Ambroise virginité 1024

Inconvénients du mariage.

1024 Ce n'est pas que je déconseille le mariage, mais je décris le bienfait de la virginité. « Que celui qui est faible, est-il dit, mange des légumes » (Rm 14,2). J'exige une chose, j'admire l'autre. « Es-tu lié à une femme ? Ne cherche pas à rompre. Tu n'es pas lié à une femme ? Ne cherche pas de femme » (1Co 7,27). Voilà son ordre aux gens mariés. Mais que dit-il des vierges ? « Celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux encore » (1Co 7,28). Celle-là ne pèche pas si elle se marie, celle-ci, si elle ne se marie pas, appartient à l'éternité 12. Là vous avez un remède pour la fragilité, ici la gloire de la chasteté. L'une n'est pas blâmée, à l'autre la louange.

12. « ...appartient à l'éternité » : c'est la gloire immortelle de la chasteté, chantée au Livre de la Sagesse : « Comme est belle et glorieuse la chaste génération ! Sa mémoire est immortelle » (Sg 4,1).


1025 Comparons, si vous le voulez, les biens des femmes mariées avec les moindres avantages des vierges. La femme mariée peut être fière d'une maternité féconde ; mais plus elle met au monde d'enfants, plus elle a de travail. Qu'elle calcule les consolations que lui apportent ses enfants, qu'elle n'oublie pas non plus les ennuis qu'ils lui causent. Elle se marie et elle pleure. Quelles sont ces noces accompagnées de pleurs ? Elle conçoit, et l'enfant lui devient un poids. Sa fécondité lui devient à charge avant de produire son fruit. Elle enfante et tombe malade. Agréable enfantement, qui commence par un danger, s'achève dans les dangers, cause de souffrance avant d'être motif de joie ! On acquiert l'enfant au péril de sa vie, on ne le conserve pas à son gré.


1026 Rappellerai-je les soucis pour le nourrir, l'élever, l'établir ? Et ce sont les heureux qui ont ces misères ! Une mère a des héritiers, mais elle augmente ses souffrances. Mais ne parlons pas des adversités, pour ne pas ôter le courage au coeur des parents les plus saints. Voyez, ma soeur, comme est lourde la souffrance dont il ne faut pas même parler. Et tout cela concerne le temps présent. Mais des jours viendront où l'on dira : « Heureuses les stériles et les entrailles qui n'ont pas porté d'enfants » (Lc 22,29). Les enfants de ce monde naissent et donnent naissance (Lc 20,34-35), mais la fille du Royaume s'abstient des plaisirs de l'homme et de la chair pour être sainte de corps et d'esprit (1Co 7,34).


1027 Pourquoi décrire la dure sujétion des femmes, leur servitude sous un mari, elles à qui Dieu a commandé de servir, même avant les esclaves13. Je m'y arrête pour qu'elles obéissent plus facilement ; si elles s'en acquittent bien, leur charité est récompensée ; si elles font mal, leur faute est châtiée.

13. Cf.
Gn 3,16 : « Tu seras au pouvoir de l'homme et il sera ton maître. » Cf. saint Cyprien, De habitu virginum, 22, 2. Saint Augustin cite ce passage de saint Ambroise, ainsi que saint Cyprien, De habitu virginum, 15, comme exemples de style sublime : De doctrina christiana, 50 (PL 34,114).


1028 De là naissent des stimulants aux vices : elles peignent leurs visages de couleurs empruntées, dans la crainte de déplaire à leurs maris, et de l'altération de leurs traits elles passent à une adultération de la chasteté. Quelle démence que de changer par un coloris artificiel ses traits naturels, et alors qu'on redoute le jugement de son mari, de se juger soi-même ! Car celle qui veut changer ce qu'elle est par nature est la première à prononcer contre elle-même : s'efforçant de plaire à un autre, elle commence par se déplaire à elle-même. Quel juge plus véridique, ô femme, cherchons-nous de votre laideur que vous-même qui redoutez d'être vue ? Si vous êtes belle, pourquoi vous cacher ? Si vous êtes laide, pourquoi feindre d'être belle, puisque vous n'obtiendrez satisfaction de votre dissimulation ni à vos propres yeux ni en trompant autrui ? Lui, il aime une autre femme, et vous, vous voulez plaire à un autre homme, et vous mettez en colère s'il en aime une autre, apprenant de vous l'adultère ? Vous avez mal à propos enseigné comment vous faire tort. Même une prostituée a en horreur la prostitution, et si méprisable qu'elle soit, c'est pour son propre plaisir qu'elle pèche, non pour faire plaisir à autrui. Les péchés d'adultère sont presque plus tolérables, car là c'est la chasteté qui est altérée, ici c'est la nature elle-même.


