Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.11

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Témoignage de Jean

11 1 C'est cette même foi qu'a annoncée Jean, le disciple du Seigneur. Il voulait, en effet, par l'annonce de l'Évangile, extirper l'erreur semée parmi les hommes par Cérinthe et, bien avant lui, par ceux qu'on appelle les Nicolaïtes Ap 2,6 Ap 2,15 - il s'agit d'une ramification de la Gnose au nom menteur -. Il désirait les confondre et les persuader qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui a fait toutes choses par son Verbe, et qu'il est dès lors faux d'affirmer, comme ils le font, qu'autre est le Démiurge et autre le Père du Seigneur; qu'autre aussi est le Fils du Démiurge et autre le Christ d'en haut, qui serait demeuré impassible lors de sa descente sur Jésus, le Fils du Démiurge, et se serait envolé de nouveau dans son Plérôme, que le Principe est lc Monogène, tandis que le Logos est le Fils de ce Monogène; qu'enfin notre monde créé n'a pas été fait par le premier Dieu, mais par une Puissance située dans des régions tout à fait inférieures et coupée de toute communication avec les réalités invisibles et innommables. C'est toutes ces erreurs que voulut éliminer le disciple du Seigneur, et en même temps établir dans l'Église la règle de vérité, à savoir qu'il n'y a qu'un seul Dieu tout-puissant qui, par son Verbe, a fait toutes choses, les visibles et les invisibles. Il voulut aussi indiquer que dans ce même Verbe, par lequel il avait effectué la création, Dieu a procuré le salut aux hommes qui se trouvent dans cette création. Il commença donc son enseignement évangélique par ces mots: "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était, au commencement, auprès de Dieu. Toutes choses ont été faites par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait. Ce qui a été fait en lui est vie, et la Vie était la Lumière des hommes, et la Lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point saisie ." "Toutes choses, dit-il, ont été faites par son entremise": dans ce "toutes choses" est évidemment inclus notre monde créé, car on ne peut concéder aux hérétiques que l'expression "toutes choses" désignerait ce qui se trouve à l'intérieur de leur Plérôme. En effet, si leur Plérôme contient aussi ces choses qui nous entourent, notre vaste monde créé n'est donc pas en dehors de lui, ainsi que nous l'avons montré dans le livre précédent; si, au contraire, ces choses sont en dehors du Plérôme - ce qui d'ailleurs est apparu comme impossible -, leur prétendu Plérôme n'est plus "toutes choses". Donc ce vaste monde créé n'est pas en dehors de ce "toutes choses".

2 Jean a d'ailleurs lui-même écarté de nous toute divergence d'opinions, en disant: "I1 était dans le monde, et le monde a été fait par son entremise, et le monde ne l'a pas connu. Il est venu dans son propre domaine, et les siens ne l'ont pas reçu Jn 1,10-11." D'après Marcion et ses pareils, au contraire, le monde n'a pas été fait par son entremise, et il n'est pas venu dans son propre domaine, mais dans un domaine étranger. Selon certains d'entre les "Gnostiques", c'est par des Anges qu'aurait été fait ce monde, et non par l'entremise du Verbe de Dieu. Selon les disciples de Valentin, il n'aurait pas davantage été fait par l'entremise du Logos, mais par celle du Démiurge. En effet, d'un côté, le Logos agissait en sorte que telles ou telles similitudes fussent produites à l'imitation des réalités d'en haut, comme ils disent, et, de l'autre, le Démiurge effectuait la production de la création. Car ils prétendent que ce dernier fut émis par la Mère comme Seigneur et Démiurge de l'oeuvre de création et ils veulent que ce monde ait été fait par l'entremise de ce Démiurge, alors que l'Évangile dit clairement que toutes choses ont été faites par l'entremise du Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu.

Et c'est ce "Verbe", dit Jean, qui "s'est fait chair et a habité parmi nous Jn 1,14". 3 D'après les hérétiques, par contre, ni le Logos ne s'est fait chair, ni le Christ, ni le Sauveur issu de tous les Éons. Car ils soutiennent que le Logos et le Christ ne sont même pas venus en ce monde; quant au Sauveur, il n'aurait connu ni incarnation ni souffrance, mais il serait seulement descendu sous forme de colombe dans le Jésus de l'économie et, après avoir annoncé le Père inconnaissable, il serait remonté dans le Plérôme. D'après les uns, seul aurait revêtir une chair et aurait souffert le Jésus de l'économie, qui serait passé à travers Marie comme de l'eau à travers un tube; pour d'autres, ce serait le Fils du Démiurge, en lequel serait descendu le Jésus de l'économie; pour d'autres encore, Jésus serait né de Joseph et de Marie, et en lui serait descendu le Christ d'en haut, qui est sans chair et impassible. Or, selon aucune de ces opinions hérétiques, "le Verbe" de Dieu ne "s'est fait chair ". En effet, si l'on scrute les systèmes de tous ces gens, on constate que tous introduisent un Logos de Dieu et un Christ d'en haut qui sont sans chair et impassibles: les uns pensent que le Logos ou Christ en question s'est manifesté en revêtant la forme d'un homme, mais nient qu'il soit né et se soit incarné; d'autres n'admettent même pas qu'il ait pris la forme d'un homme, mais veulent qu'il soit descendu sous forme de colombe sur le Jésus né de Marie. Tous ces gens-là donc, le disciple du Seigneur fait la preuve qu'ils sont de faux témoins, lorsqu'il dit: "Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous ."

4 Et pour que nous n'ayons pas à nous livrer à des recherches, lui-même nous enseigne au surplus de quel Dieu est ce Verbe qui s'est fait chair: "Il y eut, dit-il, un homme envoyé par Dieu: son nom était Jean. Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière. I1 n'était pas la Lumière, mais il venait pour rendre témoignage à la Lumière Jn 1,6-7." Ce Jean le Précurseur, qui rendait témoignage à la Lumière, par quel Dieu avait-il donc été envoyé? Sans aucun doute par Celui dont Gabriel était l'ange - car c'est celui-ci qui annonça la bonne nouvelle de la naissance de Jean Lc 1,19) - et qui déjà, par les prophètes, avait promis d'envoyer son messager devant la face de son Fils pour lui préparer le chemin Ml 3,1 Mc 1,2, c'est-à-dire pour rendre témoignage à la Lumière, "dans l'Esprit et la puissance d'Élie Lc 1,17". Et Élie, à son tour, de quel Dieu fut-il le serviteur et le prophète? De Celui qui avait fait le ciel et la terre, ainsi qu'il le confesse lui-même. Si donc Jean était envoyé par le Créateur et l'Auteur de ce monde, comment aurait-il pu rendre témoignage à une Lumière prétendument descendue des lieux innommables et invisibles? Car tous les hérétiques ont décrété que le Démiurge ignore la Puissance qui est au-dessus de lui - cette Puissance dont Jean se trouve précisément être le témoin et l'indicateur. Et c'est d'ailleurs pour cela que, au dire du Seigneur, Jean a eu "plus qu'un prophète Mt 11,9 Lc 7,26": tous les autres prophètes ont annoncé la venue de la Lumière du Père et ont désiré être jugés dignes de voir Mt 13,17 Celui qu'ils prêchaient, mais Jean, tout en l'annonçant par avance de la même manière que les autres, l'a vu présent, l'a désigné Jn 1,29 et a persuadé à beaucoup de croire en lui, si bien qu'il a tenu à la fois la place d'un prophète et celle d'un apôtre. C'est cela même que signifient les mots "plus qu'un prophète", car il y a "premièrement les apôtres, et deuxièmement les prophètes 1Co 12,28", encore que tous les dons viennent d'un seul et même Dieu.

