Ambroise virginité 3037

Martyre de sainte Sotère.

3037 37. Mais pourquoi, ma soeur, user avec toi d'exemples étrangers, quand tu as reçu en héritage la chasteté, formée par l'influence d'une martyre de ta race 44 ? Comment as-tu pu apprendre sans avoir le moyen d'apprendre ? Tu étais à la campagne, sans compagnie d'une vierge, sans docteur pour t'instruire. Tu as donc fait figure non pas de disciple — ce qui ne peut être sans un enseignement — mais d'héritière de la vertu.

44. Sainte Sotère subit le martyre en 304. Elle est inscrite au Martyrologe romain le 10 février. Cf. Exhort. Virg., 82, où saint Ambroise décrit les circonstances de son martyre.


3038 38. Comment, en effet, sainte Sotère ne serait-elle pas ton ancêtre selon l'esprit, elle qui fut de ta race selon la chair ? Au temps de la persécution, des traitements dignes des esclaves l'acheminèrent au sommet du martyre : même son visage qui d'ordinaire échappe aux tourments infligés au reste du corps et considère les tortures plus qu'il ne les endure, elle le tendit au bourreau avec tant de courage et patience que le bourreau se lassa de souffleter ces joues délicates avant qu'elle ne cédât à l'outrage. Elle ne baissa pas la tête, elle ne détourna pas son visage, la douleur ne lui arracha pas une larme. Finalement, ayant triomphé des autres sortes de supplices, elle trouva le glaive qu'elle désirait.





EXHORTATION AUX VEUVES

On éprouvera peut-être quelque surprise à rencontrer, au milieu d'ouvrages destinés aux vierges ou traitant de la virginité, cette Exhortation aux veuves. Lui donner cette place a cependant semblé entrer pleinement dans la pensée de saint Ambroise. Chronologiquement, l'Exhortation suit immédiatement les livres Des vierges et s'y réfère expressément. Les deux états sont tellement voisins dans la pensée de l'évêque de Milan que l'on rencontre, dans le présent traité, maintes références et allusions à l'état de virginité : les textes de saint Paul ne montrent-ils pas une étroite association entre les deux états ? Par ailleurs, on retrouve ici le procédé par voie d'exemples qui inspire tout le deuxième livre aux vierges, et jusqu'à l'image du champ de l'Église fertile en cultures variées.

L'Exhortation traite principalement la question des secondes noces dans un sens parfaitement orthodoxe et de façon très sage. La position de saint Ambroise peut se résumer en deux mots : il ne condamne pas les secondes noces, il ne les conseille pas ; pour être tout à fait exact, il faut ajouter qu'il les déconseille, examinant et discutant les raisons que l'on pourrait alléguer en leur faveur.

On a cru reconnaître dans le présent ouvrage un sermon, une homélie ; et, à l'objection que soulève naturellement la longueur du texte, on oppose le cas, indiscutable, des Homélies sur l'Hexameron, les six jours de la Création, discours qui ont une étendue considérable. Encore sied-il de tenir compte des circonstances dans lesquelles ils furent prononcés : saint Ambroise et ses fidèles soutenaient une sorte de siège, enfermés dans une basilique que revendiquaient et entouraient les Ariens ; il fallait occuper les longues heures d'attente. Tout au plus, dans le cas présent, comme pour plusieurs parties de l'oeuvre ambrosienne, pourrait-on admettre l'utilisation et remaniement d'une ou plusieurs homélies. Au reste, le saint lui-même, dans ses Traités sur saint Luc, livre IV,48, renvoie à telle explication donnée « quand nous écrivions au sujet des veuves ». On remarquera, à partir du § 57, le passage du pluriel au singulier : d'où l'on a conclu que saint Ambroise s'adresse alors à une veuve en particulier : ce qui, entre parenthèses, eût été malaisé au cours d'un discours public. L'emploi du singulier ne semble pas probant : on peut y voir un simple procédé littéraire, qui n'est pas sans exemples.

Saint Jérôme avait lu le traité et s'y réfère dans une lettre écrite vers 393. On lui reprochait d'avoir comparé virginité et mariage au blé et à l'orge : il avait précisément lu l'image chez saint Ambroise (cf. PL 22,504).

Le lien établi par saint Ambroise lui-même entre l'Exhortation et les livres Des vierges justifie son insertion dans le présent ouvrage et détermine sa place. Il semble, en effet, que les deux oeuvres se soient suivies de près.

