Pie XII 1942 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A S. EM. LE CARDINAL PELLEGRINETTI, PRÉSIDENT DU COMITÉ POUR LA COMMÉMORAISON DU IVe CENTENAIRE DU CONCILE DE TRENTE (18 novembre 1942)


RADIOMESSAGE AU PREMIER CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL DU SALVADOR

(26 novembre 1942) 1

Le Saint-Père a clôturé le premier Congrès eucharistique national du Salvador, qui s'est tenu dans la capitale de la République, par ce radio-message :

A vous, Vénérables Frères et chers fils qui, au-delà de deux mers et de deux continents, écoutez Notre voix, réunis en ce premier Congrès eucharistique national de la République du Salvador.

Afin de distinguer les hommes et les peuples les uns des autres, la divine Providence a voulu que chacun d'eux reçoive un nom, « parole brève — pour emprunter la définition très exacte donnée par l'un des principaux maîtres de votre belle langue — qui se substitue à celui dont on parle et que l'on prend pour lui-même » 2. Et parmi tous les noms que l'on aurait pu donner à votre terre, on a choisi le plus beau qui se puisse imaginer. En effet, il n'a pas été tiré de l'histoire récente ni de l'histoire ancienne, non plus que de quelqu'un des dons naturels dont Dieu l'a enrichi : sol généreux et ciel lumineux, beauté incomparable de ses hautes montagnes, calme de ses lacs transparents, grandeur de ses cascades, de ses volcans, de sa mer immense. Dieu a permis qu'il s'appelât d'un nom qui est celui-là même de son divin Fils : République de Saint-Sauveur, république du Sauveur, car ce ne fut pas seulement — Nous voulons le penser ainsi — la piété enflammée de Pedro Alvarado qui, au début de la conquête de l'Amérique, vous baptisa de ce nom, mais encore et surtout la divine Providence elle-même.

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., 34, 1942, p. 353 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII. t. IV, p. 276.

Il est donc juste, Vénérables Frères et chers fils, que vous vous trouviez rassemblés en ce moment pour honorer cette sainte Hostie, dans laquelle votre foi vous enseigne à reconnaître votre Dieu, l'hôte bien-aimé de vos tabernacles, et avant tout la victime qui sauve le monde, votre divin Sauveur. Il est juste que la République du Salvador, et avec elle toutes ses soeurs, les nations de l'Amérique centrale, s'agenouillent à cette heure devant l'autel où, au milieu des ors et des lumières, apparaît au monde son salut, pour proclamer à la face de tous les peuples qu'en ce moment décisif de l'histoire de l'humanité il n'y a de salut à espérer que de ce Seigneur qui est caché sous le voile de blancheur de l'Hostie : Non est in alio aliquo salus (Ac 4,12).

Il a sauvé le monde au point central de son histoire lorsque, élevé entre ciel et terre, il s'offrit à son Père éternel en cette Passion si ignominieuse dont ce sacrement est le perpétuel mémorial, comme victime pour une humanité qui gisait sans défense sous les griffes du péché. Personne ne pouvait la tirer d'une si grande misère, sinon la grâce de Jésus-Christ, notre Sauveur et Seigneur : Ab huius tam miserae quasi quibusdam inferis vitae, non liberat nisi gratia Salvatoris Christi, Dei ac Domini nostri 3.

Il sauve tous les jours l'humanité, en offrant sur la nappe blanche des autels sa chair et son sang très précieux, afin de donner une vie immortelle à ceux qui sont morts ; car « pour que cet homme qui vit sur la terre, pût arriver à conquérir l'immortalité, il était nécessaire que la chair mortelle participât au pouvoir de Dieu, qui donne la vie ; or, ce pouvoir, c'est son Fils unique, qu'il a envoyé au monde comme Sauveur et Rédempteur... et en mangeant sa chair et en buvant son sang, nous avons la vie en nous » 4.

Il doit nous sauver à cette heure aussi, à cette heure cruciale de l'histoire, car, aujourd'hui comme toujours, le salut des peuples ne s'obtient que par le retour à la vie surnaturelle, à la vie chrétienne, qui a son centre et toute sa force dans la sainte Eucharistie. Malheur au monde si cette manne divine cessait un seul jour de tomber du ciel ! Malheur à nous, pèlerins ici-bas, si cette source jaillie soudain du rocher pour que le peuple puisse boire, interrompait un seul instant son cours fécond ! C'est alors, pensons-Nous, que viendrait l'heure de mourir de faim et de soif !

S. Augustin, De civ. Dei, 1. 22. ch. 22, n. 4 ; Migne, P. L., t. 41, col. 786. Cf. S. Cyrille d'Alexandrie, Comm. in Lucam, ch. XXII, y. 19 ; Migne, P. G., t. 72, 908 ss.

