Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.18

318

Suite du témoignage de Paul

18 1 Il a donc été montré à l'évidence que le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu Jn 1,2, par l'entremise de qui tout a été fait Jn 1,3 et qui était de tout temps présent au genre humain , ce même Verbe, dans les derniers temps, au moment fixé par le Père, s'est uni à son propre ouvrage par lui modelé et s'est fait homme passible Jn 1,14. On a de la sorte repoussé l'objection de ceux qui disent: "Si le Christ est né à ce moment-là, il n'existait donc pas auparavant." Nous avons en effet montré que le Fils de Dieu n'a pas commencé d'exister à ce moment-là, puisqu'il existe depuis toujours avec le Père; mais, lorsqu'il s'est incarné et s'est fait homme, il a récapitulé en lui-même la longue histoire des hommes et nous a procuré le salut en raccourci, de sorte que ce que nous avions perdu en Adam, c'est-à-dire d'être à l'image et à la ressemblance de Dieu Gn 1,26, nous le recouvrions dans le Christ Jésus. 2 En effet, comme il n'était pas possible que l'homme, une fois vaincu et brisé par la désobéissance, fût modelé à nouveau et obtînt le prix de la victoire, et comme il était également impossible qu'eût part au salut cet homme ainsi tombé sous le pouvoir du péché, le Fils a opéré l'un et l'autre: tout en étant le Verbe de Dieu, il est descendu d'auprès du Père, il s'est incarné, il est descendu jusque dans la mort Ph 2,8, et il a ainsi consommé l'"économie" de notre salut.

C'est pour nous exhorter à croire sans hésitation en ce Fils que Paul dit encore: "Ne dis pas dans ton coeur: Qui montera au ciel? - à savoir, pour en faire descendre le Christ -, ou: Qui descendra dans l'abîme? - à savoir pour faire remonter le Christ d'entre les morts - Rm 10,6-7." Il ajoute: "Car si tu confesses de ta bouche que Jésus est Seigneur et si tu crois dans ton coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé Rm 10,9." Et il donne la raison pour laquelle le Verbe de Dieu a fait cela, en disant: "Car voici pourquoi le Christ a vécu, est mort et est ressuscité: c'est pour régner souverainement sur les morts et les vivants Rm 14,9." Il dit encore, écrivant aux Corinthiens: "Pour nous, nous prêchons le Christ Jésus crucifié ." Et il ajoute: "La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas une communion au sang du Christ 1Co 10,16 ?" 3 Quel est donc Celui qui nous fait entrer ainsi dans une communion de nourriture? Serait-ce le Christ d'en haut inventé par ces gens, celui qui s'est étendu sur la Limite et a formé leur Mère? N'est-ce pas plutôt l'Emmanuel qui est né de la Vierge, qui a mangé du beurre et du miel Is 7,14-15 et dont le prophète a dit: "Il est homme, et pourtant qui le connaîtra Jr 17,9 ?"

C'est ce même Christ qui était annoncé par Paul: "Je vous ai en effet transmis, dit-il, tout d'abord ceci: que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures, qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Ecritures 1Co 15,3-4." Il est donc manifeste que Paul ne connaît pas d'autre Christ, mais seulement Celui qui tout ensemble a souffert, a été enseveli et est ressuscité, qui est né aussi et auquel il donne le nom d'homme. Car, après avoir dit: "Si l'on prêche que le Christ est ressuscité d'entre les morts 1Co 15,12...", il ajoute, en donnant la raison de son incarnation: "Parce que la mort est venue par un homme, c'est aussi par un homme que vient la résurrection des morts 1Co 15,21." Et partout, à propos de la Passion de notre Seigneur, de son humanité, de sa mise à mort, Paul emploie le nom de Christ. Ainsi, par exemple: "Ne va pas, avec ton aliment, causer la perte de celui pour qui le Christ est mort Rm 14,15." Et encore: "Mais à présent, dans le Christ, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, dans le sang du Christ Ep 2,13." Et encore: "Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi en se faisant pour nous malédiction, car il est écrit: Maudit quiconque est suspendu au bois Ga 2,13 Dt 21,23." Et encore: "Et avec toute ta science va se perdre le faible, le frère pour qui le Christ est mort 1Co 8,11." Ces textes montrent assez que jamais un Christ impassible n'est descendu en Jésus, mais que Jésus, qui était en personne le Christ, a souffert pour nous, et qu'il s'est endormi et est ressuscité Ps 3,6, est descendu et est remonté Ep 4,10, lui, le Fils de Dieu devenu Fils de l'homme. C'est d'ailleurs ce qu'indique son nom même, car dans le nom de "Christ" est sous-entendu Celui qui a oint, Celui-là même qui a été oint et l'Onction dont il a été oint: celui qui a oint, c'est le Père, celui qui a été oint, c'est le Fils, et il l'a été dans l'Esprit, qui est l'Onction. Comme le dit le Verbe par la bouche d'Isaïe: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint Is 61,1 Lc 4,18": ce qui indique tout ensemble et le Père qui a oint et le Fils qui a été oint et l'Onction qui est l'Esprit.


Témoignage du Christ

4 Au surplus, le Seigneur lui-même a bien fait voir quel est Celui qui a souffert. En effet, après qu'il eut demandé à ses disciples: "Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme Mt 16,13 ?" et que Pierre lui eut répondu: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant Mt 16,16", le Seigneur le loua de ce que ce n'était pas la chair ni le sang qui le lui avaient révélé, mais le Père qui est dans les cieux Mt 16,17: il faisait bien voir par là que "le Fils de l'homme" en personne était "le Christ, le Fils du Dieu vivant". Or, est-il dit, "c'est à partir de ce moment-là qu'il commença à exposer à ses disciples qu'il lui fallait se rendre à Jérusalem, beaucoup souffrir de la part des prêtres, être rejeté, être crucifié et ressusciter le troisième jour Mt 16,21 Mc 8,31 Lc 9,22". Ainsi Celui qui venait d'être reconnu par Pierre comme "le Christ", qui venait de déclarer Pierre bienheureux parce que le Père lui avait révélé "le Fils du Dieu vivant", Celui-là même annonçait qu'il lui faudrait beaucoup souffrir et être crucifié.

