Pie XII 1942 - LETTRE ET TÉLÉGRAMME DE LA SECRÉTAIRERIE D'ETAT POUR LE CONGRÈS EUCHARISTIQUE MISSIONNAIRE DE CASTELGANDOLFO (29 septembre 1942)

LETTRE ET TÉLÉGRAMME DE LA SECRÉTAIRERIE D'ETAT POUR LE CONGRÈS EUCHARISTIQUE MISSIONNAIRE DE CASTELGANDOLFO (29 septembre 1942)

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A l'occasion du Congrès eucharistique missionnaire qui s'est tenu à Castelgandolfo, du 2 au 5 octobre, le Saint-Père a fait parvenir ses encouragements aux congressistes par une lettre de S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, qui a été lue au cours de la journée du 4 octobre :

L'idée que le Collège pontifical de la Propagande a eue de tenir dans sa villa de Castelgandolfo un congrès eucharistique pour implorer la paix en faveur du monde déchiré par la guerre est apparue au Saint-Père une excellente et louable inspiration.

Le fait que le congrès a voulu s'unir en parole à la célébration du XXVe anniversaire de la consécration episcopale de l'auguste Pontife est pour lui une preuve lumineuse de la piété filiale qui honore tellement les supérieurs, les professeurs et les élèves de cet institut.

Sa Sainteté fait des voeux cordiaux pour que le congrès eucharistique sagement préparé, comme le montre son programme harmonieux et complexe, ait un déroulement heureux et produise d'abondants fruits spirituels, en accroissant en tous ceux qui y participeront le culte envers le sacrement adorable, mémorial de la Passion du Christ et don suprême de sa charité toute-puissante. Ce voeu paternel est rehaussé par la Bénédiction apostolique, gage des abondantes faveurs du ciel.

1 D'après le texte italien de VOsservatore Romano, du 5-6 octobre 1942.

En réponse au télégramme que les participants du congrès lui ont adressé, le Souverain Pontife a fait envoyer encore, le 3 octobre 1942, par S. Em. le cardinal Maglione, ce télégramme :

Le Saint-Père, particulièrement sensible au filial hommage des sentiments qui lui ont été exprimés par les participants au congrès eucharistique du Collège de la Propagande, en la villa pontificale, formule des voeux pour que le tribut d'adoration et d'amour donné à l'auguste sacrement répande sur tous une joie très pure, allume toujours davantage de hautes aspirations religieuses, développe l'esprit de sacrifice, de consécration de la vie et des énergies à la cause de la foi, et accorde de tout coeur la Bénédiction apostolique, gage de la bénédiction divine.


ALLOCUTION AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE (1er octobre 1942)


1 D'après le texte italien des A. A. S., 34, 1942, p. 338 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 233.

A l'occasion de la rentrée solennelle de la Rote, son doyen, Mgr Gra-zioli, ayant fait au Saint-Père le compte rendu des travaux de l'année précédente et lui ayant offert le volume qui contient les sentences et décisions, le pape a répondu par l'allocution suivante :

Vous voir, chers fils, rassemblés autour de Nous, pour l'inauguration de la nouvelle année judiciaire de la Sacrée Rote romaine, est pour Notre âme un présage et un réconfort, non seulement en raison de ce que votre très digne doyen Nous a fait connaître de vos travaux et du grand nombre de causes jugées 2, en des termes choisis et pleins de sagesse, mais plus encore parce que la pieuse demande d'usage des charismes de l'Esprit-Saint, Esprit envoyé par le Père (Jn 14,26) et par le Christ (Jn 16,7) pour renouveler la face de la terre (Ps., cm, 30), a précédé cette réunion d'hommage filial 3. Oh ! si la face de la terre pouvait encore se renouveler aujourd'hui sous l'impulsion de cet Esprit qui planait à l'origine sur les ténèbres du chaos ! (Gn 1,2). Oh ! si l'humanité troublée par les calamiteuses contestations des peuples et des nations pouvait se rénover en un printemps de justice et de paix ! Mais il est certain que l'Esprit divin qui renouvelle pour Nous la joie de vous parler, renouvelle en vous la vie et la vigueur pour affronter les travaux savants et fatigants qui vous attendent pour la défense du droit et de la justice au milieu du peuple chrétien, tandis que Notre parole confirme, comme si elle les renouvelait, la dignité et l'autorité que Nos prédécesseurs ont voulu conférer et confier au tribunal de la Sacrée Rote romaine.