Le traité est simplement intitulé : Ad viduas, Aux veuves. On s'est inspiré, dans le titre que l'on propose, de divers textes où l'évêque de Milan mentionne qu'il exhortait les veuves.

Raison d'être du traité.

4001 1. Il s'est bien trouvé, mes frères (ou : mon frère)1, qu'après avoir disserté sur les louanges des vierges dans les trois livres précédents, nous ayons eu à traiter des veuves2. En effet nous ne devions ni laisser sans honneur, ni séparer de l'éloge des vierges, celles que la parole de l'Apôtre a jointes aux vierges ; c'est ce qui est écrit : « La femme non mariée et la vierge pensent aux choses» du Seigneur, afin d'être saintes de corps et d'esprit » (1Co 7,34). Car d'une certaine manière la formation à la virginité est fortifiée par les exemples des veuves : celles qui gardent avec un époux la chasteté conjugale enseignent aux vierges à se garder intactes pour Dieu. Et il n'y a presque pas moins de vertu à s'abstenir de la vie conjugale qui a plu pour un temps, qu'à ignorer les charmes de la vie conjugale. De part et d'autre il y a courage : les unes ne regrettent pas un mariage auquel elles garderaient leur fidélité, et elles ne sont pas prisonnières des charmes du mariage, ne semblant pas infirmes à raison de ce qui ne peut leur être donné.

1. A la suite de quelques manuscrits, la Patrologie de Migne insère ici les mots : frater ou fratres, qui ont lieu de surprendre au début d'un ouvrage destiné aux veuves. Il s'agit vraisemblablement de destinataires d'exemplaires.
2. On notera que saint Ambroise parle au passé de l'ouvrage qui suit. Tout ce début fait donc figure d'une préface ajoutée après coup et à l'intention des destinataires des copies.


4002 2. Cependant à cette vertu même sont réservées les récompenses de la liberté : car « la femme est liée tant que vit son époux ; si son époux vient à mourir, elle est libre : elle peut épouser qui elle veut, mais dans le Seigneur. Pourtant elle sera plus heureuse si elle demeure en cet état : c'est mon conseil, et je crois avoir, moi aussi, l'Esprit de Dieu » (1Co 7,39-40). L'Apôtre a donc exprimé clairement quelle est la différence : l'une, dit-il, est liée ; l'autre, il la déclare plus heureuse, et il enseigne qu'il a tiré cela moins de son propre jugement que de l'influence de l'Esprit divin : si bien que cette décision semble du ciel, non de l'homme.


La veuve de Sarepta.

4003 3. Or que signifie le fait qu'en un temps où la faim accablait tout le genre humain, Elie fut envoyé à une veuve (1R 17,9) ? Et voyez comment à chacune est réservée sa grâce appropriée : l'ange pour la Vierge, le prophète pour une veuve. Et ajoutez que là c'est Gabriel, ici Elie : si bien que nous voyons choisis dans le nombre des anges et des prophètes les principaux et les plus importants. Mais le simple veuvage n'est pas digne d'éloge s'il ne s'y ajoute la vertu du veuvage, car il y avait bien des veuves auparavant, mais une seule est préférée à toutes : ce qui n'est pas tant pour détourner les autres de leur choix que pour les provoquer par l'exemple de la vertu.

4004 4. Ainsi ce préambule rend les oreilles attentives, encore que le sens tout simple soit par lui-même une moralité, capable d'exhorter les veuves à imiter la vertu ; attendu que ce n'est pas l'état mais le mérite qui fait la valeur de chacune. Devant Dieu le bienfait de l'hospitalité n'est pas perdu, puisque, comme il l'a rappelé lui-même dans l'Évangile, il rémunère un verre d'eau froide par la très ample récompense de l'éternité (Mt 10,42) et donne en échange d'un peu de farine et d'une mesure d'huile l'abondance intarissable de ressources assurées (1R 17,16). Car si un païen a dit qu'entre amis tout doit être en commun4, combien plus doit-il y avoir communauté entre parents ? Car nous sommes parents, unis par la société d'un même corps.

3. Il semble possible et plausible de restituer ainsi le courant de pensée de saint Ambroise : les veuves ne sont plus prises aux charmes de la vie conjugale ; d'autre part, on ne peut dire que, si elles ne les ont pas, ce soit le fait d'une impuissance physique.
4. La pensée serait venue de Pythagore à Ambroise en passant par l'intermédiaire de Diogène Laerce, Platon, Aristote, Cicéron etc.


