Ambroise virginité 5042

Où trouver le Christ.

5042 42. 21 Dès les origines de l'Église les foules le cherchaient. Pourquoi ? Parce que, est-il dit, « il leur imposait les mains et les guérissait » (Lc 4,40). Il n'est pas besoin pour guérir d'un temps ni d'un lieu déterminé : en tout temps, en tout lieu, guérir n'est pas négligeable. C'est dans sa demeure que Marie est bénie par l'ange (Lc 1,28) ; c'est dans sa maison que David reçoit du prophète l'onction (1S 16,13). Jésus soigne partout, guérit partout : en chemin, dans la maison, au désert. En chemin il guérit celle qui a touché sa frange (Mt 9,20) ; dans sa demeure la fille du chef de la synagogue est ressuscitée (Mc 5,41) ; au désert la foule est guérie : aussi bien vous lisez : « Après le coucher du soleil, tous ceux qui avaient des infirmes atteints de diverses maladies, les lui amenaient. Et lui, imposant les mains à chacun, les guérissait » (Lc 4,40). Il guérissait donc, et au désert, et après le coucher du soleil ; et il guérissait par l'imposition des mains, afin de se montrer Dieu et homme. Il n'est donc pas surprenant que, le jour venu, les foules le cherchaient.

21. Ici prend place toute une homélie sur Lc 4,40 s., sans lien apparent avec ce qui précède.


5043 43. Voyez l'ordre des faits : au coucher du soleil on apporte les malades au Christ ; le jour venu, les foules le cherchaient. Quand cherche-t-on le Christ, sinon pendant le jour ? Car celui qui marche dans la lumière ne s'écarte pas du Christ (Jn 8,12). Aussi la nuit était-elle remplie des gémissements des malades ; le jour, de la foi du peuple, de la joie des guéris, pour que s'accomplît l'Écriture : « Le soir est la demeure des pleurs, le matin de la joie » (Ps 29,6). Peut-il y avoir pour la foule plus grand bien que suivre le Christ, même au désert ?

5044 44. Par là il fait voir que l'homme parfait doit être sans vanité ; car il ne se dérobait pas à l'office de guérir, mais à l'étalage de ses oeuvres. Pour nous aussi, si nous souhaitons être sauvés, si déjà nous obtenons la santé, loin de la luxure, loin du laisser-aller, comme dans le désert de cette vie et sur un sol aride, dans une sorte de soif, fuyant les délices du corps, suivons le Christ.

5045 45. Suivons-le pendant les jours. Le jour de l'Église est là, celui qu'Abraham a vu avec joie (Jn 8,56). Suivons le Christ pendant les jours ; ce n'est pas la nuit qu'on le trouve : « J'ai cherché la nuit, est-il dit, le bien-aimé de mon âme ; je l'ai cherché sans le trouver ; je l'ai appelé et il ne m'a pas écoutée » (Ct 3,1).

5046 46. Le Christ ne se trouve pas sur les places et aux carrefours : aussi bien celle-là n'a pu le trouver sur les places et aux carrefours, qui a dit : « Je vais me lever ; j'irai parcourir la ville, sur les places et aux carrefours, à la recherche du bien-aimé de mon âme. Je l'ai cherché et ne l'ai pas trouvé ; je l'ai appelé et il ne m'a pas écoutée » (Ct 3,2). Donc ne cherchons jamais le Christ là où nous ne saurions le trouver. Le Christ n'est pas l'homme du forum 22 : le Christ est la paix, le forum voit les litiges ; le Christ est justice, le forum abrite l'iniquité ; le Christ opère, sur le forum est la vaine oisiveté ; le Christ est charité, sur le forum sont les disputes ; le Christ est bonne foi, sur le forum la fraude et la mauvaise foi. Le Christ est dans l'Église, sur le forum les idoles. Et pour que la veuve que nous avons interpellée dans un autre livre (Aux veuves, IX §57 s.) reconnaisse que nous avons ainsi parlé non pour lui faire reproche mais pour l'avertir que ce n'est pas dureté mais zèle, qu'elle accueille ceci en manière de réconciliation : c'est dans l'Église qu'on rend justice à la veuve, sur le forum qu'on l'exploite. Fuyons donc le forum, fuyons les places.

22. Le forum était à la fois, à Rome, place publique, rendez-vous des désoeuvrés et lieu où l'on rendait la justice. Tous ces aspects sont envisagés dans le développement qui suit.


5047 47. « Fais de la sagesse ton amie, pour qu'elle te préserve de la femme étrangère et mauvaise... Car par la fenêtre de sa maison elle regarde les places » (Pr 7,4 s.). Fuyons les places : il n'y a pas seulement le désagrément de n'avoir pas trouvé celui que vous cherchiez ; mais souvent il y a blessure si on le cherche là où il ne faut pas, si on le cherche dans la maison d'hommes qui prennent faussement le titre de docteurs23 ; si on le cherche avec plus d'effronterie que de réserve.

23. Il n'est pas exclu que saint Ambroise vise ici les docteurs ariens.


5048 48. Craignons donc, à l'exemple de cette Église24, d'être rencontrée par les gardes qui font la ronde dans la ville. « J'ai été rencontrée, dit-elle, par les gardes qui font le tour de la ville ; ils m'ont frappée et blessée ; les gardes des remparts m'ont pris mon manteau » (Ct 5,7). Ce n'est pas en sa personne, mes filles, ce n'est pas, dis-je, mes filles, en sa personne, mais en nous, que l'Église est blessée. Prenons donc garde que notre charité pour l'Église ne soit blessée et qu'on ne nous enlève notre manteau, c'est-à-dire le vêtement de la prudence, l'insigne de la patience, pour lequel on renonce au désir d'un vêtement plus moelleux : car « ceux qui revêtent des habits moelleux habitent les palais des rois » (Mt 11,8). A nous le Christ a donné le manteau dont il a revêtu ses Apôtres et son propre corps ; manteau qu'il vous ordonne de donner : « Si l'on vous demande votre tunique, donnez aussi le manteau » (Mt 5,40), c'est-à-dire livrez l'emblème de votre philosophie23, et du vêtement de votre sagesse revêtez celui qui jusque-là était nu.