2 91 sentences de fond et 26 sentences incidentes. 87 causes de nullité de mariage, dont 29 ont conclu à la nullité.
3 L'audience pontificale fut précédée de la messe, du chant du Veni Creator, de la prestation des serments requis.


L'Esprit de Jésus-Christ, Rédempteur du genre humain, qui par son Evangile éleva à une plus haute perfection la foi et le culte du vrai Dieu, rénova aussi la morale de l'homme en restaurant le mariage dans son unité et son indissolubilité qui sont, comme les faits le prouvent, la matière la plus étendue de vos sentences judiciaires. L'Eglise, en effet, n'est-elle pas, par l'autorité qu'elle a reçue de son divin Fondateur et qui est suprêmement personnifiée dans le Pontife romain, gardienne et vengeresse des conditions de validité du mariage, des empêchements et des effets du lien conjugal (sauf la compétence de l'Etat en ce qui regarde les effets purement civils) ?

La certitude absolue et la quasi-certitude.

1° Dans les causes qui concernent l'incapacité psychique ou physique de contracter mariage, comme dans les causes qui concernent la déclaration de nullité du mariage ou la dissolution, en certains cas déterminés, du lien validement contracté, Nous avons considéré dans le discours que, l'an dernier, Nous avons prononcé devant vous, comment intervient la certitude morale4. L'importance du sujet Nous fait juger utile d'examiner aujourd'hui de plus près ce concept. Car, aux termes du canon CIS 1869, § 1er, on exige la certitude morale sur l'état de fait de la cause à juger, pour que le juge puisse procéder au prononcé de sa sentence. Or, une telle certitude, s'ap-puyant sur la constance des lois et des usages qui gouvernent la vie humaine, admet divers degrés.

Il y a une certitude absolue, où est totalement exclu tout doute possible sur la vérité du fait et l'inexistence du contraire. Pourtant, une pareille certitude absolue n'est pas nécessaire pour prononcer la sentence. Dans beaucoup de cas, il n'est pas possible aux hommes d'y atteindre ; l'exiger équivaudrait à demander aux juges et aux parties une chose irraisonnable ; ce serait aggraver l'administration de la justice au-delà d'une mesure tolérable ; bien plus, ce serait en entraver la marche dans de vastes proportions.

En opposition avec ce suprême degré de certitude, il arrive que

4 Allocution du 3 octobre 1941 ; cf. Documents Pontificaux 1941, p. 238.

le langage commun appelle certaine une connaissance qui, strictement parlant, ne mérite pas une telle appellation, mais qui doit être qualifiée comme une plus grande ou une moindre probabilité, parce qu'elle n'exclut pas tout doute raisonnable et laisse subsister, non sans fondement, une crainte d'erreur. Cette probabilité ou quasi-certitude n'offre pas une base suffisante pour une sentence judiciaire, en ce qui concerne la vérité objective du fait.

En pareil cas, c'est-à-dire quand le manque de certitude sur le fait à juger empêche de prononcer un jugement positif sur le fond de l'affaire, la loi, et en particulier l'ordonnance des procès, fournit au juge des règles obligatoires sur le mode de procéder, dans lesquelles les praesumptiones juris et les favores juris ont une importance décisive. Le juge ne peut pas ne pas tenir compte de ces règles de droit et de procédure. C'en serait pourtant une application exagérée ou erronée et comme une fausse interprétation de la volonté du législateur, si le juge voulait y recourir quand on a non seulement une quasi-sécurité, mais une certitude au vrai sens du mot. En effet, contre la vérité et sa connaissance certaine, il ne peut y avoir ni praesumptiones ni favores du droit (ni présomptions, ni faveurs du droit).

La certitude morale.

Entre la certitude absolue et la quasi-certitude ou probabilité, se trouve, comme entre deux extrêmes, cette certitude morale, dont il s'agit d'ordinaire dans les questions soumises au tribunal de la Rote et à laquelle Nous entendons principalement Nous référer. Sous son aspect positif elle est caractérisée par ce fait qu'elle exclut tout doute fondé ou raisonnable, et ainsi elle se distingue essentiellement de la quasi-certitude mentionnée ci-dessus ; sous son aspect négatif, elle laisse subsister la possibilité absolue du contraire, et par là se différencie de la certitude absolue. Cette certitude morale dont Nous parlons maintenant est nécessaire et suffisante pour prononcer une sentence, même si dans le cas particulier il était possible d'aboutir, par voie directe ou indirecte, à une certitude absolue. C'est ainsi seulement qu'on peut prétendre à une administration régulière et ordonnée de la justice, qui procède sans s'embarrasser de retards inutiles et de soucis excessifs pour le tribunal comme pour les parties.

