Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.42

Conclusion

4 Parce qu'il y a beaucoup de paroles du Seigneur qui proclament toutes un seul et même Père, Auteur de ce monde, il nous a fallu confondre par des preuves nombreuses des gens retenus dans de nombreuses erreurs: puissent-ils, grâce à cette abondance de preuves, revenir à la vérité et être sauvés ! Mais à cet écrit il nous faut encore ajouter, à la suite des paroles du Seigneur, les paroles de Paul: nous aurons à scruter sa pensée, à exposer l'Apôtre, à élucider tout ce qui, de la part d'hérétiques ne comprenant absolument rien aux paroles de Paul, a reçu d'autres interprétations, à montrer la stupidité de leur folie, à établir par ce même Paul, dont ils tirent contre nous des difficultés, qu'eux-mêmes sont des menteurs, tandis que l'Apôtre, en prédicateur de la vérité, a enseigné toutes choses en accord avec le message de la vérité, à savoir: un seul Dieu Père, qui a parlé à Abraham, qui a donné la Loi, qui a envoyé par avance les prophètes et qui, dans les derniers temps, a envoyé son Fils et accordé le salut à l'ouvrage par lui modelé, c'est-à-dire à la substance de la chair. Nous disposerons donc dans un autre livre le restant des paroles du Seigneur, en lesquelles il a parlé du Père non en paraboles, mais en termes propres, ainsi que l'explication des épîtres du bienheureux Apôtre, et nous t'offrirons alors en son intégralité, par la grâce de Dieu, notre ouvrage "Dénonciation et réfutation de la Gnose au nom menteur", après nous être exercé et t'avoir exercé avec nous, dans ces cinq livres, à la réfutation de tous les hérétiques.




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LIVRE V


PRÉFACE


Pr 1 Dans les quatre livres que nous t'avons envoyés avant celui-ci, cher ami, nous avons démasqué tous les hérétiques et produit au grand jour leurs enseignements; nous y avons également réfuté ces inventeurs d'opinions impies, tantôt à partir de l'enseignement propre à chacun d'eux, tel qu'ils nous l'ont laissé dans leurs écrits, tantôt à l'aide d'un exposé procédant par preuves multiformes, nous avons fait connaître la vérité et mis en évidence le message de l'Église, ce message que les prophètes avaient annoncé déjà, comme nous l'avons montré, que le Christ a porté à son point d'achèvement, que les apôtres ont transmis et qu'enfin l'Église, après l'avoir reçu de ceux-ci, garde seule fidèlement et transmet à ses enfants à travers le monde entier; nous avons résolu toutes les difficultés que les hérétiques nous opposent, expliqué l'enseignement des apôtres, exposé la plus grande partie de ce que le Seigneur a dit ou fait en manière de paraboles. Cela étant, dans ce cinquième livre de tout notre ouvrage "Dénonciation et réfutation de la Gnose au nom menteur" nous tenterons d'asseoir nos preuves sur le reste des enseignements de notre Seigneur et sur les épîtres de l'Apôtre, conformément à ce que tu as sollicité de nous: car nous obéissons à ton ordre - puisqu'aussi bien c'est pour le ministère de la parole Ac 6,4 que nous avons été établis - et nous nous appliquons de toute manière, selon notre pouvoir, à te fournir le plus de ressources possible contre les négations des hérétiques, à faire changer de sentiments les égarés et à les ramener vers l'Église de Dieu, ainsi qu'à affermir l'esprit des néophytes pour qu'ils gardent inébranlablement la foi qu'ils ont reçue de l'Église, cette gardienne fidèle, et pour qu'ils ne se laissent en aucune façon corrompre par ceux qui tentent de leur enseigner l'erreur et de les détourner de la vérité. Il te faudra, ainsi que tous les lecteurs de cet écrit, lire avec grande application ce que nous avons dit précédemment, afin de connaître aussi les doctrines mêmes dont nous entreprenons la réfutation: car c'est ainsi seulement que tu t'opposeras à elles de la manière requise et que tu seras à même d'assumer la tâche de réfuter tous les hérétiques, rejetant leurs doctrines comme de l'ordure à l'aide de la foi céleste et suivant le seul Maître sûr et véridique, le Verbe de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur, lui qui, à cause de son surabondant amour Ep 3,19, s'est fait cela même que nous sommes afin de faire de nous cela même qu'il est.





