Pie XII 1947 - LA VOIX DU PAUVRE EST LA VOIX DU CHRIST
Plus d'une fois, nous avons tous lu dans la légende dorée de la charité quelqu'un de ces récits merveilleux où le Sauveur, secouru sous les traits du mendiant ou du lépreux qu'il avait empruntés, apparaissait ensuite dans l'éclat très doux de sa gloire. Symbole corporel d'une réalité spirituelle plus grande et plus belle encore.
Comme jadis, dans la nuit divine, l'ange du Seigneur avait envoyé les bergers à l'étable de Bethléem : « Vous y trouverez un petit enfant... couché dans une crèche » ; ainsi, sur la parole de la pauvre Françoise Souchet, messagère du Seigneur, Jeanne Delanoue était allée chercher elle aussi, dans une étable six pauvres petits enfants presque nus, grelottants, gisant à terre avec leurs parents, tous consumés par la misère et la maladie. De son mieux, elle nettoie et accommode le taudis ; elle y apporte en abondance vivres et vêtements. Plusieurs fois par semaine, on peut la voir parcourir les quatre kilomètres qui séparent Saint-Florent de sa maison, courbée sous le poids d'un lourd panier. Les passants regardent avec surprise l'ancienne mercière, naguère un peu vaniteuse et fort avare, dans sa rude tâche de charité. Les uns admirent sa conversion et ils en bénissent Dieu ; d'autres la prennent pour une insensée ; d'autres enfin sourient, un peu sceptiques, et attendent de voir combien de temps elle persévérera dans son beau zèle, un feu de paille, croient-ils. Et à ceux qui lui demandent, intéressés ou narquois, où elle va en telle hâte et si pesamment chargée, Jeanne répond : « Habiller et nourrir mes petits Jésus ». On haussait les épaules et l'on passait sans comprendre. Jeanne, elle, avait compris ; elle était dans la vérité. Aucune inclination spéciale, avouait-elle plus tard, ne la portait à secourir les indigents, ni à s'intéresser à leurs misères. « Mais lorsque j'entends Jésus-Christ dire dans l'Evangile : tout ce que vous avez fait au moindre de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait, je tremble de mériter ce reproche au dernier jour : j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger... Voilà ce qui me porte à tout ce que j'entreprends, à tout ce que je fais ».
Ce qu'elle fait ? Mais c'est tout ce que ferait quiconque saurait voir dans le pauvre, comme elle l'y voyait elle-même : Jésus-Christ. Elle le traite, quel qu'il soit, comme elle eût traité Jésus-Christ en personne, avec le même empressement dévoué, la même délicatesse raffinée, la même vénération respectueuse.
Pour la même raison, rien ne l'arrête, si grand que soit le nombre de ceux qui se présentent, si grande que soit l'étendue de leur détresse, l'immensité de leurs besoins. C'est Jésus et, parce que c'est Jésus, il ne peut jamais être question de l'éconduire, il doit toujours trouver tout prêts le vivre et le couvert, on doit toujours avoir place pour lui. On se serrera, on agrandira, on bâtira, on s'endettera, qu'importe : « Mon Dieu, disait-elle ce sont vos dettes ; vous les acquitterez quand bon vous semblera ». Et le Père infiniment riche du divin Pauvre payait toujours les dettes contractées pour son fils. Des secours imprévus arrivent du dehors à point nommé ; les obstacles les plus insurmontables tombent d'eux-mêmes ; le pain, l'étoffe, l'argent se multiplient entre ses doigts. Comment suffire à sa tâche sans cesse grandissante : elle n'a que ses deux bras ; de vaillantes compagnes lui apportent les leurs, et voici un nouvel Institut religieux que bientôt l'autorité ecclésiastique approuve et que le peuple appelle spontanément La Providence et, sans beaucoup tarder, La Grande-Providence.
A la mort de Jeanne Delanoue, la Congrégation de Sainte-Anne de la Providence avait déjà pris un développement considérable. Sur elle, comme sur toutes les familles religieuses, la bourrasque révolutionnaire a passé, mais sans la détruire. Depuis, le zèle et la charité ont dû faire front sans relâche aux épreuves multiples et variées, conséquences des persécutions, des guerres, des crises de toutes sortes ; et néanmoins, continuant saintement et développant l'oeuvre de votre mère, vous travaillez dans un grand nombre de maisons, toujours, comme elle, au service des pauvres.