5 Car il était déjà bon, ce vin qui avait été produit par Dieu dans la vigne par le processus de la création et qui fut bu en premier lieu Jn 2,1: nul de ceux qui en burent ne le critiqua, et le Seigneur lui-même en accepta. Mais meilleur fut le vin qui, par l'entremise du Verbe Jn 2,10, en raccourci et simplement, fut fait à partir de l'eau à l'usage de ceux qui avaient été invités aux noces. En effet, quoique le Seigneur eût le pouvoir, sans partir d'aucune créature préexistante, de fournir du vin aux convives et de combler de nourriture les affamés, il n'a pas procédé de cette façon, mais c'est en prenant des pains qui provenaient de la terre et en rendant grâces Jn 6,11, comme c'est encore en changeant de l'eau en vin, qu'il a rassasié les convives et désaltéré les invités aux noces Mt 22,2-10 Ap 19,9. I1 montrait par là que le Dieu qui a fait la terre et lui a commandé de porter du fruit Gn 1,1 Gn 1,11, qui a établi les eaux et fait jaillir les sources Gn 1,9, ce même Dieu octroie aussi au genre humain, dans les derniers temps, par l'entremise de son Fils, la bénédiction de la Nourriture et la grâce du Breuvage, lui, l'Incompréhensible, par Celui qui peut être compris, lui, l'Invisible, par Celui qui peut être vu: car ce Fils n'est pas en dehors de lui, mais se trouve dans le sein du Père.

6 En effet, "Dieu, est-il dit, personne ne l'a jamais vil; seul le Fils unique de Dieu, qui est dans le sein du Père, l'a lui-même fait connaître Jn 1,18". Car ce Père, qui est invisible, le Fils qui est dans son sein le fait connaître à tous. C'est pourquoi ceux-là le connaissent à qui le Fils l'a révélé Mt 11,27; de son côté, le Père donne la connaissance de son Fils, par ce Fils même, à ceux qui l'aiment Mt 11,25. C'est pour l'avoir appris du Père que Nathanaël le connut, lui à qui le Seigneur rendit ce témoignage qu'il était "un véritable Israélite en qui il n'y avait pas de fraude Jn 1,47". Cet Israélite connut son Roi, et il lui dit: "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d'Israël Jn 1,49." C'est aussi pour l'avoir appris du Père Mt 16,17 que Pierre connut "le Christ, le Fils du Dieu vivant Mt 16,16", de ce Dieu qui disait: "Voici mon Fils bien aimé, en qui je me suis complu. Je mettrai mon Esprit sur lui, et il fera connaître le jugement aux nations. Il ne disputera ni ne criera, et nul n'entendra sa voix sur les places. Il ne brisera pas le roseau à demi rompu et il n'éteindra pas la mèche qui fume encore, jusqu'à ce qu'il assure le triomphe du jugement, et c'est en son nom que les nations mettront leur espoir Mt 12,18-21 Is 42,1-4."

L'Évangile tétramorphe

7 Tels sont les commencements de l'Evangile: ils annoncent un seul Dieu, Créateur de cet univers, qui fut prêché par les prophètes et donna la Loi par l'entremise de Moïse; ils proclament que ce Dieu est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ et, en dehors de lui, ils ne connaissent point d'autre Dieu ni d'autre Père. Si grande est l'autorité qui s'attache à ces Évangiles, que les hérétiques eux-mêmes leur rendent témoignage et que chacun d'eux leur arrache quelque lambeau pour tenter d'appuyer son enseignement. Ainsi les Ebionites se servent du seul Évangile selon Matthieu; mais ils sont convaincus par cet Evangile même de ne pas penser correctement au sujet du Seigneur. Marcion ampute l'Evangile selon Luc; mais les fragments qu'il en conserve encore prouvent qu'il est un blasphémateur à l'égard du seul vrai Dieu. Ceux qui séparent Jésus du Christ et veulent que ce Christ soit demeuré impassible, tandis que Jésus seul aurait souffert, vantent l'Évangile selon Marc; mais, s'ils le lisent avec l'amour de la vérité, ils ont la possibilité de revenir à des idées saines. Quant aux disciples de Valentin, ils utilisent abondamment l'Évangile selon Jean pour accréditer leurs syzygies; mais ils sont convaincus par cet Evangile même de ne rien dire de correct, ainsi que nous l'avons montré dans le premier livre. Ainsi donc, puisque nos contradicteurs rendent témoignage aux Évangiles et les utilisent, solide et vraie est la preuve que nous élaborons à partir d'eux.

8 Par ailleurs, il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d'Évangiles. En effet, puisqu'il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d'autre part, l'Église est répandue sur toute la terre et qu'elle a pour colonne et pour soutien 1Tm 3,15 l'Évangile et l'Esprit de vie, il est naturel qu'elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l'incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D'où il appert que le Verbe, Artisan de l'univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses Sg 1,7, lorsqu'il s'est manifesté aux hommes, nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit. C'est ainsi que David, implorant sa venue, disait: "Toi qui sièges sur les Chérubins, montre-toi Ps 80,2." Car les Chérubins ont une quadruple figure Ez 1,6 Ez 1,10, et leurs figures sont les images de l'activité du Fils de Dieu. "Le premier de ces vivants, est-il dit, est semblable à un lion Ap 4,7", ce qui caractérise la puissance, la prééminence et la royauté du Fils de Dieu, "le second est semblable à un jeune taureau Ap 4,7", ce qui manifeste sa fonction de sacrificateur et de prêtre; "le troisième a un visage pareil à celui d'un homme Ap 4,7", ce qui évoque clairement sa venue humaine; "le quatrième est semblable à un aigle qui vole Ap 4,7", ce qui indique le don de l'Esprit volant sur l'Eglise. Les Évangiles seront donc eux aussi en accord avec ces vivants sur lesquels siège le Christ Jésus. Ainsi l'Évangile selon Jean raconte sa génération Is 53,8 prééminente, puissante et glorieuse, qu'il tient du Père, en disant: "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu Jn 1,1", et: "Toutes choses ont été faites par son entremise, et sans lui rien n'a été fait Jn 1,3." C'est pourquoi aussi cet Evangile est rempli de toute espèce de hardiesse: tel est en effet son aspect. L'Évangile selon Luc, étant de caractère sacerdotal, commence par le prêtre Zacharie offrant à Dieu le sacrifice de l'encens Lc 1,9, car déjà était préparé le Veau gras qui serait immolé pour le recouvrement du fils cadet Lc 15,23 Lc 15,30. Quant à Matthieu, il raconte sa génération humaine, en disant: "Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham Mt 1,1", et encore: "La génération du Christ arriva ainsi Mt 1,18." Cet Évangile est donc bien à forme humaine, et c'est pourquoi, tout au long de celui-ci, le Seigneur demeure un homme d'humilité et de douceur Mt 11,29. Marc enfin commence par l'Esprit prophétique survenant d'en haut sur les hommes, en disant: "Commencement de l'Evangile, selon qu'il est écrit dans le prophète Isaïe Mc 1,1-2." Il montre ainsi une image ailée de l'Évangile, et c'est pourquoi il annonce son message en raccourci et par touches rapides, car tel est le caractère prophétique. Les mêmes traits se retrouvent aussi dans le Verbe de Dieu lui-même: aux patriarches qui existèrent avant Moïse il parlait selon sa divinité et sa gloire; aux hommes qui vécurent sous la Loi il assignait une fonction sacerdotale et ministérielle; ensuite, pour nous, il se fit homme; enfin, il envoya le don de l'Esprit céleste sur toute la terre, nous abritant ainsi sous ses propres ailes Ps 17,8 Ps 61,5. En somme, telle se présente l'activité du Fils de Dieu, telle aussi la forme des vivants, et telle la forme de ces vivants, tel aussi le caractère de l'Évangile: quadruple forme des vivants, quadruple forme de l'Évangile, quadruple forme de l'activité du Seigneur. Et c'est pourquoi quatre alliances furent données à l'humanité: la première fut octroyée à Noé après le déluge, la seconde le fut à Abraham sous le signe de la circoncision; la troisième fut le don de la Loi au temps de Moïse; la quatrième enfin, qui renouvelle l'homme et récapitule tout en elle, est celle qui, par l'Évangile, élève les hommes et leur fait prendre leur envol vers le royaume céleste.

