Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.19

Conclusion: transcendance de l'unique vrai Dieu

2 On pourrait leur dire à juste titre, ainsi que l'Ecriture elle-même le suggère: Puisque vous avez élevé vos pensées au-dessus de Dieu en vous exaltant d'une manière inconsidérée - vous avez entendu dire que les cieux ont été mesurés à l'empan Is 40,12 -, dites-moi donc leur mesure et faites-moi connaître la quantité sans nombre de leurs coudées; exposez-moi leur étendue, leur largeur et leur longueur et leur hauteur Ep 3,18, le commencement et la fin de leur pourtour. Mais ce sont là choses que le coeur de l'homme ne peut concevoir ni comprendre. Car ils sont vraiment grands, les trésors célestes, et Dieu est incommensurable pour le coeur, et Celui qui comprend la terre dans son poing Is 40,12 est incompréhensible pour l'esprit. Qui percevra sa mesure? Et qui connaîtra le doigt de sa droite? Ou qui comprendra sa Main, elle qui mesure l'incommensurable, qui étend à sa mesure la mesure des cieux, qui serre dans son poing la terre avec ses abîmes, qui contient en elle " la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur Ep 3,18" de toute la création, de celle qui se voit et s'entend, et de celle qui est incompréhensible et invisible? C'est pourquoi, "au-dessus de toute principauté, puissance et domination, et de tout nom qui est nommé Ep 1,21", à quelque créature qu'il appartienne, il y a Dieu. C'est lui qui remplit les cieux Jr 23,24 et "observe les abîmes Da 3,55". Il est aussi avec chacun de nous: "Je suis, dit-il, un Dieu proche et non un Dieu lointain: est-ce qu'un homme se cachera dans une cachette sans que je le vole Jr 23,23 ?" Car sa Main embrasse toutes choses: c'est elle qui illumine les cieux, qui illumine aussi ce qui est au-dessous du ciel, qui "sonde les reins et les coeurs Ap 2,23", pénètre nos replis les plus secrets et, de façon manifeste, nous nourrit et nous garde.

3 Si donc l'homme ne peut saisir l'étendue et la grandeur de sa Main, comment pourra-t-il connaître ou concevoir en son coeur un Dieu si grand? Or, comme si déjà ils l'avaient mesuré, scruté et parcouru tout entier, ils imaginent au-dessus de lui un autre Plérôme d'Eons et un autre Père. Par là, loin de s'élever à la contemplation des choses célestes, ils descendent en vérité dans l'"abîme" de la démence. Ils disent en effet que leur Père finit là où commence ce qui est hors du Plérôme, tandis que, à l'opposé, le Démiurge n'atteint pas jusqu'au Plérôme. Ils affirment ainsi qu'aucun des deux n'est parfait ni n'embrasse toutes choses: car il manquera au premier la production de tout ce qui est hors du Plérôme, et au second la production de ce qui est dans le Plérôme, et aucun des deux ne sera le Seigneur de toutes choses. Or, s'il est évident pour tout le monde que personne ne peut exprimer la grandeur de Dieu à partir des choses créées, quiconque pense d'une manière digne de Dieu proclamera aussi que sa grandeur ne fait pas défaut, mais qu'elle soutient toutes choses, s'étend jusqu'à nous et est avec nous.






DEUXIÈME PARTIE


L'ANCIEN TESTAMENT, PROPHÉTIE DU NOUVEAU : UNE LECTURE ECCLÉSIALE DES ÉCRITURES


I. LE PROPHÉTISME



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Dieu a tout créé par son Verbe et son Esprit

20 1 On ne peut donc connaître Dieu selon sa grandeur, car il est impossible de mesurer le l'ère, mais selon son amour - car c'est celui-ci qui nous conduit à Dieu par son Verbe -, ceux qui lui obéissent apprennent en tout temps qu'il existe un Dieu si grand et que c'est lui qui, par lui-même, a créé, a fait et a ordonné toutes choses. Or, parmi ce tout, il y a nous-mêmes et notre monde. Donc nous aussi, avec tout ce que renferme le monde, nous avons été faits par lui. C'est de lui que l'Écriture dit: "Et Dieu modela l'homme en prenant du limon de la terre, et il insuffla en sa face un souffle de vie Gn 2,7." Ce ne sont donc pas des anges qui l'ont fait ni modelé Ps 119,73 - car des anges n'auraient pu faire une image de Dieu -, ni quelque autre en dehors du vrai Dieu, ni une Puissance considérablement éloignée du Père de toutes choses. Car Dieu n'avait pas besoin d'eux pour faire ce qu'en lui-même il avait d'avance décrété de faire. Comme s'il n'avait pas ses Mains à lui Ps 119,73 ! Depuis toujours, en effet, il y a auprès de lui le Verbe et la Sagesse, le Fils et l'Esprit. C'est par eux et en eux qu'il a fait toutes choses, librement et en toute indépendance, et c'est à eux qu'il s'adresse, lorsqu'il dit: "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance Gn 1,26." C'est donc bien de lui-même qu'il a pris la substance des choses qui ont été créées, et le modèle des choses qui ont été faites, et la forme des choses qui ont été ordonnées.

