Ambroise virginité 6005

Attitudes convenant aux vierges.

6005 5. La virginité a une sorte de dot : la réserve, qui se traduit par le silence. Aussi la gloire de l'Église est-elle intérieure (Ps 44,14), assurément pas dans le verbiage mais dans le sens et l'approfondissement des mystères ; c'est ce qu'elle dit à l'Époux : « Qui te donnera à moi, frère allaité aux mamelles de ma mère ? Quand je te trouverai au dehors, je t'embrasserai et on ne me méprisera pas. Je t'emmènerai, je te conduirai dans la maison de ma mère, dans la chambre secrète de celle qui m'a conçue » (Ct 8,1-2) ; et plus haut elle dit : « Le Roi m'a introduite dans sa chambre » (Ct 1,3).

6006 6. L'Église embrasse le Christ au-dehors et par lui est introduite dans sa chambre. Il l'a embrassée au-dehors lorsque « sortant comme un époux de sa chambre, il a bondi comme un géant pour parcourir sa voie » (Ps 18,6). Il est comme un géant au-dehors, parce que ne jugeant pas devoir retenir son égalité avec Dieu, il a pris la forme d'un serviteur » (Ph 2,6-7) : il est donc devenu extérieur, lui qui était au-dedans. Vois-le au-dedans, quand tu lis qu'il est au sein du Père (Jn 1,18) ; reconnais-le au-dehors, quand il nous cherche pour nous racheter. Il est sorti de lui-même, pour m'être intérieur, pour être au-dedans de nous.

6007 7. Alors soyons dans le milieu où est le Christ, enraciné et fixé en nos coeurs. Aussi, suivant son précepte, « lorsque tu pries, entre dans ta chambre » (Mt 6,6) et répands ton âme sur toi (Ps 42,5) : ta chambre, c'est le secret de ton intérieur ; ta chambre, c'est ta conscience. Aussi bien, l'Ecclésiaste te dit : « Même en ta conscience, ne dis pas du mal du roi et ne voue pas le riche à la malédiction dans le secret de tes appartements » (Qo 10,20). Prie donc là et prie dans le secret, afin d'être entendue de celui qui écoute dans le secret (Mt 6,6) ; et prie sans colère, sans agitation, renonçant à la honte qui se cache ; le juste ne craint pas la publicité du crime, mais sa souillure.

6008 8. Combien bonne est la prière accompagnée de miséricorde ! Bonne la prière qui observe cet ordre : commencer avant tout par la louange divine. Lorsque nous traitons avec un homme, nous tâchons de gagner la bienveillance du juge : à plus forte raison lorsque nous prions notre Seigneur !3 Donc, avant tout, immolons à Dieu un sacrifice de louange (Ps 115,17) : ce qui fait dire à l'Apôtre : « J'exhorte à faire avant tout des prières, des supplications, des demandes, des actions de grâces » (1Tm 2,1).

3. On serait tenté de croire que ce passage a inspiré saint Benoît dans son rappel des dispositions requises pour la prière (Règle, RB 20).


6009 9. Laisse-toi enseigner par le psaume huitième de David, qui commence par la louange de Dieu : « Seigneur, notre Seigneur, comme ton nom est admirable par toute la terre ! Ta magnificence est élevée au-dessus des deux ; Tu as recueilli la louange sur les lèvres des enfants et des nourrissons » (Ps 8,2 s.). Jusque-là c'est la prière, puis vient la supplication pour que l'ennemi soit détruit, ensuite la demande de voir la lune et les étoiles : la lune, c'est l'Église ; les étoiles, les enfants de l'Église, resplendissants de la lumière de la grâce céleste ; et ce qu'il demande, l'esprit de prophétie fait qu'il se promet de le voir ; enfin l'action de grâces, de ce que Dieu veille sur l'homme et daigne fortifier ce limon de notre corps par la visite divine, ou de ce qu'il a soumis à l'homme toutes les espèces d'animaux.

6010 10. De même la Prière du Seigneur renferme tout : il n'est pas nécessaire de l'exposer ici en détail4. Pour toi qui lis, reconnais les distinctions à faire ; mais surtout, comme je l'ai exposé au début, la prière doit se recommander par la placidité et la tranquillité de l'âme, en sorte que chacun soit stable et cohérent et que se réalise ce qui est écrit : « Si deux d'entre vous sont d'accord sur terre, quoi qu'ils demandent, mon Père qui est dans les cieux le leur accordera. Car dès que deux ou trois se réunissent en mon nom, je suis là au milieu d'eux » (Mt 18,19-20).

4. La « tradition » du Pater et son commentaire faisaient partie de la préparation au baptême. Saint Ambroise, qui s'est acquitté de ce devoir, dans le De Sacramentis et dans le De Mysteriis, juge que ce n'est pas lieu d'y revenir.


