. Ad Gentes, AGD 3). Mais nous, dans les pays d’ancienne formation chrétienne, nous devons être consciemment attentifs à un facteur indispensable dans la question de la construction de l’Eglise ; il s’agit de la tradition, du travail accompli au cours des siècles par ceux qui nous ont précédés dans la construction de l’Eglise. Nous sommes les héritiers, les continuateurs d’une oeuvre précédente ; nous devons avoir le sens de l’histoire et nous exercer à rester, humblement et heureusement, fidèles à tout ce que les siècles écoulés nous ont transmis de vivant et d’authentique dans la formation du Corps mystique du Christ.

Nous devons prendre garde à ne pas nous laisser entraîner par l’esprit révolutionnaire qui, inconsciemment, caractérise tant de gens de notre époque, des gens qui ignorent tout ou veulent tout ignorer du travail accompli par les générations précédentes et qui croient qu’ils peuvent entreprendre l’oeuvre de salut de l’humanité en répudiant tout ce que l’expérience, confirmée par un magistère de cohérence et d’authenticité, nous a conservé, et en recommençant à zéro l’édification d’une nouvelle civilisation. Nous sommes, nous, sagement conservateurs et continuateurs, et nous ne devons pas craindre que cette double qualification, judicieusement comprise, dépouille l’oeuvre actuelle de sa vivacité et de son génie. Dans la construction de l’Eglise, l’oeuvre à accomplir, spécialement sur le plan spirituel et pastoral, est toujours nouvelle, se trouve toujours à ses débuts.

Il y a enfin une troisième chose dont nous avons toujours à nous souvenir lorsque nous nous proposons de construire l’Eglise : c’est le fondement sur lequel la construction repose et doit s’élever : ce fondement est la foi, la foi en Jésus-Christ ; « Vous êtes, écrit encore Saint Paul, l’édifice de Dieu. Suivant la grâce divine qui m’a été donnée, j’ai posé le fondement comme un sage architecte, mais c’est un autre qui a bâti par-dessus. Que chacun avise à ce qu’il met ainsi par-dessus. En fait de fondement, on ne peut en poser d’autre que celui qui y est déjà, je veux dire Jésus-Christ » (1Co 3,10-12). Cela l’Apôtre l’a écrit aux Corinthiens ; puis, aux Romains, il a ouvert la voie de la théologie chrétienne en enseignant : « Il est écrit : le juste vit de foi » (Rm 1,17 cf. Rm 3,22). Le juste vivra, puisant dans la foi le principe du salut, de la justification; principe objectif, comme don divin ; et principe subjectif, comme acceptation du don de la foi (cf. Conc. de Trente, sess. VI, 7 ; Denz-Schon. DS 1528 et ss.). Les termes de cette doctrine se trouvent ainsi clairement énoncés ; mais le processus ontologique de la foi, c’est-à-dire du don divin, et le processus moral et psychologique, c’est-à-dire humain, par lequel la foi prend possession de l’âme et en inspire l’action, en informe la vie, demeure le grand chapitre de notre doctrine religieuse ; chapitre immense, stupéfiant, dramatique, sur lequel se fonde l’édifice que nous voulons construire, l’Eglise ; ou mieux, l’édifice dans lequel nous trouverons la lumière, la paix, la force d’être chrétiens.

La foi, souvenons-nous en est la base ; la foi de Pierre qui, par inspiration divine, répondit à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Souvenons-nous ! Avec notre Bénédiction Apostolique.






21 juillet 1976: EDIFIER L’EGLISE AVEC CHARITÉ

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Chers Fils et Filles,



Construire l’Eglise, comme nous l’avons déjà dit est notre grand devoir, à nous autres chrétiens ; c’est le devoir de ce temps que nous espérons tous voir finalement délivré des persistantes séquelles belliqueuses et psychologiques des terribles conflits qui ont, au cours de ce siècle, ensanglanté la terre et exacerbé ses populations ; et nous espérons qu’en même temps pourront se résoudre en formules nouvelles de rapports justes et pacifiques les différends sociaux qui troublent la société humaine. C’est dans ce cadre du monde contemporain, que nous souhaitons de nouveau pacifié, qu’il faut construire l’Eglise, c’est-à-dire donner consistance et efficacité spirituelle et bénéfique au plan humano-divin du salut et de fraternité que le Christ a inauguré dans le monde et qu’il a poursuivi au milieu des vicissitudes contrastées de l’histoire, tout au long des siècles jusqu’au nôtre qui, d’une part, présente, selon certains, les signes d’une fatale décadence religieuse et, d’autre part, relève encore mieux la vertu prophétique du Christianisme relativement à la civilisation moderne. Quant à nous l’héritage du récent Concile nous stimule à l’espérance et nous oblige aux laborieux efforts.