2 Il s'est donc exprimé avec justesse, l'écrit qui dit: "Avant tout, crois qu'il existe un seul Dieu, qui a tout créé et organisé, qui a fait de rien toutes choses pour qu'elles soient, qui contient tout et seul n'est pas contenua." Parmi les prophètes, Malachie dit aussi avec justesse: "N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés? N'y a-t-il pas un seul Père pour nous tous Ml 2,10 ?" L'Apôtre dit aussi avec raison: "Il n'y a qu'un seul Dieu Père, qui est au-dessus de tous, à travers tous et en nous tous Ep 4,6." Enfin le Seigneur dit aussi d'une façon semblable: "Toutes choses m'ont été remises par mon Père Mt 11,27." I1 s'agit, de toute évidence, de Celui qui a fait toutes choses: car ce n'est pas le bien d'un autre, mais son propre bien, qu'il lui a remis. Et, dans ce tout, rien n'est soustrait. Aussi est-il "Juge des vivants et des morts Ac 10,42". "Il a la clef de David: il ouvrira et personne ne fermera, il fermera et personne n'ouvrira Ap 3,7." "Personne d'autre, en effet, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, ne pouvait ouvrir le livre" du Père "ni le regarder Ap 5,3", hormis "l'Agneau qui a été immolé Ap 5,12" et nous a "rachetés par son sang Ap 5,9", après avoir, du Dieu qui a fait toutes choses par son Verbe et les a ordonnées par sa Sagesse, reçu pouvoir sur toutes choses lorsque "le Verbe s'est fait chaire Jn 1,14": de la sorte, tout comme il tenait la première place au ciel en sa qualité de Verbe de Dieu, il l'a tenue aussi sur la terre, en étant l'homme juste " qui n'a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s'est pas trouvé de fourberie 1P 2,22", et il l'a tenue parmi ceux qui sont sous la terre, en devenant le "Premier-né d'entre les morts Col 1,18"; de la sorte aussi, toutes choses, comme nous l'avons déjà dit, ont vu leur Roi; de la sorte enfin, en la chair de notre Seigneur a fait irruption la lumière du Père, puis, en brillant à partir de sa chair, elle est venue en nous, et ainsi l'homme a accédé à l'incorruptibilité, enveloppé qu'il était par cette lumière du Père.

Note:
a Hermas, Pasteur, Mand. 1


3 Que le Verbe, c'est-à-dire le Fils, fût depuis toujours avec le Père, nous l'avons amplement montré. Mais la Sagesse, qui n'est autre que l'Esprit, était également auprès de lui avant toute création. C'est ce qu'elle dit par la bouche de Salomon: "Dieu par la Sagesse a fondé la terre, et il a préparé le ciel par l'Intelligence; par sa Science les abîmes ont jailli et les nuages ont distillé la rosée Pr 3,19-20." Et encore: "Le Seigneur m'a créée comme principe de ses voies, en vue de ses oeuvres; avant les siècles, il m'a fondée; au commencement, avant de faire la terre et avant de faire les abîmes, avant que coulent les sources des eaux et avant que les montagnes soient affermies, et avant toutes les collines, il m'a engendrée Pr 8,22-25." Et encore: "Lorsqu'il préparait le ciel, j'étais avec lui; lorsqu'il affermissait les sources de l'abîme, lorsqu'il consolidait les fondements de la terre, j'étais auprès de lui, répandant l'harmonie; j'étais celle auprès de qui il trouvait sa joie, et chaque jour je me réjouissais devant sa face tout le temps durant, tandis qu'il se réjouissait d'avoir achevé le monde et trouvait ses délices parmi les fils des hommes Pr 8,27-31."