2° Parfois la certitude morale ne résulte que d'une quantité d'indices et de preuves qui, pris séparément, ne peuvent fonder une vraie certitude, mais qui, dans leur ensemble, ne laissent subsister, pour un homme de jugement sain, aucun doute raisonnable. De cette façon, il ne faut pas croire qu'on accomplit un passage de la probabilité à la certitude au moyen d'un simple total de probabilités, ce qui serait une illégitime transition de genere ad genus, d'une espèce à une autre espèce essentiellement différente B. Il s'agit, au contraire, de reconnaître que la présence simultanée de tous et de chacun de ces indices et preuves ne peut avoir de fondement suffisant que dans l'existence d'une source ou base commune d'où ils dérivent ; c'est-à-dire de la vérité et de la réalité objective. La certitude provient donc, en ce cas, de la sage application d'un principe d'absolue sécurité et d'universelle valeur, c'est-à-dire du principe de la raison suffisante. Si donc, dans la motivation de sa sentence, le juge affirme que les preuves produites, considérées séparément, ne peuvent être déclarées suffisantes mais, prises ensemble et comme embrassées d'un seul regard, offrent les éléments nécessaires pour arriver à un jugement sûr et définitif, il faut reconnaître qu'une telle argumentation est en principe juste et légitime.

Ses bases objectives.

3° De toute façon, cette certitude doit être entendue comme certitude objective, c'est-à-dire basée sur des motifs objectifs ; il ne faut pas l'entendre comme une certitude purement subjective, qui se fonde sur le sentiment ou sur l'opinion purement subjective de celui-ci ou de celui-là, peut-être même sur quelque crédulité personnelle, légèreté ou inexpérience. La certitude morale objectivement fondée est absente, s'il y a pour la réalité du contraire des motifs qu'un jugement sain, sérieux, compétent, déclare comme étant, au moins en quelque manière, dignes d'attention ; ces motifs, par conséquent, permettent de penser que le contraire doive être déclaré non seulement comme possible absolument, mais aussi, de quelque façon, probable.

Pour assurer l'objectivité de cette certitude, la procédure juridique établit des règles bien définies d'enquêtes et de preuves. On exige des preuves déterminées ou des corroborations de preuves ; d'autres, au contraire, sont regardées comme insuffisantes6 ; on établit spécialement des services et des personnes, chargés pendant

5 Aristote, De coelo, 1, 1.
6 C. /. C, 1. IV, p. 1, tit. X, De probationibus, can. 1747-1836 ; comme aussi diverses dispositions particulières du droit criminel et matrimonial.

le procès d'avoir devant les yeux, d'affirmer, de défendre des droits ou faits déterminés 7. Qu'est-ce donc que cela, sinon un juste formalisme juridique qui, parfois regarde davantage le côté matériel, parfois davantage le côté formel du procès ou du cas juridique ?

L'observation consciencieuse de ces règles est un des devoirs du juge. Mais, d'autre part, dans leur application, il doit se souvenir qu'elles ne sont pas des fins en soi, mais bien des moyens pour arriver à la fin, c'est-à-dire pour procurer et consolider une certitude morale objectivement fondée sur la réalité du fait. Il ne faut pas que ce qui, selon la volonté du législateur, doit être une aide et une garantie pour la découverte de la vérité, en devienne, au contraire, un obstacle. Si, d'ailleurs, l'observation du droit formel se changeait en une injustice ou en un manque d'équité, il est toujours possible de recourir au législateur.

Formalisme juridique et libre appréciation des preuves.

4° Aussi, voit-on pourquoi dans la procédure judiciaire moderne, même ecclésiastique, on ne place pas en première ligne le principe du formalisme juridique, mais le principe de la libre appréciation des preuves. Sans préjudice des prescriptions de procédure mentionnées, le juge doit décider selon sa propre science et conscience si les preuves produites et l'enquête ordonnée sont ou non suffisantes 8, autrement dit si elles suffisent à la certitude morale nécessaire en ce qui concerne la vérité et la réalité du cas à juger.

Sans doute, des conflits peuvent surgir entre « le formalisme juridique » et « la libre appréciation des preuves », mais, dans la plupart des cas, ce ne sont que des conflits apparents et donc ordinairement de solution facile. En effet, de même que la vérité objective est une, ainsi la certitude morale objectivement déterminée ne peut également n'être qu'une.