PREMIÈRE PARTIE


LA RESURRECTION DE LA CHAIR PROUVÉE PAR LES ÉPÎTRES DE PAUL



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I. LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR POSTULÉE PAR L'INCARNATION


Réalité de l'Incarnation

1 1 Car nous ne pouvions apprendre les mystères de Dieu que si notre Maître, tout en étant le Verbe, se faisait homme. D'une part, en effet, nul n'était capable de révéler les secrets du Père , sinon son propre Verbe, "car quel 'autre' a connu la pensée du Seigneur? ou quel 'autre' a été son conseiller Rm 11,34 Is 40,73 ?" D'autre part, nous ne pouvions les apprendre autrement qu'en voyant notre Maître et en percevant de nos propres oreilles, le son de sa voix: car c'est en devenant les imitateurs de ses actions et les exécuteurs de ses paroles Jc 1,22 que nous avons communion avec lui 1Jn 1,6 et que par là même, nous qui sommes nouvellement venus à l'existence, nous recevons, de Celui qui est parfait dès avant toute création, la croissance, de Celui qui est seul boit et excellent, la ressemblance avec lui-même, de Celui qui possède l'incorruptibilité, le don de celle-ci, et cela après avoir d'abord été prédestinés à être Ep 1,11-12, alors que nous n'étions pas encore, selon la prescience du Père 1P 1,2, et avoir ensuite été faits, aux temps connus d'avance, selon le ministère du Verbe. Celui-ci est donc bien parfait en tout, puisqu'il est à la fois Verbe puissant et homme véritable, nous ayant rachetés par son sang de la manière qui convenait au Verbe, "en se donnant lui-même en rançon 1Tm 2,6" pour ceux qui avaient été faits captifs: car l'Apostasie avait dominé injustement sur nous et, alors que nous appartenions à Dieu par notre nature, nous avait aliénés contre notre nature en faisant de nous ses disciples; étant donc puissant en tout et indéfectible en sa justice, c'est en respectant cette justice que le Verbe de Dieu s'est tourné contre l'Apostasie elle-même, lui rachetant son propre bien à lui non par la violence, à la manière dont elle avait dominé sur nous au commencement en s'emparant insatiablement de ce qui n'était pas à elle, mais par la persuasion, comme il convenait que Dieu fit, en recevant par persuasion et non par violence ce qu'il voulait, afin que tout à la fois la justice fût sauvegardée et que l'antique ouvrage modelé par Dieu ne pérît point. Si donc c'est par son propre sang que le Seigneur nous a rachetés , s'il a donné son âme pour notre âme et sa chair pour notre chair, s'il a répandu l'Esprit du Père afin d'opérer l'union et la communion de Dieu et des hommes, faisant descendre Dieu dans les hommes par l'Esprit et faisant monter l'homme jusqu'à Dieu par son incarnation, et si en toute certitude et vérité, lors de sa venue, il nous a gratifiés de l'incorruptibilité par la communion que nous avons avec lui-même, c'en est fait de tous les enseignements des hérétiques.


L'Incarnation réduit à néant les Docètes et les Valentiniens

2 Vains, tout d'abord, ceux qui prétendent qu'il s'est montré d'une façon purement apparente: ce n'est pas en apparence, mais en toute réalité et vérité, qu'ont eu lieu les faits que nous venons de dire. Supposons au contraire que, sans être homme, il se soit montré sous les dehors d'un homme: en ce cas, il n'est pas réellement demeuré ce qu'il était, à savoir Esprit de Dieu, puisque l'Esprit est invisible; d'autre part, il n'y a eu aucune vérité en lui, puisqu'il n'était pas ce qu'il paraissait être. Au reste, nous avons dit précédemment qu'Abraham et les autres prophètes le voyaient d'une manière prophétique, prophétisant par des visions ce qui était à venir: si donc même maintenant il est apparu de cette manière, sans être réellement ce qu'il paraissait, c'est une sorte de vision prophétique qui a été donnée aux hommes, et il nous faut attendre une autre venue de ce même Seigneur, en laquelle il sera tel exactement qu'il aura été vu maintenant de façon prophétique. Au surplus, nous avons montré que c'est tout un, de dire qu'il s'est montré d'une façon purement apparente, et de dire qu'il n'a rien reçu de Marie: car il n'aurait pas eu réellement le sang et la chair par lesquels il nous a rachetés, s'il n'avait récapitulé en lui-même l'antique ouvrage modelé, c'est-à-dire Adam. Vains sont donc les disciples de Valentin, qui enseignent cette doctrine afin de pouvoir exclure de la chair la vie et rejeter l'ouvrage modelé par Dieu.