6011 11. Ces deux, qui sont-ils ? N'est-ce pas l'âme et le corps ? C'est pourquoi Paul châtiait son corps et le réduisait en esclavage (1Co 9,27), en sorte que la chair fût soumise à l'âme comme à sa souveraine et obéît aux ordres de l'esprit, qu'il n'y eût pas, au-dedans d'un même homme, dissension, guerre intestine, révolte de la loi du corps contre la loi de l'esprit. Il rapprochait donc ces deux éléments divers par la raison et la paix, comme il l'affirme lui-même : « Le Christ, dit-il, est notre paix ; de deux il n'a fait qu'un seul ; il a détruit la muraille qui formait clôture et aboli en lui-même les inimitiés » (Ep 2,14), de manière à ne pas faire ce qu'on ne voulait pas, ni accomplir ce que l'on détestait. Voilà donc les deux : l'âme et le corps ; ce qui faisait dire à David : « Je ne craindrai pas ce que peut faire la chair » (Ps 55,5), qu'il savait être ennemie de son âme.

6012 12. Or, pour mettre la chose en plus grande évidence, ces deux ne sont pas seulement deux choses, mais deux hommes, l'un intérieur, l'autre extérieur. Si ces deux êtres s'accordent en un même propos, en sorte que les pensées cadrent avec les actes, la roue de notre vie tourne sans heurt5, ainsi qu'il est écrit : « La voix de ton tonnerre se fait entendre dans la roue » (Ps 76,19). Ces deux ne sont donc qu'un : non seulement une chose, mais un seul homme. Aussi l'Apôtre dit-il : « Afin de fondre tous les deux en un seul homme pour faire la paix et les réconcilier tous deux en un même corps avec Dieu, mettant à mort en lui-même sur la croix les inimitiés... afin qu'en l'un et l'autre nous ayons accès au Père dans un même Esprit » (Ep 2,15 s.).

5. Voir le traité De la Virginité, § 117.


6013 13. Il y a également deux hommes : l'ancien et le nouveau. L'ancien est sujet au péché, désuet, fatigué et déchiré à la façon d'un vieux vêtement : au baptême, nous le clouons à la croix. Sur quoi l'Apôtre dit : « Notre vieil homme a été en même temps cloué à la croix, pour détruire le corps du péché, pour que nous ne soyons plus esclaves du péché » (Rm 6,6). Donc l'ancien est cloué, pour mourir au péché, afin que ressuscite le nouveau, renouvelé par la grâce. Voilà pour les deux.

6014 14. Tel dira peut-être : Que dis-tu des trois ? Car l'Ecriture dit : « Lorsque deux ou trois se réunissent en mon nom, je suis là au milieu d'eux » (Mt 18,20). Ici encore, l'explication est claire, car le même Apôtre dit : « Que le Dieu de paix vous sanctifie en tous points, afin que votre tout, esprit, âme et corps, soit conservé sans reproche jusqu'au jour où viendra Notre-Seigneur Jésus-Christ » (1Th 5,23). Lors donc que ces trois sont intacts, le Christ est là au milieu d'eux, qui les gouverne et conduit par le dedans et les maintient dans une paix fidèle.

6015 15. Que la vierge, plus que les autres, garde intacts ces trois êtres, de manière à ne pas mettre en péril la sainte virginité, à être sans reproche, sans ride, sans tache. Nous avons traité ce sujet en plus d'un livre ; cependant, en considération de notre chère enfant, il nous a paru bon de t'adresser ce livre.

Éloge de la virginité et plaidoyer pour le sexe féminin.

6016 16. Bonne virginité ! Non seulement elle a absous de leur faute l'un et l'autre sexe, mais encore elle les a appelés à la grâce. Or il nous arrive souvent d'accuser le sexe féminin d'être à l'origine de notre égarement et nous ne prenons pas garde que le reproche pourrait nous être retourné à juste titre. Car, pour prendre les choses par le début et en considérer l'origine, nous examinerons combien il lui fut donné, et, dans la condition misérable de l'humaine faiblesse, comment a trouvé grâce celle qui pourtant était femme.

6017 17. Dieu avait fait l'éloge de tous ses ouvrages : le ciel, la terre, les mers, la nuit et le jour, celui-ci se prêtant à l'exercice du travail, celle-là au repos bienfaisant ; il avait loué les bêtes féroces ; quand il en est venu à l'homme, il semble que seul ne doive pas être loué celui en vue de qui tout a été engendré (Gn 2,12 s.). Quelle en est la raison ? Peut-être parce que le reste est apparent, l'homme caché ? Dans les bêtes, tu ne trouveras rien de plus que ce qui se voit ; chez l'homme rien n'est plus bas que ce qui se voit. Il est composé d'une âme et d'un corps : à coup sûr l'esclave est chez lui ce que l'on voit, le souverain ce que l'on ne voit pas.

6018 18. Donc, il est à propos que les autres êtres soient loués dès le principe ; pour celui-ci l'éloge n'est pas prononcé, mais tenu en réserve. C'est que pour les autres la beauté est au-dehors, pour celui-ci au-dedans ; pour les autres dans leur nature, pour celui-ci dans le coeur. Est-il chose aussi élevée et aussi profonde que l'esprit de l'homme, recouvert et voilé sous l'enveloppe du corps, si bien qu'il n'est ni aisé ni possible de le voir et de le considérer par le dedans ? Aussi l'homme n'est pas loué dès le début ; ce n'est pas d'après son enveloppe extérieure, mais d'après l'homme intérieur qu'il faut d'abord l'évaluer, et alors faire son éloge. C'est ce qu'a heureusement exprimé l'apôtre Pierre quand il a dit que « l'homme du coeur est caché, dans la pureté sans atteinte d'un esprit paisible et modeste, riche aux yeux de Dieu » (1P 3,4).