24. L'Église figurée par l'Épouse du Cantique des cantiques.


5049 49. Cherchons donc le Christ, mes filles, aux lieux où le cherche l'Église : sur les monts aux bonnes senteurs, qui répandent le suave parfum de leur vie par l'élévation de leurs nobles actions, par les sommets de leurs mérites. Il fuit les places, il fuit les assemblées et le bruit du forum, ainsi qu'il est écrit : « Fuis, mon frère, et deviens semblable au cerf et au faon sur les monts embaumés » (Ct 8,14). Ennemi des serpents et des reptiles, fuyant les chiens, poursuivi par les serpents qui rampent à terre, il ne saurait habiter que sur les cimes des vertus, il ne saurait demeurer que parmi celles des filles de l'Église qui peuvent dire : « Nous sommes la bonne odeur du Christ devant Dieu » (2Co 2,15) : mais pour certains odeur de mort et mortelle, pour ceux qui se perdent ; pour les autres odeur de vie et vivifiante, pour ceux dont la foi vivace respire le parfum de la résurrection du Seigneur.

5050 50. Ceux-là sont les montagnes embaumées, qui ont pris le corps du Seigneur et l'ont enveloppé de linges, avec des aromates (Jn 19,40) ; car tous ceux qui croient que Jésus est mort, a été enseveli et est ressuscité, ceux-là ont élevé le haut sommet de la vraie foi sur les cimes des vertus. Où donc chercher le Christ ? Dans le coeur d'un prêtre sage.

5051 51. Et puisque nous en sommes à parler du désert, lui-même nous a montré où il faut le chercher : « Je suis, dit-il, la fleur des champs et le lis des vallées, tel un lis au milieu des épines » (Ct 2,1-2). Voici un autre lieu où le Seigneur a coutume de taire séjour ; ou plutôt non pas un, mais plusieurs : « Je suis, dit-il, la fleur des champs », car il fréquente la simplicité ouverte d'une âme pure ; « et le lis des vallées », car le Christ est fleur d'humilité, non de luxure, non de voluptés, non de débauche, mais fleur de simplicité, fleur d'humilité ; « tel un lis au milieu des épines » : N'est-ce point du milieu des labeurs pénibles, des âmes brisées, que monte la fleur de bonne odeur ? car Dieu est apaisé par un coeur brisé (Ps 50,19).

5052 52. Voilà, mes filles, le désert qui conduit au Royaume ; c'est aussi le désert qui fleurit comme le lis, selon qu'il est écrit : « Réjouis-toi, stérile ; tressaille, désert, et fleuris comme le lis » (Is 35,1). Dans ce désert, mes filles, se trouve un bon arbre, fécond, qui porte de bons fruits, qui étend les rameaux de ses actions, qui élève la cime de la divinité, près duquel fructifient les arbres de notre forêt ; car « tel le pommier parmi les arbres de la forêt, tel est mon frère au milieu des jeunes gens » (Ct 2,3). Qu'à ce spectacle l'Église soit dans l'allégresse et la joie et dise : « Comme je l'ai désiré, je me suis assise à son ombre et son fruit est doux à ma gorge » (Ct 2,3).

5053 53. A ce spectacle, dis-je, et déjà heureuse des progrès de votre foi, que l'Église dise : « Conduisez-moi au cellier du vin et ordonnez en moi la charité » (Ct 2,4) ! La charité ne saurait exister sans la foi. L'Église a pour ainsi dire trois dots : l'espérance, la foi et la charité. Si l'espérance prend les devants, si la foi est établie et la charité ordonnée, l'Église est épousée.

5054 54. Tu as donc appris où chercher le Christ : apprends aussi comment obtenir qu'il te cherche. Appelle l'Esprit-Saint en disant : « Lève-toi, Aquilon, viens, vent du Midi ; souffle sur mon jardin et que mes parfums s'exhalent » (Ct 4,16) ! Que mon frère descende dans son jardin et mange du fruit de mes pommiers » (Ct 5,1) : le jardin du Verbe, c'est l'amour de l'âme qui s'épanouit, et sur les pommiers est le fruit de la vertu.

5055 55. Il vient donc, et, « soit que vous mangiez, soit que vous buviez » (1Co 10,31), si vous invoquez le Christ, il est là. « Venez, dit-il, mangez mes pains et buvez mon vin » (Pr 9,5). Même si tu dors, il frappe à la porte. Il vient, dis-je, souvent, et à travers le treillis passe la main : mais pas toujours, ni pour tous ; pour l'âme qui peut dire : « Dans la nuit, j'ai quitté ma tunique » (Ct 5,3). Car dans cette nuit du siècle il te faut d'abord quitter le vêtement de la vie du corps, puisque le Seigneur s'est dépouillé de sa chair afin de triompher pour toi des dominations et puissances de ce monde.