Enfin, il sauvera votre patrie qui, à cause du nom qu'elle porte, Nous semble plus près de Notre coeur, en la maintenant fidèle à la robuste foi héritée de ses glorieux aïeux, en la protégeant contre les embûches des fausses doctrines et en donnant à sa vie chrétienne cette magnifique splendeur qui doit se traduire surtout par la fréquente réception des sacrements, par la pureté des moeurs publiques et privées, par le respect de la dignité et de l'honneur de la famille, par le souci d'élever chrétiennement la jeunesse, par la splendeur des temples, par la haute estime de l'état sacerdotal, par la piété profonde qui ne se contente pas de simples cérémonies extérieures, par la pleine liberté reconnue à l'Eglise et à ses institutions pour le bien et pour le salut des âmes. Il sauvera votre patrie et la fera grande, en lui accordant une prospérité matérielle toujours plus considérable, en unissant en un seul coeur tous les coeurs, ceux de toutes les classes sociales, ceux des riches et ceux des pauvres, de sorte qu'un jour tous se sentiront comme frères à la même table, mangeant le même pain descendu du ciel, la même hostie de salut, qui ouvre les portes du paradis, consommant la même nourriture qui nous donne de la force, tandis qu'autour de nous retentissent les clameurs furieuses de nos ennemis.

Quant à Nous, très chers fidèles salvadoriens et Vénérables Frères auxquels est confié le troupeau des diocèses de l'Amérique centrale et avec qui ont voulu s'unir, en cette solennelle circonstance, d'illustres prélats des autres régions de votre continent, Nous élevons aujourd'hui avec vous Notre voix avec ferveur, et du fond de Notre coeur de Père commun, torturé par une tragédie qui Nous remplit chaque jour davantage d'amertume et de douleur, Nous supplions le Coeur Immaculé d'abréger les jours d'épreuve et d'accourir à notre secours : « Je tournerai mes yeux vers le Seigneur, je mettrai mon espérance en Dieu, mon Sauveur, et Dieu m'écoutera » (Mi 7,7).

Voyez-le : il semble qu'il dorme sous les voiles eucharistiques, accoudé à la proue de la barque ; mais il veille toujours : « Seigneur — Nous écrierons-Nous avec celui dont Nous sommes l'indigne successeur — Seigneur, sauvez-nous, nous périssons » (Mt 8,25). Seigneur, soyez aussi, en ce moment, notre Sauveur dans l'Hostie sainte, et faites que les hommes, tels des cerfs altérés, accourent à la source d'eau vive pour y calmer leurs lèvres brûlées par tant d'aliments empoisonnés ! Seigneur, donnez-nous les nombreux fruits que vous réservez là pour nous, et entre autres comme première faveur, le don inestimable de la paix : la paix avec vous, ô Rédempteur du monde ; la paix entre les hommes, cette paix que nous appelons tous les jours, aux premières lumières du matin, lorsque Nous disons, en célébrant les mystères de l'autel : Pax Domini sit semper vobiscum. Dona nobis pacem !

Qu'elle ne soit pas différente aujourd'hui, votre ardente prière, en la clôture de ce magnifique premier Congrès eucharistique national, auquel Nous avons voulu être présent en esprit en la personne de Notre digne légat. La grande année de préparation qui l'a précédé, avec ses missions et ses congrès régionaux — au cours desquels, avec une délicatesse filiale qui a suscité un profond écho dans Notre coeur, vous avez tenu à rappeler aussi le XXVe anniversaire de Notre consécration episcopale — la profondeur de votre foi traditionnelle, riche héritage que vous a légué jadis la catholique Espagne, mère de divers peuples ; enfin, la bonté inépuisable du Coeur de ce Sauveur, salut de ceux qui espèrent en Lui : Salus in te sperantium, Nous donnent l'assurance que vos prières montant comme un encens jusqu'au trône où ce Coeur reçoit les hommages des anges, seront favorablement accueillies.

Nous vous recommandons à lui, très chers fils de la République du Salvador et de toutes les autres nations de l'Amérique centrale. Nous plaçons en cette arche de salut, pour y être en sécurité, vos diocèses, avec les évêques zélés qui sont à leur tête, en demandant au Coeur de Jésus de les réconforter et de les aider ; Nous plaçons encore dans cette arche votre clergé afin que, croissant toujours en nombre, en science et en piété, il puisse être chaque jour un plus ardent coopé-rateur à votre salut ; en elle, Nous renfermons votre peuple tout entier, afin qu'il sache trouver dans la divine grâce qui déborde de ce sacrement la force nécessaire qui doit l'aider à vivre une vie véritablement chrétienne à la maison et dans les rues, dans la famille et à l'école, dans le domaine de la loi et de la presse, dans les délassements nécessaires et convenables, comme aux heures de tribulation et d'épreuve.

Que votre divin Sauveur, présent dans ce sacrement, soit un vrai Sauveur pour vous, très chers fils ; qu'il soit le salut des autorités civiles, et en premier lieu de l'excellentissime M. le Président de la République avec son gouvernement, qui a si louablement voulu prendre part aux solennités de ce premier Congrès eucharistique national ; qu'il soit votre salut à vous, Vénérable Frère, qui dirigez, avec un zèle si saint et si prudent, les destinées de cet archidiocèse, siège de solennités inoubliables ; qu'il seconde toutes vos oeuvres et les saintes préoccupations de votre coeur de pasteur, parmi lesquelles Nous ne saurions aucunement oublier le magnifique séminaire interdiocésain — promesse certaine, pleine de réalité pour l'Eglise salvadorienne, et même centro-américaine que Nous tenons aussi à bénir tout spécialement — ni non plus la vaillante jeunesse catholique, avant-garde des bataillons serrés qui, sous la direction de la hiérarchie, livrent le bon combat pour propager le règne de Dieu.