1029 Et que de dépenses sont nécessaires pour que même une femme qui est belle ne déplaise pas ! Ici des colliers de pierres précieuses, là une robe brodée d'or traînant à terre. Achète-t-on donc une telle beauté, ou la possède-t-on ? Quoi encore ? On se sert même des séductions de parfums de toutes sortes, on charge les oreilles de boucles, on change la couleur de ses yeux. Que demeure-t-il de vous parmi tant de changements ? Une femme perd ses sens et pense pouvoir continuer à vivre ?




Beauté des vierges.

1030 Mais vous, vierges bienheureuses, qui ignorez de tels ornements, ou plutôt tortures, vous dont la beauté consiste dans une sainte réserve répandue sur un visage modeste, dans une vraie chasteté, vous ne recherchez pas les regards humains, vous ne calculez pas vos mérites d'après le jugement erroné d'autrui. Sans aucun doute vous aussi vous luttez pour la beauté, mais pour celle que procure la ligne de la vertu, non celle du corps, celle que ni l'âge ne peut faner, ni la mort détruire, ni la maladie ravager. C'est Dieu seul que vous appelez comme juge de votre beauté, lui qui même dans des corps moins beaux aime la beauté supérieure des âmes. Vous ne connaissez pas le poids de la grossesse ni les douleurs de l'enfantement, et pourtant plus considérable est la postérité d'une âme sainte qui a pour enfants tous les hommes ; sa descendance est nombreuse, mais la perte des siens lui est inconnue ; elle ignore les deuils, mais elle connaît des héritiers.


L'Église Vierge et Mère.

1031 De même la Sainte Église qui immaculée nous a conçus, féconde nous a enfantés, est vierge par sa chasteté, mère en sa descendance. Nous sommes enfantés par une vierge qu'a rendue féconde non pas l'homme, mais l'Esprit 14. Elle nous enfante sans douleur en son corps, mais dans la joie des anges. Vierge, elle nous nourrit non d'un lait matériel, mais de celui avec lequel l'Apôtre nourrit l'enfance d'un peuple encore en croissance (1Co 3,2). Quelle épouse a plus d'enfants que la sainte Église, vierge en ses mystères, mère en les peuples qui sont à elle ? Sa fécondité, l'Écriture même en témoigne : « Car les enfants de la délaissée, est-il dit, sont plus nombreux que ceux de celle qui a un mari » (Is 54,1 Ga 4,27). Notre mère n'a pas de mari mais elle a un époux, car l'Église, soit qu'on la considère dans tous les peuples, soit en chaque âme individuelle, contracte un mariage spirituel avec le Verbe de Dieu comme avec son époux, sans la moindre atteinte à sa pureté, exempte de tout contact, spirituellement féconde.

14. Il s'agit de la fécondation de l'eau baptismale par l'Esprit-Saint, que rappelait éloquemment la formule de bénédiction de l'eau à la Vigile pascale : « Que L'Esprit rende féconde, par l'infusion mystérieuse de sa divinité, cette eau préparée pour la génération des humains, afin qu'ayant conçu cette sanctification du sein immaculé de cette source divine, émerge une lignée céleste, née pour être une créature nouvelle... »


Adresse aux parents.

1032 Vous avez entendu, parents, quelles vertus vous devez apprendre à vos filles, quelles règles de conduite vous devez leur inculquer, afin d'avoir des enfants dont les mérites puissent racheter vos propres fautes. Une vierge est un don de Dieu, un bienfait pour ses parents, un sacerdoce de chasteté. Une vierge est l'offrande de sa mère, car son sacrifice quotidien apaise la colère de Dieu. Une vierge est l'enfant inséparable de ses parents, qui ne les importune pas pour une dot, ne les abandonne pas en quittant la maison 15, ne leur cause pas de la peine par sa mauvaise conduite.