Par son Verbe et son Esprit, Dieu se manifeste à sa créature : la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu

4 Ainsi donc, il n'y a qu'un seul Dieu, qui, par le Verbe et la Sagesse, a fait et organisé toutes choses. C'est lui le Créateur, et c'est lui qui a assigné ce monde au genre humain. Selon sa grandeur, il est inconnu de tous les êtres faits par lui: car personne n'a scruté son élévation, ni parmi les anciens ni parmi les contemporains. Cependant, selon son amour, il est connu en tout temps grâce à Celui par qui il a créé toutes choses: celui-ci n'est autre que son Verbe, notre Seigneur Jésus-Christ, qui, dans les derniers temps, s'est fait homme parmi les hommes afin de rattacher la fin au commencement, c'est-à-dire l'homme à Dieu. Voilà pourquoi les prophètes, après avoir reçu de ce même Verbe le charisme prophétique, ont prêché à l'avance sa venue selon la chair, par laquelle le mélange et la communion de Dieu et de l'homme ont été réalisés selon le bon plaisir du Père. Dès le commencement, en effet, le Verbe a annoncé que Dieu serait vu des hommes, qu'il vivrait et converserait avec eux sur la terre Ba 3,38 et qu'il se rendrait présent à l'ouvrage par lui modelé, pour le sauver et se laisser saisir par lui, pour " nous délivrer des mains de tous ceux qui nous haïssent ", c'est-à-dire de tout esprit de transgression, et pour faire en sorte que "nous le servions avec sainteté et justice tous les jours de notre vie Lc 1,74-75", afin que, enlacé à l'Esprit de Dieu, l'homme accède à la gloire du Père.

5 Tout cela, les prophètes l'ont annoncé d'une manière prophétique. Mais ce n'est pas à dire, comme d'aucuns le prétendent, que, le Père de toutes choses étant invisible, c'était un autre qui était vu par les prophètes. Ainsi parlent ceux qui ignorent du tout au tout ce qu'est la prophétie. Car une prophétie est la prédiction de choses à venir, l'annonce anticipée de réalités ultérieures. Les prophètes annonçaient donc d'avance que Dieu serait vu des hommes, conformément à ce que dit aussi le Seigneur: "Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu Mt 5,8." Certes, selon sa grandeur et son inexprimable gloire, "nul ne verra Dieu et vivra Ex 33,20", car le Père est insaisissable; mais selon son amour, sa bonté envers les hommes et sa toute-puissance, il va jusqu'à accorder à ceux qui l'aiment le privilège de voir Dieu - ce que, précisément, prophétisaient les prophètes -, car "ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu Lc 18,27". Par lui-même, en effet, l'homme ne pourra jamais voir Dieu, mais Dieu, s'il le veut, sera vu des hommes, de ceux qu'il veut, quand il veut et comme il veut. Car Dieu peut tout: vu autrefois par l'entremise de l'Esprit selon le mode prophétique, puis vu par l'entremise du Fils selon l'adoption, il sera vu encore dans le royaume des cieux selon la paternité, l'Esprit préparant d'avance l'homme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduisant au Père, et le Père lui donnant l'incorruptibilité et la vie éternelle, qui résultent de la vue de Dieu pour ceux qui le voient. Car, de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, de même ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Or vivifiante est la splendeur de Dieu. Ils auront donc part à la vie, ceux qui voient Dieu. Tel est le motif pour lequel Celui qui est insaisissable, incompréhensible et invisible s'offre à être vu, compris et saisi par les hommes: c'est afin de vivifier ceux qui le saisissent et qui le voient. Car, si sa grandeur est inscrutable, sa bonté aussi est inexprimable, et c'est grâce à elle qu'il se fait voir et qu'il donne la vie à ceux qui le voient. Car il est impossible de vivre sans la vie, et il n'y a de vie que par la participation à Dieu, et cette participation à Dieu consiste à voir Dieu et à jouir de sa bonté.