4005 5. Pourtant nous ne sommes pas limités au précepte de l'hospitalité. Pourquoi considérer comme propriété ce qui est dans le monde, alors que le monde nous est commun ? Pourquoi tenir pour propriété les fruits de la terre, alors que la terre nous est commune ? 5 « Regardez, est-il dit, les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent » (Mt 6,26). Car à ceux qui n'ont rien en propre rien ne manque et Dieu, maître de sa parole, sait tenir sa promesse. Aussi bien les oiseaux n'engrangent pas et ils mangent, parce que le Père céleste les nourrit (). Mais nous, détournant à notre propre usage les avertissements d'une prescription générale, — « Tout arbre, est-il dit, qui possède en soi les fruits de la semence que l'on sème, vous servira de nourriture, à vous, et à toutes les bêtes, et à tous les oiseaux, et à tous les serpents sur terre » (Gn 1,29-30) — nous amassons et nous sommes dans le besoin, nous amassons et nous sommes vides. Car nous ne pouvons espérer en la promesse, puisque nous n'observons pas ce qui est dit. Il est donc salutaire de prendre garde au précepte de l'hospitalité, afin d'accueillir les hôtes : car, nous aussi, nous sommes les hôtes du monde.

5. Un des passages, parmi bien d'autres, qui feraient penser, chez l’évêque de Milan, à un « communisme », au moins théorique.


4006 6. Combien sainte était cette veuve ! Poussée par une faim extrême, elle mettait à part les égards dus à Dieu ; et elle ne gardait pas les aliments pour elle seule, mais les partageait avec son fils, pour ne pas survivre à son enfant chéri (1R 17,12 s.). Grande marque de tendresse, mais marque plus riche encore de religion : de même en effet qu'elle ne devait préférer personne à son fils, de même le prophète de Dieu devait être préféré à son fils et à son salut. Et il faut penser qu'elle a procuré à sa vie non pas une maigre subsistance, mais toute ressource, en ne gardant rien pour elle : hospitalière au point de tout donner, fidèle au point de croire promptement.


Devoirs des veuves.

4007 7. Donc une veuve ne se définit pas par la seule abstinence corporelle, mais elle se reconnaît à sa vertu. Ce n'est pas moi qui lui donne des commandements, mais l'Apôtre les a fournis ; je ne suis pas seul à lui témoigner des égards, mais le Docteur des Gentils les a précédemment accordés quand il a dit : « Honore les veuves qui sont de vraies veuves. Si une veuve a des enfants ou des petits-enfants, qu'elle apprenne d'abord à conduire sa maison et à rendre à ses parents des égards mutuels » (1Tm 5,3-4) : par où l'on remarque que la veuve doit posséder une double disposition de piété 6 : aimer ses enfants, être déférente envers ses parents. Ainsi, s'acquittant de ses devoirs envers ses parents, elle exerce un magistère à l'égard de ses enfants, et elle se récompense elle-même en faisant son devoir ; car ce qu'elle donne aux autres est à son avantage.

6. Ici, comme ailleurs chez Ambroise et ses contemporains, pietas, piété, est à entendre au même sens que « piété » filiale mais s'étend à toutes les relations de la vie familiale : affection des parents pour les enfants, des enfants pour les parents, des frères et soeurs entre eux, bref à tous les degrés de parenté.


4008 8. C'est en effet « ce qui plaît à Dieu » (1Tm 5,4). Si donc, ô veuve, tu songes aux choses de Dieu, tu dois observer ce que tu as appris être agréable à Dieu ; et, plus haut, le saint apôtre, exhortant les veuves à pratiquer la continence, dit qu'elles pensent aux choses du Seigneur (1Co 7,34). Ailleurs, lorsqu'il est question de choisir une veuve7 qui ait fait ses preuves, il lui est enjoint non seulement de penser au Seigneur, mais d'espérer en lui : « Quant à celle, dit-il, qui est réellement veuve et délaissée, qu'elle espère en Dieu, qu'elle s'applique aux supplications et aux prières, jour et nuit » (1Tm 5,5). Et ce n'est pas sans raison qu'il les montre tenues à être sans reproche, puisque, si on leur prescrit la pratique de la vertu, on leur témoigne d'amples égards, au point qu'elles sont honorées même par les évêques8.

7. Il s'agit ici des veuves qui, aux premiers siècles de l'Église, exerçaient, vis-à-vis des personnes de leur sexe, des fonctions d'instruction ou d'assistance analogues à celles des diacres. "Entrant d'une certaine manière dans un ministère pastoral, il était normal qu'elles soient l'objet d'une sélection.
8. L'avertissement d'honorer les veuves est adressé par saint Paul à Timothée (1Tm 5,3), à qui l'Apôtre a imposé les mains et confié un ministère épiscopal.