L'identification du Christ avec le pauvre, telle que Nous venons de la dire et de l'admirer, n'est encore qu'une identification morale : elle fait du pauvre le représentant favori et qualifié de Dieu, en sorte que Dieu considère comme fait à lui ce qu'on aura fait pour le pauvre. Cela ne pouvait suffire à son amour de prédilection. Il a voulu réaliser une identification parfaite, réelle, complète, poussée jusqu'à l'extrême, jusqu'à l'identification physique. Il s'est donc fait homme, il s'est fait chair pour habiter parmi nous, mais il s'est fait pauvre pour prendre sur lui toutes les misères de la pauvreté, ut misericors fieret (He 2,17 IV, He 15). Et il l'a fait en plénitude, afin que sa vie fût par excellence la vie du pauvre et que tout pauvre, sûr, dans les souffrances, les angoisses, les humiliations de la pauvreté, d'être compris de lui, apprît à chercher et à trouver près de lui consolation, secours et exemple.
Il sait, par expérience, ce que c'est que d'avoir froid, de n'avoir pas une pierre où reposer la tête, ce que c'est que d'avoir faim et soif, ce que c'est que de voir ses humbles vêtements partagés et tirés au sort sous ses yeux et de mourir, nu, avec pour lit une croix raboteuse, étant né dans une crèche dont le bois rugueux n'était adouci que par une poignée de foin.
Eminente dignité des pauvres, enviée, semblerait-il, par Dieu, qui s'en est voulu parer. Cette dignité, Jeanne Delanoue, dès avant de la comprendre en son esprit, l'avait déjà devinée, pressentie et, la voyant ambitionnée par Jésus, elle l'a ambitionnée aussi pour elle. Tel est le secret de sa vie d'une effrayante austérité.
Le pauvre a faim ; elle ne mange que trois fois par semaine. Le pauvre reçoit les déchets de la table des riches (cf. Luc, Lc 16,21) ; elle mange les débris de pain laissés par les pauvres et la viande avariée que l'un d'eux n'avait pas le courage de mettre à la bouche. Le pauvre est mal vêtu et ses guenilles ne sont pas entretenues ; elle s'affuble de haillons répugnants et ne modère cette mortification que par obéissance. Le pauvre est humilié de laisser voir ses misérables habits ; elle paraît à l'église, malgré les révoltes de sa nature, dans le plus étrange accoutrement. Le pauvre est mal logé et dort sur un grabat ; elle repose quelques courtes heures, tout habillée, assise sur une chaise et la tête appuyée contre le mur, ou se blottit dans un coffre étroit où n'eût pu s'étendre un enfant et qu'elle appelle sa crèche. Le pauvre mendie ; elle décide d'en faire l'épreuve pour connaître la peine que connaissent les pauvres honteux.
Comme tout cela est loin des pensées du monde ! Et comme le monde a besoin du spectacle de ces saintes folies pour apprendre et goûter la vraie sagesse, tout au moins pour entrevoir, dans sa splendeur surnaturelle, l'éminente dignité du pauvre et de la pauvreté, qui lui fait horreur pour lui-même.
Quant à vous, filles d'une telle mère, que pouvons-Nous lui demander pour vous ? Que la puissance de son intercession sur le coeur de Dieu, que la puissance de son exemple sur vos coeurs, vous obtienne d'être remplies de son esprit, héritières de sa sollicitude pour les pauvres, de son amour envers Dieu, qui s'est fait pauvre pour notre amour. C'est avec ce souhait et dans cette confiance que Nous vous donnons paternellement, à vous, à votre Institut, à tous ceux qui vous sont chers, à vos chers pauvres surtout, Notre Bénédiction apostolique.
(10 novembre 1947) 1
Le 1er novembre déjà le Pape avait reçu en audience un groupe de sénateurs américains appartenant à la commission des appropriations ; le 10 novembre, un deuxième groupe de cette même commission était accueilli à son tour :
Nous souhaitons une très sincère bienvenue aux honorables membres du Sénat des Etats-Unis.
Nous Nous souvenons que ce jour est la veille d'une date qui, dans votre calendrier national, est indiquée comme particulièrement mémorable dans les annales récentes. Certainement, pour ceux qui font retour en arrière de trente ans et plus, c'est un jour plein de souvenirs : souvenirs de scènes alarmantes de batailles et d'attente apparemment sans fin des mères angoissées ; souvenirs de joie spontanée et débordante qui recouvrit pour un moment d'un voile les tristesses et les pertes irréparables et qui devait faire place avec les années à une plus sobre — devrions-Nous dire, plus sombre ? — réflexion sur le prix et sur les résultats de la victoire, c'est-à-dire, de la victoire de la guerre.
