Montée Carmel III - 2003 40

Ch. 40: ON CONTINUE D'ACHEMINER L'ESPRIT AU RECUEILLEMENT INTÉRIEUR, PAR RAPPORT À CE QUI EST DIT


1. La cause, donc, pour laquelle certains spirituels n'achèvent jamais d'entrer dans les vraies joies de l'esprit, c'est qu'ils n'achèvent jamais de dégager leur appétit de la joie de ces choses extérieures et visibles. Que ceux-là sachent qu'encore que le lieu décent et dédié à la prière soit le temple et l'oratoire visibles, et que l'image en soit le motif, néanmoins ce ne doit pas être en sorte que le suc et saveur de l'âme s'emploient au temple visible et au motif, et qu'elle oublie de prier au temple vif qui est le recueillement intérieur de l'âme. L'Apôtre, nous avertissant de cela, dit: Prenez garde que vos corps sont les temples vivants de l'Esprit Saint qui habite en vous (1Co 3,16 1Co 6,19); et à cette considération, nous conduit l'autorité de Christ que nous avons alléguée, à savoir: aux vrais adorateurs, il convient d'adorer en esprit et en vérité (Jn 4,24); car Dieu tient peu de compte de tes oratoires et de tes lieux parés, si pour être de l'appétit et du goût attaché à eux, tu as un peu moins de nudité intérieure, qui est la pauvreté spirituelle dans l'abnégation de toutes les choses que tu pourras posséder.

2. Donc, pour purger la volonté de la joie et du vain appétit en cela et la dresser à Dieu en ta prière, regarde seulement que ta conscience soit pure et ta volonté entière avec Dieu, et la pensée véritablement fixée en lui, et, comme j'ai dit, il faut choisir le lieu le plus à l'écart et le plus solitaire que tu pourras, et convertir toute la joie de ta volonté à invoquer et glorifier Dieu, sans faire cas de ces autres petits goûts de l'extérieur, au contraire, tâche de les nier, car si l'âme se laisse aller à la saveur de la dévotion sensible, elle n'arrivera jamais à passer à la force des délices spirituelles, qui se trouvent en la nudité de l'esprit moyennant le recueillement intérieur.


Ch. 41: DE QUELQUES DOMMAGES OÙ TOMBENT CEUX QUI S'ADONNENT AU GOÛT SENSIBLE DES CHOSES ET DES LIEUXDÉVOTS DE LA MANIÈRE QUE NOUS AVONS DITE


1. Maints dommages s'ensuivent, tant dans l'intérieur qu'à l'extérieur, au spirituel pour vouloir aller par la saveur sensible des choses que nous avons dites ; car, touchant l'esprit, il ne parviendra jamais au recueillement intérieur qui consiste à dépasser tout cela et faire oublier à l'âme toutes ces saveurs sensibles, et à entrer dans le vif du recueillement de l'âme et acquérir les vertus avec force ; quant à l'extérieur, cela est cause qu'il ne s'adapte à prier en tous lieux, sinon en ceux qui sont à son goût, et ainsi, il manquera souvent à la prière puisque, comme on dit, il ne sait lire que dans le livre de son village.

2. En outre, cet appétit lui cause bien des vicissitudes, car de ceux-ci, sont ceux qui ne persévèrent jamais en un lieu, ni parfois dans un état, vous les verrez tantôt en un lieu, tantôt en un autre ; tantôt se retirer dans un ermitage, puis dans un autre ; tantôt agencer un oratoire, et puis un autre. Et de ceux-ci sont aussi ceux qui passent leur vie à changer d'états et de façons de vivre ; ayant seulement cette ferveur et joie sensible touchant les choses spirituelles et ne s'étant jamais efforcés de parvenir au recueillement spirituel par l'abnégation de leur volonté et par la sujétion à supporter l'incommodité, toutes les fois qu'ils voient un lieu à leur avis dévot, ou quelque genre de vie ou d'état conforme à leur humeur ou inclination, ils courent aussitôt après et quittent celui qu'ils avaient, et comme ils sont mus par ce goût sensible, de là vient qu'ils cherchent bientôt d'autres choses ; parce que le goût sensible n'est pas constant, il manque donc rapidement.