Que Notre-Dame de la Paz, couronnée il n'y a pas encore cinq lustres, par Notre prédécesseur Benoît XV de sainte mémoire, vous abrite tous sous le symbolique rameau que, dans l'église San Miguel, elle tient de la main droite, et dont Nous désirerions voir l'ombre se projeter sur le monde entier ! Que la Vierge du Rosaire, votre patronne, soit votre salut à vous et au monde entier, grâce à la mystique et puissante chaîne de prières qui lui a mérité le nom d'auxiliaire et de salut du peuple chrétien !

Du haut de cette roche du Vatican, bastion du monde, Nous dirigeons aussi vers vous Nos regards, chers fils de la République du Salvador, et Nous faisons entendre Notre voix pour vous bénir. La main de Dieu, qui a donné à chacun son nom et son poste, vous a placés au centre de l'arc qui unit entre eux les deux parties d'un monde qui reçut jadis le nom de Nouveau-Monde, et elle voulut que l'on vous appelât République du Salvador. Que Dieu bénisse la République du Salvador et que Notre bénédiction, descendant comme un gage de salut et de paix sur vous, qui êtes comme la clé de voûte de l'arc et du continent tout entier, franchisse les terres pour se répandre dans les deux mers, celle de ce côté-ci et celle de l'autre côté, et que par-delà les continents elle s'étende affectueusement à l'univers tout entier, en gage de paix et de salut.


ALLOCUTION AUX PROFESSEURS ET DIRIGEANTS DE L'ÉCOLE DU « CENTRE DES MUTILÉS PRINCESSE DE PIÉMONT »

(29 novembre 1942) 1

Le Saint-Père recevant les professeurs de lycées et institutions de Rome qui avaient pris la noble initiative de créer une école pour les mutilés de guerre, les félicite de leur admirable générosité.

Votre réunion autour de Nous, Messieurs les directeurs et professeurs, si méritants de l'instruction classique et de l'éducation de la jeunesse dans les lycées et institutions de cette Rome, phare de la civilisation mondiale et de la foi chrétienne, exalte Notre âme et ravive en Nous les souvenirs de ces salles qui furent aussi le terrain de luttes de Nos études de jeunesse. Vous êtes amenés jusqu'à Nous par le zélé aumônier du « Centre des mutilés Princesse de Piémont », auquel, généreusement prodigues de votre savoir varié, vous dispensez l'enseignement classique ; vous en goûtez les fruits dans les épreuves auxquelles vous soumettez ces nouveaux élèves qui ne sont plus des adolescents, mais des soldats et des hommes faits, épreuves de pacifiques études, non de sanglantes rencontres sur les champs de bataille. Vous avez admiré leurs fronts sereins, leurs fieres poitrines et les blessures, témoignages de leur vaillance, qui les rendent chers à votre coeur, et c'est pourquoi vous leur prodiguez cette instruction et cette éducation qui vous ennoblissent vous-mêmes en faisant de vous, pour ceux qui portent sur leurs corps les signes d'honneur de leur valeur, des maîtres de grandeur civique et des guides sur un nouveau chemin de la vie.

Pour votre activité dans l'enseignement, la patrie vous est reconnaissante ; pour votre sollicitude à leur égard, les mutilés vous vénèrent comme des pères ; de Notre côté, Nous reconnaissons et Nous apprécions en vous une générosité qui, si elle a ses racines dans la noblesse de votre coeur, fleurit, en vertu de la grâce divine, plus belle à la chaleur de la charité chrétienne, parce qu'elle s'élève dans la sphère intellectuelle et monte encore plus haut dans la sphère spirituelle et parce qu'elle produit pour vous des fruits non seulement à l'égard de la patrie terrestre, mais encore pour la vie future dans la patrie de l'au-delà. Cette générosité de maîtres qui donnent le bien du savoir se rencontre avec l'héroïsme des braves qui ont donné à la patrie la vigueur et l'intégrité de leurs membres, en les instruisant et en les formant dans ces études classiques qui sont et qui constituent le meilleur acheminement vers tous les sentiers des lettres et des sciences. Les grands maîtres de la culture européenne vinrent d'Athènes et de Rome ; la religion du Christ ne les méprisa point. C'est même sa gloire si les documents de la sagesse antique furent conservés et transmis jusqu'à nous, afin que leur parfum intellectuel et moral, purifié de toute saveur païenne, parvienne et se répande à travers les âges jusqu'à notre temps telle une brise qui rafraîchit les talents par l'émulation des anciens, même dans le domaine de la science moderne et des sciences physiques et appliquées les plus hardies et les plus admirables.

Les mutilés du « Centre Princesse de Piémont » vous regardent comme de sages bienfaiteurs qui illuminent et dirigent leurs esprits vers la vérité et la beauté du savoir ; vérité et beauté qui ne sont pas séparées de l'élévation de la religion chrétienne, mais qui avec elle descendent de l'intelligence dans le coeur pour adoucir l'amertume des cicatrices corporelles. Enseignez-leur, illustres directeurs et professeurs qui êtes des maîtres de la pensée, que la lutte de l'homme sur la terre est double : la lutte du corps et la lutte de l'esprit ; dans l'une, c'est la patience qui triomphe, source de sérénité et de force dans tout événement pénible, dans l'autre c'est la confiance en Dieu qui réconforte, soutient et porte secours dans toutes les nécessités et qui fait trouver, quand besoin est, ces coeurs sages et bienveillants d'où jaillit avec abondance la parole savante qui, tout en instruisant et en guidant l'intelligence, contribue à faire naître dans le coeur le sentiment de la reconnaissance et de l'amour des bienfaiteurs.