Car il y a une victoire qui paie des dividendes, des dividendes certains et élevés. C'est la victoire sur la haine et la méfiance qui renverse les barrières entre les peuples qui ne désirent que la paix et la concorde ; la victoire sur la cupidité sans scrupules qui peut graduellement rendre sourde la raison humaine aux exigences des droits de l'homme et ainsi semer des germes de conflit à l'intérieur et à l'extérieur des frontières.
Quel apaisement pour l'humanité souffrante, combien encoura-
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géant et combien sage il serait de voir les chefs d'Etat, conscients de leur responsabilité sacrée envers les générations futures, décidés de consacrer toutes les ressources de l'esprit et de l'industrie à gagner cette victoire. Ce but n'est pas au-delà de leur portée, pourvu qu'ils acceptent humblement le divin commandement de la justice et de la charité. Puisse la grâce aimante de Dieu percer les ténèbres dans lesquelles la folie de l'homme le plonge trop souvent et qu'elle illumine le sentier, visible pour tous, qui mène à l'entente et à la paix durable.
Telle est Notre fervente prière, tandis que Nous demandons à Dieu que sa bénédiction descende sur vous et sur ceux qui vous sont chers.2
2 On lira les documents suivants à l'adresse de groupes de personnalités des Etats-Unis :
— Allocution à des journalistes américains le 18 janvier 1947, p. 29.
— Allocution aux dirigeants de l'U. N.R. R.A. le 6 avril 1947, p. 91.
— Allocution aux délégués américains du Congrès de l'Union postale, 31 mai 1947, p. 153.
— Allocution à la Croix-Rouge américaine, 31 mai 1947, p. 154.
— Allocution à des parlementaires américains, 30 septembre 1947, p. 292.
— Allocution à des membres de l'American Légion, 2 octobre 1947, p. 293.
— Allocution à des membres du Congrès américain, 7 octobre 1947, p. 300.
— Allocution à des membres de l'American Légion, 7 octobre 1947, p. 301.
— Allocution à la Commission militaire du Congrès américain, 8 octobre 1947, p. 302.
— Allocution à un groupe de sénateurs américains, 31 octobre 1947, p. 326.
— Allocution à un groupe de sénateurs américains, 1er novembre 1947, p. 330.
(11 novembre 1947) 1
Après avoir reçu les lettres de créance du nouvel envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République de Panama, S. Exc. le Dr Michel Amado Burgos, le Souverain Pontife prononça l'allocution suivante :
En recevant des mains de Votre Excellence les lettres de créance par lesquelles M. le président de la République de Panama vous accrédite en qualité d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près le Saint-Siège, Notre coeur paternel renouvelle ses sentiments d'affection cordiale envers cette bien-aimée nation.
Nous ne pouvons oublier que la terre de Panama fut le premier lieu du continent américain où l'Espagne posa son pied civilisateur et évangélisateur, y fondant la première ville sur terre ferme, Notre-Dame de l'Antigua, et consacrant ainsi, dès le premier moment, cette noble terre à la haute protection de la Mère de Dieu.
Nous ne pouvons oublier que ce fut la terre de Panama qui vit s'établir pour la première fois dans le grand continent d'Amérique la hiérarchie ecclésiastique, et que le premier successeur des saints apôtres en ces immenses régions s'appela évêque de Panama. La nation que Votre Excellence représente si dignement aura toujours pour Nous le rang inoubliable d'avoir été pendant très longtemps comme le quartier général d'une héroïque et pacifique armée de missionnaires que, au nom de l'Eglise, la mère Espagne envoyait à l'Amérique pour donner au Nouveau-Monde découvert ce que l'ancien possédait de meilleur et de plus divin : le message de paix et d'amour de notre Rédempteur Jésus-Christ.
C'est à cette paix, fondée dans la justice et prêchée en votre langue sonore depuis plus de quatre siècles sur les côtes de Panama, que Votre Excellence fait allusion dans les heureuses paroles qu'elle vient de prononcer. Et c'est pour Nous une haute satisfaction de pouvoir constater par leur moyen, que le représentant d'une nation, dans sa plus grande partie catholique, comprend Notre position spirituelle au milieu de l'inextricable labyrinthe des passions en ce monde troublé.
Votre Excellence dit, avec grande justesse, qu'il n'y aura pas de paix réelle sans la pratique effective de la compréhension et de la justice. Mais, dans les douloureuses circonstances du moment présent, on ne pourra arriver à la justice entre les peuples et les individus sans un large sens de désintéressement et même d'abnégation que, seul, peut donner l'esprit surnaturel du christianisme.