On ne peut donc admettre qu'un juge puisse déclarer avoir personnellement, sur la base des actes judiciaires, la certitude morale sur la vérité du fait à juger, et, en même temps, refuser, en tant que juge, sous l'aspect du droit processif, cette même certitude objective. Cette contradiction devrait plutôt l'induire à un examen ultérieur et plus soigné de la cause. Il n'est pas rare que cela provienne du fait que certains côtés de la question, qui n'acquièrent leur plein relief, leur pleine valeur que considérés dans l'ensemble, n'ont pas été convenablement appréciés, ou bien que les règles juridico-formelles ont été interprétées inexactement ou appliquées contre le sens et l'intention du législateur. De toute façon, la confiance, dont les tribunaux doivent jouir parmi le peuple, exige que soient évités et résolus, chaque fois que c'est possible en quelque manière, de semblables conflits entre l'opinion officielle des juges et les sentiments raisonnables du public spécialement cultivé.

Degré de certitude morale requis.

5° Mais la certitude morale admettant divers degrés, comme Nous l'avons dit, quel degré le juge pourra-t-il et devra-t-il exiger pour être en état de procéder au prononcé de la sentence ? Premièrement, dans tous les cas, il devra s'assurer qu'on a, en réalité, une certitude morale objective, autrement dit exclusive de tout doute raisonnable au sujet de la vérité.

Assuré de cela il ne doit pas, selon la règle, demander un plus haut degré de certitude, à moins que la loi, en raison de l'importance du cas, ne le prescrive °. Il pourra arriver aussi que la prudence conseille au juge, même en l'absence d'une disposition expresse de la loi, de ne pas se contenter d'un degré infime de certitude dans des causes qui présentent un plus grand intérêt. Si cependant, après une considération et un examen sérieux, on obtient une sécurité correspondant aux prescriptions légales et à l'importance du cas, on ne devra pas insister, avec une notable aggravation des dépens des parties, pour obtenir qu'elles apportent de nouvelles preuves afin de parvenir à un degré encore plus élevé de certitude. Exiger la plus grande sécurité possible, alors que la certitude correspondante existe déjà, est une pratique à repousser, comme n'ayant pas de juste fondement.

Par cet exposé de Notre pensée sur un point si délicat de l'office du juge, Nous n'avons fait que saluer, encourager, remercier les membres sagaces de votre insigne collège et tribunal de la jurisprudence chrétienne qui, non seulement n'ignorent pas, mais aussi pratiquent la sentence du Docteur angélique, selon laquelle unusquisque debet niti ad hoc quod de rebus 'iudicet, secundum

9 Cf. can. CIS 1869, § 3 et can. CIS 1791, § 2.

quod sunt : que chacun s'efforce de juger des choses comme elles sont10. La vérité vaut exactement l'entité et la réalité ; c'est pourquoi notre intelligence qui prend la science des choses, en prend encore la règle et la mesure, selon que les choses sont ou ne sont pas ; de telle manière que la vérité est la loi de la justice n. Le monde a besoin de la vérité, qui est justice, et de cette justice, qui est vérité ; car, disait déjà le grand philosophe de Stagire, la justice est et in bello et in pace utilis : utile dans la guerre et dans la paix 12. Que l'éternel Soleil de justice illumine la terre et ses gouvernants, et que, pour la plus grande gloire de Dieu, de l'Eglise et du peuple chrétien, il vous guide dans tous vos pas dans la recherche de la réalité de cette vérité, qui tranquillise dans la certitude morale le visage de la justice !

Pendant que, exprimant ce souhait sacré, Nous invoquons sur tous et sur chacun de vous les dons les plus lumineux de la divine Sagesse, Nous vous donnons avec une paternelle affection Notre Bénédiction apostolique.

10 S. Thomas, Summa Theol., II-II 60,4, ad 2.
11 Cf. S. Thomas, l. c, I 21,2.
12 Aristote, Rhét., 1, 9.



ALLOCUTION AU XLIe CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ ITALIENNE POUR LE PROGRÈS DES SCIENCES (2 octobre 1942)


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Le Saint-Père ayant reçu en audience spéciale les savants qui ont pris part au XLI' Congrès de l'Association italienne pour l'avancement des sciences, leur a adressé l'allocution suivante :