Chers fils, si vous considérez comme un acompte à la récompense que vous méritez pour votre assiduité à instruire et à éduquer vos élèves, adolescents et adultes, l'accueil qui vous est fait dans cette maison du Père commun, c'est pour Nous une douce impulsion de Notre coeur paternel qui aime en vous les instruments et les promoteurs de la bonne et haute instruction et éducation. Et c'est pourquoi sur chacun de vous, sur vos familles et sur tous ceux qui participent à une oeuvre si bienfaisante Nous invoquons avec toute l'effusion de Notre âme les célestes faveurs en vous accordant Notre Bénédiction apostolique.

LETTRE A S. EM. LE CARDINAL FOSSATI, ARCHEVÊQUE DE TURIN, A LA SUITE DES BOMBARDEMENTS AÉRIENS (30 novembre 1942)


1

Les nouvelles que, avec un coeur de père et de pasteur gonflé d'amertume, vous Nous avez envoyées, Nous conduisent — Nous aussi plein de douleur jusqu'au plus profond de l'âme — à travers les ruines, les deuils et les larmes dont, ces jours-ci, la guerre a rempli la noble et active Turin, cette ville qui Nous est si chère à tant de titres.

Cependant, tout attristé que Nous soyons sur votre douleur et sur la douleur de vos fils, Nous sommes soutenu par la certitude que la foi et la piété traditionnelles des Turinois, même si elles sont durement mises à l'épreuve, ne seront toutefois pas inférieures à elles-mêmes ; et levant leur regard vers Dieu bon et miséricordieux, surtout à l'heure de l'épreuve, ils sauront attendre de lui la grâce qui fait de nos maux un motif de purification et de sanctification en Jésus-Christ.

Pour ce qui Nous concerne, Nous continuerons à mettre en oeuvre tous les moyens en Notre pouvoir pour détourner de tous Nos fils l'aggravation des souffrances publiques et Nous ne cesserons d'élever vers le Seigneur les plus ardentes supplications pour qu'il abrège l'épreuve et qu'il ramène tous et tout dans l'ordre et dans la paix.

De toute façon, Nous voulons vous assurer, vous et vos fils, que Notre pensée et Notre coeur sont intensément avec vous. Et ne doutant pas que dans cette calamité publique la prière de tous n'en sera que plus ardente et plus confiante, Nous invoquons de grand coeur la Vierge bénie à laquelle Turin est dévouée, pour qu'en ce moment elle vous porte secours, et de coeur Nous vous accordons à vous, Notre cher Fils, au clergé et à tout le troupeau confié à vos soins la Bénédiction apostolique.

LETTRE A S. EM. LE CARDINAL SCHUSTER, ARCHEVÊQUE DE MILAN, A LA SUITE DES BOMBARDEMENTS AÉRIENS (2 décembre 1942)


1

Si les voeux de Noël que vous et vos diocésains Nous avez adressés avec tant d'empressement Nous rappellent la douceur mystique d'une paix supérieure à toutes les vicissitudes terrestres, ils n'effacent pas la tristesse profonde dont Nous Nous sentons affligé à cause de la dure épreuve qui précisément en ces jours a frappé la chère ville de Milan et ses fils généreux.

Aussi, tout en vous exprimant à vous et à vos fils de Milan Notre paternelle reconnaissance avec la joie que le Roi de la paix qui va naître renouvelle dans vos coeurs le grand message de Bethléem — ce qui n'est pas une vaine parole pour qui croit en lui et s'attache à lui en tout événement — Nous ne pouvons pas Nous empêcher de répandre Notre propre douleur dans vos coeurs souffrants, comme aussi de différentes manières Nous adressons à Dieu et aux hommes Nos ardentes supplications pour que cesse la rigueur d'un si grand fléau et qu'il soit mis une trêve aux carnages, aux ruines et aux deuils.

Il Nous est consolant, en vérité, d'apprendre par vous que les angoisses présentes se transforment en autant d'invitations à la piété pour que les bons deviennent meilleurs et pour que dans le grand nombre, comme on peut le croire, se raniment la pensée de Dieu, l'ardeur pour le bien et l'estime des valeurs éternelles. Mais cette assurance elle-même rend plus vif en Nous le désir de voir Nos prières, les vôtres et celles de tous exaucées, la sécurité rétablie dans les âmes et dans votre active cité renaître dans l'ordre et la justice le travail productif et bienfaisant.

C'est dans ces sentiments que Nous invoquons aussi avec une ferveur particulière la puissante intercession de la Reine du ciel et de vos saints protecteurs. Et dans la confiance que le Père des miséricordes veuille bien hâter pour tous la paix si désirée, Nous vous accordons à vous, Notre cher Fils, à votre clergé et à toute votre grande famille en Jésus-Christ, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION LORS DE LA CLOTURE DES EXERCICES SPIRITUELS DU VATICAN

(5 décembre 1942) 1

Lors de la clôture des Exercices spirituels qui avaient été prêches par le R. P. Dezza, S. ]., recteur magnifique de l'Université grégorienne, le Saint-Père a adressé l'allocution suivante aux cardinaux et aux prélats de la Curie qui avaient pris part aux Exercices.