Pour régulariser les relations entre les hommes et leur ouvrir une issue authentiquement juridique, il est aujourd'hui plus nécessaire que jamais d'invoquer d'abord la protection de Dieu, comme l'ont fait à Panama, d'une manière très louable, les députés constituants. Il est aujourd'hui plus nécessaire que jamais de tirer jusqu'aux dernières conséquences logiques d'une telle attitude et de porter cette reconnaissance d'un Etre suprême et d'une loi divine dans la pratique de notre vie publique et privée, jusqu'à la véritable harmonie entre le donateur tout-puissant de la paix et l'arbitre de la vraie justice, et toutes les règles qui régissent la vie humaine, tant sur le terrain international et social que sur le terrain culturel et familial.
Que cet esprit d'authentique christianisme modèle toujours plus et d'une manière toujours plus parfaite les institutions publiques de votre patrie, pour son plus grand bien, tel est Notre ardent désir et l'objet de Nos prières devant le Très-Haut. Par cette même raison Nous Nous réjouissons aujourd'hui d'avoir près de Nous, pour resserrer les liens qui unissent la République de Panama à ce Siège apostolique, précisément Votre Excellence, en qui, aux talents relevés d'une culture large et variée et d'une longue expérience diplomatique, malgré sa jeunesse, vient s'ajouter l'héritage familial d'une spéciale adhésion au Vicaire du Christ.
Dans ces sentiments de paternelle bienveillance, Nous invoquons la protection de Dieu sur la noble nation que vous représentez,
par l'intercession de la Vierge du Rosaire, à qui depuis longtemps les Panamiens recourent dans leurs nécessités, et Nous Nous plaisons à donner de tout coeur à M. le président de la République, à son gouvernement, et à tout le peuple catholique de Panama, ainsi qu'à son digne représentant, Notre Bénédiction apostolique.
(15 novembre 1947) 1
Cette allocution a été adressée aux participants du 1er Congrès national italien des aumôniers des prisons qui ont été présentés au Saint-Père par S. Em. le cardinal Fossati, archevêque de Turin.
Nous vous saluons vous qui vous trouvez réunis autour de Nous, chers fils. Il Nous semble voir en Notre présence une troupe choisie de soldats de première ligne, volontaires pour une mission de sacrifice et de conquête ardue. Des quelques jours passés à Rome vous avez profité non pas tant pour jouir d'un repos bref et mérité, mais plutôt pour vous entretenir ensemble des questions qui regardent votre difficile quoique consolant ministère ; questions multiples et variées d'ordre juridique, technique, social, pédagogique concernant la rééducation des prisonniers et l'organisation du ministère spirituel dans les prisons. Vous avez heureusement choisi les sujets de vos études et de vos discussions, mais si Nous devons dire quels sont ceux qui ont attiré particulièrement Notre attention, Nous n'hésiterons pas à signaler les délicats problèmes de la « rééducation des mineurs » et de « l'assistance aux détenus sortant de prison ».
Votre zèle, anxieux d'obtenir toujours de plus amples résultats dans le bien, a suscité en vous le désir d'entendre de Nos lèvres quelques paroles d'encouragement et de conseil. Que pourrions-Nous vous dire, bien-aimés fils, que vous ne sachiez déjà par votre propre expérience ? Aurions-Nous, par hasard, besoin de vous inculquer à vous qui en êtes intimement persuadés, la nécessité de la maîtrise de vous-mêmes, de la patience, de la longanimité, de la circonspection, de la prudence, du tact, et surtout d'une charité pleine d'abnégation et de bonté, in aedificationem et non in destructionem
(2Co 10,8), puisée au coeur de Celui qui « ne brise pas le roseau froissé et n'éteint pas la mèche qui fume encore » (cf. Matth. Mt 12,20) ?
Ministère difficile...
Nous parlions tantôt de votre mission de sacrifice, de votre ministère difficile. Sans doute chacun de vous pourrait raconter de nombreux exemples édifiants qui feraient toucher du doigt la puissance de la grâce miséricordieuse, des changements tels que le converti d'aujourd'hui offre des espoirs incomparablement plus grands que les présages sinistres que le criminel d'hier avait fait concevoir. La biographie de saint Joseph Cafasso présente à notre considération beaucoup de cas semblables. Cependant même dans la vie de ce grand saint providentiellement doué de qualités exceptionnelles, ces faits merveilleux ne sont pas de tous les jours. On les lit avec une complaisance singulière, comme alignés dans une belle anthologie, semblables à un collier de perles fines montées sur une invisible chaînette d'or ; mais qui peut connaître la fatigue qu'a coûtée chacune de ces perles, chacune de ces paillettes d'or patiemment recueillie dans le sable du torrent, chacune de ces pépites extraites de la mine et nettoyée de sa gangue ? Vous savez bien, dans le secret de vos coeurs, de quelles prières, de quels efforts, de quelles angoisses vous avez payé chacune de vos conquêtes et aussi, hélas, de vos pertes.