Et c'est alors qu'il réprimanda Pierre, parce que celui-ci partageait l'idée que les hommes se faisaient du Christ et repoussait sa Passion Mt 16,22-23, et qu'il dit à ses disciples: "Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra à cause de moi la sauvera Mt 16,24-25 Mc 8,34-35 Lc 9,23-24." Voilà ce que le Christ disait ouvertement, lui, le Sauveur de ceux qui, pour l'avoir confessé, seraient livrés à la mort et perdraient leur vie. 5 Par contre, s'il s'agissait d'un Christ qui ne devait pas souffrir, mais s'envoler de Jésus, de quel droit exhortait-il ses disciples à porter leur croix et à le suivre, alors que lui-même, d'après les hérétiques, n'allait pas porter cette croix, mais déserter l'"économie" de la Passion? Car ce qui prouve bien que le Christ ne parlait pas de la connaissance d'une prétendue Croix d'en haut, comme certains ont l'audace de l'expliquer, mais de la Passion qu'il allait devoir souffrir et que ses disciples souffriraient eux aussi, ce sont les paroles qu'il ajoutait: "Car quiconque sauvera sa vie la perdra, et quiconque la perdra la trouvera Mt 16,25 Mt 10,39." Et que ses disciples auraient à souffrir à cause de lui, c'est ce qu'il disait aux juifs: "Voici que je vous envoie des prophètes, des sages et des docteurs, et vous en tuerez et en crucifierez Mt 23,34." Et à ses disciples il disait: "Vous comparaîtrez devant les gouverneurs et les rois à cause de moi et, parmi vous, ils en flagelleront, ils en tueront et ils en pourchasseront de ville en ville Mt 10,18 Mc 13,9 Mt 23,34." Il connaissait donc ceux qui souffriraient la persécution, il connaissait ceux qui allaient être flagellés et mis à mort à cause de lui, et il ne parlait pas d'une autre Croix, mais de la Passion qu'il allait souffrir, lui, le premier, et ses disciples après lui. Aussi bien sa parole était-elle celle de quelqu'un qui voulait aussi les encourager: "Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l'âme; craignez plutôt celui qui a le pouvoir d'envoyer le corps et l'âme dans la géhenne Mt 10,28 Lc 12,4-5." Il les engageait à persévérer dans la confession de sa personne, car il promettait de confesser devant son Père ceux qui confesseraient son nom devant les hommes, mais aussi de renier ceux qui le renieraient et de rougir de ceux qui rougiraient de le confesser Mt 10,32-33 Lc 9,26. Malgré cela, certains en sont venus à ce point de témérité qu'ils vont jusqu'à compter pour rien les martyrs et blâmer ceux qui sont mis à mort pour avoir confessé le Seigneur, qui supportent tout ce qui a été prédit par le Seigneur et qui s'efforcent en cela de suivre les traces de la Passion du Seigneur 1P 2,21, en étant les "témoins" de Celui qui s'est fait passible. Ces gens-là, nous les remettons aux martyrs eux-mêmes, car, lorsqu'il sera demandé compte de leur sang Lc 11,50 et qu'ils recevront la gloire, alors le Christ confondra tous ceux qui auront méprisé leur martyre.

De même, cette parole du Seigneur sur la croix: "Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font Lc 23,34" - révèle la longanimité, la patience, la miséricorde et la bonté du Christ, puisque tout à la fois lui-même a souffert la Passion et a excusé ceux qui le maltraitaient. Car cette parole que nous a dite le Verbe de Dieu: "Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous haïssent Mt 5,44 Lc 6,27-28", il l'a lui-même mise en pratique sur la croix, en aimant le genre humain jusqu'à prier pour ceux-là mêmes qui le faisaient mourir. Si, par contre, quelqu'un admettait l'existence de deux êtres distincts et qu'il instituât un jugement sur eux, il devrait constater que celui qui, dans les blessures mêmes, les plaies et autres sévices, s'est montré bienfaisant et oublieux du mal perpétré contre lui, est bien meilleur, bien plus patient et plus véritablement bon que celui qui se serait envolé sans avoir souffert injustice ni opprobre.

6 Le même raisonnement vaut également contre ceux qui disent qu'il n'a souffert qu'en apparence. En effet, s'il n'a pas réellement souffert, aucune gratitude ne lui est due, puisqu'il n'y a pas eu de Passion. Et quand nous aurons, nous, à souffrir réellement, il apparaîtra comme un imposteur en nous exhortant, lorsqu'on nous frappe, à présenter encore l'autre joue Lc 6,29 Mt 5,39, si lui-même n'a pas en toute vérité souffert cela le premier: car en ce cas, comme il a trompé les hommes d'alors en paraissant être ce qu'il n'était pas, il nous trompe nous aussi en nous exhortant à supporter ce qu'il n'a pas supporté lui-même, nous serons même au-dessus du Maître Mt 10,24 Lc 6,40, quand nous souffrirons et supporterons ce que ce prétendu Maître n'a ni souffert ni supporté ! Mais, en fait, notre Seigneur est bien le seul vrai Maître; il est vraiment bon, lui, le Fils de Dieu; il a supporté la souffrance, lui, le Verbe de Dieu le Père devenu Fils de l'homme. Car il a lutté et vaincu: d'une part, il était homme, combattant pour ses pères et rachetant leur désobéissance par son obéissance Rm 5,19; d'autre part, il a enchaîné le "fort" Mt 12,29 Mc 3,27, libéré les faibles et octroyé le salut à l'ouvrage par lui modelé, en détruisant le péché. Car "le Seigneur est compatissant et miséricordieux Ps 103,8 Ps 145,8" et il aime le genre humain Tt 3,4.