9 S'il en est ainsi, ils sont vains, ignorants, et audacieux de surcroît, ceux qui rejettent la forme sous laquelle se présente l'Évangile et qui introduisent à l'encontre soit un plus grand, soit un plus petit nombre de figures d'Évangile que celles que nous avons dites, les uns pour paraître avoir trouvé plus que la vérité, les autres pour rejeter les "économies" de Dieu. En effet, Marcion, qui rejette tout l'Evangile ou, pour mieux dire, qui se retranche lui-même de l'Évangile, ne s'en vante pas moins de posséder une partie de cet Évangile. D'autres, pour rejeter le don de l'Esprit répandu aux derniers temps sur le genre humain Ac 2,16-17 Jl 3,1 selon le bon plaisir du Père, n'admettent pas la forme de l'Évangile selon Jean, dans laquelle le Seigneur a promis d'envoyer le Paraclet Jn 15,26. Mais ils repoussent du même coup et l'Evangile et l'Esprit prophétique. Ils sont vraiment infortunés, ces gens qui soutiennent qu'il y a de faux prophètes et qui en prennent prétexte pour repousser de l'Église la grâce prophétique, se comportant comme ceux qui, à cause de gens qui viennent en hypocrites, s'abstiennent même des relations avec les frères. Il est normal que de tels hommes n'acceptent pas non plus l'apôtre Paul, car, dans l'épître aux Corinthiens, il a parlé avec précision des charismes prophétiques 1Co 14,1-40 et il connaît des hommes et des femmes qui prophétisent dans l'Église 1Co 11,4-5. Par tout cela donc, ces gens pèchent contre l'Esprit de Dieu et tombent de ce fait dans un péché irrémissible Mt 12,31-32. Quant aux disciples de Valentin, se situant en dehors de toute crainte et publiant des écrits de leur propre fabrication, ils se vantent de posséder plus d'Évangiles qu'il n'en existe. Ils en sont venus en effet à ce degré d'audace d'intituler "Évangile de vérité" un ouvrage composé par eux récemment et ne s'accordant en rien avec les Evangiles des apôtres, si bien que même l'Évangile n'est pas chez eux à l'abri du blasphème. Car si l'Evangile publié par eux est l'Évangile de vérité et s'il diffère de ceux que nous ont transmis les apôtres, tous ceux qui le veulent peuvent se rendre compte, comme il apparaît par les Ecritures elles-mêmes, que ce qu'ont transmis les apôtres n'est plus l'Évangile de vérité. Mais que, en fait, les Evangiles des apôtres soient les seuls vrais et solides et qu'il ne puisse en exister ni un plus grand ni un plus petit nombre qu'il n'a été dit, nous l'avons abondamment montré: car, puisque Dieu a fait toutes choses avec harmonie et proportion, il fallait que la forme sous laquelle se présente l'Evangile fût, elle aussi, harmonieuse et proportionnée. Après avoir ainsi examiné la doctrine de ceux qui nous ont transmis l'Evangile, d'après les commencements mêmes de ces Évangiles, venons-en aux autres apôtres et recherchons avec soin leur doctrine sur Dieu; plus tard, nous entendrons les paroles mêmes du Seigneur.




III. EXAMEN APPROFONDI DU TÉMOIGNAGE DES AUTRES APÔTRES SUR L'UNIQUE VRAI DIEU



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Témoignage de Pierre et des disciples

12 l L'apôtre Pierre donc, après la résurrection du Seigneur et son enlèvement aux cieux, voulant compléter le nombre des douze apôtres et leur adjoindre, en remplacement de judas, un autre apôtre choisi par Dieu, dit à l'assistance: "Frères, il faut que s'accomplisse cette parole de l'Ecriture que l'Esprit Saint a prédite par la bouche de David au sujet de judas, qui s'est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus - car il comptait au nombre des nôtres -: "Que sa demeure devienne déserte et que personne n'y habite", et: "Qu'un autre reçoive sa charge" Ac 1,16-17 Ac 1,20 Ps 69,26 Ps 109,8". Pierre complétait ainsi le nombre des apôtres en s'appuyant sur ce qui avait été dit par David.