6 Les hommes verront donc Dieu afin de vivre, devenant immortels par cette vue et atteignant jusqu'à Dieu. C'est là, je l'ai déjà dit, ce qui était annoncé d'une manière figurative par les prophètes, à savoir que Dieu serait vu par les hommes qui portent son Esprit et attendent sans cesse sa venue. Comme Moïse le dit encore dans le Deutéronome: "En ce jour-là nous verrons, car Dieu parlera à l'homme et celui-ci vivra Dt 5,24." Certains d'entre eux, en effet, voyaient l'Esprit prophétique et son assistance en vue de l'effusion de tous les genres de grâces; d'autres voyaient la venue du Seigneur et le ministère par lequel, depuis les origines, il accomplit la volonté du Père, tantôt au ciel et tantôt sur la terre; d'autres encore voyaient les gloires du Père telles qu'elles étaient proportionnées, selon les moments, aux hommes qui voyaient, à ceux qui entendaient alors et à ceux qui devaient entendre par la suite. Telle était donc la manière dont Dieu se manifestait. A travers tout cela, en effet, c'est bien le Dieu Père qui se donne à connaître: l'Esprit prête son assistance, le Fils fournit son ministère, le Père notifie son bon plaisir et l'homme est rendu parfait en vue du salut. Comme il le dit encore par la bouche du prophète Osée: "J'ai moi-même multiplié les visions et ai été représenté par la main des prophètes Os 12,11." L'Apôtre expose la même chose, lorsqu'il dit: "Il y a diversité de grâces, mais c'est le même Esprit; il y a diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur; il y a diversité d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère tout en tous: à chacun la manifestation de l'Esprit est donnée pour son profit 1Co 12,4-7." Sans doute Celui qui opère tout en tous est-il invisible et inexprimable, quant à sa puissance et à sa grandeur, pour tous les êtres faits par lui; toutefois il ne leur est nullement inconnu pour autant, car tous apprennent par son Verbe qu'il n'y a qu'un seul Dieu Père, qui soutient toutes choses Sg 1,7 et donne l'existence à toutes, selon ce que dit aussi le Seigneur: "Dieu, personne ne l'a jamais vu; le Dieu Monogène, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui l'a révélé ."

7 Ainsi, dès le commencement, le Fils est le Révélateur du Père, puisqu'il est dès le commencement avec le Père: les visions prophétiques, la diversité des grâces, ses propres ministères, la manifestation de la gloire du Père, tout cela, à la façon d'une mélodie harmonieusement composée, il l'a déroulé devant les hommes, en temps opportun, pour leur profit. En effet, où il y a composition, il y a mélodie; où il y a mélodie, il y a temps opportun; où il y a temps opportun, il y a profit. C'est pourquoi le Verbe s'est fait le dispensateur de la grâce du Père pour le profit des hommes: car c'est pour eux qu'il a accompli de si grandes "économies", montrant Dieu aux hommes et présentant l'homme à Dieu, sauvegardant l'invisibilité du Père pour que l'homme n'en vînt pas à mépriser Dieu et qu'il eût toujours vers quoi progresser, et en même temps rendant Dieu visible aux hommes par de multiples "économies", de peur que, privé totalement de Dieu, l'homme ne perdît jusqu'à l'existence. Car la gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme c'est la vision de Dieu: si déjà la révélation de Dieu par la création procure la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu !

8 Ainsi donc, puisque l'Esprit de Dieu signifiait l'avenir par les prophètes afin de nous préformer et de nous prédisposer à la soumission à Dieu, et puisque cet avenir consistait en ce que, par le bon plaisir du Père, l'homme verrait Dieu il fallait de toute nécessité que ceux par qui l'avenir était prophétisé vissent ce Dieu qu'ils annonçaient comme devant être vu des hommes, afin que le Fils et le Père ne fussent pas seulement dits dans un oracle prophétique "Dieu" et "Enfant de Dieu Is 43,10", mais qu'ils fussent vus par tous les membres sanctifiés et instruits des choses de Dieu, et qu'ainsi l'homme fût formé et exercé par avance à s'approcher de la gloire destinée à être révélée par la suite à ceux qui aiment Dieu Rm 8,18 Rm 8,28. Car ce n'était pas seulement avec la langue que les prophètes prophétisaient, mais aussi par leurs visions, par leur comportement, par les actes qu'ils posaient suivant le conseil de l'Esprit. C'était donc de cette manière qu'ils voyaient le Dieu invisible, comme le dit Isaïe: "J'ai vu de mes yeux le Roi, le Seigneur Sabaoth Is 6,5, signifiant par là que l'homme verrait Dieu de ses yeux et entendrait sa voix. C'était donc de cette manière qu'ils voyaient également le Fils de Dieu vivre en homme avec les hommes Ba 3,38: ce qui était à venir, ils le prophétisaient; Celui qui n'était pas encore là, ils le disaient présent -, Celui qui était impassible, ils le proclamaient passible; Celui qui était aux cieux, ils le disaient descendu "dans la poussière de la mort Ps 22,16". Et ainsi de toutes les autres "économies" de sa récapitulation: ils voyaient les unes par des visions, prêchaient les autres par des paroles, signifiaient les autres d'une manière figurative par des actes. Les choses qui seraient vues, ils les voyaient de façon visible; celles qui seraient entendues, ils les prêchaient par des paroles; celles qui seraient faites, ils les accomplissaient par des actes: mais toutes, ils les annonçaient de façon prophétique. C'est pourquoi Moïse disait au peuple transgresseur que Dieu était un feu Dt 4,24, les menaçant par là du jour de feu qui allait fondre sur eux de la part de Dieu; en revanche, à ceux qui avaient la crainte de Dieu, il disait: "Le Seigneur Dieu est miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté, véridique, gardant la justice et la miséricorde jusqu'à des milliers de fois, effaçant les injustices, les iniquités et les péchés Ex 34,6-7."