Ch. 42: DES TROIS DIFFÉRENCES DE LIEUX DÉVOTS ET COMMENT LA VOLONTÉ DOIT S'Y COMPORTER


1. Trois sortes de lieux je trouve par le moyen desquels Dieu a coutume de mouvoir la volonté à dévotion. La première, ce sont certaines dispositions de terres et sites qui par l'agréable apparence de leur variété, soit dans la disposition de terrains ou d'arbres, ou d'une quiétude solitaire, excitent naturellement la dévotion ; et de ceux-là il fait bon user quand on dresse aussitôt la volonté à Dieu, mettant ces lieux en oubli ; de même que pour parvenir à la fin, il ne faut pas s'arrêter au moyen et au motif plus que de raison, car si on tâche de récréer l'appétit et de tirer un suc sensible de ces lieux, on trouvera plutôt une aridité et une distraction spirituelles, car la satisfaction et le suc spirituel ne se trouvent qu'au recueillement intérieur.

2. Aussi, étant en un tel lieu, l'ayant mis en oubli, il doivent tâcher d'être en leur intérieur avec Dieu comme s'ils n'étaient pas en un tel lieu, car, s'ils s'arrêtent deçà delà à la saveur et goût du lieu, ce sera plutôt chercher de la récréation sensible et de l'instabilité d'esprit que du repos spirituel. C'est ainsi que les anachorètes et autres saints ermites, dans les plus vastes et gracieux déserts, choisissaient le moindre lieu qui leur fût suffisant, où ils bâtissaient de petites cellules et grottes pour s'y enfermer; où saint Benoît demeura trois ans, et un autre qui fut saint Simon se lia avec une corde pour ne pas s'établir ni aller plus loin que ce lien pouvait atteindre ; et ainsi beaucoup d'autres, que nous n'en finirions pas de dénombrer; c'est que ces saints savaient bien que s'ils ne tempéraient pas l'appétit et la convoitise de trouver du goût et de la saveur spirituelle, ils ne pouvaient devenir spirituels.

3. La deuxième manière est plus particulière, car elle concerne certains lieux - déserts ou autres peu importe - où Dieu a coutume de faire quelques faveurs spirituelles très savoureuses à certaines personnes particulièrement, de façon qu'ordinairement le coeur de cette personne est enclin à ce lieu où elle a reçu cette grâce, et quelquefois elle sent de grands désirs et anxiétés d'y aller, encore qu'elle n'y trouve pas toujours la même chose, parce que cela ne dépend pas de son pouvoir. Car Dieu départit ces grâces quand et comme et où il lui plaît, sans être lié au temps ni au lieu, ni à la volonté de celui à qui il les fait. Néanmoins il est bon d'y aller quelquefois prier -pourvu qu'on y aille l'appétit dénué de propriété -, et ceci pour trois raisons : la première, car, quoique (comme nous avons dit) Dieu n'est point lié au lieu, il semble que Dieu ait voulu être loué là par cette âme qu'il a favorisée ; la deuxième, parce que l'âme se souvient davantage de remercier Dieu de ce qu'elle a reçu là ; la troisième, parce que là ce souvenir excite encore davantage sa dévotion.

4. Ces raisons doivent l'y pousser, et non pas la croyance que Dieu soit attaché à faire ses grâces là, de sorte qu'il ne les puisse faire où il lui plaira; car l'âme est un lieu plus propre et plus approprié à Dieu qu'aucun autre lieu matériel. Nous lisons à ce propos dans la Sainte Écriture qu'Abraham érigea un autel au lieu où Dieu lui était apparu et qu'il y invoqua son saint nom, et qu'ensuite, à son retour d'Égypte, il revint par le même chemin à l'endroit où Dieu lui était apparu et invoqua Dieu à nouveau sur le même autel qu'il avait édifié (Gn 12,8 Gn 13,4). Jacob aussi nota l'endroit où Dieu lui apparut appuyé en haut d'une échelle, et y éleva une pierre, la consacrant par l'onction de l'huile (Gn 28,13-18); et Agar mit un nom au lieu où l'ange lui apparut, estimant beaucoup ce lieu, disant: C'est certain, j'ai vu ici les épaules de Celui qui me voit (Gn 16,13).

5. La troisième manière concerne certains lieux particuliers que Dieu choisit pour y être invoqué et servi, comme le mont Sinaï où Dieu donna la loi à Moïse (Ex 14,12); et le lieu qu'il indiqua à Abraham pour lui sacrifier son fils (Gn 22,2) ; et aussi le mont Horeb, où Il apparut à notre père Élie (1R 19,8) ; et le lieu que dédia saint Michel pour son service et qui est le mont Gargano, en apparaissant à l'évêque de Siponte et lui disant qu'il était le gardien de ce lieu, pour que l'on dédie là un oratoire à Dieu en mémoire des anges108; et la glorieuse Vierge choisit à Rome par le signe spécial de la neige un lieu pour le temple qu'elle voulait que Patrice élevât en son nom.