De même encore, lorsque l'Esprit Saint fut descendu sur les disciples, de telle sorte que tous prophétisaient et parlaient en langues Ac 2,4, comme quelques-uns se moquaient d'eux en les accusant d'être ivres de vin doux Ac 2,13 Pierre déclara qu'ils n'étaient point ivres, puisqu'on était seulement à la troisième heure du jour, mais que c'était là ce qui avait été dit par le prophète: "Il arrivera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et ils prophétiseront Ac 2,15-17 Jl 3,1-2." Le Dieu donc qui par le prophète avait promis d'envoyer son Esprit sur le genre humain, celui-là l'a également envoyé, et c'est ce Dieu-là que Pierre annonce en proclamant qu'il vient d'accomplir sa promesse. 2 "Israélites, dit-il en effet, écoutez mes paroles: Jésus de Nazareth, cet homme accrédité par Dieu auprès de vous par les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes, cet homme, livré selon le dessein déterminé et la prescience de Dieu, vous l'avez fixé à la croix et vous l'avez fait mourir par la main des impies. Mais Dieu l'a ressuscité, le délivrant des douleurs des enfers, parce qu'il n'était pas possible qu'il fût retenu sous leur pouvoir. David dit en effet à son sujet: "Je voyais le Seigneur devant moi constamment, car il est à ma droite afin que je ne vacille pas. C'est pourquoi mon coeur s'est réjoui et ma langue a exulté. De plus, même ma chair reposera dans l'espérance, parce que tu n'abandonneras pas mon âme aux enfers et tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption." Ac 2,22-27 Ps 16,8-10" Ensuite Pierre leur dit encore hardiment, au sujet du patriarche David, qu'il était mort, qu'il avait été enseveli et que son tombeau était parmi eux jusqu'à ce jour Ac 2,29. "Mais, poursuit-il, comme il était prophète et qu'il savait que Dieu lui avait juré avec serment de faire asseoir du "fruit de son sein" sur son propre trône Ps 132,11, il a, par une vue anticipée, parlé de la résurrection du Christ, en disant qu'il n'a pas été abandonné aux enfers et que sa chair n'a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, nous en sommes tous témoins. Élevé ensuite par la droite de Dieu et ayant reçu du Père l'Esprit Saint promis, il a répandu ce don qu'en ce moment même vous voyez et entendez. Car ce n'est pas David qui est monté aux cieux, mais il dit lui-même: "Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds Ps 110,1". Que toute la maison d'Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié Ac 2,30-36." Et comme la foule s'écriait: "Que ferons-nous donc Ac 2,37 ?", Pierre leur dit: "Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don de l'Esprit Saint Ac 2,38." Ainsi, les apôtres n'annonçaient pas un autre Dieu ni un autre Plérôme, pas plus qu'ils ne distinguaient un Christ qui aurait souffert et serait ressuscité d'un autre qui se serait envolé et serait demeuré impassible, mais ils annonçaient un seul et même Dieu Père, ainsi qu'un seul et même Christ Jésus, celui-là même qui est ressuscité des morts. C'est la foi en lui qu'ils prêchaient à ceux qui ne croyaient pas au Fils de Dieu, et c'est par les prophètes qu'ils leur démontraient que le Christ que Dieu avait promis d'envoyer, il l'avait envoyé en la personne de ce Jésus même qu'ils avaient crucifié et que Dieu avait ressuscité.

3 De même encore, lorsque Pierre, accompagné de Jean, vit le boiteux de naissance assis devant la porte du Temple appelée la Belle Porte et demandant l'aumône Ac 3,2, "il lui dit: Je n'ai ni argent ni or; mais ce que j'ai, je te le donne: au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche. Et aussitôt les plantes et les chevilles de ses pieds s'affermirent, et il marchait, et il entra avec eux dans le Temple, marchant, sautant et glorifiant Dieu Ac 3,6-8." Comme toute une foule s'était rassemblée autour d'eux à cause de ce miracle, Pierre leur dit: "Israélites, pourquoi vous étonnez-vous de cela et pourquoi nous regardez-vous pareillement, comme si c'était par notre puissance que nous l'avions fait marcher? Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son Fils, que vous, vous avez livré en jugement et renié à la face de Pilate qui voulait le relâcher. Pour vous, vous avez accablé le Saint et le Juste, et vous avez demandé que l'on fît grâce à un meurtrier. Le Prince de la vie, vous l'avez fait mourir, mais Dieu l'a ressuscité des morts, nous en sommes témoins. C'est en vertu de la foi en son nom que ce nom a rendu la force à cet homme que vous voyez et connaissez, et la foi qui vient par lui a donné à cet homme une parfaite guérison en présence de vous tous. Et maintenant, frères, je sais que c'est par ignorance que vous avez fait le mal. Dieu a accompli par là ce qu'il avait prédit par la bouche de tous les prophètes, à savoir que son Christ souffrirait. Faites donc pénitence et convertissez-vous pour que vos péchés soient effacés, que des temps de rafraîchissement viennent pour vous de la face du Seigneur et qu'il envoie Celui qui vous a été destiné, le Christ Jésus, que le ciel doit recevoir jusqu'aux temps de la restauration de toutes choses dont Dieu a parlé par ses saints prophètes. Moïse a dit à nos pères: "Le Seigneur votre Dieu vous suscitera d'entre vos frères un prophète comme moi; vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira. Quiconque n'écoutera pas ce prophète sera exterminé du sein du peuple Dt 18,15 Dt 18,19." Et tous les prophètes depuis Samuel et tous ceux qui ont parlé dans la suite ont aussi annoncé ces jours-là. Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l'alliance que Dieu a conclue avec vos pères, lorsqu'il a dit à Abraham: "En ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre Gn 22,18." C'est pour vous d'abord que Dieu a suscité son Fils et l'a envoyé pour vous bénir, afin que chacun de vous se détourne de ses iniquités Ac 3,12-26." C'est donc une prédication claire que Pierre leur prêcha avec Jean, proclamant cette bonne nouvelle que la promesse faite par Dieu aux pères venait d'être accomplie en Jésus. Il n'annonçait assurément pas un autre Dieu, mais il portait à la connaissance d'Israël le Fils de Dieu qui s'était fait homme et avait souffert la Passion, il prêchait en Jésus la résurrection des morts, et il faisait savoir que tout ce que les prophètes avaient annoncé au sujet de la Passion du Christ, Dieu l'avait accompli.

4 C'est pourquoi encore, les princes des prêtres s'étant réunis, Pierre leur dit hardiment: "Chefs du peuple et anciens d'Israël, puisque nous sommes aujourd'hui interrogés par vous à l'occasion d'un bienfait accordé à un infirme, pour savoir comment cet homme a été guéri, sachez-le bien, vous tous et tout le peuple d'Israël: c'est au nom de Jésus-Christ de Nazareth, que vous, vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité des morts, c'est par lui que cet homme se présente devant vous en pleine santé. C'est lui la pierre dédaignée par vous, les bâtisseurs, qui est devenue la pierre angulaire Ps 118,22. Et il n'y a pas d'autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes, en lequel nous devions être sauvés Ac 4,8-12." Ainsi les apôtres ne changeaient pas Dieu, mais ils annonçaient au peuple que le Christ était ce Jésus même qui avait été crucifié: ce Jésus, le Dieu qui avait envoyé les prophètes - c'est-à-dire Dieu en personne - l'avait ressuscité et avait donné en lui le salut aux hommes.