L'Incarnation réduit à néant les Ébionites

3 Vains aussi les Ébionites. Refusant d'accueillir dans leurs âmes, par la foi, l'union de Dieu et de l'homme, ils demeurent dans le vieux levain 1Co 5,7 de leur naissance. Ils ne veulent pas comprendre que l'Esprit Saint est survenu en Marie et que la puissance du Très-Haut l'a couverte de son ombre, à cause de quoi ce qui est né d'elle est saint et est le Fils du Dieu Très-Haut Lc 1,35, le Père de toutes choses ayant opéré l'incarnation de son Fils et ayant fait apparaître ainsi une naissance nouvelle, afin que, comme nous avions hérité de la mort par la naissance antérieure, nous héritions de la vie par cette naissance-ci. Ils repoussent donc le mélange du Vin céleste et ne veulent être que l'eau de ce monde, n'acceptant pas que Dieu se mélange à eux, mais demeurant en cet Adam qui fut vaincu et chassé du paradis. Ils ne considèrent pas que, tout comme au début de notre formation en Adam le souffle de vie issu de Dieu, en s'unissant à l'oeuvre modelée, a animé l'homme et l'a fait apparaître animal doué de raison Gn 2,7, ainsi à la fin le Verbe du Père et l'Esprit de Dieu, en s'unissant à l'antique substance de l'ouvrage modelé, c'est-à-dire d'Adam, ont rendu l'homme vivant et parfait, capable de comprendre le Père parfait, afin que, comme nous mourons tous dans l'homme animal, ainsi nous soyons tous vivifiés dans l'homme spirituel 1Co 15,22. Jamais, en effet, Adam n'a échappé aux Mains de Dieu, auxquelles parlait le Père lorsqu'il disait: "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance Gn 1,26." Et c'est pourquoi, à la fin, "non par la volonté de la chair ni par la volonté de l'homme Jn 1,13", mais par le bon plaisir du Père, les Mains de Dieu ont rendu l'homme vivant, afin qu'Adam devienne à l'image et à la ressemblance de Dieu.


502

L'Incarnation réduit à néant les Marcionites

2 1 Vains aussi ceux qui prétendent que le Seigneur est venu dans un domaine étranger, comme avide du bien d'autrui, pour présenter l'homme, qui serait l'ouvrage d'un autre, à un Dieu qui ne l'aurait ni fait ni créé et aurait même, à l'origine, été privé d'une participation quelconque à sa production. Sa venue est évidemment injuste, si, comme ils le prétendent, il est venu dans un domaine qui n'est pas le sien; de plus, il ne nous a pas vraiment rachetés par son sang Ep 1,7, s'il ne s'est pas vraiment fait homme. Mais en fait, il a restauré, dans l'ouvrage par lui modelé, le privilège originel de l'homme qui est d'avoir été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu Gn 1,26, il ne s'est point approprié frauduleusement le bien d'autrui, mais il a repris son propre bien en toute justice et bonté: justice à l'égard de l'Apostasie, puisqu'il nous a rachetés à elle par son sang ; bonté à notre égard à nous, les rachetés, car nous ne lui avons rien donné préalablement Rm 11,35 et il ne sollicite rien de nous, comme s'il éprouvait quelque besoin, mais c'est nous qui avons besoin de la communion avec lui: aussi s'est-il prodigué lui-même par pure bonté, afin de nous rassembler dans le sein du Père.


L'Incarnation réduit à néant tous les négateurs de la résurrection de la chair

2 Vains, de toute manière, ceux qui rejettent toute l'"économie" de Dieu, nient le salut de la chair, méprisent sa régénération, en déclarant qu'elle n'est pas capable de recevoir l'incorruptibilité. S'il n'y a pas de salut pour la chair, alors le Seigneur ne nous a pas non plus rachetés par son sang Ep 1,7, la coupe de l'eucharistie n'est pas une communion à son sang et le pain que nous rompons n'est pas une communion à son corps 1Co 10,16. Car le sang ne peut jaillir que de veines, de chairs et de tout le reste de la substance humaine, et c'est pour être vraiment devenu tout cela que le Verbe de Dieu nous a rachetés par son sang, comme le dit son Apôtre: "En lui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés Ep 1,7." Et parce que nous sommes ses membres 1Co 6,15 Ep 5,30 et sommes nourris par le moyen de la création - création que lui-même nous procure, en faisant lever son soleil et tomber la pluie selon sa volonté Mt 5,45, la coupe, tirée de la création, il l'a déclarée son propre sang Lc 22,20 1Co 11,25, par lequel se fortifie notre sang, et le pain, tiré de la création, il l'a proclamé son propre corps Lc 22,19 1Co 11,24, par lequel se fortifient nos corps.