15. A la fin du IVe, les communautés de vierges étaient encore rares. Souvent les vierges demeuraient dans la maison paternelle, et de la sorte appartenaient à leurs parents plus que si elles avaient contracté mariage. On peut considérer comme des exceptions, à cette époque, la petite communauté réunie autour de Marcelline, le groupement de Bologne.


1033 Mais tel désire avoir des petits-fils, le nom d'aïeul ; il renonce à ses enfants en voulant en avoir d'autres ; il commence à être privé de ceux dont il est assuré, tandis qu'il en espère d'incertains ; il donne ses propres richesses, et on demande davantage ; si la dot n'est pas versée, on la réclame ; s'il vit longtemps, il est à charge. Ce n'est pas là acquérir un gendre, mais l'acheter : il vendra aux parents le droit de regarder leur fille. Sa mère l'a-t-elle donc portée tant de mois dans son sein pour qu'elle passe au pouvoir d'un autre ? A-t-elle donc accepté la responsabilité de sa fille pour la voir si tôt enlevée à ses parents ?


Invective contre les Manichéens.

1034 On me dira : « Vous déconseillez donc le mariage » ? Au contraire, je l'encourage et je condamne ceux qui ont coutume de le déconseiller 16, puisque je fais souvent allusion aux mariages de Sara, de Rébecca, de Rachel 17, et des autres femmes de l'Ancien Testament, en les proposant comme modèles de toutes les vertus. Condamner le mariage, c'est condamner les enfants, condamner l'ensemble du genre humain. Comment, en effet, un âge pourrait-il succéder à un autre et subsister pour des siècles, si l'attrait du mariage ne suscitait pas le désir d'engendrer des enfants ? Comment peut-on prêcher qu'Isaac innocent, victime offerte par la piété de son père (Gn 22,1-19), s'approcha de l'autel de Dieu, ou qu'Israël, encore revêtu d'un corps mortel, vit Dieu, et donna à son peuple son nom sacré (Gn 32,27-30), si l'on condamne leur origine ? Ces hommes sacrilèges ont du moins pour eux un point digne d'être reconnu par les sages : en condamnant le mariage, ils avouent qu'ils n'auraient pas dû naître !

16. Les manichéens condamnaient le mariage et la procréation, disant que la substance divine, qui entre en eux par le moyen des aliments, se trouve chargée des liens de la chair dans les enfants.
17. Dans divers traités sur l'Ancien Testament, Ambroise a présenté Sara, Rébecca et Rachel comme types de l'Église. Il offre Rébecca et Rachel comme modèles aux vierges : ci-après, III, 10 — aux veuves : Exhortation aux veuves, 90.


Supériorité de la virginité sur le mariage.

1035 Je ne déconseille donc pas le mariage, mais j'énumère les bienfaits de la sainte virginité. Celle-ci, sans doute, est le sort du petit nombre, l'autre de tout l'ensemble. Il ne saurait y avoir de virginité si elle n'a de qui naître. Je compare un bien avec un bien pour mettre en lumière le meilleur. Et ce n'est nullement ma propre pensée que j'expose, mais je répète celle que l'Esprit-Saint proféra par le Prophète : « Mieux vaut la stérilité avec la vertu » (Sg 4,1) d'après les Septante).


1036 En premier lieu, si les fiancées désirent par dessus tout être fières de la beauté de leur époux, elles doivent nécessairement se reconnaître inférieures en cela aux vierges saintes, auxquelles seules il est donné de dire : « Tu es le plus beau des enfants des hommes ; la grâce est répandue sur tes lèvres » (Ps 44,3). Quel est cet époux ? Il n'est pas assujetti à de basses flatteries, il ne se fait pas gloire de richesses périssables : c'est celui « dont le trône est éternel, dont les filles de rois forment la cour, à la droite duquel se tient la reine, vêtue d'une robe tissée d'or, ornée de toute variété de vertus » (Ps 44,7 44,10). « Écoute donc, ma fille, et prête l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, car le roi s'est épris de ta beauté ; c'est lui-même qui est ton Dieu » (Ps 44,11-12).