Comment pourrait-il en être autrement ? Pauvres malheureux, dont beaucoup n'avaient peut-être ni l'âme pervertie, ni le coeur gâté ! Sans parler de ceux qui portent en eux la tare d'une triste hérédité ou d'une mauvaise éducation, combien d'autres sont enveloppés dans le crime, victimes inexpérimentées et imprudentes des conseils, des sollicitations, des initiations précoces, des exemples de camarades pervers qui ont su, eux, échapper à la justice humaine pour continuer à faire de nouvelles victimes ? Et maintenant, humiliés, découragés, épouvantés d'être obligés de languir dans la promiscuité d'un rassemblement anormal qui leur fait sentir plus intensément encore leur solitude morale, ceux-ci n'ont plus que vous. Après avoir réussi à vaincre leurs premières défiances et à gagner leur confiance, vous seuls pouvez soutenir et maintenir vivantes les bonnes dispositions qui leur restent encore. Les lettres de chez eux n'apportent qu'une pâle lueur — Nous n'osons pas dire de joie — au fond de leur étroite prison. Quel terrain et quel climat pour infuser et développer dans leurs âmes le germe d'une foi vive, d'un sincère repentir, d'une paisible résignation à la volonté de Dieu qui leur rendra la sainte espérance ! Voilà quelle est votre tâche sublime.
qui mérite la reconnaissance de tous.
Plus ce ministère est ardu, plus les douleurs et les désillusions qu'il peut occasionner sont grandes, plus aussi il mérite d'être dûment apprécié, plus aussi il mérite encouragement, reconnaissance et louange. En vous manifestant Notre gratitude, Nous savons que Nous sommes l'interprète de la complaisance du divin Pasteur qui s'est fatigué à la recherche des brebis perdues, du souverain Prêtre qui, mourant, du haut de la croix, a pardonné, béatifié et sanctifié le voleur repentant, crucifié comme lui.
Mais aussi la reconnaissance de toutes les âmes droites vous est acquise. Pour ne pas parler de celles que, nonobstant toute illusion ou déception, vous conserveront toujours et vous manifestent déjà, d'une manière touchante peut-être, bon nombre de ces malheureux ; combien grande doit être la gratitude de leurs familles ! La mère compte sur vous pour consoler son enfant plus malheureux que coupable à ses yeux ; grâce à vos instances, l'épouse consent à se réconcilier avec un époux déshonoré et peut-être infidèle envers elle ; le père irrité, ému par vos paroles, sent sa juste colère se calmer, attendri par vos prières, il laisse couler les larmes qu'il aurait voulu retenir et accueille le prodigue à son retour au foyer. Tous enfin comptent sur vous pour maintenir dans ses bonnes résolutions, après l'emprisonnement, leur parent sincèrement désireux de s'amender, mais bien faible encore ; et la famille, ainsi reconstituée, vous reste attachée par les liens de la plus profonde vénération.
La société humaine ne vous doit pas une moindre reconnaissance. Elle n'avoue pas toujours, mais sent bien sa propre insuffisance, sa propre incapacité pour sauver avec ses règlements et ses louables institutions les restes d'un naufrage moral misérablement échoués dans ses prisons. Elle doit reconnaître sa part et même sa grande part de responsabilité dans le naufrage et que seule la religion, avec la parole et la charité du prêtre, avec la grâce des sacrements, peut transformer les reclus, qui peut-être la maudissent et la menacent, en citoyens honnêtes prêts à racheter par des services utiles leurs dettes envers elle.