6019 19. Son éloge est donc différé, pour être ensuite payé avec intérêts : retard qui n'est pas détriment, mais enrichissement. Que personne donc ne se méprise comme sans valeur ni ne s'estime sur l'aspect de son corps. Il est vrai, le saint homme Job a dit : « Nu je suis sorti du sein de ma mère, nu je m'en irai d'ici » (Jb 1,21) ; il avait pourtant de quoi être jugé riche non seulement parmi les hommes, mais même aux yeux de Dieu.

6020 20. Est-il richesse plus grande qu'être à l'image et à la ressemblance de Dieu ? Or c'est l'homme intérieur qui est à cette image, non l'extérieur, celui qui est perçu par l'intelligence, non celui qui est saisi par les yeux. Nous devons donc considérer celui dont l'étude demande plus de soin. Ainsi Dieu n'a pas jugé à propos de louer la forme de l'homme, parce que son meilleur côté est la vertu. Son apparence est certes remarquable et l'emporte sur celle des autres animaux ; mais les êtres sans raison sont évalués d'après leur apparence corporelle ; ceux qui sont pourvus de raison ne se prêtent pas à la louange commune.

6021 21. L'homme doit donc, à mon avis, être admiré comme éminent et excellent non pas tant pour son visage que pour ses sentiments, en sorte qu'on le loue de cela même qui fait louer Dieu, au sens du Prophète, selon l'Écriture : « Redoutable en ses desseins plus que les enfants des hommes » (Ps 65,5). Il faut que ses oeuvres resplendissent devant Dieu, qu'il tresse sans cesse de bonnes actions. Aussi ne doit-on pas le louer au début mais à la fin, car « nul n'est couronné s'il n'a lutté selon les règles » (2Tm 2,5) ; aussi le Sage vous dit-il : « Ne louez aucun homme avant sa mort » (Si 11,28). Pourquoi s'exprime-t-il ainsi, il l'a enseigné plus haut : « C'est à la fin d'un homme que ses oeuvres sont mises à nu » (Si 11,29).

6022 22. Considérons un troisième point par où Dieu a fait connaître sa pensée. Quant il eut créé l'homme et l'eut placé dans le paradis pour le cultiver et le garder, il dit qu'il n'est pas bon pour l'homme d'être seul : « Faisons-lui, dit-il, une aide semblable à lui » (Gn 2,18). Sans la femme, par conséquent, pas de louange pour l'homme, c'est grâce à la femme que son éloge est fait ; car dire qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul, c'est à coup sûr affirmer que l'espèce humaine est bonne une fois qu'au sexe masculin s'ajoute le sexe féminin.

6023 23. Considérons également ceci : lui a été fait de terre et de boue, elle de l'homme. Sans doute sa chair aussi est boue, mais là encore informe, ici formée.

6024 24. Maintenant produisons le remarquable témoignage de l'Apôtre que nous possédons par écrit : « L'homme quittera père et mère pour s'attacher à une épouse, et ils seront deux dans un même corps. C'est là un grand mystère : je veux dire quant au Christ et à l'Église » (Ep 5,31-32). Nous remarquons donc que par la femme s'est accompli le mystère céleste de l'Église, qu'en elle a été figurée la grâce pour laquelle le Christ est descendu et a réalisé l'ouvrage éternel de la rédemption de l'homme. Aussi Adam donna-t-il à sa femme le nom de Vie (Gn 2,23) : car parmi les peuples c'est par la femme que se répand et se propage la succession de l'espèce humaine et par l'Église qu'est donnée la vie éternelle.

6025 25. Bien sûr nous ne saurions nier que la femme a erré. Pourquoi cependant s'étonner si le sexe faible a erré et s'il est tombé, puisque même le sexe fort est tombé ? La femme a une excuse à son péché, l'homme n'en a pas. Elle, comme l'affirme l'Écriture, a été trompée par le serpent, le plus rusé de tous les êtres (Gn 3,1) ; toi, par la femme. Autrement dit, elle a été trompée par une créature supérieure, toi par une inférieure ; car toi, c'est la femme qui t'a trompé ; elle, ce fut un ange, mauvais sans doute. Si tu n'as pu résister à un être inférieur, comment l'aurait-elle pu à un être supérieur ? Ta faute l'absout.

6026 26. Tu n'es pas sûr de la qualité de la faute ? Examinons la sentence. Elle, il lui fut dit : « Tu engendreras tes enfants dans la tristesse, tu iras à ton époux et il te dominera » (Gn 3,16) ; à l'homme il est dit : « Tu es terre, et tu t'en iras à la terre » (Gn 3,19). Et c'est réellement une juste sentence : en effet, si Adam n'a pu observer ce que lui avait fait entendre le Seigneur Dieu, comment la femme eût-elle pu observer ce qu'elle avait appris de l'homme ? Si celui-ci n'a pas été affermi par la parole de Dieu, comment une parole humaine eût-elle affermi celle-là ?