5056 56. « Comment la reprendrais-je » (Ct 5,3) ? Vois ce que dit l'âme dévouée à Dieu : elle s'est si bien dépouillée de l'activité corporelle et des moeurs de la terre que, le voudrait-elle, elle ne sait comment les reprendre. « Comment la reprendrais-je » ? C’est-à-dire avec quelle honte, quelle pudeur, enfin avec quel souvenir ? Car l'habitude du bien faire fait perdre le souvenir de la dépravation passée.

5057 57. «J'ai lavé mes pieds, comment les salir à nouveau » (Ct 5,3) ? Tu as appris par l'Évangile que laver les pieds est un mystère de foi, une marque d'humilité : « Si moi, votre Seigneur et Maître, je vous ai lavé les pieds, combien plus devez-vous vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13,14) ! Ceci concerne l'humilité ; au point de vue du mystère, il faut se laver les pieds si l'on veut avoir part avec le Christ : « Si je ne te lave les pieds, tu n'auras point part avec moi » (Jn 13,8). S'il parle ainsi à Pierre, que penser de nous ?

5058 58. Or celui qui s'est lavé les pieds n'a pas besoin de les laver à nouveau (Jn 13,10) : qu'il prenne donc garde de ne pas les salir. Et l'Église dit à bon droit : « J'ai lavé mes pieds » ; elle ne dit pas : comment les laver à nouveau, mais : comment les salirai-je à nouveau ? Comme ayant oublié son ancienne souillure, ayant oublié les contacts impurs. Elle avertit donc, en lavant le corps26, comment il nous faut purifier les pas spirituels de nos actions. Ainsi, une fois tes pieds lavés au courant de la source éternelle et purifiés par le sacrement mystérieux, garde-toi de les salir à nouveau par la souillure de la convoitise corporelle, par les ordures terrestres et la boue de tes actions.

25. Le manteau était, par opposition à la toge, l'insigne distinctif des philosophes. Par ailleurs, la « philosophie » dont il s agit ici est la recherche chrétienne de la sagesse véritable.
26. Il est possible de reconnaître ici une allusion rapide au rite du lavement des pieds, usité à Milan, mais non à Rome, au sortir de la piscine baptismale. Cf. De Mysteriis, 51 ; De Sacramentis, III, 4-7.


5059 59. Tels sont les pieds qu'a lavés David inspiré ; il t'apprend comment tu ne saurais les souiller : « Nos pieds, dit-il, se tenaient dans tes parvis, Jérusalem » (Ps 121,2). A coup sûr, il faut entendre ici les pieds non du corps, mais de l'âme. Comment l'homme terrestre pourrait-il avoir dans le ciel les pieds de son corps ? Car Paul nous l'a appris (He 12,22), Jérusalem est au ciel ; et c'est lui également qui nous a enseigné comment être au ciel, en disant : « Notre vie est dans le ciel (Ph 3,20) : vie de nos moeurs, vie de nos actions, vie de notre foi.

5060 60. Celui qui vit de la sorte peut dire : « Mon frère a passé la main à travers le grillage, et mes entrailles ont été émues ; je me suis levée pour ouvrir à mon frère » (Ct 5,4). Il est bien qu'à la venue du Seigneur notre coeur soit troublé. Si à la venue de l'ange Marie fut troublée (Lc 1,29), combien plus sommes-nous troublés à la venue du Christ ! Sous l'afflux du divin les sens corporels se retirent, la maîtrise de l'homme extérieur s'alanguit. Toi aussi trouble-toi, toi aussi hâte-toi : on leur avait prescrit de manger l'agneau en hâte (Ex 12,11). Lève-toi, ouvre : le Christ est à la porte, il frappe au seuil de ta demeure : Si tu ouvres, il entrera et il entrera avec le Père (Jn 14,23).

5061 61. Or ce n'est pas seulement une fois entré qu'il laisse la récompense, mais avant même d'entrer, il fait passer la récompense. L'âme est encore dans le trouble, elle tâte encore les murs de sa demeure, elle cherche encore la porte où se tient le Christ, elle tire encore les verrous de la chair et les barreaux du corps. Le Christ frappe encore au dehors : « Mes mains, dit-elle, répandent la myrrhe, et mes doigts en sont pleins sur la poignée du verrou » (Ct 5,5). Quelle est cette myrrhe que répandent les mains de l'âme, sinon celle qu'a offerte Nicodème le juste, ce maître en Israël, à qui il fut donné d'apprendre le premier le mystère du baptême (Jn 3,1 s.), qui apporta environ cent livres d'un mélange de myrrhe et d'aloès et le répandit sur le corps de Jésus (Jn 19,39) ? Oui, qui a offert le parfum de la foi ?

5062 62. C'est l'odeur que répand l'âme qui commence à ouvrir au Christ : elle doit d'abord recueillir le parfum de la sépulture du Seigneur et croire que sa chair n'a pas connu la corruption, qu'elle n'a pas été gâtée par l'odeur de la mort, mais s'est relevée baignée du parfum de la fleur éternelle et toujours fraîche. Comment en effet aurait-il pu se flétrir même en sa chair, quand son nom est un parfum répandu (Ct 1,2) ? Il s'est répandu27, afin d'embaumer pour vous.

27. Le verbe employé, ici et au Cantique, exinanitum, fait dans le cas présent allusion à l'anéantissement du Seigneur en son Incarnation.


5063 63. Ce parfum a toujours existé, mais il était chez le Père, il était dans le Père ; il n'était senti que par les anges et les archanges, comme au dedans de l'urne du ciel. Le Père en a ouvert l'orifice en disant : « Je t'ai établi pour témoigner de mon être, pour éclairer les nations, pour être le salut jusqu'à l'extrémité de la terre » (Is 49,6). Le Fils est descendu : tout a été rempli d'un parfum nouveau, celui du Verbe. Le coeur du Père a proféré la bonne parole (Ps 44,2), le Fils a embaumé, l'Esprit Saint l'a exhalé et s'est répandu dans tous leurs coeurs, car « l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint » (Rm 5,5).