Les autorités de l'Etat ont aussi des motifs pour apprécier, promouvoir et favoriser votre labeur, augmentant, s'il en est besoin, le nombre des aumôniers et facilitant l'exercice de leur bienfaisant ministère. Il est assez significatif que, dès la première rencontre de collaboration entre l'Eglise et l'Etat dans l'empire romano-byzantin, l'Etat lui-même appela les prêtres dans les prisons, ut carceris — ainsi s'exprimait la constitution des empereurs Honorius et Théodose du 21 novembre 419 — ope miserationis aulas introeat, medicetur aegros, alat pauperes, consoletur insontes et cum singulorum causas scrutatus agnoverit, interventiones suas apud iudicem conpetentem pro iure moderetur 2. L'expérience est restée toujours la même. Malgré toutes les réformes des ordonnances des prisons, il ne sera jamais donné aux seuls paragraphes froids de la loi et aux règlements extérieurs d'arriver à ce but qui consiste à obtenir l'amélioration du coupable, à le préserver de la ruine morale, à l'élever et à le régénérer. Pour cela, la compréhension humaine est requise et surtout la force surnaturelle de la religion dont le prêtre est le ministre.
Nous vivons dans un temps de grandes calamités morales et de durs contrastes, mais aussi d'une conscience sociale plus vive et d'un sens plus profond de la responsabilité. Sur ce terrain l'Eglise enseigne et agit en première ligne. Aussi votre action, bien-aimés fils, sera en grande partie toujours plus de nature charitable et sociale. Cependant, l'avertissement que Nous adressons aujourd'hui à tous ceux qui travaillent dans l'apostolat vaut aussi pour vous : ne vous enfermez pas dans le côté purement social de vos oeuvres, mais allez plus au fond, pénétrez dans les âmes pour les réconcilier avec Dieu et les sauver. N'oubliez pas que vous ne pourrez jamais arriver à ce dernier but, absolument nécessaire, sans votre prière personnelle et votre sacrifice. Faites-vous vous-mêmes, pour le bien des prisonniers confiés à votre ministère sacerdotal, dans le travail quotidien et la constante abnégation « prisonniers du Christ Jésus », comme l'Apôtre des nations, vinctus Christi Jesu, l'a dit et l'a vécu si profondément (Ep 111,1 Ph 1,9).
Nous vous mettons, vous-mêmes et vos prisonniers, les coupables et plus spécialement les innocents, sous la croix du Fils de Dieu, qui pour notre salut cum sceleratis reputatus est (Is., LIII, 12). Que Marie, mère de miséricorde, étende sa main protectrice sur vous et sur eux. Que saint Joseph Cafasso soit votre modèle et votre intercesseur
2 Cf. Th. Mommsen, Theodosiani Libri XVI cum Constitutionibus Sirmondianis, Berlin 1905, vol. I, p. I, pag. 917.
auprès de Dieu. Que la bienheureuse vierge et martyre Maria Goretti, qui conduisit merveilleusement à la conversion son meurtrier, vous serve de guide et de secours dans les cas plus difficiles.
En gage de la grâce surabondante de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Nous vous donnons à vous et à tous vos prisonniers, avec paternelle affection, la Bénédiction apostolique.
(15 novembre 1947) 1
1 D'après le texte français des A. A. S., 1947, p. 623.
Le Saint-Père, après avoir reçu en son palais de Castelgandolfo, l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République d'Haïti qui lui a remis ses lettres de créance, lui a adressé les paroles suivantes :
Après la pénible interruption du temps de guerre, la légation haïtienne, grâce à l'initiative de S. Exc. M. le président de la République 2 et du gouvernement, vient d'être de nouveau confiée à son ancien titulaire. Nous goûtons une particulière satisfaction en vous voyant revenir à Nous comme représentant officiel d'une nation qui conserve avec reconnaissance le souvenir de l'influence décisive qu'ont exercée sur la conquête de sa liberté et de son développement social et culturel la conception foncièrement chrétienne de la vie et de la société, l'enseignement et les actes de tant de Nos prédécesseurs sur la chaire de saint Pierre.
2 Une nouvelle Constitution entra en vigueur en 1946 et le nouveau président, M. Durnarsais Estiné, fut élu cette même année.
S'il est vrai que, dans le passé, parmi les remous des événements extérieurs et de l'évolution nationale de votre patrie, le Saint-Siège n'a jamais cessé de témoigner avec amour et vigilance sa sollicitude pour le bien de votre peuple et de l'adapter avec une prudente clairvoyance aux conditions variables des lieux et des temps, il n'est pas moins vrai, vous pouvez en être bien convaincu, qu'en appliquant tous Nos efforts et toute Notre attention bienveillante à développer et à rendre toujours plus intimes, toujours plus confiantes et plus fructueuses les relations entre l'Eglise et l'Etat, Nous avons conscience de ne pas seulement accomplir un devoir de Notre charge mais aussi de suivre la pente de Notre coeur.