C'est pour Notre coeur une joie très vive, illustres savants, de vous voir ici réunis autour de Nous, comme pour couronner votre savant Congrès pour le progrès des sciences qui, avec de nouvelles orientations, conduisent par de nouveaux sentiers et de nouvelles acquisitions vers des horizons et des buts nouveaux. Votre présence et votre assemblée de remarquables chercheurs de l'univers nous élèvent par le progrès des sciences jusqu'à ce Dieu omniscient, Deus scientiarum Dominus (le Seigneur, Dieu des sciences) qui, en créant le monde par sa toute-puissante parole, a délimité le progrès de l'origine des choses en ces grands jours dont vous découvrez les couchers et les aurores dans les entrailles de la terre et à la surface du globe. Dernier venu sur cette terre donnée au genre humain pour qu'il la cultive afin de gagner son pain, l'homme, étranger au passé, fait à reculons le chemin vers le passé, cherchant avec soin dans l'oeuvre divine les traces du Créateur, traces laissées et révélées dans les tendances des êtres et dans les phases de l'évolution du globe, comme des lois de sa sagesse divine d'où procèdent toute science humaine, toute exploration et toute conquête, toute possession et toute utilité du monde physique. Conquérant de l'air, royaume de l'aigle, dompteur des flots de l'océan, explorateur du sein brûlé de la terre, le savant, l'homme de science, devient l'honneur et la gloire du genre humain « qui, en le voyant, s'exalte en sa personne » et admire en lui un des promoteurs de la grandeur et de la civilisation humaines.

L'expression courante Inter arma silent Musae (adaptation de la sentence cicéronienne bien connue) 2, n'a, aujourd'hui plus que jamais, qu'un sens relatif, car la conduite moderne de la guerre s'appuie dans une large mesure sur la science qu'elle met à son service. Sans doute, le progrès des sciences vers de nouveaux buts, progrès soutenus par les puissantes merveilles de la technique, est, en lui-même, un progrès de lumière sur les voies cachées de la Providence pour en retirer des résultats bons, avantageux, profitables à la vie civile, à la puissance de la patrie, au salut et à la défense dans les dangers publics. C'est pourquoi Nous sommes heureux de saluer en vous la haute science ; dans votre congrès, vous avez porté vos recherches et vos connaissances au-delà du temps qui passe et de l'instant qui fuit, grâce à cette impulsion surnaturelle qui vous pousse vers de nouveaux horizons au-dessus des choses visibles.

La réalisation assidue de la maxime vitam impendere vero, « sacrifier la vie à la vérité » 3, l'infatigable dévouement au service de la science, la lutte pour la conquête de connaissances toujours plus parfaites, non moins que leur application systématique aux exigences toujours croissantes de la vie, non seulement matérielle et économique, mais encore morale et religieuse, constituent une mission à laquelle les classes dirigeantes dans le domaine scientifique ne peuvent se soustraire sans qu'il ne s'ensuive d'irréparables dommages pour le pays et pour le peuple.

Maintenir éveillée la conscience de cette mission aussi honorifique que lourde, aussi bien dans le cercle de ceux qui s'adonnent à des études identiques aux vôtres que dans l'esprit du peuple, a été l'un des buts les plus élevés de votre congrès.


2 Cf. Cicéron, Pro Miione, 4, 10 : Silent enim leges inter arma... Même métaphore chez Lucain (Pharsale, 1, 277) : Sed postquam leges bello siluere coactae...
3 Juvénal, Satire IV, 91. Voici le passage en question :
Ille [Crispus] igitur numquam direxit brachia contra Torrentem, nec civis erat, qui libera posset Verba animi proferri, et vitam impendere vero :

Les penseurs et les chercheurs, les inventeurs et les constructeurs, les littérateurs et les philosophes, les juristes et les historiens italiens, allant de l'avant avec intelligence et courage, et rivalisant avec d'autres nations dans l'arène multiforme de la recherche scientifique, ont écrit en caractères d'or leurs noms dans l'histoire de l'humanité.

Nous avons pleine confiance qu'il sera donné, dans un avenir proche, à la présente génération de savants si dignement représentée aujourd'hui devant Nous, de consacrer toute la force de leur intelligence, tout l'idéalisme de leur volonté, à faire surgir dans le monde, après la plus formidable des guerres, dans une féconde union avec les honnêtes gens de tous les pays, un ordre nouveau de justice et de paix, étranger à tout ce qui est excessif, inique et injuste ; un ordre que même le peuple italien puisse saluer avec joie du plus profond de sa foi, de sa pensée et de son sentiment, parce que cet ordre répond à ses plus glorieuses traditions religieuses et civiles.

Le jour où la science, avec toutes les découvertes, les inventions et les expériences qui se sont extraordinairement accrues au cours des années du formidable conflit, pourra collaborer à l'oeuvre gigantesque de reconstruction au profit de la grande famille humaine, en transformant son potentiel de guerre en potentiel de paix, sera pour tous ses véritables disciples un jour de joie pure et indicible.