3 Si donc la coupe qui a été mélangée et le pain qui a été confectionné reçoivent la parole de Dieu et deviennent l'eucharistie, c'est-à-dire le sang et le corps du Christ, et si par ceux-ci se fortifie et s'affermit la substance de notre chair, comment ces gens peuvent-ils prétendre que la chair est incapable de recevoir le don de Dieu consistant dans la vie éternelle Jn 4,10-14 alors qu'elle est nourrie du sang et du corps du Christ et qu'elle est membre de celui-ci, comme le dit le bienheureux Apôtre dans son épître aux Éphésiens: "Nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os Ep 5,30"? Ce n'est pas de je ne sais quel " homme pneumatique" et invisible qu'il dit cela, "car l'esprit n'a ni os ni chair Lc 24,39", mais il parle de l'organisme authentiquement humain, composé de chairs, de nerfs et d'os: car c'est cet organisme même qui est nourri de la coupe qui est le sang du Christ et fortifié par le pain qui est son corps. Et de même que le bois de la vigne Ez 15,2-6, après avoir été couché dans la terre, porte du fruit en son temps, et que "le grain de froment, après être tombé en terre Jn 12,24" et s'y être dissous, resurgit multiplié par l'Esprit de Dieu qui soutient toutes choses Sg 1,7 - ensuite, moyennant le savoir-faire, ils viennent en l'usage des hommes, puis, en recevant la parole de Dieu, ils deviennent l'eucharistie, c'est-à-dire le corps et le sang du Christ -, de même nos corps qui sont nourris par cette eucharistie, après avoir été couchés dans la terre et s'y être dissous, ressusciteront en leur temps, lorsque le Verbe de Dieu les gratifiera de la résurrection "pour la gloire de Dieu le Père Ph 2,11 ": car il procurera l'immortalité à ce qui est mortel et gratifiera d'incorruptibilité ce qui est corruptible 1Co 15,53, parce que la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse 2Co 12,9. Dans ces conditions, nous nous garderons bien, comme si c'était de nous-mêmes que nous avions la vie, de nous enfler d'orgueil et de nous élever contre Dieu en acceptant des pensées d'ingratitude; au contraire,- sachant par expérience que c'est de sa grandeur à lui, et non de notre propre nature, que nous tenons de pouvoir demeurer à jamais, nous ne nous écarterons pas de la vraie pensée sur Dieu ni ne méconnaîtrons notre nature; nous saurons quelle puissance Dieu possède et quels bienfaits l'homme reçoit de lui, et nous ne nous méprendrons jamais sur la vraie conception qu'il nous faut avoir des êtres existants, je veux dire de Dieu et de l'homme. Au reste, comme nous le disions antérieurement, si Dieu a permis notre dissolution dans la terre, n'est-ce pas précisément afin que, instruits de toute manière, nous soyons dorénavant scrupuleusement attentifs en toutes choses, ne méconnaissant ni Dieu ni nous-mêmes ?




II. LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR, OEUVRE DE LA PUISSANCE DE DIEU


" Ma puissance se déploie dans la faiblesse "

503 3 1 L'Apôtre montre fort clairement que l'homme a été livré à sa propre faiblesse de peur que, venant à s'enorgueillir, il ne s'écarte de la vérité. Il dit en effet dans la seconde épître aux Corinthiens: "Et pour que l'excellence de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter. A son sujet, j'ai par trois fois imploré le Seigneur, pour qu'il s'éloigne de moi. Mais il m'a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse. Volontiers donc je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin qu'habite en moi la puissance du Christ 2Co 12,7-9." Eh quoi ! dira-t-on, le Seigneur voulait-il que son Apôtre fût souffleté de la sorte et supportât une telle faiblesse? Oui, dit l'Écriture, "car ma puissance se déploie dans la faiblesse", rendant meilleur celui-là qui, par le moyen de sa faiblesse, connaît la puissance de Dieu. Comment, en effet, l'homme aurait-il appris que lui-même était faible et mortel par nature, tandis que Dieu était immortel et puissant, s'il n'avait reçu l'expérience de l'un et de l'autre? Car apprendre sa faiblesse en la supportant n'était pas un mal pour l'homme; c'était même plutôt un bien pour lui que de ne pas se méprendre sur sa nature. Par contre, s'élever contre Dieu et prétendre à une gloire propre, cela, en faisant de l'homme un ingrat, lui causait un grave préjudice, le dépossédant de la vérité en même temps que de son amour envers son Créateur. L'expérience de l'un et de l'autre a produit en lui la vraie connaissance de Dieu et de l'homme et a accru son amour pour Dieu. Or là où il y a accroissement d'amour, une gloire plus grande sera procurée par la puissance de Dieu à ceux qui l'aiment.