Grâce de la virginité


1037 Et considère tout ce qu'au témoignage des Écritures l'Esprit-Saint t'a donné : royauté, or, beauté. Royauté, soit parce que tu es l'épouse du Roi éternel, soit parce que, l'âme invincible, tu ne succombes pas captive des désirs de la chair, mais les domines en reine. Or, de même que cette matière a plus de prix une fois passée au feu, de même la beauté corporelle d'une vierge consacrée par l'Esprit de Dieu en reçoit un plus grand éclat. Quant à la beauté, qui peut en concevoir une plus grande que la beauté de celle qui est aimée par son Roi, approuvée par son Juge, vouée à son Seigneur, consacrée à son Dieu, toujours épouse, toujours vierge, si bien que son amour ne connaît pas de fin, ni sa pureté de dommage.


1038 Voilà assurément, voilà la véritable beauté, celle à qui rien ne manque, qui seule a le droit d'entendre du Seigneur ces paroles : « Tu es toute belle, mon amie, en toi il n'y a pas de tache ! Viens à moi du Liban, mon épouse, viens à moi du Liban, tu passeras et repasseras, depuis la source de la foi, des sommets du Sanir et de l'Hermon, des tanières des lions, des montagnes des léopards » (Ct 4,7-8). Par ces traits se trouve décrite la beauté parfaite et irrépréhensible d'une âme virginale consacrée à Dieu à son autel, qui parmi les assauts et les embûches des fauves spirituels, sans fléchissement dans sa conduite, appliquée aux mystères divins, a gagné son Bien-aimé, lui dont le sein est rempli de joie, car c'est un vin qui réjouit le coeur de l'homme (Ps 103,15).


1039 « Le parfum de tes vêtements », est-il dit, « est plus suave que tous les aromates » ; et, plus bas, « le parfum de tes vêtements rappelle celui du Liban » (Ct 4,11). Vois, ô vierge, le progrès que tu dois nous offrir ici : ton premier parfum, qui dépasse tous les aromates, ayant servi pour la sépulture du Seigneur, fait sentir qu'en toi les inclinations charnelles ont été frappées de mort, morts les plaisirs du corps. Ton second parfum, comme celui du Liban, émanant de la fleur de ta chasteté virginale, exhale la pureté sans tache du corps du Seigneur.


Les vierges comparées aux abeilles.

1040 Que tes oeuvres donc composent un rayon de miel : la virginité, en effet, mérite d'être comparée aux abeilles : comme elles, diligente, pure, chaste (Ct 4,11). L'abeille se nourrit de rosée 18, ne se livre pas à l'accouplement 19, compose son miel. La vierge aussi a sa rosée : la parole de Dieu, car les paroles de Dieu descendent comme la rosée (Dt 32,2). Sa pureté, c'est l'intégrité de sa nature. Son enfantement, c'est le fruit de ses lèvres, exempt d'aigreur, plein de douceur. Le travail est en commun, le produit en commun 20.

18. Cf. Virgile, Géorgiques, II, 212-213.
19. Cf. ib. IV, 197-201.
20. Cf. Virgile, Géorgiques, IV, 184.


1041 Combien voudrais-je, ma fille, que tu imites cette petite abeille qui se nourrit de fleurs, qui recueille ses petits et forme son miel avec sa bouche ! Imite-la, ma fille. Que tes paroles ne s'enveloppent d'aucune fourberie, qu'elles ne dissimulent aucune fraude, mais qu'elles soient franches et pleines de gravité.


1042 Que tes mérites, enfantés par tes lèvres, t'assurent une postérité sans fin. Et ne les amasse pas pour toi seule, mais pour d'autres, —Sais-tu quand on te redemandera ton âme ? (Lc 12,18-21) — tu risquerais de laisser derrière toi des greniers regorgeant de blé qui ne serviront ni pour l'entretien de ta propre vie, ni pour augmenter tes mérites, et d'être enlevée là où tu ne pourras emporter ton trésor. Enrichis-toi donc, mais pour les pauvres, afin que, partageant ta nature, ils partagent aussi tes biens.


1043 Je te montre aussi une fleur à cueillir : Celui qui a dit : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées, comme un lis au milieu des épines » (Ct 2,1-2). Preuve évidente que la vertu est investie par les halliers du mal, si bien que seul récolte du fruit celui qui approche avec précaution.


1044 Prends donc des ailes, ô vierge, mais les ailes de l'esprit, pour survoler les vices, si tu veux parvenir jusqu'au Christ, lui « qui demeure dans les cieux et abaisse ses regards vers la terre » (Ps 112,5-6). Sa beauté ressemble au cèdre du Liban (Ct 5,15) dont la frondaison se perd dans les nues, dont les racines plongent en terre. Son origine est céleste ; dans la suite sa vie sur terre a porté des fruits voisins du ciel. Cherche avec grand soin une si belle fleur : qui sait si tu ne la trouveras pas dans le vallon de ton coeur ; car c'est dans les lieux cachés qu'elle a coutume de répandre son parfum.