4009 9. Quant aux qualités requises pour être choisie, la parole du même Docteur les décrit : « Qu'elle n'ait, dit-il, pas moins de soixante ans, ayant été l'épouse d'un seul mari » (1Tm 5,9). Ce n'est pas que la vieillesse fasse à elle seule une veuve ; mais les mérites du veuvage sont la récompense de la vieillesse. Car il est certain que celle qui dompte la chaleur de l'adolescence et la bouillante ardeur du jeune âge en ne souhaitant ni l'agrément d'un mari, ni des joies plus abondantes avec des enfants, est plus admirable que celle qui, le corps déjà fatigué, refroidie par la vieillesse et avancée en âge, ne peut ni s'échauffer pour le plaisir ni espérer une maternité.

4010 10. Pourtant, si telle a convolé à de secondes noces — les préceptes de l'Apôtre ne les condamnent certainement pas — après avoir ainsi négligé le fruit de la continence, elle ne sera pas non plus exclue de la pratique de la viduité si elle est une seconde fois dégagée d'un mari : elle aura du moins, sans aucun doute, le mérite d'une chasteté tardive ; mais il y aura mérite plus grand pour celle qui n'aura pas connu de secondes noces, car chez celle-ci la pratique de la chasteté est plus éminente ; chez l'autre, c'est la vieillesse ou la pudeur qui semble avoir mis un terme aux noces.

4011 11. Pourtant ce n'est pas la seule chasteté du corps qui fait le mérite de la veuve, mais une grande et généreuse pratique de la vertu : « Que ses bonnes oeuvres lui rendent témoignage : si elle a élevé ses enfants, pratiqué l'hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru ceux qui souffrent tribulation, finalement accompli toutes sortes de bonnes oeuvres » (1Tm 5,10). Vois combien de vertus l'Apôtre a renfermées dans cette énumération de pratiques : d'abord devoir de piété ; puis, zèle de l'hospitalité et humble service ; en troisième lieu, assistance miséricordieuse, aide libérale : au total, il a demandé de s'employer à toute oeuvre bonne.

4012 12. C'est pourquoi il juge qu'il faut écarter les plus jeunes (1Tm 5,11), du fait qu'elles ne peuvent assurer l'exercice d'une si grande vertu. En effet l'adolescence est au voisinage des chutes, parce que le feu des diverses convoitises est attisé par l'ardeur et la chaleur de l'âge ; et il appartient à un bon docteur d'écarter ce qui est matière à péché. Le premier stade de la formation est d'éviter le péché, le second d'infuser la vertu.

Pourtant, puisque l'Apôtre savait qu'Anne l'octogénaire, veuve dès son adolescence, prophétisa les oeuvres du Seigneur (Lc 2,36-37), je ne pense pas qu'il ait voulu détourner les jeunes du culte de la viduité, alors surtout qu'il a dit : « Mieux vaut se marier que brûler » (1Co 7,9). Car c'est certainement comme remède qu'il a conseillé le mariage, pour la guérison de celle qui aurait pu se perdre ; il n'a pas prescrit, de préférence, de ne pas s'attacher à la continence et à la chasteté : autre chose est venir en aide à qui succombe, autre chose conseiller la vertu.

4013 13. Et pourquoi parler des jugements humains, quand les jugements divins attestent que les juifs n'ont jamais blessé plus gravement le Seigneur qu'en violant le bien de la veuve et les droits des mineurs : c'est le grief que clament les voix des prophètes et qui a valu aux juifs d'être rejetés. On ne mentionne qu'un moyen de diminuer l'odieux de cette faute : honorer la veuve, rendre aux mineurs la justice d'un jugement équitable ; car on lit : « Jugez en faveur de l'orphelin, faites justice à la veuve ; et venez, discutons, dit le Seigneur » (Is 1,17-18) ; et ailleurs : « Il recueillera l'orphelin et la veuve » (Ps 145,9), et ailleurs : « Je comblerai sa veuve de bénédictions » (Ps 131,15). Ici encore se dessine la figure de l'Église.

Vous voyez donc, veuves saintes, qu'il ne faut jamais abandonner par entraînement un bien qui est honoré des secours de la bénédiction divine.

Reprise de l'épisode de la veuve de Sarepta, figure de l'Eglise.