Amie de toute vérité, l'Eglise n'est ni ne peut être l'ennemie ou l'adversaire du vrai progrès des sciences, progrès qui ne peut jamais contredire et blesser la foi du Christ ; l'Eglise ne peut, au contraire, que tirer avantage des recherches astronomiques, des calculs mathématiques, des inventions physiques et industrielles, des arts du génie humain, de tout ce qui multiplie la parole et triomphe du temps et de l'espace, des spéculations de la philosophie et du droit.

Quant à Nous, Vicaire du Christ « en qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science » (Col 2,3), en souhaitant à chacun de vous et, en premier lieu, à votre très digne président, flambeau de la sagesse juridique, de très nombreuses faveurs célestes qui vous éclairent, vous guident et vous accompagnent dans votre marche en avant sur les sentiers de la science, Nous appelons sur vous, sur vos familles, sur tous ceux qui vous sont chers, sur vos études, sur vos efforts dans le progrès scientifique, les plus abondantes bénédictions de Dieu.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(21 octobre 1942) 1

La fidélité conjugale sera le sujet de quatre discours aux jeunes époux. Voici le premier de ceux-ci :2

I. — Beauté de la fidélité conjugale.

La lumière si pure qui brille dans vos yeux, chers jeunes époux, manifeste à tous les regards la joie sainte qui inonde vos coeurs, la joie de vous être donnés l'un à l'autre pour toujours. Pour toujours ! Nous avons insisté sur cette pensée lorsque Nous avons parlé de l'indissolubilité du mariage à d'autres jeunes mariés qui vous ont précédés dans cette salle. Mais, loin d'avoir épuisé le sujet, Nous n'avons fait que l'effleurer. Aussi voudrions-Nous entrer dans le fond, dans l'intime de ce sujet, et vous parler de cette perle de la fidélité conjugale, Nous bornant aujourd'hui à vous en faire apprécier la beauté et goûter le charme.

La fidélité est l'âme du contrat indissoluble qu'est le mariage.

Par sa puissance de contrat indissoluble, le mariage constitue et lie les époux dans un état social et religieux de caractère légal et perpétuel, et il est élevé au-dessus de tous les autres contrats en vertu de ce privilège qu'aucun pouvoir de ce monde — dans le sens et les limites que Nous avons exposés naguère — ne peut l'annuler. C'est en vain qu'une des parties prétendrait le résilier : vidé, renié, déchiré, le pacte ne desserre point son étreinte ; il continue à obliger avec la même vigueur qu'au jour où le consentement des contractants le scella devant Dieu ; la victime elle-même ne saurait être libérée du lien sacré qui l'unit à celui ou à celle qui a trahi. Ce lien ne se dénoue qu'avec la mort.

Toutefois, la fidélité a le sens de quelque chose d'encore plus fort, d'encore plus profond, de quelque chose aussi de plus délicat et d'infiniment plus doux. Le contrat matrimonial unissant les époux en une communauté de vie sociale et religieuse, il faut que soient exactement déterminées les limites des obligations qu'il impose et que soit garantie à chacune des parties la possibilité de recourir à une contrainte extérieure pour réduire le conjoint à Paccomplisse-' ment des devoirs librement assumés. Mais, tandis que ces déterminations d'ordre juridique, qui en sont comme le corps matériel, donnent nécessairement au contrat un froid aspect de formalité, la fidélité en est l'âme et le coeur, la preuve manifeste, l'éclatant témoignage.

A la fois plus exigeante que le contrat, et plus douce, la fidélité est l'amour qui commande le religieux respect du don de soi

Tout en étant plus exigeante, la fidélité change en douceur ce que la précision juridique semblait imprimer de rigoureux et d'austère au contrat. Oui, tout en étant plus exigeante, car la fidélité tient pour infidèle et parjure non seulement celui qui attente à l'indissolubilité du mariage par le divorce — vainement d'ailleurs et sans effet — mais encore celui qui, sans détruire matériellement le foyer qu'il a fondé et sans abandonner la communauté de vie conjugale, se permet de contracter et de maintenir parallèlement une autre liaison, une liaison criminelle ; elle tient pour infidèle et parjure celui qui, sans même contracter une liaison illicite durable, dispose pour le plaisir d'autrui ou pour la coupable satisfaction de son égoïsme, ne fût-ce qu'une seule fois, d'un corps sur lequel, pour user d'une expression de saint Paul, n'a de droit que l'époux ou l'épouse légitime (1Co 7,4). Plus exigeante encore et plus délicate que cette fidélité purement naturelle, la vraie fidélité chrétienne va plus loin : elle règne et commande, souveraine d'amour, sur toute l'étendue du royal domaine de l'amour.