Les visions des prophètes

9 Et le Verbe "parlait à Moïse face à face, comme quelqu'un qui parlerait à son ami Ex 33,11". Mais Moïse désira voir à découvert Celui qui lui parlait. Alors il lui fut dit: "Tiens-toi sur le faîte du rocher, et je te couvrirai de ma main; quand ma gloire passera, tu me verras par derrière; mais ma face ne sera pas vue de toi, car l'homme ne peut voir ma face et vivre Ex 33,20-22." Cela signifiait deux choses: que l'homme était impuissant à voir Dieu, et que, néanmoins, grâce à la Sagesse de Dieu, à la fin, l'homme le verrait sur le faîte du rocher, c'est-à-dire dans sa venue comme homme. Voilà pourquoi le Verbe s'est entretenu avec Moïse face à face sur le faîte de la montagne, tandis qu'Elie aussi était présent, comme le rapporte l'Évangile Mt 17,3 Mc 9,4 Lc 9,30: le Verbe s'acquittait ainsi, à la fin, de son antique promesse.

10 Les prophètes ne voyaient donc pas la face même de Dieu manifestée à découvert, mais des "économies" et des mystères grâce auxquels l'homme verrait Dieu un jour. C'est ainsi qu'il était dit à Élie: "Tu sortiras demain et tu te tiendras devant le Seigneur et voici que le Seigneur passera. Il y aura un vent grand et puissant qui désagrégera les montagnes et fracassera les rochers devant le Seigneur: mais ce n'est pas dans le vent que sera le Seigneur. Après le vent, un tremblement de terre: mais ce n'est pas dans le tremblement de terre que sera le Seigneur. Après le tremblement de terre, un feu: mais ce n'est pas dans le feu que sera le Seigneur. Après le feu, le murmure d'une brise légère 1R 19,11-13." Par là, le prophète, qu'avaient violemment courroucé la transgression du Peuple et le meurtre des prophètes, apprenait à se modérer. Par là était aussi signifiée la venue du Seigneur comme homme, cette venue qui, après la Loi donnée par Moïse, devait être douce et paisible et eu laquelle il ne briserait pas le roseau froissé ni n'éteindrait la mèche encore fumante Mt 12,20 Is 42,3. Par là était encore montré le doux et pacifique repos de son royaume: car, après le vent qui fracasse les montagnes, après le tremblement de terre, après le feu, viendront les temps calmes et pacifiques de son royaume, en lesquels, en toute tranquillité, l'Esprit de Dieu ranimera et fera croître l'homme.

Le cas d'Ezéchiel montre avec plus d'évidence encore que les prophètes voyaient "de façon partielle 1Co 13,9-10 1Co 13,12" les "économies" de Dieu, et non Dieu lui-même de façon intégrale. Car il eut une "vision de Dieu Ez 1,1", et il décrivit les chérubins, et leurs roues, et le mystère de toutes leurs évolutions ; et il vit au-dessus d'eux "la ressemblance d'un trône" et, sur ce trône, "la ressemblance et comme la forme d'un homme", et ce qui était au-dessus de ses reins était "comme une apparence de métal brillant", et ce qui était au-dessous était "comme une apparence de feu Ez 1,26-27"; et lorsqu'il eut raconté tout le reste de cette vision du trône, de peur qu'on ne s'imaginât qu'il y avait vu Dieu de façon intégrale, il ajouta: "Telle fut la vision de la ressemblance de la gloire du Seigneur Ez 1,28."