5 Couverts de confusion tant par cette guérison - "car, dit l'Écriture, l'homme à qui était arrivée cette guérison miraculeuse avait plus de quarante ans Ac 4,22" - que par l'enseignement des apôtres et l'explication des prophètes, les grands prêtres relâchèrent Pierre et Jean. Ceux-ci revinrent donc vers les autres apôtres et les disciples du Seigneur, c'est-à-dire vers l'Église, et ils racontèrent ce qui s'était passé et comment ils avaient agi hardiment au nom de Jésus. "Ce qu'entendant", est-il dit, toute l'Église, "d'un seul coeur, éleva la voix vers Dieu et dit: Maître, c'est toi le Dieu qui as fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment Ps 146,6, toi qui as dit par l'Esprit Saint parlant par la bouche de notre père David, ton serviteur: "Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples ont-ils tramé de vains projets? Les rois de la terre se sont présentés et les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ Ps 2,1-2." Car ils se sont ligués en vérité dans cette ville contre ton saint Fils Jésus que tu avais oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations et les peuples d'Israël, pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient par avance décidé Ac 4,24-28.", Telles étaient les voix de cette Église de laquelle toute Eglise tire son origine, telles étaient les voix de la Cité mère des citoyens de la nouvelle alliance; telles étaient les voix des apôtres, telles étaient les voix des disciples du Seigneur: ils étaient véritablement "parfaits", pour avoir été, après l'enlèvement du Seigneur, rendus parfaits par l'Esprit, et ils invoquaient le Dieu qui a fait le ciel et la terre et la mer, celui-là même qui avait été prêché par les prophètes, ainsi que son Fils Jésus, que Dieu a oint, et ils ne connaissaient point d'autre Dieu. Car il n'y avait là, à ce moment, ni Valentin ni Marcion ni aucun de ces gens qui se perdent eux-mêmes et perdent ceux qui se fient à eux. Et c'est pourquoi la prière des disciplines fut entendue du Dieu Créateur de toutes choses: "Le lieu où ils étaient réunis trembla, est-il dit, et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils annonçaient la parole de Dieu avec assurance à quiconque voulait croire Ac 4,31."

Car, est-il dit, "les apôtres rendaient puissamment témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus Ac 4,33". Ils disaient aux Juifs: "Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez mis à mort en le suspendant au bois. C'est lui que Dieu a exalté par sa gloire comme Prince et Sauveur, afin d'accorder à Israël le repentir et la rémission des péchés. Et nous, nous sommes en lui témoins de ces choses, ainsi que l'Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent Ac 5,30-32." "Chaque jour, est-il encore dit, au Temple comme dans les maisons particulières, ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer la bonne nouvelle du Christ Jésus Ac 5,42", Fils de Dieu. C'était là, en effet, la connaissance du Salut , celle qui rend parfaits à l'égard de Dieu ceux qui connaissent la venue de son Fils.

6 Mais certains ont l'impudence de dire que, prêchant chez les juifs, les apôtres ne pouvaient leur annoncer d'autre Dieu que celui auquel croyaient ces juifs. Nous leur répondrons que, si les apôtres ont parlé suivant les opinions reçues antérieurement parmi les hommes, personne n'a appris d'eux la vérité; et, bien auparavant déjà, personne ne l'avait apprise du Seigneur, puisque, à en croire ces gens, lui-même avait déjà parlé de cette manière. Par conséquent, les hérétiques eux-mêmes ne connaissent pas non plus la vérité, mais, comme ils avaient d'avance telle idée sur Dieu, ils ont reçu un enseignement accommodé à leur entendement. Dans une telle perspective, il n'y aura de règle de vérité chez personne, mais tous se verront attribuer par tous la connaissance de cette vérité, puisqu'on aura parlé à chacun pour abonder dans son sens et selon sa façon de voir. Superflue et sans objet apparaîtra dès lors la venue du Seigneur, s'il est vrai qu'il n'est venu que pour autoriser et conserver l'idée que chacun se faisait jusque là de Dieu. Au surplus, il était bien autrement incommode d'annoncer aux juifs que l'homme qu'ils avaient vu et qu'ils avaient crucifié, cet homme même était le Christ, le Fils de Dieu, leur Roi éternel. Ce n'est donc pas suivant les opinions antérieures des juifs que les apôtres leur parlaient: eux qui les traitaient en face de meurtriers du Seigneur, combien plus hardiment leur eussent-ils annoncé un Père qui aurait été au-dessus du Démiurge à l'encontre de ce que chacun croyait déjà ! Le péché des juifs eût d'ailleurs été bien moindre, puisque le Sauveur d'en haut vers lequel ils auraient eu à monter était impassible et, par conséquent, ne pouvait avoir été crucifié par eux. De même en effet que les apôtres ne parlaient pas aux païens selon les croyances de ceux-ci mais leur disaient hardiment que leurs dieux étaient des idoles de démons Ps 96,5 et non des dieux, de même ils eussent annoncé aux Juifs, s'ils l'avaient effectivement connu, un autre Père plus grand et plus parfait, plutôt que d'entretenir et d'accroître la fausse idée qu'ils se seraient faite de Dieu. Ajoutons qu'en détruisant l'erreur des païens et en les arrachant à leurs dieux, ils ne leur inculquaient assurément pas une autre erreur, mais, en balayant des dieux qui n'en étaient pas Ga 4,8, ils présentèrent Celui qui est le seul Dieu et le vrai Père.

7 Ainsi, par les paroles qu'à Césarée Pierre adressa au centurion Corneille et aux païens qui se trouvaient avec lui - c'était la première fois que la parole de Dieu était annoncée à des païens -, nous pouvons savoir ce qu'annonçaient les apôtres, quelle était leur prédication et quelle doctrine ils avaient sur Dieu. Ce Corneille, est-il dit, était "un homme pieux et craignant Dieu, ainsi que toute sa maison; il faisait beaucoup d'aumônes au peuple et priait Dieu continuellement. Il vit donc vers la neuvième heure du jour un ange de Dieu qui entrait chez lui et qui lui dit: Tes aumônes sont montées en mémorial devant Dieu. C'est pourquoi envoie des hommes vers Simon, qu'on appelle Pierre Ac 10,2-5." Pendant ce temps, Pierre voyait une révélation, au cours de laquelle une voix céleste lui répondait: "Ce que Dieu a purifié, ne l'appelle pas souillé Ac 10,15." Car le Dieu qui par la Loi avait distingué entre les aliments purs et impurs, ce Dieu même avait purifié les nations par le sang de son Fils, et c'est ce Dieu qu'honorait Corneille. Quand donc Pierre arriva près de Corneille, il dit: "En vérité, je me rends compte que Dieu ne fait pas acception des personnes, mais qu'en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable Ac 10,34-35." Il indiquait par là clairement que le Dieu que Corneille craignait déjà auparavant, dont il avait été instruit par la Loi et les prophètes et à cause de qui il faisait ses aumônes, celui-là était véritablement Dieu. Mais il manquait à Corneille la connaissance du Fils. C'est pourquoi Pierre ajouta: "Vous savez vous-mêmes ce qui s'est passé dans toute la Judée, à partir de la Galilée, après le baptême que Jean a prêché: comment Dieu a oint d'Esprit Saint et de force Jésus de Nazareth, qui est passé en tout lieu en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem, lui qu'ils ont fait mourir en le suspendant au bois. Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité le troisième jour et il lui a donné de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts. Et il nous a prescrit de prêcher au peuple et d'attester que c'est lui qui a été constitué par Dieu Juge des vivants et des morts. C'est à lui que tous les prophètes rendent ce témoignage que tout homme qui croit en lui reçoit par son nom la rémission des péchés Ac 10,37-43." C'est donc le Fils de Dieu et sa venue, encore ignorés des hommes, qu'annonçaient les apôtres à ceux qui avaient déjà été instruits sur Dieu, mais ils n'introduisaient pas un autre Dieu pour autant. Car, si Pierre avait connu quelque doctrine de ce genre, il aurait librement prêché aux païens qu'autre était le Dieu des juifs et autre celui des chrétiens; et, comme ils étaient effrayés à cause de la vision de l'ange, ils auraient cru tout ce qu'il leur aurait dit. Mais les paroles de Pierre montrent que, d'une part, il a gardé le Dieu qui leur était déjà connu, et que, de l'autre, il leur a attesté que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, le Juge des vivants et des morts - ce Jésus-Christ même en qui il commanda de les baptiser Ac 10,48 pour la rémission des péchés -; et non seulement cela, mais il a attesté aussi que c'est bien Jésus lui-même qui est le Fils de Dieu, ce Jésus qui, pour avoir été oint par l'Esprit Saint, est appelé Jésus-Christ. Et c'est ce même Jésus qui est né de Marie, comme l'implique le témoignage de Pierre. Est-ce que par hasard Pierre n'aurait pas encore eu à ce moment-là la connaissance parfaite, celle que ces gens-là ont découverte par la suite? Imparfait serait donc Pierre, à les en croire, imparfaits aussi les autres apôtres. Il faudra donc qu'ils reviennent à la vie et qu'ils se fassent leurs disciples, pour devenir parfaits eux aussi ! Mais cela est ridicule. La preuve est ainsi faite que ces gens sont les disciples, non des apôtres, mais de leur propre jugement perverti: d'où la diversité de leurs opinions, chacun d'entre eux recevant l'erreur suivant sa capacité. L'Eglise, au contraire, qui tire des apôtres sa ferme origine, persévère à travers le monde entier dans une seule et même doctrine sur Dieu et sur son Fils.