Nous avons conscience de rencontrer le sincère assentiment et la joyeuse coopération de Nos fidèles, fils et filles, aux yeux de qui la vie religieuse rendue sans cesse plus intense et rayonnant comme un foyer de bénédiction sur les divers domaines de la vie sociale, est du plus grand intérêt pour la communauté tout entière et mérite d'être l'objet des plus loyaux efforts.
Au cours des années qui se sont écoulées, depuis la clôture de cette légation jusqu'à son rétablissement, la famille des Etats et des peuples a passé par des catastrophes et des bouleversements inouïs dans l'histoire de l'humanité. Jamais, en effet, l'humanité n'a eu dans un laps de temps relativement si court à frémir et à pleurer au spectacle de tant de sang versé, de tant de ruines amoncelées, de tant d'effondrements des valeurs matérielles et spirituelles.
A l'énormité de la destruction correspond l'énormité de la tâche de restauration, tâche vaste comme le monde et dont la lenteur en dépit des efforts déployés pour l'accélérer fait peser l'inquiétude comme une chape de plomb sur les épaules des peuples las.
Il devient de plus en plus évident que sans une sincère préparation des coeurs tous les articles des prétendues conventions et pactes de paix ne seront jamais qu'un essai incohérent, un stérile replâtrage ; aucun esprit clairvoyant, aucun homme instruit par l'expérience de l'histoire n'osera leur promettre un long avenir. Cette préparation même des coeurs, parce qu'elle suppose nécessairement avec la compréhension mutuelle la communauté des sacrifices, il serait chimérique de l'attendre du simple jeu des lois et des conventions avec leurs sanctions imparfaites, sans recourir au contact vivant avec la religion dont les motifs éternels sont incomparablement plus relevés et les impulsions incomparablement plus puissantes.
La conclusion qui s'impose à l'esprit avec une aveuglante clarté, c'est que le premier pas vers la restauration d'un monde secoué dans toute son armature, ébranlé sur ses bases, doit être la résipiscence, le retour à ces principes moraux éternels que nul n'a jamais violés impunément. L'Etat qui contribue à renouveler la reconnaissance d'un ordre voulu et établi par Dieu et à promouvoir son rayonnement sur tous les champs si variés de la vie humaine, civique, de la vie qui surpasse le domaine des Etats temporels, cet Etat-là est sur la voie de la vraie prospérité et du vrai progrès.
Les paroles que vous venez de prononcer, Monsieur le ministre, comme aussi tout ce que Nous savons de votre vie personnelle, de votre carrière intellectuelle, de votre multiple activité professionnelle, Nous causent un bien vif plaisir en mettant en pleine lumière le fait que dans votre pensée l'Evangile du Christ, Charta magna de la dignité humaine, de la véritable liberté et de la plus noble fraternité, occupe sur l'échelle des valeurs le rang d'honneur qui lui revient de droit.
Abordant et poursuivant dans cet esprit la mission que vous assumez de nouveau, vous pouvez être assuré de Notre confiance et de Notre ferme appui ; vous verrez mûrir comme fruit de vos labeurs, les bénédictions divines, gage de progrès pour votre noble patrie qui, lointaine, est pourtant si près de Notre coeur.
Dans cette joyeuse attente, Nous adressons à S. Exc. M. le président de la République, aux membres du gouvernement, à tous vos compatriotes, l'expression de Notre haute considération et de Notre bienveillance. Et Nous donnons avec la plus grande affection à tous Nos fils et filles qui Nous sont unis dans le Seigneur, mais tout particulièrement à vous-même, Notre Bénédiction apostolique.
(23 novembre 1947) 1
1 D'après le texte anglais des A. A. S., 39, 1947, p. 630.
Le message suivant a été envoyé aux Etats-Unis par la Radio vaticane que les réseaux de radio américaine ont relayée.
Un nouvel hiver approche, sans coeur et impitoyable, qui se prépare à donner un large coup de faux à travers les maisons ruinées et misérables de certaines villes d'Europe et d'Orient ; préparant les voies à la triste mort qui ne tardera pas à suivre, grâce au froid, à la famine et à l'abandon complet. Mais non ! La charité chrétienne subsiste, se dressant de toute la hauteur qu'exige sa noblesse, pour lui barrer la route, et des milliers de victimes condamnées, libérées d'une terreur sans espoir, vivront pour remercier Dieu pour l'esprit qui unit tous les hommes comme les enfants d'un même Père qui est aux cieux et fait battre leurs coeurs à l'unisson pour leurs frères qui sont dans la souffrance et la détresse.