11 Si donc ni Moïse, ni Élie, ni Ezéchiel n'ont vu Dieu, alors qu'ils ont vu bon nombre de choses célestes, et si ce qu'ils voyaient n'était que " ressemblance de la gloire du Seigneur " et prophétie des choses à venir, il est clair que le Père demeurait invisible, lui dont le Seigneur a dit: "Dieu, personne ne l'a jamais vu Jn 1,18." Cependant son Verbe, de la manière que voulait le Père et pour le profit de ceux qui voyaient, montrait la gloire du Père et révélait les "économies", ainsi que l'a dit aussi le Seigneur: "Le Dieu Monogène, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui l'a révélé Jn 1,18." Et comme le Révélateur du Père, le Verbe, était riche et multiple, ce n'est pas sous une seule forme ni sous un seul aspect qu'il se faisait voir à ceux qui le voyaient, mais selon les diverses réalisations de ses "économies". C'est de cette manière qu'il est décrit dans le livre de Daniel: tantôt, en effet, il se fait voir en la compagnie d'Ananias, d'Azarias et de Misaël, se tenant auprès d'eux dans la fournaise et les sauvant du feu: "La vision du quatrième, est-il dit, est semblable à un Fils de Dieu Da 3,92"; tantôt il est "la pierre détachée de la montagne sans mains humaines", frappant et balayant les royaumes passagers et remplissant elle-même toute la terre Da 2,34-35; tantôt encore il apparaît comme un Fils d'homme venant sur les nuées du ciel, s'approchant de l'Ancien des jours et recevant de lui puissance, gloire et règne universels: "Sa puissance, est-il dit, est une puissance éternelle et son royaume ne sera jamais détruit Da 7,13-14".


Les visions de Jean

Jean, le disciple du Seigneur, vit lui aussi, dans l'Apocalypse, la venue pontificale et glorieuse de son royaume: "Je me retournai, dit-il, pour voir la voix qui me parlait, m'étant retourné, je vis sept chandeliers d'or et, au milieu des chandeliers, quelqu'un de pareil à un Fils d'homme. Il était vêtu d'une tunique descendant jusqu'aux pieds et portait à hauteur de poitrine une ceinture d'or; sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine d'un blanc de neige; ses yeux étaient comme une flamme de feu; ses pieds étaient pareils à de l'airain qu'on aurait embrasé dans une fournaise; sa voix était comme la voix des grandes eaux; dans la main droite il tenait sept étoiles; de sa bouche sortait un glaive aigu à deux tranchants, et son visage était comme le soleil lorsqu'il brille dans sa force Ap 1,12-16." Parmi toutes ces choses, en effet, il en est une qui signifie la splendeur qu'il reçoit du Père, à savoir la tête; une autre signifie le pontificat, à savoir la tunique descendant jusqu'aux pieds - et pour ce motif Moïse revêtit le pontife selon ce modèle même Ex 28,4 Lv 8,7 -; une autre encore signifie ce qui a trait à la fin, à savoir l'airain embrasé dans la fournaise, qui est la fermeté de la foi et la persévérance de la prière à cause de l'embrasement qui doit se produire à la fin. Mais Jean ne put supporter cette vision: "Je tombai, dit-il, à ses pieds comme mort Ap 1,17." C'était afin qu'arrivât ce qui est écrit: "Personne ne peut voir Dieu et vivre Ex 33,20." Alors le Verbe le ranima et lui rappela qu'il était Celui sur la poitrine de qui il s'était penché à la cène, lorsqu'il demandait quel était celui qui devait le trahir Jn 13,15: "Je suis, lui dit-il, le premier et le dernier, et le vivant; j'ai été mort, et voici que je suis vivant pour les siècles des siècles; j'ai les clefs de la mort et des enfers Ap 1,17-18." Après cela, dans une seconde vision, il vit le même Seigneur: "Je vis, dit-il, au milieu du trône et des quatre animaux et au milieu des vieillards, un agneau debout, comme égorgé; il avait sept cornes et sept yeux, qui sont les sept Esprits de Dieu envoyés par toute la terre Ap 5,6-7." Et de nouveau, au sujet de ce même agneau, il dit: "Parut alors un cheval blanc. Celui qui le montait s'appelle Fidèle et Véridique: l juge et combat avec justice. Ses yeux sont comme une flamme de feu; il a sur la tête plusieurs diadèmes et porte un nom inscrit que nul ne connaît sinon lui-même; il est revêtu d'un manteau teint de sang; son nom est: Verbe de Dieu. Les armées du ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues d'un lin fin d'une blancheur éclatante. De sa bouche sort un glaive affilé pour en frapper les nations: c'est lui qui les gouvernera avec un sceptre de fer, et c'est lui qui foule la cuve du vin de l'ardente colère du Dieu tout-puissant. Sur son manteau et sur sa cuisse il porte inscrit ce nom: Roi des rois et Seigneur des seigneurs Ap 19,11-16." Voilà comment, en tout temps, le Verbe de Dieu montrait aux hommes les images des choses qu'il devait accomplir et les figures des "économies" du Père, nous enseignant par là les choses de Dieu.