Dieu peut vivifier la chair, et la chair peut être vivifiée par Dieu

2 Ils méprisent donc la puissance de Dieu et ne voient pas la vérité, ceux qui arrêtent leurs regards sur la faiblesse de la chair et ne considèrent pas la puissance de Celui qui la ressuscite d'entre les morts He 11,19. Car, s'il ne vivifiait pas ce qui est mortel et s'il n'élevait pas à l'incorruptibilité ce qui est corruptible 1Co 15,53, Dieu cesserait d'être puissant. Mais, qu'il ait la puissance de réaliser tout cela, notre origine doit nous le faire comprendre, puisque c'est en prenant du limon de la terre que Dieu a modelé l'homme Gn 2,7. Pourtant, lui donner l'être, le créer animal vivant et doué de raison, quand rien n'existait, ni os, ni nerfs, ni aucun des autres éléments qui constituent l'organisme humain, c'était bien autrement difficile et incroyable que de le reconstituer après que, une fois venu à l'existence, il se serait dissous dans la terre, pour les motifs que nous avons dits précédemment, et qu'il serait retourné à ces éléments d'où il avait été tiré au commencement, alors qu'il n'existait pas encore. Car Celui qui a fait au commencement, quand il l'a voulu, ce qui n'était pas, saura à plus forte raison, s'il le veut, rétablir dans la vie qu'il donne ce qui a existé déjà.

D'autre part, la chair se trouvera capable de recevoir et de contenir la puissance de Dieu, puisqu'au commencement elle a reçu l'art de Dieu et qu'ainsi une partie d'elle-même est devenue l'oeil qui voit, une autre l'oreille qui entend, une autre la main qui palpe et qui travaille, une autre les nerfs qui sont tendus de toute part et qui maintiennent ensemble les membres, une autre les artères et les veines par où passent le sang et le souffle respiratoire, une autre les différents viscères, une autre le sang qui est le lien de l'âme et du corps - et que sais-je encore? - car il est impossible d'énumérer tous les éléments constitutifs de l'organisme humain, qui n'a pas été fait sans la profonde sagesse de Dieu Ps 104,24. Or ce qui participe à l'art et à la sagesse de Dieu participe aussi à sa puissance. 3 La chair n'est donc pas exclue de l'art, de la sagesse et de la puissance de Dieu, mais la puissance de Dieu, qui procure la vie, se déploie dans la faiblesse 2Co 12,9, c'est-à-dire dans la chair.

Au reste, qu'ils nous disent donc, ceux qui prétendent que la chair est incapable de recevoir la vie que Dieu donne, s'ils affirment cela tout en étant actuellement vivants et tout en ayant part à la vie, ou s'ils reconnaissent n'avoir absolument rien de la vie et être présentement des morts. Mais, s'ils sont morts, comment peuvent-ils se mouvoir, parler et accomplir toutes les autres actions qui sont le fait, non des morts, mais des vivants? Et s'ils vivent présentement, si tout leur corps a part à la vie, comment osent-ils dire que la chair est incapable d'avoir part à la vie, alors qu'ils reconnaissent avoir présentement la vie? C'est comme si, tout en tenant en mains une éponge pleine d'eau ou une torche allumée, on prétendait que l'éponge est incapable d'avoir part à l'eau, ou la torche à la lumière ! De cette même manière, ces gens assurent qu'ils vivent, se glorifient de porter la vie en leurs membres; puis, se mettant en contradiction avec eux-mêmes, ils prétendent que leurs membres sont incapables de recevoir la vie. Si cette vie temporelle, bien moins vigoureuse que l'éternelle vie, est néanmoins assez puissante pour rendre vivants nos membres mortels, pourquoi la vie éternelle, qui est plus efficace, ne vivifierait-elle pas la chair déjà exercée et accoutumée à porter la vie ?