Témoignage de Philippe

8 Et Philippe encore, à l'eunuque de la reine d'Éthiopie qui revenait de Jérusalem et lisait le prophète Isaïe, qui donc, seul à seul, a-t-il annoncé? N'est-ce pas Celui dont le prophète a dit: "Comme une brebis il a été mené à l'égorgement, et, comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n'a pas ouvert la bouche. Pourtant, qui racontera sa génération? Car sa vie sera retranchée de la terre Ac 8,32-33 Is 53,7-8"? Ce personnage, expliquait Philippe, c'était Jésus, et l'Écriture s'était accomplie en lui Ac 8,35. Et c'est bien ce que l'eunuque lui-même, ayant cru et demandant aussitôt à être baptisé, disait: "Je crois que Jésus est le Fils de Dieu Ac 8,37." Il fut ensuite envoyé vers les régions de l'Éthiopie pour y prêcher cela même qu'il avait cru, à savoir: d'abord, qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Celui qu'ont prêché les prophètes; ensuite, que le Fils de ce Dieu a déjà accompli sa venue comme homme, qu'il a été, telle une brebis, mené à l'égorgement et qu'il a réalisé tout ce que les prophètes disent de lui.

Témoignage de Paul

9 Paul lui aussi, après que le Seigneur lui eut parlé du haut du ciel, lui montrant qu'il persécutait son Maître en persécutant les disciples de celui-ci Ac 9,4-5, et qu'il eut envoyé Ananie vers lui pour qu'il recouvrât la vue et fût baptisé Ac 9,10-19 - Paul donc, "dans les synagogues de Damas, prêchait en toute hardiesse Jésus, proclamant qu'il est le Christ, le Fils de Dieu Ac 9,19-20". C'est là le mystère qu'il dit lui avoir été manifesté par une révélation Ep 3,3, à savoir que Celui qui a souffert sous Ponce Pilate, c'est lui le Seigneur de tous les hommes et leur Roi et leur Dieu et leur Juge, car il a reçu du Dieu de toutes choses la puissance, pour "s'être fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix Ph 2,8."

Et la preuve qu'il en est bien ainsi, c'est que, annonçant l'Évangile aux Athéniens à l'Aréopage, c'est-à-dire dans un lieu où, en l'absence des juifs, il lui était loisible de prêcher librement le vrai Dieu, il leur dit: "Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu'il renferme, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme, et il n'est pas servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui a donné à tous la vie, le souffle et toutes choses. Il a fait, à partir d'un seul sang, habiter toute la race des hommes sur la face de toute la terre, fixant les temps dans les limites de leur habitat, pour qu'ils cherchent le divin, si toutefois ils peuvent le toucher et le trouver, encore qu'il ne soit pas loin de chacun de nous. Car en lui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes, et, comme l'ont dit certains des vôtres: "De sa race aussi nous sommesa." Si nous sommes donc de la race de Dieu, nous ne devons pas croire que le divin soit semblable à l'or, à l'argent ou à la pierre, travaillés par l'art ou le génie de l'homme. Sans tenir compte des temps d'ignorance, Dieu enjoint maintenant aux hommes d'avoir tous et partout à se repentir et à revenir à lui, parce qu'il a fixé un jour pour juger l'univers en justice par l'homme Jésus qu'il a désigné, l'accréditant auprès de tous en le ressuscitant d'entre les morts Ac 17,24-31." Dans ce passage, Paul ne leur annonce pas seulement le Dieu Créateur du monde, et cela en l'absence des juifs, mais il déclare encore que ce Dieu a fait habiter un seul genre humain sur toute la terre. Comme le dit aussi Moïse: "Quand le Très-Haut sépara les nations comme il avait dispersé les fils d'Adam, il fixa les frontières des nations d'après le nombre des anges de Dieu Dt 32,8"; par contre, le peuple qui croyait en Dieu n'était plus sous le pouvoir des anges, mais sous celui du Seigneur, car "la part du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et la portion de son héritage, ce fut Israël Dt 32,9".

De même encore, pendant que Paul se trouvait avec Barnabé à Lystres de Lycaonie, comme il venait de faire marcher un boiteux de naissance au nom du Seigneur Jésus-Christ et que la foule voulait les honorer comme des dieux à cause de ce prodige Ac 14,6-13, il leur dit: "Nous sommes des hommes de même condition que vous, qui vous annonçons la bonne nouvelle de Dieu, pour que vous quittiez ces vanités et que vous vous tourniez vers le Dieu vivant qui a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment Ps 146,6. Au cours des générations passées, il a permis que toutes les nations suivent leurs voles; néanmoins, il ne s'est pas laissé lui-même sans témoignage, répandant ses bienfaits du haut du ciel, vous donnant les pluies et les saisons fertiles, rassasiant vos coeurs de nourriture et de joie Ac 14,15-17."

Qu'avec ces prédications concordent toutes les épîtres de Paul, nous le montrerons au lieu opportun d'après ces épîtres mêmes, lorsque nous exposerons la doctrine de l'Apôtre. Tandis que nous peinons sur ces preuves tirées des Écritures et que nous tâchons de présenter brièvement et en raccourci ce qui s'y trouve dit de façon multiple, applique-toi aussi toi-même avec patience à ces preuves et ne crois pas que ce soit du verbiage: tu dois comprendre que des preuves contenues dans les Écritures ne peuvent être produites qu'en citant ces Écritures mêmes.