Qu'est-ce en effet que la fidélité, sinon le religieux respect du don que chacun des époux a fait à son conjoint de son corps, de son esprit, de son coeur, de tout soi-même, pour la vie tout entière et sans autre réserve que les droits sacrés de Dieu ?

. qu'il s'agisse des corps

1. La fraîcheur de la jeunesse en fleur, l'honnête élégance, la spontanéité et la délicatesse des manières, la bonté du coeur, tous ces bons et beaux attraits qui composent le charme indéfinissable de la jeune fille candide et pure, ont conquis le coeur du jeune homme et l'ont porté vers elle dans l'ardent élan d'un chaste amour. C'est en vain que vous chercheriez dans la nature entière une image pour exprimer un charme si exquis. De son côté, la jeune fille a aimé la beauté virile, le regard fier et droit, le pas ferme et résolu de l'homme au bras duquel elle appuiera sa main délicate tout au long du rude voyage de la vie.

En ce radieux printemps, l'amour savait exercer sur les yeux son pouvoir enchanteur, il savait donner aux actions les plus insignifiantes un éclat plein de charme, voiler ou transfigurer les plus manifestes imperfections. Par l'échange de leur promesse, les époux se sont donnés l'un à l'autre dans la joie de s'unir naturelle mais sanctifiée et dans la noble ambition d'une riche fécondité. Serait-ce là déjà la fidélité dans tout son éclat ? Non, car elle n'a pas encore fait ses preuves.

Mais les années, en passant sur la beauté et sur les rêves de la jeunesse, lui ont ravi quelque chose de sa fraîcheur pour lui donner en échange une dignité grave et réfléchie. En se développant, la famille a rendu plus lourde la charge qui pèse sur les épaules du père. La maternité, avec ses tourments, ses souffrances et ses risques, réclame, exige du courage : l'épouse ne doit pas se montrer moins héroïque au champ d'honneur du devoir conjugal que l'époux au champ d'honneur des devoirs civiques où il fait à la patrie le don de sa vie. Surviennent les absences, les séparations — Nous en avons parlé récemment 3 — ou d'autres délicates circonstances qui obligent à vivre dans la continence : conscients que le corps de l'un est la propriété de l'autre, les époux accomplissent leur devoir sans hésitation ; ils en acceptent les exigences et les conséquences ; ils portent sans faiblesse, d'un coeur généreux, l'austère discipline qu'impose la vertu.

Enfin, lorsque la vieillesse multiplie les maladies, les infirmités, les signes d'une humiliante et pénible décrépitude, bref tout le cortège de misères qui, sans la force et le soutien de l'amour, rendraient répugnant ce corps jadis si séduisant, c'est le sourire aux lèvres que

Cf. Discours du 15 juillet, ci-dessus p. 185.

les époux se donneront sans compter les soins de la tendresse la plus délicate.

Telle est la fidélité dans le don mutuel des corps.

... qu'il s'agisse des esprits

2. Lors des premières rencontres, au temps des fiançailles, tout était souvent plein de charmes. Avec non moins de sincérité que d'illusion candide, chacun apportait à l'autre son tribut d'admiration, au point de provoquer chez les témoins un sourire de bienveillante indulgence. Ne vous arrêtez pas trop à ces petites querelles, qui sont plutôt, au dire du poète latin, des marques d'amour : non bene, si tollas proelia, datur amor. C'était alors la pleine, l'absolue communauté des idées et des sentiments dans tous les domaines, matériel et spirituel, naturel et surnaturel, l'harmonie parfaite des caractères. La force expansive de leur joie et de leur amour donnait à leurs conversations un entrain, une vivacité, une verve qui faisait étin-celer leur esprit et aimablement briller le trésor de connaissances qu'ils pouvaient posséder, trésor parfois peu étendu, mais que tout contribuait à mettre en valeur. Cela, c'est l'attrait, c'est l'enthousiasme : ce n'est pas encore la fidélité.