108 Brev., in fest. App. Michaëlis Archangeli.


6. Or, la raison pourquoi Dieu choisit ces lieux plutôt que d'autres pour y être loué, Il la sait. Ce qu'il convient à nous de savoir, c'est que tout est pour notre profit et pour y entendre nos prières, là et en quelque lieu que nous le prierons d'une foi entière ; encore qu'il y ait beaucoup plus occasion d'être exaucés en ceux qui sont dédiés à son service, puisque l'Église les a désignés et dédiés pour cela.



Ch. 43: QUI TRAITE D'AUTRES MOTIFS POUR PRIER DONT SE SERVENT DE NOMBREUSES PERSONNES, QUI SONT UNE GRANDE VARIÉTÉ DE CÉRÉMONIES


1. Les joies inutiles et la propriété imparfaite touchant les choses que nous avons dites, sont peut-être quelque peu tolérables en maintes personnes qui y vont en quelque façon innocemment. La grande confiance que quelques-unes ont à beaucoup de cérémonies introduites par des gens peu éclairés et qui manquent en la simplicité de la foi, est insupportable. Je ne parle point de celles qui ont des termes ou des noms extraordinaires qui ne signifient rien. Je laisse aussi d'autres choses que des âmes stupides, ignorantes et douteuses ont accoutumé d'introduire dans leurs prières ; qui sont évidemment mauvaises et où il y a péché et en beaucoup d'entre elles, pacte secret avec le démon, ce qui provoque Dieu à la colère et non à la miséricorde.

2. Mais je veux parler seulement de ces manières dont (pour être exemptes de ces façons suspectes) maintes gens usent aujourd'hui par une dévotion indiscrète, mettant une telle efficacité et confiance en ces moyens avec lesquels ils veulent accomplir leurs prières et dévotions, que s'ils manquent d'un seul point aux indications tracées, ils se persuadent que cela ne réussira pas et que Dieu ne les exaucera pas, se confiant plus en ces modes et manières qu'au vif de la prière, en quoi ils méprisent et offensent grandement Dieu ; comme par exemple qu'il y ait tant de chandelles allumées pendant la messe, et ni plus ni moins, qu'un prêtre la dise de telle ou telle façon, à telle heure, et non avant ni après, et que ce soit un tel jour, et non plus tôt, ni plus tard ; que les prières et les stations soient en tel nombre et de telle façon et à tel moment, avec telles et telles cérémonies ou postures et non avant ni après, ni d'une autre façon, et que celui qui les fera ait telles qualités ou telles propriétés ; et ils pensent que s'il manque si peu que ce soit à ce qu'ils avaient prévu, rien n'est fait; et mille autres choses que l'on voit et qui se pratiquent.

3. Et ce qui est pire et intolérable, c'est que quelques-uns veulent sentir quelque effet en eux, ou que s'accomplisse ce qu'ils demandent, ou savoir que se réalisera le but de leurs prières cérémonieuses, ce qui n'est rien moins que tenter Dieu et l'irriter gravement; de sorte que parfois il permet au démon de les tromper, en leur faisant sentir et entendre des choses fort éloignées du profit de leur âme, ce qu'ils méritent par la propriété qu'ils ont en leurs prières, ne désirant pas davantage que la volonté de Dieu soit faite que la leur. Et ainsi, puisqu'ils ne mettent pas toute leur confiance en Dieu, rien ne leur réussira.



Ch. 44: COMMENT IL FAUT DRESSER À DIEU LA JOIE ET LA FORCE DE LA VOLONTÉ PAR CES DÉVOTIONS


1. Que ceux-là donc sachent que plus ils ont de confiance en ces choses et cérémonies, moins ils ont de confiance en Dieu dont ils n'obtiendront pas ce qu'ils désirent. Il y en a quelques-uns qui prient plus pour leur prétention que pour l'honneur de Dieu, car, encore qu'ils présupposent que, s'il plaît à Dieu, cela se fera, et autrement, non, néanmoins par la propriété et la vaine joie qu'ils ont en cela, ils redoublent pour ce sujet de prières excessives qu'il vaudrait mieux convertir en choses qui leur seraient plus importantes, comme de nettoyer véritablement leurs consciences et entendre effectivement les choses de leur salut, laissant bien en arrière toutes leurs autres demandes qui ne concernent pas cela; et de cette manière, obtenant ce qui leur est de la plus grande importance, ils auront aussi tout le reste qui leur conviendra (sans le demander) et beaucoup mieux et plus tôt que s'ils y avaient employé tous leur efforts.