5064 64. Lui-même le Fils de Dieu a d'abord retenu le parfum dans son corps comme dans une urne, attendant son heure, selon l'Écriture : « Le Seigneur me donne une langue instruite pour que je sache quand il faut proférer la parole » (Is 5,4). L'heure est venue, il a ouvert la bouche, il a répandu le parfum quand une vertu est sortie de lui (Lc 8,46 Lc 6,19).

5065 65. Le parfum a été répandu sur les juifs et recueilli par la Gentilité : répandu en Judée et embaumant l'univers. Marie a été ointe de ce parfum, et vierge elle a conçu, vierge elle a enfanté la bonne odeur, le Fils de Dieu. Ce parfum a été répandu sur les eaux et a sanctifié les eaux. Ce parfum a revêtu les trois enfants et a transformé pour eux la flamme en rosée (Da 3,23). Daniel en a été oint et les gueules des lions en ont été adoucies, leur férocité apaisée (Da 6,22).

5066 66. Ce parfum se déverse chaque jour et n'est jamais épuisé. Prends ton urne, ô vierge, et approche pour être remplie de ce parfum. Reçois ce parfum estimé à trois cents deniers, mais donné pour rien et non pas vendu, pour que tous l'aient gratuitement. Verse-le sur toi, vierge ; ne te désole pas comme Judas (Jn 12,5) si ce parfum est répandu, mais ensevelis le Christ en toi. Ferme ton vase, bien sûr, pour que le parfum ne s'enfuie pas ; ferme-le par la clef de la pureté, par la retenue des paroles, en t'abstenant de vanité.

5067 67. Celle qui possède ce parfum reçoit le Christ. Aussi celle qui l'avait dit-elle : « J'ai ouvert à mon frère, mon frère est passé » (Ct 5,6). Comment cela, passé ? Il a pénétré au fond de l'âme, selon ce qui fut dit à Marie : « Et ton âme sera pénétrée d'un glaive » (Lc 2,35) : car « le Verbe de Dieu est vivant, il pénètre comme un glaive aiguisé, il traverse les replis des pensées corporelles et l'intimité du coeur » (He 4,12).

Conseils à la vierge.

5068 68. Donc toi aussi, âme qui es du peuple, qui es de la plèbe — car le Christ n'est pas ébloui par les distinctions et dignités du siècle ; il ne s'extasie pas devant un vêtement doré, une riche parure, des colliers précieux où brillent les gemmes (objets dont la dépense fait souvent naître des litiges dans l'Église et met la paix en fuite) — en tout cas toi, une des vierges qui rehausse le charme de ton corps par la splendeur de l'âme, — tu es plus proche de lui comme comparée à l'Église — toi, dis-je, couchée en ton lit aux heures de la nuit, pense sans cesse au Christ et attends sa venue à tout moment.

5069 69. S'il te semble qu'il tarde, lève-toi : il semble tarder si tu dors longtemps ; il semble tarder si tu ne pries pas ; il semble tarder si tu n'animes pas ta voix par des psaumes. Consacre au Christ les prémices de tes veilles, immole au Christ les prémices de tes actions. Tu l'as entendu, plus haut, t'appeler : « Viens du Liban, dit-il, mon épouse, viens du Liban : tu passeras et traverseras, venant de la foi » (Ct 4,8). Tu passeras dans le siècle pour combattre ; tu traverseras vers le Christ pour triompher du siècle. Tu l'as entendu : il t'a séparée des lions et des léopards, c'est-à-dire des assauts des fauves spirituels ; tu l'as entendu : il se complaît dans la beauté de tes vertus ; tu l'as entendu : il préfère à tous les parfums les aromates de tes vêtements, c'est-à-dire la bonne odeur de ta chasteté ; tu l'as entendu : tu es un jardin clos, riche des suaves fruits des pommiers. Demande donc que l'Esprit-Saint souffle sur toi, qu'il souffle sur ta couche, multipliant le parfum d'une âme pieuse et d'une beauté spirituelle. Il te répondra : « Je dors mais mon coeur veille » (Ct 5,2).

5070 70. Tu as entendu sa voix, il frappait à la porte et disait : « Ouvre-moi, ma soeur ; lève-toi mon amie, ma colombe, ma parfaite » (Ct 5,2) : mon amie par la charité ; colombe par la simplicité ; parfaite par la vertu. « Car ma tête est baignée de rosée » (Ct 5,2) : de même que la rosée du ciel fait disparaître la sécheresse de la nuit, de même la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ a répandu sur les ténèbres de la nuit et du siècle la fraîcheur de la vie éternelle. C'est cette tête qui ne pouvait être desséchée par le feu du monde ; aussi a-t-il dit : « Si l'on traite ainsi le bois humide, que fera-t-on à celui qui est sec » (Lc 23,31) ? Cette tête donne donc la rosée aux autres qui l'a pour elle-même en abondance. Et il convient que la tête du Christ soit dans l'abondance, car le Christ est notre tête. Il est toujours en plénitude, ses libéralités ne l'épuisent pas, ses constantes largesses ne l'appauvrissent pas. Sur cette tête n'est point passé le fer 28, instrument de guerre, emblème de discorde.

28. En une seule phrase, allusion à trois emplois du fer : pour tondre ceux qui avaient fait le voeu de naziréat, — pour la guerre, — dans les luttes civiles.