Ainsi donc, que la chair soit capable de recevoir la vie, cela se prouve par cette vie même dont elle vit déjà présentement: elle vit aussi longtemps que Dieu veut qu'elle vive. Et que, d'autre part, Dieu soit capable de lui donner cette vie, c'est évident: dès lors que Dieu nous donne la vie, nous vivons. Si donc Dieu est capable de donner la vie à l'ouvrage par lui modelé et si 1a chair est capable de recevoir cette vie, qu'est-ce qui empêche encore la chair d'avoir part à l'incorruptibilité, qui n'est autre chose qu'une vie longue, voire sans fin, octroyée par Dieu ?


504

Le prétendu Père imaginé par les hérétiques n'est qu'un impuissant ou qu'un envi

4 1 Or, sans même s'en apercevoir, ceux qui imaginent un Père autre que le Créateur et lui décernent le titre de "bon" font de ce Père un être faible, oisif et négligent, pour ne pas dire envieux, lorsqu'ils déclarent que nos corps ne peuvent être vivifiés par lui. En effet, en disant qu'est Vivifié par le Père ce dont la durée sans fin est évidente pour tout le monde, à savoir l'esprit, l'âme et les autres choses de ce genre, mais qu'est délaissé par lui ce qui ne peut être vivifié que si Dieu lui procure la vie, ils font la preuve que leur Père est faible et oisif, ou négligent et envieux. Car, si le Créateur vivifie dès ici-bas nos corps mortels et si, par les prophètes, il leur promet la résurrection, ainsi que nous le montrerons, lequel apparaîtra comme plus attentif, comme plus puissant, comme vraiment bon: - le Créateur, qui vivifie l'homme tout entier, - ou leur prétendu Père, qui affecte de vivifier les choses naturellement immortelles et possédant la vie de par leur nature même, mais abandonne négligemment à la mort, au lieu de les vivifier avec bonté, celles qui ont besoin de son secours pour vivre? En ce qui concerne ces dernières, leur Père refuse-t-il donc de procurer la vie alors qu'il le pourrait, ou parce qu'il ne le peut pas? Si c'est parce qu'il ne le peut pas, ce Dieu prétendument supérieur au Créateur n'est plus ni puissant ni parfait, puisque le Créateur procure, comme il est loisible de le voir, ce que celui-là est incapable de procurer. Si, au contraire, il refuse de procurer la vie alors qu'il le pourrait, la preuve est faite qu'il n'est pas un bon Père, mais un Père envieux et négligent.

2 Diront-ils qu'il existe quelque cause pour laquelle leur Père ne vivifie pas les corps? Mais alors cette cause apparaîtra inéluctablement comme plus puissante que le l'ère, puisqu'elle prévaut sur sa bonté, et sa bonté sera frappée d'impuissance par cette cause prétendue. Que les corps soient capables de recevoir la vie, tout le monde peut le voir: car les corps vivent aussi longtemps que Dieu veut qu'ils vivent, et les hérétiques ne peuvent plus prétendre que ceux-ci sont incapables de recevoir la vie. Si donc, en vertu d'une nécessité ou pour quelque autre cause, ce qui est capable d'avoir part à la vie n'est pas vivifié, leur Père se trouvera asservi à cette nécessité et à cette cause: il ne sera plus libre et maître de ses décisions.


505

Exemples bibliques illustrant la puissance vivifiante de Dieu

5 1 Au reste, les corps connurent une longévité remarquable, aussi longtemps que tel fut le bon plaisir de Dieu. Que les hérétiques lisent les Écritures, en effet, et ils constateront que nos ancêtres dépassèrent sept cents, huit cents, voire neuf cents ans: leurs corps atteignaient à la longueur des jours Ps 22,6 Ps 90,16 et avaient part à la vie aussi longtemps que Dieu voulait qu'ils vivent.

Mais pourquoi parler de ceux-là? Énoch, pour avoir plu à Dieu, fut transféré Gn 5,24 Sg 4,10 Si 44,16 He 11,5 en son corps même en lequel il avait plu à Dieu, préfigurant ainsi le transfert des justes. Élie aussi fut enlevé 2R 2,11 tel qu'il se trouvait dans la substance de sa chair modelée, prophétisant par là l'enlèvement des hommes spirituels. Leurs corps ne fit en rien obstacle à ce transfert et à cet enlèvement: c'est par ces Mains elles-mêmes, par lesquelles ils avaient été modelés Ps 119,73 à l'origine, qu'ils furent transférés et enlevés, car les Mains de Dieu s'étaient accoutumées, en Adam, à diriger, à tenir et à porter l'ouvrage modelé par elles, à le transporter et à le placer où elles voulaient. Où donc fut placé le premier homme? Dans le paradis, sans aucun doute, selon ce que dit l'Écriture: "Et Dieu planta un paradis en Eden, du côté de l'Orient, et il y plaça l'homme qu'il avait modelé Gn 2,8." Et c'est de là qu'il fut expulsé en ce monde, pour avoir désobéi. Aussi les presbytres, qui sont les disciples des apôtres, disent-ils que là ont été transférés ceux qui ont été transférés - c'est en effet pour des hommes justes et porteurs de l'Esprit qu'avait été préparé le paradis, dans lequel l'apôtre Paul fut transporté lui aussi et entendit des paroles pour nous présentement inexprimables 2Co 12,4 -; c'est donc là, d'après les presbytres, que ceux qui ont été transférés demeurent jusqu'à la consommation finale, préludant ainsi à l'incorruptibilité.