Note :

a Aratus Phaenomena, 5.


Témoignage d'Étienne

10 De même encore Étienne, qui fut choisi par les apôtres comme premier diacre et qui, le premier aussi de tous les hommes, suivit les traces du martyre du Seigneur 1P 2,21, ayant été mis à mort le premier pour avoir confessé le Christ, parlait hardiment au milieu du peuple et l'enseignait en ces termes: "Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham et lui dit: Sors de ton pays et de ta parenté, et viens dans le pays que je te montrerai Gn 12,1. Et il le fit émigrer dans ce pays où vous-mêmes habitez maintenant. Il ne lui donna pas d'héritage dans ce pays, pas même un pouce de terrain, mais il promit de le lui donner en possession, ainsi qu'à sa postérité après lui. Dieu lui déclara que sa postérité séjournerait en terre étrangère, qu'on l'asservirait et la maltraiterait pendant quatre cents ans. "Mais la nation à laquelle ils seront asservis, je la jugerai, dit Dieu; après quoi ils s'en iront et me serviront dans ce lieu-ci Gn 15,13-14. " Et il lui donna l'alliance de la circoncision, et ainsi Abraham engendra Isaac Ac 7,2-8." Le reste des paroles d'Étienne annonce le même Dieu, qui fut avec Joseph et avec les patriarches Ac 7,8-16 et qui s'entretint aussi avec Moïse Ac 7,17-44.

11 Tout l'enseignement des apôtres annonce donc un seul et même Dieu, qui a fait émigrer Abraham, lui a promis l'héritage, lui a donné l'alliance de la circoncision au temps opportun, a rappelé d'Égypte sa descendance conservée d'une façon visible grâce à cette circoncision - car c'est comme un signe que Dieu la leur avait donnée, pour qu'ils ne fussent pas semblables aux Égyptiens -; et c'est ce Dieu-là qui est le Créateur de toutes choses, c'est lui le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, c'est lui le Dieu de gloire: voilà ce que peuvent apprendre, par les paroles mêmes et par les actes des apôtres, ceux qui le veulent, tout comme ils peuvent aussi se rendre compte que c'est lui le seul Dieu, au-dessus duquel il n'en est point d'autre. Si d'ailleurs il en existait un autre au-dessus du Créateur, nous dirions que, en comparaison, ce dernier est infiniment meilleur que lui, car le meilleur se révèle par les oeuvres, ainsi que nous l'avons déjà dit, et, comme ces gens-là sont incapables de montrer la moindre oeuvre de leur Père, la preuve est faite que le Créateur est le seul Dieu. Si quelqu'un, "en mal de recherches 1Tm 6,4", croit devoir entendre allégoriquement ce que les apôtres ont dit au sujet de Dieu, qu'il examine nos précédents exposés, où nous avons montré qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Créateur et Auteur de toutes choses, et où nous avons réfuté et mis à nu leurs assertions. Il constatera que nos exposés sont en accord avec l'enseignement des apôtres et qu'ils présentent ce qu'ils enseignaient et croyaient, à savoir qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Créateur de toutes choses. Et quand cet homme aura rejeté de sa pensée une aussi monstrueuse erreur et un tel blasphème contre Dieu, il retrouvera de lui-même la raison, comprenant que la Loi de Moïse aussi bien que la grâce du Nouveau Testament Jn 1,17, toutes deux adaptées à leurs époques respectives, ont été accordées pour le profit du genre humain par un seul et même Dieu.

12 Car tous les tenants d'opinions fausses, impressionnés par la Loi de Moïse et estimant qu'elle est dissemblable de l'enseignement de l'Évangile, voire contraire à celui-ci, ne se sont pas dès lors appliqués à rechercher les causes de cette différence entre les deux Testaments. Vides de l'amour du Père et enflés par Satan, ils se sont tournés vers la doctrine de Simon le Magicien; ils se sont ainsi séparés du vrai Dieu par leurs pensées et ont cru avoir trouvé eux-mêmes mieux que les apôtres en inventant un autre Dieu: les apôtres, à les en croire, auraient encore pensé comme les juifs lorsqu'ils annoncèrent l'Évangile, tandis qu'ils sont, eux, plus au fait de la pure doctrine et plus sages que les apôtres. Voilà pourquoi Marcion et ses disciples se sont mis à tailler dans les Écritures, rejetant totalement certaines d'entre elles, mutilant l'Évangile de Luc et les épîtres de Paul et ne reconnaissant pour authentique que ce qu'ils ont ainsi tronqué. Pour nous, même à l'aide des seuls passages qu'ils conservent encore, nous les réfuterons, avec la grâce de Dieu, dans un autre ouvrage. Tous les autres qui sont enflés d'une Gnose au nom usurpé admettent bien les Écritures, mais ils en pervertissent l'interprétation, comme nous l'avons montré dans le premier livre. Les disciples de Marcion blasphèment d'entrée de jeu le Créateur, en disant qu'il est l'auteur du mal; leur thèse de base est de la sorte plus intolérable, car ils affirment qu'il existe deux Dieux par nature, séparés l'un de l'autre, dont l'un serait bon et l'autre mauvais. Les disciples de Valentin, de leur côté, usent de termes plus honorables, en proclamant le Créateur Père, Seigneur et Dieu; mais leur thèse se révèle en fin de compte plus blasphématoire encore que la précédente, puisque, d'après eux, le Démiurge n'a pas même été émis par l'un quelconque des Éons du Plérôme, mais bien par le déchet qui fut expulsé du Plérôme. Ce qui les a jetés dans toutes ces aberrations, c'est leur ignorance des Écritures et de l' "économie" de Dieu. Pour nous, dans la suite de notre traité, nous exposerons le pourquoi de la différence entre les Testaments en même temps que leur unité et leur harmonie.

13 Ainsi les apôtres et leurs disciples enseignaient exactement ce que prêche l'Église; en enseignant de cette manière, ils étaient parfaits et, pour cette raison même, appelés à la perfection. Étienne donc, après avoir enseigné tout cela, alors qu'il était encore sur terre, "vit la gloire de Dieu et Jésus à la droite de celui-ci, et il dit: Voici que je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu Ac 7,55-56." Il parla ainsi et fut lapidé: il accomplit de la sorte l'enseignement parfait, imitant en tout le Maître du martyre, priant pour ceux qui le tuaient et disant: "Seigneur, ne leur impute pas ce péché Ac 7,60." C'est de cette manière qu'étaient parfaits ceux qui ne connaissaient qu'un seul et même Dieu, présent au genre humain, du commencement à la fin, par des "économies" diverses, selon ce que dit le prophète Osée: "J'ai moi-même multiplié les visions et j'ai été représenté par la main des prophètes Os 12,11." Ceux donc qui ont livré leur vie Ac 15,26 jusqu'à mourir pour l'Évangile du Christ, comment auraient-ils pu parler suivant les opinions qui avaient cours parmi les hommes? S'ils l'avaient fait, ils n'auraient point souffert. Mais ils ont prêché dans un sens diamétralement opposé à ceux qui refusaient la vérité, et c'est pour cela qu'ils ont souffert. Il est donc clair qu'ils n'abandonnaient pas la vérité, mais qu'ils prêchaient en toute indépendance Ac 4,29 Ac 28,31 aux Juifs et aux Grecs: aux juifs, ils proclamaient que Jésus, qu'ils avaient crucifié, était le Fils de Dieu, le juge des vivants et des morts, et qu'il avait reçu du Père le règne éternel sur Israël, comme nous l'avons montré; aux Grecs, ils annonçaient un seul Dieu, Créateur de toutes choses, et son Fils Jésus-Christ.