2. Car le Seigneur l'a ainsi promis par l'évangéliste, en disant : Cherchez premièrement et principalement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses s'ajouteront (Mt 6,33). Parce que c'est la prétention et la demande qui est le plus selon son goût, et il n'est point de meilleur moyen pour obtenir les désirs de notre coeur que de mettre la force de notre prière en la chose qui est le plus du goût de Dieu ; parce qu'alors il ne nous donnera pas seulement ce que nous lui demandons, qui est le salut, mais aussi ce qu'il voit nous être convenable et bon, encore que nous ne l'en priions pas, comme David nous le donne bien à entendre dans un psaume, en disant : Le Seigneur est près de ceux qui l'invoquent en vérité (Ps 144,18) qui lui demandent les choses plus réelles, les plus sublimes, comme sont celles de leur salut; car il ajoute aussitôt concernant ceux-ci : Il fera la volonté de ceux qui le craignent, et il exaucera leurs prières et les sauvera, car Dieu garde tous ceux qui l'aiment (Ps 144,19-20). Et ainsi cette proximité dont parle David n'est autre chose que de les satisfaire et leur accorder ce qu'ils n'oseraient même pas penser à demander. Car nous lisons dans l'Écriture que parce que Salomon avait réussi à demander une chose qui plut à Dieu, qui était la sagesse pour gouverner avec justice son peuple, Dieu lui répondit en disant: parce que la sagesse t'a plu de préférence à toute autre chose et que tu ne m'as demandé ni la victoire avec la mort de tes ennemis, ni les richesses, ni la longue vie, je t'accorde non seulement la sagesse que tu demandes pour régir justement mon peuple, mais je te donnerai même ce que tu ne m'as pas demandé, les richesses, la fortune et la gloire, de manière que ni avant toi ni après toi il n'y ait roi semblable à toi (2Ch 1,11-12). Et Il le fit ainsi, pacifiant aussi tous ses ennemis, de telle sorte que tous ceux qui l'entouraient lui payaient tribut, sans le troubler. Nous lisons la même chose en la Genèse, où Dieu promettant à Abraham de multiplier la génération de son fils légitime comme les étoiles du ciel, selon ce qu'il lui avait demandé, il lui dit: je multiplierai aussi la postérité du fils de l'esclave, parce que c'est ton fils (Gn 21,13).

3. C'est donc ainsi qu'il faut dresser à Dieu les forces et la joie de la volonté dans les demandes, sans se soucier de s'appuyer sur des inventions de cérémonies qui ne sont d'usage ni approuvées de l'Église catholique, en laissant dire la messe au prêtre à son habitude et selon l'usage de l'Église en son pays, et qu'ils n'innovent rien, comme s'ils étaient plus qualifiés que l'Esprit Saint et son Église ; que si Dieu ne les exauce point, en priant avec cette simplicité, qu'ils croient qu'ils ne seront pas plus exaucés avec leurs inventions. Car Dieu est de telle sorte que si on le prend bien et à sa manière, on fera de lui tout ce qu'on veut ; si on est intéressé, il n'y a pas à lui parler.