Encore rayonnants et pleins d'ardeur des grâces de lumière et d'amour qui nous furent prodiguées au cours des saints Exercices spirituels, notre premier élan porte notre coeur à faire monter un cantique de reconnaissance vers Dieu, père des lumières et esprit d'amour. Mais parce que pour monter à Dieu, il est dans l'ordre que la reconnaissance refasse le chemin que la grâce a parcouru pour descendre jusqu'à nous, dans ce chemin le premier que nous rencontrons c'est vous, cher fils et distingué prédicateur, et nous vous adressons l'expression de notre gratitude.

Eloge du prédicateur.

Pour remplir ce saint ministère, votre zèle a dû ajouter une nouvelle charge aux multiples et importantes occupations dont vous êtes déjà chargé par votre fonction. Nous savons bien avec quelle intelligence et quelle ferveur vous dirigez Notre Université grégorienne confiée à vos soins, Nous savons comment aussi par votre enseignement personnel vous prenez une part directe à la saine formation philosophique des jeunes candidats au sacerdoce, comment en outre vous étendez encore plus l'efficacité et l'ampleur de votre activité par vos savants écrits et comment par l'apostolat de la parole vous recueillez des fruits jusque dans les cercles intellectuels plus élevés.

Mais aux travaux en apparence les plus divers, une pensée élevée, noble et en même temps très simple, est toujours à même de donner une parfaite unité ; c'est la pensée même qui domine toute l'oeuvre du glorieux saint Ignace : consacrer, dans n'importe quel champ d'activité, toutes ses forces à vivre et à travailler afin que le Christ Jésus soit toujours connu plus intimement, aimé plus ardemment, suivi plus généreusement2, en un mot qu'il devienne de plus en plus effectivement « le Roi et centre de tous les coeurs » 3.

Cela, cher fils, vous l'avez fait avec cette éloquence, la seule forte et pénétrante, qui jaillit d'une âme brûlante de la « vraie, sereine et apostolique très sainte charité » et dont la flamme se propage à la façon d'étincelles à travers un tube (Sg 3,7). C'est avec confiance que Nous attendons du souffle divin que cette flamme mette le feu et fasse briller en nous cette « splendeur de l'humilité et de la charité » qui doit être la caractéristique de tout vrai prêtre, entièrement possédé et dirigé par l'amour du Christ (cf. 2Co 5,14).

Appel à la charité.

Charité surnaturelle, vivement désireuse du bien des âmes, de leur salut éternel, de leur sanctification ici-bas, mais charité universelle qui doit embrasser, pour ce qui Nous concerne, tout le prochain ; tout le prochain, cela veut dire tous les hommes ; tout le prochain, cela veut dire aussi l'homme tout entier, sans restriction ni réserve. Le Christ ne nous a-t-il pas commandé d'aimer nos frères comme nous-mêmes et même de les aimer comme lui-même nous a aimés ? (cf. Mt 19,19 Jn 13,34 xv, Jn 12). Et saint Paul, à l'école de qui nous avons été ces jours derniers, saint Paul, écho fidèle et fidèle imitateur du divin Maître, ne recommandait pas seulement aux chrétiens de se réjouir avec ceux qui sont dans la joie et de pleurer avec ceux qui sont dans les larmes ; mais lui-même ne se refusait pas de se faire tout à tous pour les sauver tous, au point que nul n'était scandalisé ou faiblissait sans que lui-même ne se sentisse brûler comme sur des charbons ardents (cf. Rom. Rm 12,15 1Co 9,22 2Co 11,29).

2 Cf. Exercices spirituels, Ineam. 3 Prel.
3 Litanies du Sacré-Coeur.

La charité du Docteur des gentils était une charité d'apôtre rempli de zèle apostolique ; mais la charité est le fait de toute âme et de tous les temps et c'est tout particulièrement une heure de charité que l'heure sanglante qui se prolonge, s'avance et devient chaque jour plus tragique et pèse plus lourdement sur la face de la terre. Sans nul doute, Vénérables Frères et chers fils, vos pensées et vos intentions charitables à l'égard de la souffrance et de la misère du peuple de Rome s'étendent sur le monde, passent les monts et les fleuves, les mers et les océans et en même temps ces pensées et ces intentions montent par la prière et l'invocation vers le Rédempteur du genre humain qui examine tout, qui pèse tout, qui veille sur tout, qui mesure et dirige tout vers cette fin très élevée pour laquelle lui-même s'est fait homme au milieu de nous, enseignant le bien du salut et répandant le bien par la parole de son immense amour et par la puissance de ses mains. Votre parole et votre main ont aussi, avec la grâce du Christ, puissance de réconfort et de consolation, d'espérance et de secours. A ceux qui sont au loin tout comme à ceux qui sont tout près, que de cette colline du Vatican arrivent la lumière et les effets bienfaisants de votre vie de vertu, de dévouement, de travail, de piété, de mortification, de sacrifice, de charité ; que leur parvienne le fruit de la prière qui monte vers Dieu et l'apaise pour les péchés des hommes ; que la prière leur obtienne le secours du ciel qui change la tribulation en un champ de mérites pour une vie meilleure, qui freine les passions, éloigne les dangers et rende même la mort résignée et tranquille.