II fallait que le Fils de Dieu se fit vraiment homme pour sauver l'homme

7 Il a donc mélangé et uni, comme nous l'avons déjà dit, l'homme à Dieu. Car si ce n'était pas un homme qui avait vaincu l'adversaire de l'homme, l'ennemi n'aurait pas été vaincu en toute justice. D'autre part, si ce n'était pas Dieu qui nous avait octroyé le salut, nous ne l'aurions pas reçu d'une façon stable. Et si l'homme n'avait pas été uni à Dieu, il n'aurait pu recevoir en participation l'incorruptibilité. Car il fallait que le "Médiateur de Dieu et des hommes 1Tm 2,5", par sa parenté avec chacune des deux parties, les ramenât l'une et l'autre à l'amitié et à la concorde, en sorte que tout à la fois Dieu accueillît l'homme et que l'homme s'offrît à Dieu. Comment aurions-nous pu en effet avoir part à la filiation adoptive à l'égard de Dieu Ga 4,5, si nous n'avions pas reçu, par le Fils, la communion avec Dieu? Et comment aurions-nous reçu cette communion avec Dieu, si son Verbe n'était pas entré en communion avec nous en se faisant chair Jn 1,14? C'est d'ailleurs pourquoi il est passé par tous les âges de la vie, rendant par là à tous les hommes la communion avec Dieu.

Ceux donc qui disent qu'il ne s'est montré qu'en apparence, qu'il n'est pas né dans la chair et qu'il ne s'est pas vraiment fait homme, ceux-là sont encore sous le coup de l'antique condamnation. Ils se font les avocats du péché, puisque, d'après eux, la mort n'a pas été vaincue. Car celle-ci "a régné d'Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'avaient pas péché par une transgression semblable à celle d'Adam Rm 5,14". Puis, quand la Loi donnée par Moïse est venue et qu'elle a rendu sur le péché ce témoignage qu'il est "pécheur Rm 7,13", elle lui a bien retiré son empire, en le convainquant d'agir en brigand, et non en roi, et en le faisant apparaître comme homicide Rm 7,11-13; mais elle a d'autre part accablé l'homme, qui avait le péché en lui, en démontrant que cet homme était digne de mort Rm 7,14-24. Car la Loi, toute spirituelle qu'elle était Rm 7,14, a seulement manifesté le péché Rm 7,7, elle ne l'a pas supprimé: car ce n'est pas sur l'Esprit que dominait le péché, mais sur l'homme. Il fallait donc que Celui qui devait tuer le péché et racheter l'homme digne de mort se fît cela même qu'était celui-ci, c'est-à-dire cet homme réduit en esclavage par le péché et retenu sous le pouvoir de la mort Rm 5,12 Rm 6,20-21, afin que le péché fût tué par un homme et que l'homme sortît ainsi de la mort. Car, de même que, "par la désobéissance d'un seul homme" qui fut, le premier, modelé à partir d'une terre vierge Gn 2,5, "beaucoup ont été constitués pécheurs" et ont perdu la vie, ainsi fallait-il que, "par l'obéissance d'un seul homme" qui est, le premier, né de la Vierge, "beaucoup soient justifiés" et reçoivent le salut Rm 5,19. C'est donc en toute vérité que le Verbe de Dieu s'est fait homme, selon ce que dit aussi Moïse: "Dieu, ses oeuvres sont vraies Dt 32,4." Si, sans s'être fait chair, il n'avait pris que l'apparence de la chair, son ouvre n'eût pas été vraie. Mais ce qu'il paraissait être, il l'était réellement, à savoir Dieu récapitulant en lui-même cet antique ouvrage modelé qu'était l'homme, afin de tuer le péché, de détruire la mort 2Tm 1,10 et de vivifier l'homme: c'est pourquoi ses oeuvres étaient vraies.




II. JÉSUS N'EST PAS UN PUR HOMME, MAIS LE FILS DE DIEU INCARNÉ DANS LE SEIN DE LA VIERGE



319

Seul le Fils de Dieu pouvait nous rendre libres

19 1 A l'opposé, ceux qui prétendent qu'il n'est qu'un pur homme engendré de Joseph demeurent dans l'esclavage de l'antique désobéissance et y meurent, n'ayant pas encore été mélangés au Verbe de Dieu le Père et n'ayant pas eu part à la liberté qui nous vient par le Fils, selon ce qu'il dit lui-même: "Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres Jn 8,36." Méconnaissant en effet l'Emmanuel né de la Vierge Is 7,14, ils se privent de son don, qui est la vie éternelle Jn 4,10 Jn 4,14; n'ayant pas reçu le Verbe d'incorruptibilité, ils demeurent dans la chair mortelle; ils sont les débiteurs de la mort, pour n'avoir pas accueilli l'antidote de vie. C'est à eux que le Verbe dit, expliquant le don qu'il fait de sa grâce: "J'ai dit: Vous êtes tous des dieux et des fils du Très-Haut; mais vous, comme des hommes, vous mourrez Ps 88,6-7." Il adresse ces paroles à ceux qui, refusant de recevoir le don de la filiation adoptive, méprisent cette naissance sans tache que fut l'incarnation du Verbe de Dieu, privent l'homme de son ascension vers Dieu et ne témoignent qu'ingratitude au Verbe de Dieu qui s'est incarné pour eux. Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s'est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme: c'est pour que l'homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu. Nous ne pouvions en effet avoir part à l'incorruptibilité et à l'immortalité que si nous étions unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité. Mais comment aurions-nous pu être unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité, si l'Incorruptibilité et l'Immortalité ne s'étaient préalablement faites cela même que nous sommes, afin que ce qui était corruptible fût absorbé par l'incorruptibilité, et ce qui était mortel, par l'immortalité 1Co 15,53-54 2Co 5,4, "afin que nous recevions la filiation adoptive Ga 4,5" ?