La vierge : jardin fermé, fontaine scellée.

1045 Il aime à éclore dans ces jardins où Suzanne le trouva en s'y promenant, prête à mourir, plutôt que de souffrir atteinte à sa pureté (Da 13). Quels sont ces jardins, lui-même nous l'explique lorsqu'il dit : « Tu es un jardin fermé, ma soeur, mon épouse, tu es un jardin fermé, une fontaine scellée » (Ct 4,12) : dans ces jardins-là l'eau d'une source limpide reflète avec éclat l'image de Dieu, image scellée 21 pour que les bêtes spirituelles ne viennent pas s'y vautrer et la souiller de fange. Aussi cette pureté est-elle enclose de toutes parts d'un mur spirituel, pour ne pas être exposée au rapt. Comme un jardin inaccessible aux voleurs, elle répand la senteur de la vigne, l'odeur de l'olivier, le parfum de la rosé ; dans la vigne c'est la religion, dans l'olivier la paix, dans la rosé la pudeur de la sainte virginité qui fleurissent. C'est le parfum qui émanait du patriarche Jacob quand il lui fut donné d'entendre ces paroles : « Voici que l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ fertile » (Gn 27,27). Bien que le champ du saint patriarche fût rempli de fruits de toutes espèces, ces fruits cependant il ne les produisait qu'au prix d'un intense labeur. Ici il s'agit de fleurs.

21. Faut-il songer aux sceaux du baptême, de la confirmation et de la consécration des vierges ?


Le Christ, époux des vierges.

1046 A l'oeuvre donc, ô vierge, et si tu veux que ton jardin exhale de pareils parfums, ferme-le avec les préceptes des prophètes : « Mets une garde à ta bouche et une porte bien gardée à tes lèvres » (Ps 140,3), afin de pouvoir dire, toi aussi : « Tel un pommier entre les arbres de la forêt, tel est mon frère entre les fils des hommes. A son ombre, le désirant, je me suis assise, et son fruit est doux à mon palais » (Ct 2,3). «J'ai trouvé celui qu'aime mon âme, je le tiens et je ne lâcherai pas » (Ct 3,4). « Que mon frère descende dans son jardin, qu'il goûte les fruits de ses pommiers » (Ct 5,7). « Viens, mon frère, sortons dans les champs » (Ct 7,11). « Place-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras » (Ct 8,6). « Mon bien-aimé est éclatant de blancheur et vermeil » (Ct 5,10). Car il convient, ô vierge, que tu connaisses à fond ton bien-aimé, et qu'en lui tu reconnaisses sa divinité sans commencement et le mystère de son Incarnation. Il est à bon droit éclatant de blancheur, car il est la splendeur du Père (He 1,3), il est vermeil en tant que fils d'une vierge. En lui brille et resplendit l'éclat de ses deux natures. Souviens-toi cependant que la gloire de sa divinité précède les mystères de son humanité, car il n'a pas tiré son origine d'une vierge, mais celui qui existait déjà est descendu dans une vierge.


1047 C'est lui qui fut méprisé par les soldats, blessé d'une lance pour nous guérir par le sang précieux de cette blessure (Jn 19,33-34). Il te dira sans doute — car il est doux et humble de coeur (Mt 11,25), aimable est son aspect — : « Lève-toi Aquilon, accours, Auster, souffle sur mon jardin, qu'il distille mes aromates » (Ct 4,16), car de tous les points du monde s'est répandu le parfum de la sainte virginité qui s'exhale des membres d'une vierge aimée du Seigneur. « Tu es belle, ma parente, comme la bonne renommée, belle comme Jérusalem » (Ct 6,3). Ce n'est donc pas la beauté d'un corps périssable, que flétrira la maladie ou la vieillesse, qui constitue la parure des vierges, mais la renommée de leurs bonnes oeuvres, que nulle vicissitude ne peut atteindre, qui jamais ne périra.