2 Quelqu'un estime-t-il impossible que des hommes demeurent si longtemps vivants, et croit-il qu'Elie n'a pas été enlevé en sa chair, mais que sa chair a été consumée sur le char de feu 2R 2,11? Qu'il considère que Jonas, après avoir été précipité au fond de la mer et englouti dans le ventre du poisson, fut rejeté sain et sauf sur le rivage par l'ordre de Dieu Jon 1-2. Ananias, Azarias et Misaël, jetés dans une fournaise de feu chauffée au septuple, n'éprouvèrent aucun mal et l'odeur même du feu ne se trouva pas en eux Da 3. Si la Main de Dieu les assista et accomplit en eux des choses extraordinaires et impossibles à la nature humaine, qu'y a-t-il d'étonnant si, en ceux qui ont été transférés, cette même Main a aussi réalisé une chose extraordinaire, en exécutant la volonté du Père? Or cette Main c'est le Fils de Dieu, selon la parole que l'Écriture met sur les lèvres de Nabuchodonosor: "N'avons-nous pas jeté trois hommes dans la fournaise? Eh bien, moi, je vois quatre hommes marchant au milieu du feu, et le quatrième est pareil au Fils de Dieu Da 3,91-92."

Donc ni la nature d'une créature quelconque ni même la faiblesse de la chair ne peuvent l'emporter sur la volonté de Dieu, car ce n'est pas Dieu qui est soumis aux créatures, mais les créatures qui sont soumises à Dieu, et toutes choses sont au service de sa volonté. C'est pourquoi le Seigneur dit: "Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu Lc 18,27." De même donc qu'aux hommes d'aujourd'hui, ignorants des "économies" de Dieu, il semble incroyable et impossible qu'un homme puisse vivre tant d'années - et cependant nos ancêtres ont connu cette longévité et ceux qui ont été transférés la connaissent, afin de préfigurer la future longueur des jours Ps 23,6 Ps 91,16 -, et de même qu'il paraît incroyable que des hommes soient sortis sains et saufs du ventre du poisson et de la fournaise de feu - et cependant ils en sont sortis comme par la Main de Dieu, pour faire éclater sa puissance -, ainsi maintenant il en est qui, méconnaissant la puissance et la promesse de Dieu, nient leur propre salut, estimant impossible que Dieu puisse ressusciter leurs corps et les gratifier d'une durée sans fin; cependant l'incrédulité des gens de cette sorte ne réduira pas à néant la fidélité de Dieu Rm 3,3.





III. TEXTES PAULINIENS ATTESTANT LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR


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"Que votre être intégral - à savoir votre esprit, votre âme et votre corps - soit conservé sans reproche pour la venue du Seigneur Jésus ! "