Le Christ est homme et Dieu

2 C'est pourquoi "qui racontera sa génération Is 53,8 ?" Car "il est homme, et pourtant qui le connaîtra Jr 17,9 ?" Seul le connaîtra celui à qui le Père qui est dans les cieux aura révélé Mt 16,17 que "le Fils de l'homme Mt 16,13", qui "n'est pas né de la volonté de la chair ni de la volonté de l'homme Jn 1,13", est "le Christ, le Fils du Dieu vivant Mt 16,16". Que pas un seul d'entre les fils d'Adam ne soit appelé Dieu ou Seigneur au sens absolu de ces termes, nous l'avons montré par les Écritures; mais que le Christ, d'une manière qui lui est propre, à l'exclusion de tous les hommes de tous les temps, soit proclamé Dieu, Seigneur, Roi éternel, Fils unique et Verbe incarné, et cela aussi bien par tous les prophètes que par les apôtres et par l'Esprit lui-même, voilà ce qu'il est loisible de constater à tous ceux qui ont atteint ne fût-ce qu'une infime parcelle de la vérité. Ce témoignage, les Écritures ne le rendraient pas de lui, s'il n'était qu'un homme comme tous les autres hommes. Mais parce que, seul entre tous, il a reçu la génération éclatante qui lui vient du Père Très-Haut Is 53,8 et parce qu'il a accompli aussi la naissance éclatante qui lui vient de la Vierge Is 7,14, les Écritures rendent de lui ce double témoignage: d'une part, il est homme sans beauté, sujet à la souffrance Is 53,2-3, assis sur le petit d'une ânesse Za 9,9, abreuvé de vinaigre et de fiel Ps 69,22, méprisé du peuple, descendant jusque dans la mort Ps 22,7 Ps 22,16; d'autre part, il est Seigneur saint, admirable Conseiller Is 9,5, éclatant de beauté Ps 45,3, Dieu fort Is 9,5, venant sur les nuées en juge universel Da 7,13 Da 7,26.

3 Car, de même que le Seigneur était homme afin d'être éprouvé, de même il était aussi le Verbe afin d'être glorifié: d'un côté, le Verbe se tenait en repos lorsque le Seigneur était éprouvé, outragé, crucifié et mis à mort, de l'autre, l'homme était "absorbé" 1Co 15,53-54 2Co 5,4 lorsque le Seigneur vainquait, supportait la souffrance, montrait sa bonté, ressuscitait et était enlevé au ciel. Ainsi donc, le Fils de Dieu, notre Seigneur, tout en étant le Verbe du Père, était aussi Fils de l'homme: car de Marie, issue de créatures humaines et créature humaine elle-même, il avait reçu une naissance humaine.


Le signe de l'Emmanuel

C'est pourquoi aussi le Seigneur lui-même nous a donné un "signe Is 7,14" dans la profondeur et dans la hauteur Is 7,11, sans que l'homme l'eût demandé Is 7,12: car jamais celui-ci ne se fût attendu à ce qu'une Vierge devînt enceinte, tout en demeurant vierge, et mît au monde un Fils, à ce que le Fruit de cet enfantement fût "Dieu avec nous Is 7,14", à ce qu'il descendît dans les profondeurs de la terre Ep 4,9 pour y chercher la brebis perdue Lc 15,4-6, c'est-à-dire son propre ouvrage par lui modelé Gn 2,7, et à ce qu'il remontât ensuite dans les hauteurs Ep 4,10 pour offrir et remettre à son Père l'homme ainsi retrouvé Lc 15,24 Lc 15,32, effectuant en lui-même les prémices de la résurrection de l'homme 1Co 15,20. Car, comme la tête est ressuscitée des morts, ainsi le reste du corps Ep 1,22, c'est-à-dire tout homme qui sera trouvé dans la Vie Ph 3,9, ressuscitera à son tour 1Co 15,23, une fois révolu le temps de sa condamnation due à la désobéissance; alors ce corps ne fera plus qu'un "grâce aux articulations et aux ligaments" et il atteindra sa pleine vigueur par la croissance qui lui viendra de Dieu Col 2,19 Ep 4,16, chacun des membres occupant, dans le corps, la place qui lui sera propre et qui lui conviendra 1Co 12,18: car il y aura beaucoup de demeures auprès du Père Jn 14,2, parce qu'il y aura beaucoup de membres dans le corps Rm 12,4 1Co 12,12 1Co 12,20.


320

Le signe de Jonas

20 1 Dieu a donc usé de longanimité devant l'apostasie de l'homme, parce qu'il voyait d'avance la victoire qu'il lui donnerait un jour par l'entremise du Verbe: car, tandis que la puissance s'est déployée dans la faiblesse 2Co 12,9, le Verbe a fait apparaître la bonté de Dieu et sa magnifique puissance. Il en a été, en effet, de l'homme comme du prophète Jonas. Dieu a permis que celui-ci fût englouti par un monstre marin Jon 2,1, non pour qu'il disparût et pérît totalement, mais pour qu'après avoir été rejeté par le monstre il fût plus soumis à Dieu et qu'il glorifiât davantage Celui qui lui donnait un salut inespéré. C'était aussi pour qu'il provoquât un ferme repentir chez les Ninivites Jon 3,1, en sorte que ceux-ci se convertissent au Seigneur qui les délivrait de la mort, terrifiés qu'ils seraient par le signe accompli en Jonas. Comme le dit à leur sujet l'Écriture: "Et ils se détournèrent chacun de sa voie mauvaise et de l'iniquité qui était dans leurs mains, en disant: Qui sait si Dieu ne se repentira pas et ne détournera pas de nous sa colère, en sorte que nous ne périssions pas Jon 3,8-9 ?" De la même manière, dès le commencement, Dieu a permis que l'homme fût englouti par le grand monstre, auteur de la transgression, non pour qu'il disparût et pérît totalement, mais parce que Dieu préparait à l'avance l'acquisition du salut qu'a effectuée le Verbe, par le moyen du "signe de Jonas Mt 12,39-40", au bénéfice de ceux qui auront eu sur Dieu le même sentiment que Jonas, qui l'auront confessé et qui auront dit: "Je suis le serviteur du Seigneur, et j'honore le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a fait la mer et la terre ferme Jon 1,9." Dieu a voulu que l'homme, recevant de lui un salut inespéré, ressuscite d'entre les morts, qu'il glorifie Dieu et qu'il dise la parole prophétique de Jonas: "J'ai crié vers le Seigneur mon Dieu dans ma détresse, et il m'a exaucé du ventre de l'enfer Jon 2,2." Dieu a voulu que l'homme demeure toujours fidèle à le glorifier et à lui rendre grâces sans cesse pour ce salut reçu de lui, "en sorte qu'aucune chair ne se glorifie devant le Seigneur 1Co 1,29", que l'homme n'admette jamais plus sur Dieu des pensées contraires à celui-ci, en prenant pour une propriété naturelle l'incorruptibilité dont il jouissait, et qu'il ne délaisse plus jamais la vérité pour la jactance d'un vain orgueil, comme s'il était naturellement semblable à Dieu Gn 3,5. Car cet orgueil même, en le rendant bien plutôt ingrat envers son Créateur, lui avait masqué l'amour dont il était l'objet de la part de Dieu et avait aveuglé son esprit, l'empêchant d'avoir sur Dieu des pensées dignes de celui-ci, le poussant au contraire à se comparer à Dieu et à s'estimer son égal.