Les actes préfiguratifs des prophètes

12 Ce n'est pas seulement par les visions qu'ils contemplaient et par les paroles qu'ils prêchaient, mais c'est jusque dans leurs actes qu'il s'est servi des prophètes pour préfigurer et montrer d'avance par eux les choses à venir.

Voilà pourquoi le prophète Osée épousa une femme de prostitution: ar cet acte, il prophétisa que la terre - c'est-à-dire les hommes qui l'habitent - se prostituerait loin du Seigneur et que, de tels hommes, Dieu se plairait à former l'Église, qui serait sanctifiée par son union avec le Fils de Dieu comme cette femme l'avait été par son union avec le prophète: aussi Paul dit-il que la femme infidèle est sanctifiée par le mari fidèle 1Co 7,14. De même encore le prophète donna pour noms à ses enfants: "Celle qui n'a pas obtenu miséricorde" et "Celui qui n'est pas un peuple Os 1,6-9", pour que, comme le dit l'Apôtre, "celui qui n'était pas un peuple devînt un peuple, et que celle qui n'avait pas obtenu miséricorde obtînt miséricorde, et que, dans le lieu même où l'on nommait celui qui n'était pas un peuple, on nommât les fils du Dieu vivant Rm 9,25-26". Ce que le prophète faisait d'une manière figurative par des actes, l'Apôtre le montre fait d'une manière réelle dans l'Église par le Christ.

Ainsi encore Moïse épousa une éthiopienne Ex 2,21, dont il fit par là même une israélite: il signifiait ainsi par avance que le sauvageon serait greffé sur l'olivier franc et aurait part à sa sève Rm 11,17. En effet, parce que le Christ né selon la chair allait être recherché par le peuple pour être mis à mort, tandis qu'il devait trouver abri en Égypte, c'est-à-dire parmi les gentils, et y sanctifier les enfants de là-bas dont il formerait son Église - car l'Egypte appartenait depuis le début à la gentilité, comme l'Éthiopie -, par le mariage de Moïse était montré le mariage du Verbe, et par l'épouse éthiopienne était révélée l'Église issue de la gentilité. Et ceux qui blâment, critiquent et ridiculisent celle-ci ne seront pas purs: ils deviendront lépreux et seront expulsés du camp des justes Nb 12,10-14.

Ainsi encore Rahab la courtisane, qui s'accusait d'être une païenne coupable de tous les péchés, accueillit les trois espions qui espionnaient toute la terre Jos 2,1 et cacha chez elle le Père et le Fils avec l'Esprit Saint. Et, tandis que toute la ville où elle habitait s'écroulait au fracas des sept dernières trompettes, elle-même fut sauvée avec toute sa maison par la foi au signe écarlate Jos 2,18 Jos 6,25, comme le Seigneur le disait aux Pharisiens qui n'accueillaient pas sa venue et méprisaient le signe écarlate qui était la Pâque, le rachat et la sortie du peuple hors de l'Égypte: "Les publicains et les courtisanes vous précèdent dans le royaume des cieux Mt 21,31."


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Les actes préfiguratifs des patriarches

21 1 En Abraham aussi était préfigurée notre foi, et il fut le patriarche et pour ainsi dire le prophète de notre foi. C'est ce que l'Apôtre a pleinement enseigné, en disant dans l'épître aux Galates: "Ainsi donc, Celui qui vous dispense l'Esprit et opère des miracles parmi vous, le fait-il en raison des oeuvres de la Loi ou en raison de la soumission de la foi? C'est ainsi qu'Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice. Reconnaissez-le donc: ceux qui sont de la foi, ce sont eux les fils d'Abraham. Or, prévoyant que Dieu justifierait les gentils par la foi, l'Écriture annonça d'avance à Abraham cette bonne nouvelle: Toutes les nations seront bénies en toi. Ceux qui sont de la foi sont donc bénis avec Abraham le croyant Ga 3,5-9." Par là, l'Apôtre l'appelle non seulement prophète de la foi, mais encore père de ceux d'entre les gentils qui croient au Christ. La raison en est que sa foi et la nôtre ne sont qu'une seule et même foi: lui, il a cru aux choses à venir comme si elles étaient déjà arrivées, à cause de la promesse de Dieu; et nous de même, par la foi, nous contemplons comme dans un miroir l'héritage qui nous adviendra dans le royaume, à cause de la promesse de ce même Dieu.