6027 27. Aussi bien Adam, pris à partie6 pour avoir mangé, malgré les préceptes divins qu'il avait personnellement entendus, n'a-t-il rien trouvé à dire, sinon que la femme lui avait donné et qu'il avait mangé ; au lieu que la femme dit : « Le serpent m'a trompée et j'ai mangé » (Gn 3,13), Comme l'excuse de la femme est plus forte ! Lui reçoit le reproche, celle-ci est questionnée. Ajoutez qu'elle est la première à avouer sa faute : car dire qu'elle a été séduite, c'est reconnaître son erreur ; l'aveu de son erreur en est le remède.

6. Ambroise emploie ici un terme juridique : convenue, prendre à partie, mettre en demeure, citer en jugement.


6028 28. Dans ce procès même, comme la femme est plus clémente que l'homme ! Lui accuse sa femme, elle le serpent : donc elle n'a pas renvoyé l'accusation, aimant mieux, s'il était possible, dégager son accusateur que le lier.

6029 29. Ainsi tu as l'absolution 7 de la faute par son aveu, celle de la sentence en son exécution. « C'est dans la tristesse, est-il dit, que tu engendreras des enfants ». Elle reconnaît le poids de sa condamnation, elle acquitte la charge de sa condition de condamnée. C'est pour toi que la femme endure ses douleurs, et dans son châtiment elle trouve sa récompense, afin d'être libérée par les enfants qui font son tourment. Ainsi le bienfait vient de la souffrance, la santé de l'infirmité ; car il est écrit : « Elle sera sauvée en engendrant des enfants » (2Tm 2,15). Ainsi elle enfante dans la santé8 ceux qu'elle a portés dans la tristesse, et elle élève pour sa louange ceux qu'elle a enfantés dans la douleur.

7. Le même mot absolutio recouvre ici deux réalités différentes : absolution de la faute, méritée par l'aveu qui en est fait ; exécution, acquittement de la sentence : absolvere est à rapprocher de solvere, payer.
8. Il y a ici passage d'un sens à l'autre du mot sains, qui signifie salut ou santé. Eve est sauvée en engendrant des enfants. A rapprocher du texte cité plus haut par Ambroise.


6030 30. Mais tu me dis, ô homme, que la femme a été tentation pour l'homme. C'est vrai. Et si elle est belle, voilà une autre tentation. Pourtant, lorsque Abraham descendit en Egypte, la beauté de son épouse ne lui a pas fait tort, mais il y a gagné : il a eu des honneurs à cause de son épouse, on ne s'est pas joué de lui à cause d'elle (Gn 12,16-20). Mais toi, pourquoi rechercher dans une épouse la beauté du visage plutôt que celle de la conduite ? Que l'épouse te soit agréable par l'honnêteté plutôt que par la beauté ; que l'on fasse choix de celle qui imitera la conduite de Sara. Il n'y a pas faute pour une femme à être ce que l'a faite sa naissance ; mais il y a faute pour l'homme à rechercher dans la femme ce qui souvent est tentation : si la femme est plus faible, c'est elle qui succombe ; si elle est plus forte, l'homme est en danger. Nous ne pouvons nous en prendre à l'ouvrage de l'artisan divin ; mais si l'on a plaisir à la beauté du corps, on doit bien plutôt être charmé de cette grâce intérieure qui est à l'image de Dieu, non de l'attrait extérieur.

6031 31. Si donc l'épouse est tentation, redouble de prudence, cherche un remède au danger de la tentation : « Veillez, est-il dit, et priez, pour ne pas être exposés à la tentation » (Mt 26,41). Le Seigneur a parlé ainsi, l'homme l'a entendu, la femme le réalise. Chaque jour des femmes jeûnent et elles ne pratiquent pas des jeûnes imposés ; elles reconnaissent leur péché, elles prennent le remède. La femme a une fois mangé du fruit défendu, chaque jour elle répare par le jeûne. Tu as imité son égarement, imite sa réparation. Vous avez mangé tous les deux : pourquoi est-elle seule à jeûner ? Autrement dit, vous avez péché tous les deux : pourquoi est-elle seule à chercher un remède à son égarement ?

6032 32. Viens, Eve, à présent sobre ; viens, Eve ; si toi-même fus un jour intempérante, tu jeûnes en ta postérité. Viens, Eve, désormais en situation non pas d'être exclue du paradis, mais d'être enlevée au ciel. Viens, Eve, désormais Sara, pour mettre au jour des enfants, non dans la tristesse, mais dans l'allégresse, non dans la douleur, mais avec le sourire9 ; plus d'un Isaac naîtra de toi. Viens encore, Eve, désormais Sara, de laquelle on puisse dire à son époux : « Écoute Sara ton épouse » (Gn 21,12). Sois sans doute soumise à l'homme, car cela convient ; pourtant tu as vite purgé ta peine, si bien qu'on ordonne à l'homme de t'écouter.

9. Il y a double allusion : au rire incrédule de Sara lorsque Dieu annonce à Abraham la naissance d'un fils (Gn 18,12), puis au rire joyeux qui accueille cette naissance (Gn 21,6).


Éloge de Notre Dame et de la virginité.