1048 Et comme ce n'est pas aux hommes qu'il convient désormais de te comparer, mais aux anges dont tu mènes la vie sur terre, reçois cet ordre du Seigneur et accomplis-le : « Place-moi, dit-il, comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras » (Ct 8,6), afin qu'apparaissent avec plus d'éclat les marques de ta sagesse, les témoignage de tes oeuvres, dans lesquelles doit resplendir le Christ, image de Dieu (He 1,3), lui qui, égal en tout à son Père par nature, a porté l'empreinte parfaite de la divinité reçue de Lui. Ce qui fait dire à l'apôtre Paul que nous avons été marqués du sceau de l'Esprit (Ep 1,13), parce que nous possédons l'image du Père dans le Fils (2Co 4,4), et le sceau du Fils dans l'Esprit (Ep 1,13). Marqués ainsi du sceau de la Trinité, veillons avec soin à ce que ni la légèreté de nos moeurs, ni la moindre adultération ne brisent le sceau imprimé sur nos coeurs.


Les vierges protégées par l'Église, le Seigneur et les anges.

1049 Loin des vierges sacrées une telle crainte, elles que l'Église a dès l'abord pourvues de si puissants secours ! Pleine de sollicitude pour la croissance de ses frêles rejetons, elle voit gonfler ses seins, semblable à un mur garni de tours (Ct 8,10), jusqu'à ce que, l'ennemi ayant levé le siège, elle ait assuré la paix à une jeunesse devenue robuste grâce à sa puissante protection maternelle. D'où cette parole du Prophète : « Que la paix règne dans ton enceinte, la prospérité dans tes tours » (Ps 121,7).


1050 Alors le Seigneur de la paix en personne, ayant serré fortement dans ses bras la vigne qui lui fut confiée, et voyant ses rameaux pousser leurs bourgeons, mesure d'un regard prévoyant les vents aux fruits naissants. Il en témoigne lui-même : « Ma vigne, dit-il, est toujours sous mes yeux : il y a mille pour Salomon, deux cents pour les gardiens de la récolte » (Ct 8,12).


1051 Et plus haut il dit : « Soixante guerriers l'entourent, le glaive à la main, tous rompus aux combats » (Ct 3,7-8). Ici nous avons mille deux cents : le nombre s'est accru avec l'accroissement des fruits, car plus on est saint plus on est protégé. Ainsi le prophète Elisée a montré qu'il était assisté d'une armée d'anges (2R 6,14-18), et Josué, fils de Nun, vit auprès de lui le chef de la milice céleste (Jos 5,13-16). Ils sont donc bien capables de veiller sur nos fruits, ceux qui peuvent même combattre pour nous. Mais vous, ô vierges sacrées, vous êtes entourées d'une garnison de choix, vous qui gardez le lit sacré du Seigneur dans une pureté inviolable. Il n'est pas surprenant que les anges combattent pour vous, qui menez le combat d'une vie angélique. La chasteté des vierges -obtient leur aide, s'élevant à leur vie.


Privilèges des vierges.

1052 Mais pourquoi m'étendre davantage sur la louange de la chasteté ? C'est la chasteté qui a fait les anges eux-mêmes : est ange celui qui l'a gardée, diable celui qui l'a perdue. C'est de là que l'état religieux a pris son nom : est vierge celle qui est liée comme épouse à Dieu, prostituée celle qui se fait des dieux (Jr 2,20). Et que dire de la résurrection, dont vous possédez déjà le bienfait ? « Lors de la résurrection, est-il dit, ils ne prendront ni femmes ni maris, mais ils seront comme les anges du ciel » (Lc 20,35 Mt 22,30). Ce qui pour nous est une promesse existe déjà pour vous, ce qui pour nous est objet de désir, vous en jouissez déjà22. Vous êtes de ce monde, mais vous n'êtes pas en ce monde (Jn 17,6). Il a été donné au monde de vous avoir, mais non de vous garder 23.

22. Saint Cyprien disait aussi aux vierges : « Ce que nous serons, vous avez déjà commencé à l'être. » (De habitu virginum, 22 ; PL 4,462).
23. Les vierges sont comme tirées du monde et ne lui appartenant plus.