4. Quant aux autres cérémonies touchant les prières et dévotions, qu'ils n'appliquent point la volonté à d'autres cérémonies et manières de prières que celles que Christ nous a enseignées (Lc 11,1-4) ; car il est clair que quand ses disciples le prièrent de leur enseigner à prier, il leur apprit tout ce qui est requis pour que le Père éternel nous entende - comme Celui qui savait bien sa condition -, et il ne leur enseigna que les sept demandes du Pater noster, qui comprennent toutes nos nécessités spirituelles et temporelles, et il ne leur dit pas d'autres nombreuses manières de paroles ni cérémonies. Au contraire, il leur dit ailleurs qu'en priant, ils usent de peu de paroles, parce que notre Père céleste sait bien ce qui nous convient (Mt 6,1-8). Il recommanda seulement en renchérissant beaucoup, de persévérer dans la prière, à savoir: celle du Pater noster (Mt 6,9-13), disant ailleurs qu'il convient de toujours prier et de ne jamais cesser (Lc 18,1), mais il ne nous a point enseigné un grand nombre de demandes, mais de répéter souvent celles-là avec ferveur et soin, attendu que, comme je dis, elles comprennent tout ce qui est de la volonté de Dieu et tout ce qui nous est convenable. C'est pourquoi quand Sa Majesté eut recours par trois fois au Père éternel, il ne redit toutes les trois fois que les mêmes paroles du Pater noster, comme rapportent les évangélistes, en disant: Père, s'il ne peut être autrement que je boive ce calice, que votre volonté soit faite (Mt 26,39 Mc 14,36 Lc 22,42). Et quant aux cérémonies qu'Il nous a montrées pour prier, il n'y en a qu'une de ces deux: soit de prier en cachette dans notre chambre, où sans bruit et sans rendre compte à personne nous pouvons nous en acquitter avec un coeur plus entier et plus pur, selon qu'il le conseille en disant: Quand vous prierez, entrez en votre chambre, et, la porte fermée, priez (Mt 6,6) ; ou sinon, aux déserts solitaires, comme il le faisait, au temps le meilleur et le plus calme de la nuit (Lc 6,12). Et ainsi il ne faut point désigner de temps ni de jours précis, ni fixer plutôt ceux-ci que ceux-là pour nos dévotions, il n'y a pas lieu non plus d'user d'autres moyens, ni de formules ingénieuses, ni de prières, outre celles dont use l'Église et de la manière dont elle s'en sert, car elles se réduisent toutes à celles que nous avons dites du Pater noster.

5. Je ne condamne pas, pour autant, au contraire j'approuve les jours que certaines personnes proposent de faire leurs dévotions, comme des neuvaines, ou comme jeûner et autres semblables, mais je blâme le style qu'elles ont en leurs manières étriquées et dans les cérémonies avec lesquelles elles les font. Comme Judith reprit ceux de Béthulie de ce qu'ils avaient limité le temps auquel ils espéraient miséricorde de Dieu, en disant : C'est vous qui fixez un temps à Dieu pour sa miséricorde ? Ce n'est pas là -dit-elle - pour inciter Dieu à clémence, mais plutôt pour exciter sa colère (Jdt 8,11-12).



Ch. 45: OÙ IL EST TRAITÉ DU SECOND GENRE DES BIENS DISTINCTS DANS LESQUELS LA VOLONTÉ PEUT VAINEMENT SE RÉJOUIR


1. La seconde manière de biens distincts savoureux dans lesquels la volonté peut vainement se réjouir sont ceux que nous avons appelés provocatifs, qui provoquent ou persuadent à servir Dieu. Ce sont les prédicateurs dont nous pourrions parler en deux manières, à savoir: quant à ce qui touche les prédicateurs mêmes, et quant à ce qui concerne les auditeurs, car la seule chose à enseigner, c'est comment les uns et les autres doivent en cet exercice diriger à Dieu la joie de leur volonté.

2. Quant au premier, le prédicateur, afin de profiter au peuple et de ne pas s'embarrasser d'une vaine joie et présomption, il doit se représenter que cet exercice est plus spirituel que vocal ; car encore qu'il faille jeter les paroles au dehors, néanmoins il ne tient sa force et son efficacité que de l'esprit intérieur; de façon que, quelque haute doctrine qu'il prêche, avec un art de rhétorique et un style si relevé que ce soit, ordinairement il ne fera son profit qu'autant qu'il aura d'esprit; car bien qu'il soit vrai que la parole de Dieu de soi est efficace, selon ce que dit David: Il donnera à sa voix, la voix de vertu (Ps 61,34), néanmoins, le feu qui a aussi la vertu de brûler, ne brûle pas lorsqu'il n'y a point de disposition dans le sujet.