6033 33. Si en engendrant la figure du Christ celle-là a mérité d'être écoutée par l'homme, quelle est la grandeur du sexe qui a engendré le Christ, la virginité étant sauve ! Viens donc, Eve, désormais Marie, qui non seulement nous as apporté un stimulant à la virginité, mais donné le Christ. Ce qui fait dire à Isaïe, joyeux et exultant d'un tel bienfait : « Voici qu'une vierge concevra dans son sein et engendrera un fils, et il sera appelé du nom d'Emmanuel » (Is 7,14), qui se traduit : « Dieu avec nous » (Mt 1,23). D'où vient ce don ? Ce n'est certes pas sur terre, mais au ciel que le Christ a fait choix de l'instrument par lequel il descendrait et consacré le temple de la pureté. Par une seule il est descendu, mais il en a appelé une multitude. Aussi Marie Mère du Seigneur a-t-elle reçu ce nom particulier, qui signifie Dieu de ma race 10.

10. L'étymologie proposée est sujette à caution ; la suivante se soutient mieux.


6034 34. Plus d'une auparavant s'est appelée Marie : car la soeur d'Aaron s'appelait aussi Marie (Ex 15,20 Ex 15,23) ; mais cette Marie-là voulait dire : amertume de la mer. Le Seigneur est donc venu dans l'amertume de la faiblesse humaine, pour que l'amertume de notre condition s'adoucît, trempée de la douceur et de la grâce du Verbe céleste. Tel fut le symbolisme de la source de Merrha adoucie par le bois : car le peuple des nations, amer jusque-là par ses péchés - ou bien notre chair - devait être métamorphosé en d'autres moeurs par le mélange de la Passion du Seigneur11.

11. L'amertume des eaux fut corrigée par le bois qu'on y trempa (Ex 15,23-25) ; l'amertume des péchés est corrigée par le bois de la Croix.


6035 35. Marie est donc hors de pair : elle a élevé l'étendard de la virginité sainte et déployé pour le Christ les pieuses enseignes de la virginité sans tache. Et pourtant, alors que tous sont invités par l'exemple de sainte Marie à cultiver la virginité, il s'en est trouvé pour nier qu'elle soit demeurée vierge. Nous avons longtemps préféré nous taire sur un tel sacrilège ; mais puisque nous sommes saisis de l'affaire au point que même un évêque est accusé de cette défaillance12, nous ne pensons pas pouvoir le laisser sans condamnation, étant donné surtout que nous lisons au sujet de Marie le nom de femme : Ainsi, à Cana de Galilée, lorsqu'elle dit au Seigneur : « Ils n'ont plus de vin, mon Fils », il lui répond : « Qu'est-ce que cela signifie pour moi et pour toi, femme » (Jn 2,3-5) ? Et nous lisons ailleurs que Matthieu dit de Joseph et de Marie : « Avant qu'ils ne s'unissent, il se trouva qu'elle avait conçu de l'Esprit-Saint » (Mt 1,18) ; et, plus loin : « Il ne la connut pas jusqu'à son enfantement » (Mt 1,25) ; et encore, parlant de Joseph : « Il ne voulut pas la dénoncer » (Mt 1,19). Et « les frères du Seigneur » semblerait indiquer qu'ils sont nés de Marie (Mt 12,46-47). Et l'Apôtre dit : « Une fois les temps accomplis, Dieu envoya son Fils, formé d'une femme, placé sous la Loi » (Ga 4,4). Nous allons débrouiller tous ces points un par un, afin que le lecteur ne soit pas arrêté par les entraves de ces expressions. Nous répondons par ordre.

12. Les erreurs de Bonose, évêque de Naissus, occupèrent plusieurs synodes ou assemblées épiscopales, au cours de l'année 392 : ce qui permet de dater, au moins approximativement, le présent ouvrage.


6036 36. Pourquoi nous émouvoir de ce nom de femme ? Il a trait au sexe ; il ne signifie pas la corruption, mais le sexe : l'usage commun ne saurait prévaloir contre la vérité. Au reste la virginité a reçu ce nom en premier lieu : car lorsque le Seigneur eut pris une des côtes d'Adam et l'eut remplacée par de la chair, « Il en construisit, est-il dit, une femme » (Gn 2,22). A coup sûr, elle n'avait pas encore connu l'homme et on l'appelait déjà femme. L'Écriture d'ailleurs ne nous cache pas la raison de ce nom : « Adam, est-il écrit, dit : c'est l'os de mes os et la chair de ma chair ; on l'appellera femme, parce qu'elle a été prise sur l'homme » (Gn 1,23) : parce que prise sur l'homme, non parce qu'elle a connu l'homme. Ainsi, tant qu'elle fut dans le paradis, on l'appelait femme, et l'homme ne la connaissait pas ; une fois chassée du paradis, alors nous lisons qu'Adam connut son épouse Eve, qu'alors elle conçut et enfanta un fils (Gn 4,1). Voilà résolue la première difficulté.

6037 37. Deuxième question : Il est écrit : « Avant qu'ils ne s'unissent, il se trouva qu'elle avait conçu » (Mt 1,18). Mais la coutume de l'Écriture est de décider l'affaire engagée et de différer l'accessoire13.

13. Le magistrat que fut Ambroise se retrouve ici encore, avec la distinction, dans un procès, entre jugement sur le fond, au principal, et l'ajournement des accessoires ou incidents.