L'esprit du Christ dont vous vous êtes appliqués à remplir votre âme en ces fervents Exercices spirituels, sous la conduite d'un savant prédicateur, opérera de telle façon que tous sentent en chacun de vous, prêtres du Christ, le frère, l'ami, le consolateur, prêt toujours à encourager et, pour autant qu'il lui sera possible, à soulager toute misère. Vous aussi vous sentez, à l'égal de Nous-même, l'angoisse de l'heure qui coule ; avec cette foi qui a vaincu le monde, ayez recours et faites confiance au Christ et à sa divine parole qui invite à venir à lui tous ceux qui sont fatigués, affligés, tourmentés, et promettez-leur le puissant réconfort de la grâce qui jaillit de son coeur de Père, de Maître unique ec d'unique Sauveur. Et maintenant afin que cette grande grâce croisse encore en vous plus abondante et plus féconde, Nous vous accordons avec effusion de coeur Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE A S. EM. LE CARDINAL ASCALESI, ARCHEVÊQUE DE NAPLES, A LA SUITE DES BOMBARDEMENTS AÉRIENS

(8 décembre 1942) 1

Appelé par les insondables desseins de Dieu à boire largement, dès le début de Notre pontificat, au calice du divin Maître avec toute la famille chrétienne prise dans le tourbillon de la guerre, Nous voici aujourd'hui avec vous, Notre très cher Fils, pour prendre part à votre douleur et à celle de votre troupeau aujourd'hui précipité dans le deuil.

Mais en souffrant avec vous, Nous sentons bien dans cette dure calamité la foi forte et vivante d'un peuple qui n'a jamais démenti son profond esprit religieux et qui, dans les plus dures épreuves, sent Dieu plus proche que jamais pour en accepter les volontés et en reconnaître la bonté, un Dieu qui soutient dans les maux et qui, en même temps qu'il humilie, rappelle, purifie, soulage et conduit ses fils à la lumière de la vérité et de la justice du cceur.

Soutenu par ces sentiments, Nous ne doutons pas que notre commune angoisse trouvera son réconfort dans le Père de la miséricorde ; et ce Père pitoyable, qui console même en abattant, fera sentir aujourd'hui aussi à ses fils affligés sa main secourable, pour que personne ne tombe ou ne faiblisse, mais pour que tous trouvent les voies supérieures de la force chrétienne.

Dans cette espérance qui pour Notre cceur est une certitude, tant Nous estimons la foi et la piété du peuple napolitain, Nous élevons aujourd'hui pour vous, comme hier pour d'autres de vos frères, Nos fils bien-aimés, la plus fervente prière au Consolateur céleste pour qu'aux jours obscurs des lamentations succède bientôt l'aube de la paix juste et sereine.

Que, par l'intercession de la Vierge Immaculée et de votre glorieux patron, toujours si cher à votre coeur, le Tout-Puissant écoute Nos supplications ; et que Notre Bénédiction apostolique émue soit pour vous, Notre cher Fils, et pour tout votre troupeau, surtout pour ceux qui sont le plus frappés par le malheur, un gage de l'assistance divine.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(9 décembre 1942) 1

Cette audience accordée aux jeunes époux est la dernière de cette année. Le Saint-Père y termine son long exposé sur la fidélité conjugale dont les trois premières parties ont fait l'objet des discours du 21 octobre et des 4 et 18 novembre :

IV. — Epreuves de la fidélité conjugale.

Nous parlions récemment des écueils où il arrive que vienne se heurter la fidélité des jeunes époux et Nous les mettions en garde contre les imprudences où ils peuvent facilement tomber. Mais en même temps ces écueils ne sont que des occasions d'épreuves. Or c'est de ces épreuves de la fidélité que Nous voulons vous entretenir aujourd'hui, chers jeunes époux, en pensant à la fois aux douleurs qui peuvent s'abattre sur la partie elle-même restée fidèle et aux tentations que peuvent éveiller en elle ces douleurs. Ces épreuves peuvent provenir d'une faute ou d'une imprudence de l'autre partie sans que celui ou celle qui en souffre y ait la moindre responsabilité ; elles peuvent aussi se produire sans la moindre faute de la part d'aucun des époux. Mais il en va toujours de ces épreuves comme de toutes celles que la Providence permet dans ses insondables desseins : avec la grâce et l'effort il est toujours possible d'en sortir plus fort et plus grand.

Ne soyez pas surpris, jeunes époux, de Nous entendre traiter en votre présence des épreuves dont l'un des époux porte la responsabilité. Nous ne doutons pas de vous : bien mieux, Nous avons confiance que votre vie chrétienne et votre humble prudence vous obtiendront de Dieu par la prière, la grâce de persévérer et de grandir dans les saintes dispositions qui vous animent à cette heure. Si Nous Nous adressons à vous, c'est comme à de charitables messagers qui se feront auprès des autres les hérauts du réconfort et de la paix et qui, Nous l'espérons, porteront au loin l'écho de Notre parole. Puisse ainsi Notre parole consoler et soutenir ceux qui vivent dans l'épreuve ! Et puissiez-vous devenir vous-mêmes, quand vous rencontrerez au cours de votre vie des âmes en de pareilles épreuves, des anges de réconfort et de soutien, pour guérir et apaiser les coeurs meurtris, pour sauver de leur profonde angoisse et de leurs violentes tentations les âmes découragées ! Quelle splendide oeuvre de charité vous accomplirez en les secourant !