5071 71. Maintenant considère et vois quelle est cette rosée : ce n'est pas une humidité quelconque ; sur ses boucles sont les gouttes de la nuit. Ne pense pas, amie, aux boucles des cheveux du corps qui ne sont pas des ornements mais des crimes, provocations de la beauté et non préceptes des vertus. Le Nazaréen a d'autres boucles sur lesquelles le fer n'est point passé, que personne n'a coupées ; elles ne sont pas échafaudées, arrangées avec art, mais le charme et l'éclat de multiples vertus les frise et fait leur brillant. Apprends de l'histoire quelles boucles a le Nazaréen : tant que Samson les garda, il fut constamment invincible ; en perdant ses boucles, il a perdu le don de sa force (Jg 16,17).

5072 72. Tu as entendu la voix du Verbe ; ne cherche pas à revêtir la tunique que tu as quittée pour la nuit : car elle se présente et souvent est offerte par les esprits mauvais. Oublie, dis-je, ignore comment la revêtir ; et, comme si le Seigneur était déjà là, lève-toi dans ton émotion, dégagée des liens du corps ; en te levant, prépare par la prière l'intime de ton âme ; d'en bas tends vers les hauteurs, applique-toi à ouvrir les portes de ton coeur. Quand tu étends les mains vers le Christ, tes actions exhaleront le parfum de la foi.

5073 73. Porte donc les mains à tes narines et vérifie l'odeur de tes actions, d'une âme infatigable, éveillée, alerte. Le parfum de ta droite te charmera, tes membres dégageront l'arôme de la résurrection, tes doigts suinteront la myrrhe : c'est-à-dire que, sous la grâce spirituelle, tes actions exhaleront le charme de la foi véritable. Tu prends donc, ô vierge, ton plaisir dans ton corps spirituel ; tu es ta douceur, ta suavité, et — ce qui arrive souvent aux pécheurs — tu commences à n'être pas mécontente de toi ; tu trouveras plus de charme à la simplicité pure, dépouillée des vêtements de la tromperie du corps.

5074 74. Voilà comme le Christ t'a désirée, voilà comme le Christ t'a choisie. La porte ouverte, il entre ; car il ne saurait décevoir, ayant promis d'entrer. Embrasse donc celui que tu as cherché ; approche de lui et tu seras éclairée (Ps 33,6) ; tiens-le, demande qu'il ne se presse pas de partir, supplie-le de ne pas s'en aller ; le Verbe de Dieu court, l'inertie ne le saisit pas, l'indolence ne le retient pas. Que ton âme s'attache à sa parole, et suis-le au pas de la parole céleste ; car il passe vite.

5075 75. Aussi bien, que dit-elle ? « Je l'ai cherché et ne l'ai pas trouvé ; je l'ai appelé et il ne m'a pas écoutée. » (Ct 5,6) Ne pense pas, s'il est parti si vite, que tu lui as déplu en l'appelant, en l'implorant, en lui ouvrant : il permet souvent que nous soyons éprouvés. Aussi bien, lorsque les foules le priaient de ne pas s'en aller, que dit-il dans l'Évangile ? « Il faut que j'annonce aussi la parole de Dieu à d'autres villes ; car c'est pour cela que j'ai été envoyé. » (Lc 4,43) Mais, alors même qu'il te semble être parti, sors, cherche encore (Ct 5,7).

5076 76. Ne crains pas, maintenant que tu es donnée à Dieu, les redoutables gardes spirituels qui font la ronde ; ne crains pas ceux qui parcourent la cité, ne crains pas des blessures qui ne sauraient nuire à qui cherche le Christ. Alors même qu'ils t'ôteraient ton corps, c'est-à-dire la vie de ton corps, le Christ est proche. Quand tu l'auras trouvé, reconnais où il te faut demeurer avec lui, de crainte qu'il ne s'en aille ; car il a tôt fait d'abandonner les négligents.

5077 77. Qui, sinon la sainte Église, t'apprendra comment retenir le Christ ? Elle te l'a même appris déjà, si tu comprends ce que tu lis : « Peu après que je les eus dépassés, est-il dit, j'ai trouvé le bien-aimé de mon âme ; je le tiens, je ne le quitterai pas. » (Ct 3,4) Comment retient-on le Christ ? Ni par la force des liens, ni dans des filets tressés ; mais il est lié par les chaînes de la charité, par les liens de l'esprit ; il est retenu par l'affection de l'âme. Si tu veux, toi aussi, retenir le Christ, cherche-le sans cesse, ne crains pas la souffrance : il arrive souvent qu'on trouve mieux le Christ au milieu des supplices, entre les mains mêmes des persécuteurs. « Peu après les avoir dépassés, » est-il dit. En peu de temps, en un court instant, une fois que tu seras échappée des mains des persécuteurs sans avoir cédé aux puissances du monde, le Christ viendra à toi et ne permettra pas que tu sois trop longtemps éprouvée.

5078 78. Celle qui cherche le Christ ainsi, celle qui trouve le Christ, peut dire : « Je le tiens et ne le lâcherai pas que je ne l'aie introduit dans la demeure de ma mère, dans la chambre de celle qui m'a conçue. » (Ct 3,4) Quelle est cette demeure de ta mère et sa chambre, sinon l'intime retraite de la nature ? Garde cette demeure, purifie l'intérieur de cette demeure. Lorsque la demeure sera sans tache, non souillée par les taches quelconques d'une fausse conscience, elle s'élèvera, scellée sur la pierre d'angle, comme une demeure spirituelle, comme un sacerdoce saint, et l'Esprit-Saint y habitera (Ep 2,20-22 1P 2,5). Celle qui cherche ainsi le Christ, qui l'implore de la sorte, n'est pas délaissée par lui ; au contraire, il la visite souvent, puisqu'il est avec nous jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20).