6038 38. Et par là se trouve résolue la troisième question, à propos de ces mots : « Il ne la connut pas, jusqu'au jour où elle enfanta un fils » (Mt 1,19). Alors, il la connut dans la suite ? Pas du tout. Aussi bien vous trouvez écrit : « Je suis Dieu, et jusqu'à votre vieillesse je suis » (Is 46,4) ; alors une fois arrivés à la vieillesse ceux à qui on disait : « jusqu'à », Dieu a cessé d'être ? De même nous lisons dans l'écrit prophétique de David : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Prends siège à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds » (Ps 109,1) : Est-ce que, une fois soumis les peuples des nations — qui semblaient auparavant ennemis, lorsqu'ils reniaient l'auteur du salut pour être esclaves des idoles —, est-ce que le Fils a cessé de siéger à la droite du Père ? N'y sera-t-il pas assis pour toujours ?

6039 39. En quoi Marie est-elle compromise si Joseph n'a pas compris le mystérieux dessein de Dieu et s'il a pensé n'être pas vierge celle qu'il voyait enceinte ? Les anges ont ignoré sa résurrection : c'est le sens des versets : « Soulevez, portes, vos linteaux ; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire fera son entrée. — Qui est ce Roi de gloire ? » Ils questionnent, comme ne sachant pas, et d'autres répondent : « C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant au combat ; c'est lui le Roi de gloire ». Et le Prophète reprend les mêmes versets, et malgré cela, comme ne sachant pas, ils questionnent de nouveau ; car il est écrit : « Soulevez, portes, vos linteaux, élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire fera son entrée. — Qui est ce Roi de gloire ? » (Ps 23,7-10) 14. Alors comment un homme aurait-il pu connaître le secret divin que les anges ignoraient ? Et vous lisez au Livre d'Isaïe : « Qui est celui qui vient d'Edom ? Ses vêtements sont rouges de Bosor ? » (Is 63,1). Et certes la résurrection d'un homme était chose moindre que l'enfantement d'une vierge ; car les prières d'Élie, les supplications d'Elisée avaient déjà ressuscité des morts, mais jamais auparavant, jamais dans la suite une vierge n'a engendré.

14. Ambroise a présenté la même mise en scène dans son traité De la Foi à l'empereur Gratien, livre I, 9-13.


6040 40. Or il (Joseph) a songé à la renvoyer comme coupable avant d'être averti par l'ange (Mt 1,20) ; après quoi il s'en est tenu avec foi, sans hésiter, à la déclaration de sa virginité.

6041 41. Et qu'on ne se trouble pas de ce qui est dit : « Joseph prit avec lui son épouse et partit pour l'Egypte » (Mt 1,24) : car celle qui est accordée à un homme reçoit le nom d'épouse. C'est lorsque se contracte le mariage qu'intervient le nom de mariage15 ; ce n'est pas la perte de la virginité qui fait le mariage, mais le pacte conjugal. Bref il y a mariage lorsque la jeune fille se donne, non pas lorsqu'elle est connue et approchée par l'homme.

15. On lit ici, selon les manuscrits conjugii, mariage, — ou conjugis, épouse : quelle que soit la version choisie, le sens du passage n'en est pas affecté : mot de mariage, ou mot d'épouse.


6042 42. Quant à la raison de ses épousailles, comme nous en avons traité ailleurs plus au long, il suffit pour le moment d'indiquer le motif du dessein divin : il fallait que ceux qui verraient Marie enceinte ne croient pas à la défaillance d'une vierge, mais à l'enfantement légitime d'une épouse, car le Seigneur a mieux aimé voir douter de son origine que de la vertu de sa mère16.

16. Saint Ambroise s'est exprimé dans les mêmes termes, en ses traités sur l'Évangile de saint Luc, livre II, 1 : « Le Seigneur a mieux aimé laisser certains mettre en doute son origine plutôt que la pureté de sa mère ; il savait combien est délicat l'honneur d'une vierge... et il n'a pas jugé à propos d'établir la vérité de son origine aux dépens de sa mère ».


6043 43. Quant au nom de frères, qu'il soit donné à ceux qui ont même famille, même race, même peuple, le Seigneur lui-même l'enseigne quand il dit : « Je raconterai ton nom à mes frères, je te louerai au milieu de l'assemblée » (Ps 21,23). Paul dit également : « Je souhaitais être anathème à la place de mes frères » (Rm 9,3). Au reste ils ont pu être ses frères par Joseph, non par Marie ; si on poursuit la recherche avec soin, on trouvera ; pour nous, nous n'avons pas jugé à propos de la poursuivre, puisqu'il est clair que le nom de frère a plusieurs acceptions.

6044 44. Mais est-ce que le Seigneur aurait choisi pour mère une femme capable de profaner par un germe humain la demeure divine, comme s'il lui était impossible de maintenir et de garder la pureté virginale ? Elle dont l'exemple en appelle d'autres à l'amour de la virginité, se serait dépouillée de cette prérogative qui par elle est offerte aux autres ?