Construire l’Eglise, en deux sens : c’est-à-dire, d’une part, reconstruire cette Eglise qui nous a légué un héritage extraordinairement riche, mais qui a un immense besoin de purification selon l’esprit de l’Evangile (il y a tant et tant de stimulants en ce sens qui nous viennent de l’expérience morale de la pensée contemporaine !), et un grand besoin d’être restaurée, spécialement en ce qui concerne les valeurs religieuses que le monde estime de moins en moins, alors qu’il en a tant besoin. Puis, en un second sens qui porte vers l’avenir, plus que vers le passé ; qui se propose de continuer, de renouveler, aussi, fidèle à la tradition, l’ancienne construction et de lui donner de nouveaux développements conformes à ses exigences historiques et constitutionnelles. Et voici alors une formidable question qui jaillit du coeur de chacun : l’Eglise ; mais c’est quoi, l’Eglise ? parce que sous ce nom d’innombrables choses différentes peuvent être désignées à cause de l’expérience historico-culturelle, sociale dont le « royaume de Dieu » prêché par le Christ dans le cadre évangélique fut en même temps cause et effet, obligeant la conscience des hommes de notre temps à renouveler, dans la pensée et dans l’action, le concept, le vrai concept essentiel et vital de cette Eglise que nous disons vouloir construire, reconstruire et exprimer dans un cohérent édifice nouveau.

Qu’est-ce donc que l’Eglise ? L’interrogation se fait pressante également à cause des opinions multiples — et souvent aberrantes — qui attribuent à l’Eglise des coordonnées incertaines et arbitraires. Par chance — une chance dont nous favorise la Providence — le récent Concile a concentré son étude doctrinale sur cette question : « Qu-est-ce que l’Eglise » et il a fait voir à l’Eglise elle-même son propre visage comme dans un miroir limpide ; et il l’a, également, fait voir au monde profane dans un tableau aussi noble qu’intéressant, quelle que soit la manière de le considérer. L’Ecclésiologie est le chapitre d’actualité de la Théologie.

Nous en avons également une preuve dans un document de haute valeur publié récemment par l’Episcopat Lombard (novembre 1975) et dans lequel est exprimé précisément le besoin de nous fixer à nous-mêmes le profil théologique de l’Eglise. On y lit notamment : « Le Concile Vatican II nous a amplement expliqué ce qu’est l’Eglise et nous renvoyons à son admirable doctrine. Il nous semble toutefois essentiel de rappeler ici quelques-unes de ses lignes essentielles : L’Eglise — selon l’enseignement du Concile — est le mystère de la communion des hommes avec Dieu le Père, et de leur communion entre eux, par l’opération du Christ, dans l’Esprit Saint. En d’autres mots, elle est le Peuple de Dieu que le Père Eternel a rassemblé en y appelant les hommes de toute souche humaine, de tout lieu de la terre et de chaque siècle de l’histoire ; que le Seigneur Jésus a racheté par sa mort et sa résurrection ; que le Saint-Esprit illumine de sa lumière intérieure, sanctifie par la grâce, unifie par la foi, l’espérance et la charité, et guide au moyen du ministère visible de ceux qui ont reçu le mandat de paître le troupeau de ceux qui ont été réconciliés par le Sang du Christ (cf
Ac 20,28) ».

Nous n’allons pas maintenant donner une leçon doctrinale. Qu’il nous suffise de réaffirmer cette idée, cette intention qui a guidé notre discours : construire l’Eglise. D’où résulte une seconde demande fondamentale : comment peut-on construire ? Au cours de l’audience précédente nous avons dit : « on peut, on doit construire sur la foi, comme le Christ lui-même l’a enseigné, en proclamant que le nom de l’Apôtre serait celui de Pierre et en faisant en même temps l’éloge de sa profession de foi. Nous insistons : avec quelles forces pourrions-nous construire ? Réponse : avec les forces de l’amour. Seul celui qui l’aime peut construire l’Eglise. C’est-à-dire : l’édifier, la vivifier. Et sous cet aspect, c’est le Christ Lui-même qui se donne en exemple : « Christus dilexit Ecclesiam » (Ep 5,25). Le Christ a aimé l’Eglise, écrivait Saint Paul, et il s’est sacrifié Lui-même pour elle. L’amour revêt l’expression et la mesure les plus élevées : celles du sacrifice : « Il n’y a pas d’amour plus grand que celui — a dit Jésus Lui-même — de donner sa vie pour ses propres amis » (Jn 19,13).

N’est-ce pas l’amour qui soutient les Pasteurs ? (cf Jn 10,11 Jn 21,15 et ss.). N’y a-t-il pas l’amour, le don de soi, à la base de la vocation ? n’est-ce pas l’amour qui pousse les missionnaires vers des terres lointaines, inhospitalières ? (2Co 5,14) ; n’est-ce pas l’amour qui engendre la concorde et l’activité dans les communautés ecclésiales ? (cf Jn 13,34).

Construire l’Eglise par amour, dans l’amour; que cela soit notre force.

Avec notre Bénédiction Apostolique.







Catéchèses Paul VI 16676