2 Telle a donc été la longanimité de Dieu. Il a permis que l'homme passe par toutes les situations et qu'il connaisse la mort, pour accéder ensuite à la résurrection d'entre les morts et apprendre par son expérience de quel mal il a été délivré: ainsi rendra-t-il toujours grâces au Seigneur, pour avoir reçu de lui le don de l'incorruptibilité, et l'aimera-t-il davantage, s'il est vrai que celui à qui on remet plus aime davantage Lc 7,42-43; ainsi saura-t-il que lui-même est mortel et impuissant et comprendra-t-il que Dieu est au contraire à ce point immortel et puissant qu'il donne au mortel l'immortalité 1Co 15,53 et au temporel l'éternité; ainsi connaîtra-t-il toutes les autres oeuvres prodigieuses de Dieu rendues manifestes en lui, et, instruit par elles, aura-t-il sur Dieu des pensées en rapport avec la grandeur de Dieu. Car la gloire de l'homme, c'est Dieu; d'autre part, le réceptacle de l'opération de Dieu et de toute sa sagesse et de toute sa puissance, c'est l'homme. Comme le médecin fait ses preuves chez ceux qui sont malades, ainsi Dieu se manifeste chez les hommes. C'est pourquoi Paul dit: "Dieu a enfermé toutes choses dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde Rm 11,32." Ce n'est pas des Éons pneumatiques qu'il parle, mais de l'homme, qui, après avoir désobéi à Dieu et avoir été rejeté de l'immortalité, a ensuite obtenu miséricorde 1P 2,10 par l'entremise du Fils de Dieu, en recevant la filiation adoptive qui vient par lui Ga 4,4-5. Car cet homme-là, gardant sans enflure ni jactance une pensée vraie sur les créatures et sur le Créateur - qui est le Dieu plus puissant que tout et qui donne à tout l'existence - et demeurant dans son amour Jn 15,9-10, dans la soumission et dans l'action de grâces, recevra de lui une gloire plus grande, progressant jusqu'à devenir semblable à Celui qui est mort pour lui. Celui-ci en effet s'est fait "à la ressemblance de la chair du péché" pour condamner le péché et, ainsi condamné, l'expulser de la chair Rm 8,3, et pour appeler d'autre part l'homme à lui devenir semblable, l'assignant ainsi pour imitateur à Dieu Ep 5,1, l'élevant jusqu'au royaume du Père et lui donnant de voir Dieu et de saisir le Père, - lui, le Verbe de Dieu qui a habité dans l'homme Jn 1,14 et s'est fait Fils de l'homme pour accoutumer l'homme à saisir Dieu et accoutumer Dieu à habiter dans l'homme, selon le bon plaisir du Père.


Le Seigneur lui-même s'est fait le Sauveur de l'homme impuissant à se sauver

3 Telle est donc la raison pour laquelle le signe de notre salut, à savoir l'Emmanuel né de la Vierge, a été donné par "le Seigneur lui-même Is 7,14": c'était le Seigneur lui-même qui sauvait ceux qui ne pouvaient se sauver par eux-mêmes. Aussi Paul proclame-t-il cette impuissance de l'homme: "Je sais, dit-il, que le bien n'habite pas dans ma chair Rm 7,18." Il indique par là que ce n'est pas de nous, mais de Dieu, que vient ce "bien" qu'est notre salut. Il dit encore: "Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort Rm 7,24 ?" Il présente ensuite le Libérateur: "C'est la grâce de Jésus-Christ notre Seigneur Rm 7,25."

C'est ce qu'Isaïe dit aussi de son côté: "Affermissez-vous, mains défaillantes et genoux chancelants; prenez courage, coeurs pusillanimes, affermissez-vous, ne craignez point ! Voici que notre Dieu rend le jugement, et il le rendra; il viendra lui-même et il nous sauvera Is 35,3-4." Ces paroles témoignent assez que ce n'est pas par nous-mêmes, mais par le secours de Dieu, que nous pouvions être sauvés.

4 De même encore, que Celui qui devait nous sauver ne serait ni purement un homme, ni un être sans chair - car les anges n'ont pas de chair -, Isaïe l'a annoncé en disant: "Ce n'est pas un ancien, ni un ange, mais le Seigneur lui-même qui les sauvera, parce qu'il les aime et qu'il les épargne, lui-même les délivrera Is 63,9." Et qu'il serait un homme véritable et visible, tout en étant le Verbe Sauveur, Isaïe le dit encore: "Voici, cité de Sion, que tes yeux verront notre Salut Is 33,20." Et qu'il n'était pas simplement un homme, Celui qui mourait pour nous, c'est ce que dit Jérémie: "Le Seigneur, le Saint d'Israël, s'est souvenu de ses morts endormis dans la terre du tombeau, et il est descendu vers eux pour leur annoncer la bonne nouvelle du salut qui vient de lui, pour les sauvera." C'est identiquement ce que dit le prophète Amos: "Lui-même se retournera vers nous et aura pitié de nous; il immergera nos iniquités et jettera au fond de la mer tous nos péchés Mi 7,19." Il indique encore le lieu de sa venue: "De Sion le Seigneur a parlé, et de Jérusalem il a fait entendre sa voix Am 1,2." Et que de cette région qui est au midi de l'héritage de Juda viendrait le Fils de Dieu, qui serait Dieu - région à laquelle appartenait Bethléem, où est né le Seigneur, qui a répandu de la sorte sa louange sur toute la terre -, c'est ce que dit en ces termes le prophète Habacuc: "Dieu viendra du côté du midi, et le Saint, du mont Éphrem; sa puissance a couvert le ciel, et la terre est remplie de sa louange; devant sa face marchera le Verbe, et ses pieds avanceront dans les plaines Ha 3,3 Ha 3,5." Il indique clairement par là qu'il est Dieu; ensuite, que sa venue aura lieu en Bethléem, du mont Éphrem, qui est vers le midi de l'héritage; enfin, qu'il est homme, car "ses pieds, précise-t-il, avanceront dans les plaines", ce qui est la marque propre d'un homme.