6045 45. Et à qui le Seigneur pouvait-il offrir un privilège, réserver une récompense plus grande qu'à sa mère ? Car il n'a décerné à personne de plus grands bienfaits qu'à la virginité, selon l'enseignement de l'Écriture. En effet le Seigneur a dit, par Isaïe : « Que l'eunuque ne dise pas : Je suis un arbre stérile. Voici ce que le Seigneur dit aux eunuques : A tous ceux qui garderont mes commandements, qui feront choix de ce que je veux et s'attacheront à mon alliance, je donnerai dans ma maison et dans ma citadelle une place de choix, meilleure, un nom qui vaudra des fils et des filles et ils ne viendront pas à manquer » (Is 56,3-5). Il promet à d'autres de ne pas manquer et il souffrirait que sa mère manque ? Mais Marie n'a pas fait défaut : il ne pouvait se faire qu'ayant porté Dieu, il lui plût de porter un homme ; et Joseph, homme juste, n'aurait pu se porter à cette folie de s'unir par un accouplement charnel à la mère du Seigneur.

6046 46. Mais cependant que Marie soit défendue par sa propre conduite, non par celle des autres. Elle n'a pas manqué, je l'ai dit. Le Fils de Dieu lui-même en témoigne : Sur la croix, il recommande son disciple à sa mère comme un fils ; il la confie au disciple comme une mère (Jn 19,26-27). Nous l'apprenons de Jean, qui a surtout consigné les mystères. Les autres évangélistes ont noté que lors de la Passion du Seigneur la terre a tremblé, le soleil s'est dérobé, le pardon a été demandé pour les persécuteurs ; ce bien-aimé du Seigneur, qui avait puisé à son coeur les secrets de la sagesse et les mystères de son vouloir aimant, laissant de côté ce qu'avaient dit les autres, s'est attaché avec grand soin à confirmer par son témoignage la persévérance de la mère en sa virginité, en bon fils, soucieux de l'honneur de sa mère, ne voulant pas qu'on lui infligeât le reproche d'avoir manqué à sa virginité.

6047 47. Il était juste que celui qui accordait le pardon au larron épargnât à sa mère tout doute sur sa pureté. Car il dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ». Et il dit au disciple : « Voici ta mère » (Jn 19,26-27). C'est au disciple qu'il confie sa mère : comment aurait-il pu enlever l'épouse à son mari, si Marie avait été unie par le mariage et avait connu l'usage du lit nuptial17 ?

17. Rien n'oblige à suivre Ambroise dans l'explication donnée ici (et qui se retrouve en deux passages de ses traités sur saint Luc, livre II, 4 ; livre X, 133) du choix de saint Jean et non de saint Joseph, pour recueillir Notre-Dame. L'explication obvie, et la plus communément admise, est que saint Joseph était mort avant le Calvaire. Une hymne de la liturgie nous le montre assisté, à sa dernière heure, par le Seigneur et sa mère.


6048 48. Fermez la bouche, impies ; écoutez ce que dit le Christ. Le Seigneur Jésus de sa croix, porte témoignage et diffère un peu le salut de tous18, pour ne pas laisser sa mère sans honneur. Jean donne sa signature au testament du Christ. Celui-ci lègue à sa mère celui qui défendra son honneur et témoignera de sa virginité ; au disciple il lègue la garde de sa mère et la faveur de la piété filiale : « A partir de là le disciple la prit avec lui » (Jn 19,27). A coup sûr le Christ n'a pas opéré une séparation, Marie n'a pas délaissé un époux. Mais avec qui la Vierge devait-elle habiter, sinon avec celui qu'elle savait être héritier de son Fils, gardien de sa virginité ?

18. Le salut de tous est acheté au moment de la mort du Christ, et par elle. La pensée de saint Ambroise est que le Seigneur ajourne un instant l'un et l'autre afin d'assurer l'avenir de sa mère.


6049 49. La mère se tenait debout devant la croix ; les hommes avaient fui, elle demeurait là, intrépide. Voyez si la mère de Jésus a pu varier dans son propos de virginité, elle dont le courage n'a pas varié. Elle contemplait d'un regard de tendresse les blessures de ce Fils par qui, elle le savait, viendrait pour tous la Rédemption. La Mère contemplait et son regard n'était pas indigne de lui, car elle ne redoutait pas le meurtrier ; le Fils était suspendu à la Croix, la Mère s'offrait aux persécuteurs. N'aurait-elle eu que le désir d'être immolée devant son Fils ; si elle devait mourir avec son Fils, elle souhaitait ressusciter avec lui, n'ignorant pas ce mystère, qu'elle avait engendré celui qui ressusciterait ; il faudrait louer le sentiment de tendresse qui ne voulait pas survivre à son Fils. De plus, sachant que la mort de son Fils était la rançon du bien commun, elle se tenait prête : peut-être sa mort ajouterait-elle quelque chose au don fait à tous. Mais la Passion du Christ n'avait pas besoin d'auxiliaire ; le Seigneur lui-même l'avait prédit longtemps à l'avance : « Et je regardais, et pas d'auxiliaire ; j'attendais et personne pour me soutenir ; je les délivrerai par mon seul bras » (Is 63,5).

6050 50. Alors, comment aurait-on pu ravir à Marie sa virginité, quand, tandis que les apôtres avaient fui, elle ne redoutait pas les supplices, mais s'offrait d'elle-même aux dangers ? Sa grâce était telle que, non contente de garder elle-même la prérogative de la virginité, elle apportait l'honneur de la pureté à ceux mêmes qu'elle visitait. Elle visita Jean-Baptiste, et il tressaillit au sein de sa mère avant de naître (Lc 1,41). Le petit enfant tressaillit à la voix de Marie, rendant hommage avant sa naissance. Et il eut sujet de demeurer chaste en son corps, puisque la mère du Seigneur le forma pendant trois mois par l'huile de sa présence et l'onguent de sa pureté19. Plus tard elle fut confiée à Jean l'évangéliste, qui n'était pas marié ; aussi je ne m'étonne pas qu'il ait parlé mieux que les autres des mystères divins, ayant auprès de lui le palais des secrets célestes.