4014 14. Mais, pour en revenir à ce qui a précédé, comment se fait-il qu'en un temps où il y avait grande famine par toute la terre, Dieu n'a pas manqué de s'occuper d'une veuve et qu'un prophète lui fut envoyé pour la nourrir ? Comme à ce sujet le Seigneur m'avertit qu'il va parler « en vérité » (Lc 4,25), il semble préparer nos oreilles à un mystère. En effet, y a-t-il plus grande vérité que le mystère du Christ et de l'Église ? Ce n'est donc pas sans raison que parmi tant de veuves une seule a la préférence. Quelle est en effet celle à qui est envoyé un si grand prophète qui fut enlevé au ciel, surtout en un temps où le ciel fut fermé trois ans et six mois, quand il y eut grande famine par toute la terre ? Donc il y avait famine partout et cependant cette veuve ne fut pas dans le besoin. Quelles sont ces trois années ? Ne seraient-ce pas celles où le Seigneur vint sur terre et ne put trouver de fruit sur le figuier, ainsi qu'il est écrit : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n'en trouve pas » (Lc 13,7) ?

4015 15. Cette veuve est assurément celle dont il a été dit : « Réjouis-toi, stérile, tressaille et crie, toi qui n'enfantes pas ; car les fils de la délaissée seront plus nombreux que ceux de la femme ayant un époux » (Is 54,1) ; et c'est vraiment une veuve, à qui il est dit à juste titre : « Tu ne te souviendras plus de ton humiliation et de ton veuvage ; car c'est moi le Seigneur qui te crée » (Is 54,4-5). Peut-être est-elle veuve en ce sens qu'elle a perdu son Époux lors de la Passion de celui-ci en son corps, mais qu'au jour du Jugement elle retrouvera le Fils de l'homme qu'elle semble avoir perdu : « Je t'ai quittée, dit-il, pour peu de temps » (Is 54,7), afin que, délaissée, elle eût plus de gloire à garder sa foi.

4016 16. Ainsi toutes ont un exemple à imiter : vierges, épouses et veuves. Et peut-être l'Église est-elle vierge, épouse, veuve, parce que toutes ne sont qu'un seul corps dans le Christ.

Voilà donc la veuve pour laquelle ont été, envoyés les prophètes, alors qu'il y avait sur la terre sécheresse de la parole céleste ; elle était veuve, elle était stérile, mais elle se réservait d'enfanter en son temps.

4017 17. Aussi ne nous paraît-il pas un personnage quelconque, celui qui versa la rosée de la parole céleste sur la terre desséchée et rouvrit le ciel fermé par un pouvoir qui n'était certes pas humain. Qui en effet a le pouvoir d'ouvrir le ciel, sinon le Christ, pour qui chaque jour est recueillie une nourriture céleste sur les pécheurs 9, l'assemblée de l'Église ? Il n'est pas au pouvoir de l'homme de dire : « La jarre de farine ne s'épuisera pas et le vase d'huile ne s'épuisera pas jusqu'au jour où le Seigneur accordera la pluie à la terre » (1R 17,14) ; car bien que les Prophètes aient accoutumé de parler ainsi, c'est pourtant là une vraie parole de Dieu ; d'où le préambule : « car le Seigneur dit ceci » (1R 17,14). C'est au Seigneur en effet qu'il appartient de garantir la perpétuité des mystères célestes, de promettre que la grâce de la joie spirituelle 10 ne manquera pas, d'accorder les secours de la vie, les secours de la foi et les dons des vertus.

9. Dans ses traités sur saint Luc, livre II, § 71, saint Ambroise a émis l'idée que le peuple des convertis est la nourriture des prophètes : (le peuple des nations, qui ignorait la parole de vie «... est donc la nourriture des prophètes : car plus nombreux est le peuple qui se rassemble, plus s'accroît et abonde la nourriture de la bouche des prophètes. »
10. Le psaume Ps 44,8 mentionne l'huile d'allégresse, et le symbolisme a été souvent repris dans la littérature patristique et dans la liturgie.


Épisode de Gédéon.

4018 18. Mais que signifie : « jusqu'au jour où le Seigneur accordera la pluie à la terre » ? Sinon qu'« il descendra comme la pluie sur la toison et comme les gouttelettes qui s'égouttent sur la terre » (Ps 71,6) ? Par où se découvre le mystère du récit antique où le saint Gédéon, guerrier d'un combat mystérieux, recueillant le signe de la victoire future, a reconnu dans son âme vigoureuse un mystère spirituel, à savoir que cette pluie était la rosée du Verbe divin : elle est d'abord tombée sur la toison, alors que toute la terre était brûlée d'une sécheresse sans fin ; puis, par un second signe, elle a arrosé le sol de toute la terre en y versant la pluie, la toison étant sèche (Jg 6,36-40).