5079 79. Voilà donc le Christ trouvé et possédé ; voilà trouvé celui qui a passé la main par la fenêtre (Ct 5,4). Quelle est cette fenêtre à nous, sinon celle à travers laquelle nous voyons les ouvrages du Christ, l'oeil de l'âme, le regard de l'esprit ? Que le Christ, ô vierge, entre donc par ta fenêtre ! Que le Christ passe la main à travers le treillis ! Que le Christ vienne à toi et non pas un amour charnel ! Si donc le Verbe de Dieu passe la main à travers ta fenêtre, vois comment préparer tes fenêtres, vois comment tu dois les purifier de toute la poussière des fautes. La fenêtre d'une vierge ne doit avoir aucune obscurité, aucune fausseté. Loin d'elle la teinture et les autres vanités d'une beauté empruntée, loin d'elle les appâts d'un amour adultère ! De même pour la clôture des oreilles : il n'y faut pas suspendre des fardeaux en leur faisant des blessures. Il n'est qu'un seul ornement : écouter ce qui est utile.

5080 80. Ta porte aussi, sache la verrouiller aux heures de nuit, qu'on ne la trouve pas aisément ouverte. L'Époux lui-même la veut fermée quand il frappe. Notre porte, c'est notre bouche : elle ne doit guère s'ouvrir qu'au seul Christ et ne s'ouvrir qu'après que le Verbe de Dieu aura frappé. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est écrit : « Un jardin clos, voilà ma soeur et épouse ; un jardin clos, une fontaine scellée » (Ct 4,12), pour qu'elle n'ouvre pas facilement la bouche et ne s'abaisse pas à des paroles vulgaires. Car, même sur les choses de Dieu, il ne te sied pas de répondre si le Verbe de Dieu ne t'interroge pas. Alors quelle retenue ne te faut-il pas avec les autres ! Parle au seul Christ, converse avec le seul Christ. S'il est écrit que les femmes doivent se taire à l'église (1Co 14,34), à plus forte raison messied-il que la porte de la vierge soit béante et que soit béant le seuil de la veuve. Celui qui guette la pudeur a vite fait de se glisser ; bien vite échappe une parole que tu voudrais reprendre.

5081 81. Si la porte d'Eve avait été fermée, Adam n'eût pas été trompé et elle n'aurait pas répondu aux questions du serpent (Gn 3,2 s.). La mort est entrée par la fenêtre (Jr 9,21), j'entends par la porte d'Eve. La mort entre par ta porte si tu dis des faussetés, si tu as des paroles honteuses, effrontées, ou déplacées. Que les battants de tes lèvres soient donc clos, que le vestibule de ta voix demeure verrouillé ! Alors peut-être faudra-t-il le déverrouiller quand tu entendras la voix de Dieu, quand tu entendras la parole de Dieu.

5082 82. C'est alors que la myrrhe suintera pour toi (Ct 5,5), c'est alors que la grâce du baptême soufflera sur toi, pour te faire mourir aux choses du inonde avec le Christ et ressusciter avec le Christ. « Qu'avez-vous encore, est-il dit, à juger comme si vous étiez de ce monde ? Ne touche pas, n'aie pas de contact, ne goûte pas à ce dont l'usage mène à la corruption. » (Col 2,20 s.)29. La corruption doit être étrangère aux chastes : ensevelis donc le soin de la chair et du monde. « Ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où est le Christ. » (Col 3,1). En cherchant le Christ, tu vois Dieu le Père, car le Christ trône à la droite de Dieu.

29. Saint Ambroise utilise ici le texte de saint Paul dans un sens différent de la pensée de l'Apôtre : car celui-ci représentait les faux docteurs, les judaïsants, voulant perpétuer et imposer aux chrétiens les interdictions mosaïstes de tout contact impur. De cette mise en scène, — et mise en garde — Ambroise fait un conseil de perfection.


5083 83. Mais celle qui cherche le Christ ne doit pas se répandre, elle ne doit pas être au forum ni sur les places, querelleuse en paroles, lascive en sa démarche, facile à approcher, vulgaire en son regard. L'Apôtre t'interdit le commerce avec la terre et, dépassant presque les limites de la nature, t'enseigne à t'envoler vers le ciel sur les ailes de l'esprit : « Ayez, dit-il, le goût des choses d'en haut, non de celles de la terre. » (Col 3,2). Mais c'est chose impossible tant qu'on est enfermé dans ce corps comme en une clôture ; et à la mort du corps, l'âme, nous dit-on, reprend son vol vers les hauteurs, enchaînée qu'elle était pendant notre vie par la loi de notre nature. Il ajoute : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. » (Col 3,3). Si elle est cachée avec le Christ en Dieu, qu'elle ne se montre pas au monde ; car le Christ est mort au monde et vit pour Dieu.

5084 84. Vois maintenant comment le Christ aime être désiré, lui qui n'aime pas les bavardages. Donc cette vierge a ouvert sa porte au Verbe de Dieu ; mais, dit-elle, « il était passé et mon âme est sortie sur sa parole » (Ct 5,6) : sortie du monde, sortie du siècle, demeurant dans le Christ. « Je l'ai cherché, dit-elle, et ne l'ai pas trouvé » (), car le Christ aime qu'on le cherche longtemps.