Première épreuve : la trahison que préparent les liaisons passagères et qui conduit à l'abandon du foyer

1. La première de ces épreuves, et la plus sensible, c'est la trahison. Hélas ! elle n'est pas rare. Il y a certes bien loin de la simple fréquentation superficielle et passagère à l'abandon du foyer ; mais l'écart le plus léger blesse profondément un coeur loyal qui s'était donné pleinement et sans réserve aucune. Et puis c'est toujours là le premier pas sur une pente glissante ; d'autre part, pour l'époux, ou l'épouse, blessé et trompé, c'est la pente de la tentation, peut-être le prétexte du premier pas de la descente. Et s'il manque de force pour supporter l'épreuve et en triompher, il tombe lui-même plus bas encore, et voilà que toute la trame de la tragédie se forme et s'achève.

Mais si un premier instant d'égarement a conduit à l'infidélité ; s'il s'en est suivi un lien qui s'est peu à peu resserré ; si enfin, loin des siens, l'infidèle mène une vie de légèreté ou fonde un foyer illégitime, c'est le comble de l'épreuve, le comble de la souffrance, le comble de la tentation ; veuvage plus triste que la mort, puisqu'il ne laisse ni la consolation des larmes répandues sur une tombe aimée, ni la possibilité de rebâtir le nid. La vie est brisée, mais non éteinte, et elle continue dans une épreuve qui a quelque chose de terrible. Et pourtant, comme cette épreuve grandit celui ou celle qui la porte dignement, saintement ! Grande, héroïque dans son affliction, admirez-la, cette femme, cette mère, qui doit à elle seule élever et éduquer sa famille ! Mais celle du père trahi est une angoisse plus vive encore et plus amère : il ne peut donner une seconde mère à ses enfants qui sont encore petits et ont besoin de caresses, il ne peut remplacer celle qui les a abandonnés. Oh ! que le coeur saigne à la pensée que

ces petits finiront avec les ans — sans même qu'on ait besoin de leur révéler les désordres d'un père ou d'une mère qui vit au loin — par comprendre leur malheur.

Quelle horrible tentation alors d'en finir avec la vie ou de se faire une existence nouvelle et un foyer nouveau ! Mais, si la tempête fait rage dans le cceur, le phare du devoir demeure immobile sur le rivage de la vie : devoir rigoureux qui de ses rayons de lumière travaille la conscience et commande de rester fidèle au serment réciproque violé et foulé aux pieds par l'autre conjoint.

... ou à une vie commune accablante.

L'époux coupable ne rompt pas toujours la vie commune ; mais son infidélité, surtout si elle s'accompagne de manières rudes et grossières, rend la vie commune de plus en plus difficile et pour ainsi dire intolérable. Certes, il y a des cas où le droit, sans porter atteinte au lien conjugal, permet à l'époux innocent de se séparer du coupable. Mais, à moins que le danger de scandale ou l'intérêt supérieur des enfants ou quelque autre raison grave n'exigent la séparation, la charité, qui s'accommode de tout (1Co 13,7), invite et porte au silence et à la patience, pour reconquérir un coeur égaré. Que de fois, cette attitude eût rendu possible la réconciliation ! A l'égarement passager eût pu succéder l'amendement, la réparation, le rachat du passé par une vie exemplaire qui eût enfoui toutes choses dans l'oubli. Mais si la partie innocente ne se laisse pas gagner par la charité, si elle s'emporte, un coeur près de se repentir ou déjà repentant se voit repoussé dans un abîme plus profond encore que celui d'où il cherchait à remonter. On connaît de sublimes pardons !

Il arrive quelquefois, vous le savez bien, que le mari resté fidèle à une épouse toujours bien-aimée rentre d'une longue absence, peut-être d'un camp de prisonniers de guerre, à son cher foyer, et qu'il y voie le sourire ou qu'il y entende le vagissement d'un de ces berceaux qu'on a justement et douloureusement appelés « les berceaux tragiques ». Il se laisse émouvoir par la pitié : après un moment d'hésitation et de lutte intérieure, il s'approche et se penche sur ce berceau, il baise au front le bébé, victime innocente lui aussi, il l'adopte comme son enfant. Certes, le devoir n'oblige pas cet héroïsme. Il y a même des cas où la raison peut le déconseiller. Mais comment refuser son admiration à ces héros de la fidélité et de la charité ?

Autre épreuve : le désaccord sur la morale conjugale.

2. Une autre épreuve menace la fidélité, une épreuve plus fréquente encore que la trahison : c'est la méconnaissance, par l'un des époux, de la sainteté du devoir conjugal. De peur de voir se multiplier les charges de famille, par crainte de la fatigue, de la souffrance, d'un danger qu'on exagère parfois, par la crainte incomparablement plus futile de sacrifier quelque ligne de son élégance, quelque lambeau de sa vie de plaisir et de liberté, quelquefois aussi par sécheresse de coeur ou étroitesse d'esprit, par mauvaise humeur ou par l'illusion d'une vertu mal comprise, l'un des époux se refuse à l'autre ou ne se prête qu'en marquant son mécontentement et ses appréhensions. Nous ne parlons évidemment pas ici du coupable accord de deux époux qui veulent fermer leur foyer à la bénédiction des enfants.