4019 19. Cet homme a reconnu et présagé le signe de la croissance future de l'Église. En effet ce fut d'abord la Judée que la rosée de la parole de Dieu humecta — car « Dieu est connu en Judée » (Ps 75,2) — tandis que dans le monde entier toute la terre demeurait sèche ; mais une fois que les troupeaux de Joseph11 se sont pris à renier Dieu, et, par l'insolence variée de leurs fautes énormes, en sont venus à offenser Dieu, alors, tandis que sur toute la terre se répandait la rosée de la pluie céleste, le peuple juif a commencé à se dessécher par le feu de sa mauvaise foi, tandis que la sainte Église, rassemblée de tous les points de la terre, était arrosée par les nuées des prophètes et la pluie salutaire des apôtres. Voilà cette pluie, produite non par l'humidité de la terre, non par les nuées des montagnes, mais répandue sur le monde entier par la pluie salutaire des célestes Écritures.

11. On peut voir ici une réminiscence du Ps 79,2 : « Toi qui conduis Joseph comme une brebis » — entendu ici en ce sens que Joseph conduit ses brebis, ce qui rappellerait Gn 37,2, Joseph menant paître les brebis de son père.


4020 20. Cet exemple nous montre donc qu'il n'est pas donné à tout le monde d'obtenir des miracles de la puissance divine, mais à ceux que recommande le zèle d'un dévouement religieux, tandis que le fruit de l'oeuvre divine est refusé à ceux qui se sont exclus de la vénération céleste. Cela montre aussi mystérieusement que, pour instaurer l'Église, le Fils de Dieu a pris la réalité mystérieuse d'un corps humain, rejetant le peuple juif auquel ont été retirés conseiller et prophète (Is 3,1) s. et les merveilleux bienfaits du Seigneur, parce que, gâtés par leur jalousie envers leur compatriote12, ils n'ont pas voulu croire au Fils de Dieu.

12. Dans ses traités sur saint Luc, livre IV, 46, saint Ambroise a relevé l'odieux de la haine des juifs contre celui qui, par son Incarnation, s'était fait leur compatriote.



Devoirs des veuves : exemple d'Anne la prophétesse.

4021 21. L'Écriture nous a donc enseigné quelle grâce procure la bienfaisance et aussi quel don la bénédiction divine accorde aux veuves. Puisque Dieu leur fait tant d'honneur, il y a lieu de considérer quelle doit être leur vie. Anne en effet nous enseigne ce que doivent être les veuves : délaissée par la mort prématurée de son époux, elle a pourtant recueilli la récompense d'une louange mûrie 13 ; elle n'était pas moins appliquée aux devoirs de la religion qu'à la pratique de la chasteté. Veuve, est-il dit, de quatre-vingt-quatre ans, veuve qui ne s'éloignait pas du Temple, veuve appliquée jour et nuit aux jeûnes et aux supplications (Lc 2,36-37).

13. On pourrait également traduire : louange qui a commencé de bonne heure ; il y aurait ainsi parallèle avec la mort prématurée de l'époux d'Anne, après sept ans seulement de mariage.


4022 22. On voit quelle sorte de veuve a l'éloge : épouse d'un seul mari, éprouvée déjà par un âge avancé, vivace en sa religion quoique affaiblie désormais en son corps ; son séjour était au Temple, ses entretiens dans la prière, sa vie dans le jeûne ; aux heures de jour et de nuit l'hommage de sa dévotion était inlassable ; son corps connaissait la vieillesse, sa piété ne connaissait pas l'âge. C'est ainsi qu'une veuve est formée dès sa jeunesse, qu'on fait son éloge dans une vieillesse éprouvée 14 ; elle est restée fidèle à la viduité, non pas occasionnellement et temporairement, non par impuissance corporelle, mais par la magnanimité de sa vertu. En effet, dire qu'elle a passé sept ans avec son époux à partir de sa virginité, c'est dire que les services de sa vieillesse ont eu pour principe le zèle de sa jeunesse.

14. L'adjectif employé ici, veterana, fait allusion au vieux soldat arrivé au terme de son service : image qui sera reprise dans la suite, 84.