6 1 Au contraire, Dieu sera glorifié dans l'ouvrage par lui modelé, lorsqu'il l'aura rendu conforme et semblable à son Fils Rm 8,29 Ph 3,21. Car, par les Mains du Père, c'est-à-dire par le Fils et l'Esprit, c'est l'homme, et non une partie de l'homme, qui devient à l'image et à la ressemblance de Dieu Gn 1,26. Or l'âme et l'Esprit peuvent être une partie de l'homme, mais nullement l'homme: l'homme parfait, c'est le mélange et l'union de l'âme qui a reçu l'Esprit du Père et qui a été mélangée à la chair modelée selon l'image de Dieu. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit: "Nous parlons sagesse parmi les parfaits 1Co 2,6" Sous ce nom de "parfaits", il désigne ceux qui ont reçu l'Esprit de Dieu et qui parlent toutes les langues grâce à cet Esprit, comme lui-même les parlait, et comme nous entendons aussi nombre de frères dans l'Église, qui possèdent des charismes prophétiques, parlent toutes sortes de langues grâce à l'Esprit, manifestent les secrets des hommes pour leur profit et exposent les mystères de Dieu. Ces hommes-là, l'Apôtre les nomme également "spirituels 1Co 2,15 1Co 3,1": spirituels, ils le sont par une participation de l'Esprit, mais non par une évacuation et une suppression de la chair. En effet, si l'on écarte la substance de la chair, c'est-à-dire de l'ouvrage modelé, pour ne considérer que ce qui est proprement esprit, une telle chose n'est plus l'homme spirituel, mais l'"esprit de l'homme" ou l'"Esprit de Dieu 1Co 2,11". En revanche, lorsque cet Esprit, en se mélangeant à l'âme, s'est uni à l'ouvrage modelé, grâce à cette effusion de l'Esprit se trouve réalisé l'homme spirituel et parfait, et c'est celui-là même qui a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu Gn 1,26. Quand au contraire l'Esprit fait défaut à l'âme, un tel homme, restant en toute vérité psychique et charnel, sera imparfait, possédant bien l'image de Dieu dans l'ouvrage modelé, mais n'ayant pas reçu la ressemblance par le moyen de l'Esprit. De même donc que cet homme est imparfait, de même aussi, si l'on écarte l'image et si l'on rejette l'ouvrage modelé, on ne peut plus avoir affaire à l'homme, mais, ainsi que nous l'avons dit, à une partie de l'homme ou à quelque chose d'autre que l'homme. Car la chair modelée, à elle seule, n'est pas l'homme parfait: elle n'est que le corps de l'homme, donc une partie de l'homme. L'âme, à elle seule, n'est pas davantage l'homme: elle n'est que l'âme de l'homme, donc une partie de l'homme. L'Esprit non plus n'est pas l'homme: on lui donne le nom d'Esprit, non celui d'homme. C'est le mélange et l'union de toutes ces choses qui constitue l'homme parfait. Et c'est pourquoi l'Apôtre, s'expliquant lui-même, a clairement défini l'homme parfait et spirituel, bénéficiaire du salut, lorsqu'il dit dans sa première épître aux Thessaloniciens: "Que le Dieu de paix vous sanctifie en sorte que vous soyez pleinement achevés, et que votre être intégral - à savoir votre Esprit, votre âme et votre corps - soit conservé sans reproche pour l'avènement du Seigneur Jésus 1Th 5,23." Quel motif avait-il donc de demander pour ces trois choses, à savoir l'âme, le corps et l'Esprit, une intégrale conservation pour l'avènement du Seigneur, s'il n'avait su que toutes les trois doivent être restaurées et réunies et qu'il n'y a pour elles qu'un seul et même salut? C'est pour cela qu'il dit "pleinement achevés" ceux qui présentent sans reproche ces trois choses au Seigneur. Sont donc parfaits ceux qui, tout à la fois, possèdent l'Esprit de Dieu demeurant toujours avec eux et se maintiennent sans reproche quant à leurs âmes et quant à leurs corps, c'est-à-dire conservent la foi envers Dieu et gardent la justice envers le prochain.


La chair, "temple de Dieu" et "membre du Christ", ne saurait sombrer définitivement dans la mort.

2 De là vient qu'il appelle temple de Dieu l'ouvrage modelé: "Ne savez-vous pas, dit-il, que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous? Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, et c'est ce que vous êtes vous-mêmes 1Co 3,16-17": de toute évidence, il appelle le corps un temple en lequel habite l'Esprit. Le Seigneur disait lui aussi à propos du corps: "Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai Jn 2,19." "Or, note l'Écriture, il disait cela de son corps Jn 2,21." De plus, l'Apôtre sait que nos corps sont non seulement le temple, mais les membres du Christ, car il dit aux Corinthiens: "Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ? Prendrai-je donc les membres du Christ pour en faire les membres d'une prostituée 1Co 6,15 ?" Ce n'est pas de quelque autre "homme pneumatique" qu'il dit cela, car celui-ci ne pourrait s'unir à une courtisane, mais c'est de notre propre corps, autrement dit de notre chair, qu'il parle: le corps persévère-t-il dans la sainteté et la pureté, il est membre du Christ; s'unit-il au contraire à une courtisane, il devient membre de cette courtisane. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit: "Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira 1Co 3,17." Dès lors, prétendre que le temple de Dieu, en lequel habite l'Esprit du Père, et les membres du Christ n'ont point part au salut, mais vont à la perdition, comment ne serait-ce pas le comble du blasphème ?


La résurrection corporelle du Christ, gage de notre résurrection corporelle


Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.42