1053 Quelle merveille ! Des anges par leur manque de mesure sont tombés du ciel au siècle, tandis que les vierges, grâce à leur chasteté, sont passées de ce siècle au ciel. Heureuses vierges, que les sollicitations déréglées de la chair ne troublent pas, que le torrent bourbeux de la volupté n'entraîne pas. Une sage modération dans le manger et le boire leur apprend à ignorer les vices, puisqu'elle apprend à ignorer la racine des vices. Cette occasion de péché a souvent pris au piège les justes eux-mêmes. C'est ainsi que le peuple de Dieu, après s'être assis pour boire, a renié Dieu (Ex 22,6-8) ; que Lot, sans le savoir, fut l'objet de l'inceste de ses filles (Gn 19,30). Les fils de Noé, en lui tournant le dos, couvrirent la nudité de leur père : ce qu'un fils impudent regarda, la pudeur d'un autre en eut honte et la cacha par respect, sachant qu'il aurait été en faute s'il eût regardé lui aussi (Gn 9,21-23). Combien grande est la force du vin puisqu'il dépouille celui que les eaux même du déluge n'ont pas dépouillé !


1054 Pourquoi m'y arrêter davantage ? Quel bonheur est le vôtre de n'être sollicitée par aucune convoitise ! Le pauvre vous demande ce que vous avez, mais ne requiert pas ce que vous ne possédez pas. Le fruit de votre travail est un trésor pour le pauvre, et n'eussiez-vous que deux oboles (Lc 21,2-4), c'est votre contribution, votre largesse. Apprends donc, ma soeur, tout ce qui t'est épargné ; car ce que tu dois éviter, je n'ai pas à te l'enseigner, ni toi à l'apprendre : la pratique parfaite de la vertu n'a pas besoin d'enseignement, elle est elle-même une prédication. Tu vois celle qui se pare pour plaire à autrui s'avancer semblable aux litières portées en cortège 24, attirant sur elle les yeux et les regards de tous, d'autant plus laide qu'elle cherche davantage à séduire : elle déplaît au public plus vite qu'elle ne plaît à son époux. Mais chez toi le plus beau est le dédain pour toute recherche de beauté : ne pas te parer est justement ta parure.

24. Soit un triomphe, soit un cortège où l'on porte sur des litières les images des dieux.


Misère des femmes du monde.

1055 Regarde ces oreilles percées de trous, prends pitié à la vue de ces poids qui font courber la tête 25. La différence des métaux n'allège pas le supplice. Ici c'est un collier qui enserre le cou, là une chaîne qui entoure le pied. Il importe peu que le corps ploie sous l'or ou le fer : dans les deux cas la tête se courbe, la démarche s'appesantit. Le prix n'y fait rien : il reste que vous, mesdames, craignez de perdre votre instrument de supplice. Qu'importe que ce soit le jugement d'autrui ou le vôtre qui vous condamne ? En cela vous êtes plus à plaindre que les condamnés par jugement : eux souhaitent être déliés, vous être enchaînées !

25. Dans tout ce passage, Ambroise semble s'inspirer de Cyprien, De habitu virginum, 17 (PL 4,414-418).


1056 Quel sort misérable que d'être, pour se marier, mise à prix à la façon d'un esclave sur le marché, achetée par celui qui met la surenchère. La vente des esclaves est pourtant plus supportable, car il leur arrive de choisir leurs maîtres. Si la vierge choisit le sien, on lui en fait reproche ; si elle ne choisit pas, c'est un affront. Même si elle est belle et avenante, elle souhaite et elle craint tout à la fois d'être vue. Elle le souhaite, pour qu'on verse pour elle une plus grande somme ; elle craint de déplaire en se montrant. Que d'espoirs trompés ! Quand se présentent les prétendants, que d'appréhensions dans la crainte d'être trompée par un pauvre, prise en dégoût par un riche, bafouée par un bellâtre, méprisée par un noble.


L'enseignement de l'auteur porte au loin.

1057 On me dira : Tu nous chantes chaque jour les louanges des vierges, — mais que faire, puisque chaque jour je répète la même chanson sans le moindre résultat ? Mais ce n'est pas ma faute. Des vierges viennent de Plaisance, de Bologne, de la Mauritanie pour se faire consacrer ici, pour y recevoir le voile. Vous êtes témoins d'un fait extraordinaire : c'est ici que je parle et c'est là-bas que je persuade. S'il en est ainsi, parlons là-bas pour vous convaincre ici !