19. Un des nombreux passages où saint Ambroise se réfère, dans ses écrits, aux jeux du cirque. Les lutteurs se frottaient d'huile pour se rendre moins faciles à saisir. Parlant de la Visitation, et du séjour de trois mois que Marie fit auprès d'Elisabeth, l'évêque a dit : « ... le prophète recevait l'onction, et, tel un bon athlète, était exercé dès le sein maternel » (Traités sur saint Luc, livre II, 29).


6051 51. A présent que ceux qui soulèvent cette question me disent ce que signifient ces paroles du Seigneur : « Maintenant je vais faire revenir les captifs de Jacob et j'aurai de nouveau pitié de la maison d'Israël » (Ex 39,25) ; et, plus bas : « Je les rassemblerai, dit-il, des nations, je les rassemblerai des contrées des nations et je serai sanctifié en eux à la face des peuples ; et l'on saura que je suis le Seigneur leur Dieu lorsque je leur apparaîtrai au milieu des nations ; et je ne détournerai plus d'eux mon visage, car j'ai épuisé ma colère sur la maison d'Israël, dit le Seigneur » (Ex 39,27).

6052 52. Plus loin le Prophète dit avoir vu sur une montagne très élevée les édifices d'une cité à laquelle il attribue plusieurs portes, dont une seule est décrite comme close ; il en parle en ces termes : « Et je me trouvai dans la direction de la porte extérieure du sanctuaire, qui donne vers l'Orient, et elle était close. Et le Seigneur me dit : « Cette porte sera fermée, elle ne s'ouvrira pas, et personne ne la franchira : car c'est le Seigneur Dieu d'Israël qui passera par elle. Elle sera close, car le chef y prendra place pour manger le pain en présence du Seigneur. Il entrera par le chemin de la porte d'Élam et sortira par elle » (Ex 44,1-3). Quelle est cette porte, sinon Marie ? Fermée, parce que vierge. Donc Marie est la porte par laquelle le Christ est entré en ce monde, quand il est né par un enfantement virginal, sans briser la clôture du sein virginal. La barrière de la virginité est demeurée intacte et le sceau de l'intégrité n'a pas connu d'atteinte, lorsqu’est issu de la vierge celui dont le monde ne saurait soutenir la grandeur.

6053 53. « Cette porte, est-il dit, sera fermée et elle ne s'ouvrira pas ». La vraie porte, c'est Marie : elle était close et ne s'ouvrira pas. Le Christ est passé par elle, sans l'ouvrir.

6054 54. Et pour nous enseigner que tout homme a sa porte, par laquelle entre le Christ : « Soulevez vos portes, est-il dit, ô princes, haussez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera » (Ps 23,7). A plus forte raison y eut-il une porte chez Marie, en qui le Christ a résidé et dont il est sorti : car il existe une porte du sein, ce qui faisait dire à Job : « Que s'obscurcissent les étoiles de cette nuit, puisqu'elle n'a pas tenu closes les portes du sein de ma mère » (Jb 3,9-10).

6055 55. Il existe donc une porte du sein, mais qui n'est pas toujours fermée. Pourtant une seule a pu demeurer fermée : celle par laquelle l'enfant d'une vierge est sorti sans porter atteinte à la clôture de son sein. Aussi le Prophète a-t-il dit : « Cette porte sera fermée ; elle ne s'ouvrira pas et personne ne la franchira — entendons, personne d'entre les hommes — car, dit-il, le Seigneur Dieu d'Israël passera par elle. Elle sera fermée, c'est-à-dire avant et après le passage du Seigneur elle sera fermée et personne ne l'ouvrira, ni ne l'a ouverte : car elle a toujours eu sa porte, le Christ, qui a dit : « Je suis la porte » (Jn 10,7), que personne n'a pu lui arracher.

6056 56. Cette porte donnait sur l'Orient, car elle a donné passage à la lumière véritable ; elle a engendré l'Orient, enfanté le Soleil de justice. Que les insensés entendent : « Cette porte, est-il dit, sera fermée » : elle n'a accueilli que le Dieu d'Israël. Celui dont il fut dit à l'Église : « Car il a affermi les serrures de tes portes » (Ps 147,13) n'a donc pu affermir sa porte ? Il l'a affermie, certes, et l'a gardée intacte ; car enfin elle n'a pas été ouverte.

6057 57. Qu'ils écoutent donc le Prophète : « Elle ne s'ouvrira pas, dit-il, elle sera fermée », c'est-à-dire elle ne sera pas ouverte par celui qu'elle épousera ; il ne lui sera pas permis de l'ouvrir, puisque le Seigneur la franchira. Et après lui, est-il dit, elle sera close, c'est-à-dire Joseph ne l'ouvrira pas, puisqu'il lui sera dit : « Ne crains pas de recevoir Marie ton épouse, car ce qui naîtra d'elle est de l'Esprit-Saint » (Mt 1,20).



Ambroise virginité 6005