Sous la conduite vigilante de votre hiérarchie au grand coeur et dévouée, chers fils et filles d'Amérique, vous êtes à l'avant-garde de cette armée de la charité chrétienne. Cette année vous aurez choisi, et bien choisi, pour recueillir vos ressources, la semaine caractérisée dans votre pays par la note dominante de reconnaissance envers Dieu2. La plus haute autorité de l'Etat vous a invités, et comme il est ennoblissant et encourageant d'entendre cette invitation dans le monde d'aujourd'hui 3, à faire une pause au milieu de vos occupations variées et à rendre grâce au Dieu tout-puissant, le Père des lumières
( dont nous tenons tout don de bonté et de perfection (Jc 1,17). Selon le mot de l'Ange de l'Ecole, votre gratitude doit d'abord être une reconnaissance du fait que vous êtes les bénéficiaires de dons, de dons innombrables ; ensuite, il demande que vous remerciez des dons reçus ; et enfin que vous, à votre tour, vous fassiez une offrande, dans la mesure de vos moyens envers votre bienfaiteur.4 Mais que pouvez-vous offrir à Dieu ? « Qu'avez-vous que vous n'ayez pas reçu ? » (1Co 4,7). Ne devez-vous pas dire la prière de David ? « Béni soyez-vous d'éternité en éternité, Seigneur Dieu d'Israël, notre Père. A vous, ô Seigneur, la grandeur, la magnificence, la splendeur, la gloire, car tout ce qui est au ciel et sur la terre vous appartient. A vous, Seigneur, la royauté, vous êtes souverainement élevé au-dessus de tout. C'est de vous que viennent la richesse et la gloire, c'est vous qui dominez sur tout, dans votre main est la force et la puissance, et c'est votre main qui donne à toutes choses la grandeur et la solidité. Maintenant donc, ô notre Dieu, nous vous louons et nous célébrons votre nom glorieux » (1Ch 29,10-13).
2 Aux Etats-Unis, le quatrième jeudi de novembre, appelé Thttnksgiving Day, est un jour d'expression de la reconnaissance nationale envers Dieu.
Que pouvez-vous offrir en vérité à Dieu sinon votre louange reconnaissante et votre fidèle service ? Car Dieu ne demande rien pour lui-même.
Mais dans son amour infini pour les créatures humaines issues de sa toute-puissance, il a désiré s'identifier lui-même avec ceux qui ont besoin de vos offrandes : « Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez accueilli ; en prison et vous êtes venus à moi... » Parce que « toutes les fois que l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,35-36 Mt 25,40). Quelle amoureuse condescendance de la part de Dieu ! Grâce à elle, la généreuse réponse que vous ferez à l'appel de vos évêques pour venir en aide à ceux qui vivent dans la misère et dans la faim et dont l'avenir est assombri par l'ombre effroyable de la maladie du corps et de l'âme, élèvera vos âmes du choeur ordinaire de ceux qui chantent la reconnaissance envers les dons de Dieu jusqu'à l'imitation de cette divine bonté qui vous a enrichis de tant de bénédictions. Votre reconnaissance sera purifiée, rendue parfaite et resplendissante par la charité.
Fils bien-aimés, vous avez été avertis des conditions misérables dans lesquelles vivent des millions d'hommes, de femmes et d'enfants, victimes innocentes de la cruelle, et souvent inutilement cruelle, après-guerre. Il n'est pas nécessaire de vous dire combien Notre coeur, le coeur du Père commun, saigne d'angoisse en songeant à ses enfants qui tournent vers lui des yeux implorant la pitié, dans l'espoir qu'il les sauvera de leur désespoir. Mais Nous voudrions vous dire combien Nous sommes consolé et reconnaissant à la suite de l'aide persévérante que vous Nous avez donnée à l'occasion de Notre croisade de charité internationale. Vos sacrifices ont rendu cette charité possible.
Comme gage de la récompense éternelle promise par Dieu et de Notre gratitude affectueuse et durable, Nous accordons à tous les fidèles, aux religieux, au clergé et à la hiérarchie des Etats-Unis, Notre Bénédiction apostolique 3.
5 Les catholiques des Etats-Unis ont offert en 1947, aux organisations de secours du Vatican, des dons d'une valeur de 600 000 dollars. De son côté, la Commission pontificale d'assistance a distribué en 1947 pour 9,5 milliards de lires de dons (cf. L'Attività délia Santa Sede, 1947, p. 115, éd. Tipografia Poliglotta Vaticana).
Pie XII 1947 - LA VOIX DU PAUVRE EST LA VOIX DU CHRIST