Cette épreuve est bien dure pour une épouse ou un époux attaché à son devoir. Qu'elle se renouvelle, qu'elle se prolonge, qu'elle devienne permanente et comme définitivement décrétée, la tentation naîtra facilement de chercher ailleurs une compensation illicite. Saint Paul le dit expressément : « Ne vous soustrayez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis remettez-vous ensemble, de peur que Satan ne vous tente par suite de votre incontinence » (1Co 7,5). Si accablante que soit l'épreuve, il en faut sortir victorieux. C'est un malheur que de succomber. Ne fallait-il pas lutter et prier ? « Priez, afin que vous n'entriez pas en tentation ! » (Mt 26,41). Si la volonté n'en est pas moins vaincue, ce malheureux a-t-il fait, avec la lutte et la prière, tout ce qu'il devait, tout ce qu'il pouvait ? Il lui restait encore une grande et belle tâche. Ce mari, cette femme qu'on aime et à qui on a lié sa propre vie est une âme bien chère et cette âme est en danger ; elle est même plus qu'en danger, puisqu'elle vit habituellement en état de péché mortel, d'où elle ne sortira que par le repentir et la volonté d'accomplir son devoir à l'avenir. Et n'aurait-on pas à coeur de faire tout, absolument tout, coûte que coûte, pour la sauver ?

N'est-ce pas là un des premiers devoirs de la fidélité et le plus urgent des apostolats ? Apostolat difficile, mais qu'un amour puissant et fort rendrait efficace. Sans doute, il y faut de la constance, une douce et patiente énergie, il y faut de la persuasion, il y faut la prière, une prière fréquente et intense, suppliante et confiante ; il y faut l'amour, l'amour de tous les instants, un amour délicat, tendre, prêt à tous les sacrifices, à toutes les concessions qui ne soient pas contre la conscience, un amour prompt à satisfaire, à prévenir les désirs, ne s'agirait-il que d'un innocent caprice, pour reconquérir le cceur égaré et le reconduire sur le sentier du devoir.

Tout cela, objectera-t-on peut-être, ne réussira pas toujours. Quand même cela ne réussirait qu'une fois, une seule, il vaudrait la peine de s'y mettre résolument. Aussi longtemps qu'on n'a pas accompli cet effort à fond, de toutes façons, avec persévérance, on ne peut pas dire qu'on a tout fait. Et aussi longtemps qu'on n'a pas tout tenté, on n'a pas le droit de désespérer du succès. Il y va d'une âme, d'une âme si précieuse ! Et même si on ne parvient pas à triompher de l'obstination ou de la pusillanimité du coupable, la lutte n'en aura pas moins l'avantage de tremper la volonté de l'époux innocent et de le maintenir, à travers l'épreuve, dans une irréprochable fidélité.

Troisième épreuve : les séparations forcées, en particulier le cas où l'état de santé impose la continence parfaite.

3. Nous rangions récemment les séparations forcées parmi les ennemis de l'union conjugale 2 : Nous devons aujourd'hui les compter parmi les épreuves de la fidélité. Ici, aucun des deux époux n'est coupable, mais l'épreuve n'en est pas moins dure et périlleuse. Nous ne revenons maintenant à ce sujet que pour vous signaler une forme particulière de ces séparations, séparations partielles et dont aucun étranger ne s'aperçoit, mais qui n'en est pas moins grave et pénible. Nous voulons parler des maladies, des infirmités qui imposent, parfois pour longtemps, une continence parfaite, tandis qu'on continue à vivre ensemble, à s'aimer comme le premier jour et à vouloir vivre chrétiennement. Pour conserver alors à la fidélité son indéfectible perfection et son exquise délicatesse, il faut un amour fort et une foi vive. Il faut alors veiller, lutter, prier, fortifier l'âme, le coeur, les sens par la divine nourriture de l'Eucharistie. Il faut alors élever l'esprit vers l'idéal du vrai et noble amour qui dépasse incomparablement le pauvre amour purement humain, toujours plus ou moins égoïste. Quelle épreuve, quelle heure que celle-là ? C'est l'épreuve et l'heure où l'amour conjugal se confond avec l'amour du prochain envers le pauvre blessé sur la route de Jéricho, pour le secourir, pour le soigner, pour le consoler, pour l'aimer comme on s'aime soi-même. Et quel prochain est plus proche du mari que sa femme, et plus proche de l'épouse que son mari ? L'un devient alors pour l'autre le bon Samaritain ou la bonne Samaritaine, et l'affectueuse assistance, les soins et la prière mettent un nouveau sceau à la fidélité jurée devant Dieu et devant les hommes. A ceux qui savent ainsi s'élever, lutter et prier, vivre de Dieu, la grâce ne sera jamais refusée.

Nous prions le Seigneur qu'il vous épargne de semblables épreuves ; mais si la Providence de son amour en disposait autrement, Nous la supplions de ne point permettre que vous soyez tentés ou éprouvés au-delà de vos forces, et de vous ménager avec la tentation, le pouvoir de la supporter et une heureuse issue (cf. 1Co 10,13). C'est avec ce vceu que Nous vous accordons de coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1942 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A S. EM. LE CARDINAL PELLEGRINETTI, PRÉSIDENT DU COMITÉ POUR LA COMMÉMORAISON DU IVe CENTENAIRE DU CONCILE DE TRENTE (18 novembre 1942)