4023 23. Nous apprenons ainsi qu'il existe trois formes de la vertu de chasteté : l'une des épouses, l'autre du veuvage, la troisième de la virginité : car nous ne louons pas l'une d'elles à l'exclusion des autres ; chacune a l'avantage de sa profession propre. C'est en quoi la discipline de l'Église est riche : elle a ses préférences, elle ne rejette personne ; et plaise à Dieu qu'elle n'ait jamais à rejeter !

Nous avons donc loué la virginité 15 sans rejeter les veuves ; nous honorons les veuves, tout en réservant au mariage son honorabilité. Ce n'est pas nous qui donnons cette règle, mais c'est l'enseignement des témoignages divins.

15. Allusion aux trois livres Des vierges.


4024 24. Ainsi souvenons-nous comment Marie, comment Anne, comment Suzanne sont louées. Mais puisqu'il ne suffit pas de chanter leurs louanges, mais qu'il faut aussi imiter leur conduite, souvenons-nous où se sont trouvées Suzanne, Anne, Marie, et remarquons comment chacune reçoit des louanges appropriées, et quelles sont leurs demeures : l'épouse dans le jardin 16, la veuve au temple, la vierge dans la retraite.

16. C'est dans le jardin de Suzanne qu'eut lieu l'attentat des deux vieillards.


4025 25. Mais chez les premières le fruit est plus tardif, chez la vierge il est précoce ; celles-là font leurs preuves par la vieillesse, la virginité est l'éloge de l'âge et ne demande pas le secours des années, étant le fruit de tous les âges. Elle sied à l'adolescence, elle pare la jeunesse, elle magnifie la vieillesse ; en tout âge elle a les cheveux blancs de sa justice, la maturité du sérieux, le voile de la pudeur ; elle ne gêne pas le dévouement, elle augmente la religion.

Nous remarquons en effet, par la suite, que chaque année, en la solennité de la Pâque, sainte Marie se rendait avec Joseph à Jérusalem (
Lc 2,41) ; partout la vierge a pour compagne une dévotion empressée et une pudeur constante. Et la Mère du Seigneur ne s'exalte pas comme étant assurée de ses mérites ; mais plus elle a reconnu ce qui lui fut donné, plus elle s'est généreusement acquittée de son voeu ; plus elle a rempli largement son devoir, plus elle a religieusement offert son présent et accompli le temps mystérieux 17.

17. Sans exclure le pèlerinage annuel pour la Pâque (Lc 2,41), il faut plutôt penser à la présentation du Seigneur au Temple, au quarantième jour après sa naissance.


4026 26. Combien plus vous sied-il donc de vous appliquer à cultiver la chasteté pour ne pas donner prise à une réputation fâcheuse, vous qui n'avez que votre conduite pour témoigner de votre pudeur ! Sans doute, chez une vierge également, la conduite a plus de valeur que le corps ; mais enfin l'intégrité de la chair écarte la calomnie ; la veuve a perdu la ressource de prouver sa virginité : ce n'est pas le témoignage de la sage-femme, mais sa conduite, qui fait la preuve de sa chasteté. Ainsi l'Écriture nous a enseigné combien attentives et religieuses doivent être les dispositions de la veuve.


Devoir de la charité. Le denier de la veuve.

4027 27. Dans le même livre 18, mais en un autre endroit, on enseigne comme il convient d'être miséricordieuse et libérale envers les pauvres, sans s'arrêter à la pensée de sa pauvreté ; car la libéralité ne se calcule pas d'après l'abondance du patrimoine, mais d'après la disposition de donner. Aussi bien la parole du Seigneur fait préférer à tous cette veuve dont il est dit : « Cette veuve a donné plus que tous » (Lc 21,3). Au sens moral, le Seigneur apprend à tout le monde qu'il ne faut pas se laisser détourner de faire le bien par la honte de la pauvreté, et que les riches n'ont pas à se glorifier parce qu'ils semblent donner plus que les pauvres. Une petite pièce prise sur peu de bien l'emporte sur un trésor tiré de l'abondance ; on ne calcule pas ce qui est donné mais ce qui reste. Personne n'a donné davantage que celle qui n'a rien gardé pour elle.