Mais elle ne dure pas toujours, cette saison : les défauts ne tardent point à se montrer, les différences de caractère à devenir plus sensibles et plus nombreuses, peut-être même la pauvreté intellectuelle à devenir plus manifeste. Les feux d'artifice se sont éteints, l'amour aveugle ouvre les yeux, et il est déçu. Alors, c'est pour le véritable et fidèle amour le temps de l'épreuve qui commence, et le temps de son enchantement. Sans doute, les yeux bien ouverts, il s'aperçoit de toutes les imperfections, mais il met à les supporter une affectueuse patience, conscient qu'il est de ses propres défauts ; bien plus, sa clairvoyance l'amène même à découvrir et à apprécier sous la rude écorce les qualités de jugement, de bon sens, de solide piété, riches trésors qui se cachent dans l'obscurité, mais qui sont d'authentiques valeurs. Soucieux de mettre ces dons et qualités de l'esprit en pleine lumière et valeur, il n'a pas moins d'habileté et d'empressement à dissimuler aux yeux des autres en son conjoint les lacunes et les ombres de l'intelligence ou du savoir, les bizarreries ou les rudesses de caractère. Aux expressions fautives ou impropres, l'amour sait chercher une interprétation indulgente et favorable, et il est toujours heureux d'en trouver une ou l'autre. Voyez sa promptitude à discerner ce qui rapproche et unit, et non pas ce qui divise, sa promptitude à rectifier quelque erreur ou à dissiper quelque illusion avec une bonne grâce qui sait ne pas heurter ni n'offenser jamais. Loin d'étaler sa supériorité, il a la délicatesse d'interroger son conjoint, de lui demander conseil, de lui laisser entendre que, s'il est heureux d'avoir à donner, il se réjouit aussi de recevoir. De cette manière, ne le voyez-vous pas ? s'établit entre les époux une union d'esprit, une collaboration intellectuelle et pratique qui les fait monter l'un et l'autre vers cette vérité où réside l'unité, vers la vérité suprême, vers Dieu. Est-ce donc là autre chose que la fidélité dans le don mutuel de leurs esprits ?

qu'il s'agisse des coeurs surtout.

3. Les coeurs se sont donnés pour toujours. C'est pour le coeur, pour le coeur avant tout, qu'a été puissant l'élan qui a conduit les jeunes époux à leur union ; et c'est aussi avant tout pour le coeur que la désillusion, quand elle vient, est amère, parce que le coeur est l'élément le plus sensible, et le plus aveugle de l'amour. Lors même que l'amour survit intact aux premières épreuves de la vie conjugale, la sensibilité peut diminuer et baisser, elle perd même parfois nécessairement de son ardeur et de sa prédominance excessive et facilement illusoire. Or, c'est la constance et la persévérance dans l'amour, dans la réalisation quotidienne du don réciproque de soi-même, et, au besoin, dans l'empressement et la plénitude du pardon, qu'est la pierre de touche de la fidélité.

S'il y a eu dès le début un amour sincère et non pas seulement une égoïste recherche de satisfactions sensuelles, cet amour au fond des coeurs ne change pas et, en dépit des années qui passent, cet amour demeure. Rien d'aussi édifiant, rien d'aussi charmant, rien ne vous émeut autant que le spectacle de ces vénérables époux dont les noces d'or ont en leur fête quelque chose de plus calme, mais aussi de plus profond, Nous voudrions dire quelque chose de plus tendre, que les noces de leur jeunesse. Cinquante ans ont passé sur leur amour, et par une vie commune de travail, d'affection, de souffrance, de prière, ils ont appris à se mieux connaître, à se découvrir l'un en l'autre la vraie bonté, la vraie beauté, le véritable battement d'un coeur dévoué, à mieux deviner encore ce qui peut faire plaisir à l'autre. De là ces empressements exquis, ces petites surprises, ces innombrables petits riens que seuls prendront pour des enfantillages ceux qui ne savent point y découvrir la grande et belle dignité d'un immense amour. Et voilà la fidélité dans le don mutuel des coeurs.

Quel bonheur est le vôtre, chers jeunes époux, si vous avez eu, si vous avez encore la faveur de contempler de pareilles scènes chez vos aïeuls ! Vous les avez peut-être dans votre enfance délicatement et affectueusement taquinés ; mais maintenant, au jour de vos noces, vos regards s'arrêtent avec émotion à ces souvenirs, avec une sainte envie, avec l'espérance de donner un jour, vous aussi, un pareil spectacle aux enfants de vos enfants. Nous vous le souhaitons et, en vous donnant du fond du coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique, Nous prions Dieu qu'il vous accorde la grâce de cette indéfectible, de cette exquise fidélité.




Pie XII 1942 - LETTRE ET TÉLÉGRAMME DE LA SECRÉTAIRERIE D'ETAT POUR LE CONGRÈS EUCHARISTIQUE MISSIONNAIRE DE CASTELGANDOLFO (29 septembre 1942)