Note :

a Psaume de Jérémie


321

Une altération juive de la prophétie de l'Emmanuel

21 1 Dieu s'est donc fait homme, et le Seigneur lui-même nous a sauvés Is 63,9 en nous donnant lui-même le signe de la Vierge. On ne saurait dès lors donner raison à certains, qui osent maintenant traduire ainsi l'Écriture: "Voici que la jeune femme concevra et enfantera un filsIs 7,14." Ainsi traduisent en effet Théodotion d'Éphèse et Aquila du Pont, tous les deux prosélytes juifs. Ils sont suivis par les Ébionites, qui disent Jésus né de Joseph, détruisant ainsi autant qu'il est en eux cette grande "économie" de Dieu et réduisant à néant le témoignage des prophètes, qui fut l'oeuvre de Dieu. Il s'agit en effet d'une prophétie qui fut faite avant la déportation du peuple à Babylone, c'est-à-dire avant l'hégémonie des Mèdes et des Perses; cette prophétie fut ensuite traduite en grec par les juifs eux-mêmes longtemps avant la venue de notre Seigneur, en sorte que personne ne puisse les soupçonner d'avoir traduit comme ils l'ont fait dans l'éventuelle pensée de nous faire plaisir: car, s'ils avaient su que nous existerions un jour et que nous utiliserions les témoignages tirés des Ecritures, ils n'auraient certes pas hésité à brûler de leurs mains leurs propres Écritures, elles qui déclarent ouvertement que toutes les autres nations auront part à la vie et qui montrent que ceux-là mêmes qui se vantent d'être la maison de Jacob et le peuple d'Israël sont déchus de l'héritage de la grâce de Dieu.

2 En effet, avant que les Romains n'eussent établi leur empire, alors que les Macédoniens tenaient encore l'Asie sous leur pouvoir, Ptolémée, fils de Lagos, qui avait fondé à Alexandrie une bibliothèque et ambitionnait de l'orner des meilleurs écrits de tous les hommes, demanda aux Juifs de Jérusalem une traduction grecque de leurs Ecritures. Ceux-ci, qui dépendaient encore des Macédoniens à cette époque, envoyèrent à Ptolémée les hommes de chez eux les plus versés dans les Écritures et dans la connaissance des deux langues, c'est-à-dire soixante-dix Anciens, pour exécuter le travail qu'il voulait. Lui, désireux de les mettre à l'épreuve et craignant au surplus que, s'ils s'entendaient entre eux, il ne leur arrivât de dissimuler par leur traduction la vérité contenue dans les Écritures, les sépara les uns des autres et leur ordonna à tous de traduire le même ouvrage; et il fit de même pour tous les livres. Or, lorsqu'ils se retrouvèrent ensemble auprès de Ptolémée et qu'ils comparèrent les unes aux autres leurs traductions, Dieu fut glorifié et les Écritures furent reconnues pour vraiment divines, car tous avaient exprimé les mêmes passages par les mêmes expressions et les mêmes mots, du commencement à la fin, de sorte que même les païens qui étaient là reconnurent que les Écritures avaient été traduites sous l'inspiration de Dieu. Il n'est d'ailleurs nullement surprenant que Dieu ait opéré ce prodige: quand les Écritures eurent été détruites lors de la captivité du peuple sous Nabuchodonosor 2R 25,1 Jr 39,1 et qu'après soixante-dix ans les Juifs furent revenus dans leur pays, n'est-ce pas Dieu lui-même qui, par la suite, au temps d'Artaxerxès, roi des Perses Ne 7,1, inspira Esdras, prêtre de la tribu de Lévi, pour rétablir de mémoire toutes les paroles des prophètes antérieurs et rendre au peuple la Loi donnée par Moïse Ne 18,1-18 ?

3 Ainsi donc, puisque c'est avec tant de vérité et par une telle grâce de Dieu qu'ont été traduites les Écritures par lesquelles Dieu a préparé et formé par avance notre foi en son Fils - car il nous a gardé ces Ecritures dans toute leur pureté en Égypte, là où avait grandi la maison de Jacob fuyant la famine qui sévissait en Chanaan Gn 46,2-7, là où notre Seigneur aussi fut gardé lorsqu'il fuyait la persécution d'Hérode Mt 2,13-15 -, et puisque cette traduction des Écritures a été faite avant que notre Seigneur ne descendît sur la terre et avant que n'apparussent les chrétiens - car notre Seigneur est né vers la quarante et unième année du règne d'Auguste, et le Ptolémée au temps duquel furent traduites les Écritures est beaucoup plus ancien -: ils font vraiment montre d'impudence et d'audace, ceux qui veulent présentement faire d'autres traductions lorsqu'à partir de ces Écritures mêmes nous les réfutons et les acculons à croire en la venue du Fils de Dieu.