2 L'histoire d'Isaac n'est pas non plus dépourvue de signification. Car l'Apôtre dit dans l'épître aux Romains: "Rebecca aussi, qui avait conçu d'un seul homme, Isaac notre père", reçut du Verbe, "pour que le dessein électif de Dieu demeurât, non en vertu des oeuvres, mais en vertu de Celui qui appelle", l'oracle que voici: "Deux peuples sont dans ton sein, et deux races dans tes entrailles; un peuple l'emportera sur l'autre, l'aîné servira le plus jeune Rm 9,10-12 Gn 25,22-23." D'où il apparaît clairement que non seulement les actes des patriarches, mais même l'enfantement de Rebecca fut l'annonce prophétique de deux peuples, l'un aîné et l'autre cadet, l'un esclave et l'autre libre, et néanmoins issus d'un seul et même Père. Car il n'y a pour nous et pour ceux-là qu'un seul et même Dieu, qui connaît les choses cachées, qui sait toutes choses avant qu'elles arrivent et qui, pour cette raison, a dit: "J'ai aimé Jacob, mais j'ai haï Esaü Rm 9,13 Ml 1,2-3."

3 Si l'on examine de même les actes de Jacob, on constatera qu'ils ne sont pas sans portée, mais remplis d'"économies". Et d'abord on verra comment, lors de sa naissance, il saisit le talon de son frère et fut pour cela appelé Jacob Gn 25,26, c'est-à-dire "celui qui supplante", qui saisit sans être saisi, lie sans être lié, combat et triomphe, tient dans sa main le talon de l'adversaire, c'est-à-dire la victoire; car c'est précisément pour cela qu'est né le Seigneur, dont Jacob préfigurait la naissance et au sujet duquel Jean dit dans l'Apocalypse: "Il sortit en vainqueur et pour vaincre Ap 6,2." Ensuite il reçut le droit d'aînesse, lorsque son frère le méprisa Gn 25,29-34, tout comme le peuple cadet reçut le Premier-né de tous Col 1,15. le Christ, lorsque le peuple aîné le rejeta en disant: "Nous n'avons de roi que César Jn 19,15." Or dans le Christ est toute bénédiction: aussi le peuple cadet déroba-t-il par là au Père les bénédictions du peuple aîné, comme Jacob avait dérobé la bénédiction d'Ésaü. Pour ce motif le frère fut en butte aux pièges de son frère, tout comme l'Église souffre une chose identique de la part de ceux de sa race. C'est en terre étrangère que naquirent les douze tribus composant la race d'Israël Ac 26,7, parce que le Christ aussi devait engendrer en terre étrangère les douze colonnes constituant le soutien de l'Église. Des brebis bigarrées furent le salaire de Jacob: car le Christ aussi a pour salaire les hommes qui, de nations bigarrées et dissemblables, se rassemblent dans l'unique bercail de la foi, selon la promesse que le Père lui a faite: "Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour domaine les extrémités de la terre Ps 2,8." Et parce que Jacob fut prophète du Seigneur par le grand nombre de ses fils, il dut de toute nécessité susciter des fils des deux soeurs, comme le Christ le fit des deux peuples issus d'un seul et même Père, et pareillement aussi des deux servantes, pour signifier que, des libres et des esclaves selon la chair, le Christ présenterait des fils à Dieu en accordant pareillement à tous le don de l'Esprit qui nous vivifie. Et tous ces travaux, celui-là les accomplit à cause de la cadette aux beaux yeux, Rachel, qui préfigurait l'Eglise pour laquelle souffrit le Christ. Car autrefois, c'est par ses patriarches et ses prophètes qu'il préfigurait et prédisait les choses à venir, exerçant ainsi à l'avance son lot par les " économies" de Dieu et accoutumant son héritage à obéir à Dieu, à vivre en étranger dans le monde, à suivre le Verbe de Dieu et à signifier par avance les choses à venir: car rien n'est oiseux ni dépourvu de signification auprès de lui.



Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.19