18. Il s'agit de l'évangile selon saint Lc 21,1-4.


4028 28. Pourquoi, riche, te vanter en te comparant à l'indigente ? Tu es toute appesantie par l'or, tu fais traîner à terre une robe de prix, tu es comme inférieure et petite auprès de tes richesses et tu souhaites être honorée pour avoir, par ton don, surpassé l'indigente ? Les fleuves aussi débordent quand ils se gonflent ; pourtant il est plus agréable de boire au ruisseau. Le vin nouveau écume quand il fermente, mais le vigneron ne regarde pas comme une perte ce qui s'échappe. L'aire gémit quand on bat la moisson et les blés sautent ; mais, si la moisson vient à manquer, la farine ne s'épuise pas dans l'urne, et, plein d'huile, le vase suinte ; pourtant la sécheresse vida les tonneaux des riches, tandis que la minuscule provision de la veuve débordait (1R 17,15). Il ne faut donc pas calculer ce que ta satiété rejette, mais ce que tu donnes par dévotion ; aussi bien aucune n'a donné plus que celle qui a nourri le prophète sur la nourriture de ses enfants ; aussi nulle n'ayant donné davantage, nulle n'a obtenu davantage. Ceci au sens moral.

4029 29. Cependant au sens mystique il ne faut pas négliger cette femme qui met deux pièces dans le tronc. Grande assurément cette femme, qui a mérité d'être préférée à tous par le jugement de Dieu ! Ne serait-ce point celle qui a puisé dans sa foi les deux Testaments pour l'assistance des hommes ? Aussi pas une n'a fait davantage et aucun homme n'a pu égaler la grandeur de son don, puisqu'elle a uni la foi à la miséricorde. Et toi aussi, qui que tu sois, qui emploies ta vie à cultiver la viduité, n'hésite pas à apporter au tronc deux pièces pleines de foi et de grâce.

4030 30. Heureuse celle qui tire de son trésor l'effigie intacte du Roi ! Ton trésor, c'est la sagesse ; ton trésor, c'est la chasteté et la justice ; ton trésor, c'est la saine intelligence. Tel fut le trésor d'où les mages ont tiré l'or, l'encens et la myrrhe, quand ils adorèrent le Seigneur ; par l'or ils affirmaient la puissance du Roi, par l'encens ils vénéraient Dieu, par la myrrhe ils reconnaissaient la résurrection de son corps19. Tu as, toi aussi, ce trésor, si tu le cherches en toi : car « nous avons un trésor en des vases d'argile » (2Co 4,7) 20. Tu as de l'or à donner, car Dieu ne te demande pas un métal précieux et brillant, mais un or qu'au jour du Jugement le feu ne pourra consumer ; il ne te demande pas des dons précieux, mais le parfum de la foi s'exhalant des autels de ton coeur, le souffle du sentiment d'une âme religieuse.

19. On reconnaît le symbolisme des présents des Mages, devenu traditionnel et que l'Église rappelle dans la liturgie de l'Epiphanie.
20. On retrouve la pensée parallèle, et presque dans les mêmes termes, aux traités sur saint Luc, livre II, 44.


4031 31. C'est donc de ce trésor que sont produits non seulement les trois présents des mages, mais encore les deux pièces de la veuve, où resplendit intacte l'effigie du Roi céleste, la splendeur de sa gloire, l'image de sa substance (He 1,3). Bons et laborieux salaires de la chasteté ! Grâce à son travail et à sa tâche quotidienne, la veuve, appliquée continuellement à son labeur jour et nuit, acquérant par un travail vigilant le salaire d'une fructueuse chasteté, afin de garder sans tache la couche de son époux défunt, de pouvoir nourrir ses enfants aimés et assister les pauvres. Celle-là est préférable aux riches ; celle-là n'aura pas à redouter le jugement du Christ.

4032 32. Imitez-la, mes filles : il est bon d'avoir l'émulation du bien (Ga 4,18) ; ayez l'émulation de dons meilleurs (1Co 12,31). Le Seigneur vous regarde toujours ; oui, Jésus vous regarde quand vous approchez du tronc21 et que vous jugez bon de faire l'aumône aux indigents sur le salaire de vos bonnes oeuvres. Quelle grande chose que donner votre argent et acquérir le corps du Christ ! Ne venez donc pas les mains vides en présence du Seigneur votre Dieu, vides de miséricorde, vides de foi, vides de chasteté ; car le Seigneur Jésus n'a pas coutume de regarder et de louer celles qui sont vides, mais celles qui sont riches en vertus. Que la jeunesse vous voie travailler, vous voie servir ; c'est l'offrande que vous devez à Dieu ; donnez à Dieu votre offrande par l'avantage des autres : aucune offrande n'est plus agréable à Dieu que celle qui contient les dons de la piété.

21. Il semble bien qu'il s'agisse de l'offrande au cours du Saint Sacrifice, comme le montre la suite.



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