3. Or, afin que la doctrine communique sa force, elle doit avoir deux dispositions : l'une du prédicateur et l'autre de celui qui écoute. Et ordinairement le profit est selon la disposition de celui qui enseigne, c'est pourquoi on dit que tel est le maître, tel habituellement est le disciple. Car dans les Actes des Apôtres, quand ces sept enfants de ce prince des prêtres des Juifs se mettaient à conjurer les démons de la même manière que saint Paul, le démon s'irrita contre eux en disant: Je connais Jésus, je sais qui est Paul; mais vous, qui êtes-vous ? (Ac 19,15). Et se ruant sur eux, il les mit tout nus et les blessa. La seule cause de cela fut qu'ils n'avaient pas la disposition convenable, et non que Christ ne voulut pas qu'on chassât les démons en son nom ; car une fois les apôtres rencontrèrent quelqu'un qui n'était pas des disciples, qui chassait un démon au nom de Christ Notre Seigneur, ils l'en empêchèrent, et le Seigneur les reprit, disant: Ne l'empêchez pas, car celui qui aura fait quelque vertu en mon nom, ne pourra pas aussitôt dire du mal de moi (Mc 9,39). Mais il se fâche contre ceux qui, enseignant la loi de Dieu, ne la gardent pas eux-mêmes, et prêchant le bon esprit ne l'ont pas. C'est pourquoi il dit par saint Paul : Tu enseignes les autres et ne t'instruis pas toi-même. Tu prêches contre le larcin et tu dérobes (Rm 2,21) ; et par David, l'Esprit Saint dit: Au pécheur Dieu dit: Pourquoi racontes-tu mes justices ? Et prends-tu ma loi en ta bouche, pendant que tu as en horreur la discipline et jettes mes paroles par dessus les épaules ? (Ps 49,16-17) ; en quoi il est donné à entendre qu'il ne leur donnera pas l'esprit pour qu'ils portent du fruit.

4. Et nous voyons communément - autant qu'on peut juger ici-bas - que plus le prédicateur est de vie exemplaire, meilleur est le fruit qu'il fait, quoique son style soit vulgaire, son discours simple et sa doctrine commune, parce que la ferveur se tire de l'esprit vif; mais l'autre ne fructifiera guère avec tout son beau parler et sa science, car quoiqu'il soit vrai que le bon style et les actions oratoires, et la sublime doctrine, et le beau langage, émeuvent et font plus d'effet accompagnés du bon esprit; néanmoins sans lui, quoique le sermon donne saveur et goût au sens et à l'entendement, il rend peu ou point de suc à la volonté, en effet, elle demeure d'ordinaire aussi lâche et faible à opérer qu'elle était avant, encore qu'on ait dit des merveilles merveilleusement dites, car elles ne servent qu'à chatouiller l'oreille, comme une musique harmonieuse ou une sonnerie de cloches ; mais l'esprit, comme je dis, pas plus qu'avant ne sort de ses gonds, la voix n'ayant pas la force de ressusciter le mort de son sépulcre.

5. Peu importe d'ouïr une musique meilleure qu'une autre, si l'une ne m'excite pas davantage à opérer que l'autre? Encore qu'on ait prêché des merveilles, cela s'oublie bientôt, vu que le feu n'a pas pris dans la volonté. Parce que, outre que de soi il ne fait pas grand fruit, l'attachement qu'a le sens au goût d'une telle doctrine, empêche qu'on ne passe à l'esprit, s'arrêtant seulement en l'estime de la façon et des accidents de la prédication, louant le prédicateur de ceci ou de cela, et le suivant plus pour cela que pour l'amendement qu'on en tire. Cette doctrine, saint Paul la donne bien à entendre aux Corinthiens (1Co 2,1-4), en disant: Moi, frères, quand je vins vers vous, je ne prêchai pas Christ avec une haute doctrine ou sagesse, et les paroles et ma prédication n'étaient point en rhétorique de sagesse humaine, mais en manifestation de l'Esprit et de la vérité; cependant ce n'est pas l'intention de l'Apôtre ni la mienne de condamner ici le bon style, la rhétorique et le bon langage, car au contraire cela importe beaucoup au prédicateur, aussi bien qu'en toutes autres affaires; vu que le beau langage et le bon style relèvent et redressent même les choses basses et gâtées, comme la mauvaise phrase gâte et perd les bonnes109.


109Ainsi s'achève curieusement La Montée du Mont Carmel. Jean de la Croix y a montré les efforts que l'âme doit faire (c'est La Nuit Active) pour purifier d'abord le sens (L. 1), ensuite l'esprit (L. 2 pour l'entendement; L.3 pour la mémoire et la volonté). En ce qui concerne la volonté, Jean de la Croix annonce sa purification selon les quatre passions : joie, espoir, douleur, crainte. Or nous n'avons que la purification de lajoie. Et même si sa purification a été étudiée pour les biens temporels, naturels, sensibles, moraux et surnaturels, pour les biens spirituels, distribués en motifs, provocatifs, directifs et perfectifs, seuls les motifs sont traités en dix §; les provocatifs sont ébauchés en un seul, d'ailleurs très important, mais le texte s'interrompt brusquement, peut-être au milieu d'une phrase. Il est vrai que si la joie est purifiée, les trois autres passions aussi : (1MC 13,5 1MC 3,16 1MC 5) ; (CSB 20-21 CSB 9-15).



Montée Carmel III - 2003 40