Vraie teneur de la prophétie de l'Emmanuel

Solide, en revanche, non controuvée et seule vraie est notre foi - elle qui reçoit une preuve manifeste de ces Écritures traduites de la manière que nous venons de dire -, et la prédication de l'Église est pure de toute altération. Car les apôtres, qui sont plus anciens que tous ces gens-là, sont en accord avec la version susdite, et cette version est en accord avec la tradition des apôtres: Pierre, Jean, Matthieu, Paul, tous les autres apôtres et leurs disciples ont repris tous les textes prophétiques sous la forme même sous laquelle ils sont contenus dans la version des Anciens. 4 C'est en effet un seul et même Esprit de Dieu qui, chez les prophètes, a annoncé la venue du Seigneur et ce qu'elle serait, et qui, chez les Anciens, a bien traduit ce qui avait été bien prophétisé, et c'est encore lui qui, chez les apôtres, a annoncé que la plénitude du temps de la filiation adoptive était arrivée Ga 4,4-5, que le royaume des cieux était proche Mt 3,2 Mt 4,17, qu'il résidait au dedans des hommes Lc 17,21 qui croyaient en l'Emmanuel né de la Vierge Is 7,14. Ainsi les apôtres ont-ils attesté qu'avant que Joseph eût habité avec Marie - donc celle-ci demeurant en sa virginité -, "il se trouva qu'elle avait conçu de l'Esprit Salut Mt 1,18". Ils ont également attesté que l'ange Gabriel lui dit: "L'Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, c'est pourquoi l'être saint qui va naître de toi sera appelé Fils de Dieu Lc 1,35." Ils ont enfin attesté que l'ange dit en songe à Joseph: "Cela est arrivé pour que s'accomplît la parole dite par le prophète Isaïe: Voici que la Vierge concevra en son sein Mt 1,22-23 Is 7,14."

Quant aux Anciens, voici comment ils avaient traduit les paroles d'Isaïe: "Le Seigneur parla encore à Achaz: Demande pour toi un signe au Seigneur ton Dieu, soit dans les profondeurs, soit dans les hauteurs. Et Achaz dit :je ne demanderai pas et ne tenterai pas le Seigneur. Et Isaïe dit: < Écoutez donc, maison de David ! > Est-ce peu pour vous de mettre les hommes à l'épreuve? Et comment le Seigneur met-il à l'épreuve? C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: voici que la Vierge concevra en son sein et enfantera un Fils, et vous lui donnerez le nom d'Emmanuel; il mangera du beurre et du miel; avant qu'il ne connaisse ou ne choisisse le mal, il choisira le bien, car, avant que l'enfant ne connaisse le bien ou le mal, il repoussera le mal afin de choisir le bien Is 7,10-16." De façon précise l'Esprit Saint a fait connaître par ces paroles trois choses: - la génération du Seigneur: elle lui vient de la Vierge; - son être: il est Dieu, car son nom d'Emmanuel signifie cela même; - sa manifestation, enfin: il est homme, ce qu'indiquent la phrase "il mangera du beurre et du miel", l'appellation d'"enfant" et les mots "avant qu'il ne connaisse le bien ou le mal", car ce sont là autant de traits qui caractérisent un homme venu depuis peu à l'existence. Quant au fait de repousser le mal afin de choisir le bien, c'est là, en revanche, le propre de Dieu: l'Écriture souligne ce trait pour que le fait que l'enfant mangera du beurre et du miel ne nous incite pas à voir en lui simplement un homme, et pour qu'à l'opposé le nom d'Emmanuel ne nous fasse pas supposer un Dieu non revêtu de chair.

5 Les mots "Écoutez donc, maison de David Is 7,13 !" donnent eux aussi à entendre que le Roi éternel que Dieu avait promis à David de susciter "du fruit de son sein Ps 132,11" est Celui-là même qui est né de la Vierge issue de David Lc 1,27. Car c'est pour cela que Dieu lui avait promis un Roi qui serait "le fruit de son sein" - ce qui caractérise une Vierge enceinte -, et non "le fruit de ses reins" ni "le fruit de sa virilité" - ce qui est le propre d'un homme qui engendre et d'une femme qui conçoit de cet homme -. Ainsi donc, dans cette promesse, l'Écriture exclut le pouvoir générateur de l'homme; bien mieux, elle n'en fait même pas mention, car Celui qui devait naître ne venait pas "de la volonté de l'homme Jn 1,13". Par contre, elle pose et affirme vigoureusement l'expression "fruit du sein", pour proclamer par avance la génération de Celui qui devait naître de la Vierge. C'est ce qu'Élisabeth, remplie de l'Esprit Saint Lc 1,41, a attesté en disant à Marie: "Bénie es-tu parmi les femmes, et béni est le fruit de ton sein Lc 1,42 !" Par ces paroles, l'Esprit Saint indique à qui veut l'entendre que la promesse faite par Dieu à David de susciter un Roi " du fruit de son sein" a été accomplie lorsque la Vierge, c'est-à-dire Marie, a enfanté. Ceux qui changent le texte d'Isaïe pour lire: "Voici que la jeune femme concevra en son sein Is 7,14" et qui veulent que l'enfant en question soit le fils de Joseph, qu'ils changent donc le texte de la promesse qui se lit en David, là où Dieu lui promettait de susciter "du fruit de son sein Ps 132,11" une "Corne Ps 132,17 Lc 1,69" qui ne serait autre que le Christ Roi ! Mais ils n'ont pas compris ce texte, sans quoi ils auraient eu l'audace de le changer lui aussi.

6 Quant à l'expression d'Isaïe "soit dans les profondeurs, soit dans les hauteurs Is 7,11", elle signifie que "Celui qui est descendu est aussi Celui qui est remonté Ep 4,10". Enfin la phrase "Le Seigneur lui-même vous donnera un signe Is 7,14" souligne le caractère inattendu de sa génération: celle-ci n'aurait jamais eu lieu si le "Seigneur", le Dieu de toutes choses, n'avait lui-même donné ce signe dans la maison de David. Car qu'aurait eu de remarquable ou quel signe eût constitué le fait qu'une "jeune femme" conçût d'un homme et enfantât, puisque c'est là le fait de toutes les femmes qui mettent au monde? Mais, parce qu'inattendu était le salut qui devait advenir aux hommes par le secours de Dieu, inattendu aussi était l'enfantement qui aurait pour auteur une Vierge: c'est Dieu qui donnerait ce signe, et l'homme n'y serait pour rien.