5085 85. Les gardes des remparts l'ont rencontrée. Peut-être existe-t-il d'autres gardes, à qui il faut plutôt penser ? Il est en effet une cité qui ne tient pas closes les portes de ses murailles ; d'elle il a été dit : « Ses portes ne se ferment pas de tout le jour. » (Ap 21,25) De nuit, il n'y en aura plus chez elle ; les nations lui déféreront gloire et honneur. C'est la cité de Jérusalem qui est au ciel (He 12,22), où tu seras gardée parfaite et sans tache : car il n'y entre rien de vulgaire. Vulgaire, la chasteté ne l'est pas ; vulgaire, la pureté ne l'est pas, inscrite qu'elle est au livre de vie (Ap 21,27).

5086 86. Si donc nous avons découvert la cité, entrons-y ; voyons sa lumière, voyons ses remparts, voyons ses tribus (Ps 121,4), voyons les fondations de ses murailles ; voyons même les gardes de ses remparts. Mais comment y entrer ? Dans cette cité est la vie, il n'y a qu'un chemin conduisant à la vie : or le chemin c'est le Christ (Jn 14,6), suivons donc le Christ. Mais la cité est au ciel : comment monter au ciel, l'Évangéliste nous le dit : « Et l'Esprit me conduisit sur une grande et haute montagne, et il me montra la cité sainte de Jérusalem descendant du ciel. » (Ap 21,10) Montons donc en esprit, car la chair n'y peut monter. Montons, nous, pour le moment au ciel, pour que plus tard descende vers nous du ciel celle où la lumière est comme une pierre très précieuse, pierre de jaspe et de cristal (Ap 21,11). Elle possède une muraille grande et élevée.

5087 87. Tu as reconnu la lumière, reconnu le rempart ; reconnais les portes, reconnais les gardiens : « Elle a, est-il dit, douze portes, et aux douze portes douze anges, et sur elles sont inscrits les noms des douze tribus des enfants d'Israël. » (Ap 21,12) Sur les portes se trouvent les noms des patriarches, sur le rempart ceux des Apôtres ; car les fondations de la cité ce sont les Apôtres (Ap 21,14). La pierre d'angle c'est le Christ, sur qui s'élève toute la construction (Ep 2,20-21). Dieu est au dehors, Dieu au dedans, Dieu partout : la cité, est-il dit, est remplie de la majesté de Dieu (Ap 21,11). Donc vous aussi, vierges saintes, et tous ceux qui sont justes et possèdent en leur âme une chasteté sans tache, vous êtes citoyens du sanctuaire et de la maison de Dieu (Ep 2,19). Mais vous posséderez cette noblesse de race si vous cherchez le Christ dans l'enceinte de cette cité : vous y entrez par la foi et par la valeur de vos actions, éclairées par la lumière des patriarches, établies sur les Apôtres, vivant avec les anges.

5088 88. Comment donc sont-ils les anges, ces gardes qui enlèvent son manteau à l'âme sainte (Ct 5,7) ? Autre est le manteau des vierges, autre celui de l'adolescence vagabonde. Celle qui cherche le Christ sur la place perd même le manteau qu'elle avait ; car la prudence ne s'obtient pas au forum ni sur les places, mais dans l'Église. Et peut-être, pour faire plaisir même à ceux-là et enseigner que Dieu est miséricordieux pour tous, — car ceux-là même finissent par trouver le Christ, pourvu cependant qu'ils le cherchent sans cesse —, ce manteau est le vêtement du corps.

5089 89. Celui donc qui a cherché le Christ sur sa couche — si toutefois il l'a cherché comme celui qui disait : « Si je me suis souvenu de toi sur ma couche » (Ps 62,7), s'il l'a cherché la nuit, selon qu'il est écrit : « Dans la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire » (Ps 133,2) ; s'il l'a cherché dans la ville, au forum et sur les places, dans la ville de notre Dieu, sur le forum peut-être où siège le juge de droit divin, sur les places d'où furent rassemblés ceux qui vinrent au repas du Seigneur (Lc 14,21) — il peut, en cherchant longtemps, rencontrer les anges qui gardent la cité de Dieu.

5090 90. Même la nature céleste des gardiens nous permet de comprendre que céleste est la cité, céleste le forum de la justice éternelle et non méprisables les places, mais peut-être celles où a coutume de se répandre la source dont il est écrit : « Que les eaux de ta source se répandent pour toi, et que tes eaux se déversent sur tes places. » (Pr 5,16) Celui qui cherche ainsi le Christ, arrive aux anges.


5091 Mais si l'on arrive aux anges par de bons mérites, pourquoi celui qui arrive est-il blessé ? Il existe un bon glaive, et de ce glaive la blessure est bonne. Le Verbe de Dieu blesse, mais n'ulcère pas : il y a une blessure du bon amour, il y a les blessures de la charité ; aussi est-il dit : « Je suis blessée d'amour. » (Ct 2,5) Celle qui est parfaite est blessée d'amour. Bonnes sont donc les blessures du Verbe, bonnes les blessures de celui qui aime, car « les blessures d'un ami sont plus utiles que les baisers affectés d'un ennemi » (Pr 27,61). Rébecca fut blessée d'amour : quittant ses parents, elle s'en alla vers son époux (Gn 24,58s.) ; blessée d'amour, Rachel, qui jalousa sa soeur et aima son mari (Gn 30,1) ; parce que sa soeur avait des fils en abondance, elle encore stérile la jalousait : c'est qu'elle figurait l'Église, à qui il est dit : « Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas ; éclate en cris, toi qui n'as pas d'enfants. » (Is 54,1)


5092 Les gardes l'ont donc rencontrée, l'ont blessée et lui ont enlevé son manteau, c'est-à-dire lui ont retiré l'enveloppe de l'activité corporelle, afin qu'elle cherchât le Christ dans la pure simplicité de l'esprit : car personne ne peut voir le Christ s'il est revêtu du manteau de la philosophie, du vêtement de la sagesse du monde. Et il est bon qu'on lui enlève le manteau de la philosophie, pour que personne ne la déçoive par la philosophie (Col 2,8). Il est bien qu'on enlève le manteau à celle qui approche du Christ, afin qu'elle entre le coeur pur pour voir Dieu, car « Bienheureux les coeurs purs, ce sont eux qui verront Dieu. » (Mt 5,7) Aussi bien, une fois le coeur purifié, elle a trouvé le Verbe, elle a vu Dieu.