Témoignage du Concile de Jérusalem

14 Mais cela ressort avec plus d'évidence encore de la lettre que les apôtres envoyèrent, non aux juifs ni aux Grecs, mais à ceux des païens qui croyaient au Christ, afin d'affermir leur foi. Des gens étaient en effet descendus de Judée à Antioche Ac 15,1, ville en laquelle pour la première fois les disciples du Seigneur, à cause de leur foi au Christ, furent appelés chrétiens Ac 11,26. Ces gens conseillaient à ceux qui avaient cru au Seigneur de se faire circoncire et de s'acquitter des autres observances de la Loi. Paul et Barnabé montèrent alors à Jérusalem vers les autres apôtres pour traiter de cette question Ac 15,2. Lorsque toute l'Église fut réunie, Pierre leur dit: "Frères, vous savez que, dès les premiers jours, Dieu m'a choisi parmi vous afin que les gentils entendent de ma bouche la parole de l'Évangile et embrassent la foi. Et Dieu, qui connaît les coeurs, leur a rendu témoignage en leur donnant l'Esprit Saint comme à nous-mêmes; et il n'a fait aucune différence entre eux et nous, puisqu'il a purifié leurs coeurs par la foi. Maintenant donc, pourquoi tentez-vous Dieu en voulant imposer sur la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons eu la force de porter? Bien au contraire, c'est par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ que nous croyons pouvoir être sauvés, de la même manière qu'eux Ac 15,7-11." Après lui, Jacques dit: "Frères, Syméon a raconté comment Dieu a daigné prendre parmi les gentils un peuple consacré à son nom. Et ainsi s'accordent les paroles des prophètes, selon qu'il est écrit: "Après cela je reviendrai et je relèverai la tente de David qui s'était effondrée, et je relèverai ses ruines et je la redresserai, afin que le reste des hommes recherche le Seigneur, ainsi que toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué, dit le Seigneur, qui fait ces choses Am 9,11-12." Depuis toujours Dieu connaît son ouvrage: c'est pourquoi j'estime quant à moi qu'on ne doit pas inquiéter ceux d'entre les gentils qui se convertissent à Dieu, mais qu'on leur prescrive seulement de s'abstenir de la vanité des idoles, de la fornication et du sang, et qu'ils ne fassent pas à autrui ce qu'ils ne veulent pas qu'on fasse à eux-mêmes Ac 15,13-20." Après ces paroles, tous marquèrent leur accord et l'on rédigea la lettre suivante: "Les apôtres et les presbytres vos frères, aux frères issus de la gentilité qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Ayant appris que des gens venus de chez nous sans aucun mandat de notre part vous ont troublés par leurs discours et ont jeté le désarroi dans vos âmes, en vous disant: "Faites-vous circoncire et observez la Loi", nous avons, d'un accord unanime, jugé bon de choisir des délégués que nous vous enverrions avec nos bien-aimés Barnabé et Paul, ces hommes qui ont livré leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui eux aussi vous transmettront de vive voix notre décision. Il a en effet paru bon à l'Esprit Saint et à nous-mêmes de ne vous imposer aucune autre charge hormis celles-ci qui sont de rigueur: vous abstenir des idolothytes, du sang et de la fornication, et ne pas faire à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. En vous gardant de ces choses, vous agirez bien et marcherez dans l'Esprit Saint Ac 15,23-29." Il résulte clairement de tout cela que les apôtres n'enseignaient pas un autre Père, mais qu'ils donnaient un Testament nouveau de liberté à ceux qui, d'une manière nouvelle, par l'Esprit Saint, croyaient en Dieu. D'ailleurs, par le seul fait qu'ils se demandèrent s'il fallait encore circoncire les disciples ou non, ils montrèrent avec évidence qu'ils n'avaient pas même l'idée d'un autre Dieu.

15 S'il en avait été autrement, ils n'auraient pas eu une telle révérence à l'égard du premier Testament, au point de ne pas même vouloir manger avec les gentils. Car Pierre lui-même, quoique ayant été envoyé vers eux pour les instruire et tout impressionné qu'il fût par la vision qu'il avait eue, leur parla cependant avec une grande crainte: "Vous savez vous-mêmes, leur dit-il, qu'il n'est pas permis à un juif d'avoir contact avec un étranger ou de l'approcher. Mais Dieu m'a montré qu'il ne faut dire aucun homme souillé ou impur. C'est pourquoi je suis venu sans faire d'objection Ac 10,28-29." Ces paroles indiquaient qu'il ne serait pas allé chez eux s'il n'en avait reçu l'ordre. Peut-être ne leur eût-il pas non plus donné si facilement le baptême, s'il ne les avait entendus prophétiser sous l'action de l'Esprit Saint qui reposait sur eux. Et c'est pourquoi il disait: Peut-on refuser l'eau du baptême à ces gens qui ont reçu l'Esprit Saint tout comme nous Ac 10,47 ?" Il laissait entendre par là et indiquait aux assistants que, si l'Esprit Saint n'était pas venu reposer sur eux, il se fût trouvé quelqu'un pour leur refuser le baptême !

Quant à Jacques et aux apôtres qui l'entouraient, ils permettaient bien aux gentils d'agir librement, nous confiant à l'Esprit de Dieu; mais eux-mêmes, sachant qu'il s'agissait du même Dieu, persévéraient dans les anciennes observances. C'est au point qu'un jour Pierre lui-même eut peur d'encourir leur blâme: jusque-là il mangeait avec les gentils à cause de la vision qu'il avait eue et à cause de l'Esprit qui avait reposé sur eux, mais, après que certains furent venus d'auprès de Jacques, il se tint à l'écart et ne mangea plus avec les gentils Ga 2,12. Et Paul souligne que Barnabé aussi en fit autant Ga 2,13. Ainsi les apôtres que le Seigneur fit témoins de tous ses actes et de tout son enseignement - car partout on trouve à ses côtés Pierre, Jacques et Jean - en usaient-ils religieusement à l'égard de la Loi de Moïse, indiquant assez par là qu'elle émanait d'un seul et même Dieu. Ils ne l'eussent assurément pas fait, comme nous l'avons dit déjà, si, en dehors de Celui qui a donné la Loi, ils avaient appris du Seigneur l'existence d'un autre Père.




IV. NOTATIONS COMPLÉMENTAIRES




Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.11