Complément de preuve en faveur de la naissance virginale du Fils de Dieu

7 C'est pourquoi aussi Daniel, ayant vu d'avance sa venue, a parlé d'une pierre détachée sans l'intervention d'une main et venue dans le monde Da 2,34 Da 2,45. C'est là en effet ce que signifiait l'expression "sans l'intervention d'une main": sa venue dans le monde a eu lieu sans le travail de mains humaines, c'est-à-dire de ces hommes qui ont l'habitude de tailler la pierre, autrement dit sans l'action de Joseph, Marie étant seule à coopérer à l'"économie". Car cette pierre vient certes de la terre Ps 85,12, mais elle a été constituée par la puissance et l'art de Dieu. C'est pourquoi aussi Isaïe dit: "Ainsi parle le Seigneur: Voici que je mets pour fondement en Sion une pierre de grand prix, pierre de choix, pierre d'angle, pierre comblée d'honneur Is 28,16": il veut nous faire comprendre que sa venue humaine résulte, non de la volonté de l'homme, mais de la volonté de Dieu .

8 C'est pourquoi aussi Moïse, pour faire apparaître une figure du Seigneur, "Jeta son bâton à terre Ex 7,9-10", pour qu'en s'incarnant il vainquît et "engloutît Ex 7,12" toute la prévarication des Egyptiens qui s'insurgeait contre l'"économie" de Dieu et pour que les Égyptiens eux-mêmes rendissent témoignage que c'est le "doigt de Dieu Ex 8,15" qui opère le salut du peuple, et non un prétendu fils de Joseph. Si en effet le Seigneur était fils de Joseph, comment pouvait-il avoir plus que Salomon ou plus que Jonas Mt 12,41-42 ou être plus que David Mt 22,41-45, alors qu'il aurait été engendré de la même semence et serait leur rejeton? Et pourquoi eût-il déclaré Pierre bienheureux pour l'avoir reconnu comme "Fils du Dieu vivant Mt 16,16-17" ?

9 De plus, s'il avait été fils de Joseph, il n'aurait pu être ni roi ni héritier, d'après Jérémie. En effet, Joseph apparaît comme fils de Joachim et de Jéchonias selon la généalogie exposée par Matthieu Mt 1,12 Mt 1,16. Or Jéchonias et tous ses descendants ont été exclus de la royauté, comme le montrent ces paroles de Jérémie: "Par ma vie, dit le Seigneur, quand même Jéchonias, fils de Joachim, roi de Juda, serait un anneau à ma main droite, je t'en arracherai et te livrerai aux mains de ceux qui en veulent à ta vie Jr 22,24-25." Et encore: "Jéchonias a été déshonoré, comme un vase dont on n'a pas besoin, car il a été expulsé dans une terre qu'il ne connaissait pas. Terre, écoute la parole du Seigneur: Inscris cet homme comme un homme rejeté, car nul de sa descendance ne grandira de manière à s'asseoir sur le trône de David et à devenir prince en Juda Jr 22,28-30." Dieu dit encore au sujet de Joachim son père: "C'est pourquoi ainsi a parlé le Seigneur au sujet de Joachim, roi de Juda: Aucun de ses descendants ne s'assoira sur le trône de David, et son cadavre sera jeté dehors à la chaleur du jour et au froid de la nuit; mon regard s'appesantira sur lui et sur ses enfants; je ferai venir sur eux, sur les habitants de Jérusalem et sur la terre de Juda tous les maux que j'ai annoncés à leur sujet Jr 36,30-31." Ceux donc qui disent que le Seigneur a été engendré de Joseph et mettent leur espérance en lui s'excluent eux-mêmes du royaume, car ils tombent sous la malédiction et le châtiment qui frappent Jéchonias et sa descendance. Car si ces choses ont été dites de Jéchonias, c'est parce que l'Esprit, sachant d'avance ce que diraient un jour les faux docteurs, voulait faire comprendre que le Seigneur ne naîtrait pas de la semence de Jéchonias - autrement dit de Joseph -, mais que, selon la promesse de Dieu, c'est du "sein de David" que serait suscité le Roi éternel Ps 132,77 qui récapitulerait toutes choses en lui-même Ep 1,10.




III. LA RÉCAPITULATION D'ADAM



Le nouvel Adam: naissance virginale

C'est donc aussi l'ouvrage modelé à l'origine qu'il a récapitulé en lui-même. 10 En effet, de même que, par la désobéissance d'un seul homme, le péché a fait son entrée et que, par le péché, la mort a prévalu Rm 5,12 Rm 5,19, de même, par l'obéissance d'un seul homme, la justice a été introduite Rm 5,19 et a produit des fruits de vie chez les hommes qui autrefois étaient morts. Et de même que ce premier homme modelé, Adam, a reçu sa substance d'une terre intacte et vierge encore - "car Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir et l'homme n'avait pas encore travaillé la terre Gn 2,5" - et qu'il a été modelé par la Main de Dieu Ps 119,73, c'est-à-dire par le Verbe de Dieu - car "tout a été fait par son entremise Jn 7,3", et: "Le Seigneur prit du limon de la terre et en modela l'homme Gn 2,7" -, de même, récapitulant en lui-même Adam, lui, le Verbe, c'est de Marie encore Vierge qu'à juste titre il a reçu cette génération qui est la récapitulation d'Adam. Si donc le premier Adam 1Co 15,45 avait eu pour père un homme et était né d'une semence d'homme, ils auraient raison de dire que le second Adam 1Co 15,47 a été aussi engendré de Joseph. Mais si le premier Adam a été pris de la terre et modelé par le Verbe de Dieu, il fallait que ce même Verbe, effectuant en lui-même la récapitulation d'Adam, possédât la similitude d'une génération identique. - Mais alors, objectera-t-on, pourquoi Dieu n'a-t-il pas pris de nouveau du limon et a-t-il fait sortir de Marie l'ouvrage qu'il modelait? - Pour qu'il n'y eût pas un autre ouvrage modelé et que ce ne fût pas un autre ouvrage qui fût sauvé, mais que celui-là même fût récapitulé, du fait que serait sauvegardée la similitude en question.



Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.18