5093 Cherche-le donc, ô vierge. Ou plutôt cherchons-le tous : car l'âme n'a pas de sexe. Mais peut-être lui a-t-on donné le nom de femme, parce que celle-ci est poussée par une chaleur du corps plus violente, tandis que l'âme apaise les poussées de la chair, de façon douce et caressante, par son amour.


5094 Nous devons donc appeler Dieu, par nos prières et nos supplications, afin qu'il daigne nous donner son souffle, comme un bon zéphir et répandre sur nous la brise du Verbe céleste, celle qui ne secoue pas les arbres fruitiers comme un vent violent, mais les berce par un souffle léger, par une douce haleine. Il est écrit ensuite : « Il a fait de moi les chars d'Aminadab » (Ct 6,11), car, tant que notre âme est unie au corps, le char a besoin d'un conducteur pour gouverner ses chevaux frémissants. Aminadab fut le père de Naasson — nous le lisons au livre des Nombres (Nb 1,7) — qui était chef de la tribu de Juda ; sa figure se rapporte au Christ, véritable chef du peuple ; il monte sur l'âme du juste, comme un conducteur de chars et la gouverne par les rênes de la parole, pour que la fureur des chevaux fougueux ne l'emporte pas aux abîmes.


5095 Elle a en effet quatre sortes de chevaux, quatre passions : la colère, la convoitise, la volupté, la crainte. Lorsqu'elle est agitée par leur fougue, elle ne se connaît plus elle-même ; le corps corruptible appesantit l'âme, et, tel un char attelé d'animaux sans raison, l'entraîne malgré elle, emportée par le cours impétueux de ses soucis, jusqu'à ce que ces passions du corps soient calmées par la vertu du Verbe. L'attention du Verbe, comme d'un bon conducteur, consiste à veiller à ce que l'âme, par elle-même non sujette à la mort, n'éprouve de la difficulté à se conduire par le fait du corps qui lui est uni.


5096 Elle doit donc d'abord maîtriser les brusques mouvements de son corps et les retenir par les traits de la raison, de peur d'être gênée par l'allure inégale de ce cheval, dont la méchanceté gâte le bien, dont la lenteur le retarde, dont l'emballement le trouble ; car le cheval du mal frémit, en s'agitant il endommage le char, il fatigue son compagnon. Le bon conducteur le calme, le conduit dans la plaine de la vérité et le détourne des écueils de l'erreur. La course vers les hauteurs est assurée, dangereuse la descente vers les bas-fonds. Aussi les éprouvés qui ont bien porté le joug du Verbe sont-ils conduits jusqu'à la crèche du Seigneur, où ce n'est pas le foin qui nourrit, mais le pain descendu du ciel.


5097 Ce char a des roues, dont le Prophète a dit : « Et l'Esprit de vie était dans les roues » (Ez 1,20), afin que le char de l'âme roule aisément, rondement et sans heurt.


5098 Mais, pour ne pas nous étendre davantage, le Verbe de Dieu est invité au verger des noix (Ct 6,10), où se trouvent le fruit de la lecture des prophètes et la grâce sacerdotale, arrière par les épreuves, pénible par les travaux, fructueuse au-dedans par les vertus30. C'est pourquoi la baguette d'Aaron a produit des noix (Dt 17,13 s.), non par nature, mais par une force mystérieuse. Qu'il descende donc dans son verger, vendanger la foi, respirer les parfums, trouver la nourriture céleste, goûter à la douceur de notre miel : «J'ai récolté, dit-il, la myrrhe et les aromates ; j'ai mangé mon pain et mon miel » (Ct 5,1). Ce miel, recueilli sur les fleurs des diverses vertus, agglutiné par le labeur coordonné de ces abeilles qui annoncent la sagesse, la sainte Église le dépose en des rayons, pour être la nourriture du Christ.

30. C'est tout le symbolisme de la noix : son enveloppe amère, sa coque dure, la saveur de son fruit.


5099 Nous avons donc toutes choses dans le Christ. Que toute âme vienne à lui, soit malade des péchés du corps, soit clouée par les clous de la convoitise du siècle, soit encore imparfaite tout en progressant par une réflexion assidue, soit ayant déjà une certaine perfection par de multiples vertus : tout est au pouvoir du Seigneur et le Christ est tout pour nous. Tu désires guérir ta blessure : il est médecin ; tu brûles de fièvre : il est l'eau ; l'iniquité pèse sur toi : fi est justice ; tu as besoin de secours : il est force ; tu crains la mort : il est la vie ; tu désires le ciel : il est la voie ; tu fuies les ténèbres : il est la lumière ; tu cherches une nourriture : il est aliment. Donc « Goûtez et voyez comme le Seigneur est suave ; heureux l'homme qui espère en lui » (Ps 33,9).


Ambroise virginité 5042