1058 Comment se fait-il que celles qui ne m'entendent pas suivent mon enseignement, et celles qui m'entendent ne le suivent pas ? J'ai connu beaucoup de vierges qui ont voulu m'écouter, mais qui ont été empêchées de quitter la maison par leurs mères, et, ce qui est pire encore, par des veuves : c'est à elles que je m'adresse maintenant : Si vos filles désiraient épouser un homme, la loi leur permettrait de choisir qui elles voudraient. Celle donc qui a le droit de choisir un homme, ne lui est-il pas permis de choisir Dieu ?


1059 Considérez combien est aimable le fruit de la chasteté qui s'est implanté même dans le coeur des barbares. Des vierges chassées des régions les plus éloignées de la Mauritanie, et même d'au-delà, désirent se faire consacrer ici, et tandis que toutes leurs familles sont dans les fers 26, la chasteté ignore la captivité. Elle se voue au royaume éternel, déplorant l'opprobre de l'esclavage.

26. Allusion à la persécution du tyran Gildo qui prit parti pour les donatistes contre les fidèles.


Les vierges de Bologne.

1060 Et que dire des vierges de Bologne, cette milice féconde de la pudeur, qui, renonçant aux plaisirs du monde, demeurent dans le temple sacré de la virginité ? Étrangères à tout commerce avec l'homme, mais fécondes par la grâce de leur virginité, leur nombre atteint la vingtaine et obtient le fruit du centuple. Elles ont quitté le foyer paternel pour veiller sous les tentes du Christ, infatigable milice de la chasteté. Tantôt elles se livrent au chant des hymnes, tantôt elles travaillent pour assurer leur subsistance, et subvenir aussi de leurs mains aux besoins des pauvres.


1061 Si elles flairent une proie, une vierge à prendre dans leurs filets — car elles s'entendent entre toutes à dépister et pourchasser la chasteté — les pas pressés de leur sollicitude poursuivent jusqu'en son gîte la proie qui se cache ; ou bien si quelqu'une se montre en un libre vol, on les voit toutes déployer leurs plumes, battre des ailes, applaudir à l'envi, entourer la voyageuse du chaste choeur de la pureté jusqu'à ce que, charmée de cette blanche compagnie, oubliant la maison de son père (Ps 44,11), elle parvienne au rivage de la pureté, à la poursuite de la chasteté.


Encouragement aux vierges.

1062 Ce serait donc un bien si les soins des parents attisaient chez la vierge la flamme de la pureté ; mais il y a plus de gloire à ce que le feu de leur jeunesse se porte spontanément, sans être alimenté par les parents, vers le foyer de la chasteté. Tes parents te refuseront une dot, mais ton Époux est riche, son trésor te suffit sans te mettre en peine de recueillir l'héritage paternel. Comme une pauvreté chaste est préférable à une dot coûteuse !


1063 Mais cependant, avez-vous jamais ouï dire que quelqu'une ait été privée de son héritage légitime pour avoir voulu rester vierge ? Les parents font opposition ; mais ils souhaitent être vaincus. Ils résistent d'abord, parce qu'ils ont peur d'acquiescer. Ils se fâchent souvent, pour t'apprendre à surmonter leur indignation ; ils menacent de te déshériter pour voir si tu es capable d'affronter sans crainte les disgrâces de ce monde. Ils te comblent de caresses, pour voir si le charme de ces mille gentillesses ne pourra pas te fléchir. C'est ton exercice, vierge, que cette contrainte : voilà tes premières luttes, ménagées par les désirs angoissés des parents. Triomphe d'abord, ô vierge, de l'affection de tes parents. Si tu triomphes des tiens, tu triompheras du monde.


1064 Mais enfin, admettons que vous ayez à perdre votre patrimoine ; est-ce que le royaume des cieux qui vous attend ne compense pas la perte de richesses caduques et périssables ? Si pourtant nous ajoutons foi aux paroles divines, « nul ne quittera maison, parents, frères, femme ou enfants pour le royaume de Dieu qui ne reçoive cent fois autant dès ici-bas, et dans le siècle à venir la vie éternelle » (Lc 17,29) s.. Mets ta confiance en Dieu. Tu confies de l'argent à un homme : prête au Christ. Gardien fidèle du dépôt de ton espoir, il te rend le talent de ta foi avec amples intérêts (Mt 25,14-27). La vérité ne trompe pas, la puissance ne déçoit pas, la justice ne circonvient pas. Et si vous ne croyez pas à sa parole, croyez du moins à des exemples.



Ambroise virginité 1024